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1 Volume 16 ième Juillet 2016 ISSN 2308-7676
Tiré à part
NodusSciendi.net Volume 16 ième Juillet 2016
Volume 16 ième Juillet 2016
Étude Réunie par
Dr. DJOKOURI Innocent
Université Péléforo Gon Coulibaly
ISSN 2308-7676
2 Volume 16 ième Juillet 2016 ISSN 2308-7676
Comité scientifique de Revue
BEGENAT-NEUSCHÄFER, Anne, Professeur des Universités, Université d'Aix-la-chapelle
BLÉDÉ, Logbo, Professeur des Universités, U. Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
BOA, Thiémélé L. Ramsès, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny
BOHUI, Djédjé Hilaire, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny
DJIMAN, Kasimi, Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny
KONÉ, Amadou, Professeur des Universités, Georgetown University, Washington DC
MADÉBÉ, Georice Berthin, Professeur des Universités, CENAREST-IRSH/UOB
SISSAO, Alain Joseph, Professeur des Universités, INSS/CNRST, Ouagadougou
TRAORÉ, François Bruno, Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny
VION-DURY, Juliette, Professeur des Universités, Université Paris XIII
VOISIN, Patrick, Professeur de chaire supérieure en hypokhâgne et khâgne A/L ULM, Pau
WESTPHAL, Bertrand, Professeur des Universités, Université de Limoges
Organisation
Publication / DIANDUÉ Bi Kacou Parfait,
Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
Rédaction / KONANDRI Affoué Virgine,
Professeur des Universités, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
Production / SYLLA Abdoulaye,
Maître de Conférences, Université Félix Houphouët Boigny, de Cocody-Abidjan
3 Volume 16 ième Juillet 2016 ISSN 2308-7676
Sommaire
1- Dr. NAKOULMA Arouna Goama, Politiques et stratégies de lutte contre la pauvreté au
Burkina Faso : perceptions des populations
2- Dr. ADEKAPTE Alain, Syntaxe et sémantique des locutions verbales du Krobou
3- Dr. ASSEMIEN Viviane Épouse ADIKO, España ante el reto energético de Evo Morales
en Bolivia
4- Dr. DIOMANDÉ Yoeu Patricia, Pour une poétique de l’exil dans journal "nationalité
immigré(e)" de Sakinna Boukhedenna
5- Dr. GOUZA Martial, De la dérive a la réinvention de la vie culturelle: le point de vue de
los pasos perdidos d’Alejo Carpentier
6- Dr. N’GUESSAN Konan Lazare, Énonciation et potentiel agressif : cas du personnage de
l’interprète chez Kourouma
7- TOPE Beugré Nizié Carine Michelle, Les obstacles { l’acceptation et { l’utilisation du
préservatif féminin chez les jeunes abidjanais : cas des jeunes de Yopougon
8- Dr. IBITOWA Philippe, L’usage de l’analogie dans la campagne d’affichage du candidat
Alassane Ouattara lors de l’élection présidentielle d’octobre 2015
9- Pr. KRA Raymond Kouassi, La communication numérique et ses enjeux pour
l’administration territoriale ou des conditions pour un e-administration efficace des
collectivités locales en côte d’ivoire
10- Dr. SIDIBE Moussa, La dramatisation de la violence dans le théâtre de Bandaman
Maurice
11- Dr. KANGA Konan Arsène, L’hybridation dans le jeu de composition romanesque d’Ahmadou Kourouma et de Tiburce Koffi
12- Dr. PAGNET Doh Clément, Le récit allégorique dans la parole judiciaire we: poétique
d’un genre.
13- Dr. KONAN Kouassi Joseph, Valeurs traditionnelles et protection des espaces naturels :
cas du parc naturel marin des iles éhotilés en Côte d’Ivoire.
14- Dr. DJOKOURI Innocent, Le discours direct libre, marqueur de "relais" dans Monnè,
outrages et défis d'Ahmadou Kourouma
4 Volume 16 ième Juillet 2016 ISSN 2308-7676
15- Dr. BOGUI Jean-Jacques, Étude de l’influence du processus d’identification et de
surveillance des usagers des technologies numériques en Côte d’Ivoire sur leurs activités
dans le cyberespace
16- Dr. DIALLA Basga Emile, La situation de la formation professionnelle au Burkina Faso :
évolution, contraintes et perspectives
5 Volume 16 ième Juillet 2016 ISSN 2308-7676
Étude de l’influence du processus d’identification et de
surveillance des usagers des technologies numériques en
Côte d’Ivoire sur leurs activités dans le cyberespace
Jean-Jacques Bogui
Maître Assistant
Département des sciences de la Communication
Université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan
Introduction
En Côte d’Ivoire, l’application du « décret n°2011-476 du 21 décembre 2011 portant
identification1 des abonnés des services de télécommunications ouverts au public » à
partir du premier janvier 2012, l’érection d’une structure de lutte contre la
cybercriminalité (PLCC), ainsi que l’implication de la police scientifique dans l’opération
sont, entre autres, les mesures prises par l’État pour assurer la régulation des usages des
technologies de l’information et de la communication (TIC) et la sécurisation du
cyberespace dans ce pays.
