Thérapie des blessures par flèches au Moyen Age d’après les textes médicaux

anciensDr Raoul PERROT

Laboratoire d’Anthropologie Anatomique et de Paléopathologie

8 Avenue Rockefeller 69373 LYON CEDEX 08

Site web : http : //anthropologie-et-paleopathologie.univ-lyon1.fr

1 Introduction

De manière habituelle les historiens médicaux

analysent les textes anciens mais ne

pratiquent pas d’examen paléopathologique.

A contrario les anthropologues examinent attentivement les

vestiges osseux pathologiques mais font rarement appel aux

écrits médicaux anciens.

Dans le cadre de ce cours, nous nous proposons, à partir de l’exemple des blessures par flèches, de montrer combien l’apport des textes médicaux est indispensable pour en connaître la thérapie.

2 Les sources médicales

du Moyen Age

Paul d’Egine ( byzantin)

625-690

Abulcasis de Cordoue ( arabe )

936-1013

Constantin l’Africain (carthaginois)

1015-1087

Roger de Parme ( italien )

1180-?

Guillaume de Salicet ( italien )

1201-1277

Henri de Mondeville (français) 1260-1320

Guy de Chauliac ( français ) 1300-1368

3L’extraction des flèches

 

Dès l’Antiquité les blessures par flèche ont

représenté un souci constant pour le chirurgien.

« Le médecin est un homme qui en vaut plusieurs autres, s’il s’agit de retirer les traits » ( Homère ) .

« Tous les traits se retirent ou par l’endroit par lequel ils sont entrés, ou par celui vers lequel ils tendent à sortir...

...mais on doit éviter soigneusement de ne

couper ni nerf, ni veine, ni artère considérable...

...Dans le cas de flèches barbelées, on doit autant

que faire se peut, éviter de les retirer par l’endroit où

elles sont entrées...

...car les pointes recourbées déchireraient

plus les chairs en reculant

qu’en avançant » (Celse, médecin romain, 1er av.JC /

1er ap.JC)

Paul d’Egine ( médecin byzantin)

625-690

« La hampe est en bois ou en roseau. Le trait est en fer, en airain, en étain, en plomb, en corne, en verre, en os ou même aussi en roseau ou en bois...

...Les uns ont la queue de

fer insérée dans la hampe,

les autres l’ont creuse pour

recevoir la hampe »

Selon le type de fer, Paul utilise un repoussoir

( diostre, impulsoir) plein ou creux.

   

L‘impulsoir du haut est dit plein,il permet de repousser un fer à douille ; celui du bas est dit

creux et est utilisé pour les fers à soie.

Abulcasis de Cordoue ( médecin arabe )

936-1013

« On utilisera des pinces dont les extrémités ressemblent à un bec d’oiseau. Elles seront cannelées comme des limes, afin qu’en saisissant une flèche, on ne la lâche pas ».

 

 

       "Pour extraire les flèches on utilisera des pinces dont les extrémités ressemblent à un bec d’oiseau" [ Abulcasis

de Cordoue]

      

Roger de Parme( médecin italien )

1180 - ?

Flèches barbelées: « on introduit

une pince pour tordre les barbes et

faciliter l’extraction et si cela est

difficile, on applique un petit tube

fin en fer ou en bronze à une

barbe...

...ensuite on prend la barbe dans la concavité du tube et on fait ainsi de l’autre côté, et avec beaucoup d’attention et de diligence on l’extrait convenablement.».

Guillaume de Salicet ( médecin italien )

1201-1277

« Prends le manche de la flèche

entre les tenailles dentées , afin

que les dents s’impriment

fortement dans le manche de la

flèche...

...et lorsque tu auras fait

ainsi, tourne les tenailles

à droite et à gauche et

ainsi tu pourras extraire

la flèche directement ».

Henri de Mondeville ( médecin français )

1260-1320

« Tous les jours on fait de nouvelles espèces de traits, et par conséquent, il faut trouver une nouvelle manière de les extraire, aussi faut - il au chirurgien un prompt génie naturel »

Extraction « des traits fixés dans

le corps d’hommes qui ont des

armures: : on prépare d’abord ce

qui est nécessaire pour la plaie...

...et un armurier avec ces

instruments enlèvera

délicatement l’armure, ensuite

on retirera le trait...

Il y a à ce procédé deux raisons :

la première de crainte que si on

arrachait dès l’abord le trait, il ne

survienne un jet de sang que

l’armure empêcherait d’arrêter...

...la seconde raison est de crainte que le trait, une fois arraché de la chair, ne puisse être séparé de l’armure et, revenant vers le corps il ne pénètre de nouveau ».

