Post on 26-Mar-2016
description
Avec le soutien de la DRAC et de la région Pays de la Loire
TABLE RONDE
LE DÉVELOPPEMENT DE LA FICTION EN
RÉGION
FESTIVAL PREMIERS PLANS D’ANGERS Samedi 21 janvier 2012
Dans le cadre de ses rencontres professionnelles, l’OPCAL, en partenariat avec ECLA
Aquitaine, a organisé une table ronde consacrée au développement du cinéma de fiction en
région, lors du Festival Premiers Plans à Angers.
1. Quelle place et quelle ambition pour la fiction en région ?
- Le film de fiction régional est-il possible ?
- Quelles possibilités pour les auteurs et techniciens de travailler en région ?
Quelles formations ?
- Quel est le rôle des chaînes locales dans le développement de la fiction ?
Modérateur : Thierry Lounas (Producteur, Capricci)
2. Comment favoriser la coproduction interrégionale ?
- Quels liens entre les professionnels des différentes régions ?
- Les critères des règlements d’intervention des régions
- Comment sortir du critère exclusif du tournage en région ?
Modérateur : Jean-Raymond Garcia (Directeur du département cinéma et audiovisuel
d’ECLA Aquitaine)
Intervenants
François Cognard (Producteur, Tobina Film)
Guillaume Deslandes (Directeur de la Maison de l’Image Basse-Normandie)
Frédéric Le Gall (Actions Ouest)
Gérald Leroux (Producteur, Tarmak Films)
Anne-Marie Puga (Auteur-réalisatrice/Productrice, Stations Services)
Martine Vidalenc (Productrice, Marmitafilms)
2
Introduction par Claude-Eric Poiroux (Délégué Général du Festival Premiers Plans)
Bonjour à tous, je voulais vous accueillir à cette table ronde de l’OPCAL qui devient
traditionnelle au festival Premiers Plans. Cela fait toujours plaisir de vous recevoir, vous et
ce que vous représentez. Nous allons recevoir beaucoup de producteurs cette année dans le
cadre du festival. Hier sont arrivés les jeunes gens qui suivent l’Atelier Ludwigsburg-Paris,
18 jeunes producteurs européens qui suivent leur formation entre la Filmakademie en
Allemagne et la Femis en France. Le Syndicat des Producteurs Indépendants sera également
présent à la fin du festival, avec qui nous nous poserons des questions concernant les
premiers films. Sont aussi présents dès aujourd’hui des producteurs de la région, qui se
posent justement des questions concernant le soutien des régions. Doivent-elles supporter
un cinéma qui va les représenter, être simplement un reflet, donc plutôt du documentaire,
ou doivent-elle aller vers plus d’ambition, donc vers plus de fiction ? La fiction est un moyen
de voyage. Il y a ici les représentants des différents festivals de la région. À nous tous,
présentons un panorama de films du monde entier, beaucoup de fictions, toujours avec un
ancrage. Et un ancrage, ce n’est pas forcément une capitale, cela peut tout à fait partir de
l’endroit où l’on est, et pourquoi pas d’une région. Quand on voyage, on se rend compte
que beaucoup de pays sont bien moins jacobins que nous et se décentralisent beaucoup
plus. Je crois qu’ici cette question est fondamentale et je vous remercie de la porter
aujourd’hui devant nous.
1. Quelle place et quelle ambition pour la fiction en région ?
Thierry Lounas
Merci Claude-Eric. Comme tu l’as dit, nous allons parler du cinéma de fiction. Quel est
l’état des lieux de la fiction en région et, si cela est nécessaire, comment pourrions-nous la
développer, à travers les auteurs, les techniciens ou les producteurs installés en région ?
Il y a plusieurs régions représentées aujourd’hui. Guillaume Deslandes nous parlera de la
Basse-Normandie, Frédéric Le Gall représente Actions Ouest, association des techniciens et
comédiens, François Cognard est producteur installé au Mans, tout comme Martine Vidalenc
qui est installée en Aquitaine.
Il est de notoriété publique qu’il se produit essentiellement des documentaires audiovisuels
en régions. La première question que je me pose, c’est pourquoi un tel déficit de fiction,
que cela soit du côté des auteurs, comme celui des producteurs ? Guillaume, si tu veux
commencer ?
3
Guillaume Deslandes
Avec la Maison de l’Image de Basse-Normandie, nous avons très vite identifié des auteurs et
des producteurs qui travaillent historiquement sur le documentaire en région. Il est vrai que
nous n’avons pas constaté cette même dynamique au niveau de la fiction. La Maison de
l’Image n’existe que depuis 6 ans, nous n’avons pas encore beaucoup de recul, mais nous
faisons le même constat. Avec le temps, les choses progressent, mais elles progressent
lentement. Nous avons dans notre région, principalement autour de Caen, un tissu
d’associations d’auteurs/réalisateurs qui sont plutôt dans l’autoproduction, voir dans les
pratiques amateurs, que l’on a pu rencontrer et identifier. Mais nous n’avons pas forcément
trouvé chez eux une véritable ambition de professionnalisation, ni une véritable capacité à
faire progresser leurs projets vers une production professionnelle.
Thierry Lounas
Donc pour toi la fiction existe, mais elle se fait de manière plus expérimentale.
Guillaume Deslandes
Oui, et le tissu de producteurs n’est pas non plus extrêmement développé. Par exemple, on
identifiait 4 structures de production de court métrage, avec l’ancienne carte d’autorisation
d’exercice. Sur ces 4, un seul produisait réellement de la fiction – il est d’ailleurs là
aujourd’hui, je ne pense pas que cela soit un hasard. Du côté des auteurs, on ne voyait pas
non plus arriver de projets, dans le cadre de l’aide à la production par exemple, qui
seraient issus de réalisateurs locaux et portés par des productions extérieures. Les choses
ont légèrement progressé, mais c’est encore balbutiant.
Thierry Lounas
Il se trouve que je connais un réalisateur de long métrage normand qui vit à Paris, et je me
demandais pourquoi il n’était pas resté à Caen. As-tu le sentiment, pour schématiser, que
quand on veut faire de la fiction, on va Paris, et que, quand on veut faire du documentaire
on peut rester en région ?
Guillaume Deslandes
Bien sûr je ne suis pas aussi catégorique. C’est vrai pour les réalisateurs, mais aussi pour les
techniciens. Nous avons beaucoup de techniciens qui travaillent essentiellement sur Paris,
mais qui souhaitent travailler plus dans la région. Avec le développement de l’aide au court
métrage, progressivement ils réussissent à partager leur temps entre Paris et la Normandie.
Ils ne peuvent pas encore travailler à plein temps en région, mais il y a du mieux.
4
Thierry Lounas
Justement, je passe à Frédéric Le Gall, penses-tu que le fait que les gens partent travailler
à Paris soit aussi un problème pour le développement de la fiction en région ? N’avons-nous
pas un problème de densité de réalisateurs, d’auteurs, de techniciens ?
Frédéric Le Gall
Je pense qu’il faut prendre le problème dans l’autre sens, le plus gros souci, c’est le
centralisme français. Jusqu’à une époque récente, il était quasi impossible d’avoir des
fictions d’initiative régionale à 100%. Aujourd’hui cela change, mais il y a 15 ans, quand on
tournait en argentique, que tous les labos, les diffuseurs, les financeurs étaient à Paris,
c’était encore plus compliqué. Encore aujourd’hui, on doit être autour de 85% des sociétés
de productions audiovisuelles installées à Paris. On est en train de réaliser une étude en
région Bretagne, en partenariat avec le groupe Audiens, sur la répartition géographique des
salaires dans l’audiovisuel au niveau national. C’est encore plus flagrant puisque 92% des
salaires sont distribués sur Paris.
Thierry Lounas
À ce moment-là, est-ce souhaitable qu’il existe de la fiction en région ? S’il y a une telle
concentration sur Paris, faut-il souhaiter que les fictions se développent coûte que coûte en
région ? Qu’est ce que cela permet de plus qu’à Paris ?
Frédéric Le Gall
Je pense que c’est vital, et même inéluctable, pour une raison toute simple. Quand
l’imaginaire d’un art national est concentré sur une toute petite portion du territoire, cela
engendre une uniformisation des films. Je pense que l’on a besoin d’autres accents,
d’autres lumières, d’autres décors… pour varier les plaisirs et le cinéma. À mon avis, si le
cinéma veut survivre, il faut qu’il vienne en province.
Thierry Lounas
Quelle est la place aujourd’hui de la fiction en région Bretagne ? Quel est l’élan
aujourd’hui, s’il y’en a un ?
Frédéric Le Gall
Cela passe par la production de courts métrages, qui existe depuis longtemps, de plus en
plus d’accueils de tournages, et il commence à y avoir quelques développements de projets
de longs métrages de fictions produits et réalisés en Bretagne. Mais, on parle-là de 3 ou 4
projets.
5
Thierry Lounas
À ton avis, pourquoi ces producteurs bretons mettent du temps à venir à ce type de
projets ?
Frédéric Le Gall
Parce que ce n’est pas simple. Les budgets changent et les risques sont multipliés. Il y a
peut-être aussi un peu du vieux complexe Paris Province qui traîne. Cela fait 25 ans que les
aides territoriales existent, il y a des sociétés partout en France, et je crois qu’elles
arrivent aussi à une maturité qui leur permet aujourd’hui de se lancer dans la fiction
longue. Cela a été long, mais je pense vraiment que c’est en train d’arriver maintenant.
Il y a un film qui vient de finir de se tourner en Bretagne qui est un des premiers longs
métrages de cinéma à 100% d’initiative régionale. Un réalisateur breton, une production et
une postproduction bretonnes, tourné entre la Bretagne et la Basse-Normandie… C’est
également la première fois que les télévisions locales se mettent ensemble pour financer un
long métrage de fiction. Ces 25 ans d’aides ont non seulement créé un tissu de sociétés et
de réalisateurs, mais aussi de techniciens, qui depuis tout ce temps se forment sur le court
métrage. Dans beaucoup de régions, on trouve des gens compétents pour faire du cinéma.
Thierry Lounas
Effectivement il y a un vrai tissu professionnel breton. Mais est-ce qu’il va falloir dans
toutes les régions, développer ce tissu, créer une filière, voire des industries techniques
pour pouvoir développer la fiction ? Est-ce souhaitable et est-ce possible dans toutes les
régions ?
Frédéric Le Gall
Clairement, toutes les régions ne jouent pas à jeu égal sur ce terrain. Il y a 4 ou 5 régions
qui ont un tissu local développé. Après 25 ans d’aides publiques locales pour les films, il est
temps de se demander à quoi elles servent. Le but est-il de développer une filière locale ?