C’est ainsi que l’identification va devenir une condition légale et préalable { l’utilisation
des TIC (abonnement au mobile et à Internet) dans ce pays où le commerce informel a
pendant longtemps joué un rôle important dans ce secteur d’activité. Outre
l’identification des abonnés, celle des usagers (notamment dans les cybercafés d’où 70 %
des internautes ivoiriens ont accès à Internet) est un élément essentiel de cette politique
bien que difficilement réalisable dans les faits. Cependant, la nécessité selon le
gouvernement ivoirien d’accroitre le contrôle et la surveillance des usagers du
cyberespace par une politique rigoureuse d’identification de tous les abonnés au mobile
et { Internet est diversement interprétée par l’opinion publique. Si certains considèrent
cette mesure salutaire pour lutter contre la cybercriminalité et la montée du terrorisme
1 L’enregistrement du numéro de téléphone, la présentation de la carte d’identité, la prise d’image photographique de la pièce d’identité, l’indication du lieu d’habitation et l’attribution par les opérateurs { chaque abonné d’un nouveau numéro secret stocké dans la carte SIM.
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en Afrique et dans le monde, d’autres par contre perçoivent plutôt cette initiative
comme un prétexte pour combler le besoin pour les gouvernants de ce pays de «
discipliner » et de contrôler le débat sociopolitique dans l’espace public numérique et
l’interpellation de blogueurs par la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) dans le
cadre de la diffusion des opinions sur le drame des festivités du Nouvel An 20132 a sans
aucun doute participé à conforter ce sentiment. En effet, Dans ce pays où nous avons
mené des investigations, de nombreuses résistances (Ex. refus de présenter une pièce
d’identité valide) ont pu être observées au cours de cette campagne d’identification des
abonnés aux services mobiles et Internet. De l’aveu même d’un responsable de la
direction de l’informatique et des traces technologiques (DITT) de la police scientifique
de la Côte d’Ivoire que nous avons interrogé, la tâche des agents recenseurs qui étaient
des employés d’entreprises privées fut difficile, car plusieurs individus se sont présentés
avec de fausses cartes d’identité afin d’éviter de décliner leur vraie identité et donc de se
soustraire { la surveillance et au contrôle étatique. L’identification est perçue par ces
personnes comme une stratégie de démasquage qui porte atteinte aux libertés
individuelles dans la consommation des médias numériques.
L’objectif de cet article est d’analyser les conséquences de la politique d’identification (et
de surveillance) des usagers du mobile et d’Internet sur les activités des blogueurs et
autres usagers des réseaux sociaux en Côte d’Ivoire. Nous émettons l’hypothèse que
l’identification des usagers du mobile et d’Internet entraine des formes d’autocensures
dans leurs activités dans le cyberespace.
À travers une étude qualitative réalisée { l’aide d’un guide d’entretien auprès de vingt
blogueurs et usagers de réseaux sociaux (sept blogueurs et treize usagers réguliers3 de
facebook ou twitter) en Côte d’Ivoire en novembre 2014, nous analyserons l’influence de
cette campagne d’identification sur leurs activités dans le cyberespace. Les internautes
ivoiriens que nous avons interrogés appartenaient à divers horizons professionnels
(étudiants, journalistes, enseignants, community manager, agents administratifs, etc.),
leur âge variait de 25 { 40 ans et leur expérience dans l’usage de blogue ou la
participation { des forums de discussion en ligne était variée (de moins d’une année pour
certains à plus de cinq ans pour d’autres). Il s’agit d’une étude exploratoire, qui ne saurait
prétendre { l’exhaustivité.
2 Au cours de ces festivités une bousculade a occasionné de nombreux morts et des blessés graves. De nombreux internautes ivoiriens ont mis en cause le travail des policiers chargés de canaliser la foule lors de cet évènement. 3 On entend par usagers réguliers des personnes qui font usage au moins une fois par semaine de Facebook
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Au cours des entretiens que nous avons eu avec ces « cyberactivites » ivoiriens, nous
nous sommes intéressé à leurs motivations, leur organisation (par exemple la conciliation
entre activité professionnel, vie de famille et gestion d’un blogue), { leur perception du
rôle que jouent les plateformes numériques (blogues, forums, etc.) pour la démocratie
en Côte d’Ivoire, de leur positionnement par rapport aux médias traditionnels et enfin de
leurs rapports avec la classe politique (cette partie concernait surtout les blogueurs)
Ce texte est structuré en trois parties. Dans la première partie nous nous intéressons au
contexte médiatique ivoirien et au potentiel des technologies numériques comme moyen
de libération de l’espace public dans les pays en voie de démocratisation (vision dite
athénienne). La seconde partie nous donne l’occasion de revenir sur quelques approches
théoriques plus critiques de la société de l’information (vision dite orwellienne) et enfin
la troisième et dernière partie de cet article est consacrée à la présentation des résultats
de l’enquête et { leur discussion.
