TexteGuyFoissy2

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Avec L'enfant Mort

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Faux-Semblantsde Guy Foissy

Avec

Agns Aub et Brigitte Lucas

Mise en scne

Grard Foucher

Contact: 06 08 94 00 22

Copyright Grard Foucher 2007

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BRUITAGE

Deux femmes. DAME 1 Je vais le tuer. Je t'assure que je vais le tuer. D'ailleurs, c'est dcid. DAME 2 Tu as bien rflchi ? DAME 1 a devient impossible. Je ne peux plus le supporter. Tu penses si j'ai rflchi. Il n'y a pas d'autre solution. DAME 2 Quitte-le. C'est facile. Tu fermes la porte et bonsoir. DAME 1 Il me tuerait. DAME 2 videmment. Tant qu' tuer DAME 1 Et puis, il serait trop content. Non, je t'assure DAME 2 Prends un amant.

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DAME 1 J'en ai pris trente. DAME 2 Eh b ! Il faut avoir une sacre sant. DAME 1 Pas ensemble. DAME 2 J'avais compris. DAME 1 Tu ne vas pas me croire, c'est encore lui qui fait le mieux l'amour. Ce type, il a de ces tendresses, a te rend folle. DAME 2 Si tu le tues, il ne sera plus l. DAME 1 Peut-tre, mais je pourrai enfin dormir. DAME 2 L'amour c'est important. Je vais mme te dire, il n'y a rien de plus important. DAME 1 Vivre sans faire l'amour, c'est possible. J'en connais des tas. DAME 2 Peut-tre, mais c'est moins drle. Et c'est bon pour l'hygine, ce qu'on dit.

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DAME 1 Vivre sans dormir, c'est impossible. La grve de la faim, tu peux, la grve du sommeil, tu ne peux pas. DAME 2 Une nuit tu fais l'amour, la nuit aprs tu es tellement creve, tu dors. C'est bon a comme rythme. DAME 1 Puisque je te dis que je ne dors jamais ! DAME 2 Mets-toi du ciment dans les oreilles ! DAME 1 C'est malin. J'ai tout essay. J'ai mme pris trente somnifres. En mme temps. DAME 2 Tu n'en es pas morte ? DAME 1 Non. Et je n'ai pas dormi. DAME 2 a doit tre affreux DAME 1 Tu ne peux pas imaginer. DAME 2 On n'imagine pas le malheur des autres. Heureusement. J'ai quand mme du mal te croire.

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DAME 1 Tu veux couter ? Je les ai l. Tu te sens le courage de les entendre ? DAME 2 Ce n'est pas vrai ? Tu les as enregistrs ? C'est du vice DAME 1 C'tait pour les faire couter au juge. Il m'a dit que a ne justifiait pas un divorce pour cruaut mentale. Non non, j'ai tout pes, soupes, tudi, analys Aprs, quand je l'aurai fait, je dors jusqu' la fin de mes jours, pour rattraper le temps perdu. DAME 2 Fais-moi couter, pour voir. DAME 1 Je t'aurai prvenue. Tu es prte ? DAME 2 Je suis toute oue. DAME 1 Tant pis pour toi. On y va. Dame 1 met en marche un magntophone. Elles coutent. DAME 2 Oh ! C'est dingue ! Toute la nuit ? DAME 1 Toute la nuit.

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DAME 2 Eh b DAME 1 Et encore, si c'tait toujours le mme, on pourrait esprer s'habituer. Comme les gens qui habitent un carrefour, ou devant un arrt d'autobus. Penses-tu. Tiens, coute a Elles coutent. DAME 2 Arrte ! DAME 1 Et puis il y a a ! (Elles coutent) Ou a ! DAME 2 Ae ! Ae ! Elles coutent. DAME 1 Ou a ! (Mme jeu) Ou a ! (Mme jeu) Ou a ! DAME 2 Arrte ! Arrte ! Je n'en peux plus ! DAME 1 Tu te rends compte, quand tu subis a toutes les nuits ? DAME 2 Tu veux que je te dise ?

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DAME 1 Dis-y. DAME 2 Des ronflements comme a, ce n'est pas normal. a n'a rien d'humain. C'est inhumain comme ronflements. DAME 1 Hein ? DAME 2 Tu devrais voir un mdecin. DAME 1 Je l'ai fait. DAME 2 Il n'a pas demand son internement ? DAME 1 Il m'a conseill DAME 2 De dmnager ? DAME 1 Non. De ne pas couter. Je t'en mets un petit dernier pour la route ? DAME 2 En sourdine s'il te plat. J'ai les tympans qui flageolent. Elles coutent.

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DAME 1 Il avait le hoquet. DAME 2 Il est vicieux comme mec. Avoir le hoquet et ronfler en mme temps. C'est trop. DAME 1 Tu vois. Pas d'autres solutions. DAME 2 Je dois dire DAME 1 Je peux compter sur toi pour l'alibi ? DAME 2 Bien sr, j'en parlerai Jonathan. On dira qu'on faisait une partie trois. C'est imparable. DAME 1 Tu ne vas pas le raconter tout le quartier ? Il est sr ton Jonathan ? DAME 2 Il est sans risque, je le connais. Jonathan, ds le moment o tu lui parle de baise, il dit tout ce que tu veux. Tu tu as rflchi comment tu vas faire ? Le projet, c'est bien, mais l'excution, a doit tre sans faute. DAME 1 Avec une hache. Quand il dormira.

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DAME 2 C'est dgueulasse ! DAME 1 Ou un couteau de boucher. DAME 2 Tu auras les draps pleins de sang. DAME 1 Je les ferai laver au pressing. DAME 2 S'il se rveille et qu'il te voit brandissant ta hache ? Qu'est-ce que tu vas lui raconter ? DAME 1 Rien. Je laisserai tomber ma hache. Floc ! DAME 2 Et la note de pressing, comment tu vas la justifier ? Non Il y a mieux, je t'assure. DAME 1 Et quoi donc, madame je sais tout ? Pas le poison, il a le nez trop fin. Il est capable de renifler des truffes au pied d'un chne. DAME 2 L'oreiller. On n'y pense jamais assez. Tu lui colles l'oreiller sur le nez et tu t'assieds sur l'oreiller. Tu le laisses s'touffer et s'agiter. Quand les soubresauts sont termins, c'est que c'est fini. Tu te recouches. Tu t'endors. Et le lendemain matin tu constates qu'il ne se rveille pas. Mme pas besoin d'alibi.