C’est une question qu’on essaie de poser à nos élus.
Thierry Lounas
Quand tu mets en avant la fiction en région, tu dis quelque chose de très breton.
L’initiative régionale c’est tout le monde est breton, de l’auteur au réalisateur, en passant
par la production et les techniciens. Il y a aussi la possibilité que des auteurs d’autres
régions ou d’autres pays viennent tourner en région, que des producteurs tournent des films
de longs métrages ailleurs. Cela fait aussi partie du développement de la fiction en région.
6
Cela veut-il dire pour toi que le développement de la fiction passe par la mise en réseau de
l’ensemble du tissu producteurs, auteurs et techniciens ?
Frédéric Le Gall
En Bretagne, il y a un tissu qui existe et je pense qu’il faut le développer. Un des axes de
développement possible c’est la fiction longue, il faut donc se battre pour que cela se
fasse.
Thierry Lounas
Je vais passer la parole à François Cognard qui produit et développe de nombreuses fictions,
depuis la région, en région, tu as tous les cas de figures. Comment le vis-tu depuis ta place
de producteur en région ?
François Cognard
Effectivement, on n’a plus besoin d’avoir son adresse sur les Champs-Elysées pour être
producteur. J’ai pas mal voyagé, je suis originaire des Pays-de-la-Loire, j’ai étudié le
journalisme et le cinéma à Paris, puis je suis venu m’installer à côté du Mans. À mon grand
regret, j’ai assez peu tourné en Pays-de-la-Loire. J’ai un projet en ce moment que
j’aimerais beaucoup tourner dans le coin, à Nantes ou à La Roche-sur-Yon, avec un
réalisateur et de jeunes techniciens originaires de la région. Aujourd’hui, avec les
techniques de tournages plus légères, on peut donner leur chance à des jeunes chefs-op par
exemple. On va parfois là où l’argent est. Par exemple, il y a 7 ans, j’ai démarré le
développement d’un film qui s’appelle « Insensibles ». La région Pays-de-la-Loire m’a aidé,
puis nous nous sommes retrouvés obligés d’engager une coproduction avec l’Espagne et le
Portugal. Nous avons fini par tourner le film cet été en Catalogne. Et donc, j’ai dû laisser
tomber l’aide de la région. J’aurais préféré que la région reste présente via cette aide à la
production, mais cela n’a pas pu se faire. Auparavant, j’étais allé tourner le long métrage
« Amer » d’Hélène Cattet et Bruno Forzani dans les Alpes-Maritimes, parce qu’il me fallait
le décor bien spécifique d’une villa méditerranéenne. Leur prochain film, « L’étrange
couleur des larmes de ton corps », est coproduit avec la Belgique et le Luxembourg, et est
tourné principalement dans des décors Art Nouveau, nous irons donc tourner à Nancy et à
Bruxelles. Tout cela pour dire que cela dépend du profil du film. J’aimerais vraiment tourné
en région Pays-de-la-Loire, mais cela dépend du sujet, du financement du film.
Thierry Lounas
Pour toi qui es producteur, qui travaille avec d’autres pays, d’autres régions, quel est
l’intérêt à ce que la fiction se développe dans la région Pays-de-la-Loire ?
7
François Cognard
Ce que j’aime dans notre métier, c’est de découvrir des réalisateurs, des techniciens, des
décors… Je n’ai quasiment produit que des premiers films, courts ou longs. Et j’en ai marre
de voir toujours les mêmes décors parisiens, la même lumière, la même esthétique. Quand
Alain Corneau vient faire « Police Python » à Orléans, je n’ai jamais vu la ville comme ça et
cela me plait. De même, avec Guillaume Nicloux qui filme « Le poulpe » à Saint-Nazaire,
cela apporte beaucoup au film. Venir tourner ici c’est vraiment une valeur ajoutée.
Thierry Lounas
Ça n’est pas vraiment ma question. Les films dont tu parles n’ont pas été initiés ici, ils sont
juste venus s’y tourner. Ce que je voudrais savoir, c’est ce que t’apporterait dans ton
travail une politique régionale, ou des effets de proximités entre les professionnels en
région. Quel serait l’intérêt qu’il y ait plus de films d’initiative régionale portés par des
auteurs ou producteurs de la région ? Qu’est ce que cela t’apporterait dans ton travail ? En
bref, faut-il développer une filière pour la fiction en région ?
François Cognard
Oui, parce qu’il faut découvrir des gens. J’étais un gamin de la Sarthe qui s’est mis à aimer
le cinéma parce que j’ai pu voir des films dans des festivals organisés à côté de chez moi,
parce que j’ai pu discuter avec des projectionnistes, suivre le ciné-club de ma région… Je le
vois aujourd’hui avec des gamins, du côté de Montpellier par exemple, où il y a beaucoup
de gens qui se débrouillent pour tourner. À Toulouse aussi, avec sa très bonne école de
cinéma. Il y a des choses formidables qui ressortent de tout ça. Donc, j’ai envie d’aller à
Paris chercher de l’argent, mais ensuite j’ai envie de voir du pays.
Thierry Lounas
Est-ce que par exemple tu es particulièrement sensible à des projets d’auteurs de la
région ?
François Cognard
En fait j’en reçois assez peu. Mais j’ai quand même reçu ce projet, j’ai vu que ce garçon
était originaire de Nantes, que ses décors n’étaient pas forcément parisiens. Je me suis dit
que c’était peut-être l’occasion. Du coup, je vais revenir ici lundi au Temps Pro organisé
par le pôle emploi, parce que je veux au maximum tourner avec des techniciens d’ici,
plutôt que de faire venir une caravane parisienne. Ce que l’on fait parfois par obligation,
mais qui à aussi un coût. Il faut aussi résister à l’appel de l’argent. Il y a pas mal de
8
producteurs qui déposent dans plein de régions, en se disant, j’irais tourner dans celle qui
me donne le plus. Moi, je m’efforce de concevoir un film en accord avec un décor, un lieu.
Jusqu’à présent cela a plutôt marché, mais cela m’a obligé à quitter les Pays-de-la-Loire
car je n’y ai pas tous mes décors, tout ce qu’il me faut. Mais avant de monter à Paris, on
peut d’ici faire du cinéma, développer des histoires, trouver refuge dans des équipes et
faire des films.
Gérald Leroux
J’ajouterais que le temps de production d’un film de fiction est différent de celui du
documentaire. Il y a beaucoup de développements, d’échanges, de discussions en amont.
C’est une grosse dépense d’énergie, surtout quand on est dispersé géographiquement.
D’autant que réussir à créer une vraie cohérence d’équipe au fil du temps, cela créé aussi
quelque chose sur la pellicule. Je pense en particulier aux films de Robert Guédiguian, dont
quasiment toute l’équipe, comédiens compris, est à Marseille. C’est une équipe qui a fait 20
films ensemble, ils se connaissent tous par cœur, cela va beaucoup plus vite et cela se voit.
Jean-Raymond Garcia
Je suis quand même un peu surpris qu’on envisage strictement la question de la fiction en
région en termes d’implantation locale du tournage. L’initiative régionale peut aussi
s’exercer ailleurs qu’au coin de la rue.
Thierry Lounas
C’était l’exemple quand François Cognard disait qu’il avait perdu l’aide de la région Pays-
de-la-Loire parce qu’il est parti tourner en Espagne.
Jean-Raymond Garcia
L’initiative intellectuelle qualifiée vient de lui, et il vit ici. Ce sont aussi des règlements
d’interventions qui permettent ou non des accompagnements qui dépassent le strict cadre
de la localisation d’un tournage. Vous le disiez tout à l’heure, il y a des régions où il n’y a
pas de techniciens compétents. Il y a aussi la question des comédiens, de la formation …
Tous ces éléments sont constitutifs d’un environnement en faveur de la fiction. Il convient
de les prendre en considération afin d’établir les bons outils de l’intervention régionale.
Thierry Lounas
Les deux choses me semblent intéressantes. L’initiative de fiction, qui sort du territoire
mais qui continue à être accompagnée que ce soit au niveau du développement ou de la
production, me semble nécessaire, surtout quand il s’agit de fictions qui impliquent un
9
temps de production très long et des financements plus lourds. Par ailleurs, ce que dit
Gérald Leroux sur les équipes me semble également important. Je travaille avec un cinéaste
catalan et sa force à lui c’est qu’avant de choisir le film qu’il va faire, il a son équipe. C’est
l’équipe qui va faire le film. En France, au lieu d’avoir des équipes régulières, on a
tendance à greffer des gens sur les projets. On a une logique de projet, mais pas d’équipe.
Quand des groupes se créent, cela peut permettre de produire un cinéma différent. Le
développement du tissu et des effets de proximité peuvent permettre de créer un cinéma
nouveau.
Jean-Raymond Garcia
Les effets de proximité, tu peux aussi les créer en faisant venir des gens. Dans quelques
jours, à Lyon, il y a un colloque organisé par l’Association des Régions de France dont une
des tables rondes est intitulée « Du local à l’international ». S’il y a bien un art qui a cette
vocation d’exportation, c’est le cinéma, et plus largement l’audiovisuel. La difficulté, c’est
que 25 ans de politiques territoriales se sont essentiellement affirmées sur des questions de
localisation de tournage en région. Une des explications sur la fiction, indépendamment des
coûts, des formations, des disparités… ce sont les règlements d’intervention des
collectivités territoriales. S’ils ont favorisé une production documentaire d’initiative
régionale, la capacité d’aller produire ailleurs en fiction n’est envisagée que depuis très peu
de temps. La Basse-Normandie l’a fait de manière très affirmée dans ses règlements en
permettant le cofinancement interrégional. Un producteur bas-normand peut adresser un
dossier à la Maison de l’Image, sans avoir forcément vocation à tourner en Basse-
Normandie. Je pense que cela fait parti des éléments déclencheurs de politique, de savoir
faire, de compétence qui s’exportent. Je pense par exemple, que si le documentaire est
aussi fort en Bretagne, indépendamment de la qualité de la structuration du tissu, c’est
aussi parce que les règlements sont traversés de ses tremplins. On pourrait envisager en
Pays-de-la-Loire, qu’un film d’initiative régionale comme celui de François soit accompagné
quelque soit le lieu de tournage. Cela relève de volonté politique et de structuration des
règlements d’intervention.
Thierry Lounas
C’est en train d’être envisagé en région Pays-de-la-Loire. C’est un travail de réflexion qui
est en cours.
