Post on 09-Jan-2020
RaphaëlleGiordanoPréfacedeChristineMichaud
TADEUXIÈMEVIECOMMENCEQUANDTUCOMPRENDSQUETUN’ENAQU’UNE
Infographie:ChantalLandry
Illustrationdelacouv erture:MariiaSniegirov a©Shutterstock
Couv erture:StudioEy rollesadaptéeparJulieSt-Laurent
ISBN:97 8-2-924402-67 -2
Dépôtlégal–BibliothèqueetArchiv esnationalesduQuébec,201 5
Dépôtlégal–BibliothèqueetArchiv esCanada,201 5
Titreoriginalfrançais:Tadeuxièmeviecommencequandtucomprendsquetun’enasqu’une
©GroupeEy rolles,Paris,France
©Gallimardltée–Édito,201 5pourlaprésenteédition
Tousdroitsréserv és
Jerêvequechacunpuisseprendrelamesure
desestalentsetlaresponsabilitédesonbonheur.
Cariln’estriendeplusimportantquedevivre
unevieàlahauteurdesesrêvesd’enfant…
Belleroute,
Raphaëlle.
Préface
Combiensommes-nousàavoiradoptéunmodedevieautomatique?Nousvivonslaroutine
duquotidiensanstropnousposerdequestions.Pireencore,nousnouscontentonsd’unpetit
malheurdevenuconfortable…
Etsinousnousdonnionsuncoupdepep?Voilàcequirisquedeseproduirelorsquevous
découvrirezCamille,l’héroïnedecettehistoire.Commeelle,sansêtretoutàfaitmalheureux,
ilnousarrived’être incapablesd’affirmerquenoussommespleinementheureux.Quefaire
alorspoursortirdecemarasme?
Ehbien,nousaurionsparfoisbesoind’unroutinologue!AttendezderencontrerClaudeet
d’enapprendredavantagesursaprofession.Vousrêverezd’avoirquelqu’uncommeluidans
votrevie.Unroutinologue,çavoussortde laroutine,maissurtoutçavousréenchanteune
vie en vous permettant d’y faire un bon ménage, de vous libérer pour vous lancer à la
poursuitedevosrêvesetdecequivoustientvraimentàcœur.
Alors, si je peuxmepermettrede vousdonnerun conseil, vivez ce livre!Entrezdans la
peau de Camille et livrez-vous à votre tour aux exercices qui lui sont proposés. Vous en
récolterezdenombreuxbénéfices,etvotreexistencecommenceraàse transformer.Cesera
mêmeprobablementledébutdecette«deuxième»vie.
Personnellement, je n’ai jamais lu un roman qui soit aussi interactif, libérateur et
transformateur.Dèslespremièrespages, j’aiététouchéepar lepersonnagedeCamilleet je
suis encore impressionnée par cette capacité qu’a Raphaëlle Giordano de dépeindre l’état
intérieurdebiendespersonnes. Surtout, c’est avecbeaucoupd’originalité, de finesse etde
sensibilitéqu’elle saitnous raconterunehistoirequinon seulementpourrait être lanôtre,
maisnousapporteégalementdespistesdesolution,descheminsd’évolution.
Ce roman constitue une formidable expérience. Je souhaite vivement que vous soyez
nombreux à le lire et que vous ayez du plaisir à suivre le parcours deCamille. Invitez vos
amis à embarquer dans l’aventure, et créons ensemble une grande vague de joie et de
réalisationdesoi.
Attention!Quandvous aurez tourné ladernièrepagede ce roman, votre viepourraitne
plusêtrelamême…etceseralameilleurechosequipuissevousarriver.
En terminant, notez que la fin risque de vous surprendre. Parce que commedisait Paul
Éluard,«iln’yapasdehasards,iln’yaquedesrendez-vous».
Bonnelecture,etheureusetransformation!
ChristineMichaud
Admiratrice,etfutureamie
deRaphaëlleGiordano!
1
Les gouttes, de plus en plus grosses, s’écrasaient sur mon pare-brise. Les essuie-glaces
grinçaient etmoi, lesmains crispées sur le volant, je grinçais tout autant intérieurement…
Bientôt,lestrombesd’eaufurenttellesque,d’instinct,jelevailepied.Ilnemanqueraitplus
quej’aieunaccident!Lesélémentsavaient-ilsdécidédeseliguercontremoi?Toc,toc,Noé?
Qu’est-cequec’estquecedéluge?
Pouréviter letraficduvendredisoir, j’avaisdécidédecouperpar lespetitesroutes.Tout
plutôt quede subir les grands axes sursaturés et les affresd’une circulation en accordéon!
Mesyeuxessayaientvainementdedéchiffrerlespanneaux,tandisquelabandededieux,là-
haut, s’en donnait à cœur joie en jetant unmaximum de buée surmes vitres, histoire de
corsermondésarroi.Et commesi cen’étaitpas suffisant,monGPSdécida tout à coup, en
pleinmilieud’unsous-boisobscur,queluietmoineferionsplusrouteensemble.Undivorce
technologique à effet immédiat: j’allais tout droit et lui tournait en rond. Ou plutôt ne
tournaitplusrond!
Ilfautdirequelàd’oùjevenais, lesGPSnerevenaientpas.Oupasindemnes.Làd’oùje
venais, c’était le genre de zone oubliée des cartes, où être ici signifiait être nulle part. Et
pourtant… Il y avait bien ce petit complexe d’entreprises, ce regroupement improbable de
SARL* (Sociétés Assez Rarement Lucratives) qui devait représenter pour mon patron un
potentielcommercialsuffisantpourjustifiermondéplacement.Peut-êtreyavait-ilaussiune
raison moins rationnelle. Depuis qu’il m’avait accordé mon temps partiel, j’avais la
désagréableimpressionqu’ilmefaisaitpayercettegrâceenmeconfiantlesmissionsdontles
autresnevoulaientpas.Cequiexpliquaitpourquoijemeretrouvaisdansunplacardàroues,
àsillonnerlesroutesdesgrandesbanlieuesparisiennes,occupéepardumenufretin…
Allez,Camille…Arrêtederumineretconcentre-toisurlaroute!
Soudain, un bruit d’explosion…Un bruit effrayant qui propulsamon cœur à cent vingt
pulsationsminuteetmefitfaireuneembardéeincontrôlable.Matêtecognacontrelepare-
briseetjeconstataicurieusementque,non,l’histoiredelaviequidéfiledevantlesyeuxen
deuxsecondes,cen’étaitpasunefable.Aprèsquelquesinstantsdanslesvapes,jereprismes
espritsetmetouchai le front…Riendevisqueux.Justeunegrossebosse.Check-upéclair…
Non,pasd’autresdouleurssignalées.Plusdepeurquedemal,heureusement!
Jesortisdelavoitureenmecouvrantcommejepouvaisdemonimperméablepouraller
constaterlesdégâts:unpneucrevéetuneailecabossée.Passéelapremièregrossefrayeur,la
peurcédalaplaceàlacolère.Bonsang!Était-ilpossibledecumulerdansuneseulejournée
autant de problèmes? Jeme jetai surmon téléphone comme sur une bouée de sauvetage.
Évidemment, il ne captait pas! J’en fus à peine surprise, c’est dire si j’étais résignée àma
poisse.
Les minutes s’égrenèrent. Rien. Personne. Seule, perdue dans ce sous-bois désert.
L’angoissecommençaàmonter,desséchantplusencoremonarrière-gorgedéshydratée.
Bouge,aulieudepaniquer!Ilyasûrementdesmaisons,danslecoin…
Jequittaialorsmonhabitacleprotecteurpouraffronterrésolumentleséléments,affublée
dutrèsseyantgiletdesécurité.Àlaguerrecommeàlaguerre!Etpuis,pourêtretoutàfait
franche,vulescirconstances,montauxdeglamouritudem’importaitassezpeu…
Auboutd’unedizainedeminutesquimesemblèrentuneéternité,jetombaisurunegrille
depropriété.J’appuyaisurlasonnetteduvisiophonecommeoncomposele15**.
Un hommeme répondit d’une voix de judas, celle-de-derrière-les-portes, qu’on réserve
auximportuns.
—Oui?C’estpourquoi?
Je croisai lesdoigts: pourvuque les gensdu coin soienthospitaliers et un tant soit peu
solidaires!
—Bonsoirmonsieur…Désoléedevousdéranger,maisj’aieuunaccidentdevoituredans
lesous-bois, derrièrechezvous…Monpneuaéclatéetmoncellulairenecaptepasleréseau…Jen’aipaspuappelerlessec…
Lebruitmétalliqueduportailentraindes’ouvrirmefitsursauter.Était-cemonregardde
cockerendétresseoumonalluredenaufragéequiavaitconvaincuceriveraindem’accorder
l’asile?Peu importe. Jemeglissai à l’intérieur sansdemandermon reste, etdécouvrisune
magnifique bâtisse de caractère, entourée d’un jardin aussi bien pensé qu’entretenu. Une
véritablepépitedansdelaboueaurifère!
*EnFrance,acronymedésignantunesociétéàresponsabilitélimitée.
**EnFrance,équivalentdu911.
2
Leperrons’alluma,puislaported’entrées’ouvritauboutdel’allée.Unesilhouettemasculine
de belle stature s’avança versmoi, sous un immense parapluie. Lorsque l’homme fut tout
près,jeremarquaisonvisagelongetharmonieux,auxtraitsplutôtmarqués.Maisilétaitde
ceuxquiportentbien la ride.UnSeanConneryà la française.Jenotai laprésencededeux
fossettesenvirgulesautourd’uneboucheenappositionponctuéedecommissuresjoyeuses,
cequi,dans lasyntaxedesaphysionomie, luidonnaitd’embléeunairsympathique.Unair
quiinvitaitaudialogue.Ildevaitavoiratteintlasoixantainecommequelqu’unquirejointla
case«Ciel»àlamarelle:àpiedsjointsetserein.Sesyeuxd’unbeaugrisdélavébrillaientd’un
éclatespiègle, semblablesàdeuxbilles tout juste lustréesparungamin.Sabellechevelure
poivreetselétaitétonnammentfourniepoursonâge,neprésentantqu’unlégerreculsurle
devant,unefineaccoladecouchéesursonfront.Unebarbetrèscourte,aussibientailléeque
les jardins alentours, ouvrait les guillemets d’un style soigné qui s’étendait à toute sa
personne.