1. Technologies numériques et émergence d’un espace public dans les pays en voie de démocratisation
Si dans les pays dits démocratiques l’influence des forces politiques et économiques sur
les médias peut paraître plus subtile, dans certains pays dont les régimes sont perçus
comme autoritaires ou en voie de démocratisation, l’interférence des pouvoirs publics
dans le travail des journalistes est généralement plus évidente. Cependant, que les
médias soient situés dans les pays démocratiques ou dans des pays à tendance
dictatoriale, ils reflètent le contexte socio-politique dans lequel ils se déploient.
Fouda (2009), critique l’embrigadement des médias d’État qui ont pourtant une vocation
de service public dans les pays africains. En effet, ces médias jouent un rôle de relais pour
les gouvernements et partis au pouvoir tandis que l’opposition est totalement absente
des contenus. Plusieurs exemples en Côte d’Ivoire et au Cameroun sont apportés par
l’auteur :
« Pour ce qui est des médias d’État officiellement de service public, ceux-ci
sont un véritable relais des instructions gouvernementales et du parti au
pouvoir. Dans une étude réalisée en 1999 et publiée en 2004, il ressort que
dans le journal télévisé de la Radio Télévision Ivoirienne (RTI), 77% des
nouvelles sont consacrées aux activités du parti au pouvoir et aux activités
gouvernementales. Le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune étudié
sur une année consacre 11 pages sur 32 aux activités du RDPC, parti du
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Président de la République ou des partis dits de la majorité présidentielle
(Fouda 2009, p. 203) ».
En ce qui concerne la Côte d’Ivoire bien que pour cette étude nous n’avons pas procédé {
une analyse du contenu des informations diffusées dans les différentes éditions de
journaux télévisés des chaines (Radio et télévision) de la RTI en 2016, Les témoignages de
nombreux auditeurs et téléspectateurs que nous avons recueillis de même que les
critiques des leaders de l’opposition politique nous fondent { croire que près de deux
décennies plus tard la situation n’a guère sensiblement évolué. Par ailleurs, bien qu’une
presse écrite privée existe dans ce pays, il faut avouer que la présence d’un Conseil
national de la presse (CNP) dont les dirigeants sont nommés par le gouvernement
ivoiriens et détenant un pouvoir de sanction et surtout de suspension des médias
privées4 contrairement au modèle canadien5 par exemple dont il est pourtant inspiré ne
permet pas toujours aux médias de jouer leur rôle d’espace public selon plusieurs
journalistes avec lesquels nous avons eu l’occasion de nous entretenir. L’autocensure
apparait ainsi comme une réalité avec laquelle les journalistes ivoiriens exerçant aussi
bien dans les médias publics que les médias privés doivent composer. Le CNP
apparaissant de plus en plus pour certains journalistes comme un bureau de la censure.
Par ailleurs, ce pays est l’un des rares en Afrique francophone { ne pas avoir encore
véritablement libéralisé le secteur de la télévision6. Il faut souligner que la Côte d’Ivoire
apparait en quatre-vingt-sixième position au classement mondial de la liberté de la presse
de l’organisation Reporters sans frontières7.
Dans la même optique mais dans une autre sphère géographique, Khamis (2013, p.59)
affirme qu’avant l’arrivée des chaînes de télévision satellitaires et d’Internet en 1990, la
plupart des médias du monde Arabe appartenaient aux gouvernements et la majorité
fonctionnait sous leur stricte surveillance. À l’époque, les gouvernements contrôlaient
largement les médias afin de maintenir la population le moins informée possible, de
4 Au cours des cinq dernières années le CNP de Côte d’Ivoire a infligé { de nombreuses reprises des suspensions allant d’une { plus de vingt parutions { plusieurs médias indépendants majoritairement proche de l’opposition pour des motifs divers. 5 Dans ce pays le CNP est avant tout un tribunal d’honneur qui interpelle les médias en cas de non-respect de l’éthique et de la déontologie. Cette structure est entièrement indépendante vis-à-vis du gouvernement et ses membres sont désigner par leur corporation. Au Québec le CNP est constitué de représentants des patrons de presse, des journalistes et du public. 6 Jusqu’{ ce jour malgré les promesses gouvernementales il n’existe aucune chaine de télévision privée typiquement ivoirienne. Les téléspectateurs ivoiriens ont le choix entre les deux chaines de télévision publiques de la RTI et le bouquet de Canal + Afrique. Cependant, avec l’avènement de la TNT la situation devrait évoluer d’ici quelques années. À ce niveau la Côte d’Ivoire semble très en retard par rapport { ses voisins. 7 https://rsf.org/fr/ranking_table
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façon { ce qu’elles ne soient pas en mesure de participer aux controverses politiques et
aux débats nationaux. Néanmoins, selon Khamis, l’apparition des chaines de télévision
satellitaires et d’Internet changera profondément la donne avec « un panorama pluriel et
divers, où des voix représentant différentes positions et orientations politiques peuvent
se faire entendre simultanément, donner leur avis dans les débats politiques en cours et
contribuer { la formation d’un large éventail d’opinions publiques (Khamis. 2013, p.60) ».