Guillaume Deslandes
Je voudrais juste préciser une chose, en Basse-Normandie, on est passé d’un système, avant
2005, qui était essentiellement concentré sur les films d’initiative régionale qui était censé
10
faire vivre les auteurs et techniciens locaux, à un système de soutien de films de toute la
France avec cette question du tournage en région. En étant sur un petit volume de films,
néanmoins avec une activité régulière sur le territoire régional, des techniciens de la région
se sont formés petit à petit, ont commencé à être identifiés et à être parfois appelés à
tourner dans d’autres régions. Cette circulation a lieu de plus en plus.
Gérald Leroux
Je voudrais juste rajouter que c’est un travail de longue haleine. La Basse-Normandie est un
bon exemple. Quand j’y suis arrivé, il n’y avait rien. Au fur et à mesure d’accueils de
tournages traditionnels qui vont arrivés sur le territoire, qui vont, comme dans beaucoup de
cas, employer non pas des chefs de postes mais des assistants et des techniciens, on va
créer un tissu de gens qui vont commencer à se faire identifier. À force de temps, de
formations, ils vont pouvoir aussi commencer eux-mêmes à développer de la fiction, courte
au début et peut-être longue ensuite. En Bretagne, cela a pris 25 ans.
Thierry Lounas
Effectivement cela prend beaucoup de temps. Cela fait quand même longtemps qu’il y a
des tournages accueillis. On sait que la question du recrutement, chef de poste ou pas, est
très compliquée. Même si cela frémit, malheureusement cela peut frémir encore
longtemps. Il peut y avoir des obligations en termes d’emploi sur les tournages, ce que
défendent parfois les techniciens. Mais le développement de la fiction peut se faire
autrement, en ne comptant peut-être pas juste sur les tournages accueillis. C’est une
possibilité dans une politique plus globale. On en parle assez peu, mais il y a aussi l’accueil
de professionnels sur le territoire via les festivals par exemple. J’ai apprécié l’introduction
de Claude-Eric, qui dit avoir intérêt à ce que la production se développe. Il fait venir
beaucoup de jeunes réalisateurs avec leur premier long métrage. Il serait très content que
ces jeunes réalisateurs rencontrent des producteurs de la région et que des projets naissent
ici sur des collaborations internationales. On voit souvent dans des régions qui ont de grands
festivals, qu’il y a peu de liens entre le tissu de production régionale et le tissu de diffusion.
Ce lien est pourtant absolument nécessaire.
Intervenant du public, Eric Pessus (comédien)
Je pense que le vrai problème vient de la distribution. Si les producteurs régionaux avaient
des liens suffisamment étroits leur permettant de distribuer leurs films de manière
nationale, il n’y aurait plus de problème pour faire venir les acteurs, les réalisateurs… Les
sociétés parisiennes ont moins de problèmes parce qu’elles peuvent distribuer de façon
nationale. Les sociétés régionales n’ont pas ce relationnel qu’ont les sociétés parisiennes.
11
Thierry Lounas
Je suis d’accord et pas d’accord. Souvent, la difficulté c’est déjà de faire le film, avant
même de penser à sa distribution. Par ailleurs, beaucoup de producteurs parisiens ont de
gros problèmes de diffusions. En revanche, tu soulèves une question intéressante, c’est le
lien entre la production et le diffuseur. On en parlait tout à l’heure au sujet de la région
Bretagne, les télévisions locales commencent à soutenir de la fiction, ce qui est très
moteur. Martine, si tu veux réagir.
Martine Vidalenc
Je suis un cas un peu atypique, puisque j’étais à Paris et que j’ai choisi de venir travailler
en région. Cela fait 2 ans que je suis en Aquitaine, je produis essentiellement du
documentaire pour le moment, mais je produisais de la fiction courte à Paris. Venir produire
en région, c’était vraiment un choix. Je pense que l’on est meilleur si on est bien là où on
vit, et on est meilleur aussi pour observer ce qui se passe autour. Je préside depuis
quelques temps l’association de producteurs cinématographiques et audiovisuels
d’Aquitaine. C’est vrai que majoritairement, les 25 structures de cette association
produisent du documentaire. Je pense qu’il faut être un peu indulgent avec nous-mêmes. 25
ans de règlements d’intervention territoriaux : tout cela est quand même assez récent ...
Quand on sait qu’il faut 5 ou 6 ans pour faire un long métrage, parfois 3 ans pour un court,
il faut peut-être laisser le temps à la filière de se développer. Il faut la favoriser bien sûr,
mais il faut aussi lui laisser le temps d’évoluer. Dans l’association il y a 2 sociétés qui font
du long, une qui relève davantage de l’autoproduction, et l’autre plus développée.
J’entends aussi des producteurs de l’association qui veulent développer du long métrage et
qui tendent à cela. Les choses vont à leur rythme.
Après dans le terme fiction en région, il y a deux choses la fiction en région produite par
des producteurs installés en région ou la fiction tournée en région. Pour moi ce n’est pas la
même question.
Thierry Lounas
Justement, qu’est-ce qui peut favoriser le développement de la fiction en région ? Favoriser
le lien entre le tissu régional s’il existe, ou avec des auteurs ou producteurs d’ailleurs ?
Martine Vidalenc
Les deux se confortent. À la fois, la filière technique professionnelle a besoin de travailler
sur des fictions initiées par des producteurs d’où qu’ils viennent, mais rien n’empêche les
producteurs régionaux de faire du long aussi. Tout cela doit évoluer ensemble mais il ne
faut pas partir du constat que la fiction ne peut pas exister en région.
12
Thierry Lounas
On ne dit pas que cela ne peut pas exister, mais que cela existe peu. On essaye de voir dans
quelle mesure et avec quel type de politique on peut la faire émerger un peu plus
rapidement. D’autant plus qu’avec les outils numériques, comme le disait François, on est
dans un type de production très différent de ce qui se faisait il y a 25 ans. Par exemple, de
quoi aurais-tu le plus besoin aujourd’hui pour te permettre de développer des fictions ?
Martine Vidalenc
Aujourd’hui, j’ai des projets de fictions courtes en développement. On est en train de
construire une équipe. J’arrive à m’entourer des gens avec qui j’ai envie de travailler.
Quelques-uns viennent de Paris. Comme je le dis souvent, le train se prend dans les 2 sens.
Si les gens veulent venir travailler, ils peuvent. Ne créons pas de frontières qui n’existent
pas.
Thierry Lounas
J’ai parfois entendu le témoignage de réalisateurs, expliquant que quand ils étaient jeunes,
ils n’étaient pas du tout dans ce clivage entre fiction et documentaire, qu’ils avaient des
projets des deux types. Mais, comme ils ne sont pas montés à Paris, et qu’il est plus simple
de faire du documentaire en région, ils ont petit à petit abandonné leurs projets de fictions.
Martine Vidalenc
C’est un témoignage qui mérite d’être un peu nuancé. Il y a des documentaires qui sont
bien plus difficiles à monter que des fictions. C’est très banal de dire cela, mais c’est vrai.
Je n’ai pas envie de les opposer, ce sont deux langages cinématographiques et audiovisuels
très différents.
Thierry Lounas
Pour en revenir aux télévisions locales. C’est un partenaire de proximité pour beaucoup
d’auteurs et de producteurs. Quel rôle peuvent-elles jouer dans le développement de la
fiction ? Il semble qu’il manque encore quelques marches pour pouvoir réaliser des projets
de fictions. Les télés locales ont-elles un rôle à jouer à ce niveau-là, pour aider l’émergence
de la fiction ?
François Cognard
C’est très compliqué sur le long métrage. Il y a une chronologie des médias, on passe des
contrats avec des chaînes publiques, d’autres cryptées… C’est très compliqué de demander
à une télé locale de s’engager en préachat ou en coproduction. Par contre cela me semble
13
indispensable en fiction courte. Je suis étonné qu’il n’y ait pas plus de programmes
consacrés aux courts métrages sur les télévisions locales. Je trouve qu’il devrait y avoir un
préachat sur le court, même si on parle d’une somme symbolique. Pour un réalisateur, le
fait de savoir qu’il va être diffusé, même pour un petit M.G., est vraiment indispensable.
Gérald Leroux
Dans le cadre du court, la télé locale peut être un facilitateur en termes de production. Elle
peut aussi amener à des résultats. Je l’ai vu récemment, avec la diffusion du court d’un
réalisateur de la région, j’ai été surpris de voir qu’il y avait des retombés pour la télévision
locale. Cela dit, j’ai été confronté à un problème récemment. Plusieurs télévisions locales
commencent à mettre en place des programmes de courts métrages, qu’elles y soient un
peu contraintes, ou par initiative. Dans 3 d’entre elles, j’ai constaté un verrou qui m’a
beaucoup étonné. On m’a dit que, via un accord entre TLSP et l’agence du court métrage, il
y a programme court qui arrive gratuitement chaque mois, pourquoi iraient-elles alors
intervenir sur le court métrage local ? Je comprends que cela soit intéressant de favoriser la
diffusion d’un catalogue comme celui de l’agence. Mais de fait, cela peut aussi freiner la
possibilité de volonté d’intervention des télévisions locales sur ce domaine.
Thierry Lounas
C’est vrai que l’un n’empêche pas l’autre. Il faut aussi que les chaînes achètent en dehors
des préachats, sinon, elles ne font que diffuser ce qu’elles ont coproduits et les autres films
qui émergent seuls se retrouvent sans fenêtres.
Gérald Leroux
C’est vrai pour les chaînes nationales. Pour les télévisions locales, c’est plus compliqué. Il y
a déjà une disparité entre ces télévisions locales. Leur tissu est également émergent. Cela
n’est pas très politiquement correct, mais il faut aussi que nous, professionnels et
collectivités, fassions leur éducation. Il y a des gens qui démarrent une télé locale sans
jamais avoir travaillé dans l’audiovisuel ou le cinéma.
Thierry Lounas
Parfois il y a des subventions qui leur sont données. Il appartient peut-être aux collectivités
de négocier quelque chose avec elles, en faveur de la création dans leur région.
Frédéric Le Gall
En France, on a quand même un problème à ce niveau-là. Il nous manque un étage de télés.
À la différence d’autres pays européens, nous n’avons pas de télés régionales de plein
14
exercice. C’est un gros problème, en particulier pour la fiction. Du coup, chez nous, l’étage
du dessous descend carrément à la cave. Et en même temps, il y a le film de Bénédicte
Pagnot dont on parlait tout à l’heure, qui est coproduit par les 3 chaînes bretonnes, Ty
Télé, Tébéo et TV Rennes. Ils ne donnent quasiment rien, c’est de l’ordre du symbolique,
mais c’est la première fois que cela se fait, il y a aussi une logique. TV Rennes à coproduit
tous les courts métrages de la réalisatrice. Il y a une suite logique artistique de la part de la
chaîne et j’espère que cela va continuer.