Ilm’invitaàlesuivreàl’intérieur.Troispointsdesuspensionàmonexamenmuet.
—Entrez!Vousêtestrempéejusqu’auxos!
— M… Merci! C’est vraiment gentil à vous. Encore une fois, je suis désolée de vous
déranger…
—Nelesoyezpas.Iln’yapasdeproblème.Tenez,asseyez-vous,jevaisvouschercherune
serviettepourvoussécherunpeu.
Àcemoment-là,unefemmeélégante,quejedevinaiêtresafemme,s’avançaversnous.La
grâce de son joli visage se trouva momentanément altérée par le froncement de sourcils
qu’elleréprimaenmevoyantpénétrerdanssonfoyer.
—Chéri,toutvabien?
—Oui,oui,çava.Cettedameaeuunaccidentdevoitureetellen’arrivaitpasàcapterde
réseaudanslesous-bois.Elleajustebesoindetéléphoneretdeseremettreunpeu.
—Ahoui,biensûr…
Mevoyantglacée,ellemeproposaaimablementune tassede théque j’acceptai sansme
faireprier.
Tandisqu’elles’éclipsaitdanslacuisine,sonmaridescendaitlesescaliers,uneservietteà
lamain.
—Mercimonsieur,c’esttrèsgentil.
—Claude.Jem’appelleClaude.
—Ah…Moi,c’estCamille.
—Tenez,Camille.Letéléphoneestlà,sivousvoulez.
—Parfait.Jeneseraipaslongue.
—Prenezvotretemps.
Jem’avançaivers letéléphoneposésurunjolimeubleenboisraffiné,au-dessusduquel
trônaituneœuvred’artcontemporain.Cesgensavaientmanifestementdugoûtetunebelle
situation…Quelsoulagementd’êtretombéesureux(etnondansl’antred’unogre-mangeur-de-beautés-désespérées-en-détresse)!
Jedécrochai lecombinéetcomposai lenumérod’assistancedemonassureur. Incapable
degéolocalisermonvéhicule, jeproposaique le remorqueurmerejoigne toutd’abordchez
mes hôtes, avec leur accord. On m’annonça une intervention dans l’heure. Je respirai
intérieurement:lesévénementsprenaientbonnetournure.
J’appelaiensuitelamaison.Pardiscrétion,Claudes’emparadutisonnieretallas’occuper
du feu qui crépitait dans la cheminée, à l’autre bout de la pièce. Après huit interminables
sonneries, mon mari décrocha. À sa voix, je devinai qu’il avait dû s’assoupir devant un
programme télé. Malgré tout, il ne semblait ni surpris ni inquiet de m’entendre. Il était
habitué àme voir rentrer parfois assez tard. Je lui expliquaimes déboires. Il ponctuames
phrases d’onomatopées agacées et de claquements de langue contrariés, puisme posa des
questions techniques. Dans combien de temps allait-on venirme dépanner? Combien cela
allait-ilcoûter?J’avaislesnerfsàvifetsoncom portementmedonnaitenviedecrierdanslecombiné! Il ne pouvait pas montrer un peu d’empathie pour une fois? Je raccrochai,
furibonde,enluidisantquej’allaismedébrouilleretqu’ilnem’attendepaspourdormir.
Mesmains tremblaientmalgrémoi et je sentaismes yeux s’embuer. Je n’entendis pas
Claudes’approcherdemoi,sibienquesamainsurmonépaulemefittressaillir.
—Çava?Vousvoussentezbien?demanda-t-ild’unevoixbienveillante,lavoixquej’aurais
aiméentendredemonmari,unpeuplustôt.
Ils’accroupitpourêtreàlahauteurdemonvisageetrépéta:
—Çava,vousvoussentezbien?
Etlà,quelquechoseenluimefitbasculer:meslèvressemirentàtrembloter,etjenepus
contenirleslarmesquisebousculaientsousmespaupièresdepuisunmoment…Mascarade
de mascara sur mon visage, je laissai alors s’échapper le trop-plein de frustrations
accumuléescesdernièresheures,cesdernièressemaines,cesderniersmois,même…
3
Audébut, il ne dit rien. Il resta juste ainsi, immobile, samain chaude surmon épaule, en
signed’empathie.
Quandmeslarmessetarirent,safemmequi,entretemps,avaitdéposédevantmoilatasse
dethéfumant,m’apportaaussiquelquesmouchoirs,puisdisparutàl’étage,pressentantsans
doutequesaprésencerisquaitd’interrompreuneconfessionsalutaire.
—Ex…Excusez-moi,c’estridicule!Jenesaispascequim’arrive…Encemoment,jesuisà
vif,etlà-dessus,cettejournéeeffroyable,vraiment,c’esttrop!
Claude était allé se rasseoir sur le fauteuil en face demoi etm’écoutait attentivement.
Quelque chose, en lui, appelait la confidence. Il plongea son regard dans le mien. Pas un
regardscrutateur,niintrusif.Unregardbienveillant,grandcommedesbrasouverts.
Mesyeuxrivésauxsiens,jesentaisquejen’avaispasàtricher.Quejepouvaismelivrer
sansmasque.Mespetits verrous intérieurs lâchaient lesuns après les autres.Tantpis.Ou
tantmieux?
Je lui confessai les grandes lignes de mon vague à l’âme, lui expliquai comment des
microfrustrations accumulées avaient fini par gangrénerma joie de vivre alors que j’avais
tout,apriori,pourêtreépanouie…
—Vousvoyez,cen’estpasquejesuismalheureuse,maisjenesuispasvraimentheureuse
nonplus…Etc’estaffreux,cettesensationquelebonheurm’afiléentrelesdoigts!Pourtant,
je n’ai aucune envie d’aller voir un médecin; il serait capable de me dire que je fais une
dépressionetdemegaverdemédicaments!Non,c’estjustecetteespècedemorosité…Rien
degrave,maisquandmême…C’estcommesilecœurn’yétaitplus.Jenesaisplussitoutçaa
unsens!
Mesparolessemblèrentl’émouvoir,aupointquejemedemandaisiellesnelerenvoyaient
pasàquelquechosedetrèspersonnel.Alorsquenousnousconnaissionsdepuismoinsd’une
heure,ils’étaitinstalléentrenousunsurprenantclimatdeconnivence.Étrangèreuninstant
plustôt,voilàque je franchissaisavecmaconfessionplusieursdegrésd’intimitéd’uncoup,
créantuntraitd’unionprécoceentrenoshistoires.
Ce que j’avais livré de moi avait visiblement touché chez lui une corde sensible qui
l’animaitd’uneauthentiquemotivationàmeréconforter.
— «Nous avons autant besoin de raisons de vivre que de quoi vivre», affirmait l’Abbé
Pierre. Alors, il ne faut pas dire que ça n’a pas d’importance. Ça en a énormément, au
contraire!Lesmauxdel’âmenesontpasàprendreàlalégère.Àvousécouterparler,jecrois
mêmesavoirdequoivoussouffrez…
—Ahoui,vraiment?demandai-je,enreniflant.
—Oui…
Ilhésitauninstantàpoursuivre,commes’ilessayaitdedevinersij’allaisêtreréceptiveou
nonàsesrévélations…Ildutjugerqueoui,carilenchaîna,surletondelaconfidence:
—Voussouffrezprobablementd’uneformederoutiniteaiguë.
—Unequoi?
—Une routinite aiguë. C’est une affection de l’âme qui touche de plus en plus de gens
danslemonde,surtoutenOccident.Lessymptômessontpresquetoujourslesmêmes:baisse
de motivation, morosité chronique, perte de repères et de sens, difficulté à être heureux
malgréuneopulencedebiensmatériels,désenchantement,lassitude…
—Mais…Commentvoussaveztoutça?
—Jesuisroutinologue.
—Routino-quoi?
C’étaitsurréaliste!
Il semblait habitué à ce genre de réaction, car il ne se départit pas de son flegme et
bienheureuxdétachement.
Il m’expliqua alors en quelques phrases ce qu’était la routinologie, cette discipline
novatrice encore méconnue en France, mais déjà bien répandue dans d’autres parties du
monde.Commentleschercheursetscientifiquess’étaientrenducomptequedeplusenplus
de gens étaient touchés par ce syndrome. Comment, sans être en dépression, on pouvait
ressentirmalgré toutunesensationdevide,unvraivagueà l’âmeet traîner ladésagréable
impressiond’avoirtoutpourêtreheureux,maispaslaclépourenprofiter.
Je l’écoutais avec des yeux ronds, buvant ses paroles qui dépeignaient si bien ce que je
ressentais,cequil’engageaàpoursuivre:
—Vous savez, la routiniteparaîtunmalbéninàpremière vue,mais ellepeut causerde
véritables dégâts sur la population: entraîner des épidémies de sinistrose, des tsunamis de
vagueàl’âme,desventsd’humeurnoirecatastrophiques.Bientôt, lesourireseraenvoiede
disparition! Ne riez pas, c’est la vérité! Sans parler de l’effet papillon! Plus le phénomène
s’étend,plusiltoucheunelargepopulation…Uneroutinitemalendiguéepeutfairebaisserla
coted’humeurd’unpaystoutentier!
Au-delà de son ton grandiloquent, je sentais bien son souci d’en rajouter pour me
redonnerlesourire.
—Vousn’exagérezpasunpeu,là?
— Si peu! Vous n’imaginez pas le nombre d’analphabètes du bonheur! Sans parler de
l’illettrismeémotionnel!Unvéritablefléau…Nepensez-vouspasqu’iln’yariendepireque
cetteimpressiondepasseràcôtédesaviefauted’avoireulecouragedelamodeleràl’image
de ses désirs, faute d’être resté fidèle à ses valeurs profondes, à l’enfant qu’on était, à ses
rêves?
—Mmm,mmm…Sûrement…
— Malheureusement, développer ses capacités à être heureux n’est pas quelque chose
qu’onapprendàl’école.Ilexistepourtantdestechniques.Onpeutavoirbeaucoupd’argentet
êtremalheureuxcommelespierres,ouaucontraireenavoirpeuetsavoirfairesonmielde
l’existencecommepersonne…Lacapacitéaubonheursetravaille,semusclejouraprèsjour.
Ilsuffitderevoirsonsystèmedevaleurs,derééduquerleregardqu’onportesurlavieetles
événements.
