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Roméo Elvis. © photo Margaux Nieto pour Les Inrockuptibles (détail) Découvert avec le tube Bruxelles arrive, le jeune rappeur Roméo Elvis remet la Belgique dans le game et explose sur scène. Bientôt au festival GéNéRiQ. Par Carole Boinet Dans la file d’attente qui s’étend de façon vertigineuse à l’extérieur du bar La Notte, près de la place des Lices, à Rennes, la plupart des visages portent encore les traces d’une adolescence boutonneuse et rebelle. Nous sommes le samedi 3 décembre et l’établissement accueille le rappeur belge Roméo Elvis, 24 ans, dans le cadre du festival défricheur Bars en Trans. Le constat est sans appel : tout le monde a grandement bien fait de poireauter dans le froid. Roméo Elvis est un dompteur de scène, le genre de type au charisme aussi grand que trois fois la Belgique, qui transforme un bar en sauna en deux ou trois punchlines et un tombé de T-shirt (blanc, forcément). La petite foule collée- serrée saute sur place les bras en l’air et les yeux brillants d’excitation. Nous aussi. La voix grave caresse un beat qui claque Comme souvent dans ce genre d’histoire, tout part d’un lien YouTube balancé par une personne de moins de 25 ans au détour d’une conversation Messenger. Au bout de notre clic : Bruxelles arrive, titre sur lequel Roméo Elvis parle de débarquer à Paris “serré dans une caisse” avec ses potes. La voix grave caresse un beat qui claque.

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Roméo Elvis. © photo Margaux Nieto pour Les Inrockuptibles (détail)

Découvert avec le tube Bruxelles arrive, le jeune rappeur Roméo Elvis remet la Belgique dans le game et explose sur scène. Bientôt au festival GéNéRiQ.

Par Carole Boinet

Dans la file d’attente qui s’étend de façon vertigineuse à l’extérieur du bar La Notte, près de la place des Lices, à Rennes, la plupart des visages portent encore les traces d’une adolescence boutonneuse et rebelle. Nous sommes le samedi 3 décembre et l’établissement accueille le rappeur belge Roméo Elvis, 24 ans, dans le cadre du festival défricheur Bars en Trans.Le constat est sans appel : tout le monde a grandement bien fait de poireauter dans le froid. Roméo Elvis est un dompteur de scène, le genre de type au charisme aussi grand que trois fois la Belgique, qui transforme un bar en sauna en deux ou trois punchlines et un tombé de T-shirt (blanc, forcément). La petite foule collée-serrée saute sur place les bras en l’air et les yeux brillants d’excitation. Nous aussi.La voix grave caresse un beat qui claqueComme souvent dans ce genre d’histoire, tout part d’un lien YouTube balancé par une personne de moins de 25 ans au détour d’une conversation Messenger. Au bout de notre clic : Bruxelles arrive, titre sur lequel Roméo Elvis parle de débarquer à Paris “serré dans une caisse” avec ses potes. La voix grave caresse un beat qui claque.

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LE RAP BELGE DANS LAGRAND-PLACEPar Marie Ottavi Envoyée spéciale à Bruxelles— 8 mai 2017 à 19:06 (mis à jour à 19:55)

Hamza, Damso, Roméo Elvis… Les jeunes artistes d’outre-Quiévrain imposent leur créativité dans un écosystème exempt du lourd héritage qui pèse sur les Français.

Portrait du rappeur Hamza, le 13 avril. Photo Jules Toulet. Hans Lucas

«Dans un lieu public, ne jamais tourner le dos à la porte.» On repense à la ruse de Sioux d’un vieux reporter de guerre en apercevant la nuque du rappeur Damso, au fond d’une brasserie bruxelloise. Alors que sort son second album, le garçon se fait discret - si c’est possible - pour éviter les sollicitations inopinées. La jeunesse belge a fait de lui le symbole de la nouvelle scène du rap local à qui la France fait les yeux doux. Et pour ça, elle lui réclame des selfies. Alors Damso tourne le dos à la porte. Le rappeur a une carrure à faire peur, 1,92 mètre de basketteur et des mains de casseur de nez bardées de bijoux. Au bout d’un doigt, il porte une bague dorée frappée

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du profil d’un Napoléon aux traits d’Indien. «Quand j’ai eu cette bague, je me suis dit que je devaispercer avant qu’elle rouille, à une époque où je n’avais pas de domicile, je dormais à droite, àgauche, avec ma petite valise. Elle n’a pas totalement rouillé. J’ai réussi», constate-t-il. Avec Hamza, Roméo Elvis, Shay, il incarne le nouveau rap francophone, réduit jusque-là au seul territoire franco-français, et à la rivalité Paris-Marseille.

Le rappeur Damso. Photo Jules Toulet. Hans Lucas

«En quête d’excellence»Booba n’est pas étranger à ce début d’âge d’or du rap belge. Le Français exilé à Miami a flairé deux talents bruxellois (Damso et Shay) qu’il a intégrés à 92i, son label et largement mis en avant sur sa plateforme web, OKLM. Grand calme, Damso, né à Kinshasa en 1992, arrivé à Bruxelles à l’âge de 9 ans, se dit gros bûcheur «en quête d’excellence». Un peu comme un cow-boy solitaire, William Kalubi de son vrai nom affiche la distance des méfiants. «La personne avecqui tu manges, c’est celle qui va t’empoisonner», rappelle-t-il en terminant son omelette. On ne le prend pas personnellement. Il porte un regard sans espoir sur ses contemporains. Ipséité, second album sorti fin avril, ne dit que ça. Tout son orgueil se lit dans cet obscur terme latin dont le Larousse donne pour définition : «Ce qui fait qu’un être est lui-même et non pas autre chose.» Sombre et désabusé, Ipséité est truffé de gauloiseries à vous faire rougir le premier ado venu. Il a dû en entreprendre des femmes pour pouvoir parler comme il le fait d’un nombre incalculable de conquêtes, de femmes à fuir et d’autres à pénétrer.Le flow de Damso - l’un des meilleurs du circuit -, sa gestion parcimonieuse de l’autotune, son écriture coup-de-poing font de lui la nouvelle sensation du rap francophone alors même que les

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radios grand public voient son album leur échapper, trop trash pour pouvoir intégrer leur playlist. «Je ne peux pas arrondir les angles, ça n’a pas de sens, indique-t-il. Je ne m’impose aucunelimite. Et si je ne passe pas en radio, tant pis.» Le style Damso, ça donne ça : «J’fume pour ne plusm’rappeler de mes rêves. Stress et nerfs m’ont fait perdre chevelure. Téméraire, des bagarres, j’en

ai connu. D’amour etde sperme, j’ai repeintses lèvres. A sonhaleine, j’savaisqu’elle était moche.Un verre de Daniel’spour ne voir que sesformes. L’amour de lachair n’a pas quebonnes odeurs. J’laprends dans le noirpour ne pas voir sescornes. J’aime laviolence et voir le sangqui coule. Entendremes ennemis dire"pardon", sans leurpardonner. Baiserleur meuf entransmettant lachtouille. J’suis trèsméchant quandcouilles tu me lescasses (putain).J’pourrais t’égorger,te voir te vider de tonsang. Finir mes joursen prison, sans jamaisregretter mes actes.J’parle tout seul parceque personne saitrépondre» (NwaarIs the New Black).