François Cognard
Et puis c’est utile pour l’exploitation du film dans la région, auprès des exploitants, des
salles. Les télés locales devraient mettre beaucoup plus en avant des bandes-annonces,
assembler elles-mêmes des programmes de courts, de leurs régions et des régions voisines.
Ce que racontait Gérald est terrible. Ce côté Findus de la programmation. C’est dommage
qu’ils ne puissent pas faire eux-mêmes leurs choix. Les commissions reçoivent tellement de
scénarios, ça bouillonne. Surtout avec une technique plus légère. Je suis épaté par ce que
font certains jeunes sur le Web, on a des films quasi professionnels parfois.
Thierry Lounas
Je suis tout à fait d’accord avec l’aspect psychologique de la diffusion. Quand on fait un
film, et qu’on sait déjà qu’il va être diffusé, on ne l’aborde pas de la même manière, on a
déjà un spectateur imaginaire en tête. La télévision locale doit aussi jouer ce rôle. Et c’est
bien d’avoir au côté de la subjectivité des producteurs, celle des diffuseurs. Tu parlais aussi
d’Internet. Les films se voient aussi à travers la toile et Internet est assez peu présent dans
les politiques des collectivités locales. C’est un endroit de diffusion majeur, un lieu
d’émergence qui est ignoré par à peu près l’ensemble des régions. Faut-il considérer,
comme le fait maintenant le CNC, que les diffuseurs Internet sont des diffuseurs à part
entière ? Comment voyez-vous Internet dans votre travail ?
Guillaume Deslandes
Je ne vois pas encore Internet comme un diffuseur, mais comme un espace de diffusion.
Pour reprendre ce que disait Gérald sur les télés locales, c’est vrai qu’il y a une éducation
qui est en train de se faire. Notre télé locale a été reprise récemment par un groupe de
télécommunication qui voulait essentiellement faire une télé de proximité, avec des
informations locales. Quand il s’est agi de montrer du documentaire, ils se sont déjà posé la
question de savoir si cela rentrait bien dans leur ligne éditoriale. Ils ont fini par le faire,
puis s’est posée la question de la fiction courte. Les premiers réalisateurs et producteurs
qui ont été voir la chaîne se sont vus demandés, en gros, combien ils pouvaient payer pour
15
que la chaîne diffuse leur film. Petit à petit, à force de discussion, les rapports changent, et
ils comprennent qu’en étant diffuseur, en rentrant dans le financement des films, ils
s’inscrivent aussi dans une chaîne. Encore une fois, quelque chose frémit de ce côté.
Gérald Leroux
J’ai beaucoup travaillé avec les télés locales, dans le documentaire, et aujourd’hui dans la
fiction. J’ai pu remarquer qu’il fallait parfois leur forcer un peu la main. Il faut parfois se
demander pourquoi ils bloquent sur tel ou tel point. J’aimerais bien leur faire comprendre
que si elles essayent de singer un France 3 Région avec 10 fois moins de moyens, elles vont
à l’échec. Il faut qu’elles réfléchissent à être un espace de diffusion d’autres choses, à une
proposition alternative en dehors de leur flux. Malheureusement, c’est un beau rêve de se
dire qu’on va les aider à réfléchir dans ce sens, il faut déjà avoir le bon interlocuteur. Il
faut tenter de comprendre leur logique et être capable de s’y adapter pour les amener où
l’on veut les amener.
Thierry Lounas
Guillaume, je reviens sur ce que tu disais à propos d’Internet comme espace de diffusion et
les télés locales comme diffuseurs. Personnellement je ne vois pas trop la différence, et
parfois je me sens plus à l’aise avec la programmation de la ligne éditoriale d’un site
comme Dailymotion que dans une télévision locale où je ne suis pas sûr de bien comprendre
ce qu’elle est en train de faire. En termes d’audimat, je ne suis pas sûr non plus qu’elles
soient beaucoup plus fortes. On fantasme sur les chaînes locales d’un côté, et sur un
Internet un peu négatif de l’autre et j’ai l’impression que rien ne se structure. Est-ce qu’on
n’est pas en train d’essayer de changer à tout prix des gens qui ne sont pas là pour ça, des
gens pour qui la création n’est absolument pas un centre d’intérêt ? Et de fait, ne pas
penser à d’autres moyens de diffusion – les liens avec la salle, avec Internet - inventer des
espaces de création qui pourraient être régionaux, interrégionaux. Cela se fait à l’étranger.
Il y a des gros sites de diffusion d’œuvres d’art qui sont très visités, et soutenus. Je n’ai pas
vraiment de solution à proposer, je trouve juste qu’on n’en parle jamais, alors que quand
on rencontre des gens qui font de la fiction en région, pour eux c’est une évidence, Internet
a une place dans leur création.
Guillaume Deslandes
Je ne substituais pas l’un à l’autre. Je parlais juste d’une éducation possible d’un acteur qui
est la télé locale qui au départ, lui-même n’avait pas inscrit dans son projet ce type de
diffusion.
16
Thierry Lounas
Est-ce que ce ne sont pas de vieux schémas que l’on veut à tout prix réformer au lieu de se
porter en avant vers d’autres choses ?
Guillaume Deslandes
J’avoue ne pas être très au fait des questions d’Internet. Si quelqu’un peut me dire
comment cela contribue à l’économie du film, je suis preneur.
Thierry Lounas
Sur un court métrage, on peut difficilement parler d’économie, en général. A part de la
subvention, il n’y a pas beaucoup d’économie. Gérald as-tu d’autres solutions ?
Gérald Leroux
J’ai participé récemment à un débat sur une télé locale sur la production de fiction courte
dans notre région. Il y avait le représentant d’une structure qui expliquait qu’il y avait
effectivement une économie du court métrage sur Internet. Je pense qu’à part des cas
exceptionnels, c’est faux et que ça peut même être dangereux car ça peut être un miroir
aux alouettes pour certaines personnes qui démarrent ou aspirent à démarrer dans la
profession… Actuellement, il n’y a pas d’économie en termes d’exploitation. Malgré tout, le
choix qu’a fait le CNC il y a une dizaine d’années de professionnaliser le court métrage, fait
qu’aujourd’hui il s’agit d’un secteur économique. Les ressources viennent principalement
de subventions, mais de fait, les producteurs de courts métrages sont aussi confrontés à une
responsabilité économique qui est parfois écrasante.
Intervenant dans le public, Jérôme Fihey (producteur, Le crâbe fantôme)
On parle beaucoup d’Internet. Ce n’est pas un diffuseur, c’est un moyen de diffusion.
Quand je suis allé voir Dailymotion, on m’a juste proposé de mettre les courts en avant sur
la page d’accueil. C’est super, mais bon… Avec l’arrivée de site comme Netflix aux Etats-
Unis, qui produit la prochaine série de David Fincher, ils commencent doucement à entrer
en coproduction sur des œuvres (avec Arte entre autre). En France l’année dernière,
Youtube représentait 1 milliard de vidéos vues par mois et Dailymotion 160 millions. Si on
enlève les petits chats et les enfants, il reste quand même quelques millions de vues sur des
choses intéressantes. On parle de chaîne régionale, je trouve que c’est une très bonne idée,
mais il faudrait d’abord se demander si cette chaîne peut exister sur Internet. D’abord
parce que le potentiel est plus important, que ça n’empêche pas les partenariats avec les
chaînes locales et que ça peut-être fait assez facilement. Ce qui en fait ensuite un
17
diffuseur, c’est le choix éditorial et la capacité à dégager de l’argent pour payer la diffusion
des films. Avec de la publicité sur les sites, des partenariats, du mécénat pourquoi pas…
Jean-Raymond Garcia
Je ne crois pas que la question des télévisions locales se règle dans un bilatéral qui serait
les producteurs de contenu et la chaîne. Il y a quand même un outil à disposition des
collectivités territoriales qui sont les contrats d’objectifs et de moyens. C’est sur la base
d’un de ses contrats, particulièrement incarné dans un sens de mission de service public,
que la région Bretagne s’est dotée d’une unité régionale de production, dont l’un des effets
fût d’avoir particulièrement « titillé » France 3, parce que les professionnels de la filière
ont trouvé une diversité d’offres de programmes. Mais, là où je vous rejoins, c’est quand on
se demande, qui en est l’éditeur ? Il faut aussi rappeler qu’il y a les télévisions locales de
service public, et les télévisions locales privées. Les privées sont très largement adossées à
la presse quotidienne régionale. Les gens qui incarnent l’entreprise télévisuelle n’ont
souvent pas de formation aux programmes, ils viennent en général souvent de la presse
écrite, sont d’anciens journalistes, mais ne sont pas des éditeurs de programmes. La
réponse énoncée par Guillaume tout à l’heure, « combien vous payez pour qu’on diffuse
votre film ? », a été la même pendant des années à Bordeaux aux producteurs ou
réalisateurs qui envisageaient une coproduction ou un préachat de la chaîne locale de
télévision. C’est très difficile. Ce sont des structures qui sont fragiles économiquement. Dix,
quinze ans après, on n’a toujours pas trouvé la formule de l’équilibre économique pour les
télévisions locales. Il y a eu des faillites retentissantes qui ont fait quelques dégâts,
notamment parmi des producteurs et des auteurs implantés en région. Il faut s’attacher à
trouver, parmi les sommes parfois considérables apportées par les collectivités aux chaînes,
un espace d’éditorialité sans que cet espace ne soit suspecté, notamment par le CNC, d’une
quelconque ingérence de la part de ces collectivités sur les programmes. Il y a de ce côté
beaucoup d’ambiguïté. On sent du côté des chaînes le fait qu’il n’y ait pas de culture de
programmes. Finalement, un magazine qui est en fait un publi-reportage pour l’office du
tourisme n’est pas très gênant car il n’y a pas d’éditorialité, pas de contenu. Je serais
curieux de savoir quelles sont les chaînes locales qui disposent d’une personne qui s’occupe
de l’accueil des projets déposés par les producteurs, régionaux ou non. Après, il y a le culte
de la proximité. Sincèrement, travailler avec une télévision locale dont la notion de
documentaire se résume à la proximité, avec tout ce que cela peut signifier comme dérive
de préférence locale, cela ne m’intéresse pas car elle ne jouera pas le rôle d’éditeur de
programme. Ensuite il y a Internet dans ces chaînes. À part de très rare cas, je n’ai jamais
vu de télévisions locales développer de site Internet qui soit autre chose qu’un agenda des
programmes diffusés par la chaîne. Alors qu’elles ont, pour moi, une vocation de dénicheur
18
car il n’y a pas d’audience. Il n’y a pas ou peu de calcul d’audience sur les chaînes locales,
elles n’ont pas les moyens de se procurer ces éléments. Elles sont déconnectées d’une
certaine réalité télévisuelle et pourtant, quand elles vont voir les collectivités, elles
expliquent qu’elles ont un rayonnement fort, elles adoptent très souvent le discours des
« grandes chaînes » …
Thierry Lounas
Oui mais, est ce que tu crois que ça marcherait si elles faisaient autre chose que de la
proximité ? Peut-être que c’est ça qui marche. Tu parlais de la presse écrite, ils ne
produisent pas non plus du grand reportage international.