C’est ainsi que le développement des technologies médiatiques va faire l’objet de
perceptions contradictoires (la dichotomie Athènes – Orwell). La vision dite athénienne
perçoit une association entre les technologies médiatiques, la démocratie, la
communication et le progrès social (Levy, 2002). Cette approche met en relief les aspects
égalitaires et libérateurs que peuvent favoriser ces technologies. Dans cette perspective,
la source des conflits est généralement perçue comme étant due à un manque de
communication, le rôle des réseaux de communication étant de rétablir le lien social.
« Les caractéristiques des réseaux électroniques, comme l’accès {
l’information, l’interactivité, la numérisation et la transmission { haut débit
suscite un optimisme fondé sur l’idée que pourront être réalisés deux des plus
chers idéaux de la démocratie qui concernent directement la sphère publique
: la transparence et l’agora. » (Gingras, 2009, p.216)
La transparence du réseau se justifierait par l’accès { l’information d’une vaste quantité
de documents (documents publics, archives, résultats de recherches, etc.). L’avènement
des technologies numériques a favorisé une augmentation des opportunités offertes aux
citoyens d’avoir accès { l’information, d’exprimer leurs opinions, voire même de faire
concurrence aux professionnels de l’information (Bougnoux, 2007 ; Ramonet, 2011). On
peut relever que lors de deux des évènements les plus tragiques qu’a connu la Côte
d’Ivoire au cours trois dernières années { savoir la bousculade lors des festivités du
nouvel an le premier janvier 2013 qui a fait des dizaines de morts et l’attentat terroriste
perpétré par les Djihadistes de l’AQMI le 13 mars 2016 { Grand-Bassam avec un bilan de 18
décès, ce sont d’abord les réseaux sociaux qui ont permis au public ivoirien d’avoir accès
{ l’information et aux images qui ont été diffusées par la suite par les médias
internationaux. Les médias d’États n’ont parlé de cette situation que plusieurs heures
plus tard après le communiquer officiel du gouvernement. De nombreux citoyens ont
même eu à dénoncer le fait que la chaine de télévision RTI1 présentait un match du
championnat national de football au moment où ces informations faisaient le tour du
monde par le canal des réseaux sociaux et des chaines de télévisions satellitaires.
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Les médias sociaux numériques peuvent ainsi être perçus comme de remarquables
moyens de mobilisation et d’action, mais également un important contrepoids aux
médias traditionnels (Bougnoux, 2007) dans la diffusion d’information. L’agora est
permise en raison du caractère interactif du dispositif qui favorise les échanges entre les
usagers (groupe de discussion, blogues, etc.) et la liberté d’expression en raison de
l’absence de contrôle (Gingras, 2009, p. 216).
Malgré la fracture numérique une partie des citoyens ivoiriens (notamment les plus
jeunes) comme ceux du monde Arabe commence à faire un usage régulier de ces
technologies numériques qui leur offre la possibilité d’avoir un accès plus aisé à
l’information et surtout de pouvoir s’exprimer et critiquer les tares de la société dans
laquelle ils vivent. C’est ainsi que les blogues et les forums sur les réseaux sociaux tel que
l’Observatoire démocratique de la Côte d’Ivoire (ODCI) sur Facebook ont été assez
rapidement perçu comme les nouveaux espaces publics pouvant leur permettre de
s’exprimer et de débattre des questions d’intérêt public, possibilité que les médias
d’États et la presse privée (trop partisane selon certains ivoiriens) offrent assez rarement
aux citoyens dans ce pays. Les réseaux sociaux (surtout Facebook) apparaissent comme
des espaces de dénonciation des problèmes sociaux et des travers de la société
ivoirienne. On peut citer en exemple les échanges virulents entre le porte-parole du
gouvernement et des internautes sur sa page Facebook en avril 2016 à propos de la
cherté de la vie qu’il semblait avoir voulu nier lors d’un échange avec la presse.
Les réseaux sociaux apparaissent ainsi dans ce pays pour certains citoyens comme les
seuls espaces publics échappant { l’emprise de l’État. C’est ainsi que l’opération
d’identification des abonnés aux services de téléphonie mobile et { Internet qui accroit
les capacités de surveillance et de contrôle de l’espace public numérique a été tièdement
accueilli par certains ivoiriens et permet d’ouvrir le débat sur le potentiel de surveillance
et de contrôle sociale des technologies numériques qui se trouve au centre des intérêts
des tenants de la vision « orwellienne » de la société de l’information.
2. Identification, surveillance et contrôle social dans la société de l’information
En effet, si Internet peut constituer un outil favorisant une plus grande transparence
dans l’action publique, les tenants de la vision « orwellienne » mettent en évidence le
potentiel de contrôle et de surveillance des technologies numériques.
Comme le souligne Ceyhan (2006), l’identification est « le processus d’assignation,
d’attestation, de certification d’une identité reconnaissable au sein d’un groupe ou d’une
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communauté au moyen de critères relativement stables » tandis que la surveillance
consiste en « l’observation, le suivi et l’examen des comportements, des déplacements,
des itinéraires, des relations d’une personne » ainsi qu’en « la collecte et le traitement des
informations liées à ces actes ». Ces pratiques qui ne sont pas neutres font partie des
techniques de pouvoir et de gouvernement de la vie des individus. Ces techniques de
surveillance peuvent ainsi être considérées comme un dispositif disciplinaire (Foucault,
1975).