Guy de Chauliac

( médecin français )

1300-1368

«...si la chose fichée ne peut

être ostée bonnement, soit la

hampe tenue par tenaille à

bec d’oiseau et la tenaille

tenue par ballista...

...le patient bien affermé,

ballista soit déferrée et

adonc la chose fichée sera

tirée hors »

            

                                   

"Et si ce ne vaut, soit liée [la flèche  dont la hampe sort de la cuisse du blessé] avec les tenailles et le

patient bien afferme, balista [arbalète] soit deferrée et adonc sera [le trait] tiré hors "

4 Soins apportés aux blessures

par flèches après extraction du trait

Dès l’Antiquité, il est recommandé au chirurgien , après avoir extrait la flèche :« de répandre sur la blessure des remèdes adoucissants »(Homère )

« Si la blessure a été souillée par un poison, il faut la nettoyer et la recoudre rapidement.On appliquera sur la région...

...des roses, du bois de santal, de la sève de coriandre, d’endive,

solanum, sempervirens et semblables... »

( Constantin l’Africain, médecin carthaginois, 1015 - 1087 )

4.1 Substances utilisées

176 substances répertoriées :

Origine Nb %végétale 145 82,4animale 15 8,5minérale 15 8,5pétrole 1 0,6

176 100

Substances d'origine végétaleamande encensammi farines résolutivesasarabaca fenouilbétoine fougèrebette huilebryone sang dragonbuglose vinaigrecanelle etc.

Substances d'origine animalecastoreumlaitmielmomieœufsangtoile d'araignéeetc.

Substances d'origine minéralealunargilearsenicbol arménieneau gypseseletc.

4.2 Répartition des

substances selon les Auteurs

Substances végétales :

Chirurgien Nb / 145 %Abulcasis 22 15Constantin 14 10

Roger 32 22Guillaume 115 79

Henry 88 61Guy 112 77

encensfarines résolutiveshuilesang dragonvinaigre

Exemples de substances végétales utilisées par tous les Auteurs :

Exemples de substances végétales utilisées seulement par un Auteur:

Guillaume amandeammi

asarabacabette

buglosseGuy canelle

fenouilfougère

Henry bryone

Substances animales :

Chirurgien Nb / 15 %Abulcasis 5 33Constantin 1 7

Roger 4 27Guillaume 11 73

Henry 9 60Guy 12 80

Substances

Abu

lcas

is

Con

stan

tin

Rog

er

Gui

llaum

e

Hen

ry

Guy

castoreum P P Plait Pmiel P P P Pmomie P P P Pœuf P P P Psang P Ptoile d'araignée P

Substances minérales :

Chirurgien Nb / 15 %Abulcasis 6 40Constantin 2 13Roger 2 13Guillaume 15 100Henry 11 73Guy 13 87

Substances Ab

ulc

asis

Co

nsta

ntin

Ro

ge

r

Gu

illa

um

e

He

nry

Gu

y

alun P P Pargile P

arsenic P P Pbol arménien P P P P P

eau P P P P P Pgypse P P

sel P P P Petc.

4 - 3

Emploi des substances

Substances médicales

Usage

végé

tale

s

anim

ales

min

éral

es

pétr

ole

Nb %Externe 99 13 13 1 126 72Interne 23 1 24 13Mixte 23 1 2 26 15

145 15 15 1 176

4.3.1 - Usage externe :

= les topiques cutanés

• vulnéraires

• résolutifs

Vulnéraires = substances :anesthésiques

calmantescicatrisantes

désinfectantes hémostatiques

Noms médiévaux des vulnéraires :

cicatrisatif incarnatifconfortatif mondificatif

consolidatif régénératifdéfensif répercussif

dessicatif

Exemples de vulnéraires :

Origine Substancesvégétale amande,bétoine,

encens, sang dragonvinaigre, etc.

animale momie, sang,toile d'araignée, etc.

minérale bol arménien,gypsesel, etc.

Résolutifs substances émollientes

au Moyen - Age on parle de :

maturatifattractif

Exemples de résolutifs :

Origine Substancesvégétale courge,fenouil, moutarde,etc...

Les 6 farines résolutives :avoine, fénugrec, fève, lupin,orobe et orge.

animale castoreum, excréments, suif.

4.3.2 - Usage interne :aliment : lait, pistachestimulant digestif : macis

laxatif : épinard

diurétique : persil

sédatif : nénuphar

vomitif : asarum

4.3.3 - Usage mixte :

vulnéraire - id. : momie

vulnéraire - aliment : datte, vin

anesthésique - id. : opiumanesthésique - aliment : laitue

5 Conclusion

L’étude osseuse seule est insuffisante pour

comprendre l’environnement médical des populations

médiévales.

Il est donc indispensable de prendre connaissance des

textes médicaux anciens et de confronter ces deux optiques différentes.