Jean-Raymond Garcia
Je ne suis pas d’accord, par exemple le journal Sud-Ouest est un quotidien régional, avec
des pages cultures notamment, très interessantes
Thierry Lounas
La question que je me pose, c’est, n’est-on pas en train de faire peser la question de la
création sur des acteurs qui ne sont pas vraiment là pour ça, au lieu de penser à d’autres
solutions ?
Jean-Raymond Garcia
Pour une région qui veut développer à la fois une communauté professionnelle et un
rayonnement, il y a trois axes qu’elle ne peut pas ignorer. Premièrement, les règlements
d’intervention en faveur des œuvres, et là, je pense qu’il y a un toilettage nécessaire qui
doit être engagé par les collectivités territoriales. À ce sujet, un certain nombre de régions,
avec Films en Bretagne, vont éditer un document qui s’appelle « Pourquoi tu m’aides ? », un
témoignage critique des modalités d’intervention depuis 25 ans. Deuxièmement, il y a les
aides aux programmes d’activité des entreprises. Sachant qu’aujourd’hui, il faut prendre en
considération les associations car aujourd’hui, le contexte régional est beaucoup plus
mixte. Il y a de plus en plus d’autoproduction, de collectif de réalisateurs… Il y a tout une
pratique qui échappe à l’institution. La question est de savoir où se situe l’intérêt de
l’institution de continuer à effectuer un travail de détection, d’émergence. Comment peut-
on concilier la carte du compagnonnage qu’évoquait Frédéric, avec une production comme
celle de Gilles Padovani et Bénédicte Pagnot ? C’est très difficile pour une région
d’identifier les auteurs émergents. Notamment parce que ces auteurs ne s’adressent plus
aux comités de sélection, qui sont considérés comme des institutions rigides,
technocratiques et fossiles. Troisièmement, il y a le contrat d’objectifs et de moyens des
19
diffuseurs. Ça n’est pas une question de création, mais une question de production de
contenu. C’est autant un magazine d’intérêt culturel, qu’une sitcom régionale, qu’une
master class avec des étudiants, comédiens du conservatoire régional… Là, il y a quand
même un très fort déficit d’imagination.
Thierry Lounas
Est-ce que ce contrat d’objectifs et de moyens existe avec TV7 à Bordeaux ?
Jean-Raymond Garcia
Oui, mais c’est très compliqué. Il a abouti, après 10 ans d’existence de la chaîne, au
préachat de 7 courts métrages, fictions et documentaires de 10 à 15 minutes, à hauteur de
6 000 € de cash pour chaque film, ce qui est beaucoup. Les films sont aussi aidés par la
région (environ 25 000 €) et ont eu le COSIP sélectif du CNC.
Thierry Lounas
Et combien donne la région à TV7 ?
Jean-Raymond Garcia
C’est toute la question. Là où les producteurs se sont émus, et ils ont raison, c’est que la
région engage environ 1 400 000 € et à l’arrivée, il y a 40 000 € pour la production
audiovisuelle régionale. Dans une région comme l’Aquitaine, qui n’est pas un petit
territoire, on aurait très bien pu imaginer 150 à 200 000 € d’investissement qui auraient
changé fondamentalement le devenir de certaines entreprises.
Frédéric Le Gall
Les producteurs régionaux ont-ils participé à la rédaction de ce contrat ?
Martine Vidalenc
Nous avons été très mobilisés bien sûr. Mais on parlait tout à l’heure aussi de l’inexpérience
des interlocuteurs des chaînes.... L’année dernière, quand nous avons parlé d’un appel à
projet avec TV7 sur du court de fiction et documentaire, la nuance même de la forme
n’était pas si évidente. Aujourd’hui, en voyant les films, et suite à nos échanges, il est
capable d’exprimer une préférence éditoriale. On en est là, on avance ensemble
progressivement. Après, il y a aussi des chaînes locales avec de vrais éditeurs de
programmes.
20
Jean-Raymond Garcia
On ne peut pas envisager, quand on participe à l’élaboration d’une politique régionale en
faveur du cinéma et de l’audiovisuel, de négliger la question des télédiffuseurs. Jusqu’à
présent, TV7 bénéficiait du concours financier de la région pour des opérations qui
n’étaient pas liées au préachat ou à la coproduction de programmes. On a donc commencé
par se procurer auprès du Conseil Régional de Bretagne, leur contrat d’objectifs et de
moyens. Nous nous en sommes servis pour convaincre les politiques en Aquitaine qu’il était
tout à fait possible d’envisager, avec des moyens qui sont bien moins importants en
Bretagne qu’en Aquitaine, une politique structurante, cohérente, en faveur de la
production audiovisuelle indépendante. La deuxième étape a été de sensibiliser le directeur
de la chaîne aux questions des programmes, notamment du documentaire, en lui demandant
entre autres, de participer à un comité documentaire où étaient présents des réalisateurs,
des producteurs… Ce temps d’incubation d’une journée s’est traduit quelques semaines plus
tard par une première petite ouverture et une première enveloppe de 40 000 €. Une chose
très importante, quand bien même la production régionale en Aquitaine est essentiellement
liée au documentaire, même si c’est en train de changer, les producteurs ont compris qu’il
valait mieux des courts bien financés, qui ont été réfléchis en termes de durée pour être
éventuellement présentés en avant programme dans les salles. D’ailleurs, Patrick Troudet,
des Utopia à Bordeaux, a participé au comité de sélection composé de Vincent Ravalec,
Laurence Ferreira Barbosa, Claude Villers et Alain Perez de TV7. Ce comité a lu une
vingtaine de projets sur 77 déposés et déjà triés par un premier groupe. L’appel à projet
était sur le thème des lieux emblématiques ou singuliers de la région. Il était ouvert
également aux auteurs non régionaux, mais devait être produit ou coproduit par des
entreprises régionales. Pour info, le prochain appel sera sur le thème de la nuit.
Thierry Lounas
Avant d’en arriver aux liens entre les régions, je voulais qu’on finisse sur les liens entre les
auteurs et les producteurs, lien essentiel pour pouvoir faire des films. Quelle est votre
expérience de ce lien en région ? Y a-t-il des choses à améliorer, des outils à développer ?
Guillaume Deslandes
Pour le documentaire, nous avons mis en place assez vite un atelier d’accompagnement
pour les auteurs et réalisateurs, sur le développement de leurs films. Nous cherchions
également à travailler sur la fiction, avec cette difficulté de pouvoir identifier des auteurs-
réalisateurs porteurs de projets potentiels. Nous avons fini par travailler via une association
qui regroupe des collectifs, ayant principalement des pratiques amateurs, et avons mis en
place un atelier d’écriture de fictions courtes. Le principe était d’accompagner l’écriture
21
des projets de jeunes auteurs-réalisateurs émergents de la région, sur plusieurs rendez-vous
avec un scénariste professionnel. Cela fait 2 ans que l’atelier est en place, la première
année nous avons eu une vingtaine de projets, l’année dernière 10 et cette année nous en
sommes à 6. C’est déjà un premier signe qui montre bien les difficultés dont on parle depuis
tout à l’heure.
Gérald Leroux
Il ne faut pas pour autant en déduire que cela dénote d’une région en régression. L’objectif
de ce type d’atelier est d’amener des gens, qui sont dans la pratique dite amateur ou
émergente, à se questionner sur les pratiques professionnelles et à voir s’ils ne pourraient
aller vers plus de professionnalisme. Manifestement, le constat c’est qu’il y en a beaucoup
qui arrêtent. Il faut se rendre compte du gouffre qui existe parfois entre ces deux domaines
du court métrage, gouffre qui s’est creusé d’année en année. Nous avons aujourd’hui une
production professionnelle du court métrage qui fait appel à un « petit » réseau national
d’auteurs et de producteurs et de diffuseurs. Les budgets sont aussi en expansion. Il faut
compter aujourd’hui entre 50 et 150 000 € pour produire un court. C’est énorme. De fait, le
réseau amateur s’est retrouvé totalement marginalisé. Réussir à créer le lien entre ces deux
mondes est très compliqué.
Guillaume Deslandes
Effectivement, il est très difficile d’accompagner la pratique émergente vers la
professionnalisation. Après l’atelier, nous n’avons pas pu passer à l’étape suivante, qui est
d’établir ce lien entre la création émergente et la production.
Jean-Raymond Garcia
Il faut dire aussi que les relations auteur/producteur ne sont pas très bonnes, et pas
seulement en région. C’est un des signes assez notables de la crise dans le cinéma et
l’audiovisuel français. C’est le malentendu qui existe dans la relation de l’auteur au
producteur. Une des choses sur lesquelles on a beaucoup insisté en Aquitaine, c’est
d’arriver à obtenir que les auteurs ne considèrent pas le producteur uniquement comme un
carnet de chèque et une sorte de cheval de Troie pour obtenir des aides de la région, mais
bien comme un collaborateur de création. De ce point de vue, il faut aussi admettre qu’il y
a parmi les producteurs une certaine limite dans l’accompagnement des projets sur les
aspects artistiques et créatifs. Les pratiques amateurs ne sont pas seulement le fait des
auteurs, elles existent aussi chez des producteurs en manque de repères. Cela n’a pas été
simple, mais nous avons mis en place une formation qui s’appelle « Produire en région,
phase 2 ». Pour mémoire, « Produire en région » était une initiative portée par Jacques
22
Bidou, Anne-Marie Luccioni et Jean-Marie Bertineau. Aujourd’hui cela s’est transposé au
niveau européen avec la formation Eurodoc. Il y a toute une génération de producteurs,
comme Alexandre Cornu, Jean-François Le Corre ou Gilles Padovani, qui sont passés par
« Produire en région » et qui sont très actifs aujourd’hui. Cette nouvelle formation
s’appelle « phase 2 » car elle correspond aux évolutions notables de la production
décentralisée que sont l’autoproduction ou la production associative. C’est une formation
que nous avons mise en place avec la Femis, et j’ai été très surpris des difficultés qu’avait
cette grande école de cinéma à se saisir de cette nouvelle donne. Nous voulions un tandem
de tuteurs producteur et réalisateur, pour poser les questions de la production. La
discussion a été assez délicate par moment avec l’établissement, sur le fait que la
production ne pouvait pas être apprise avec ce type de tandem. Au final, il n’y a eu qu’une
productrice à incarner ce tutorat. Ce qui est amusant, c’est que beaucoup de réalisateurs se
sont inscrits à cette formation. On s’est vite rendu compte qu’ils envisageaient pour
beaucoup d’être coproducteurs de leurs films. Cela n’est pas inintéressant. Il faut savoir
qu’aujourd’hui, un réalisateur ne touche quasiment rien sur les droits d’auteurs liés à la
diffusion sur une chaîne locale. Il y a un no man’s land sur la diffusion et l’exploitation des
films qui est extrêmement préoccupant. Du coup, je trouve assez logique que des
réalisateurs envisagent la production et la coproduction pour pallier un certain manque de
revenus. Ça n’est pas toujours simple à gérer pour les producteurs, mais je ne vois pas
comment on peut évoluer autrement aujourd’hui. On reprend donc aujourd’hui cette
formation, et nous avons pu obtenir de la Femis qu’il y ait un module consacré à la relation
auteur/réalisateur et producteur. Mais, ça n’est pas évident, il y a beaucoup de préjugés.