Il se leva et alla chercher sur la grande table une coupelle remplie de confiseries, puis
revintm’enproposerpouraccompagnermonthé.Ilenpicoradistraitementquelques-unes,
toutenreprenantnotreconversationquisemblait lui tenirparticulièrementàcœur.Tandis
que je l’écoutaismeparlerde l’importancede revenirà soi,des’aimermieuxpourpouvoir
être capable de trouver sa voie et son bonheur, de le faire rayonner autour de soi, je me
demandaiscequ’ilavaitbienpuvivrelui-mêmepourêtreaussiconcerné…
Tout son être s’enflammait pour tenter de me faire partager sa conviction. Il marqua
soudain une pause, etme scruta de son regard bienveillant qui semblait lire enmoi aussi
facilementqu’unaveuglelitlebraille.
—Voussavez,Camille,laplupartdeschosesquivousarriventdanslaviedépendentdece
quisepasselà-haut,enchaîna-t-il,setapotantlecrâne.Dansvotretête.Lepouvoirdumental
n’a pas fini de nous surprendre! Vous n’imaginez pas à quel point votre pensée influence
votreréalité…C’estunpeulemêmephénomènequeceluidécritparPlatondanssonMythe
delacaverne:enchaînésdansunegrotte,leshommessefontuneimagefaussedelaréalité,
carilsneconnaissentd’ellequelesombresdéforméesdeschosesqu’unfeualluméderrière
euxprojettesurlemur.
Jegoûtaiensilencelecocassedelasituation.Ilfautdireaussiquejenem’attendaispasà
philosopherdansunsaloncosy,uneheureaprèsunaccidentdelaroute!
—Vousfaitesunparallèleentrelemythede Platonetlemodedefonctionnementdenotremental?Waouh…
Ilsouritdemaréaction.
—Maisoui!J’yvoisunparallèleavec lespenséesquiplacentun filtreentre laréalitéet
nous-mêmesetlatransformentaugrédescroyances,desapriorietdesjugements…Etqui
fabrique tout ça? Votre mental! Uniquement votre mental! J’appelle ça «la fabrique à
pensées». Une véritable usine! La bonne nouvelle, c’est que vous avez le pouvoir de les
changer, ces pensées. Broyer du rose ou broyer du noir n’est pas indépendant de votre
volonté…Vous pouvez travailler votremental pour qu’il arrête de vous jouer desmauvais
tours:ilsuffitd’avoirunpeudeconstance,depersévéranceetdeméthode…
J’étaisabasourdie.J’hésitaisentre leprendrepourunfouetapplaudiràdeuxmainsson
incroyable discours. Je ne fis ni l’un ni l’autre, etme contentai de hocher la tête en signe
d’assentiment.
Ildutsentirquepourl’heurelajauged’informationsàdigérerétaitatteinte.
—Pardonnez-moi,jevousembêtepeut-êtreavectoutesmesthéories?
—Pasdutout,pasdutout!Jelestrouvetrèsintéressantes.Jesuisjusteunpeufatiguée,il
nefautpasfaireattention…
—C’estbiennormal.Uneautrefois,sivouslesouhaitez,jeseraisravidevousreparlerde
cetteméthode…Elleavraimentfaitsespreuvespouraiderdespersonnesàretrouverdusens
etàremettresurpiedunprojetdevieépanouissant.
Ilselevaetsedirigeaversunjolipetitsecrétaireenboisdecerisier.Ilensortitunecarte
qu’ilmetendit.
—Passezmevoiràl’occasion,dit-ilavecundouxsourire.
Jelus:
ClaudeDUPONTEL
Routinologue
15ruedelaBoétie
75008Paris
0678475018
Jeme saisis de la carte sans savoir encore quoi en penser. Par politesse, je lui dis que
j’allais y réfléchir. Il n’insista pas, en apparence peu préoccupé par ma réponse. La
professionnelle de la vente que j’étais n’arrivait pas à comprendre: une personne à son
comptenecherchait-ellepasàtoutprixàdécrocherunnouveauclient?Sonpeud’agressivité
commercialesemblait indiqueruneconfianceensoirare.J’eusalors laconvictionquesi je
refusaiscetteopportunité,laseulequiavaitquelquechoseàperdre,c’étaitmoi.
Mais pour l’heure, j’étais encore sous le joug des émotions de la soirée, cet accident
stupide,cetoragestupide,commeundébutdemauvaisfilmd’épouvante…Etmaintenant,un
routinologue! J’hallucinais… Dans cinq minutes, les caméras allaient sortir et quelqu’un
crierait:«Surprisesurprises!»
Lasonnetteretentit.À laporte,nicaméra,ni journaliste, juste leremorqueurquivenait
d’arriver.
—Vousvoulezqu’onvousaccompagne?medemandaaimablementClaude.
— Non, vraiment, merci… Ça va aller. Vous avez déjà été tellement gentil. Je ne sais
commentvousremercier…
— Il n’y a pas de quoi. C’est bien normal d’aider en pareil cas! Envoyez-nous un texto
quandvousserezrentréechezvous.
—C’estpromis.Aurevoir,etmerciencore!
Je montai à l’avant avec le remorqueur pour lui indiquer le chemin jusqu’au lieu de
l’accident.Jejetaiundernierregardàtraverslavitreetvit lecoupletendrementenlacéme
faireunpetitaurevoirdepuisleperron.Ilémanaitd’euxunetelleimpressiond’amouretde
complicité!
C’est avec cette image de bonheur paisible flottant dans mon esprit que je me laissai
emporter dans le noir, cahotée dans cet engin qui me ramenait à la réalité de mes
problèmes…
4
Le lendemain matin, je me réveillai avec une migraine terrible. Et les marteaux piqueurs
allaient malheureusement jouer les Woody Woodpecker dans ma tête toute la journée!
J’avaispasséunenuit agitée à repenser auxparolesdeClaudeDupontel.Étais-je vraiment
atteinte de routinite aiguë? Le vague à l’âme qui me tenaillait depuis quelques semaines
méritait-ilquejem’engagedansunetelledémarched’accompagnement?Parceque,dequoi
jemeplaignais, en fait?J’avaisunmarietun fils formidables,un travailquim’offraitune
situationstable…Peut-êtrefallait-ilsimplementquejemesecoueetquej’arrêtederuminer?
Pourtant,monpetitspleendebobopré-quadragénaireavaitladentdure.J’avaisbiententéàmoultreprisesdemettremonmouchoirpar-dessus,envain…
Parmoments,j’essayaismalgrétoutderemettreleschosesenperspective.De«prendrede
la hauteur», comme ils disent dans les magazines psycho. Je passais en revue tous les
échelons de lamisère humaine. Les gens sous les bombes. Ceux qui avaient unemaladie
grave.Lessans-abri,lessans-travail,lessans-amour…Àcôté,mesproblèmessemblaientbien
minimes!Maiscommel’avaitditClaudeDupontel,ilnefallaitpascomparercequin’étaitpas
comparable. L’échelle du bonheur ou du malheur n’est pas la même pour tous. Je ne
connaissaispascethommeetpourtant,ilsemblaitsiéquilibré,si…posé!Oui,posé,c’étaitle
mot.Biensûr,jenecroyaispasauxrecettesmiraclesquitransformentvotrevied’uncoupde
baguettemagique.Maispourcequiétaitdechangerleschoses,ilavaitl’airsiconvaincant!Il
affirmaitquelaroutineetlamorositén’étaientpasunefatalité,qu’onpouvaitchoisird’être
de ceux qui ne subissent pas leur quotidien et arrivent à vivre pleinement leur existence.
Faire de sa vie une œuvre d’art… Un projet qui paraissait a priori assez irréaliste, mais
pourquoinepasessayer,aumoins,detendreversça?
Enthéorie,l’envieétaitlà.Maisenpratique?«Unjour,j’iraivivreenThéorie,parcequ’en
Théorie tout se passe bien…» Alors, comment passer à l’action et franchir l’étape du
yakafaucon?Cettequestionentête,jemelevaipéniblement,avecladésagréableimpression
d’avoirétérouéedecoupstoutelanuit.Pournerienarranger,jeposaisanslefaireexprèsle
piedgaucheenpremiersurlesol.Superstitionstupide,maisj’yvisillicounsignedemauvais
augure, réaction instantanée de mon cerveau asphyxié d’ondes négatives: la journée
s’annonçaitmal…
Sébastien,monsupposécher-et-tendre,meditàpeinebonjour.Ilsemblaitauxprisesavec
unecravaterebelleetjecomprisvaguement,entredeuxjuronsétouffés,qu’ilétaitenretard
poursaréunion.Cen’étaitpasencorecematinqu’ilallaitemmenerAdrienàl’école.Soupir
etre-soupir.
Adrien,monfils,neufans,sixmois,douzejoursethuitheures,aurait-ilpuvousexpliquer.
Sahâte d’être grandm’émouvait etm’effrayait parfois; tout allait si vite! Trop vite.Adrien
faisaitd’ailleurstoujourstoutavecuntempsd’avance.Pourveniraumonde,ilavaitfrappéà
laportebienavant l’heure.D’unevitalitéhorsnorme, ilétaitdéjàaussiremuantdansmon
ventrequ’unlâcherdeballessurunterraindesquashminiature.Leseulmoyende le faire
tenir enplace aurait été de le ficeler surune chaise. Peineperdued’avance.Très tôt, nous
avions dû nous rendre à l’évidence: notre fils appartiendrait à la catégorie des «enfants
Duracell»:infatigables.
Ceque jen’étaispas.J’avaisbeau l’aimerplusque toutaumonde, certains jours, jeme
disaisqu’ildevaitavoirunmini-aspirateuràénergiecachésoussonT-shirt,qu’ilutilisaitàsa
guise,selonsonbonplaisirdepetittyranlégitime.
Bienqueparentsmodernesélevésaubiberondoltoïenetnousétantappropriéànotretour
lecredodeFrançoiseDolto***«l’enfantestunsujetàpartentière»,nousnousétionsrendu
comptequenotresystèmed’éducations’étaitpartropimbibédepermissivité.Sousprétexte
defairelapartbelleaudialogueetaurespectdelapersonnalitédel’enfant,nousavionstrop
lâchélabride…
—Lecaaaadre!n’avaitcessédemerépétermamère.
