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LINGUISTIQUE ETLINGUISTIQUE ETPSYCHANALYSEPSYCHANALYSE
SommaireSommaireIntroductionIntroduction
La psychanalyse et le langageLa psychanalyse et le langageLa psychanalyse et les langues particulièresLa psychanalyse et les langues particulièresLa psychanalyse et le langage comme phénomène unitaireLa psychanalyse et le langage comme phénomène unitaire
La psychanalyse et la substance des languesLa psychanalyse et la substance des languesLa psychanalyse et la forme des languesLa psychanalyse et la forme des languesLes langues comme observatoire de l'inconscientLes langues comme observatoire de l'inconscient
Rapport méthodologique de la psychanalyse à la science linguistiqueRapport méthodologique de la psychanalyse à la science linguistique
L'étrangeté de la position de FreudL'étrangeté de la position de Freud
Lacan et la linguistiqueLacan et la linguistiqueL'insuffisance empirique de la linguistiqueL'insuffisance empirique de la linguistiqueLe rôle théorique décisif de la linguistique structuraleLe rôle théorique décisif de la linguistique structuraleLe concept de signifiantLe concept de signifiantÉvolution du modèleÉvolution du modèle
La science du langage modifiée par la psychanalyse ?La science du langage modifiée par la psychanalyse ?
Relation épistémologique entre science du langage et psychanalyseRelation épistémologique entre science du langage et psychanalyse
BibliographieBibliographie
La question des rapports entre la psychanalyse et la linguistique est compliquée parLa question des rapports entre la psychanalyse et la linguistique est compliquée par
deux facteurs. D'une part, ces rapports ont évolué ; ils ont en effet été si profondémentdeux facteurs. D'une part, ces rapports ont évolué ; ils ont en effet été si profondément
transformés par l'œuvre de Jacques Lacan qu'on peut parler à cet égard de coupure.transformés par l'œuvre de Jacques Lacan qu'on peut parler à cet égard de coupure.
D'autre part, ces rapports ne sauraient se ramener à un type unique. En fait, il convientD'autre part, ces rapports ne sauraient se ramener à un type unique. En fait, il convient
de distinguer quatre questions : la question de la psychanalyse et de son rapport à unde distinguer quatre questions : la question de la psychanalyse et de son rapport à un
phénomènephénomène qu'on appelle le langage ; la question de la psychanalyse et de son rapport à qu'on appelle le langage ; la question de la psychanalyse et de son rapport à
une une sciencescience qui prend pour objet tout ou partie du phénomène langage et qu'on qui prend pour objet tout ou partie du phénomène langage et qu'on
convient d'appeler la linguistique ; la question de la science linguistique et de sonconvient d'appeler la linguistique ; la question de la science linguistique et de son
rapport aux rapport aux donnéesdonnées mises au jour par la psychanalyse – en résumé : la question des mises au jour par la psychanalyse – en résumé : la question des
rapports entre la linguistique et l'inconscient ; la question de la science linguistique etrapports entre la linguistique et l'inconscient ; la question de la science linguistique et
de son rapport à la de son rapport à la théoriethéorie de la psychanalyse. de la psychanalyse.
La psychanalyse et le langageLa psychanalyse et le langageLe langage, comme phénomène, peut être envisagé de deux points de vue : ou bien on leLe langage, comme phénomène, peut être envisagé de deux points de vue : ou bien on le
considère seulement comme l'ensemble des langues naturelles, en sorte que ce sont cesconsidère seulement comme l'ensemble des langues naturelles, en sorte que ce sont ces
dernières avec leurs particularités substantielles ou formelles qui importent, ou bien ondernières avec leurs particularités substantielles ou formelles qui importent, ou bien on
le considère comme un objet unitaire, avec ses propriétés générales (substantielles oule considère comme un objet unitaire, avec ses propriétés générales (substantielles ou
formelles).formelles).
La psychanalyse et les langues particulièresLa psychanalyse et les langues particulières
La psychanalyse et la substance des languesLa psychanalyse et la substance des langues
Cette question concerne la manière dont l'objet et le domaine de la psychanalyseCette question concerne la manière dont l'objet et le domaine de la psychanalyse
peuvent être affectés par l'existence de telle ou telle donnée de langue ; ainsi, onpeuvent être affectés par l'existence de telle ou telle donnée de langue ; ainsi, on
demandera dans quelle mesure la psychanalyse a à tenir compte dans sa pratique etdemandera dans quelle mesure la psychanalyse a à tenir compte dans sa pratique et
dans sa théorie de données telles que la diversité des langues, les phénomènes dedans sa théorie de données telles que la diversité des langues, les phénomènes de
traduction, la morphologie, le lexique, la syntaxe d'une langue particulière. Latraduction, la morphologie, le lexique, la syntaxe d'une langue particulière. La
littérature psychanalytique abonde d'exemples où de telles données se sont révéléeslittérature psychanalytique abonde d'exemples où de telles données se sont révélées
pertinentes, tant chez les freudiens de la première génération (on peut notamment citerpertinentes, tant chez les freudiens de la première génération (on peut notamment citer
Karl Abraham et Theodor Reik) que dans les travaux plus récents, marqués parKarl Abraham et Theodor Reik) que dans les travaux plus récents, marqués par
l'enseignement de Jacques Lacan. On sait généralement que la psychanalyse s'appuie del'enseignement de Jacques Lacan. On sait généralement que la psychanalyse s'appuie de
manière décisive sur ce qui se dit dans la séance ; or ce dire s'effectue en langue et semanière décisive sur ce qui se dit dans la séance ; or ce dire s'effectue en langue et se
trouve nécessairement structuré par les diverses règles de chaque langue particulière.trouve nécessairement structuré par les diverses règles de chaque langue particulière.
On en déduit naturellement que telle ou telle donnée substantielle tirée des languesOn en déduit naturellement que telle ou telle donnée substantielle tirée des langues
telles qu'elles sont est une donnée dont la psychanalyse, dans sa pratique ou dans satelles qu'elles sont est une donnée dont la psychanalyse, dans sa pratique ou dans sa
théorie, peut et doit tenir compte.théorie, peut et doit tenir compte.
On peut plus particulièrement noter ceci : en tant qu'elles ont une substance, lesOn peut plus particulièrement noter ceci : en tant qu'elles ont une substance, les
langues peuvent donner lieu, sur tel ou tel point, à des investissements imaginaires. Aulangues peuvent donner lieu, sur tel ou tel point, à des investissements imaginaires. Au
maximum, cela constitue le fondement de ce qu'on appelle communément le style etmaximum, cela constitue le fondement de ce qu'on appelle communément le style et
qui, pour l'ordinaire, relève plus du moi que du sujet. Au minimum, on peutqui, pour l'ordinaire, relève plus du moi que du sujet. Au minimum, on peut
mentionner le vaste ensemble des « superstitions » linguistiques : en français, parmentionner le vaste ensemble des « superstitions » linguistiques : en français, par
exemple, le genre grammatical des noms n'est pas sans affecter la représentationexemple, le genre grammatical des noms n'est pas sans affecter la représentation
imaginaire qu'un sujet peut se former de la différence des sexes. De même, le fait qu'onimaginaire qu'un sujet peut se former de la différence des sexes. De même, le fait qu'on
dénomme « passif » les structures du type « un enfant est battu » peut éventuellementdénomme « passif » les structures du type « un enfant est battu » peut éventuellement
affecter la verbalisation de tel ou tel symptôme, etc. De ce point de vue, on peut songeraffecter la verbalisation de tel ou tel symptôme, etc. De ce point de vue, on peut songer
à la manière dont les propriétés matérielles des objets du monde (par exemple,à la manière dont les propriétés matérielles des objets du monde (par exemple,
l'anatomie et la physiologie du corps humain) se prêtent à investissement. Lal'anatomie et la physiologie du corps humain) se prêtent à investissement. La
linguistique joue alors le rôle d'une science qui établit les propriétés matérielles d'unlinguistique joue alors le rôle d'une science qui établit les propriétés matérielles d'un
objet particulier – au même titre que les sciences anatomique ou physiologique le fontobjet particulier – au même titre que les sciences anatomique ou physiologique le font
pour le corps. Elle est donc prise comme une discipline capable de fournir despour le corps. Elle est donc prise comme une discipline capable de fournir des
informations dignes de confiance sur son objet. On peut parler dans ce cas d'un rapportinformations dignes de confiance sur son objet. On peut parler dans ce cas d'un rapport
encyclopédiqueencyclopédique..
Il convient cependant d'émettre deux réserves. D'une part, la linguistique n'est pasIl convient cependant d'émettre deux réserves. D'une part, la linguistique n'est pas
seule à s'occuper du langage et des langues (la grammaire notamment subsiste à sesseule à s'occuper du langage et des langues (la grammaire notamment subsiste à ses
côtés), et la psychanalyse ne s'est pas toujours adressée à la linguistique pour recueillircôtés), et la psychanalyse ne s'est pas toujours adressée à la linguistique pour recueillir
des informations. D'autre part, il n'est pas certain que la linguistique ait à traiter de tousdes informations. D'autre part, il n'est pas certain que la linguistique ait à traiter de tous
les phénomènes qui relèvent du langage. On sait en particulier que Saussure avait exclules phénomènes qui relèvent du langage. On sait en particulier que Saussure avait exclu
de son champ tout ce qui relevait de la parole, comme lieu d'émergence du sujet. Or, etde son champ tout ce qui relevait de la parole, comme lieu d'émergence du sujet. Or, et
c'est la première thèse du Rapport de Rome de Jacques Lacan, si l'on prend la parole auc'est la première thèse du Rapport de Rome de Jacques Lacan, si l'on prend la parole au
sens saussurien, c'est elle précisément qui détermine le domaine où s'exerce lasens saussurien, c'est elle précisément qui détermine le domaine où s'exerce la
psychanalyse. Il s'ensuit que les dimensions du langage qui importent le plus à lapsychanalyse. Il s'ensuit que les dimensions du langage qui importent le plus à la
psychanalyse sont justement celles que la linguistique ne traite pas. Dans la mesurepsychanalyse sont justement celles que la linguistique ne traite pas. Dans la mesure
donc où le langage importe à la psychanalyse, celle-ci se constitue proprement auxdonc où le langage importe à la psychanalyse, celle-ci se constitue proprement aux
limites de la linguistique – étant admis cependant que, à dire limite, on dit aussi contactlimites de la linguistique – étant admis cependant que, à dire limite, on dit aussi contact
constant. Lacan avait forgé le mot constant. Lacan avait forgé le mot linguisterielinguisterie pour désigner ce rapport de proximité pour désigner ce rapport de proximité
incessante et d'hétérogénéité absolue (cf. incessante et d'hétérogénéité absolue (cf. EncoreEncore).).