Comme dans la relation entre producteur et distributeur d’ailleurs.
2. Comment favoriser la coproduction interrégionale ?
Thierry Lounas
Pour enchaîner sur la seconde table ronde, nous parlions du peu d’auteurs qui peuvent, ou
souhaitent se professionnaliser, de la fragilité du tandem auteur/producteur. N’y a-t-il pas
moyen d’élargir la base régionale pour permettre des échanges d’une autre ampleur, qui
permettraient par la suite d’atteindre un rayonnement national. Est-ce qu’une étape
interrégionale est possible, sachant qu’on en parle depuis longtemps, mais que cela reste
compliqué pour plein de raisons ? Quelle est la situation aujourd’hui des auteurs et des
producteurs face à la question de la collaboration interrégionale ou plus largement, la
question du rapport entre la région et son extérieur ?
23
Jean-Raymond Garcia
Autour de la table, nous retrouvons Gérald Leroux, producteur en Basse-Normandie qui a
développé ces 4 dernières années un certain nombre de coproductions en région. Guillaume
Deslandes qui dirige la Maison de l’Image Basse-Normandie, qui incarne une politique
régionale assez à l’avant-garde, notamment pour ce qui concerne la facilitation des
dispositifs de coproduction. Si Gérald a pu développer des activités de coproduction, c’est
précisément parce que les critères d’intervention de la collectivité régionale de Basse-
Normandie le permettent. Vient nous rejoindre également Anne-Marie Puga, auteur et
réalisatrice qui vit à Bordeaux. Elle a réalisé des courts métrages, et développe un long
actuellement, avec le concours de la bourse Beaumarchais. Elle produit également du
programme documentaire et de la fiction courte.
La première question de cette table ronde est celle des liens entre professionnels de
différentes régions. Créer des liens, cela passe par des affinités électives, des communautés
d’intérêts et des lieux qui soient en capacité de les développer. Or, les lieux liés à la
production décentralisée sont assez peu nombreux. Historiquement, il y a le festival Images
en Régions de Vendôme et Doc’Ouest à Pléneuf Val André. Il y a malgré tout des liens
évidents entre les professionnels et les institutionnels des différentes régions. J’évoquais
tout à l’heure le fait que la région Aquitaine ait pu compter sur le concours de la région
Bretagne pour travailler à son contrat d’objectif, il y a aussi une délégation Aquitaine qui
est reçue à Pléneuf, et c’est ici même des représentants d’autres régions. Ces liens sont
anciens. Est ce que du côté de la Basse-Normandie il y a une réflexion, des groupes de
travail ou séminaires qui font le relais d’initiative comme celle de l’OPCAL aujourd’hui, ou
de Doc’Ouest ?
Guillaume Deslandes
Non. La question de l’interrégionalité se pose depuis longtemps, mais quand on est une
jeune structure dans une région frémissante, elle n’est pas forcément prépondérante. On a
d’abord cherché à travailler la relation des professionnels au sein de la région. Après, nous
avons les qualités de nos défauts. Notre fond d’aide est modeste, et en même temps très
ouvert. Forcément, la question de la relation extérieure se pose tous les jours à travers ce
fonds. Par ailleurs, il y a l’activité de formation que nous développons et qui est dirigée
vers les professionnels de notre région, mais pour lesquelles nous faisons appel à des
professionnels extérieurs. Cela crée des liens d’ouverture et d’échange entre les
professionnels des différentes régions, sans que cela soit organisé sous la forme de
rencontres ou séminaires.
24
Jean-Raymond Garcia
Est ce que par exemple, dans les comités de sélections, il y a des professionnels d’autres
régions ? Un autre espace de coopération régionale étant l’échange d’expertise.
Guillaume Deslandes
Bien sûr, mais la question ne s’est pas posée dans ces termes-là. Nous avons identifié des
professionnels à partir de leur travail, de leurs pratiques. De fait nous avons dans nos
comités des gens qui viennent d’un peu partout.
Gérald Leroux
J’ai été lecteur pendant un certain temps en région Bretagne. Cela a été une occasion pour
moi de croiser beaucoup de monde. Cela permet effectivement d’envisager des gens avec
qui on pourrait partager des choses, et ceux avec qui on ne les partage pas. Nous sommes
de toute façon dans un métier de réseau. Les partenariats interrégionaux se font souvent à
l’occasion des déplacements, en festivals, en comités… Les liens se créent sur la durée, et
un jour, par hasard, se présente un projet qui nous intéresse. On se rappelle qu’on connaît
untel, avec qui on partage une vision du cinéma, qui travaille sur le coin du territoire qui
concerne le projet.
Jean-Raymond Garcia
Il me semblait qu’avec Tarmak tu avais une démarche beaucoup plus volontariste
d’interrégionalité, plus que le hasard des rencontres.
Gérald Leroux
Bien sûr, je parlais juste de la manière dont on rencontre les gens, comment on crée les
liens. C’est un travail de longue haleine qui se fait au fur et à mesure des années. Si ta
question c’est pourquoi, c’est qu’on assiste depuis plusieurs années au très net recul des
possibilités de financement d’un certain nombre de projets, en particulier ceux de
créations. Quand sont arrivées les conventions CNC/Régions 1€ pour 2€, on a vu
globalement l’aide cumulée des régions françaises passer en 3 ans de 20 à environ 65
millions €. Aujourd’hui, je pense que les régions sont arrivées à parité de financement avec
le national, surtout pour le court métrage. Je ne connais pas un producteur de court
métrage, y compris parisiens, qui n’envisage pas de tourner dans telle ou telle région pour
bénéficier d’un concours financier. Dans mon cas, j’ai pu bénéficier d’une région qui avait
mis en place des dispositifs de ce genre. Cela ne s’est pas mis en place tout seul non plus,
d’une certaine manière, les règlements ont évolué d’années en années. Il faut avoir un
interlocuteur au sein de la collectivité que l’on peut interpeller sur ce point. Il y a encore 4
25
ans, dans toutes les régions, pour un court métrage, c’était tournage intégral dans la
région, fin de la discussion. Il a bien fallu les faire bouger. Pourquoi voulez-vous ce tournage
intégral, qu’est ce que cela vous apporte ? Chez nous cela a commencé avec un projet
particulièrement dur à financer pour lequel nous leur avions demandé d’envisager un
tournage partagé. Je me suis toujours attaché à respecter les règlements d’intervention des
régions que je sollicite. On s’aperçoit vite qu’ils ne sont pas tous identiques et que, en
marge de ces règlements, il y a des possibilités de cofinancement interrégionaux. Je suis
parti de cela. Je crois que cela a permis aux collectivités de s’interroger sur la faisabilité
des cofinancements, mais aussi sur le pourquoi de leur soutien. Pour défendre un ancrage
régional, une chaîne complète de production locale ? Ou pour tenter de donner au film les
moyens d’exister et d’y trouver peut-être un intérêt plus important.
Jean-Raymond Garcia
Si on parle de fiction, il y a quand même un point déterminant concernant l’intervention de
la Basse-Normandie. Cette région ne dispose pas d’un fonds de soutien à la production de
longs métrages, pour des raisons budgétaires essentiellement. Pour autant, elle a créé les
conditions d’un soutien à l’écriture et à la réécriture qui fait que dans un festival comme
Premiers Plans cette année, il y a 7 à 8 films, longs métrages et courts métrages, soutenus
par la Basse-Normandie. Ce sont également plusieurs jeunes auteurs sélectionnés au
prochain festival de Berlin. Je passe à Anne-Marie, est ce que depuis Bordeaux tu réfléchis à
une autre région pour soutenir tes projets ? Ou est-ce que tu estimes que les contraintes de
localisation sont telles que cela ne sert pas à grand-chose d’envisager, quelle que soit
l’étape de production, de les solliciter ? Comme si finalement les régions étaient elles-
mêmes victimes de cette préférence régionale que certains critères imposent.
Anne-Marie Puga
Je trouve que les coproductions interrégionales en court métrage de fiction sont très
compliquées. La compatibilité entre les règlements d’intervention n’est pas toujours facile
et/ou entraine des contraintes lourdes qui ne permettent pas de travailler dans de bonnes
conditions. Des films mieux financés certes mais à quel prix. Jusqu’à présent j’ai évité les
coproductions interrégionales même si certaines séquences d’un projet devaient ou auraient
idéalement pu être tournées dans une autre région. Aujourd’hui, ma réflexion porte sur la
manière de monter des coproductions interrégionales, du côté des industries techniques et
non pas seulement sur l’aspect subventions. Je voudrai également mettre en avant la mise
en place de dispositifs aquitains qui nous permettent de rencontrer des producteurs
d’autres régions et de réfléchir ensemble sur comment produire autrement nos fictions avec
l’arrivée des nouvelles technologies. Il y a d’une part l’aide au programme d’entreprise, et
26
d’autre part l’organisation de délégations de producteurs, auteurs/réalisateurs… en
festivals (Doc’Ouest / FIPA / Sunny Side…). Je fais mes premiers pas en tant que
productrice, et ces dispositifs sont pour moi l’occasion de fabriquer mon réseau et
confronter mes méthodes de travail. Même si je n’ai pas encore franchi le pas de la
coproduction interrégionale, les échanges que j’ai pu avoir avec d’autres producteurs m’ont
amenés à réfléchir sur d’autres types de financements notamment privés, de type mécénat
ou partenariat avec des prestataires. Nous nous interrogeons sur la manière de réorganiser
et financer les projets avec l’arrivée des nouvelles technologies, en effet la postproduction
peut maintenant être intégrée sur le plateau et une partie de la chaîne de postproduction
peut se traiter via un réseau Internet… De nouvelles manières de travailler qui peuvent nous
permettre de faire exister des projets dont le montage financier est difficile. Pour revenir à
la coproduction interrégionale sur de l’industrie, nous envisageons par exemple de tourner
une fiction en Aquitaine qui sera probablement étalonnée et mixée en Région Centre.