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DAME 1 Mouais Tu en es sre ? DAME 2 a marche tous les coups. C'est comme a que j'ai tu mon premier mari. DAME 1 Clodote ? DAME 2 Oui. DAME 1 Tu ne m'avais pas dit que tu l'avais tu ! DAME 2 Ce n'est pas quelque chose que l'on crie sur les toits. DAME 1 Clodote touff a c'est rigolo Il tait gentil pourtant. Un peu effmin peut-tre, mais gentil. Il ronflait aussi ? DAME 2 Non. DAME 1 Alors quoi ? DAME 2 Je n'ose pas le dire. DAME 1 Vas-y. On est copines quand mme

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DAME 2 a me gne... DAME 1 Oh ben quoi... DAME 2 Eh bien... Quand on faisait l'amour, au moment o il s'envolait vers des ciels radieux, si tu vois ce que je veux dire, il fallait qu'il glousse comme une poule en chaleur. Ouh l ! Ouh l ! Ouh l ! DAME 1 C'est marrant ! DAME 2 Je ne trouve pas. C'est surtout ridicule. En plus, il avait une voix perante, on entendait ses gloussements jusqu'au trentime tage ! Ouh l ! Ouh l ! Crescendo. Tu vois le tableau. Si a avait t une fille qui gloussait, passe encore, mais un mec. Ouh l ! Ouh l ! Les gens me regardaient en rigolant. Il y en avait qui faisaient ouh l ouh l sur mon passage. DAME 1 Toi tu ne glousses pas ? Vous auriez pu glousser ensemble. DAME 2 Non, j'ternue. C'est comme a. Quand je commence m'envoler vers des ciels radieux, il faut que j'ternue. DAME 1 Eh bien dis donc Entre ses ouh l ouh l et tes ternuements, a devait faire un drle de concert !

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DAME 2 Quand je lui ai mis le coussin sur le nez, il n'a plus glouss. DAME 1 On ne t'a pas suspecte ? DAME 2 Depuis plus de deux mois avant, je l'ai forc glousser, toutes les nuits, plusieurs fois par nuit. Il n'en pouvait plus. Il avait des gloussements qui ressemblaient des rles. Les gens ont dit : il en faisait trop, normal que le cur ait lch. Pour toi, c'est pareil, les gens diront : il ronflait trop, normal qu'il se soit touff. DAME 1 Tu es vraiment une amie, toi. Je vais suivre tes conseils. a fait du bien, tu sais. Je te remercie. DAME 2 N'oublie pas de t'asseoir sur le coussin, sinon il arrivera se dgager. DAME 1 Compris. Grosses bises Jonathan. DAME 2 Quand ce sera fini, viens faire une partie trois la maison. a dtend. DAME 1 Promis.

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LOGE DE LA BABALLE

Un et Deux. UN La baballe, elle va droite, ensuite la baballe elle va gauche, ensuite la baballe, elle va droite, ensuite la baballe elle va gauche DEUX J'ai compris. Un coup elle va droite, un coup elle va gauche. Comme une horloge normande. UN Vous n'avez rien compris du tout. DEUX Mais si ! Vous dites : la baballe elle va droite, ensuite la baballe elle va gauche. Donc un coup elle va droite, un coup elle va gauche. UN Pas toujours. DEUX Ah bon. UN Regardez Un coup la baballe elle va droite, un coup la baballe elle va gauche

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DEUX Vous l'avez dj dit. UN Un coup la baballe elle reste gauche Et voil ! Elle reste encore gauche. DEUX Elle ne retourne plus droite la baballe ? UN Tout l'heure. Oh ! Oh ! Dehors la baballe, elle est dehors. Elle est sortie la baballe. DEUX Ah bon ? On a le droit de sortir. Pendant ce temps-l, les autres continuent taper dans la baballe ? UN Mais non ! On n'a pas le droit de sortir ! C'est la baballe qui est sortie. En fait, non, des fois, on est oblig de sortir DEUX Oblig ?! Et pourquoi on serait oblig de sortir, si on a pay sa place. Moi, je refuserai de sortir. UN On sort si on a un carton rouge. DEUX On a le droit de se balader avec un carton quand on tape dans la baballe ? a doit tre gnant. UN On est oblig de sortir quand on vous "donne" un carton rouge.

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DEUX Ah bon. Qu'est-ce qu'on en fait du carton rouge ? UN Comment a qu'est-ce qu'on en fait du carton rouge ? DEUX Ben oui Si on vous donne un carton rouge, vous le mettez o ? UN C'est un "petit" carton rouge. DEUX C'est plutt con comme truc. Et pendant ce temps-l, la baballe elle est toujours dehors ? S'il n'y a plus de baballe, on ne peut plus jouer. UN Elle est revenue. DEUX Ah bon. UN Un joueur a tir la touche. DEUX (Aprs un temps) Devant tout le monde ? UN Vous ne voudriez pas qu'il aille se cacher pour tirer sa touche.

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16 DEUX C'est vraiment dgueulasse comme jeu. On y amne les enfants ? UN Il prend la baballe avec la main et la remet en jeu. DEUX Avec les mains ? Vous m'avez dit que a se jouait avec les pieds. UN Il y a des moments o on met les mains. DEUX On ne peut pas dire que ce soit simple. UN Oh l l ! Oh l l ! Elle descend la baballe le long de la touche, elle descend ! Elle descend ! DEUX Elle descend la prochaine ? UN Corner ! DEUX Comment ? UN Corner !!! DEUX C'est qui celui-l ?

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17 UN a veut dire qu'un joueur a envoy sa baballe derrire son propre camp. DEUX C'est a que a veut dire corner ? C'est une langue vraiment bizarre l'anglais. UN Non, a veut dire qu'on tire dans les coins. DEUX Attendez attendez pas si vite UN Qu'est-ce qu'il y a encore que vous ne comprenez pas ? DEUX Les buts ? Ils sont au milieu ? UN Oui. DEUX Alors quoi a sert de tirer dans les coins si les buts sont au milieu ? C'est vraiment con comme jeu ! Eh ? Eh ? On peut aussi tirer sa touche dans les coins ? UN On tire partir des coins, depuis les coins. On pose la baballe par terre, et vlan on tape du coin dans la baballe. DEUX Et aprs ?