Biensûr,elleavaitraison.
Lecadre:voilàdonccequej’essayaisd’installerdepuisquelquesmoispourendiguernotre
dérive laxiste. J’avais même amorcé un virage complet, et j’étais passée d’un extrême à
l’autre.Tropbrutal, incontestablement…Mais on fait commeonpeut, hein? Jehouspillais
constammentAdrienpourluiposerdeslimites.Ilrâlait,maisfinissaitparobéir.Malgréson
plitrès«enfantlibre»,ilavaitheureusementunvraibonfond.
J’avais conscience d’être beaucoup sur son dos – pour son bien, pensais-je, avec la
sensation,parinstants,demetransformerenmoulinàmessagescontraignants.Unrôleque
jenevivaispastrèsbien.«Rangetesaffaires,vaprendretadouche,éteinsleslumières,fais
tesdevoirs,baisselalunettedestoilettes…»J’avaisrangéauplacardmoncostumedemère-
copine pour celui de mère-je-structure. Et ce que j’avais gagné en chaussettes rangées, je
l’avais clairement perdu en qualité de relation. Il s’était instauré entre nous un rapport de
force,unetension.Chienetchat.Çagrattait.Commesionn’arrivaitplusàsecomprendre.
Maisaussi, commentpouvait-ilavoirdescomportementsdepréadolescentàmêmepasdix
ans?
J’enétaislàdemesréflexions,lorsquej’entraidanssachambre.Àdixminutesdudépart,
il était en train de jouer au ping-pong contre le mur, à moitié habillé. Il avait enfilé des
chaussettesdecouleurdifférente,s’étaitcoifféavecunevadrouilleetlaissait,sans-le-début-
du-commencement-d’un-scrupule,sachambreressemblerauBeyrouthdesannéessoixante-
dix…
Il levasurmoisesgrandsyeuxmarronglacéauxcilsétonnamment longs,dans lesquels
brillaittoujoursunelueurespiègle.Jem’arrêtaiuninstantsurcevisagerondauxtraitsfins,
surcettebouchejolimentdessinée,marquéeparunemouevolontaire.Mêmeenbataille,ses
cheveuxavaientunsoyeuxirrésistiblequiattiraitlamain.Ilétaitbeau,lebougre!Jerésistai
à la tentation de venir l’embrasser pourmettre bon ordre dans ce grand nawak. Àmoi la
casquetted’adjudant-chefdesmauvais-jourspourlerecadrer.—Maismamannnnn!Pourquoi tu t’énerves?Cool, déstresse!me répondit-il, soulignant
sesparolesd’ungestederappeurzenpêchédanssonclipfétichedumoment.
Lepetitcôtéfrondeurdecetteattitudemefaisaitsystématiquementsortirdemesgonds.
Onentendaitencoremessemoncesetautresrouspétances, tandisque jerefermais laporte
de la salle de bain pour une douche expéditive. Jeme savonnai sansménagement, l’esprit
déjàassombriparmato-dolistdelajournée.
Lorsquejesortisdelacabine,monimage,danslemiroir,mefitfroncerlessourcils.Une
belleridedulionmarquaitmonfront.Jepréféraisletempsoùj’étaisgazelle…
Jeregardaicevisagequiavaitétéjoli,quipourraitpeut-êtrel’êtreencore,sij’avaisleteint
moinsblafard,silescernesétaientmoinsbleutéssousmesyeuxverts,quiavaienttantséduit
autrefois.Toutcommemescheveuxblondsetsoyeux,quandjeleuroffraisencoredutemps
et une coupe stylée pour encadrer mon visage rond. Trop rond aujourd’hui. La faute aux
quelques kilos accumulés aprèsma grossesse, puis au fil des années et des échappatoires
sucrées.Maussade, j’empoignaimespetitesbouéesdeplaisirs tropviteavalésenregardde
leurduréedestockage,pourmesurerl’ampleurdesdégâts.Dequoimegâterl’humeurpour
lajournée!
Je repassai dans la chambre en hâte pourm’habiller et bousculai parmégarde le cadre
photosurnotretabledechevet.Jeleramassaipourleremettreenplace.Unejoliephotode
notrecoupleautempsoù,lanuit,noussavionsencorefairelacourseaveclaluneetrireavec
les étoiles…Où était-il passé, ce bel homme au regard brillant qui savait si bienme faire
chavirer, roulant lesmotsdouxdansmoncou?Depuisquandn’avait-il pas fait lamoindre
esquissed’ungestedeséduction?Pourtant,ilétaitgentil.Sacrémentgentil.Àl’évocationde
cettetendressetiède,decetteamicalitéquiavait insidieusementremplacé la fouguedenos
débuts,jeressentisunevaguenausée.Autrefoisjunglesauvageetluxuriante,nossentiments
amoureuxs’étaienttransformésaufildessaisonsenunjardinàlafrançaise:prévisible,lisse,
sansunbrind’herbequidépassait.
Or,l’amour,ilfautqueçadéborde,queçacrépite,queçabouillonne,queçajaillisse,non?
Entoutcas,c’étaitainsiquenousvoyionsleschoses.Àquelmomentcelaavait-ilbasculé?
Avecl’arrivéed’Adrien?QuandSébastienavaitétépromu?Allezsavoir…Quoiqu’ilensoit,le
résultatétaitlemême:enliséedansnotregadoueconjugale,étriquéedansuneexistencetrop
bienhuilée,jefaisaisleconstatd’uneviedecoupleinsipidequiavaitfini,telunegommetrop
mâchée,parperdretoutesasaveur…
Jechassaicespenséesdésagréablesd’ungestebrusqueetjefisdisparaîtremoncorpssous
lespremièresaffairesquimetombèrentsouslamain.Audiablelagrâceetl’élégance!Pour
qui,pourquoi,de toute façon?Depuisque j’étaisencouple, jen’intéressaispluspersonne.
Alors,leconfortavanttout…
Je déposai mon fils à l’école à la va-vite en le houspillant sur le chemin pour qu’il se
dépêche.Viteétaitlemotgrandmanitoudenosexistences.Ildictaitsaloi,sévissaitcomme
untyrantout-puissantetnoussoumettaitàl’écrasantpouvoirdelapetiteaiguille.Iln’yavait
qu’àobservercesgensprêtsàenécraserd’autrespourmonterdansuneramedéjàbondée,
parcequ’ilsneveulentpasattendretroisminutes letrainsuivant,ouàgrillerunfeurouge
pourgagnerquelquessecondesquitteàrisquerunaccidentgrave,oucapablesdetéléphoner
enpianotantsurunécran,toutenfumantetenmangeant…
Jen’échappais pas à la règle. Faute de voiture, je courus jusqu’aumétro etmanquai de
faireunvolplanédanslesescaliers.
Trèsbonneidéedesecasserunejambepournepasratersarame,Camille!
Essoufflée, en nage malgré le froid, je m’affalai sur un siège, tout en me demandant
commentj’allaisfairepoursurvivreàcettejournée.
***Pédiatreetpsychanalystefrançaisespécialiséeenpsychanalysedesenfants.
5
EnpartantdechezClaudeDupontel,huit joursauparavant, j’avaisglissésacartedansmon
manteau.Depuis, tous les jours, je la triturais, la tournais et la retournais dansmapoche,
sans me décider à l’appeler. Ce ne fut que le neuvième jour, en sortant d’une réunion
houleuseaubureaudurantlaquellemonbossm’avaitpubliquementrabrouée,quejedécidai
que ça ne pouvait plus durer: il fallait que les choses changent! Je ne savais pas vraiment
comment,niparoùcommencer,maisjemedisaisqueClaude,lui,lesauraitpeut-être…
Je profitai de la pause déjeuner pour passer mon coup de fil. J’avais encore l’estomac
retournédelaréuniondumatin.
Auboutdequelquessonneries,ildécrocha.
—MonsieurDupontel?
—Lui-même.
—C’estCamille,vousvoussouvenez?
—Ah,oui.BonjourCamille.Commentallez-vous?
—Bien,bien,merci.Enfin…Passibienqueça,enfait.C’estjustementpourçaquejevous
appelle.
—Oui?
— Vous m’avez proposé de me parler un peu plus de votre méthode. Ça m’intéresse
vraiment.Alors,sivousavezunedisponibilité…
—Jevaisregarderça.Voyons…Vendredi,19h,çavousirait?
Je réfléchis enhâte à ceque j’allais faired’Adrien…Puismedisqu’il pourrait resterun
momenttoutseul,letempsquesonpèrerentredutravail.
—C’estd’accord,jem’arrangerai…Mercibeaucoup!Alors,àvendredi…
—Oui,àvendredi,Camille.D’icilà,prenezsoindevous!
Prenezsoindevous…Lesmotsrésonnaientencoreàmesoreilles,tandisquejemarchais
pour regagner le bureau. Cela faisait tellement de bien, quelqu’un d’un peu attentionné!
Quelquesgrammesdebienveillancedanscemondedebrutes!Unmondequejeconnaissais
bien,étantlaseulefemmedansungroupedehuitcommerciaux…Lesmoqueriesfusaientà
longueur de journée, un humour potache qui tournait parfois à l’ironie mordante. Cela
m’épuisait à la longue. J’avais vraiment envie d’autre chose… Plus d’authenticité dans les
relations,peut-être.Biensûr,j’étaistrèscontented’avoircetravail.Unemploipermanent,de
nosjours,c’étaitdéjàunluxe,commemel’avaitrépétémamère.
Ah,mamère…Mon père l’avait quittée peu de temps aprèsma naissance, etmême s’il
n’avaitpascomplètementdisparudupaysage,luiapportantdetempsàautreunepetiteaide
financière,elles’étaitdébrouilléeseulepourassumerlasituation,etm’avaittoujoursdonné
l’impressiondetirerlediableparlaqueue.Sibienquequandarrivapourmoilemomentde
choisiruneorientationprofessionnelle, ilne futpasquestiondechoisirunevoieautreque
cellequi, selonelle,pourraitoffrir lesmeilleursdébouchés.Cellequimèneraitàunmétier
lucratif,pourque jepuisse êtreautonome financièrement,quoiqu’ilm’arrivedans la vie…
Moiqui avaisunepassionpour ledessindepuis toujours, jedus rangermesbeauxprojets
dans les cartons, et m’engager à regret dans des études de commerce. Je filai droit. En
apparencedumoins.Car, enmoi,quelquechose s’étaitdistordu.Un rêved’enfantquipart
auxoubliettes,c’estlascolioseducœurassurée!