Jean-Raymond Garcia
Est ce que cette stratégie mutualiste s’accompagne du concours financier de la
collectivité ? Est-ce que les emplois qualifiés développés dans le Centre sont pris en compte
par les aides financières de la région ?
Gérald Leroux
Dans l’état actuel des règlements, non. C’est là qu’il faut être capable d’analyser
objectivement les règlements, et, sur le cas particulier d’un projet, se demander ce que
l’on peut faire. C’est vrai qu’une coproduction, cela n’est jamais anodin. Il faut que chaque
producteur trouve sa place sur le projet, sache qui prend la main à quel moment. Je m’en
suis rendu compte, particulièrement sur la fiction.
Jean-Raymond Garcia
Anne-Marie, est-ce que comme auteur-réalisatrice, tu as une expérience de soutien ou de
sollicitation d’autres régions, pour une résidence par exemple ? Est-ce que cela fait partie
de ta pratique d’auteur d’aller chercher des financements ailleurs ?
Anne-Marie Puga
Oui en tant qu’auteur/réalisatrice sur mes premiers courts métrages, notamment car je
n’arrivais pas à trouver des dispositifs adaptés en région, ni même n’arrivais à identifier les
producteurs ou techniciens de la région. Du coup, je me suis orientée vers des dispositifs
nationaux. Le Moulin d’Andé pour une aide à la musique originale, l’Université d’été du
cinéma organisée par le fonds Culturel Franco Américain et la Sacem pour un atelier
27
d’écriture et de réalisation, le GREC (Groupe de Recherche et d’Essais Cinématographiques)
pour la production de mon premier court métrage… en sont des exemples. Les différentes
aides dont j’ai pu bénéficier ont été déterminantes dans mon parcours. Concernant le long
métrage, je trouve qu’il y a une phase où l’on est très seule, celle qui consiste à élaborer
son dossier de demande d’aide à l’écriture et faire une demande sans producteur parce que
les règlements le permettent. Pour mon long, j’ai pu bénéficier du « bureau des auteurs
Aquitain » (un dispositif mis en place depuis un ou deux ans) et j’avoue avoir eu un soutien
essentiel dans cette phase préparatoire. Je n’aime pas beaucoup le terme
« accompagnement des auteurs » mais le fait est que j’ai pu confronter mon projet à
différents lecteurs et constituer un dossier cohérent qui m’a permis de décrocher la bourse
Beaumarchais. De plus, un des lecteurs, un scénariste bien plus confirmé que moi, est
maintenant impliqué dans le projet comme co-auteur. De fait le projet avance, et nous
allons pouvoir aller chercher des aides à la réécriture qui nous permettront je l’espère de
créer un espace de travail financé, de mettre en place notre propre résidence. Je parle de
la mise en place de notre propre résidence car par expérience les ateliers pour
auteurs/réalisateurs ne me conviennent pas forcément. J’ai eu l’occasion d’y participer
pour un court métrage de fiction et cela peut être extrêmement déstabilisant. En général,
la sélection des projets se fait sur une écriture déjà très aboutie et à force de tout remettre
à plat et distordre le scénario, le projet finit parfois par se perdre. À tel point qu’une de
mes fictions ne pouvait même plus être envoyée à un producteur à la fin de l’atelier. Pour
les gens comme moi à qui les ateliers ne conviennent pas, il est important que d’autres
dispositifs existent et je trouverai plus intéressant qu’ils soient orientés vers l’écriture de
notes d’auteurs et de mise en scène plus que des espaces d’écriture scénaristique.
Frédéric Le Gall
Je voulais juste rajouter, par rapport aux relations interprofessionnelles, qu’en Bretagne,
chaque corps de métier est représenté par son association. L’Apab pour les producteurs,
l’Arbre pour les auteurs et réalisateurs et Actions Ouest pour les techniciens et comédiens.
Dans cette dernière, nous commençons à développer les relations inter associatives
professionnelles en province, le but étant de porter nos points de vue au niveau national.
Nous sommes en train d’essayer de monter un projet de ce type avec l’Atocan, l’association
de techniciens du Nord. Ce sont des gens que l’on a rencontré sur les plateaux, avec qui
l’on est devenu ami. D’ailleurs, tu parlais des comités de lecture, en Bretagne nous avons
fait le choix qu’il n’y ait pas de techniciens breton dans ces comités, mais plutôt un
technicien extérieur, en l’occurrence le président de l’Atocan. Il y a des échanges qui sont
importants pour faire valoir une sensibilité régionale.
28
Anne-Marie Puga
Je voulais ajouter que le dispositif « Bureau des auteurs Aquitain » est également tourné
vers l’extérieur car les lecteurs viennent de toutes les régions, tout comme les comités
sélectifs d’ailleurs. Il est important de ne pas se sentir auteur de sa région mais d’être
identifié comme « auteur » tout simplement. Les dispositifs ouverts sont importants.
Jean-Raymond Garcia
Sur la question de la coproduction, je suis assez convaincu que tout part de l’essence des
textes des règlements d’intervention. Une collectivité qui va poser des critères de
préférence régionale très marqués risque de constituer une filière régionale autarcique,
avec tous les dévoiements que cela peut entraîner. C’est un sentiment personnel, mais je
trouve que depuis quelques années, l’intérêt public régional, qui doit guider l’intervention
des collectivités, est moins envisagé en termes de rayonnement que de fixer sur le
territoire des personnes. Or les deux sont compatibles : En Aquitaine, l’aide aux
programmes d’activités est autant là pour consolider le tissu existant que pour favoriser la
venue d’entreprises de production en Aquitaine. Ce genre de démarche reste curieusement
assez peu posé, mais ne semble pas du tout incompatible. D’autant qu’à part quelques
régions, dont l’Île-de-France, il n’y a pas de filière industrielle liée au cinéma et à
l’audiovisuel. Il y a quelques pôles, mais qui sont essentiellement des pôles d’artisans. Je
pense à Folimage qui est de mon point de vue une des plus grandes réussites de politique
décentralisée en France. Cela part d’une école, d’une société de production,
d’auteurs/réalisateurs et c’est aujourd’hui un des pôles européens d’animation le plus
important. Mais avec un environnement qui s’est constitué, qui a nourri le projet – le
festival d’Annecy, ou la Haute-Savoie qui depuis quelques années s’est engagée
financièrement autour de l’animation. Créer les conditions d’une politique régionale, c’est
créer les conditions d’un environnement. C’est autant s’attacher à la défense des salles de
cinéma indépendantes qu’au maintien des dispositifs d’action culturelle ou d’éducation à
l’image. Aujourd’hui, en Aquitaine, nous avons quelques auteurs qui ont bénéficié d’ateliers
d’écriture, d’accompagnement et de remise en question de leur travail et qui peuvent être
des intervenants dans le domaine de l’éducation à l’image de bon niveau. C’est aussi
fondamental. Des slogans, ou des accroches comme Hollywood-sur-Loire, Hollywood-sur-
Garonne, cela n’existe pas. C’est du fantasme. En Aquitaine, qui est pourtant considérée
comme une région assez riche, le portrait robot d’un producteur, c’est quelqu’un qui gagne
à peine 900€ par mois. Je ne vois pas où est l’industrie là-dedans. Sans parler du nombre
d’auteurs/réalisateurs au RSA. Je pense qu’il y a eu, dans la conviction auprès des élus et
des décideurs sur ce qu’étaient le cinéma et l’audiovisuel décentralisés, une sorte de
confusion totale qui fait que les collectivités ont beaucoup de mal à évaluer les forces, le
29
savoir-faire, les ressources dont leur territoire bénéficie. Ainsi en Aquitaine on n’était pas
loin de confondre le chiffre d’affaire des sociétés de production régionales avec les
retombés économiques liées à l’accueil des tournages. Ce n’est pas du tout la même chose.
Je reviens sur la coproduction interrégionale. On a vu se développer des politiques de
coproductions entre entreprises dans une sorte de rapport senior/junior. C’est-à-dire des
entreprises de production à vocation nationale, pas forcément franciliennes, qui
cherchaient des coproducteurs en région. Gérald, tu as été partie prenante sur ce type
d’opérations, quels enseignements en as-tu tiré, qu’est ce que cela t’as apporté dans tes
premiers pas de producteur ?
Gérald Leroux
Comme je le disais tout à l’heure, une coproduction n’est jamais anodine, elle doit avoir un
sens. La question n’est pas de savoir comment favoriser le cofinancement, mais la
coproduction interrégionale. Cela n’est pas la même chose. Cela existe déjà au niveau
européen. Beaucoup de producteurs français ont l’habitude des coproductions
internationales, cela ne choque personne, et bizarrement ce n’est pas encore venu dans nos
régions. Dans tous les cas, quand on se lance dans une coproduction, on se demande
d’abord, pourquoi le faire ? De la même manière qu’on se demande pourquoi ce sujet en
tant que réalisateur. Il n’y a pas de réponses taboues. Par amitiés, par goûts, par intérêts
financiers, pour le réseau qu’on va développer… La seule chose, c’est d’avoir la réponse
avant de se lancer.
Jean-Raymond Garcia
Est ce que tu trouves les réponses à ces questions dans les règlements d’intervention ? Est-
ce que demain tu peux aller voir une région en lui expliquant que tu es coproducteur
minoritaire, mais que tu as tout intérêt à travailler avec ce producteur d’ailleurs parce qu’il
t’ouvre les portes d’un nouveau réseau ? Les conventions CNC Etat/Régions qui sont en train
d’être signées, mettent tout cela à mal. Il est dit qu’est reconnue comme coproducteur
délégué la société audiovisuelle qui a signé avec la chaîne de télévision, par exemple. Alors
qu’à l’évidence, les régions ont favorisé l’émergence d’entreprises de production et de
réseau, pas forcément de façon consciente, en subventionnant des coproductions
minoritaires.