La psychanalyse et la forme des languesLa psychanalyse et la forme des langues
Il arrive que telle ou telle donnée de langue permette de proposer une Il arrive que telle ou telle donnée de langue permette de proposer une analogieanalogie
structuralestructurale éclairant le fonctionnement des processus inconscients. Ainsi, dans éclairant le fonctionnement des processus inconscients. Ainsi, dans
L'Interprétation des rêvesL'Interprétation des rêves, le terme « interprétation » (, le terme « interprétation » (DeutungDeutung) relève de la philologie.) relève de la philologie.
Cela ne veut pas dire qu'aux yeux de Freud le rêve soit à proprement parler une langue,Cela ne veut pas dire qu'aux yeux de Freud le rêve soit à proprement parler une langue,
mais que son fonctionnement est analogue par certains traits essentiels à celui d'unemais que son fonctionnement est analogue par certains traits essentiels à celui d'une
langue. Il est vrai que la relation demeure ici générale ; plus tard, l'analogie se fait pluslangue. Il est vrai que la relation demeure ici générale ; plus tard, l'analogie se fait plus
stricte et autorise même un modèle d'investigation : en faisant fonctionner de manièrestricte et autorise même un modèle d'investigation : en faisant fonctionner de manière
presque mécanique un domaine strictement délimité de la langue allemande, Freudpresque mécanique un domaine strictement délimité de la langue allemande, Freud
construit exhaustivement un ensemble de formations de l'inconscient. Ainsi, lesconstruit exhaustivement un ensemble de formations de l'inconscient. Ainsi, les
diverses manières de contredire la phrase « moi (un homme), je l'aime (lui, undiverses manières de contredire la phrase « moi (un homme), je l'aime (lui, un
homme) » permettent d'engendrer les principales formes de la paranoïa ; dans cettehomme) » permettent d'engendrer les principales formes de la paranoïa ; dans cette
génération formelle, Freud s'appuie explicitement sur une analyse strictementgénération formelle, Freud s'appuie explicitement sur une analyse strictement
grammaticale du type sujet-verbe-objet (« Remarques psychanalytiques surgrammaticale du type sujet-verbe-objet (« Remarques psychanalytiques sur
l'autobiographie d'un cas de paranoïa [l'autobiographie d'un cas de paranoïa [Dementia paranoidesDementia paranoides] »). On trouve des] »). On trouve des
procédures semblables touchant le fantasme de l'enfant battu (« Un enfant est battu »),procédures semblables touchant le fantasme de l'enfant battu (« Un enfant est battu »),
pour l'analyse de la pulsion scopique (qui repose essentiellement sur la symétrie depour l'analyse de la pulsion scopique (qui repose essentiellement sur la symétrie de
langue entre « regarder » et « être regardé » ; cf. « Pulsion et destin des pulsions »). Delangue entre « regarder » et « être regardé » ; cf. « Pulsion et destin des pulsions »). De
façon plus générale, on peut noter que ces analogies mettent spécialement en causefaçon plus générale, on peut noter que ces analogies mettent spécialement en cause
deux notions venues de l'étude des langues : l'opposition actif/passif d'une part, et ladeux notions venues de l'étude des langues : l'opposition actif/passif d'une part, et la
notion de phrase d'autre part.notion de phrase d'autre part.
On sait combien l'opposition actif/passif joue un rôle important dans la constructionOn sait combien l'opposition actif/passif joue un rôle important dans la construction
freudienne. En dehors même des exemples que nous avons cités, elle fonde un trèsfreudienne. En dehors même des exemples que nous avons cités, elle fonde un très
grand nombre de concepts essentiels de la théorie. Or cette opposition ne se laisse biengrand nombre de concepts essentiels de la théorie. Or cette opposition ne se laisse bien
définir que dans certaines traditions grammaticales. Tout usage qui peut en être faitdéfinir que dans certaines traditions grammaticales. Tout usage qui peut en être fait
repose donc en dernière instance sur une analogie avec des langues particulières. Quantrepose donc en dernière instance sur une analogie avec des langues particulières. Quant
à la notion de phrase, prise dans sa généralité, elle semble elle aussi fonder desà la notion de phrase, prise dans sa généralité, elle semble elle aussi fonder des
analogies décisives dans la théorie freudienne, notamment à propos du fantasme.analogies décisives dans la théorie freudienne, notamment à propos du fantasme.
Ramener le fantasme à la forme d'une phrase simple du type sujet-verbe-complément,Ramener le fantasme à la forme d'une phrase simple du type sujet-verbe-complément,
tel est le but que doit apparemment se proposer l'analyse. La notion de phrase, il esttel est le but que doit apparemment se proposer l'analyse. La notion de phrase, il est
vrai, pourrait paraître une facilité d'exposition sans conséquences. Mais, en fait, toutevrai, pourrait paraître une facilité d'exposition sans conséquences. Mais, en fait, toute
notion grammaticale, si élémentaire qu'elle soit, sténographie, touchant les languesnotion grammaticale, si élémentaire qu'elle soit, sténographie, touchant les langues
naturelles, un ensemble de propositions théoriques dont aucune n'est triviale ; lanaturelles, un ensemble de propositions théoriques dont aucune n'est triviale ; la
notion de phrase ne fait pas exception. Que la psychanalyse ait pu, sans êtrenotion de phrase ne fait pas exception. Que la psychanalyse ait pu, sans être
directement démentie par les données, imposer à son modèle théorique une contraintedirectement démentie par les données, imposer à son modèle théorique une contrainte
du type : « tout fantasme a la structure d'une phrase », cela suppose donc une analogiedu type : « tout fantasme a la structure d'une phrase », cela suppose donc une analogie
structurale profonde.structurale profonde.
Les langues comme observatoire de l'inconscientLes langues comme observatoire de l'inconscient
Qu'il s'agisse de forme ou de substance, Freud recourt souvent aux données de langueQu'il s'agisse de forme ou de substance, Freud recourt souvent aux données de langue
pour garantir la psychanalyse, conçue comme une science empirique. En effet, du pointpour garantir la psychanalyse, conçue comme une science empirique. En effet, du point
de vue de Freud (rappelons qu'il est contemporain de Mach), tout concept de lade vue de Freud (rappelons qu'il est contemporain de Mach), tout concept de la
psychanalyse peut et doit être considéré comme le sténogramme d'un certain nombrepsychanalyse peut et doit être considéré comme le sténogramme d'un certain nombre
de propositions empiriques élémentaires, traitant de données d'observation. Maisde propositions empiriques élémentaires, traitant de données d'observation. Mais
quelles sont les données d'observation ? Elles sont tirées du rêve, de la vie quotidienne,quelles sont les données d'observation ? Elles sont tirées du rêve, de la vie quotidienne,
des cas. La question se pose alors : dans quelle mesure ces données sont-ellesdes cas. La question se pose alors : dans quelle mesure ces données sont-elles
indépendantes de la supposition même que la psychanalyse est possible et nécessaire ?indépendantes de la supposition même que la psychanalyse est possible et nécessaire ?
Le plus souvent, la réponse est claire : les données empiriques qui sont censées appuyerLe plus souvent, la réponse est claire : les données empiriques qui sont censées appuyer
la validité de la psychanalyse sont obtenues par la pratique analytique elle-même.la validité de la psychanalyse sont obtenues par la pratique analytique elle-même.
Cette situation n'a rien que d'ordinaire ; considérons la physique : elle se fonde sur desCette situation n'a rien que d'ordinaire ; considérons la physique : elle se fonde sur des
expériences, mais toute expérience est en réalité construite et la construction de touteexpériences, mais toute expérience est en réalité construite et la construction de toute
expérience suppose une physique minimale. On échappe à la circularité en établissantexpérience suppose une physique minimale. On échappe à la circularité en établissant
des indépendances locales : ainsi, l'astronomie est fondée sur la lunette astronomique ;des indépendances locales : ainsi, l'astronomie est fondée sur la lunette astronomique ;
la lunette est fondée sur l'optique, laquelle fait partie de la physique en général, mais nela lunette est fondée sur l'optique, laquelle fait partie de la physique en général, mais ne
dépend pas de l'astronomie. Cette indépendance locale définit ce qu'on peut appelerdépend pas de l'astronomie. Cette indépendance locale définit ce qu'on peut appeler
l'instance de l'l'instance de l'observatoireobservatoire. Il est clair que Freud a cherché inlassablement de tels. Il est clair que Freud a cherché inlassablement de tels
observatoires ; les données de langue, entre autres, lui en fournissent. Témoins leobservatoires ; les données de langue, entre autres, lui en fournissent. Témoins le
lapsus et le mot d'esprit, mais aussi les sens opposés dans les mots primitifs, tels quelapsus et le mot d'esprit, mais aussi les sens opposés dans les mots primitifs, tels que
les avait décrits le linguiste et égyptologue Karl Abel.les avait décrits le linguiste et égyptologue Karl Abel.
À partir de l'étude du rêve, Freud avait été amené à avancer que l'inconscient neÀ partir de l'étude du rêve, Freud avait été amené à avancer que l'inconscient ne
connaissait pas la contradiction. Il ne faut pas minimiser le caractère exorbitant queconnaissait pas la contradiction. Il ne faut pas minimiser le caractère exorbitant que
prenait cette proposition : alors que l'inconscient est fondamentalement défini parprenait cette proposition : alors que l'inconscient est fondamentalement défini par
Freud comme un ensemble de pensées, cette proposition revient en effet à excepter lesFreud comme un ensemble de pensées, cette proposition revient en effet à excepter les
processus primaires d'une loi fondamentale de la pensée. Il était donc urgent d'établir siprocessus primaires d'une loi fondamentale de la pensée. Il était donc urgent d'établir si
l'on ne pouvait pas corroborer par des voies indépendantes une hypothèse aussi forte.l'on ne pouvait pas corroborer par des voies indépendantes une hypothèse aussi forte.
Or, c'est ce que permet l'étude d'Abel. Si celui-ci a raison, en effet, l'observation duOr, c'est ce que permet l'étude d'Abel. Si celui-ci a raison, en effet, l'observation du
langage confirme, indépendamment de l'existence de la psychanalyse, que le principe delangage confirme, indépendamment de l'existence de la psychanalyse, que le principe de
contradiction peut n'être pas toujours valide dans la pensée.contradiction peut n'être pas toujours valide dans la pensée.