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18 UN Elle s'lve la baballe Elle s'envole la baballe DEUX Et aprs ? UN Y-est !!! Y-est !!! But !!! La baballe elle est entre dans la cacage !!! DEUX Comment a ? Toute seule ? UN Tte ! Une tte magnifique ! DEUX C'est Corner qui a une tte magnifique ? Je n'y comprends plus rien UN Un joueur, oh que c'est beau, a rattrap la baballe de la tte, et directe, l'a fourre dans les bubuts. DEUX Sa tte ? UN Non, la baballe. DEUX On joue aussi avec la ttte ? UN Oui.

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DEUX Avec les mains et la ttte ? UN Oui enfin oui bon DEUX Pas seulement avec les pieds ? UN Non. DEUX Alors, ils sont moins cons qu'ils en ont l'air ? UN Vous avez envie de vous faire lyncher ? DEUX Je ne vois pas pourquoi. Mais j'ai toujours pens qu'il fallait en traner une sacre derrire soi pour passer sa vie donner des coups de pied dans une baballe. UN C'est une faon de voir les choses qui n'est pas du tout dans le consensus machinchosement correct. De toute manire, ce qui permet de gagner beaucoup beaucoup d'argent est forcment intelligent. DEUX Si vous m'assurez qu'on tape aussi la baballe avec la tte et avec les mains, je rvise UN On ne la tape pas avec les mains, on l'attrape avec les mains.

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20 DEUX Soyez claire, ma vieille, vous commencez m'nerver ! Vous avez dit qu'aprs avoir tir sa touche devant des millions de spectateurs parmi lesquels de nombreux enfants, il prenait la baballe dans ses mains pour la jeter sur le terrain. UN Jeter ! Pas taper ! Remise en jeu ! DEUX C'est abscons ! C'est un jeu absolume nt abscons ! UN La seule personne qui puisse taper la baballe avec les mains, c'est le goal. Ou si vous prfrez en franais, le gardien de but. DEUX a va a va, on est au courant. UN Lui, il a le droit de tout faire. DEUX Il a le droit de jeter la baballe dans sa propre cacage ? UN Non. DEUX Alors, il n'a pas le droit de tout faire. UN Son rle est d'empcher la baballe d'entrer dans sa cacage, pas de l'y jeter !

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21 DEUX Et quand elle y entre ? Parce que a doit arriver quand mme ? UN Il y a but, pour l'adversaire. DEUX Et aprs ? UN Aprs quoi ? DEUX Qu'est-ce qu'il fait ? Il laisse la baballe dans ses buts ? UN Non. Il va la chercher. DEUX Ah. UN Il la ramne. DEUX Avec ses pieds ? UN Avec ce qu'il veut. DEUX Ah. Et aprs ? UN Deux hypothses. S'il n'y a pas de but, s'il a arrt la baballe, il dgage.

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22 DEUX Ah. Il s'en va ? UN Non, il dgage la baballe. DEUX Vous n'tes pas facile suivre. UN Par contre, s'il y a eu but, on ramne la baballe dans le rond central. DEUX Donc, on a boss pour rien. UN Et on recommence. La baballe elle va droite, la baballe elle va gauche, et hop la baballe elle va droite, et hop la baballe elle va gauche les spectateurs qui sont pour le camp de gauche DEUX Moi vous savez la politique UN disons : les bleus, hurlent de joie quand la baballe va dans le camp des verts, et vocifrent quand elle va dans leur camp. Par contre, les verts hurlent de joie quand la baballe va dans le camp des bleus et vocifrent quand elle va dans leur camp. DEUX C'est con. UN C'est le jeu.

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DEUX Ce serait plus logique que ceux qui attrapent la baballe la gardent dans leur camp. Si c'est pour la donner ceux d'en face, pas la peine de l'attraper. UN Et qui c'est qui gagnerait si on ne met pas la baballe dans les bubuts d'en face ? Rflchissez merde ! DEUX Ben, celui qui garderait le plus longtemps possible la baballe dans son camp. UN A la fin du match, celui qui gagne c'est celui qui a marqu le plus de buts ! DEUX Et si personne ne gagne ? UN C'est match nul. DEUX On n'arrte pas quand l'un des deux a gagn. UN On arrte au bout de quatre-vingt-dix minutes. DEUX Pourquoi ? UN C'est comme a. DEUX Et aprs ?

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24 UN Quoi aprs ? DEUX Aprs quatre-vingt-dix minutes ? UN C'est fini. DEUX Les spectateurs, ils s'en vont ? C'est con. UN Des fois ils partent tout de suite, des fois ils descendent sur le terrain. DEUX Pour jouer la baballe ? UN Non, pour se bagarrer avec les spectateurs d'en face qui sont aussi descendus sur le terrain. DEUX Et pourquoi ils se battent ? UN Parce que ils pensent que les spectateurs d'en face, ils sont plus cons qu'eux. DEUX Et c'est vrai ? UN Non. L, c'est toujours match nul.

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25 DEUX C'est vraiment con comme jeu. Dites Ils sont vraiment pays pour jouer la baballe ? UN Cher. DEUX Et les spectateurs, ils paient pour voir des types taper dans une baballe ? UN Cher. DEUX Eh ben dites donc, si les extraterrestres viennent un jour nous rendre visite, ils vont souvent se gratter la tte

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LES MURAILLES

Elle. L'autre.

ELLE On a la trouille. Vous ne direz pas le contraire, chre madame ? L'AUTRE a ELLE a ne vous est jamais arriv d'avoir peur ? L'AUTRE La peur La trouille c'est la mme chose. Comme tout le monde ELLE Peut-tre pas. L'AUTRE Comment a peut-tre pas ? ELLE La peur, c'est quand on a peur de quelque chose. La trouille, c'est quand on a peur de tout. Quand on a peur de tout, c'est l qu'il faut ragir. De quoi a-t-on peur aujourd'hui ? Pouvez-vous me le dire ?