Les informations personnelles des citoyens sont aujourd’hui plus faciles { acquérir grâce
au réseau Internet (connaissances de l’identité, des habitudes de navigation, de
consommation, etc.). Il existe sur le réseau Internet des dispositifs tels que les cookies8
dont l’utilisation joue un rôle clé dans les actions et l’analyse marketing sur Internet.
« L’amélioration de la gestion sert d’argument parapluie pour l’introduction
des technologies médiatiques ; parmi les avantages ciblés, on note une
augmentation de la rapidité et de l’efficacité des services, la simplification des
rapports avec l’État et une meilleure prise en compte des besoins des
clientèles grâce à leur connaissance accrue. » Selon Gingras (2009, p. 219).
Cependant, ils peuvent être également utilisés pour déceler des comportements pouvant
être considérés comme dangereux pour la société ou pour le traçage et le fichage des
citoyens { partir d’informations sur leurs gouts, habitudes, obédiences politique ou
idéologique, etc. C’est ainsi que les technologies numériques loin de favoriser la
transparence se présentent plutôt comme des instruments facilitant l’espionnage et le
profilage de la population. La société de l’information serait plutôt une société du
contrôle et de la surveillance. Bennett et al. (2014, p.7) définissent cette notion de
surveillance comme « tout intérêt particulier accordé systématiquement à de
l’information personnelle en vue d’influencer, de gérer, d’autoriser ou de contrôler les
personnes à qui se rapportent les renseignements amassés ». Certains auteurs parlent
également de profilage de la population qui se défini selon Mattelart et Vitalis, 2014, p.5)
comme :
« … une forme de contrôle indirect des individus { partir de l’exploitation des
informations prélevées sur eux. Du livret ouvrier aux registres de police et aux
fichiers manuels, jusqu’{ l’apparition de l’Informatique puis de l’Internet,
8 Selon le site Internet de Microsoft les cookies sont de petits fichiers que les sites Web mettent sur le disque dur de votre ordinateur lors de votre première visite. Représentez-vous un cookie comme une carte d'identification qui est uniquement la vôtre. Son travail est d'indiquer au site lorsque vous y retournez.
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cette forme de contrôle n’a cessé de se perfectionner et de s’étendre. (…)
Des forces de l’ordre { la banque, des services de renseignement au
Marketing, en passant par l’institution scolaire et les services
psychomédicaux, peu de secteurs d’activité y échappent »
La métaphore du panoptique a été régulièrement utilisée ces dernières années par
certains chercheurs pour décrire les formes de surveillance qui se sont développées dans
nos sociétés contemporaines.
C’est dans son livre intitulé surveillé et punir parut en 1975 que le philosophe français
Michel Foucault a développé la métaphore du panoptique. L’approche de cet auteur est
inspirée du modèle architectural de la prison panoptique du 18e siècle inventée par le
Jeremy Bentham et qui peut également s’appliquer à différents établissements
d’enfermement (usines, écoles, etc.). On retrouve au centre de l’édifice une tour où des
gardes peuvent en permanence surveiller des individus installés dans une enceinte
périphérique. Mais ces derniers ne peuvent en retour voir les surveillants installés dans la
tour puisque celle-ci est munie de volets qui ne permettent pas de voir de l’extérieur ce
qui se passe { l’intérieur de cette tour.
« Le pouvoir est une sorte de présence absente, une virtualité, puisqu’on ne peut jamais
savoir si l’on est effectivement surveillé { tel ou tel moment, mais il est cependant doté
d’effets réels» (Ottoviani, 2003). Comme l’indique Foucault (1975, p.235) « Celui qui est
soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du
pouvoir ; [...] il devient le principe de son propre assujettissement ».
Pour Leclercq et Isaac (2013) : « Foucault met ainsi en évidence une articulation entre les
processus matériels et physiques de surveillance, et les mécanismes socio-cognitifs qui
conduisent { l’intériorisation de cette surveillance par les sujets ». Le panoptisme est
perçu par Foucault comme « un des traits spécifiques aux technologies politiques
modernes d’asservissement, la figure moderne des disciplines » (Ragoucy, 2010, p. 49).
Pour Foucault la discipline est une « force positive d’incitation et d’orientation », elle est «
une fonction normalisatrice » (Ottaviani, 2013).
On peut assimiler la décision du gouvernement ivoirien de procéder { l’identification de
tous les usagers du cyberespace dans le pays à un dispositif panoptique en vue de
discipliner les usagers des technologies numériques dans le pays. L’objectif poursuivit
comme l’ont confirmé des responsables de la lutte contre la cybercriminalité en Côte
d’Ivoire au cours d’entretiens qu’ils nous ont accordé est de faire en sorte que se sachant
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désormais identifiés et donc sous surveillance les usagers du cyberespace dans ce pays
soient emmenés { s’auto-discipliner. Cependant, selon une étude réalisée aux États-Unis
par Elizabeth Stoycheff (2016) plus qu’un système disciplinaire la surveillance numérique
peut entrainer également une « spirale du silence9 ». Selon cette étude la conscience de
la surveillance gouvernementale pousse les gens à autocensurer la publication en ligne
de leurs opinions dissidentes. Cette étude s’intéresse aux effets causés par des rappels
subtils de surveillance de masse exercée sur les sujets. Ainsi pour Elizabeth Stoycheff
(2016) la conscience d’une surveillance gouvernementale en ligne favorise une culture de
l’autocensure particulièrement au sein des groupes minoritaires, ce qu’elle considère
comme un danger pour la démocratie.