Ajoutons que Freud promeut une conception chronologique de l'inconscient ;Ajoutons que Freud promeut une conception chronologique de l'inconscient ;
l'inconscient du sujet est déterminé par son passé individuel. Or les langues sont ellesl'inconscient du sujet est déterminé par son passé individuel. Or les langues sont elles
aussi issues d'un passé et notamment les mots qui les constituent ont une longueaussi issues d'un passé et notamment les mots qui les constituent ont une longue
histoire, aussi oubliée des sujets parlants que peuvent être oubliés certains épisodes dehistoire, aussi oubliée des sujets parlants que peuvent être oubliés certains épisodes de
leur enfance ; dès lors, le processus de formation des mots peut être supposé jeter uneleur enfance ; dès lors, le processus de formation des mots peut être supposé jeter une
lumière sur ce passé, antérieur à toute mémoire et aujourd'hui inaccessible. Leslumière sur ce passé, antérieur à toute mémoire et aujourd'hui inaccessible. Les
langues (et spécialement une langue ancienne telle que l'égyptien) sont alors commelangues (et spécialement une langue ancienne telle que l'égyptien) sont alors comme
des sédimentations géologiques où l'on trouverait, fossilisées, les traces de ce qui a été.des sédimentations géologiques où l'on trouverait, fossilisées, les traces de ce qui a été.
Dans ce cas, la description d'une donnée de langue permet l'accès à un fonctionnementDans ce cas, la description d'une donnée de langue permet l'accès à un fonctionnement
méconnu, analogue ou même identique au fonctionnement inconscient.méconnu, analogue ou même identique au fonctionnement inconscient.
Il y a là, il est vrai, une large part d'illusion. Les langues dites anciennes n'ont pas deIl y a là, il est vrai, une large part d'illusion. Les langues dites anciennes n'ont pas de
propriétés structurales qui les distinguent des langues modernes ; de ce fait, lespropriétés structurales qui les distinguent des langues modernes ; de ce fait, les
premières ne révèlent rien de spécifique par rapport aux secondes. Ainsi, le phénomènepremières ne révèlent rien de spécifique par rapport aux secondes. Ainsi, le phénomène
des sens opposés existe certainement ; il est vrai que les exemples de Freud, repris dedes sens opposés existe certainement ; il est vrai que les exemples de Freud, repris de
K. Abel, sont généralement erronés, comme l'a souligné Émile Benveniste, mais il enK. Abel, sont généralement erronés, comme l'a souligné Émile Benveniste, mais il en
est d'autres plus assurés : ils appartiennent autant aux langues modernes qu'auxest d'autres plus assurés : ils appartiennent autant aux langues modernes qu'aux
langues anciennes. Le phénomène n'a donc rien de spécialement primitif, et s'il éclairelangues anciennes. Le phénomène n'a donc rien de spécialement primitif, et s'il éclaire
quelque chose des processus inconscients, ce n'est pas en tant qu'il témoignerait d'unquelque chose des processus inconscients, ce n'est pas en tant qu'il témoignerait d'un
passépassé de l'humanité. De façon plus générale, les données touchant l'étymologie peuvent de l'humanité. De façon plus générale, les données touchant l'étymologie peuvent
donner matière à réflexion à la psychanalyse. Mais ni plus ni moins que ne le font desdonner matière à réflexion à la psychanalyse. Mais ni plus ni moins que ne le font des
données synchroniques. Pour bien comprendre la relation qui peut alors s'établir entredonnées synchroniques. Pour bien comprendre la relation qui peut alors s'établir entre
les données de langue et la psychanalyse, il peut être utile de songer à la manière dontles données de langue et la psychanalyse, il peut être utile de songer à la manière dont
la psychanalyse s'appuie sur les œuvres littéraires ou les œuvres d'art. Les grandesla psychanalyse s'appuie sur les œuvres littéraires ou les œuvres d'art. Les grandes
figures du freudisme ont, on le sait, toujours pris au sérieux de tels témoignages. Cefigures du freudisme ont, on le sait, toujours pris au sérieux de tels témoignages. Ce
n'était pas, malgré ce qu'en dit Freud, pour développer une « psychanalyse appliquée » ;n'était pas, malgré ce qu'en dit Freud, pour développer une « psychanalyse appliquée » ;
c'est en sens inverse pour traiter telle facette d'une œuvre comme une analyse en acte.c'est en sens inverse pour traiter telle facette d'une œuvre comme une analyse en acte.
Pour Freud et Lacan, le psychanalyste n'a pas à interpréter Shakespeare ou Molière ; il aPour Freud et Lacan, le psychanalyste n'a pas à interpréter Shakespeare ou Molière ; il a
à tenir que Shakespeare et Molière interprètent. De la même manière, exactement, ilà tenir que Shakespeare et Molière interprètent. De la même manière, exactement, il
peut arriver que la langue prise en elle-même puisse, par l'une ou l'autre de sespeut arriver que la langue prise en elle-même puisse, par l'une ou l'autre de ses
singularités – une étymologie, un paradoxe sémantique, une homophonie, etc. –,singularités – une étymologie, un paradoxe sémantique, une homophonie, etc. –,
interpréter le sujet parlant ; la prise de l'analyse consiste seulement à entendre et à faireinterpréter le sujet parlant ; la prise de l'analyse consiste seulement à entendre et à faire
entendre cette interprétation.entendre cette interprétation.
Ainsi s'expliquent au reste certains caractères de l'intervention analytique dans ceAinsi s'expliquent au reste certains caractères de l'intervention analytique dans ce
domaine. En particulier, la forme où l'interprétation se déploie est typiquement celle dudomaine. En particulier, la forme où l'interprétation se déploie est typiquement celle du
détail. Cela se conçoit aisément : qui dit interprétation dit émergence du sujet, et l'ondétail. Cela se conçoit aisément : qui dit interprétation dit émergence du sujet, et l'on
sait que la temporalité de cette émergence est l'instant, comme sa spatialité est le point.sait que la temporalité de cette émergence est l'instant, comme sa spatialité est le point.
Si donc l'œuvre d'art interprète, c'est par quelque détail isolable et singulier – leSi donc l'œuvre d'art interprète, c'est par quelque détail isolable et singulier – le
mouvement du Moïse de Michel-Ange, le drapé de la sainte Anne de Léonard de Vinci,mouvement du Moïse de Michel-Ange, le drapé de la sainte Anne de Léonard de Vinci,
le dernier vers de le dernier vers de Booz endormiBooz endormi, etc. – et si la langue interprète, c'est aussi par quelque, etc. – et si la langue interprète, c'est aussi par quelque
détail isolable et singulier. Freud s'attache par exemple à l'adjectif détail isolable et singulier. Freud s'attache par exemple à l'adjectif unheimlichunheimlich – donnée – donnée
lexicale mineure et non généralisable – pour faire entendre que, sur ce point,lexicale mineure et non généralisable – pour faire entendre que, sur ce point,
occasionnellement, de manière contingente, par son réel singulier, la langue allemandeoccasionnellement, de manière contingente, par son réel singulier, la langue allemande
interprète le sujet parlant (« L'Inquiétante étrangeté »). De la même manière, Jacquesinterprète le sujet parlant (« L'Inquiétante étrangeté »). De la même manière, Jacques
Lacan s'attache à des minuties de la langue française : l'emploi de l'article défini ouLacan s'attache à des minuties de la langue française : l'emploi de l'article défini ou
indéfini, la forme du pronom attributif (indéfini, la forme du pronom attributif (je le suisje le suis et non et non je la suisje la suis), l'usage du terme ), l'usage du terme lala
bourgeoisebourgeoise pour désigner l'épouse, telle ou telle homophonie, etc. pour désigner l'épouse, telle ou telle homophonie, etc.
Il va de soi que la linguistique ne saurait fonctionner dans la forme du détail singulier –Il va de soi que la linguistique ne saurait fonctionner dans la forme du détail singulier –
si même il arrive qu'elle doive raisonner sur des indices ténus. Le contraste entresi même il arrive qu'elle doive raisonner sur des indices ténus. Le contraste entre
linguistique et psychanalyse est donc ici flagrant.linguistique et psychanalyse est donc ici flagrant.
La psychanalyse et le langage comme phénomèneLa psychanalyse et le langage comme phénomène
unitaireunitaire
Si l'on considère que, par-delà la diversité des langues, il existe un objet unitaire, définiSi l'on considère que, par-delà la diversité des langues, il existe un objet unitaire, défini
par des propriétés (de substance et de forme) qu'on appelle le langage, on peutpar des propriétés (de substance et de forme) qu'on appelle le langage, on peut
s'interroger sur la relation que cet objet entretient avec l'objet de la psychanalyse. Sur ces'interroger sur la relation que cet objet entretient avec l'objet de la psychanalyse. Sur ce
point, la coupure lacanienne est radicale : « Le langage est la condition depoint, la coupure lacanienne est radicale : « Le langage est la condition de
l'inconscient » (« L'Étourdit », p. 45). Autrement dit, seul l'être parlant est passiblel'inconscient » (« L'Étourdit », p. 45). Autrement dit, seul l'être parlant est passible
d'inconscient.d'inconscient.
On pourrait croire que là réside la clé du rapport entre psychanalyse et linguistique.On pourrait croire que là réside la clé du rapport entre psychanalyse et linguistique.
Cette dernière n'est-elle pas la science qui a constitué le langage comme objet au-delàCette dernière n'est-elle pas la science qui a constitué le langage comme objet au-delà
des langues et qui en propose une représentation réglée ? Pourtant, il n'en est rien : endes langues et qui en propose une représentation réglée ? Pourtant, il n'en est rien : en
tant qu'il détermine de manière décisive l'existence de l'inconscient, le langage n'esttant qu'il détermine de manière décisive l'existence de l'inconscient, le langage n'est
pas, aux yeux de Jacques Lacan, ce qui est saisi par la science linguistique. Et si lapas, aux yeux de Jacques Lacan, ce qui est saisi par la science linguistique. Et si la
linguistique, comme science, importe à la psychanalyse, ce n'est pas en tant qu'ellelinguistique, comme science, importe à la psychanalyse, ce n'est pas en tant qu'elle
saisirait l'essentiel du phénomène langage.saisirait l'essentiel du phénomène langage.