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27 L'AUTRE De tout. ELLE Mais encore ? L'AUTRE Je ne sais pas De vieillir. De mourir. De perdre son travail. Des uns. Des autres. ELLE Des autres ! Je ne vous le fais pas dire. C'est vrai, mais c'est moiti vrai. L'AUTRE C'est vrai. ELLE Qu'est-ce qui est vrai ? L'AUTRE Que c'est moiti vrai. ELLE Pas de tous les autres. De certains autres parmi les autres. Des trangers. C'est des trangers que nous avons peur. C'est normal puisqu'ils sont trangers. Alors, solution : supprimons les trangers et nous supprimerons la peur. L'AUTRE Bravo ! ELLE On redeviendrait comme Bayard : sans peur et sans reproche.

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28 L'AUTRE Couic ! Couic ! ELLE Vous avez le hoquet ? L'AUTRE Les trangers : couic ! ELLE Non, pas les trangers couic ! Mais ouste ! L'AUTRE Non. Couic. ELLE a veut dire quoi couic ? L'AUTRE a veut dire couic. ELLE Non. L'AUTRE Alors celle-l c'est la meilleure. Couic ne veut pas dire couic. J'aimerais bien qu'on m'explique ce que a veut dire : couic. ELLE Couic, a veut dire couic. C'est dire tuer, trucider, gorger, trangler, assassiner. Voil ce que a veut dire couic. L'AUTRE C'est bien a.

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29 ELLE Je ne vous le fais pas dire. Vous devriez avoir honte, madame. Vous tes une raciste, une fasciste. Vous avez peur des trangers, donc vous les tuez. Moi, je m'en protge. Nuance. L'AUTRE On n'est pas forc de les tuer tous. ELLE C'est dire ? L'AUTRE Par exemple, en les foutant l'eau. ELLE l'eau ? L'AUTRE la mer si vous prfrez. Ceux qui savent nager arriveront de l'autre ct, ceux qui ne savent pas nager n'ont qu' apprendre. On n'est pas responsable. ELLE C'est un holocauste, chre madame, un nouvel holocauste maritime. La France... Vous savez ce que c'est la France. L'AUTRE Un peu mon neveu. ELLE La France est la patrie de l'Homme, de la Justice, de la Libert, des Arts et des Lettres, avec tout plein de majuscules, du Camembert et du Beaujolais. Jamais elle n'agira d'une faon aussi inhumaine.

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30 L'AUTRE Eh ! Oh ! C'est vous qui avez dit qu'il fallait supprimer les trangers. C'est vous. Moi, je conclus : si on supprime les trangers, on leur fait couic. Pas la peine d'avoir t l'cole de Guerre pour savoir a. Couic. ELLE Je n'ai pas dit qu'il fallait les supprimer. L'AUTRE Vous l'avez dit. ELLE J'ai dit : il faut supprimer leur prsence. On ne tue pas la prsence, on la supprime. L'AUTRE Je voudrais bien savoir comment on peut supprimer une prsence sans la jeter la mer. J'aimerais bien qu'on m'explique. ELLE Ils nous foutent la trouille. Surtout les trangers pauvres ; les trangers riches sont rassurants, surtout s'ils sont plus riches que nous. C'est pourtant simple. rponse simple question simple. Empchons-les d'entrer chez nous. L'AUTRE Ah ! Ah ! Alors celle-l ! Alors celle-l ! ELLE Puis-je vous demander ce qui vous fait ainsi glousser ? L'AUTRE Celle-l on l'a entendue au moins cent fois. a n'a jamais march.

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31 ELLE Sauf L'AUTRE Sauf si on les fout la baille. Ceux qui ne savent pas nager, on n'en est pas responsable. ELLE On construit, et a s'est dj fait en d'autres temps et en d'autres lieux, une muraille de Chine tout autour de la France, parseme de miradors permettant un contrle permanent et attentif de la situation. L'AUTRE Une muraille ? ELLE Cinquante mtres de haut. L'AUTRE Pourquoi cinquante mtres ? ELLE Pour qu'on ne puisse pas l'escalader, et qu'ainsi ceux qui entrent chez nous soient obligs de passer par la porte. L'AUTRE Vous tes srieuse l ? ELLE Absolument. L'AUTRE Une muraille de trente mtres, c'est bien suffisant.

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32 ELLE Si on met une muraille de Chine, mme de trente mtres, mme de vingt-cinq tout autour de la France, y compris ses les, les Franais seront seuls chez eux. L'AUTRE Finalement Finalement c'est stupide. ELLE La Muraille de Chine, pendant des sicles, a permis aux chinois de rester entre chinois. Sinon, ils seraient devenus japonais ou corens. Construisons une muraille, mme de vingt-cinq mtres, et dans des sicles, on sera pareil qu'aujourd'hui. L'AUTRE La seule solution ELLE Il y a toujours des risques d'infiltrations. Dans un mur, il y a toujours un trou, sinon ce ne serait pas un vrai mur. Alors, en plus de la muraille hexagonale, on construirait des murailles secondaires, dpartementales. Car les trangers viennent d'ailleurs, et ailleurs c'est partout et rciproquement. L'AUTRE Il y a des dpartements o il n'y a pas la mer. Ni frontire.

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33 ELLE Tous les dpartements seraient muraills, isols. Les habitants de la Lozre, qu'est-ce qu'ils viendraient foutre dans les Alpes-Maritimes ? Hein ? Les habitants des Vosges, qu'ont-ils foutre dans le Pas-de-Calais ? Hein ? Et ceux de l'Ain, qu'auraient-ils faire dans l'Aisne ? Hein ? Et ceux de l'Aube dans l'Aude ? Ceux du Lot dans la Loire ? Hein ? Une muraille, et la race restera pure. L'AUTRE Par qui les fait-on construire ces murailles ? ELLE Par des trangers, forcment. L'AUTRE Correct. Qu'est-ce qu'on en fait aprs, des trangers ? ELLE On les met hors les murs. Extra-muros, si vous prfrez. Mais il y a toujours risque d'infiltrations, cause du trou inhrent au mur. Il faut donc que chaque commune de France, qu'elle soit mtropole, chef-lieu de canton, capitale ou simple lieu-dit soit protge par sa muraille municipale. Protge, cadenasse. Avec une porte o il faudra frapper avant d'avoir l'occasion d'entrer. Toc-Toc-Toc. Qui c'est ? C'est ferm... L'AUTRE Remarquez ce projet n'a pas que des cts ngatifs, il ferait travailler le btiment. Quand le btiment va