Le rappeur Roméo Elvis. Photo Jules Toulet. Hans Lucas

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En Belgique francophone, une seule émission de radio (Pur Jus sur Pure FM) est dédiée aux musiques urbaines. Le pays a longtemps souffert de son petit territoire (12 millions d’habitants), de la condescendance de ses voisins (Paris pour ne pas le nommer) pour qui la Belgique sonnait comme la province. Vingt-six ans après le rap blagueur de Benny B et son Vousêtes fous ! - tube taillé pour les campings -, les labels indépendants et les majors françaises viennent renifler ce qui se fait outre-Quiévrain. Il aura fallu attendre. Preuve qu’un mauvais tube - celui-là s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires entre la France et la Belgique - peut avoir un impact dévastateur. Anthony Consiglio, manager et tourneur, et son associé viennent de se voir confier par Universal Music Belgium la direction artistique d’un nouveau label consacré au hip-hop : «On sent une émulation. On fait cette musique depuis dix ans mais,maintenant, on considère la Belgique comme un vrai pays qui fait de la musique. Paris nousregarde, Montréal nous écoute. On sent qu’il se passe quelque chose. Avant, on était vus comme lespetits Belges sympas qu’on prend un peu pour des cons. C’était aussi stupide que de dire que tousles Parisiens partent travailler tous les matins avec une baguette sous le bras.»

«Paris est trop speed»Hamza, Bruxellois de 22 ans obsédé par les femmes, l’argent, les grosses berlines, la drogue et l’imagerie habituelle des rappeurs américains dont il suit le sillon, a vu Paris lui faire la danse du ventre après la sortie de H-24, mixtape de 24 titres déposée en novembre 2015 sur HauteCulture, un site ouvert aux artistes autoproduits. Hamza, allure de frelon, en casquette et sweat Gucci que les années 90 n’auraient pas renié, a tout appris en tâtonnant sur le Web, apprenant à fabriquer ses beats sur Fruity Loops, se forgeant une oreille sur YouTube, y publiant des dizaines de morceaux comme on jette des cailloux, en espérant qu’un producteur les ramasse. C’est fait. Il vient de signer un contrat de licence avec Because Music et sortira son album chez Warner qui distribuera avant un EP à l’automne. Impulsif et prolixe, Hamza écrit sur un coin de table quand il est en studio. Heureux à Bruxelles («Paris est une ville trop speed, je préfère êtreici»), il profite là de studios moins onéreux qu’à Paris notamment. Bruxelles a toujours été une terre de repli pour les musiciens. ICP est le plus célèbre. Bashung et Polnareff y sont passés. La scène rap se croise au Uptown Studio, au Dada ; Hamza travaille au studio du collectif de producteurs Street Fabulous, Anthony Consiglio et Max Meli ont aussi le leur. «La Belgique esttrop petite pour survivre seule dans son coin. On s’exporte, c’est une question de survie», ajoute Anthony Consiglio, qui manage JeanJass et Caballero, rappeurs nerd qui sortent un album commun vendredi (Double Hélice 2) et Roméo Elvis, blanc-bec à l’humour décalé et bête de scène aux élans efféminés. Fils d’artistes, ce grand brun, longue tige aux cheveux longs, rappe comme d’autres donnent des concerts de rock et mouille son K-Way. Sur Morale 2, EP sorti mi-mars avec Le Motel, sa voix de basse frôle celle de Dick Annegarn ou peut-être est-ce une once d’accent bruxellois. Le second degré de Roméo Elvis sonne typiquement belge : «Je connais peude gars qui se la jouent dans le rap ici. Il y a une humilité. C’est dû au fait qu’on n’a pas un passiflourd derrière nous. On n’a pas d’ancêtres à honorer spécialement, de zones à représenter ou uneinstitution à respecter comme en France. Il n’y a pas de figure majeure dans le rap belge.»

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L’influence de StromaePourtant, il y en a toujours eu des rappeurs en Belgique, parfois rétifs au succès pour rester estampillé underground, Veence Hanao, Convok, Scylla, le groupe De Puta Madre. La Belgique a même eu de vrais «G» (gangsters). Les membres de Négatif Clan, basés dans le quartier Yser àBruxelles croupissent pour la plupart en prison pour des faits de vol, de proxénétisme ou de viols. On est loin de Stromae, sans qui rien n’aurait été vraiment possible. Rappeur à ses débuts, le chanteur de Papaoutai a déblayé le terrain et redoré le blason d’une nation réunissant ses deux flancs, le wallon et le flamand. Il a remis Bruxelles sur la carte. «La déferlante Stromae achangé pas mal de choses, avoue Roméo Elvis. En Belgique, on a peu de repères forts qui nousreprésentent partout. Stromae a permis de rattraper ça. Il fait une musique populaire. Ça adécomplexé les Belges en ouvrant une brèche. Sans compter les Diables rouges, notre équipe defoot. Ce sont les deux choses les plus fédératrices en Belgique, qui parlent autant aux Flamandsqu’aux francophones. Au-delà de notre pays, on s’est demandé ce qui se passait en Belgique. Çacontribue à donner de la confiance aux gens. Et la confiance, c’est tout ce dont on a besoin pourbien créer. Il n’y a pas plus de rappeurs qu’avant, mais on s’affirme plus.»D’autres artistes s’y voient déjà : Isha, beatmaker et rappeur, vient de poster sa mixtape sur le Net (La vie augmente) ou Krisy, aussi connu sous le nom de De la Fuentes, ingénieur du son et producteur pour Damso avant qu’Ipséité ne le propulse en tête des classements, où l’or ne rouille décidément pas.Marie Ottavi Envoyée spéciale à Bruxelles