On peut donc légitimement se demander comment cette surveillance panoptique
influence-t-elle les usagers ivoiriens du cyberespace ?
3. Technologies numériques et liberté d’expression en Côte d’Ivoire
Dans cette partie de l’article seront présentés les résultats de l’enquête réalisée auprès
de vingt usagers réguliers d’Internet en Côte d’Ivoire.
3-1 les motivations des usagers de l’espace public numérique en Côte d’Ivoire
Selon les informations recueillies durant l’enquête nous pouvons affirmer que les
principales motivations des blogueurs et des usagers de réseaux sociaux que nous avons
interrogés sont l’amour de l’écriture, le besoin de s’exprimer et de pouvoir raconter { un
grand nombre de personnes ce qu’ils observent dans leur environnement, le plaisir de
partager leurs opinions avec d’autres, le besoin de dénoncer les tares de la société
ivoirienne et d’encourager les bonnes initiatives, la volonté de pouvoir avoir un impact
sur la société et sur le comportement des citoyens, le souhait d’acquérir des
connaissances grâces aux interactions avec d’autres, de partager une passion ou un
centre d’intérêt avec un grand nombre de personnes (environnement, technologies
numériques, médias, actualité, culture, femmes, etc.), l’envie d’échapper aux contraintes
éditoriales10, de faire son marketing personnel (pour certains blogueurs). Le cyberespace
apparait pour ces personnes comme le principal espace public qui leur permet de réaliser
leurs vœux en Côte d’Ivoire. Cependant, ils sont plusieurs { dénoncer les difficultés
9 La « spirale du silence » est un phénomène étudié par Noelle-Neuman (1974) selon lequel les gens refrènent des opinions impopulaires pour s'adapter et éviter l'isolement social. 10 Pour les journalistes qui reprochent aux médias traditionnels d’être trop portés sur la rentabilité économique.
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d’accès { Internet (dû le plus souvent { la mauvaise qualité du réseau) qui ne leur permet
pas de pouvoir avoir une activité aussi régulière qu’ils le souhaitent dans le cyberespace.
La plupart des personnes interrogées malgré leurs occupations professionnelles essaient
d’intervenir au moins une fois par semaine sur les plateformes en ligne. Cependant, si les
usagers des forums de discussion sur les réseaux sociaux ne ressentent aucune
contrainte particulière relative { leur présence sur la toile, ce n’est pas le cas des
blogueurs pour lesquels l’engagement s’avère plus contraignant. Pour un journaliste-
blogueurs que nous avons interrogés l’animation des trois blogues (consacrés
respectivement aux femmes, aux médias et { l’actualité) qu’il détient est perçu comme
un prolongement de son activité de journaliste. Il utilise une partie de ses fins de
semaines { la rédaction d’articles pour ses blogues. Les autres blogueurs en général
essaient d’écrire au moins un article par semaine.
Plusieurs de ces blogueurs hébergent leur blogue sur la plateforme francophone créée
par Radio France Internationale (RFI) Mondo blog dont l’enjeu de la création est selon
cette radio internationale appartenant { l’État français de contribuer { la création de
contenu francophone de qualité sur Internet. Pour ces blogueurs leur présence sur cette
plateforme est une opportunité d’accroitre la visibilité de leurs écrits dans le monde. Une
blogueuse interroger mettait en avant la chance qu’elle avait de participer { une initiative
mondiale grâce { cette plateforme. Cependant, pour bon nombre d’entre eux être
membre de Mondo blog leur permet surtout de bénéficier de la « protection » de RFI. Une
majorité également d’entre eux est membre de l’Association des blogueurs de Côte
d’Ivoire (ABCI), ce qui témoigne de leur volonté de s’organiser et de faire la promotion de
cette activité dans le pays.
Certains blogueurs possèdent à la fois un blogue sur mondo blog et un autre personnel
hébergé sur un autre plateforme sur laquelle ils peuvent recevoir de la publicité. En effet,
l’intérêt de certains annonceurs pour les blogues commence { prendre de l’ampleur
notamment les compagnies opérant dans le domaine des télécommunications et
d’Internet. C’est ainsi qu’on peut craindre que la quête de la rentabilité économique
finisse par avoir un impact sur les activités et plus particulièrement la liberté d’expression
de certains blogueurs.
La stratégie qui se dégage chez la plupart de ces blogueurs pour pouvoir être lu par un
grand nombre de personnes est de s’inscrire sur un ou plusieurs forums de discussion en
ligne (la plupart du temps sur Facebook).