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34 ELLE Ainsi, dans chaque ville et village de France, les gens resteraient chez eux, entre eux. Qu'un sang impur n'abreuve pas nos sillons, comme dit la chanson. Chaque ville, chaque quartier dans les grandes villes, et dans chaque rue de chaque village, car dans les murs, il y a toujours des trous. Plus il y a de murs, plus il y a moins de trous, c'est mathmatique. Des murailles intra-muros. Car, franchement, hein, les gens qui habitent boulevard de la Rpublique, pourquoi viendraient-ils boulevard Carnot ou Avenue Fochardon ? Chacun chez soi et Dieu reconnatra les siens. L'AUTRE Dieu reconnat toujours les siens. ELLE C'est encore mieux si on lui facilite la tche. Surtout si Dieu est myope. Avec l'ge L'AUTRE a c'est bien vrai. Tenez mon oncle Anselme qui tait mireur ELLE Le propritaire du 26 bis que va-t-il faire en face, chez le propritaire du 52 ter ? L'AUTRE On lve un autre mur ! Madame, vous tes un gnie civil. ELLE Comme dans chaque mur il y a forcment un trou L'AUTRE On le bouche.

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35 ELLE Vous n'avez rien compris. On construit un nouveau mur. La solution : une muraille autour de chaque maison, de chaque immeuble. L'AUTRE Coincs les mecs ! ELLE Le locataire du cinquime droite, qu'irait-il faire chez celui du deuxime face ? Hein ? Sinon attenter son bien ou son honneur ? Une muraille autour de chaque appartement, fini l'adultre. La France sera protge. Prophylaxe. Avant qu'un tranger arrive jusqu' chez nous, il aura franchi tant de murailles, de miradors, de portes, de trous, qu'il n'y arrivera jamais. Protgeons la race, faisons nos enfants entre nous, ainsi ils seront comme nous. L'AUTRE Je voudrais vous demander une faveur ELLE Accord. Nous sommes du mme sang. L'AUTRE Peut-on hisser un mur autour de la chambre de ma belle-mre pour qu'elle ne vienne plus traner dans le salon ? ELLE Accept. Une muraille autour du salon Oui, madame, on rigerait des murailles personnelles. Chacun sa muraille et les vaches blanches seront bien gardes. L'AUTRE Que fait le gouvernement ? C'est pourtant simple !

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36 ELLE Une France tout entire de murailles Couleur murailles Odeur murailles Une muraille autour de chaque muraille. L'AUTRE Interdite aux trangers. Mais ceux qui sont l, h ? Qu'en faites-vous ? la baille. Ceux qui ne savent pas nager, au fond. Ils n'avaient qu' apprendre. On n'en est pas responsable. Nous, on sait. ELLE Je vous le concde. Mais juste ceux-l. Restons humanitaires. L'AUTRE On ne garde que les Franais qui sont franais depuis au moins cinq gnrations. On aurait de l'espace vital. Heil ! ELLE Non, trois, cinq a fait beaucoup. Heil ! L'AUTRE Non quatre. Heil ! ELLE D'accord. Heil ! L'AUTRE Restons purs. Ceux qui sont impurs : la baille ! Heil ! ELLE Vous avez raison : ceux qui ne savent pas nager, on n'en est pas responsable. L'AUTRE J'allais le dire. Heil !

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SINISTROSE

DAME UN et DAME DEUX. Assises l'une en face de l'autre.

DAME UN Finalement Finalement DAME DEUX Pardon ? DAME UN Vous n'tes pas une rigolote, vous. DAME DEUX Moi ? DAME UN Vous tes mme plutt sinistre. DAME DEUX Je vous en prie. DAME UN a fait une heure que je vous regarde. Franchement, ce n'est pas rjouissant. DAME DEUX Vous n'avez qu' regarder ailleurs. Non mais sans blague.

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38 DAME UN Comment voulez-vous que je fasse ? Vous obscurcissez mon horizon. DAME DEUX C'est la meilleure celle-l ! J'obscurcis son horizon ! DAME UN Vous tes en face de moi. DAME DEUX Et alors ? C'est insens DAME UN Vous ne voudriez quand mme pas que je passe ma journe regarder en biais pour viter de vous voir de face ? DAME DEUX Tournez le banc de l'autre ct et vous ne m'aurez plus dans votre ligne de mire, puisque ma prsence vous insupporte. Les gens ! Vraiment DAME UN Comment voulez-vous que je fasse ! Ils sont fixs au sol. Vous me voyez en train de les dvisser, les retourner DAME DEUX Pas les retourner. Les tourner. Si vous les retournez, vous ne pourrez plus vous asseoir dessus. Jamais vu a, moi. Jamais. Et pourtant, j'en ai vu dans ma chienne de merde de vie.

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39 DAME UN Si vous voulez : le tourner. Vous avez jur d'emmerder le monde, vous, jusqu' la lie. Le revisser. M'asseoir dos vous, et sentir votre regard sinistre sur ma nuque. Non merci. DAME DEUX Alors a c'est le bonnet ! DAME UN Ne criez pas ! DAME DEUX Je ne crie pas. DAME UN Si, vous criez. DAME DEUX C'est moi qui emmerde le monde. Celle-l quand je vais la raconter mes potes, ils vont en tre le cul sur l'asphalte. J'tais l avant vous. DAME UN O a ? DAME DEUX Ici. Vous tes venue aprs. Je me laissais rchauffer par ce doux soleil d'automne guettant toutefois d'un il inquiet l'arrive massive de menaants strato-cumulus DAME UN Vous ne trouvez pas que a fait un peu littraire tout a ? DAME DEUX quand une espce d'hystrique

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40 DAME UN Qui a ? DAME DEUX Vous. DAME UN Moi ? Quand j'tait petite on m'appelait la douce Doudou. a faisait rire les gens. Je m'appelle Agns. DAME DEUX m'apostrophe, et me dit textuellement, textuellement, dans le texte : Vous avez l'air sinistre. Mon sang ne fait qu'un tour, une rotation si vous prfrez, et je lui recommande d'en faire autant. DAME UN Ah. Ah ! Vous voyez ! DAME DEUX Qu'est-ce que je vois ? DAME UN Vous le reconnaissez que vous avez l'air sinistre. DAME DEUX Pas du tout. DAME UN Vous trouvez que vous avez l'air jovial ? DAME DEUX Je n'ai pas dit a. DAME UN Je ne vous le fais pas dire. Vous trouvez que vous avez l'air comique ?