Gérald Leroux
C’est aussi une réalité, il faut être objectif. Quand on est dans une région, particulièrement
quand elle est assez ouverte dans ses règlements et que le critère principal est
l’implantation de la société sur le territoire régional, on est vite sollicité par des
30
producteurs plus identifiés. Comme par hasard, on se croise juste en passage en
commission… Je le redis, il faut bien se demander pourquoi on entre en coproduction. Pour
répondre à ta question, on ne peut pas aller voir une région en disant cela. Si le CNC a durci
ses règlements, c’est aussi parce que beaucoup de gens ont abusé de ce genre de choses.
Maintenant, il faut aussi y voir son intérêt. J’ai vu des producteurs parisiens avec pignon sur
rue devoir aller produire en région, choisir comme coproducteur une petite société
naissante, se disant « celui-là il ne va pas me gêner trop »… Quand on est le petit en
question, il faut le savoir et le comprendre. Se demander si, avec cette logique on va
vraiment avoir une place sur le film, apprendre des choses, ou pas du tout. Je me suis
souvent refusé à accepter ce genre d’arrangements quand j’étais à la place du plus petit.
Je le fais aujourd’hui avec des plus petits que moi, mais aussi avec des plus gros. Cela me
permet d’apprendre un autre mode de fonctionnement, une autre dimension de la
production.
Jean-Raymond Garcia
Comment ce principe de coproduction peut-il être accompagné ?
Guillaume Deslandes
Tout ce dont parle Gérald, je l’ai vu évoluer. Ce sont des choses dont on parle ensemble.
Plus globalement, à la région, on ne s’était pas spécialement posé la question de la
coproduction. Quand on instruit un fonds d’aide, on reçoit énormément de projets, certains
avec de vraies coproductions, d’autres plus opportunistes. Comme le dit Gérald, si un
producteur doit savoir pourquoi il fait un film, une politique de soutien doit savoir pourquoi
elle aide les films. C’est le projet artistique qui nous intéresse au premier chef. Si cette
coproduction opportuniste pouvait profiter au projet artistique, on ne se posait pas trop la
question. Comme je le disais tout à l’heure, nous avons un tissu très fragile, et nous avons
constaté que ces coproductions permettaient à nos producteurs en région de participer à
des projets, plutôt des documentaires, un peu plus ambitieux. On était bien sûr aussi
favorables à ce type de coproduction. Sur le champ de la fiction, la question est plus
compliquée puisque les critères de territorialisation, essentiellement par le tournage,
posent question. Comme ce critère s’est ouvert dans certaines régions par la possibilité des
producteurs locaux d’aller tourner hors de leur région, on a vu ce phénomène de
coproduction opportuniste apparaître dans le court métrage de fiction. Même de manière
plus prégnante, parce que parfois, la seule raison de faire entrer tel producteur dans le plan
de financement est de pouvoir échapper au tournage en région. Du coup, au bout d’un
moment, nous revenons à nos fondamentaux. Pourquoi est-ce qu’on aide un film, son
contenu mérite-t-il qu’on l’aide quel que soit l’endroit où il va être tourné… ? En général,
31
quand une coproduction est faite pour de mauvaises raisons, le projet n’est pas des plus
solide, économiquement comme artistiquement.
Jean-Raymond Garcia
Quel est ton point de vue sur cette modification de la convention Etat/Régions qui réduit
les possibles coproductions des films ayant une télévision ?
Guillaume Deslandes
J’ai l’impression que cela concerne plus le documentaire, bien plus acheté par les
télévisions que la fiction. Si on revient au court métrage, historiquement, le projet est
déposé par le producteur délégué, qu’il soit le producteur bas-normand ou l’autre. Sur le
documentaire, c’est un peu plus ouvert.
Jean-Raymond Garcia
Eu égard à la production de fiction en région aujourd’hui, ne pourrait-on pas faire en sorte
que le producteur régional, à priori le moins expérimenté dans la fiction, puisse prétendre à
une éligibilité, y compris en tant que coproducteur minoritaire ? Est-ce un levier suffisant
pour encourager le long métrage de fiction ?
Gérald Leroux
Cela demanderait une expertise dont une collectivité n’est pas en mesure de se doter, mais
si on veut développer de la fiction qui créé une émulation au niveau de la région, je pense
que cela peut être intéressant. Quand j’ai produit mon premier documentaire, j’avais à mes
côtés une productrice plus expérimentée qui m’a pris par la main, même pour les choses de
base. Sans elle, je n’y serais pas arrivé. Il faut aussi être conscient que pour une société de
production, le passage au long métrage de fiction est une marche extrêmement importante
qui fait appel à une technicité qui va au-delà du réseau, de la qualité des projets et des
capacités de financement. Cela ne s’acquiert pas comme ça. Il faut de l’expérience, et ce
dont tu parles peut être une solution pour l’acquérir. Cela dit, il reste à trouver une
collectivité, un interlocuteur capable de nous dire pourquoi ils soutiennent tel type de film
plutôt qu’un autre. Trouver un élu de la culture qui nous dise qu’il veut intervenir en faveur
du cinéma parce qu’il est de sa vocation, en tant qu’acteur culturel de service public,
d’intervenir en faveur de la création en dehors de toutes contraintes économique, d’image
ou de communication. C’est un doux rêve, même les ministres de la culture sont incapables
de le dire. Si on veut aider des producteurs en régions qui sont à cette charnière, il faut
favoriser les choses, mais sous conditions qu’ils puissent réellement participer, suivre la
production du projet, ne pas être une simple une boîte aux lettres.
32
Jean-Raymond Garcia
J’ai l’impression que les politiques publiques se nourrissent aussi des réflexions et de la
confiance qui s’engagent dans le débat avec les professionnels. Si ces derniers sont assez
irresponsables pour raconter qu’un court métrage va coûter 300% du budget et que cela
conduit la collectivité à créer des règlements d’intervention inopérants, la faute n’est pas
toujours du côté de cette collectivité. Un slogan récurrent a été pour 1€ investi par une
collectivité, 25€ allaient revenir sur le territoire régional. Alors qu’il n’y avait pas l’ombre
d’un outil d’évaluation en capacité de fournir ce type d’élément.
Intervention du public
On peut quand même faire une évaluation, entre la recette éventuelle pour le producteur
et l’investissement ?
Jean-Raymond Garcia
C’est toujours la même question, l’intervention d’une collectivité, à fortiori dans le
domaine du court métrage, est fondée sur une éditorialité qui est l’émergence,
l’accompagnement d’une génération de réalisateurs, de producteurs… La question de la
recette est quasiment accessoire. Je serais curieux de savoir quels sont les producteurs, qui
ont bénéficié d’un financement régional à hauteur de 30 ou 40% du coût réel de fabrication
du film, qui aient les moyens de dire à la région en question « le film a fait une audience de
130 000 téléspectateurs sur France 3 à 0h30 ».
Gérald Leroux
Et c’est probablement le seul critère que l’on puisse évaluer.
Jean-Raymond Garcia
La question de la traçabilité des films est un élément déterminant pour maintenir la volonté
d’une politique territoriale, qui n’a aucune espèce d’obligation ni même de compétences
pour soutenir la production et la création. D’où ces fantasmes sur les retombées
touristiques. Dans ce registre improbable, j’ai entendu dire que 3 français sur 5 partaient
en vacances sur la base d’un film qu’ils ont vu à la télévision, ce qui est totalement
mensonger.
Intervention du public
N’y aurait-il pas moyen de créer un outil statistique, avec des professionnels, qui pourrait
évaluer ce genre de chose ? Par exemple, voir sur une région donnée les retombés de ventes
33
dans le domaine concerné, avec des outils très fiables qui permettraient de voir dans quelle
mesure un financement est un investissement.
Jean-Raymond Garcia
Ce dont vous parlez nécessite des outils et une politique territoriale très sophistiqués. Or,
ce qui hélas caractérise le système public français aujourd’hui, c’est une pénurie de moyens
réelle, au CNC comme dans les collectivités. La charge de travail qui incombe aux agents du
service public de la culture est impossible à assumer. Un chargé de mission dans une région
va devoir coordonner le fonds de soutien, s’intéresser à l’éducation à l’image, aux festivals,
à l’action culturelle, au programme de numérisation des salles de cinémas…
Malheureusement, il ne peut pas être partout. Je rejoins Gérald là-dessus, éditorialiser les
fonds de soutien aujourd’hui, est peut-être le meilleur service à rendre aux professionnels.
Si le 1€ pour 2€ du CNC a permis aux collectivités régionales de se munir d’un fonds de
soutien, tout le monde fait la même chose. Les règlements d’intervention se télescopent au
lieu de se compléter et la concurrence, la surenchère entre régions, organisée par certains
professionnels est l’élément le plus dévalorisant et dangereux qui soit pour les politiques
territoriales. À mon avis, il faut parfois accepter de ne pas avoir le tournage, même si on
met de l’argent. On en revient donc à la question, comment sortir du critère exclusif du
tournage en région ?
Guillaume Deslandes
Je ne vais pas vraiment avoir la réponse, d’autant plus que je ne suis pas un fervent
défenseur de la sortie de ce critère. Comme le disait Gérald, la question du pourquoi de
l’intervention de la collectivité sur la production doit se poser. De la même manière, la
question d’ouvrir les critères se pose aussi, mais par paliers. Quand les aides à la production
de courts métrages ont été créées en Basse-Normandie, il était déjà inscrit dans le
règlement que le producteur pouvait aller tourner hors de la région, mais avec une aide
minorée. Au bout d’un moment cela n’avait plus de sens, on le sanctionnait plus qu’on ne
l’aidait. C’est donc un argument que l’on a fait sauter. Du coup, dans le dialogue avec les
autres régions, cela a pu favoriser des coopérations, voir des échanges de bons procédés. Le
tournage exclusif en région pour les courts métrages a longtemps été un sujet de discussion
avec la collectivité qui ne voulait absolument pas y déroger. Pour des raisons de fragilité et
de jeunesse de cette politique et la volonté de garder un lien fort par le tournage.
Aujourd’hui c’est un élément que nous arrivons à faire évoluer vers un tournage non plus
intégral, mais significatif. Sur 6 ans d’expérience, nous avons constaté que le fait de
pouvoir accueillir sur le territoire des productions créait quelque chose au niveau du tissu
local. Bien sûr, le retour pour les collectivités ou les structures associées sur les films
34
soutenus ne passe pas que par le tournage. Par rapport à ce que disait madame tout à
l’heure sur l’évaluation, je cite Guillaume Esterlingot qui est chargé de mission en région
Bretagne qui disait : « Faisons attention à ces critères qui ne doivent pas devenir le moteur
de ces politiques. »
Jean-Raymond Garcia
Le moteur d’une politique, ce sont les objectifs de cette politique, pas les indicateurs. Nous
sommes obligés de conclure. Merci à tous et rendez vous aux prochaines journées de
l’OPCAL.