Rapport méthodologique de la psychanalyse àRapport méthodologique de la psychanalyse à
la science linguistiquela science linguistiqueUn fait est frappant : alors que Freud marque un intérêt pour l'ensemble des sciencesUn fait est frappant : alors que Freud marque un intérêt pour l'ensemble des sciences
dites humaines, alors que, d'autre part, il est amené à s'occuper des données de languedites humaines, alors que, d'autre part, il est amené à s'occuper des données de langue
et même à construire à partir d'elles des analogies méthodologiques importantes, laet même à construire à partir d'elles des analogies méthodologiques importantes, la
linguistique comme telle n'est pas mentionnée par lui. Il faut être clair : la psychanalyselinguistique comme telle n'est pas mentionnée par lui. Il faut être clair : la psychanalyse
freudienne construit entre l'inconscient et le langage un réseau serré de connexions,freudienne construit entre l'inconscient et le langage un réseau serré de connexions,
mais elle le construit dans la plus grande ignorance de la linguistique. C'est au reste surmais elle le construit dans la plus grande ignorance de la linguistique. C'est au reste sur
ce point que la coupure instituée par Jacques Lacan a entraîné les effets les plusce point que la coupure instituée par Jacques Lacan a entraîné les effets les plus
visibles. On peut les résumer ainsi : la question des rapports entre la psychanalyse et levisibles. On peut les résumer ainsi : la question des rapports entre la psychanalyse et le
phénomène langage se pose dès les premiers travaux de Freud ; la question des rapportsphénomène langage se pose dès les premiers travaux de Freud ; la question des rapports
entre la psychanalyse et la science du langage n'a pas de contenu avant Jacques Lacan.entre la psychanalyse et la science du langage n'a pas de contenu avant Jacques Lacan.
L'étrangeté de la position de FreudL'étrangeté de la position de Freud
L'indifférence de Freud à l'égard de la linguistique est paradoxale. Après tout, il estL'indifférence de Freud à l'égard de la linguistique est paradoxale. Après tout, il est
contemporain de la plus grande efflorescence de la science linguistique européenne :contemporain de la plus grande efflorescence de la science linguistique européenne :
qu'on songe à Saussure, Meillet, Troubetzkoy, Jakobson, etc. On peut admettre que,qu'on songe à Saussure, Meillet, Troubetzkoy, Jakobson, etc. On peut admettre que,
avant 1914, Freud ait pu ignorer ce qui se passait en linguistique en France et en Suisseavant 1914, Freud ait pu ignorer ce qui se passait en linguistique en France et en Suisse
et qui était assez peu connu ; on peut admettre qu'ensuite les ruptures causées par laet qui était assez peu connu ; on peut admettre qu'ensuite les ruptures causées par la
guerre l'aient détourné de ce qui se passait hors des milieux de langue allemande, etguerre l'aient détourné de ce qui se passait hors des milieux de langue allemande, et
notamment à Prague et à Paris. Mais, compte tenu de tout cela, il n'en reste pas moinsnotamment à Prague et à Paris. Mais, compte tenu de tout cela, il n'en reste pas moins
que la linguistique allemande, sous la forme de la grammaire comparée, avait connu àque la linguistique allemande, sous la forme de la grammaire comparée, avait connu à
la fin du la fin du XIXXIXee siècle et au début du siècle et au début du XXXXee siècle un développement éclatant. Or, à bien des siècle un développement éclatant. Or, à bien des
égards, la grammaire comparée croise des intérêts que l'on sait fort vifs chez Freud :égards, la grammaire comparée croise des intérêts que l'on sait fort vifs chez Freud :
l'archéologie, l'anthropologie, la méthode de la conjecture fondée sur la lettre, etc. Toutl'archéologie, l'anthropologie, la méthode de la conjecture fondée sur la lettre, etc. Tout
cela s'écrivait dans des langues accessibles à Freud. Tout cela concernait des languescela s'écrivait dans des langues accessibles à Freud. Tout cela concernait des langues
que Freud pratiquait ou avec lesquelles il pouvait aisément se rendre familier. Maisque Freud pratiquait ou avec lesquelles il pouvait aisément se rendre familier. Mais
non : pas une référence ; Freud préfère s'adresser à des marginaux (Abel) ou à unenon : pas une référence ; Freud préfère s'adresser à des marginaux (Abel) ou à une
philologie dépassée (le dictionnaire de Grimm). Il ne nous appartient pas de proposerphilologie dépassée (le dictionnaire de Grimm). Il ne nous appartient pas de proposer
une explication. Faut-il supposer que la grammaire comparée indo-européenneune explication. Faut-il supposer que la grammaire comparée indo-européenne
repoussait Freud, parce qu'elle construisait l'image d'une humanité ancienne où lerepoussait Freud, parce qu'elle construisait l'image d'une humanité ancienne où le
judaïsme n'avait point de part ? Il est vrai que certains idéologues lui ont fait, pour cettejudaïsme n'avait point de part ? Il est vrai que certains idéologues lui ont fait, pour cette
raison même, jouer le pire des rôles et cela bien avant 1933. Freud pouvait le savoir.raison même, jouer le pire des rôles et cela bien avant 1933. Freud pouvait le savoir.
Faut-il alors admettre que, s'interdisant d'avoir accès à la linguistique par les voies de laFaut-il alors admettre que, s'interdisant d'avoir accès à la linguistique par les voies de la
grammaire comparée indo-européenne, il s'interdisait du même coup toute lagrammaire comparée indo-européenne, il s'interdisait du même coup toute la
linguistique, qu'elle s'occupât ou non de la grammaire comparée ? Faut-il mettre enlinguistique, qu'elle s'occupât ou non de la grammaire comparée ? Faut-il mettre en
cause le fait que la grammaire comparée est une science allemande, mais très peu unecause le fait que la grammaire comparée est une science allemande, mais très peu une
science autrichienne ? Quoi qu'il en soit, le fait est là : pour la psychanalyse freudiennescience autrichienne ? Quoi qu'il en soit, le fait est là : pour la psychanalyse freudienne
de langue allemande, le langage importe constamment et l'idéal de la science est prisde langue allemande, le langage importe constamment et l'idéal de la science est pris
pour visée, mais la linguistique comme science du langage n'existe pas.pour visée, mais la linguistique comme science du langage n'existe pas.
Cette situation ne s'est pas grandement modifiée dans le mouvement psychanalytiqueCette situation ne s'est pas grandement modifiée dans le mouvement psychanalytique
international, depuis que la psychanalyse anglo-saxonne en a pris la tête. On peut certesinternational, depuis que la psychanalyse anglo-saxonne en a pris la tête. On peut certes
citer un grand nombre d'études cliniques où les phénomènes de langage sont tenusciter un grand nombre d'études cliniques où les phénomènes de langage sont tenus
pour pertinents (les travaux de Robert Fliess méritent à cet égard une mentionpour pertinents (les travaux de Robert Fliess méritent à cet égard une mention
spéciale), mais ils manifestent en général une profonde ignorance de la problématiquespéciale), mais ils manifestent en général une profonde ignorance de la problématique
de la science linguistique.de la science linguistique.
Dans la psychanalyse de langue française, un rôle particulier a été joué par ÉdouardDans la psychanalyse de langue française, un rôle particulier a été joué par Édouard
Pichon, membre fondateur de la Société française de psychanalyse et auteur, avec lePichon, membre fondateur de la Société française de psychanalyse et auteur, avec le
grammairien Jacques Damourette, du monumental grammairien Jacques Damourette, du monumental Des mots à la penséeDes mots à la pensée ; pour grands ; pour grands
que soient les mérites de cette œuvre, on peut cependant y déceler une étrangeque soient les mérites de cette œuvre, on peut cependant y déceler une étrange
interprétation de l'inconscient freudien, utilisé à penser le « sentiment linguistique », yinterprétation de l'inconscient freudien, utilisé à penser le « sentiment linguistique », y
compris dans sa version nationale (on sait qu'Édouard Pichon était maurrassien). Lacompris dans sa version nationale (on sait qu'Édouard Pichon était maurrassien). La
mise en relation de la psychanalyse et de la science du langage est de ce fait plutôtmise en relation de la psychanalyse et de la science du langage est de ce fait plutôt
manquée. Une exception cependant : le traitement de la négation en français, quimanquée. Une exception cependant : le traitement de la négation en français, qui
recourt à une notion mieux contrôlée de l'inconscient et qui n'est pas sans valeur en cerecourt à une notion mieux contrôlée de l'inconscient et qui n'est pas sans valeur en ce
qui concerne la langue même (qui concerne la langue même (Des mots à la penséeDes mots à la pensée, t. VI, chap. , t. VI, chap. IVIV et et VV).).
Lacan et la linguistiqueLacan et la linguistique
Il ne s'agit pas ici de ce qui a été décrit plus haut comme rapport encyclopédique.Il ne s'agit pas ici de ce qui a été décrit plus haut comme rapport encyclopédique.
Certes, il existe ; il arrive souvent que, pour décrire ou interpréter des données deCertes, il existe ; il arrive souvent que, pour décrire ou interpréter des données de
langue, Jacques Lacan s'appuie sur les informations que fournit la science du langage –langue, Jacques Lacan s'appuie sur les informations que fournit la science du langage –
tout comme il s'appuie sur quelque science que ce soit : la physique, la zoologie,tout comme il s'appuie sur quelque science que ce soit : la physique, la zoologie,
l'anthropologie, etc., pour éclairer ce qui relève de leur compétence particulière. Mais,l'anthropologie, etc., pour éclairer ce qui relève de leur compétence particulière. Mais,
s'il est vrai qu'à cet égard Lacan et ses élèves se montrent plus attentifs que Freud auxs'il est vrai qu'à cet égard Lacan et ses élèves se montrent plus attentifs que Freud aux
formes modernes de la science du langage, il faut ajouter aussi qu'ils prennent leur bienformes modernes de la science du langage, il faut ajouter aussi qu'ils prennent leur bien
où ils le trouvent : la tradition grammaticale, la philologie classique, la description deoù ils le trouvent : la tradition grammaticale, la philologie classique, la description de
Damourette et Pichon, tout cela sert autant et aussi souvent que Jakobson. On peutDamourette et Pichon, tout cela sert autant et aussi souvent que Jakobson. On peut
même aller plus loin : si l'on s'en tient au rapport encyclopédique, il faut plutôt marquermême aller plus loin : si l'on s'en tient au rapport encyclopédique, il faut plutôt marquer
l'impossibilité radicale où se trouve la science linguistique de répondre entièrement auxl'impossibilité radicale où se trouve la science linguistique de répondre entièrement aux
besoins de la psychanalyse.besoins de la psychanalyse.