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Roméo Elvis, MC barytonRENCONTRE : NICOLAS CAPART Publié le jeudi 06 octobre 2016 à 09h30 - Mis à jour le jeudi 13 octobre 2016 à 15h02

VIDÉO5258

MUSIQUE / FESTIVALSLe rappeur bruxellois est partout. Et sera curateur du Festival FrancoFaune le 13 octobre, le temps d’une "carte blanche" au VK.Il est aujourd’hui l’un des emcees les plus doués et les plus populaires du plat pays, courtisé par l’industrie du disque. A 23 ans, Roméo Elvis Van Laeken (de ses vrais prénoms, Elvis étant le 3e et, pour l’anecdote, Johnny le second), a le vent en poupe et de beaux jours musicaux devant lui. Un echte brusseleir né à Uccle, mais qui a grandi du côté de Linkebeek, où bien des trentenaires et des poussières se rappellent l’avoir gardé pour se faire quelque menue monnaie. "J’ai eu plein de baby-sitters quand j’étais petit en effet, à cause du métier de mes parents qui sont comédienne et chanteur, et donc travaillaient le plus souvent en soirée. Mais j’en garde un excellent souvenir. Je me souviens d’Amandine par exemple, qui était un peu devenue la baby-sitter en titre à un moment. Je me rappelle aussi avoir enfermé dans le jardin un baby-sitter qu’on n’aimait pas." Déjà sale gosse…

L’art dans les gènes

Parlons-en de ces parents, autant crever l’abcès directement. La mère de Roméo est Laurence Bibot, humoriste et voix familière des auditeurs de La Première. Son papa, c’est Serge Van Laeken alias Marka, chanteur bien connu du public bruxellois. Une filiation artistique que le rappeur percevait jadis comme un poids. "D’abord, il y a la crise d’adolescence, où tu rejettes ta famille et tu ne veux surtout pas t’avouer que tu as envie de faire la même chose que tes darons… Puis, c’est passé et j’ai fait des études d’art à Tournai. Quand j’ai commencé à rapper, les premières années, je ne voulais pas que les gens sachent. C’est un petit pays, un petit milieu, je voulais éviter qu’on dise que j’étais pistonné parce que j’étais ‘fils de’, parce que ma mère bossait à la RTBF, ce genre de trucs… Je ne voulais pas être privilégié. Il y avait un malaise par rapport à ça au début. Mais j’assume qui je suis aujourd’hui. Ce n’est pas comme si j’étais le fils de Marc Dutroux…"

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Vers 14 ans, le Bruxellois quitte la périphérie et la capitale pour découvrir le Hainaut occidental. "Saint-Luc, c’était l’école de la seconde chance pour moi. Je m’étais fait virer du collège Cardinal Mercier à Braine-l’Alleud. Je jouais les mauvais garçons, je traînais avec les mauvaises personnes et j’avais mauvaise réputation… J’étais catégorisé délinquant de la Communauté française, je ne pouvais m’inscrire qu’en qualification (filière d’enseignement technique, NdlR) et mes parents m’imposaient l’internat. A Tournai, j’ai découvert… la vie ! La liberté, les potes, la fête, les pétards… La peinture, la photo, la musique aussi. C’est là que j’ai commencé le rap." C’est là aussi qu’il allait se calmer ? "Oh non, j’ai continué à être un petit merdeux au moins jusque l’année passée !" A Tournai, en effet, Roméo frise six fois le renvoi, en raison de ses habitudes, "stupéfiantes" quasiment à chaque fois. Entre autres méfaits de ses belles années… "J’en ai fait des conneries… Si je devais faire ma thuglist, elle serait longue !" (rires)

La Voix du mélo

S’il bricole du rap depuis un moment lorsqu’il les rencontre, c’est avec les gars de L’Or du Commun que Roméo Elvis va mettre les deux pieds à l’étrier. "A la base, j’ai fait du piano en académie, de la guitare en autodidacte. Le rap, c’est venu plus tard, avec les potes de l’internat à Saint-Luc. 7VDS, ‘Vandales du système’, ‘Voleurs de Sky’, c’était le truc ! (rires) J’ai directement accroché, j’avais latchatche, j’aimais celle des rappeurs…" Et il y avait surtout cette voix, grave et profonde, pour un flow caractéristique. Pas loin du timbre du Grand Fabien Marsaud, ou plutôt du diable posé sur l’épaule droite de son Corps Malade.

"Le côté grosse voix s’est symbolisé avec la musique, mais c’était déjà le cas avant. A Saint-Luc, on avait le droit de parler en classe, d’écouter notre musique, etc. A l’époque, la prof disait ‘Ecoute Roméo, je sais que vous pouvez parler mais, toi, tu dois chuchoter…’ (rires). Après, dans le rap, c’est vite devenu ma marque de fabrique." Un organe qui dut être dompté. Et qui s’est transformé au fil des rimes et des années. "Il a fallu la travailler, parce que c’est bien d’avoir une grosse voix, mais c’était très monotone au début. Aujourd’hui, je chante, et on est passé sur quelque chose de beaucoup plus riche."

Nouvelle école

En 2016, il n’est plus interdit au rappeur de chanter, les temps ont changé. C’est aussi à cet endroit que la musique de Roméo Elvis puise sa modernité, tout en maintenant un certain savoir-faire à l’ancienne. Au niveau des productions sur lesquelles il pose ses mots également, et très certainement le travail du talentueux producteur brainois Le Motel, qui cosignait "Morale", son troisième et dernier EP - bientôt réédité - en février de cette année (après "Bruxelles c’est devenu la jungle" en 2013 et "Famille Nombreuse" en 2014). "Désormais, le rap est plus accessible à des gens comme moi. Il y a de la place pour autre chose que des trucs de truands, de gros bras, des insultes ou des clashs… Maintenant, tu peux chanter, jouer de la guitare - je l’ai fait sur scène au Bota il y a peu. Mon rap parle d’animaux par exemple… Ce n’est pas un cri dans la rue, c’est de la déconnade, de l’humour, du surréalisme. Aujourd’hui, le vaste terrain de jeu du rap le permet."