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41 DAME DEUX coutez, je DAME UN ou simplement l'air rieur ? Comme les mouettes. DAME DEUX Madame Madame. J'essaie, vous le noterez, de converser civilement avec vous. On peut trs bien s'asseoir sur un banc, pour se laisser rchauffer par ce doux soleil d'automne guettant toutefois d'un il inquiet l'arrive massive de menaants strato-cumulus, sans se fendre la pipe comme un bcheron canadien DAME UN Les bcherons canadiens fendent des arbres, pas des pipes. DAME DEUX Ils se fendent aussi la gueule. DAME UN cause du gel. DAME DEUX en gardant un visage neutre. Neutre, madame ! Vous savez ce que c'est qu'tre neutre. Vous savez ce que c'est la neutralit ? Un point, c'est tout. Neutre. Regardez les strato et les cumulus s'amoncellent. Profitons des derniers rayons de ce soleil d'automne. DAME UN Vous appelez a neutre ? DAME DEUX Oui.

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42 DAME UN Cette tte sinistre. DAME DEUX Neutre. DAME UN Vous tirez un menton long comme une baguette de pain franais. Vous symbolisez toute la dsesprance du monde. La misre du monde. Le malheur du monde. La fin du monde. Si j'tais peintre, et qu'on me demandait de peindre le dsespoir, je peindrais votre visage. grands coups de pinceau. Schliak. Schliak ! Je gagnerais srement un prix. Vos penses doivent tre effrayantes. Vos abmes abyssaux. Comme vous avez d souffrir pour avoir une tte comme a. DAME DEUX Alors l ! Alors l ! DAME UN Ne recommencez pas crier ! DAME DEUX l franchement a suffit. Je dis stop. Vous croyez que vous avez une tte marrante, vous ? DAME UN Oui. DAME DEUX Vous avez un sens de l'humour vraiment particulier. DAME UN Mais non Vous avez raison

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43 DAME DEUX Ah ! Je savais bien que vous n'aviez pas une tte marrante. DAME UN vous n'avez pas une tte comme a parce que vous avez souffert, mais vous avez souffert parce que vous avez une tte comme a. C'est a hein ? J'ai tap deux pattes dans le mille. J'imagine. Votre vie devait tre un enfer. Chaque fois que vous passiez devant un miroir, vous deviez vous prendre la tte deux mains en murmurant : oh llll ! oh llll ! DAME DEUX Qu'est-ce que vous racontez ? Qu'est-ce qu'elle raconte ? Je ne suis quand mme pas monstrueuse. a se saurait. DAME UN Je n'ai jamais dit que vous tiez monstrueuse. Vous tes simplement laide. Un peu d'humilit, s'il vous plat. J'ai dit que vous tiez sinistre. Vous me foutez le bourdon de minuit. Une heure en face de vous, on a envie de se pendre la plus haute branche. Comme vous devez tre malheureuse d'avoir une tte comme a. DAME DEUX Je ne suis pas malheureuse ! DAME UN Ne criez pas ! DAME DEUX Et j'en ai du mrite, car j'en ai vu dans ma chienne de merde de vie.

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44 DAME UN Vous n'tes pas malheureuse ? DAME DEUX Non. DAME UN Allons bon. DAME DEUX C'est comme a. DAME UN Vous n'allez pas me dire que vous tes heureuse ? DAME DEUX Certes non. DAME UN Alors ? Vous tes heureuse ou malheureuse ? C'est l'un ou c'est l'autre. Dans la vie, il n'y a toujours qu'une alternative : ou c'est pile ou c'est face, ou c'est dedans ou c'est dehors, ou c'est pair ou c'est impair, ou c'est le jour ou c'est la nuit, ou on est vivant ou on est mort, ou on est gai ou on est triste, ou on est jovial ou on est sinistre DAME DEUX Oh l ! Oh l ! a va ! On a compris. DAME UN ou on est heureux ou on est malheureux. DAME DEUX Je suis neutre. DAME UN Vous n'tes ni heureuse ni malheureuse ?

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45 DAME DEUX Affirmatif. DAME UN J'ai peine le croire. DAME DEUX C'est comme a. DAME UN Vous ne pouvez pas tre heureuse avec une tte comme a. Je sais je sais, neutre. Mais forcment. Forcment, vous tes malheureuse. DAME DEUX Ma tte me convient. Ma tte me va. Ma tte me revient. C'est comme a. DAME UN a vous arrive de sourire ? De sourire seulement ? DAME DEUX videmment. DAME UN Essayez pour voir. DAME DEUX Quoi donc ? DAME UN De sourire. DAME DEUX qui ? vous ? Vous plaisantez ? On aurait plutt envie de crier au secours.

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46 DAME UN personne. DAME DEUX Quand on sourit, on sourit toujours quelqu'un. DAME UN Balivernes. On sourit rien, tout, la vie, soimme. Vous souriez-vous vous-mme ? DAME DEUX Pourquoi voudriez-vous que je me sourisse ? Encore, s'il y avait un miroir, on pourrait le concevoir. DAME UN Un sourire. Un rictus. Rien que pour voir. Si a se trouve, vous aurez peut-tre l'air moins sinistre. DAME DEUX Vous m'agacez. Vous m'agacez et vous m'nervez. Vous m'insupportez. DAME UN Allez, souriez. Faites risette. Guili-guili. Vous ne vous tes quand mme pas fait tirer la peau comme une comdienne ravaude ? Vous tes dsesprante merde ! Mme pas la force de sourire. Tellement malheureuse que ses lvres n'ont mme plus la force de sourire. DAME DEUX Un sourire, a vient tout seul. Naturellement. Si on se force, c'est une grimace. DAME UN Alors, faites-moi une grimace.