L'insuffisance empirique de la linguistiqueL'insuffisance empirique de la linguistique
En effet, les jeux de langue (mot d'esprit, lapsus, etc.), à quoi la psychanalyse prêteEn effet, les jeux de langue (mot d'esprit, lapsus, etc.), à quoi la psychanalyse prête
attention, sont certes constitués à partir du langage et de ses structures. Il n'est pasattention, sont certes constitués à partir du langage et de ses structures. Il n'est pas
même impossible que la linguistique avance à leur sujet quelques propositionsmême impossible que la linguistique avance à leur sujet quelques propositions
descriptives. Mais il est douteux que ces propositions éventuelles éclairent beaucoup ladescriptives. Mais il est douteux que ces propositions éventuelles éclairent beaucoup la
psychanalyse. Et cela, pour trois raisons : tout d'abord, ces jeux n'intéressent lapsychanalyse. Et cela, pour trois raisons : tout d'abord, ces jeux n'intéressent la
psychanalyse que dans la mesure où ils marquent l'émergence d'un sujet. De làpsychanalyse que dans la mesure où ils marquent l'émergence d'un sujet. De là
seulement naissent les effets de sens qu'ils opèrent ; or la linguistique ne peut rienseulement naissent les effets de sens qu'ils opèrent ; or la linguistique ne peut rien
saisir d'une telle émergence. Deuxième raison, entée sur la première : le lapsus commesaisir d'une telle émergence. Deuxième raison, entée sur la première : le lapsus comme
le mot d'esprit sont – directement ou indirectement – rendus possibles par desle mot d'esprit sont – directement ou indirectement – rendus possibles par des
collisions homophoniques (cf. « L'Étourdit »). Or ces collisions sont contingentes ; quicollisions homophoniques (cf. « L'Étourdit »). Or ces collisions sont contingentes ; qui
plus est, elles concernent la forme phonique, laquelle est elle-même largementplus est, elles concernent la forme phonique, laquelle est elle-même largement
contingente. Sans doute est-ce cette contingence redoublée qui approprie les jeux decontingente. Sans doute est-ce cette contingence redoublée qui approprie les jeux de
langue à signaler l'émergence elle-même contingente d'un sujet. Mais, du même coup,langue à signaler l'émergence elle-même contingente d'un sujet. Mais, du même coup,
la science linguistique n'a rien à en dire de spécifique.la science linguistique n'a rien à en dire de spécifique.
Troisième raison : la linguistique aborde la question du langage d'un point de vueTroisième raison : la linguistique aborde la question du langage d'un point de vue
empirique. Elle ne peut donc manquer de poser la question du langage commeempirique. Elle ne peut donc manquer de poser la question du langage comme
perceptible. Sans doute est-elle toujours obligée de conclure que le langage n'est pasperceptible. Sans doute est-elle toujours obligée de conclure que le langage n'est pas
intégralement perceptible. En particulier, elle doit faire place à une grandeur quiintégralement perceptible. En particulier, elle doit faire place à une grandeur qui
échappe à la perception : elle la conçoit généralement comme échappe à la perception : elle la conçoit généralement comme significationsignification. Autrement. Autrement
dit, pour penser la relation qu'entretiennent, dans le langage comme objet perceptible,dit, pour penser la relation qu'entretiennent, dans le langage comme objet perceptible,
le perceptible et l'au-delà de la perception, la linguistique recourt au concept de le perceptible et l'au-delà de la perception, la linguistique recourt au concept de signesigne..
Or la psychanalyse entretient un tout autre rapport à la question du perceptible ; enOr la psychanalyse entretient un tout autre rapport à la question du perceptible ; en
particulier, les concepts de signe et de signification, dans leur définition courante, ne luiparticulier, les concepts de signe et de signification, dans leur définition courante, ne lui
conviennent pas. Jacques Lacan a thématisé cette ligne de partage, en usant du termeconviennent pas. Jacques Lacan a thématisé cette ligne de partage, en usant du terme
senssens, pour déterminer ce qui seul importe à la psychanalyse et se manifeste comme, pour déterminer ce qui seul importe à la psychanalyse et se manifeste comme
« évanouissement des significations » (« L'Étourdit »). Lacan peut donc avancer en« évanouissement des significations » (« L'Étourdit »). Lacan peut donc avancer en
même temps que « le langage est la condition de l'inconscient » (« L'Étourdit », p. 45)même temps que « le langage est la condition de l'inconscient » (« L'Étourdit », p. 45)
et que « la linguistique [...] pour l'analyse ne fraye rien » (« L'Étourdit », p. 46). Quiet que « la linguistique [...] pour l'analyse ne fraye rien » (« L'Étourdit », p. 46). Qui
plus est, le rapport s'inverse : pour peu qu'elle rencontre des données où équivoques,plus est, le rapport s'inverse : pour peu qu'elle rencontre des données où équivoques,
homophonies, homosémies sont pertinentes, c'est la linguistique qui doit user dehomophonies, homosémies sont pertinentes, c'est la linguistique qui doit user de
procédures empruntées à l'analyse freudienne. Un domaine d'élection pour de tellesprocédures empruntées à l'analyse freudienne. Un domaine d'élection pour de telles
importations : la poétique. Ici encore les travaux de Jakobson doivent être cités ; arméimportations : la poétique. Ici encore les travaux de Jakobson doivent être cités ; armé
qu'il est de son savoir de linguiste, il n'hésite pas à recourir, quand il s'agit d'analyser unqu'il est de son savoir de linguiste, il n'hésite pas à recourir, quand il s'agit d'analyser un
poème, aux techniques développées par Freud pour l'analyse du lapsus, du mot d'espritpoème, aux techniques développées par Freud pour l'analyse du lapsus, du mot d'esprit
ou de l'oubli du mot (cf. notamment l'analyse de l'oubli du nom ou de l'oubli du mot (cf. notamment l'analyse de l'oubli du nom SignorelliSignorelli, dans la, dans la
Psychopathologie de la vie quotidiennePsychopathologie de la vie quotidienne). Il est vrai que Jakobson avait un prédécesseur). Il est vrai que Jakobson avait un prédécesseur
et un modèle : Saussure, confronté à l'ancienne poésie latine, avait cru y reconnaître deset un modèle : Saussure, confronté à l'ancienne poésie latine, avait cru y reconnaître des
anagrammes ; illusoire, s'il s'agit d'une hypothèse historique, la découverte s'éclaireanagrammes ; illusoire, s'il s'agit d'une hypothèse historique, la découverte s'éclaire
d'un jour nouveau si on la rapproche du déplacement et de la condensation sinon dud'un jour nouveau si on la rapproche du déplacement et de la condensation sinon du
refoulement – qu'au reste Saussure ne connaissait vraisemblablement pas (cf. Jeanrefoulement – qu'au reste Saussure ne connaissait vraisemblablement pas (cf. Jean
Starobinski, Starobinski, Les Mots sous les motsLes Mots sous les mots, Gallimard, Paris, 1971)., Gallimard, Paris, 1971).
Le rôle théorique décisif de la linguistique structuraleLe rôle théorique décisif de la linguistique structurale
Mais cela n'affecte pas l'importance décisive que prend par ailleurs la possibilité de laMais cela n'affecte pas l'importance décisive que prend par ailleurs la possibilité de la
science linguistique. Car cette importance n'est pas liée à des résultats empiriques, maisscience linguistique. Car cette importance n'est pas liée à des résultats empiriques, mais
à des décisions théoriques. À cet égard, une seule forme de linguistique a véritablementà des décisions théoriques. À cet égard, une seule forme de linguistique a véritablement
importé : la linguistique structurale, représentée par la tradition saussurienne etimporté : la linguistique structurale, représentée par la tradition saussurienne et
singulièrement par Roman Jakobson. Il ne s'agit pas seulement de l'amitié personnellesingulièrement par Roman Jakobson. Il ne s'agit pas seulement de l'amitié personnelle
qui liait Jakobson à Lacan, ni même de la conjoncture historique des années 1960, où sequi liait Jakobson à Lacan, ni même de la conjoncture historique des années 1960, où se
développe ce qu'on appelait le structuralisme. L'enjeu est plus décisif. Il concerne ledéveloppe ce qu'on appelait le structuralisme. L'enjeu est plus décisif. Il concerne le
partage entre deux conceptions de l'inconscient. On pourrait reprendre sur ce pointpartage entre deux conceptions de l'inconscient. On pourrait reprendre sur ce point
l'opposition qui a longtemps divisé la théorie physique de la lumière : l'inconscient sel'opposition qui a longtemps divisé la théorie physique de la lumière : l'inconscient se
laisse-t-il penser de manière corpusculaire et mécanique ou doit-il se penser de manièrelaisse-t-il penser de manière corpusculaire et mécanique ou doit-il se penser de manière
ondulatoire et dynamique ?ondulatoire et dynamique ?
La seconde position est constamment récurrente et a été reprise notamment par GillesLa seconde position est constamment récurrente et a été reprise notamment par Gilles
Deleuze et Félix Guattari sous le nom de théorie des flux. À l'inverse, la nouveauté de laDeleuze et Félix Guattari sous le nom de théorie des flux. À l'inverse, la nouveauté de la
doctrine freudienne, constamment maintenue et accentuée par Jacques Lacan, promeutdoctrine freudienne, constamment maintenue et accentuée par Jacques Lacan, promeut
une conception corpusculaire de l'inconscient. Mais une question nouvelle se poseune conception corpusculaire de l'inconscient. Mais une question nouvelle se pose
alors : le corpuscule dont il s'agit dans l'inconscient doit-il être pensé sur le modèle dealors : le corpuscule dont il s'agit dans l'inconscient doit-il être pensé sur le modèle de
tels ou tels corpuscules dont on peut reconnaître l'existence dans la nature ? Freudtels ou tels corpuscules dont on peut reconnaître l'existence dans la nature ? Freud
semble l'avoir longtemps cru. En particulier, il avait cherché du côté du neurone et desemble l'avoir longtemps cru. En particulier, il avait cherché du côté du neurone et de
son quantum de charge le modèle d'une théorie scientifique de la psychologie (cf.son quantum de charge le modèle d'une théorie scientifique de la psychologie (cf.