Roméo s’interrompt soudain pour déplacer son vélo qui gêne le passage sur le trottoir. Cycliste donc ? "Toute l’année !", répond-il fièrement. Son beau vélo mauve lui valut l’opprobre du paternel molenbeekois - qui, forcément, ne porte pas la couleur d’Anderlecht dans son cœur - dès le premier jour où il l’enfourcha. "Mon père détestait le Sporting, pour lui il n’y avait que le RWDM. Quand j’étais gamin, comme c’était le meilleur club de Belgique, il acceptait de m’emmener au stade, avec les pieds de plomb… Il m’a même offert un maillot dédicacé de Mbo (Mpenza, NdlR) à contrecœur." Le football, autre domaine qui intéresse particulièrement notre homme : à chaque concert, il arbore d’ailleurs fièrement le maillot de la Juventus de Turin.

Sauf pépin, Roméo Elvis devrait publier "Morale 2" autour du 28 février prochain. Pile un an après la sortie du premier volet. Le jeune rappeur peaufine également d’autres projets sur lesquels il reste pour l’instant discret. Sa priorité du moment, c’est la soirée du 13 octobre au VK, dont le festival Francofaune lui a confié la programmation. On y croisera entre autres Angèle, sa sœur, elle aussi chanteuse.

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Par Charlotte Vautier — 15 février 2017

QUI ES-TU : Roméo Elvis, le Belge qui s’impose dans le rap français

Sa description sur les réseaux

sociaux, « Jeune rappeur belge

en mode Snoopy sympa

relativement chouette et top… »,

pourrait tenir une bonne place

dans la rubrique « petite

annonces » d’un journal.

Pourtant, Roméo Elvis ne cherche

pas l’amour : il a déjà celui de ses fans, et notamment les Français. Tête de file de la

nouvelle vague de rappeurs belges qui déferle en France depuis plus d’un an, le

rappeur sortira fin mars un nouvel EP, Morale 2, dans lequel il s’ouvre au chant et à la

guitare. De sa voix rauque, il nous a raconté son parcours en école d’art, le rapport

qu’entretiennent les Belges avec le rap français, sa relation avec MC Solaar qu’il connait

depuis longtemps, et le jour où il s’est cassé la dent.

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Qui es-tu ?Je m’appelle Roméo Johnny Elvis Kiki Van Laeken et mon nom de scène est Roméo

Elvis. Je suis un rappeur-chanteur belge et j’ai 24 ans.

À quand remonte ta première rencontre avec le rap ?C’était avec Mc Solaar. Il travaillait avec mon père et il lui a écrit des paroles après que

mon père ait repris « Caroline ». Sinon, le premier groupe avec lequel j’ai vraiment

travaillé c’est L’or du Commun, un groupe belge qui m’a mis sur scène. C’est avec eux

que j’ai commencé à faire du son et à découvrir le milieu.

Ta passion pour la musique vient-elle en partie de ton père ?Oui, mon père est musicien et chanteur, et ma mère est comédienne, donc j’ai baigné

très jeune là-dedans. C’était un peu ça le symbole de la réussite chez nous, chanter ou

bien faire de la scène…

Sur l’album de ton père qui s’appelle « Avant Après » il y a un enfant sur lapochette, c’est toi ?Oui, c’est moi. Mon père, son père, et moi, les trois générations. C’est symbolique,

l’album parle du temps qui passe, des racines et de ce qu’il y a ensuite. Donc oui, mon

père m’a intégré dans son développement musical très tôt.

Pochette de l’album « Avant Apres » de Marka,

2014

Le beatmaker avec qui tu travailles, Le Motel,a participé à presque tous tes morceaux. Toutl’EP « Morale » a été constitué avec lui.Comment vous êtes-vous rencontrés, etcomment avez-vous décidé de travaillerensemble ?On avait des potes en commun, donc on se

croisait en soirée, lui il était dans un groupe qui s’appelle YellowStraps, un peu plus

blues-pop, et à côté il avait aussi une carrière de dj. On s’est rencontré en soirée quand

il mixait et nous on rappait dessus avec L’Or du Commun, on s’est dit que c’était marrant,

la combinaison de sa musique et de la nôtre. Le premier morceau qu’on a fait ensemble

s’appelle « Juliette », et puis quelques mois après on a lancé un projet ensemble.

C’était Morale.

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À partir de cette collaboration, as-tu changé de cap dans ta façon de faire de lamusique ?Totalement, c’est le déclic de l’aventure. Ça m’a amené à essayer d’autres rythmes

d’abord. Tout est une question de rythme, d’espace, de position, mettre moins là, plus

ici, moins rapide, plus rapide… et puis le chant est intervenu dans Morale 2, beaucoup…

jusqu’à prendre la moitié du projet. C’est quelque chose qui est arrivé avec Le Motel,

c’était son rythme et ses sonorités qui imposaient ça. Comme je dis très souvent, il a

« électronisé » mon style, et moi j’ai « hipopisé » le sien. On a tous les deux créé ce

compromis heureux.

Le Motel et Roméo Elvis © Guillaume Kayacan

Sur « Morale 2 » c’est lui aussi qui a fait toutes les instrumentales ?Oui, c’est toujours lui. C’est avec lui que je fais les prods, donc c’est avec lui que je vais

sur scène, c’est comme ça que ça a commencé et c’est comme ça que ça s’arrêtera.

En général on a l’habitude de mettre les beatmakers au second plan et on seconcentre beaucoup plus sur les rappeurs. Tous les deux vous pourriez presqueêtre un duo ?Bien sur, dans la création on est totalement un duo. Après je prends plus de place parce

que je suis l’interlocuteur. Mais c’est vraiment une collaboration, et j’essaie de le mettre

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à fond en avant, le plus possible. C’est comme ça que l’on fonctionne, je suis content

parce qu’il y a des gens qui remarquent que ça se perd un peu.

Quel est le morceau qui te tiens le plus à cœur ou qui te représente le mieux ?C’est « Morale ». C’est le morceau éponyme de l’album d’ailleurs. Au départ, c’est une

composition du Motel. Il me l’a donné en me disant qu’il me verrait bien dessus et la

première chose qui m’est venu à l’esprit c’est d’appeler le morceau « Morale ». Je ne

sais pas comment expliquer mais tout s’est fait très naturellement. Ce morceau c’était

une manière d’exorciser la rupture que j’ai vécue à ce moment-là. Ça ne la raconte pas

de façon explicite mais c’est une manière comme une autre d’en parler. J’ai écrit ça dans

l’avion, dans les airs, je trouvais marrant cette conception, le fait de l’écrire en avion, en

allant en France. Après j’ai continué à écrire dans une chambre d’hôtel. C’est un des

morceaux qui est le plus attendu en live. C’est la force de ces morceaux un peu

sentimentaux qui parlent aux gens.