Lejouroùjedécrochaimondiplômefutsansdoutepourmamèreleplusbeaujourdesa
vieaprèsceluidemanaissance.J’allaisavoirunavenirmeilleurquelesien.Sa joiemitun
peudebaumesurmon invisibleblessure, et je finisparmepersuaderquecen’étaitpas si
mal. Mon début de carrière fut très prometteur. J’avais des dispositions pour le contact
humain.Puismonmariageetl’arrivéed’Adrienmirentunfreinàmesambitions.N’ayantpas
enviede ressembleràunemèrecourantd’airdont lacarrièrepassaitavant tout le reste, je
décidaideprendreuntempspartielpourpouvoirprofiterdemonfils.Jepensaisnaïvement
avoirchoisilameilleuresolution.Jen’avaispasévaluécequecestatutavaitdebâtard:outre
la difficulté de faire en quatre jours ce que les autres faisaient en cinq, j’avais la nette
impression d’avoir perdu un peu de l’estime demes collègues et supérieurs. Une sorte de
dévaluationquejevivaiscommeuneinjustice.
Monemploiavaitcommencéenmêmetempsquemarelationamoureuse.Douzeannées
plutôtsereines,avecdeshautsetdesbas,biensûr,maissansgrosnuages.Àl’aubedemes
quaranteans–trente-huitansetquartpourêtreprécise(Dieu,pourquoilesgrainsdusablier
medonnaient-ilsl’impressiondes’écoulerdeplusenplusviteaufildesannées?)–,lebilan
n’était pas simal: unmari qui était resté àmes côtés– j’avais apparemment échappé à la
malédiction familiale de la femme quittée, mais j’y pensais parfois comme à une épée de
Damoclès –, un enfantmagnifique – certes remuant,mais n’était-ce pas là le signe d’une
belle vitalité? – et un travail qui remplissait à merveille sa fonction pécuniaire, avec la
gratification,parfois,dedécrocheruncontratclient.
Toutallaitdoncplutôtbien.Plutôt.Etc’étaitprécisémentpource«plutôt»quej’avaishâte
d’aller voir ClaudeDupontel. Un petit plutôt qui cachait de grands pourquoi, avec tout un
cortègederemisesenquestion,commej’allaisbientôtenfairel’expérience…
Lejourdenotrerendez-vous,j’arrivaiaupiedd’unbelimmeubleàl’impressionnantefaçade
haussmannienne: pierres de taille tout en élégance, balcons en fer forgé, corniches et
mouluresouvragées.Jepénétraiparuneportecochèredansunhallluxueux,sousleregard
oblique d’une cariatide. Un peu intimidée, je me glissai à pas de souris jusqu’à la cour
intérieure,jolimentpavéeetdécoréedeplantesverdoyantesdéployantpourlevisiteurtoute
la palette de leur richesse graphique. Un havre dans la jungle urbaine. «Première porte à
gaucheaufonddelacour»,m’avaitindiquéClaudeDupontel.
À peine eussé-je sonné qu’une petite femme toute menue m’ouvrit, comme si elle
m’attendaitderrièrelaporte.
—C’estvous,Camille?medemanda-t-ellesanspréambule,avecungrandsourire.
—Euh,oui,c’estbienmoi,répondis-je,unpeuinterloquée.
Ellemedemandade la suivredansun longcouloiret ilmesemblaqu’elleme jetaitdes
petitsregardscurieuxetamusés.Passantprèsd’unmiroir,jenepusm’empêcherdevérifier
simonrougeàlèvresn’avaitpasdébordéousiquelquechoseneclochaitpasdansmatenue.
Mais, non, rien. Elle m’installa dans une salle d’attente aux fauteuils aussi moelleux que
luxueux,m’assurantqueM.Dupontelseraitàmoidansuninstant.Jemelaissaicaptiverpar
les œuvres d’art contemporain qui ornaient les murs, leurs entrelacs de formes et leurs
subtils jeux de couleurs. L’assistante reparut quelques instants plus tard et fit entrer une
nouvelle venue. La jeune femme, à qui je ne donnai guère plus d’une trentaine d’années,
s’assitsurunfauteuilàmagauche.Unebrunepiquante.J’enviaisaligneetl’élégancedeson
lookbranché.Surprenantmonexamenmuet,ellemesourit.
—Vousavezrendez-vousavecClaude?
—Oui.
—C’estvotrepremièrevisite?
—Oui.
— Vous allez voir, il est extraordinaire! Avec moi, il a fait des miracles… Bien sûr, sa
méthodeadequoisurprendre,audébut,mais…
Elle se penchait versmoi dans l’intentionmanifeste dem’en dire plus, lorsque la porte
s’ouvritsurClaudeDupontel.
—Ah,Sophie,vousêtes là…BonjourCamille.Nousenavonspourun toutpetit instant,
justeunpapieràéchanger,etjesuisàvous.
Lajeunefemmelesuivitcommeonsuivraitquelqu’unauboutdumonde.J’entendisson
petit rire perler dans le couloir. Ils avaient l’air de s’entendre comme larrons en foire! La
porteducabinet se ferma.Silence.Puiselle se rouvritpeude tempsaprès, et j’entendisde
nouveaulepetitrire.Çaallaitêtreàmoi…
Discrètement,j’essuyaimamainsurlepandemonmanteau,espérantfairedisparaîtreles
traces de sa coupable moiteur. Quelle stupidité de ressentir du trac pour un rendez-vous
commecelui-là,alorsqu’ils’agissaitd’unesimplevisitedecuriosité!
—Camille?Suivez-moi,c’estparici…
Jemarchaisursespasjusqu’àsoncabinet,quimesurpritencoreparsondécorraffiné.
—Asseyez-vous,jevousenprie.Jesuiscontentdevousvoir,dit-ilavecunsourirequine
démentaitpassespropos.Etsivousêteslà,c’estquevousavezenviedechangerdeschoses
dansvotrevie,n’est-cepas?
—Oui.Enfin,jecrois…Cequevousm’avezditl’autrejouravraimentsuscitémonintérêt
etj’aibienenvied’ensavoirplussurvotreméthode.
—Jevousdiraipour faire courtque cen’estpasuneméthode conventionnelle,dès lors
qu’elle propose une approche plutôt expérientielle que théorique du changement. Nous
partonsduprincipequecen’estpasentre lesmursd’uncabinetquelapersonnequidésire
changer trouvera sa vérité, ni qu’elle comprendra quel sens donner à sa vie! C’est dans
l’action, le concret, l’expérience… Pour le reste, cette méthode puise ses sources dans les
enseignements de divers courants de pensées philosophiques, spirituels et même
scientifiques, et s’inspire des techniques les plus éprouvées de développement personnel à
travers lemonde.Uncondensédeceque leshommesontpensédemieuxpourévolueren
bien.
—Jecomprends…Vousdites«donnerunsensàsavie»…Çameparle,biensûr.C’estce
qu’onveuttous,non?UnpeucommeunGraal…Enrevanche,çameparaîtdifficileàtrouver,
etjenesauraispasparquelboutcommencer!
—Ne vous inquiétez pas! «Donner un sens à sa vie», c’est le fil rouge du changement.
Danslapratique,onprocèdeétapeparétape.
—Étapeparétape?
— Oui, il va de soi qu’on ne devient pas «ceinture noire du changement» du jour au
lendemain. C’est pourquoi j’applique la théorie des petits pas pour faire progresser mes
élèves par paliers. Quand on parle de changement, beaucoup de gens s’imaginent quelque
chosed’énorme,deradical,maisleschangementsdeviedécisifscommencentpardepetites
transformations,enapparenceanodines…Ilsepeutquemesconseilsvousapparaissentpar
momentscommedesévidences,des lapalissadespresque…Nevousy trompezpas:cen’est
pasderéussiràfaireunefoisleschosesquiestcompliqué,c’estd’yparvenirtouslesjours.
«Noussommescequenousrépétonssanscesse»,disaitAristote.C’est sivrai!Devenirune
personnemeilleure, plus heureuse, équilibrée demande du travail et des efforts réguliers.
Vousverrezqueladifficultén’estpasdesavoircequ’ilfaudraitfairepourallermieux,mais
des’engagerfermementetdepasserenfindelathéorieàlapratique.
—Etqu’est-cequivousfaitcroirequej’ensuiscapable?
—Cen’estpasàmoidelecroire,c’estàvous!Maisplutôtquedevousdemandersivous
enêtes capable, commencezparvousdemander si vousenavezenvie.Enavez-vousenvie,
Camille?
—Euh,oui…Jecrois,oui.
Ilmesouritavecindulgence,puism’invitaàvenirregarderlesdocumentsaccrochéssurle
mur,prèsdesonbureau.Jem’approchai.
Des photos de personnes épanouies, photographiées dans ce qu’on devinait être leur
propre affaire florissante, des cartes postales de remerciements envoyées depuis des
destinationslointainesetluxueuses,destémoignagesdereconnaissanceentoutgenre…
—Euxaussi,quandilsontcommencé,ilsdoutaient.Commevous.C’estnormalaudébut.
Ce qu’il faut, c’est une bonne motivation pour se lancer! Vous sentez-vous motivée pour
changer,Camille?
J’essayaidemesonderlesentrailles.
—Ohoui,oui,plutôt!Mêmesiçamefaitunpeupeur,j’aivraimentenviequeleschoses
bougent!Comment…Là,c’esttrèsflou!
—Classique.Pourvousaideràyvoirplusclair,voulez-vousfaireunpetitexercicesimple
quin’engageàrien,etquineprendraquequelquesinstants?
—Oui,pourquoipas…
—Parfait.Jevousproposedoncdenoternoirsurblanctoutcequevousaimeriezchanger
dansvotrevie.Jedisbientout,deschoseslesplusanodinesauxchoseslesplusessentielles.
Necensurezrien,d’accord?Est-cequeçavousconvient?
—Oui,toutàfait.
Ilm’installasurunpetitbureau-secrétaire,dansunangledelapièce,oùpapiersetstylos
detoutessortesattendaientlespostulants-pour-une-vie-meilleure.
—Jevouslaisse.Jereviensdansunmoment,dit-ilavecunsourireencourageant.