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47 DAME DEUX Vous tes vraiment unique, vous. Un cas unique ! Et pourtant j'en ai vu dans ma chienne de merde de vie. DAME UN Vous vivez seule ? DAME DEUX a ne vous regarde pas. DAME UN Mais si a me regarde. Je ne fais que a vous regarder. Alors, vous vivez seule ? DAME DEUX Un peu. DAME UN C'est quoi un peu ? DAME DEUX Souvent. DAME UN Pas de concubin rgulier ni d'amant attitr la solitude. DAME DEUX Pas tout le temps quand mme DAME UN Une chambre crasseuse, humide, avec des trous au plafond. L'eau suinte. C'est Zola, Perchekov, Anathing, l'humour anglais en moins. Et l'odeur, l'odeur DAME DEUX Pas du tout

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48 DAME UN Vous vivez dans le luxe ? C'est l'un ou c'est l'autre. Le luxe ou la misre. DAME DEUX Non plus DAME UN Nous vivons dans un systme binaire. De deux choses l'une. DAME DEUX On est au courant. DAME UN Rien dans la vie. Rien dans les poches. Rien voir. Rien rire. Rien aimer. Rien attendre. Rien esprer. DAME DEUX C'est reparti DAME UN Les heures passent, identiques, comme des clones. Pas d'amis. Pas d'amour. Pas de dsir DAME DEUX coutez madame, j'en ai assez entendu dans ma chienne de merde de vie DAME UN Asseyez-vous ! DAME DEUX Eh ! Oh ! Oh ! a va pas la tte ?

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49 DAME UN vous vous asseyez sur un banc, viss au sol, et l vous guettez d'un il morne l'arrive tranquille des strato-cumulus dgueulasses DAME DEUX Pas morne : inquiet. DAME UN le temps s'annonce dgueulasse. Il va tomber une pluie dgueulasse. Le sol est dtremp, boueux, dgueulasse, vous marchez dedans DAME DEUX Mais elle va finir par me foutre le cafard, cette abrutie ! Je vous prviens Si Si vous continuez, j'appelle la police ! DAME UN Vous lui raconterez quoi la police ? Que je vous ai dit que vous aviez une tte sinistre ? Ils ne vont pas prtendre le contraire. Ils vont se marrer. Vous allez vous fcher parce qu'ils se marrent, ils vont s'nerver parce que vous vous fchez. Ils vont vous emmener au poste Laissez-moi parler que je termine l'histoire ! Un poste de police dgueulasse, avec des couloirs dgueulasses. Ils vous mettront dans une cellule dgueulasse, avec des clodos dgueulasses qui sentiront le vomi de vin dgueulasse DAME DEUX Ce coup-ci j'appelle ! (Elle crie :) Police ! Police ! Au secours ! DAME UN Qu'est-ce qui vous arrive ?

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50 DAME DEUX Au secours ! DAME UN Mais taisez-vous ! Attendez la fin. DAME DEUX Jamais l quand on les appelle ceux-l. Au secours ! On m'assassine ! DAME UN Alors, lentement DAME DEUX On peut se faire gorger, personne ne vient. Quelle poque de merde. DAME UN alors lentement, venant du trfonds du fin fond du bas fond de votre me sinistre, la question, la seule question vraie DAME DEUX C'est une dingue. Je suis tombe sur une dingue. Vous commencez m'touffer, ma vieille. DAME UN la question terrible, la question sinistre monte monte monte, comme la petite bte mais elle ne fait pas rire. La question essentielle, existentielle Mais restez assise ! Vous m'nervez. DAME DEUX Je l'nerve ! a c'est le bonnet. J'ai des crampes. DAME UN La question essentielle : " quoi bon ?" Hein, cocotte ? quoi bon ? That ise theu couestchione.

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51 DAME DEUX Je ne suis pas votre cocotte. DAME UN Je n'ai pas dit ma cocotte, j'ai dit cocotte tout court. DAME DEUX J'avais compris ma cocotte, excusez-moi. DAME UN Il n'y a pas de mal. quoi bon ? quoi a sert ? quoi JE sers ? quoi bon continuer ? quoi bon mme se dorer au doux soleil d'automne en regardant d'un il torve DAME DEUX Inquiet. DAME UN les strato-cumulus qui s'entassent l'horizon. DAME DEUX Mais qu'est-ce que je fous l moi ? Pourquoi moi ? Qui suis-je moi ? O vais-je moi ? Suis-je seulement moi, moi ? Suis-je seulement quelqu'un ? DAME UN Mais non mais non. Vous n'tes personne. Vous avez disparu corps et bien. DAME DEUX Si, je suis quelqu'un. Si je n'tais personne, a se saurait, je le saurais.

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52 DAME UN Trane-galre, trane-misre, trane-la-patte, trane-dveine, trane-la-vie, trane-la-mort. Sans but. Sans horizon. Sans soleil. Errant sans savoir pourquoi, ni pour o, ni pour qui DAME DEUX Pour o, je sais. Pour ici me rchauffer au doux soleil d'automne DAME UN Deuxime question. quoi a sert de vivre ? Hein ? Bonne question a ! Est-ce une vie la vie que je mne ? Minable, malade, seule, sinistre en plus, la cerise sur le gteau DAME DEUX Je ne suis pas malade. DAME UN Vous tes forcment malade. DAME DEUX Je ne vais jamais voir le docteur. DAME UN Vous devriez, avec votre teint terreux, vos yeux jauntres DAME DEUX J'ai les yeux bleus. DAME UN le souffle court, des taches suspectes. Vous couvez un cancer. C'est le bout du rouleau. Demain la souffrance. Demain la dchance. Demain l'agonie, Demain la mort. Alors, la rponse vous est apparue

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53 DAME DEUX Elle me fatigue, ma petite maman, elle me fatigue. DAME UN une seule solution, la disparition. En finir avec cette merde de vie. coutez coutez le vent souffle sur la lande bretonne. C'est le soir. C'est maintenant. Ici et maintenant. Le grand saut, le grand trou, le grand vide DAME DEUX Je veux rentrer chez moi. Je suis fatigue. DAME UN Va-t-elle se jeter dans le fleuve noir, d'o elle ressortira gonfle comme un chancre, mconnaissable ? Va-telle s'arracher la moiti de sa tte sinistre avec un fusil de chasse, abandonnant l'autre moiti ? Va-t-elle s'empoisonner avec du blooshup pour se tordre de douleur, et devenir toute verte comme un ectaplome ? Va-t-elle DAME DEUX Arrtez ! Vous me donnez envie de vomir. DAME UN Va-t-elle se prcipiter sous une voiture, une camionnette, un camion, et se faire aplatir comme un tapis persan ? DAME DEUX Extinction des feux ! Une minute de silence !