Quel est ton processus d’écriture pour créer un morceau ?C’est un peu de tout en fait, j’écris quasiment tous les jours par souci d’exercice. On va

dire qu’en règle générale il m’arrive de me pencher sur un exercice et de le transformer

en texte plutôt que de vraiment me dire : « demain je vais écrire un morceau ». C’est au

moment où je commence à me pencher sur un de mes exercices que ça devient un

morceau. Je ne choisis pas de sujet avant d’écrire, ça vient assez naturellement. À

certains moments je le fais pour faire passer des messages, comme j’avais fait pour

la STIB, la société de transport en commun bruxelloise. Ils me cassent les couilles,

vraiment, donc j’avais envie de le faire savoir et je l’ai fait à fond dans un morceau. Ils

ont joué le jeu, on a rigolé ensemble. Mais au départ, mon écriture c’est plus un exercice

continuel dans lequel je vais piocher le meilleur de ce que j’entreprends.

Tu as fait une école d’art aussi ? Combien de temps ont duré ces études ?Quatre ans à Saint-Luc, c’était les Beaux-Arts où j’ai fait de la peinture et de l’illustration,

et trois ans à l’école Septante-Cinq en photoreportage.

Quels étaient tes sujets de reportage photo ?C’était souvent autour du graffiti et du tag vandale. Je suivais beaucoup de mecs en

session. De toute ma vie je n’ai fait aucune photo le jour, je me suis arrangé pour n’avoir

que des sujets nocturnes, des coulisses de concert, des graffeurs. Comme disait un de

mes profs, je suis « un oiseau de la nuit ». Je prends les photos avec un argentique

principalement, on développait toutes les photos à Bruxelles.

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Projet photo de Roméo Elvis en session graff

L’esthétique nocturne se retrouve un peu dans tes visuels, dans tes clips etc…Oui beaucoup c’est vrai, ils sont tous fait la nuit presque. Dans les textes c’est pareil,

j’écris presque que la nuit, je vis beaucoup la nuit. Sauf les semaines comme ça en

promo où je dois me lever tôt.

À quelle heure t’es-tu levé ce matin ?Tous les jours à 6h. Sinon je travaille la nuit, et c’est tout cet univers-là qui m’a entouré.

Le fait d’avoir fait des écoles d’art et d’avoir déjà développé un projet artistiquet’a-t-il aidé dans ton projet musical ?Bien sûr, c’est comme si j’avais été agriculteur de formation et que j’avais fini dans

l’économie, j’aurais sûrement eu des choses intéressantes à y amener. Ce que je veux

dire par là c’est qu’au début je n’arrivais pas à les mettre mes études à profit. Finalement,

le fait d’avoir travaillé un minimum le design et l’illustration ça me permet d’avoir un œil

précis sur ce que je veux. Je fais du merchandising aussi, je vends des t-shirts. Ils sont

beaucoup achetés en Belgique parce que ça plaît à des mecs et des meufs qui ne me

connaissent pas forcément, ils aiment juste le logo.

Pendant tes études d’art, tu rappais déjà ou tu as commencé à ce moment-là ?J’ai commencé à ce moment-là, à Saint-Luc, il y a des amis qui rappaient dans la team

avec laquelle je traînais, ce sont eux qui m’ont incité à rapper.

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Quel est le premier morceau que tu as sorti ?Ça s’appelait « Freestyle avant l’EP ». Sinon les premiers sons que j’ai faits c’était des

vidéos de styles libres. Des petites vidéos tournées dans des endroits pas loin de chez

moi, toujours un peu dans le délire camera obscura, en noir et blanc, on faisait ça avec

un pote de ma classe. D’ailleurs lui maintenant il m’a rejoint dans une sorte de collectif

dans lequel on mélange la photo, la vidéo et la musique, c’est la Straussphere. On fait

bientôt une expo au Cinéma Galeries à Bruxelles le 30 mars normalement. Maintenant

j’essaie de mélanger tous ces domaines, je dessine beaucoup aussi.

Est-ce que tu t’identifies à la nouvelle vague de rappeurs belges qui s’exporte deplus en plus en France ?Oui forcément.

Qu’en penses-tu ? Je suis très content de voir que l’on nous écoute en France. Je

pense que c’est ça qui change la donne. Il y a toujours eu du rap en Belgique mais on

n’avait pas confiance, on n’avait pas envie de pousser le truc donc personne n’écoutait.

Il n’y avait pas de retour et là depuis quelques années, avec le début des mecs

comme Caballero qui s’est fait pote avec Lomepal, Nekfeu et toute cette team-là, on a

commencé à écouter. Damso et Hamza sont arrivés en force aussi, ça ouvre le champ,

c’est comme s’ils donnaient de la légitimité au rap belge. Pour l’instant, la France a les

yeux rivés dessus, donc en Belgique on se dit qu’il y a une place à prendre, on ne la

prenait pas avant. Moi je fais partie de ces gens qui sont dans la période de demande.

J’ai commencé le rap il y a 4 ans, je le faisais alors que personne n’attendait de rap

belge.

Depuis fin 2015 début 2016, il y a une sorte de vague et je sens carrément que j’en fais

partie. J’étais dedans avant,et des gars comme Isha étaient là bien avant nous. Dans le

rap belge il a connu une « traversée du désert », il avait complètement arrêté le rap et

maintenant son morceau « Tony Hawk » est ressorti par exemple, il est sur tous les blogs

un peu branchés, alors que le mec était déjà dans ce jeu depuis longtemps. Maintenant

on l’attend. Donc il faut en profiter et essayer de garder ça, sans que ça ne devienne une

hype.

Est-ce tu penses que le rap belge c’est du rap français ou bien qu’il a sa propreidentité ?On se pose pas vraiment la question parce que nos références elles sont française pour

la plupart, on n’a pas beaucoup de rap belge. À part Caballero, les mecs qui ont pu

m’influencer sont des rappeurs français. Avec du recul on arrivera surement à délimiter

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les choses, mais pour l’instant on rejoint juste un truc qui a commencé par le rap français.

C’est comme avec les rappeurs canadiens et américains, il y a pas forcément le réflexe

de se rappeler que Drake est Canadien alors qu’il vient de Toronto.