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3-2 Réseaux sociaux et démocratie en Côte d’Ivoire
Toutes les personnes interrogées sont intimement convaincues que les réseaux sociaux
jouent un rôle majeur dans le développement d’une démocratie en Côte d’Ivoire. Selon
elles les réseaux sociaux offrent aux citoyens des tribunes pour s’exprimer plus librement
et dénoncer les tares de la société. Par exemple, ils considèrent pour la plupart que les
réseaux sociaux ont activement participé { la mobilisation de l’opinion publique lors
d’événements tragiques tel que le décès du mannequin Awa Fadika11. Les blogueurs par
leurs dénonciations ont également obligé le gouvernement { réagir face { d’autres
problèmes sociaux tels que les inondations qui ont eu lieu en 2014 dans certains quartiers
défavorisés de la ville d’Abidjan.
Cependant si certains blogues sont politiquement engagés, notre enquête nous a permis
de relever que ces blogues sont surtout tenus par des personnes vivant { l’étranger
(exemple : le blogueur Théophile Kouamouo qui fait office de pionnier en la matière). En
effet, la quasi-totalité des blogueurs interrogés se montrent d’une très grande prudence
quand il s’agit de s’exprimer sur des questions politiques (l’état de la démocratie dans le
pays, l’organisation des élections, les prisonniers politiques, etc.). Ils sont nombreux à
avouer éviter délibérément les questions politiques par prudence. Comme disait un des
enquêtés « on ne sait jamais ! ». L’interpellation de deux blogueurs au lendemain des
événements du nouvel an 2013 semble avoir marqué les esprits bien que selon les
enquêtés la mobilisation sur les réseaux sociaux a certainement joué un grand rôle dans
leur rapide libération. Les blogueurs ont donc tendance plus que les autres usagers
réguliers des réseaux sociaux à privilégier les faits de sociétés ou les problèmes sociaux.
L’usage de l’humour également est assez fréquent pour aborder certaines questions
sensibles dans leur blogue. Selon un blogueur que nous avons interrogé : « le discours
engagé est une double prise de risque à savoir le risque de perdre une partie de son
lectorat et le risque d’une éventuelle répression des autorités ».
Les autres « cyberactivistes » ivoiriens semblent plus { l’aise pour aborder certains sujets
« tabous » tels que la politique ou l’homosexualité grâce { l’usage de pseudonymes. Pour
échapper à la surveillance étatique certains ont avoué préférer se connecter dans des
cybercafés lorsqu’ils souhaitent s’exprimer sur des sujets considérés comme sensibles
afin de ne pas être reconnu par le canal de leur adresse IP. Malgré la méfiance { l’égard
de la politique nationale, les personnes interrogées estiment que les blogueurs apportent 11 Victime d’une agression, elle est morte après son transfert dans l’un des plus importants centres hospitaliers publics de la capitale économique ivoirienne qui fut accusée de non-assistance à personne en danger. Cette situation a entrainé de vives critiques de la population sur les conditions de soins dans les hôpitaux du pays.
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en publiant les résultats de chaque circonscription lors des élections locales en temps
réel une aide considérable dans la lutte contre la fraude électorale et participent ainsi au
renforcement de la démocratie en Côte d’Ivoire. Le lancement par les blogueurs du
projet citizen café de formation des blogueurs au reporting lors des élections est une
initiative de l’ABCI qui a connu selon certains enquêtés un succès intéressant.
On constate que de plus en plus d’entreprises commencent { s’intéresser aux blogueurs
ivoiriens. Ces entreprises selon les enquêtés perçoivent leur collaboration avec les
blogueurs comme un moyen de préserver leur image de marque. C’est ainsi que des
contrats publicitaires sont maintenant proposés à des blogueurs par certaines
entreprises. L’ABCI aide les blogueurs ivoiriens { négocier ces contrats. S’il est légitime
de craindre que les intérêts économiques finissent par entraver la liberté d’expression
des blogueurs notamment lorsqu’il s’agit de sujets pouvant porter atteinte { l’image de
ces annonceurs, les blogueurs interrogés tout en reconnaissant la pertinence de ces
questionnements estiment que la diversité des blogues réduit sensiblement l’impact de
cette situation.
Pour la grande majorité des enquêtés leur activité est complémentaire à celles des
médias traditionnels auxquels ils reprochent d’avoir moins de liberté qu’eux et d’être
plus aisément soumis à la censure. Les difficultés d’accès { Internet de la grande majorité
de la population rend utopique toute idée de concurrence avec les médias classiques
auxquels le public est plus habitué. Cependant, ils estiment avoir l’avantage
contrairement au journaliste classique de ne pas être obligés de se soumettre aux
contraintes d’une ligne éditoriale ou d’un rédacteur-en-chef qui jouerait le rôle de
gatekeeper. Cependant, ils sont fiers de constater que leurs activités peuvent servir de
sources d’inspiration aux médias traditionnels. Selon certains enquêtés plusieurs
chroniques sur RFI sont inspirés des productions de blogueurs sur la plateforme Mondo
Blog. L’information sur les réseaux sociaux est diffusée plus rapidement que dans les
médias classiques (exemple : Les évènements du nouvel an 2013) et ils apparaissent selon
les enquêtés comme une alternative en l’absence d’une véritable libéralisation du secteur
de l’audiovisuel en Côte d’Ivoire.