Entwurf einer PsychologieEntwurf einer Psychologie et le chap. et le chap.VIIVII de de L'Interprétation des rêvesL'Interprétation des rêves). Aux yeux de). Aux yeux de
Lacan, cette entreprise a échoué ; de Freud, il faut certes retenir le parti exclusivementLacan, cette entreprise a échoué ; de Freud, il faut certes retenir le parti exclusivement
corpusculaire, mais il faut proposer des corpuscules un autre modèle d'intelligibilité.corpusculaire, mais il faut proposer des corpuscules un autre modèle d'intelligibilité.
C'est que, depuis Freud, quelque chose s'est produit, à savoir la naissance d'uneC'est que, depuis Freud, quelque chose s'est produit, à savoir la naissance d'une
linguistique scientifique, qui parvient à décrire les langues en se fondant seulement surlinguistique scientifique, qui parvient à décrire les langues en se fondant seulement sur
une théorie de la distinctivité. Dans cette théorie, on ne dit plus qu'en français /une théorie de la distinctivité. Dans cette théorie, on ne dit plus qu'en français /bb/ est/ est
sonore et que, pour cette raison, il est distinct de /sonore et que, pour cette raison, il est distinct de /pp/ ; on dit à l'inverse que // ; on dit à l'inverse que /bb/ est/ est
distinct de /distinct de /pp/ et que, pour cette raison seulement, il peut être dit sonore. En bref, on/ et que, pour cette raison seulement, il peut être dit sonore. En bref, on
pose qu'il existe une différence pure qui précède les propriétés. La conséquence décisivepose qu'il existe une différence pure qui précède les propriétés. La conséquence décisive
peut être exprimée ainsi : avant Saussure, ce sont les propriétés qui fondent lespeut être exprimée ainsi : avant Saussure, ce sont les propriétés qui fondent les
différences (et les ressemblances) ; après Saussure, c'est la différence qui fonde lesdifférences (et les ressemblances) ; après Saussure, c'est la différence qui fonde les
propriétés et il n'y pas de statut possible pour la ressemblance. Or cette théorie de lapropriétés et il n'y pas de statut possible pour la ressemblance. Or cette théorie de la
distinctivité peut être généralisée en une théorie des corpuscules, qui ne devra rien à ladistinctivité peut être généralisée en une théorie des corpuscules, qui ne devra rien à la
substance physique.substance physique.
Telle est la doctrine du Rapport de Rome. En s'appuyant sur la linguistique structuraleTelle est la doctrine du Rapport de Rome. En s'appuyant sur la linguistique structurale
(présentée comme une véritable révolution de la pensée scientifique), on peut énoncer(présentée comme une véritable révolution de la pensée scientifique), on peut énoncer
les caractères de tout corpuscule non physique, qu'il articule la langue au sens strict, oules caractères de tout corpuscule non physique, qu'il articule la langue au sens strict, ou
qu'il articule un processus inconscient ; on considérera désormais que ce corpuscule estqu'il articule un processus inconscient ; on considérera désormais que ce corpuscule est
une entité négative, oppositive et relative. En bref, Lacan, comme Freud, ordonne laune entité négative, oppositive et relative. En bref, Lacan, comme Freud, ordonne la
théorie de l'inconscient à l'instance de l'Un, mais, à la différence de Freud, il disposethéorie de l'inconscient à l'instance de l'Un, mais, à la différence de Freud, il dispose
avec la linguistique structurale d'une méthodologie nouvelle de construction de cetteavec la linguistique structurale d'une méthodologie nouvelle de construction de cette
instance. Qui plus est, la linguistique ne se borne pas à constituer théoriquement etinstance. Qui plus est, la linguistique ne se borne pas à constituer théoriquement et
empiriquement un tel Un ; elle permet aussi de construire une mécanique desempiriquement un tel Un ; elle permet aussi de construire une mécanique des
corpuscules, aussi précise et aussi rigoureuse dans son ordre que la mécaniquecorpuscules, aussi précise et aussi rigoureuse dans son ordre que la mécanique
physique. Saussure avait établi que les corpuscules linguistiques entraient dans deuxphysique. Saussure avait établi que les corpuscules linguistiques entraient dans deux
types de relations : le syntagme (les corpuscules linguistiques contrastent les uns avectypes de relations : le syntagme (les corpuscules linguistiques contrastent les uns avec
les autres dans une chaîne de positions successives) et le paradigme (les corpusculesles autres dans une chaîne de positions successives) et le paradigme (les corpuscules
s'opposent les uns aux autres et s'excluent mutuellement dans une position donnée).s'opposent les uns aux autres et s'excluent mutuellement dans une position donnée).
Jakobson a généralisé la doctrine en établissant que de la relation de syntagmeJakobson a généralisé la doctrine en établissant que de la relation de syntagme
dépendait un ensemble de phénomènes regroupés sous le chef de la métonymie et quedépendait un ensemble de phénomènes regroupés sous le chef de la métonymie et que
de la relation de paradigme dépendait un ensemble de phénomènes regroupés sous lede la relation de paradigme dépendait un ensemble de phénomènes regroupés sous le
chef de la métaphore. On dispose ainsi d'une théorie générale des types de relationchef de la métaphore. On dispose ainsi d'une théorie générale des types de relation
possibles qui s'établissent entre corpuscules non physiques – théorie dont Jacquespossibles qui s'établissent entre corpuscules non physiques – théorie dont Jacques
Lacan construit une représentation formalisée (« L'Instance de la lettre dansLacan construit une représentation formalisée (« L'Instance de la lettre dans
l'inconscient ou la raison depuis Freud »).l'inconscient ou la raison depuis Freud »).
En bref, dans cette théorie corpusculaire généralisée, les relations entre corpusculesEn bref, dans cette théorie corpusculaire généralisée, les relations entre corpuscules
non physiques s'appellent métaphore et métonymie et il ne saurait y avoir d'autresnon physiques s'appellent métaphore et métonymie et il ne saurait y avoir d'autres
relations que celles-là ; la causalité étant une relation, elle ne peut être pensée, entrerelations que celles-là ; la causalité étant une relation, elle ne peut être pensée, entre
corpuscules non physiques, que comme l'une ou l'autre de ces deux relations ; d'où lacorpuscules non physiques, que comme l'une ou l'autre de ces deux relations ; d'où la
théorie lacanienne de la causalité métonymique. Ainsi se construit une forme nouvellethéorie lacanienne de la causalité métonymique. Ainsi se construit une forme nouvelle
de causalité, qu'on peut nommer de manière générale une causalité structurale et quide causalité, qu'on peut nommer de manière générale une causalité structurale et qui
échappe à la fois à la causalité mécaniste du choc (seule forme de causalité reconnueéchappe à la fois à la causalité mécaniste du choc (seule forme de causalité reconnue
dans dans L'Interprétation des rêvesL'Interprétation des rêves) et à la causalité globale de la thermodynamique. Ici) et à la causalité globale de la thermodynamique. Ici
encore, la science linguistique, dans sa version structuraliste, permet d'établir laencore, la science linguistique, dans sa version structuraliste, permet d'établir la
légitimité et la fécondité d'un concept nouveau. À condition du moins d'aller au-delà delégitimité et la fécondité d'un concept nouveau. À condition du moins d'aller au-delà de
ce qu'elle énonce explicitement, pour en développer la potentialité : à cet égard, lace qu'elle énonce explicitement, pour en développer la potentialité : à cet égard, la
position de Jacques Lacan ne consiste pas à s'inspirer de la linguistique structurale ;position de Jacques Lacan ne consiste pas à s'inspirer de la linguistique structurale ;
elle consiste plutôt à prendre au sérieux le dessein scientifique de cette dernière et à leelle consiste plutôt à prendre au sérieux le dessein scientifique de cette dernière et à le
soumettre à l'exigence maximale de littéralisation, qui aux yeux de Lacan définit lasoumettre à l'exigence maximale de littéralisation, qui aux yeux de Lacan définit la
science moderne. En fait, s'il est vrai que la linguistique structurale a opéré unescience moderne. En fait, s'il est vrai que la linguistique structurale a opéré une
révolution de la pensée scientifique, cette révolution ne peut se percevoir que si l'on nerévolution de la pensée scientifique, cette révolution ne peut se percevoir que si l'on ne
s'en tient pas aux présentations proposées par les linguistes eux-mêmes.s'en tient pas aux présentations proposées par les linguistes eux-mêmes.
Le concept de signifiantLe concept de signifiant
Dans une formule devenue célèbre, Lacan a soutenu que l'inconscient était structuréDans une formule devenue célèbre, Lacan a soutenu que l'inconscient était structuré
comme comme unun langage. Pour pouvoir dire cela, il faut supposer qu'on dispose d'une langage. Pour pouvoir dire cela, il faut supposer qu'on dispose d'une
définition générale et non vide de ce qu'est ou n'est pas un langage. Un langage, dira-t-définition générale et non vide de ce qu'est ou n'est pas un langage. Un langage, dira-t-
on alors, est un ensemble où (on alors, est un ensemble où (ii) la métaphore et la métonymie sont possibles comme) la métaphore et la métonymie sont possibles comme
lois de composition interne et (lois de composition interne et (iiii) où seules la métaphore et la métonymie sont) où seules la métaphore et la métonymie sont
possibles. La notion de langage se révèle donc être un cas particulier d'une notion pluspossibles. La notion de langage se révèle donc être un cas particulier d'une notion plus
générale. La question se pose : comment nommer cette notion plus générale ?générale. La question se pose : comment nommer cette notion plus générale ?
On connaît la solution des structuralistes : la notion générale se définit commeOn connaît la solution des structuralistes : la notion générale se définit comme
structure. Lacan n'a jamais admis cette solution, qui a le défaut de mettre l'accent surstructure. Lacan n'a jamais admis cette solution, qui a le défaut de mettre l'accent sur
les totalités (en ce sens, Lacan est certainement un antistructuraliste convaincu) ; leles totalités (en ce sens, Lacan est certainement un antistructuraliste convaincu) ; le
nom qu'il a proposé pour désigner le mode d'existence spécifique de ce qui a lesnom qu'il a proposé pour désigner le mode d'existence spécifique de ce qui a les
propriétés d'un langage (sans relever nécessairement du langage) met l'accent non surpropriétés d'un langage (sans relever nécessairement du langage) met l'accent non sur
la totalité, mais sur l'élément : c'est le la totalité, mais sur l'élément : c'est le signifiantsignifiant..