Justement, c’est tellement similaire que l’on se demande si le rap belge n’est pasdu rap français, et pas seulement du rap en français. La différence ce ne serait pasl’humour ?Oui, la différence est peut-être plus dans l’attitude, il y a beaucoup plus de second degré.

Il y a beaucoup plus de légèreté parce que justement on a moins cette culture de

défendre le fruit de nos ancêtres, on s’en fout parce que l’on n’a personne qui l’a fait

avant, pour nous c’est des mecs drôles… Benny B, James Deano qui s’est reconverti

dans le stand up. Alors qu’en France tu n’as pas envie de rigoler avec les valeurs du rap,

c’est assimilé différemment, l’approche est différente. Même Caballero qui fait du rap un

peu « gangster » il fait rire, il ne se prend pas la tête. Tu as plus la pratique de

l’autodérision, en commençant par savoir rire de toi-même tu es beaucoup plus drôle

aussi en règle générale et beaucoup plus critique. Ouais tu te marres plus en regardant

les comptes Instagram des Belges que des Français parce qu’on ne peut pas se prendre

au sérieux, on serait trop gênés, on n’a pas la même histoire que la France.

Photo montage posté sur le compte Instagram

d’Hamza © hamzasaucegod

Quelles sont tes influences françaises ?Alpha Wann, à fond, c’est le maitre du rap jeu

pour moi en terme de placement et en terme

de manière de dire les choses de façon très

parlante. Nekfeu aussi. J’écoutais beaucoup

ce que l’on appelle le rap alternatif aussi,

le Klub des Loosers, le Klub des

7 avec Gérard Baste, ma référence c’est

plus Fuzati pour l’autodérision pure et dure, il s’auto-mutile devant tout le monde. MC

Solaar aussi parce que mon père m’a toujours fait comprendre qu’il était le meilleur, vu

qu’il le connaissait, c’était un ami de la famille.

Donc plus jeune tu connaissais MC Solaar ?Oui, je suis allé à son mariage par exemple, mais maintenant à chaque fois que je

l’appelle il me nie, il fait chier (rires). À chaque fois il me dit qu’il va venir à un de mes

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concerts et il ne vient pas. Il est très incertain, tu ne sais jamais quand il va débarquer.

Mais par exemple il m’a déjà invité au restaurant alors que j’avais une copine et que je

voulais juste l’impressionner, il a déjà joué le jeu. Il m’a entendu passer sur radio Nova

la dernière fois il m’a appelé direct. En fait ce qui m’énerve c’est que je dis à mes potes

qu’il va venir et personne ne me croit. Donc lui c’est ma référence ultime.

Le style de musique de ton père est assez loin du rap ?Oui c’est très loin, mais il a repris le morceau « Caroline » par exemple, et MC Solaar a

écrit des morceaux pour lui, il était quand même un peu dans le rap. C’était à mille lieues

mais il y a toujours eu un rapprochement. Il a même été dans un pseudo-groupe de rap

à un moment. C’était un truc plus commercial qu’autre chose, il était sponsorisé

par Adidas. Aujourd’hui ça aurait une valeur folle, mais à l’époque ça voulait juste dire

que tu allais gagner un peu d’argent. Ils ne prenaient pas ça au sérieux, il ne savaient

pas ce qu’ils faisaient eux-mêmes. Le rap n’a pas eu le même impact en Belgique qu’en

France. C’est le ressenti que l’on a aujourd’hui, c’est pour ça que les rappeurs belges

écoutent du rap français.

Romeo Elvis, Primero (L’Or du Commun)

et Le Motel © comte Instagram

elvis.romeo

Question indiscrète, comment t’es-tu cassé la dent ?J’ai reçu un coup de poing dans la

gueule. Puis elle s’est cassée à nouveau

en vacances à cause d’un des gars de

L’Or du Commun. Il a shooté dans un

ballon de foot, et moi j’étais en train de

boire une bière à la bouteille, le ballon a

shooté la bouteille et la bouteille m’a

heurtée. J’ai arrêté de le recoller parce que ça tombe tout le temps en concert.

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Cover de l’EP « Morale 2 » de Roméo

Elvis et Le Motel

Est-ce que « Morale 2 » sera lacontinuité de « Morale » ?Oui, Morale c’est le test. Qu’est-ce que

ça fait un producteur d’électro avec un

rappeur ?… ok ça donne ça. Morale

2 c’est la suite. On a rempli des salles,

tant mieux. C’est ce que l’on a créé avec

la confiance que les gens nous ont

donné. On a reçu beaucoup d’amour

avec ce truc, on s’est dit que les gens

étaient réceptifs, du coup c’est beaucoup plus facile de commencer un deuxième projet

parce que tu te dis que les gens vont te donner de l’amour, ils ont aimé ça. Le premier

teste était un risque, et bien je vais prendre deux fois plus de risque, et je vais même

chanter et faire de la guitare. À deux reprises je joue de la basse, ma sœur chante, c’est

super-enrichi comparé au premier.

De quoi va parler ce nouvel EP ?La moralité des choses, les relations humaines, souvent des expériences vécues mais

racontées sous d’autres formes, il y a toujours une moralité ou un certain jugement, un

point de vue. Il y a un morceau qui parle des hommes qui ne pleurent pas par exemple,

je ne parle pas directement de moi dans le texte de façon explicite mais l’idée c’est de

mettre un peu à nue la pudeur que les rappeurs peuvent avoir, il y en a plein qui disent

qu’ils ne pleurent pas. Moi je pleure tout le temps, comme tous les êtres humains. « Jouer

avec les dames, ça amène à l’échec », des jeux de mots comme ça. Moins de

« storytelling » et plus de thème personnels.

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ROMÉO ELVIS

VENDREDI 2 JUIN - 21:00 > 22:00

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Rap / Belgique

Bruxelles arrive ! Le jeune rappeur Roméo Elvis remet au goût du jour un certain phrasé, des textes soignés et humoristiques nous rappelant le rap français égotripique des années 2000. Sa musique est pourtant très actuelle, avec des instrumentaux proches de l’electro relevés de son flow hypnotique. À 23 ans, Roméo Johnny Elvis Strauss Van Laeken a le vent en poupe et est déjà incontournable en Belgique. On retiendra surtout du Bruxellois cette voix grave et profonde accompagnée d’une fougue juvénile. Véritable bête de scène, le Belge chauffe le public en deux punchlines bien senties, scandées en rythme sur les beats entêtants du producteur Le Motel.