L’enquête révèle également que de plus en plus de personnalités politiques ivoiriens ont
commencé à embaucher des blogueurs comme community manager pour faire la
promotion de leurs idées et de leur image sur la toile. Certains usagers réguliers des
réseaux sociaux en Côte d’Ivoire sont utilisés selon certains enquêtés pour faire la
propagande de certaines idées ou actions dans l’intérêt de certains hommes politiques
sur les réseaux sociaux (marketing viral). On note ainsi l’existence d’un risque de
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détournement de la mission des blogueurs, le principal risque pour les blogueurs est la
perte de crédibilité qui est essentiel pour continuer d’exister. On peut également
constater que les pouvoirs publics utilisent depuis quelques temps certains blogues pour
faire la promotion de certaines valeurs (exemple : la lutte contre la cybercriminalité).
3-3 Espace public numérique en Côte d’Ivoire : entre liberté d’expression et autocensure
Les résultats de notre enquête nous permettent de constater que les réseaux sociaux
numériques en Côte d’Ivoire comme ce fut le cas dans le monde Arabe (Khamis, 2013) se
présentent comme de véritables alternatives aux médias publics encore trop influencés
par le gouvernement. Ces médias numériques facilitent l’accès { l’information et sont
devenus de véritables espaces où les citoyens ivoiriens peuvent s’exprimer et débattre
des questions d’intérêts publics au point d’apparaitre comme des concurrents aux
médias classiques (Bougnoux, 2007 ; Ramonet, 2011) soumis à différentes formes de
pressions politiques ou économiques. Ce constat est en phase avec la vision dite «
athénienne » qui établit une relation entre les technologies numériques, la démocratie, la
communication et le progrès social (Levy, 2002).
Cette approche met en évidence le potentiel des technologies numériques dans la
constitution d’un espace public, une agora qui se caractérise par son accessibilité { tous
les citoyens de façon égalitaire et transparente. Cependant, la nouvelle politique
d’identification de tous les usagers des technologies numériques et du cyberespace en
Côte d’Ivoirien met en lumière la question du potentiel de surveillance et de contrôle
sociale des technologies médiatiques dans une démocratie encore en construction
défendu par les tenants de la vision dite « orwelienne » (Lyon, 2001, Benett et al., 2014,
Mattelart et Vitalis, 2014).
La surveillance panoptique (Foucault, 1975) que permet le processus d’identification des
usagers des TIC en Côte d’Ivoire a comme on a pu le constater pour corollaire une prise
de conscience par les usagers des limites de l’agora que peu constituer le cyberespace en
Côte d’Ivoire. À l’instar de l’étude réalisée par Elizabeth Stoycheff (2016) aux États-Unis,
notre étude nous a permis de constater que par crainte de cette surveillance panoptique,
certains usagers des réseaux sociaux, généralement les blogueurs développent peu à
peu une culture de l’autocensure. Cette situation est particulièrement observable
lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des questions relevant de la politique. Ce constat
confirme ainsi l’hypothèse que nous avons émise au début de notre recherche selon
laquelle l’identification des usagers du mobile et d’Internet entraine des formes
d’autocensures dans leurs activités dans le cyberespace.
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Conclusion
L’apparition des technologies numériques et le développement de leur usage a favorisé
l’émergence de nouveaux espaces virtuels de discussion où les citoyens ivoiriens peuvent
débattre plus aisément des questions d’intérêt public. Cependant, si l’actions des usagers
des réseaux sociaux numériques en Côte d’Ivoire participe sans aucun doute au
renforcement de la démocratie, ces derniers doivent faire face depuis 2012 à la volonté
du gouvernement de ce pays de réguler les usages des technologies numériques dans le
pays par la mise en place d’une politique d’identification de tous les usagers des services
de téléphonie mobile et d’Internet.
Réguler les usages des TIC permet { l’État de Côte d’Ivoire en plus de lutter contre le
fléau de la cybercriminalité et le terrorisme, de maîtriser le nombre des abonnées et le
flux des communications. Cette régulation permet également { l’État ivoirien de
réaffirmer son autorité dans un espace public numérique qui échappait à son emprise. La
surveillance panoptique que permet ce processus d’identification a comme l’a démontré
cette étude une a certaine influence sur les activités des « cyberactivistes » ivoiriens sur
les réseaux sociaux numériques. Ces derniers ont tendances { faire preuve d’autocensure
face à certains sujets de nature politique considérés comme sensibles.
La question du respect de l’intimité et des libertés du citoyen dans l’usage des TIC reste
ainsi une préoccupation centrale dans une démocratie en construction même si les
arguments qui fondent la décision gouvernementale de procéder { l’identification de
tous les usagers des TIC est difficilement contestable. L’identification et la surveillance
des usagers des TIC en Côte d’Ivoire peut néanmoins apparaître comme un système
disciplinaire au sens de Foucault (1975) dont l’une des conséquences est l’autocensure
dont font preuves certains internautes dans le cyberespace.
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