Est donc signifiant ce qui n'a d'existence et de propriétés que par opposition, relation etEst donc signifiant ce qui n'a d'existence et de propriétés que par opposition, relation et
négation. D'où la proposition : « le signifiant représente le sujet pour un autrenégation. D'où la proposition : « le signifiant représente le sujet pour un autre
signifiant » ; la définition stricte du signifiant y repose sur l'expression « représentersignifiant » ; la définition stricte du signifiant y repose sur l'expression « représenter
pour », sténogramme d'une existence oppositive, relative et négative. Le termepour », sténogramme d'une existence oppositive, relative et négative. Le terme
signifiantsignifiant vient évidemment de Saussure, mais non sans une profonde modification : vient évidemment de Saussure, mais non sans une profonde modification :
sont abandonnés l'horizon du signe et du même coup l'opposition actif/passif quisont abandonnés l'horizon du signe et du même coup l'opposition actif/passif qui
modelait le couple signifiant/signifié. Comme le signale son nom même, le signifiantmodelait le couple signifiant/signifié. Comme le signale son nom même, le signifiant
est essentiellement action.est essentiellement action.
Évolution du modèleÉvolution du modèle
Dans le dispositif mis en place à partir du rapport de Rome, la position de laDans le dispositif mis en place à partir du rapport de Rome, la position de la
linguistique est donc claire : elle permet et justifie une théorie nouvelle de l'Un et de lalinguistique est donc claire : elle permet et justifie une théorie nouvelle de l'Un et de la
causalité. Or ce dispositif n'a pu se maintenir. Pour une raison notamment : lacausalité. Or ce dispositif n'a pu se maintenir. Pour une raison notamment : la
linguistique elle-même a changé. Elle est demeurée corpusculaire, mais elle ne proposelinguistique elle-même a changé. Elle est demeurée corpusculaire, mais elle ne propose
plus une doctrine originale du corpuscule. L'élément linguistique désormais existeplus une doctrine originale du corpuscule. L'élément linguistique désormais existe
comme un être positif ordinaire, et non pas comme un paquet de relations oppositives.comme un être positif ordinaire, et non pas comme un paquet de relations oppositives.
On retrouve la configuration classique : les propriétés précèdent la distinction ; il n'estOn retrouve la configuration classique : les propriétés précèdent la distinction ; il n'est
plus vrai que, dans la langue, il n'y ait que des différences. D'un point de vue historique,plus vrai que, dans la langue, il n'y ait que des différences. D'un point de vue historique,
ce changement de modèle a été marqué par Chomsky.ce changement de modèle a été marqué par Chomsky.
Du coup, la linguistique ne peut plus garantir la doctrine corpusculaire de l'inconscient,Du coup, la linguistique ne peut plus garantir la doctrine corpusculaire de l'inconscient,
laquelle doit se développer de manière autonome et trouver en elle-même ses propreslaquelle doit se développer de manière autonome et trouver en elle-même ses propres
fondements. Cela justifie la nécessité d'une logique du signifiant, qui s'est autonomiséefondements. Cela justifie la nécessité d'une logique du signifiant, qui s'est autonomisée
à partir de 1967, c'est-à-dire au moment même où la linguistique cessait d'êtreà partir de 1967, c'est-à-dire au moment même où la linguistique cessait d'être
entièrement saussurienne. Ce mouvement trouve son accomplissement dans leentièrement saussurienne. Ce mouvement trouve son accomplissement dans le
séminaire séminaire EncoreEncore, où Lacan propose les éléments d'une doctrine entièrement autonome, où Lacan propose les éléments d'une doctrine entièrement autonome
du signifiant, c'est-à-dire une théorie de la différence comme telle, antérieure à toutedu signifiant, c'est-à-dire une théorie de la différence comme telle, antérieure à toute
propriété. À cette occasion, la science linguistique est encore évoquée, mais pour établirpropriété. À cette occasion, la science linguistique est encore évoquée, mais pour établir
que, légitime dans son ordre, elle ne saurait plus légitimer quoi que ce soit de laque, légitime dans son ordre, elle ne saurait plus légitimer quoi que ce soit de la
doctrine du signifiant. Par le même mouvement, on comprend que, une fois constituéedoctrine du signifiant. Par le même mouvement, on comprend que, une fois constituée
sur ses fondements propres la notion de signifiant a justement pour effet de ne passur ses fondements propres la notion de signifiant a justement pour effet de ne pas
saisir ce qui, dans le langage, le distingue éventuellement du signifiant en général. Lasaisir ce qui, dans le langage, le distingue éventuellement du signifiant en général. La
question se pose alors : est-il possible, est-il légitime de penser la différence du langagequestion se pose alors : est-il possible, est-il légitime de penser la différence du langage
au signifiant ? Dans le même séminaire au signifiant ? Dans le même séminaire EncoreEncore, le concept de , le concept de lalanguelalangue est justement est justement
destiné à penser ce qui fait que destiné à penser ce qui fait que lele langage (incarné dans chaque langue singulière) n'est langage (incarné dans chaque langue singulière) n'est
pas épuisé par le signifiant (ensemble des propriétés minimales d'pas épuisé par le signifiant (ensemble des propriétés minimales d'unun langage). langage).
La science du langage modifiée par laLa science du langage modifiée par lapsychanalyse ?psychanalyse ?Étant établi que la psychanalyse est possible, et étant établi que les données de languesÉtant établi que la psychanalyse est possible, et étant établi que les données de langues
sont en intersection avec les données de la psychanalyse, peut-on apprendre quelquesont en intersection avec les données de la psychanalyse, peut-on apprendre quelque
chose de nouveau touchant le fonctionnement du langage, en partant des données de lachose de nouveau touchant le fonctionnement du langage, en partant des données de la
psychanalyse ? Dans ce cas, la psychanalyse ne dépend pas de la linguistique. C'est bienpsychanalyse ? Dans ce cas, la psychanalyse ne dépend pas de la linguistique. C'est bien
plutôt la linguistique qui pourrait éventuellement avoir à tenir compte des donnéesplutôt la linguistique qui pourrait éventuellement avoir à tenir compte des données
mises au jour par la psychanalyse. Ce mouvement serait analogue à celui par lequelmises au jour par la psychanalyse. Ce mouvement serait analogue à celui par lequel
Freud ne se borne pas à chercher des confirmations indépendantes dans les données deFreud ne se borne pas à chercher des confirmations indépendantes dans les données de
l'anthropologie ou de l'histoire des religions, mais propose des hypothèses originalesl'anthropologie ou de l'histoire des religions, mais propose des hypothèses originales
dans ces domaines.dans ces domaines.
En ce qui concerne le langage, les tentatives intéressantes ne sont pas fort nombreuses.En ce qui concerne le langage, les tentatives intéressantes ne sont pas fort nombreuses.
Elles concernent essentiellement deux thèmes. D'une part, le grand phonéticien FonagyElles concernent essentiellement deux thèmes. D'une part, le grand phonéticien Fonagy
– fortement influencé par Sándor Ferenczi – a tenté d'articuler la théorie freudienne– fortement influencé par Sándor Ferenczi – a tenté d'articuler la théorie freudienne
des pulsions et la théorie linguistique de la forme phonique (cf. notamment « Les Basesdes pulsions et la théorie linguistique de la forme phonique (cf. notamment « Les Bases
pulsionnelles de la phonation », in pulsionnelles de la phonation », in La Vive VoixLa Vive Voix). On peut citer avant lui Edward Sapir). On peut citer avant lui Edward Sapir
(cf. notamment « A Study in phonetic symbolism », article de 1929 repris dans (cf. notamment « A Study in phonetic symbolism », article de 1929 repris dans SelectedSelected
WritingsWritings, University of California Press, 1963), dont la relation à la psychanalyse est, University of California Press, 1963), dont la relation à la psychanalyse est
certaine, mais moins précise et explicite. D'autre part, certains psychanalystes ont étécertaine, mais moins précise et explicite. D'autre part, certains psychanalystes ont été
amenés à examiner l'ontogenèse du langage ; mis à part Freud lui-même (observationamenés à examiner l'ontogenèse du langage ; mis à part Freud lui-même (observation
du du Fort-DaFort-Da dans « Au-delà du principe de plaisir »), il faut citer surtout René Spitz. dans « Au-delà du principe de plaisir »), il faut citer surtout René Spitz.
Le problème est que les relations d'« importation » ne fonctionnent jamais aisément.Le problème est que les relations d'« importation » ne fonctionnent jamais aisément.
Quels que soient les mérites des travaux cités, il faut avouer que, entre donnéesQuels que soient les mérites des travaux cités, il faut avouer que, entre données
touchant le langage et données touchant les processus inconscients, la relationtouchant le langage et données touchant les processus inconscients, la relation
demeure conjecturale.demeure conjecturale.
En tout cas, un malentendu doit être dissipé : il est vrai que les processus linguistiquesEn tout cas, un malentendu doit être dissipé : il est vrai que les processus linguistiques
échappent largement à la conscience du sujet parlant, mais, pour décrire ce statut « nonéchappent largement à la conscience du sujet parlant, mais, pour décrire ce statut « non
conscient », il n'est ni nécessaire ni souhaitable de recourir au concept freudienconscient », il n'est ni nécessaire ni souhaitable de recourir au concept freudien
d'inconscient. En particulier, on peut définir la tâche de la science du langage : rendred'inconscient. En particulier, on peut définir la tâche de la science du langage : rendre
explicites les procédures que le sujet parlant met en œuvre sans en avoir conscience. Orexplicites les procédures que le sujet parlant met en œuvre sans en avoir conscience. Or
cette explicitation ne prend pas la forme d'une interprétation, elle n'a pas à prendre encette explicitation ne prend pas la forme d'une interprétation, elle n'a pas à prendre en
compte des refoulements, des résistances, des transferts, etc. En bref, il n'y a pascompte des refoulements, des résistances, des transferts, etc. En bref, il n'y a pas
d'inconscient linguistique, si du moins l'on prend « inconscient » et « linguistique » end'inconscient linguistique, si du moins l'on prend « inconscient » et « linguistique » en
un sens précis.un sens précis.