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Clément Bouille 17 mars 2017 Interviews, Rappeurs Leave a comment © Guillame KayacanAprès ses deux premiers EP Bruxelles c’est devenu la jungle en 2013 et Famillenombreuse en 2014, Roméo Elvis a décidé de s’associer exclusivement au beatmaker LeMotel pour la conception de Morale, son dernier projet en date. Résultat ? Les instrus sontmoins boom-bap, plus actuelles et laissent plus de place au talent de Roméo Johnny Elvis(c’est son vrai nom) pour s’exprimer. Une expérience réussie, qui l’a poussé à récidiver avecun second épisode de Morale, qui sort aujourd’hui. Son processus créatif, sa nouvelle vie demec posé, son problème d’acouphène, la politique française… Rencontre avec la nouvellecoqueluche du rap belge.Bruxelles arrive, tube dont le clip dépasse les deux millions de vues, n’est pas sur l’EP.Pourquoi ce choix ?C’est parce que ce n’est pas LeMotel qui a fait la prod. Le concept de Morale 2, c’est que je travaille avec le même beatmaker sur tout le projet, comme sur le premier Morale. Donc Bruxelles arrive, c’est comme Tu vas glisser, ce sont des trucs qui n’ont rien à voir. C’était juste histoire de donner des signes de vie.On peut se dire que c’est dommage, car les deux titres ont bien marché…Bien sûr. Mais ça reste une publicité comme une autre. Ça a attiré beaucoup de gens, qui se sont intéressés à ce que je fais à côté. Et en écoutant Morale 2, ils auront la chance d’écouter de l’inédit à 100 %.Dans le clip de Tu vas glisser, on te voit avec les yeux noirs, comme possédé par un démon.C’est un clin d’œil à Tyler the Creator dans le clip de Yonkers ?Oui, tout à fait. Ce n’est pas du tout un pompage discret ou quoi que ce soit. On a clairement voulu faire une référence : le fond blanc, le tabouret, les yeux…

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Tu as déjà dit en interview que tu aimais bien son univers.À fond. J’suis fanatique. C’est pas un rappeur très engagé, mais tu sais l’écouter quand il dit quelque chose de vrai, de sincère. Et en même temps, il a ce côté un peu fou… Ces mecs-là, ils ont gagné. Parce qu’ils peuvent tout faire maintenant.

Tu vas glisser a un peu bousculé ta fan base. Certains te reprochent notamment d’avoir posésur une instru plus trap que d’habitude… Tu t’es d’ailleurs gentiment moqué d’eux en leurrépondant directement sur Facebook.Ouais, j’ai repris les aspects négatifs de certains commentaires… Mais j’ai fait ça avec humour hein. Dans le fond ça m’a un peu touché, parce qu’on ne reste pas indifférent à la critique. Mais je prends ça comme de l’amour. Ils se disent que ça y est, je suis passé à la trap, je fais du commercial… Je trouve ça dommage qu’ils pensent ça, parce qu’ils se bloquent vite sur une idée, alors que moi c’est du rap que je kiffe tout autant.

Comme le précédent EP, Morale 2 a uniquement été travaillé à deux têtes avec le beatmakerLe Motel. Comment est-ce que fonctionne votre duo ?Ça peut m’arriver d’avoir écrit des trucs de mon côté, qu’il ait bossé des trucs du sien, et qu’au moment où on réunit les deux, on se rende compte que ça colle bien. Mais c’est souvent un travail en étape. D’abord, on commence par la mélodie. Une fois qu’il a trouvé un chouette truc, moi j’écris dessus. On analyse le résultat à trois avec mon ingénieur du son. Ensuite, la troisième étape, c’est celle qui donne la couleur du morceau : on change des tonalités, des mélodies… Et puis on termine par la quatrième étape, où on peaufine tout ça.

Ton mode de fonctionnement a changé entre le premier Morale et le second ?Oui. Il y a de moins en moins d’étapes. Il y en avait plus au début parce qu’il y avait énormément de retouches. Mais au fil du temps, on a appris à mieux maîtriser notre art. Ça a réduit notre temps de travail, parce qu’on connaissait déjà les étapes à skipper. On est passés de dix étapes sur le premier Morale à 4 sur Morale 2.Est-ce que tu as aussi évolué dans ta façon d’écrire ? Tu as déclaré que désormais tu écrivaisd’abord les refrains et les couplets venaient seulement après.Ouais. J’ai travaillé différemment, parce que je cherchais plus des mélodies. Et pour ça, je commence souvent par écrire le refrain. Après, le fond, je le traite toujours de la même manière : c’est toujours un peu loufoque, tout en étant touchant. J’essaye d’être touchant, de parler aux gens avec des mots simples.

Tu penses avoir réussi à simplifier ton écriture ?Oui. Parce qu’avant c’était parfois complexe, les gens ne comprenaient pas forcément tout ce que je disais. Et la meilleure manière de savoir ça, c’est de faire écouter à tes parents. Et maintenant, mes parents comprennent tout ce que je dis, donc je sais que j’ai réussi à évoluer sur la forme. Mais sur le fond, j’ai gardé les mêmes thèmes : les relations humaines, l’amour…

Dans l’EP, tu dis que le samedi soir, tu préfères écrire plutôt que de voir des filles… C’estvrai ?Oui, d’autant plus en ce moment puisque je suis en couple… Mais de base, carrément. Avant, j’étais un gros fêtard. Et puis j’ai commencé à calmer un peu les excès. J’ai même fini par arrêter de boire. Du coup, j’étais beaucoup plus isolé. Je suis aussi devenu plus casanier depuis que j’ai un appartement. J’ai vraiment perdu cette vie nocturne quand j’ai commencé à habiter seul. Et

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maintenant, c’est complètement fini. Je suis totalement insociable. Je travaille le jour, je vais chez des amis le soir, et puis voilà. Pourtant, je travaille la nuit, je suis souvent en studio. Mais j’me bourre plus la gueule, et je suis à vélo tout le temps donc… Mon style de vie m’a amené à ne plus faire la fête. Je la fais en concert le week-end en fait. Mais oui, je suis beaucoup plus calme et casanier maintenant.