Je trouvai l’exercice assez simple et commençai à noter tout ce quime venait à l’esprit,
passant au crible le filmdema vie. Je fus heureusede voir que les idées fusaient, unpeu
moinsdeconstaterauboutdequelquesinstantsàquelpointmalistes’allongeait.J’étaisen
train de prendre conscience du nombre d’insatisfactions que j’avais accumulées et j’en
éprouvaisunchoc.
QuandClaudeDupontelrevint,ileutladélicatessedenepashausserlessourcilsdevantla
longueurdemaliste.Ilditsimplement:
—C’esttrèsbien.
Je ressentis alors le bête petit pincement de joie des collégiennes qui obtiennent une
gratificationdeleurprofesseur.
N’importe quoi! Il n’y a vraiment pas de quoi être contente d’avoir une telle liste de
frustrations!
Ildutliredansmespensées,carilreprit,rassurant:
—Soyezfièredevous.C’esttrèsdifficiled’avoirlecouragedecouchersurlepapiertoutce
quinevapasdanssavie!Vouspouvezvousenféliciter.
—J’aiunpeudemalàêtrefièredemoi,d’unemanièregénérale…
—C’estquelquechosequipeutchangerrapidement.
—Difficileàcroire,vud’ici…
—C’estpourtant lapremièrechoseque jevaisvousdemander,Camille:d’ycroire.Êtes-
vousprêteàfaireça?
—O…Oui…Jecrois…Enfin,jeveuxdire,j’ensuissûre!
— À la bonne heure! «Le changement est une porte qui ne s’ouvre que de l’intérieur»,
commedisaitTomPeters.Cequiveutdire,Camille,qu’iln’yaquevousquipouvezdécider
dechanger.Jepeuxvousyaider.Maisj’aibesoindevotreengagementtotal.
— Qu’est-ce que vous entendez par «engagement total»? demandai-je, vaguement
inquiète.
—Simplementquevousvousprêtiezentièrementaujeudecequejevousdemanderaide
faire. Rassurez-vous: rien ne sera jamais ni dangereux, ni hors de votre portée. Noustravaillerons ensembledansun cadre éthique, respectueuxde votre rythmed’évolution.Le
seulobjectifestdecréerenvousdesdéclicspositifspouraccompagnervoschangementsde
vie…
—Etsijamaislaméthodenemeplaîtpas?
—Iln’yaaucuneobligationàpoursuivre.Sivousvoulezarrêter,vousarrêtez.Maissivous
décidezdecontinuer, jevousdemanderaidevous impliquerà400%.C’estcommeçaqu’on
obtientlesmeilleursrésultats.
—Combiendetempsdureunaccompagnement,engénéral?
—Letempsqu’ilfautàlapersonnepourredessinerleprojetdeviequiferasonbonheur…
—Hum.Jevois…Encoreunequestion:vousnem’avezpasparléduprixetjenesaispassi
j’ailesmoyensd’untelsuivi…
—Laroutinologieaunmodedefonctionnementuniqueettrèsparticulieràceniveau-là,
maisquialargementfaitsespreuves:vousnepayerezquecequevousestimerezmedevoir,
et seulement quand vous aurez réussi. Si ma méthode échoue et que vous n’êtes pas
satisfaite,vousnepayerezrien.
—Quoi?C’estcomplètementfou!Commentfaites-vouspourvivre?Etcommentêtes-vous
sûrquelesgensaurontl’honnêtetédevouspayerunjouroul’autre?
— C’est votre vision dumonde pour l’instant, Camille. Je peux cependant vous assurer
qu’enmisantsurlaconfianceetsurd’autresvaleurscommelepartagedeconnaissances,le
soutieninconditionnel,ceuxquej’aiaidéssesontmontrésplusquegénéreuxavecmoi,une
fois leurs objectifs atteints… Je crois au potentiel de réussite de chacun, pour peu qu’il
respecte sa personnalité et ses valeurs profondes. Il suffit de monter le projet de vie en
adéquation avec ce qu’on est vraiment. Cela demande un véritable engagement, de la
méthodeetbeaucoupd’efforts.Maisquellerécompense!
—Vousavezdéjàeudescasenéchec?
—Jamais.
—…
— Bien. Nous allons nous arrêter là pour aujourd’hui. Je vous laisse réfléchir
tranquillementàtoutça.Vouspouvezaussidéciderdevousengagerdanslapremièreétape
pourvoircequeçadonne…Sic’estconcluant,vouscontinuez,sinon,vousarrêtez!
—Jevaisypenser,merciClaude.
Ilmeraccompagnaàlaporteetmedonnaunepoignéedemainferme,celledequelqu’un
quisaitcequ’ilveutdanslavie.Jel’enviai.
—Jereviensversvoustrèsvitepourvousdire…Aurevoir,Claude.
—Prenezvotretemps,aucontraire.Aurevoir,Camille.
6
Jemeretrouvaidanslaruecommeétrangèreàmoi-même:cetentretienm’avaitchamboulée.
Mesmains tremblaientunpeu,et jenesavaispassi c’étaitdepeuroud’excitation.Tandis
que jemedirigeais vers lemétropour rentrer chezmoi, lespensées sebousculaientàune
allure folledansmonesprit.À chaquepas, jeme remémorais lesparolesdeClaude, etma
détermination grandissait: «Chacun a un devoir vis-à-vis de la vie, ne croyez-vous pas?
Apprendreà se connaître soi-même,prendre conscienceque le tempsest compté, fairedes
choixquiengagentetquiontdusens.Etsurtout,nepasgaspillersestalents…Camille,ilest
toujoursurgentdeseréaliser!»
Pendant la soirée, je ressassai ce quema vie était à ce jour: une planque, celle demon
travail, celledemes amours…Des cache-misère… Il était tempspourmoide cesserdeme
voilerlafaceetd’oserreprendreleschosesenmain.«Changeztout,changeztout,pourune
viequivaillelecoup.Changeztout,changeztout,changeztout»,chantaitMichelJonasz.Je
devais,moiaussi,enfairemachanson.
Maviedemèreétaittendue.Entremonfilsetmoi,depuisquelquetemps,latensionétait
mêmeélectrique.Toutmepesait.Entrelaviescolaire,lesactivitésdeloisiretlesrendez-vous
médicaux,j’avaisl’impressiondeneplusm’appartenir,denepasavoiruneminuteàmoi.Dès
quejemettaisunpiedàlamaison,j’étaishappée.Fautedepouvoirm’occuperunpeudemoi,
monseuildetoléranceavaitconsidérablementbaissé.Jem’énervaisd’unrien.Surtoutpour
les devoirs qui, cette année, avaient triplé, sous la coupe d’un professeur trop zélé. Déjà
fatiguédesajournéed’école,Adrienvivaitcesurcroîtdetravailcommeunepunition.Çan’en
finissait pas. J’avais l’impressionde le tirer commeun ânemort. Je criais. Il explosait.En
larmesouencrisedenerfs…
Excédée, je le laissais en roue libre une fois les obligations scolaires expédiées, et il se
ruaitsurlesécrans.Lechoixdelafacilité,j’enavaisconscience,maisj’avaisbesoind’unpeu
depaix,dedécompressercinqminutes.C’esthumain,non?medisais-jepourmerassurer.
Souvent, il voulait que je viennevoir lemonde imaginairequ’il venaitde construire sur
Minecraft,sonjeupréférédumoment,oubienunevidéocoupdecœursurYouTube.
—Jen’aipastropletemps,monchat,ilfautquejepréparelesouper…
C’étaitainsi.Depuisquelquesmois, jenemesentaispas l’énergiedem’intéresserà son
univers,creusantsansm’enrendrevraimentcompteunfosséentrenous…Ilrepartait,alors,
déçuetvaguementtriste.
—Tunefaisjamaisrienavecmoi!mereprochait-ilparfois.
Jemedébattaisdanslesjustifications.
—Adrien,essaiedecomprendreunpeu.Tuesgrand,maintenant.Leschosesnese font
pastoutesseules!Etpuis,avectouslesjeuxquetuas…
—Oui,maisjen’aijamaispersonneavecquijouer…Pourquoitunemefabriquespasun
petitfrère?
Et voilà, encore la culpabilisation… Pourquoi serait-on obligée, en tant que femme
européenne,defaire2,01enfants?Etsimoi,jen’envoulaisqu’unseul?
La pression sociale… Ça aussi, ça m’énervait! À longueur d’année, on me rebattait les
oreillesavecdesphrasesconvenues.«C’esttriste,unenfantunique!Ildoits’embêter…»
Sébastienavaitétédéçu,quandjeluiavaisavouéquejen’envoulaispasd’autres…Peut-
êtrecelaaussiavait-ilparticipéànotreprisededistance?Çaetlaroutine.Letravaildesape
de lamonotonie,de l’ordinaire.À forcedeneplussesentirobligédeparaître,onneparaît
plusdutout.Lelaisser-allergagneduterrain.Ildevientmêmecriant,sousnotrenez,maison
nes’enrendmêmepluscompte.
J’en étais làdemes réflexions, lorsque je jetaiun coupd’œil àmonmari, étendu sur le
canapé, à regarder la télévisiond’unœil et à jouer sur son téléphone intelligentde l’autre,
indifférent à ma présence, et surtout inconscient de mon agitation intérieure. Ce fut
l’élément déclencheur. Voilà, je voulais sortir de ce bonheur léthargique, réglé comme du
papieràmusique,arrêterdemecontenterd’unegentillepetitevietellementbrosséedansle
sens du poil qu’elle avait fini par perdre tout son sens. Oser bousculer le bien-établi,
l’attendu, le convenu! Troquer le rassurant contre l’exaltant! Bref, appuyer sur la touche
«reset»etrepartirsurdenouvellesbases.
JecomposaiuntextoàClaudeDupontel,etappuyaiaussitôtsurlatouche«envoi»comme
quelqu’un retire sous lui une échelle: pour être sûr de ne plus pouvoir revenir en arrière.
Réfléchirdavantageauraitétéprendrelerisquedereculer.
Je suis décidée à faire un essai, voir ce que votreméthode peut donner. Je n’ai rien à
perdre,n’est-cepas?
Unedemi-heureplustard,jetressaillisenentendantlebipdemoncellulaire.