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54 DAME UN Dignit, madame. Amour propre. Sens de l'honneur et tutti quanti. Dbarrassez le monde de votre tte sinistre. Votre tte est une provocation, une atteinte l'harmonie universelle. Allons ! Hop ! Hop ! Sautez ! Vous entendez ce que je vous dis ? Sautez ! Go ! Librez-vous tout de suite. Librez-nous. Sautez ! DAME DEUX Mais o ? DAME UN Vous attendez que je vous pousse ? Dgonfle ! Misrable ! Disparaissez, je le veux ! DAME DEUX Mais arrtez ! DAME UN Fuori ! Fuori ! DAME DEUX Vous l'aurez voulu. DAME UN Qu'est-ce que vous faites avec a ? Rangez ce revolver. C'tait pour passer le temps. Il est si long le temps qui passe. Il ne faut pas tout prendre au premier degr. Vous n'allez pas me tuer ? DAME DEUX Si. DAME UN Vous n'avez pas une tte de tueuse, je vous assure que vous n'avez pas une tte de tueuse. Ce serait un rle contre-emploi une erreur de distribution

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55 DAME DEUX tire. DAME UN s'croule. Je meurs. Je suis morte. DAME DEUX Difficile de se rchauffer au doux soleil d'automne Oh ! Mon il inquiet aperoit de noirs et menaants strato-cumulus qui avancent massivement Mais qu'importe Aprs la pluie, le beau temps, aprs le beau temps, la pluie, aprs le jour, la nuit, aprs le rve, la vie, aprs la vie, la mort C'est comme a.

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L'ENFANT MORT

Un jardin public. Un banc. DAME 1 Tiens, il y a un enfant mort sur le trottoir DAME 2 Comment ? DAME 1 Je disais : il y a un enfant mort sur le trottoir. DAME 2 Quelle indcence Mais tes-vous bien sre qu'il soit vraiment mort ? DAME 1 Oh ! Croyez-moi, il a une immobilit qui ne trompe pas. Exactement comme mon mari, comme les autres. DAME 2 Avec les jeunes il faut se mfier. Ils sont bien capables de n'importe quoi pour se rendre intressants. DAME 1 Je vous assure qu'il est bien mort. DAME 2 Comment pouvez-vous en tre si sre ?

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57 DAME 1 (Observatrice, il faut tre observatrice. J'ai toujours t observatrice.) DAME 2 (Et alors ?) DAME 1 Il a les yeux grands ouverts. DAME 2 Ce n'est pas une preuve. Les gens vivants aussi ont les yeux grands ouverts. DAME 1 Peut-tre. Mais regardez les siens : ils ne clignent pas. DAME 2 Un malade. On peut trs bien natre sans paupires. Ou alors se les faire arracher en jouant. Ils ont des jeux tellement violents aujourd'hui DAME 1 Et les mouches ? DAME 2 Quoi les mouches ? Les mouches, vraiment ? DAME 1 Vous ne voyez pas ? DAME 2 Mais si, trs bien. DAME 1 (On a la vue qui baisse parfois, avec le temps.)

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58 DAME 2 (C'est pourtant vrai) DAME 1 Pas seulement une mouche, mais plusieurs mouches. D'normes mouches Ce n'est pas tout fait une preuve, disons que c'est une prsomption Il peut trs bien jouer la comdie. Voulez-vous un petit gteau ? DAME 2 Merci. Une prsomption, si vous voulez, une forte prsomptionVous tes d'une indulgence DAME 1 Comment a, d'une indulgence ? DAME 2 Vous cherchez par tous les moyens l'excuser ! DAME 1 Moi ? DAME 2 Mais oui ! Voil un gamin qui fait le mort sur le trottoir, qui ne cligne pas des yeux pour nous effrayer, qui pousse le vice jusqu' supporter des mouches noires sur ses yeux verts ou le contraire, on ne voit pas trs bien avec le soleil couchant, et vous trouvez cela normal ! DAME 1 Laissez-moi vous dire, en toute affection, que je vous souponne d'tre de mauvaise foi, un peu.

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59 DAME 2 Mais pas du tout ! Raliste. Je suis raliste. Vous verrez quand vous serez suffisamment apitoye, il se mettra gambader en se moquant de vous. C'est couru d'avance. Vos petits gteaux sont excellents. DAME 2 Ils sont fourrs aux noisettes. DAME 1 Je n'ai pas dit que je trouvais a normal, mais scandaleux. Et dites, vous trouvez cela normal cet norme caillot de sang son oreille gauche ? norme et dgotant. DAME 2 Vous m'intriguez. Voyons voir DAME 1 N'est-ce pas une preuve ? DAME 2 Vous allez finir par me convaincre. Attendez, nous allons en avoir le cur net. Je vais lui jeter des petits cailloux DAME 1 Il ne bronchera pas. DAME 2 Des petits cailloux, de plus en plus gros, jusqu' devenir de gros cailloux. Il faudra bien qu'il ragisse. DAME 1 Sauf s'il est vraiment mort.

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60 DAME 2 Dans ce cas, je vous rendrai grce Toc-toc Non, ils sont trop petits Celui-l DAME 1 Aurez-vous la force de le lancer ? DAME 2 Pensez-vous ! Et voil ! DAME 1 Vous avez fait s'envoler les mouches en lui tapant dans l'il ! DAME 2 J'y suis arrive DAME 1 tes-vous convaincue ? Les yeux, les mouches, le caillot, les cailloux Il est bien mort. DAME 2 Il est bien mort, mais ce n'est pas une excuse. DAME 1 Je n'ai jamais dit que c'tait une excuse. Et ce que je trouve scandaleux, voyez-vous, c'est qu'on le laisse traner l. Vraiment, nous vivons un drle de monde. DAME 2 qui le dites-vous. Et pourtant, Dieu sait si j'en ai vu, des drames, des tragdies. Mais l, je trouve qu'on dpasse un peu les bornes DAME 1 Avant, les rues taient propres.

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DAME 2 Tu joues la comdie.

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