Relation épistémologique entre science duRelation épistémologique entre science dulangage et psychanalyselangage et psychanalyseLa psychanalyse, prise dans sa forme essentielle, met en cause la constitutionLa psychanalyse, prise dans sa forme essentielle, met en cause la constitution
historique et logique de la science moderne. Plus exactement, elle se propose dehistorique et logique de la science moderne. Plus exactement, elle se propose de
construire la science d'un objet apparemment si exorbitant à ce que la science moderneconstruire la science d'un objet apparemment si exorbitant à ce que la science moderne
peut traiter qu'elle doit pousser cette dernière à ses limites extrêmes – sinon hors depeut traiter qu'elle doit pousser cette dernière à ses limites extrêmes – sinon hors de
ses limites. De ce fait même, elle transforme en problème ce qui pour l'ensemble desses limites. De ce fait même, elle transforme en problème ce qui pour l'ensemble des
sciences était une solution : l'idéal de la science. Elle convoque donc tous les discourssciences était une solution : l'idéal de la science. Elle convoque donc tous les discours
qui s'autorisent de cet idéal à s'interroger sur sa validité. La linguistique, en tant qu'ellequi s'autorisent de cet idéal à s'interroger sur sa validité. La linguistique, en tant qu'elle
se veut une science, se trouve donc concernée. Mais, dans son cas, la convocationse veut une science, se trouve donc concernée. Mais, dans son cas, la convocation
générale se redouble d'une convocation particulière.générale se redouble d'une convocation particulière.
On sait en effet que la psychanalyse passe par l'exercice de la parole ; on sait aussi queOn sait en effet que la psychanalyse passe par l'exercice de la parole ; on sait aussi que
la linguistique exclut de son objet les marques de l'émergence subjective, c'est-à-direla linguistique exclut de son objet les marques de l'émergence subjective, c'est-à-dire
justement cet ensemble qu'on résume depuis Saussure sous le nom de parole. Il n'enjustement cet ensemble qu'on résume depuis Saussure sous le nom de parole. Il n'en
reste pas moins que les données qu'elle traite se présentent à elle en dernière instancereste pas moins que les données qu'elle traite se présentent à elle en dernière instance
comme des propos tenus par des sujets. En bref, la parole constitue la matière de cecomme des propos tenus par des sujets. En bref, la parole constitue la matière de ce
qu'elle manipule ; les données que rencontre le linguiste et les données que rencontrequ'elle manipule ; les données que rencontre le linguiste et les données que rencontre
l'analyste ont dès lors la même substance.l'analyste ont dès lors la même substance.
Que le linguiste doive, dans ces données, opérer un filtrage pour sauvegarder lesQue le linguiste doive, dans ces données, opérer un filtrage pour sauvegarder les
exigences de régularité, de répétabilité, de reproductibilité sans quoi aucune scienceexigences de régularité, de répétabilité, de reproductibilité sans quoi aucune science
n'est possible, cela est certain ; que le linguiste puisse opérer ce filtrage sansn'est possible, cela est certain ; que le linguiste puisse opérer ce filtrage sans
déformation excessive de son propre objet, c'est une question qu'il ne peut manquer dedéformation excessive de son propre objet, c'est une question qu'il ne peut manquer de
se poser. Il doit d'autant plus se la poser qu'il n'est linguiste que dans la mesure exactese poser. Il doit d'autant plus se la poser qu'il n'est linguiste que dans la mesure exacte
où il est lui-même un sujet parlant. Dans certains cas – notamment, quand il étudie saoù il est lui-même un sujet parlant. Dans certains cas – notamment, quand il étudie sa
propre langue –, le retour sur soi lui est ainsi constamment imposé ; mais, de toutepropre langue –, le retour sur soi lui est ainsi constamment imposé ; mais, de toute
manière, à supposer même qu'il étudie une langue qui ne soit pas la sienne, il ne peutmanière, à supposer même qu'il étudie une langue qui ne soit pas la sienne, il ne peut
l'étudier sans la faire sienne, si peu que ce soit. Il s'établit donc toujours unel'étudier sans la faire sienne, si peu que ce soit. Il s'établit donc toujours une
coïncidence entre l'observateur et l'observé ; cela ne manque pas de créer une structurecoïncidence entre l'observateur et l'observé ; cela ne manque pas de créer une structure
paradoxale. La linguistique a à supporter ce paradoxe ; or la psychanalyse rencontre unparadoxale. La linguistique a à supporter ce paradoxe ; or la psychanalyse rencontre un
paradoxe apparenté, seul un être affecté d'un inconscient pouvant être analyste. Mais, àparadoxe apparenté, seul un être affecté d'un inconscient pouvant être analyste. Mais, à
la différence de la linguistique, elle ne se borne pas à le subir : elle le traitela différence de la linguistique, elle ne se borne pas à le subir : elle le traite
empiriquement et théoriquement. Reste à établir si la science linguistique peutempiriquement et théoriquement. Reste à établir si la science linguistique peut
entendre, sur ce point, le discours analytique.entendre, sur ce point, le discours analytique.
Jean-Claude MILNERJean-Claude MILNER
Pour citer cet articlePour citer cet articleRéférence numérique :Référence numérique :
Jean-Claude MILNER, Jean-Claude MILNER, « « LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSELINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE », », EncyclopædiaEncyclopædia
UniversalisUniversalis [en ligne], consulté le [en ligne], consulté le 16 novembre 201216 novembre 2012. URL : . URL : http://www.universalis-http://www.universalis-
edu.com/encyclopedie/linguistique-et-psychanalyse/edu.com/encyclopedie/linguistique-et-psychanalyse/
Auteur de l'articleAuteur de l'articleJean-Claude MILNERJean-Claude MILNER
AAncien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VIIncien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII
(département de recherches linguistiques).(département de recherches linguistiques).
BibliographieBibliographieLa lecture des œuvres majeures de Freud et de Lacan est évidemment indispensable. OnLa lecture des œuvres majeures de Freud et de Lacan est évidemment indispensable. On
peut citer plus particulièrement chez Freud : le chapitre peut citer plus particulièrement chez Freud : le chapitre VIVI de de L'Interprétation desL'Interprétation des
rêvesrêves, P.U.F., Paris, 1967, P.U.F., Paris, 1967
« Remarques psychanalytiques sur l'autobiographie d'un cas de paranoïa (« Remarques psychanalytiques sur l'autobiographie d'un cas de paranoïa (DementiaDementia
paranoidesparanoides) », in ) », in Cinq PsychanalysesCinq Psychanalyses, P.U.F., Paris, 1967, P.U.F., Paris, 1967
« Au-delà du principe de plaisir », in « Au-delà du principe de plaisir », in Essais de psychanalyseEssais de psychanalyse, Payot, Paris, 1970, Payot, Paris, 1970
« Des sens opposés dans les mots primitifs », in « Des sens opposés dans les mots primitifs », in Essais de psychanalyse appliquéeEssais de psychanalyse appliquée,,
Gallimard, Paris, 1933Gallimard, Paris, 1933
« Un enfant est battu », in « Un enfant est battu », in Névrose, psychose et perversionNévrose, psychose et perversion, P.U.F., 1973, P.U.F., 1973
« Pulsion et destin des pulsions », in « Pulsion et destin des pulsions », in MétapsychologieMétapsychologie, Gallimard, 1952, Gallimard, 1952
« L'Inquiétante étrangeté », in « L'Inquiétante étrangeté », in Essais de psychanalyse appliquéeEssais de psychanalyse appliquée, , ibid.ibid., 1933, 1933
Psychopathologie de la vie quotidiennePsychopathologie de la vie quotidienne, Payot, 1967.Chez Jacques Lacan, il n'est, Payot, 1967.Chez Jacques Lacan, il n'est
pratiquement pas de texte qui ne touche l'une ou l'autre des questions décisives. Lepratiquement pas de texte qui ne touche l'une ou l'autre des questions décisives. Le
texte fondateur, connu sous le nom de Rapport de Rome et intitulé « Fonction et champtexte fondateur, connu sous le nom de Rapport de Rome et intitulé « Fonction et champ
de la parole et du langage en psychanalyse », se trouve dans les de la parole et du langage en psychanalyse », se trouve dans les ÉcritsÉcrits, Seuil, Paris,, Seuil, Paris,
1966. On y trouvera également « L'Instance de la lettre dans l'inconscient ou la raison1966. On y trouvera également « L'Instance de la lettre dans l'inconscient ou la raison
depuis Freud » et « D'une question préliminaire à tout traitement possible de ladepuis Freud » et « D'une question préliminaire à tout traitement possible de la
psychose ». Les psychose ». Les ÉcritsÉcrits ne sauraient être entièrement compris, si l'on n'y ajoute au ne sauraient être entièrement compris, si l'on n'y ajoute au
moins « L'Étourdit », in moins « L'Étourdit », in ScilicetScilicet (4), Seuil, 1973 et (4), Seuil, 1973 et EncoreEncore, , ibid.ibid., 1975.M. A, 1975.M. ARRIVÉRRIVÉ,,
Linguistique et psychanalyseLinguistique et psychanalyse, Klincksieck, Paris, 1986, Klincksieck, Paris, 1986
É. BÉ. BENVENISTEENVENISTE, « Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne »,, « Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne »,
in in Problèmes de linguistique généraleProblèmes de linguistique générale, Gallimard, Paris, 1966, Gallimard, Paris, 1966
I. FI. FÓNAGYÓNAGY, , La Vive VoixLa Vive Voix, Payot, Paris, 1983, rééd. 1991, Payot, Paris, 1983, rééd. 1991
R. JR. JAKOBSONAKOBSON, , Essais de linguistique généraleEssais de linguistique générale, Minuit, Paris, 1963, Minuit, Paris, 1963
Questions de poétiqueQuestions de poétique, Seuil, Paris, 1973, Seuil, Paris, 1973
Russie, folie, poésieRussie, folie, poésie, , ibid.ibid., 1987, 1987
Lacan avec les philosophesLacan avec les philosophes, colloque, Albin Michel, 1991, colloque, Albin Michel, 1991
J. A. MJ. A. MILLERILLER, « Action de la structure », in , « Action de la structure », in Cahiers pour l'analyseCahiers pour l'analyse
J.-C. MJ.-C. MILNERILNER, , L'Amour de la langueL'Amour de la langue, Seuil, 1978, Seuil, 1978
« Sens opposés et noms indiscernables : K. Abel comme refoulé d'É. Benveniste », in S.,« Sens opposés et noms indiscernables : K. Abel comme refoulé d'É. Benveniste », in S.,
Auroux, Auroux, La Linguistique fantastiqueLa Linguistique fantastique, Clims-Denoël, Paris, 1985, Clims-Denoël, Paris, 1985
R. A. SR. A. SPITZPITZ, , Le Non et le ouiLe Non et le oui, P.U.F., Paris, 1962, P.U.F., Paris, 1962
De la naissance à la paroleDe la naissance à la parole, , ibid.ibid., 1968., 1968.
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