Bravopourcepremierpas,Camille.C’estceluiquicoûteleplus,maisvousneleregretterezpas,j’en
suissûr.Guettezvotrecourrier.Vousyrecevrezmespremièresinstructions.Àbientôt,Claude.
J’étaiscontente.Excitée.Inquiète.Lestroisàlafois.
Jepassaiunenuitagitée,rêvantque jedévalaisunepenteàski,àuneallure trépidante,
folle de joie, jusqu’à ce que je me rende compte que malgré toutes mes tentatives, je
n’arrivaisplusàm’arrêter…Jemeréveillaiennageetglacéedefrayeur.
La journéemeparut interminable, tant j’avais hâte de rentrer chezmoi pour ouvrirma
boîteauxlettres.Déception.Elleétaitvide.
Tuestropimpatiente,mapauvreCamille!Tun’espassapriorité.
Lelendemain,elleétaitvideencore.Nouvelledéception.
Bah,çanefaitmêmepasquarante-huitheures…
Lesurlendemain…Vide!
Je rongeaismon frein.Mon excitation s’étaitmuée en frustration.Quand est-ce que ça
allaitenfindébuter?Auboutdehuitjoursd’attentefébrile,jecraquaiettéléphonaiàClaude.
Son assistante me répondit de sa voix charmante, programmée pour calmer toutes les
impatiences.
—Désolée.M.Dupontelestenrendez-voustoutelajournée.Jepeuxluicommuniquerun
message?
—Euh,oui,merci.Jevoudraissavoirquandmonprogrammevacommencer.
—Quevousa-t-ildit,ladernièrefoisquevousl’avezvu?
—D’attendresesinstructionsquiarriveraientparcourrier.
—S’ilvousaditça,alors,iln’yaqu’àattendre.Aurevoir…Excellentejournée.
Cettefois,savoixfleuriem’horripila.Jeraccrochai,dépitée,trépignante,prêteàtorpiller
lepremiermagazinequimetomberaitsouslamainpourleréduireenboulettesdepapier.
7
Troisjoursplustard,jereçus–enfin!–lecourriertantattendu.Onzejoursdepatience.Je
tâtai l’enveloppe, légèrement rembourrée, essayant fébrilement de découvrir ce qu’elle
contenait.
Àl’intérieur,jedécouvrisunechaînequejereconnustoutdesuitecommeétantuncollier
Charms.Unadorablepetitpendentifenformedelotusblancyétaitaccroché.
JedépliaivitelepetitmotmanuscritdeClaude,écritsurunefeuillepliéeenquatre.
BonjourCamille,Jesuisheureuxdevotredécisionderepartiràlaconquêtedevotrevie!Jecroisenvouset vous souhaite d’ores et déjà bon courage pour arriver à vos fins. En signe debienvenue et d’encouragement, je vous offre ce premier Charms en forme de lotusblanc. Chaque fois que vous aurez franchi une étape décisive, un «palier dechangement»,vousrecevrezunnouveaulotusCharms,d’unenouvellecouleur.Commeen arts martiaux, le code couleur correspondra à la montée d’un niveau: blanc,débutant,puis jaune, vert, bleu, violet… jusqu’au lotusnoirquimarquera votre stadeultimedechangement.Ilseral’indicationquevousaurezatteinttousvosobjectifs…
Je fis tourner le pendentif entremes doigts, séduite par le principe, puis poursuivisma
lecture:
Ces derniers jours, sans que vous le sachiez, l’initiation a déjà commencé et vous aapprislapremièreleçon:nejamaisresterdansl’attenteetlapassivité.Vousavezpassévotre temps à guetter mes instructions, pour que je vous dise quoi faire. Or, vouspouviezdéjàcommenceràagirparvous-même.Souvenez-vousbien,Camille:vousêteslaseuleetuniquepersonnequipeutfairebougervotreproprevie.Lemouvementdoitpartir de vous. Je serai un guide,mais n’accomplirai rien à votre place.Notez sur unpost-itcettephrasequevousregarderezchaquejour:«Jesuislaseulepersonneresponsabledemavieetdemonbonheur.
Voici maintenant votre première mission: l’opération «Grand blanc». Vous allezprocéderàunménage in/out intégral.Jem’explique:ménage in,ménage intérieur. Ils’agit d’identifier dans votre environnement tout ce qui vous paraît toxique, néfaste,sclérosant dans vos relations et votre organisation. J’appelle ça de l’écologiepersonnelle! Vous ferez parallèlement un grandménage out, ménage extérieur, chezvous:vous jetterezaumoinsdixobjets inutiles, rangerez, trierezetaméliorerezvotreintérieurdetouteslesfaçonspossibles.Apportez-moilesphotoslaprochainefois.Vousavez quinze jours. Entre-temps, vous pouvez bien sûr me confier, si besoin, vosdifficultéspar courrielou texto. Jeprendrai toujours le tempsdevous répondre.Boncourageetàbientôt!
La lettrem’échappadesmains.Quel programme!L’idéedeme transformer enMadame
Blanchevillenemefaisaitpasvraimentfantasmer.Etvul’étatdelamaison,jepartaisdetrès
loin…Sansparlerdumanquedetemps.Jen’auraijamaisletemps!Jerentraistoujoursassez
tarddutravailpourcompensermeshorairespartiels;quantaumercredi,monsoi-disantjour
libre,c’étaitunvéritablemarathond’activitéspériscolairesetmédicalespourAdrien!Claude
avaitoubliéunpetitdétail:jen’étaispasfemmeaufoyer!Jen’avaispasdesjournéesentières
devantmoi!
Jeluifisaussitôtpartdemoninquiétudepartexto:
Bonjour.MissionGrandBlanctropdifficile.N’auraijamaisletemps!Quefaire?Cordialement,Camille.
Je guettai sa réponse. Elle me parvint dans un courriel que je reçus plus tard dans la
journée:
ChèreCamille,Letemps,ensoi,n’estpasunproblème.Seullementalpeutenêtreun.Sivousvouspersuadezqueletempsestunproblème,ilenseraun.Si,aucontraire,vousêtesconvaincuequevousréussirezàendégager,ilyadeforteschancesquevousyparveniez. Essayez…Vousverrez,votrecerveaucroitcequevousluidites.Maisnevousenfaitespas,nousaborderonslargementcethèmedumentaletdelapenséepositiveprochainement…Pourl’instant,voyezdéjàcommentvousatteleràvotretâcheparquartd’heureoudemi-heure,lesoir,leweek-end.Et
rappelez-vous:l’énergieappellel’énergie.Lespremiersjours,ceseffortsvoussembleronttrèsdifficiles,puisdemoinsenmoins.Plusvousenferez,plusvousaurezenvied’enfaire!Boncourage,Claude.
Il voulait que je fasse mes preuves en me transformant en Rocky des plumeaux? Ok.
J’allaisluimontrerdequoij’étaiscapable!
Le soir même, sitôt Adrien couché, je m’armai pour une bataille sans merci contre la
poussièreet ledésordre.Enrentrantdubureau, j’avaisachetéunearmadadesacspoubelle
centlitresetdeproduitsménagersentousgenres.L’huiledecoudeallaitcouleràflots,vous
pouvezmecroire!
Sébastiensuivitcemanègedeménageavecdesyeuxrondsoùbrillaitunelueurrailleuse
etoù je lisaisun certain scepticisme.Çam’étaitbienégal!Rienn’auraitpum’arrêterdans
monélandetornademénagère.Enfin,rienjusqu’àcequej’ouvreleplacardducouloir…Là
m’attendaientunmonceaudepapiersdébordantdecartonsécornés,parfoismêmeéventrés,
un bric-à-brac d’objets inutiles dignes des plus improbables brocantes, depuis la poupée
bannie jusqu’à la lanterne photophore de jardin alors qu’on n’a pas de jardin, des piles de
vêtements aussi chancelantes que des châteaux de cartes, des affaires trop petites, trop
grandes,tropusées,deschandailsàtrous,deschandailsàmites,deschandailsàbouloches,
desraquettesdebadmintonencastréesdansunstepperjamaisutilisé,desboîtesàsouvenirs
aveclebriquetd’unconcertoublié,deslettrespasouvertes,deslettresouvertesdegensdont
onaoubliélevisage,deslettresdegensqu’onaimeetàquionaoubliédeledire,unpaquet
demouchoirsmarquésSNIFtrouvédansunmagasindegadgetsàlalointaineépoquedesa
périodefleurbleue,laphotodesonpremierchum,dontonsedemandebiencommentona
puenêtreamoureuse,uncarnetdenotesdusecondaire,unpetit sachetdedragéesdeson
mariage toutescolléesetbaveusesavec le tempsmaisqu’ongardequandmême,parceque
quandmême…
Jesortistoutduplacard,etdevantcetimmensemonticulepleindepoussière,jel’avoue,je
faillis jeter l’éponge. Mais au fur et à mesure que j’élaguai, c’était fou, je récupérais de
l’espacevitaldansmonesprit!Cette«thérapieparlevide»mefaisaitleplusgrandbien.
Soir après soir, je gagnais ainsi du terrain sur le désordre. Je traquais les mauvaises-
surprises-de-derrière-les-meubles,lesrecoinsoubliés,lesobjetsqu’onn’osaitplusjetertant
on était habitué à les voir…Adieupoussière rebelle, indignes poils dans le lavabo, calcaire
récalcitrant et joints pas-la-joie! Sans relâche, sans fléchissement, je finis par obtenir une
belle récompense.À la finde la semaine, lamaison ressemblaitpresqueàunappartement
témoin.Jejubilais.
—Ehbien,onnet’arrêteplus,commentaSébastienavecunepointed’ironiefeinte,dans
laquelleperçaitmaintenantunecertaineadmiration.
—Çafaitdubien,non?
—Oui, oui, ça faitdubien.C’est justeunpeu…surprenantque ça teprenned’un coup,
commeça!
Quoi?Ilaurait fallu luienvoyerunavisdetransformationavecaccuséderéception?Ily
avait aussi des lenteurs de procédures dans l’art du bonheurménager? Sa tiédeur face au
changement m’agaçait! J’aurais voulu qu’il s’enthousiasme, qu’il participe… Pourquoi me
donnait-il toujours l’impressiond’êtrespectateurdenotrevieconjugale?J’avaisenviede le
secouer,deluidirequ’ilétaiturgentdechangerdeschoses,quecetimmobilismem’étouffait
et effritait mes sentiments pour lui aussi sûrement que la houle grignote les bords d’une
falaise…
Leweek-endsuivant,jedécidaitoutdemêmemeshommesàdonneruncoupdefraisànotre
intérieur.