Au cours de l’EP, tu parles pas mal de ta consommation de cannabis. Il y a même unmorceauqui s’appelle Bébé aime la drogue. C’est quoi ton rapport à ça ? Est-ce que ça te permetd’être plus créatif ?Non. Je ne pense pas que ça m’aide dans quoi que ce soit. Au-delà du fait que moi j’en fume, le thème m’a toujours plu. C’est un peu bâton comme truc, mais ça revient souvent. C’est un peu un des thèmes récurrents dans le rap : les meufs, la bagarre, « je rappe mieux que toi »… Et la verte, la plante, ça fait un peu partie de mes thèmes, parce que je suis vachement nature, jungle. Donc il y avait déjà quelque chose qui collait. Esthétiquement aussi, je trouvais que c’était plus joli de parler de ça plutôt que de parler d’alcool, que je trouve plus sombre à représenter. Mais moi, j’en fais pas l’apologie. Je dis que ça me calme, parce que ça a ce genre de vertu. Mais je n’essaye pas du tout d’en faire une potion magique.

En tous cas, ça te cause visiblement quelques problèmes de sommeil à en croire ce que tudis…Non, c’est plutôt à cause de mon problème d’acouphène que je n’arrive pas à dormir. Au contraire, quand j’ai l’oreille qui siffle, la verte ça me calme, ça m’aide à dormir. Mais je suis un insomniaque, donc forcément, ce sont des mondes qui se mélangent : la fumette, la nuit, être seul chez moi, l’écriture…

Contrairement au précédent EP où l’on pouvait entendre tes potes de L’or du Commun, ilsne sont plus présents. Pourquoi ce choix ?C’est juste qu’ils bossent sur leurs trucs pour l’instant. Et que quelque part, c’est une évolution assez saine. Moi, j’ai de l’amour pour eux, et ils en ont pour moi. Mais ce n’est ni bon, ni pour moi ni pour eux, de continuer à faire des feats que tout le monde attend. C’est bon aussi que les gens ne s’attendent pas à nous voir tout le temps ensemble. Parce qu’au bout d’un moment, ça devient rébarbatif. C’est comme les festivals où tu vois toujours les mêmes artistes, les soirées où tu vois toujours les mêmes têtes, les rappeurs qui font toujours les mêmes feats avec les mêmes gars… C’est relou au bout d’un moment. C’est pour notre bien commun. Mais on continue à se côtoyer : il y en a un qui est mon backeur, il y en a un autre qui est devenu un peu mon directeur artistique… Les rôles ont changé, l’énergie s’est dispersée différemment. On collabore d’une autre manière.

En parlant de collaboration, est-ce que l’on peut espérer un jour un feat avec Veence Hanao,dont tu as dit que tu étais fan ?On a failli en faire un sur Morale 2. Veence Hanao, c’est un des artistes qui nous a influencé LeMotel et moi. Pour l’instant, il travaille avec ma sœur. Ma sœur fait de la musique et il lui écrit des paroles. Donc il est déjà un peu dans la famille. Mais ça se pourrait très bien que ça arrive. Carrément.En plus, il a des problèmes d’acouphène comme toi. Ça ne peut que vous rapprochez…Ouais. Mais lui il a plus des problèmes d’oreille interne, c’est encore pire. J’espère vraiment que ça va s’améliorer pour lui.

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Et toi, ça pourrait s’empirer ?Oui. C’est une situation assez instable, dans le sens où j’ai un acouphène chronique. J’ai deux couches de tympans qui sont trouées, donc il m’en reste plus qu’une. En gros, mes tympans sont très fragiles. Je dois les protéger… Je suis à l’abri de rien. Ça pourrait m’empêcher de monter sur scène. C’est quelque chose qui me tourmente, qui me torture un peu l’esprit en ce moment.

Dans Bruxelles arrive, tu dis « J’ai attendu 3 ans avant de réclamer les pépéttes ». Tu arrivesà vivre uniquement du rap ?Oui. Pas comme un chef, mais oui c’est bon, ça y est.

Pourquoi tu dis qu’il a fallu attendre 3 ans ?Parce qu’au début, je n’attendais pas vraiment de retours financiers. C’était pour le fun, un hobby. Puis au bout d’un certain temps, on s’est dit que ça serait quand même cool d’être payé. Ça m’a pris 3 ans de ma vie. Donc soit j’arrêtais, soit il fallait commencer à être payé. J’allais avoir 24 ans, j’étais encore au Carrefour, j’avais fini mes études… Il fallait bien que je prenne une décision. Donc au bout d’un moment, je me suis dit qu’il était temps de réclamer des thunes… Mais j’ai voulu le faire de manière subtile, une seule fois. Je ferais jamais un album entier là-dessus.

Sur Facebook, tu as partagé une interview de Benoit Hamon. Fan du PS ?La politique française, c’est intéressant pour un Belge : c’est plus divertissant et ça ne m’engage en rien. C’est quelque chose que je regarde de loin, et de près en même temps, à travers Le petit journal, des choses comme ça. Je trouvais l’interview assez rigolote et si ça peut intéresser un minimum sur le sujet, ce n’est pas plus mal.

Au premier abord, on pourrait penser que tu es complétement désintéressé de ces sujets-là.Pas du tout, j’ai un avis là-dessus. J’suis pas positionné, j’suis pas là à défendre des causes. Mais je ne suis pas insensible à ce qui peut se dire en politique. Et il m’arrive de relayer des trucs comme ce Fast & Curious de Konbini qui était assez rigolo.

Tu as également fait une rime sur Cambadélis dans le premier Morale.Ça, c’est parce que j’entendais tout le temps son nom à la télé à un moment. Et je me disais que ce nom, il sonnait trop comme une rime, qu’il fallait le faire rimer. Et j’ai trouvé « en bas des listes ». Quand je me suis rendu compte qu’il était secrétaire du PS, je me suis dit qu’il y avait un jeu de mot à faire.

Est-ce que tu penses que malgré ta phrase « on achètera une carte pour les gars deKonbini », ils vont quand même faire une interview avec toi ?J’en reviens… On leur a amené une carte de Bruxelles et ils ont beaucoup rigolé. Le clin d’œil a marché. C’était par rapport à la vidéo de Damso, où ils s’étaient trompés sur plusieurs endroits dans Bruxelles. C’était une manière de rire du truc.Dernière question : ça veut dire quoi Strauss ?Ça veut dire plein de choses… La base de Strauss, le premier qui m’a touché, c’est le professeur dans la série H. Après il y a eu Dominique Strauss-Khan, Richard Strauss et Johann Strauss les compositeurs… En fait les Strauss sont répartis dans la société, dans plein de domaines : dans la politique, dans la musique, dans le divertissement… Ça m’a fait rire de voir qu’il y avait tous ces liens avec ce mot-là. Et puis je trouvais aussi le mot très rigolo.