Directionlecentredebricolage.Jemeréjouissaisdecetteultimeétape,ladéco,cerisesur
legâteaudemonopérationGrandBlanc.Rapidement,néanmoins,jecomprisqueceneserait
paslapartiedeplaisirescomptée.Divergencesabsoluesdemotivations.Tandisquejerêvais
de lambiner devant chaque étal pour débusquer les bonnes idées, Sébastien, lui, avait
l’intentiondeparcourirlemagasinaupasdecourse,afind’enfinirauplusvite.Àl’écouter,le
premier pot de peinture aurait fait l’affaire. Je le traînais donc, soupirant et trépignant
d’impatience à travers les rayons tandis que j’essayais tant bien quemal de jeter un coup
d’œilauxarticles,lemanteaupenduaubrasdroit,Adrienpenduaugauche.Ilnetrouvaitrien
deplusrigoloquedetoucheràtout,àmongranddam.Écumantdechaudetd’énervement,
j’entrevis enfin le rayon peintures. C’était lemoment ou jamais de remotiver les troupes!
J’espérais que les pots de couleurs aux noms évocateurs réjouiraient leur imagination et
qu’ils feraient enfin montre d’un peu d’enthousiasme en choisissant la couleur de leur
chambre.
PourAdrien,çamarchadutonnerre:ilchoisitunvert«jeunespousses»,unespritpelouse
toutàfaitraccordavecsapassionpourlefoot.Sébastiensemontrabeaucoupplushésitant
et,deguerrelasse,finitparopterpourun«caféglacé»etun«nougatsatin».J’étaiscontente
pourdeux,c’étaitdéjàça.
L’étapedelacaissemitsibienmesnerfsàl’épreuvequejemedemandaiuninstantsije
n’allaispasrepartirtoutcomptefaitlesmainsvidesettoutplanterlà.Unepersonnebloquait
la file à cause de vis achetées au détail dont personne ne retrouvait le prix. Un conseiller
quincaillerie fut demandé à notre caisse. Je m’imaginai avec une certaine délectation ce
monsieur en train demanger une à une ses petites vis.Mais le plus vicieux restait quand
mêmelamachiavéliqueimaginationduservicemarketingquiavaitourdil’installationdeces
satanées tentations de dernièreminute sous le nez des enfants électrisés par l’impatience.
Des bonbons, des piles, des lampes torches…Naturellement, Adrien voulut quelque chose
rienquepour leplaisirdeprendrequelquechose,etme fitunebrillantedémonstrationde
l’utilitéd’untelachat.J’étaispartagéeentreunagacementgrandissantetunecertainefierté
devantlepotentieldesaforcedeconviction.
Pourlapaixdesménages,jecapitulaisurunpaquetdetic-tacàlapomme.
—Yes!fit-ilaveclegesteadéquat.
Enfin, ce fut à nous. Les sacs remplis, la sortie, l’air frais, le stationnement, le bruit du
coffrequi claque,Adrienvoulantqu’onmonte le sonet chantantà tue-tête, enmode I am
TheVoice…Notresilencedanslebruit…
Le resteduweek-endsepassaentrebâches, rouleaux,kilomètresd’essuie-tout, vieuxT-
shirtsmaculés de peinture, pizza party et camping sauvage aumilieu du salon. Et puis, la
récompense:unchez-nousflambantneufetnous-mêmes,lesnarinessaturéesdel’odeurde
lapeinture fraîche, lesmembresendolorisd’avoirdûmultiplier lescouches,maisheureux.
Toutsimplementheureux.
8
J’envoyaidans lasemaine lesphotosdemesaménagementsàClaude,quisalua lerésultat.
Puisilm’envoyauncourrielquim’expliquaitcommentpasseràl’étapesuivante:leménage
intérieur, étape qui devaitme permettre d’identifier puis demedébarrasser de tout ce qui
polluaitmonenvironnementetmarelationauxautres.
Voussavez,Camille,lavie,c’estcommeunemontgolfière.Pourallerplushaut,ilfautsavoirsedélesteretjeterpar-dessusbordtoutcequiempêchedenousélever.
Au-delàdelamétaphore,ilmedemandaitd’écrireunélémentdemaviedontjenevoulais
plusparpageA4.
Venezavectoutçamercredià14h,siçavousconvient,auparcAndré-Citroëndansle15e.Bonnesoirée!
Quelle idée est-ce qu’il avait derrière la tête? Quoi que ce soit, j’étais certaine que ça
vaudraitledétour…Parmoments,jemedemandaisoùtoutçaallaitmemener.Jemesentais
assezbousculée,et j’enavaisparfoisdesnœudsdans l’estomac.N’allais-jepasregretterma
petitevietranquille,sansgrossesprisesderisques,certes,maissansremousnonplus?Non.
Définitivementnon.
Jereprislalecturedesonmessagequicomportaitunepiècejointeetunpostscriptum:
Jevousjoinsunschématrèsintéressantpourinspirervotrenouvelétatd’esprit.Ils’agitducerclevertueuxversuslecerclevicieux.Qu’enpensez-vous?
Jecliquaisurlapiècejointeetdécouvrisdeuxgraphiquesjolimentprésentés:
Cerclevicieux:penséenégative>attitudephysiquevoûtée,mollesse>manqued’énergie,tristesse,découragement,peurs>laisser-aller,incapacitéàprendresoindesoi>mauvaiseestimedesoi,«jesuisnulle,jen’yarriveraipas»>replisursoi,peud’ouvertureauxautres>sensationd’êtredansuneimpasse>visionfloue,perspectivesincertaines.Échec,objectifsnonatteints.
Cerclevertueux:penséepositiveou«fairecommesi»>attitudephysiquedynamique(dosdroit,mentonrelevé,sourire)>entrain,enthousiasmecommunicatif>capacitéàprendresoindesoi(bienmanger,fairedel’exercice,sefaireplaisir)>bonneestimepersonnelle,«j’aidelavaleur,jemérited’êtreheureuse»>ouvertureauxautres,opportunités,réseau,possibilitésderebondir>créativité,regardconstructifsurlasituation,solutions>réussite.Atteintedesobjectifsfixés.
Pensive, je méditai sur ce graphique des plus parlants. Je commençais à saisir l’idée
générale,etjeprisconsciencequejusque-làbeaucoupdemesattitudesmesituaientducôté
ducerclevicieux.Unefaçondemesurerlecheminqu’ilmerestaitàparcourir!
Le mercredi se fit attendre. J’avais hâte de découvrir ce que Claude m’avait préparé et
traversai leparcAndré-Citroënàpasvifspourgagnerlepointderendez-vous,aupieddelaserremonumentale.Direque j’habitaisParisetque jeneconnaissaispascetécrinvégétal!
Tandisquej’empruntaislesallées,jedévoraisdesyeux,ébahie,laluxuriancedelavégétation
etlabeautédesmisesenscèneaquatiques,sansparlerdelamultituded’arbresexotiqueset
deplantesrares…Cettebaladem’enchantaitlessensetmedisaitàquelpointlanatureétait
partropabsentedemavie.UnarticlefortintéressantduDrIanAlcockdel’écoledemédecine
d’Exeter(Royaume-Uni),publiédansEnvironmentalScience&Technology,merevintalors
enmémoire.LeDrAlcockyétudiaitlerapportévolutifdelasantémentaleavectroisfacteurs
indépendants: lemariage (dont la courbede satisfactionpartaitd’unpointélevéetbaissait
avec lesannées), le loto (dont lacourbes’affolaitaudébutpourresterstagnante jusqu’à la
fin) et la nature (dont la courbe augmentait très nettement dès le départ et n’arrêtait plus
d’augmenter).Saconclusion:plusque lemariageou le loto, lanatureapportaitunbienfait
mentalquotidienetdurableauxpersonnesquilacôtoyaient.Voilàquiallaitm’encouragerà
memettreauvert!
JeguettaisClaudeetreconnusbientôtsasilhouette,grande,élancée,sadémarcheassurée,
sonstyleélégantsansêtreguindé…Maiscequimefrappaittoujours,c’étaitlabienveillance
decevisageouvertetlepétillantdeceregardqueseuleunepersonnehabitéedel’intérieur
peutavoir.
Ilm’impressionnait.
Nous nous serrâmes chaleureusement la main. Il prit de mes nouvelles tout en
m’entraînantàtraversleparc.
—Oùallons-nous?
—Là-bas,vousvoyez?
—Oùça,là-bas?Surlapelouse?
—Non,justederrière.
Je ne voyais pas où il voulait en venir. Je n’apercevais rien, hormis l’énorme ballon
Generali.Jeréalisaisoudain.
—Onnevaquandmêmepas…?
—Si,si.Onva,répondit-ilavecunelueurespiègledansleregard.Vousavezbienprisvos
papiersavectoutcequevousnevouliezplus?
—Oui.Toutestlà.
—Trèsbien.Montrez-les-moi…
Illutchacundemesfeuilletsavecattention.Jeneveuxplusêtretropgentille.
Jeneveuxplusmesuradapterauxautrespourleurfaireplaisir.Jeneveuxplusattendrepassivementquedeschosesm’arrivent.Jeneveuxplusqu’Adrienetmoinousdisputionstoutletemps.Jeneveuxplusavoirquatrekilosdetrop.Jeneveuxplusnégligermonimage.Jeneveuxpluslaissermaviedecouplealleràvau-l’eau.Jeneveuxplusêtrefrustréeparmontravail.Jeneveuxplusfairedépendremesdécisionsimportantesdel’avisdemamère.Jeneveuxpluslaissermesrêvesauplacard.
—Jevoisquevousavezbientravaillé,commenta-t-il.Bravo…Avantdenouséleverdans
les airs, nous allons faire un peu de travaux pratiques. Je vais vous montrer comment
fabriquerdejolisavionsenpapier…
Décidément,cethommeétaitfou.Maisilcommençaitàbienmeplaire!
Malgrélabizarreriedelatâche,jem’exécutaisansmotdire.
— Et voilà! déclara Claude, quand j’eus terminé. Nous avons une vraie flotte aérienne.
Nouspouvonsmonteràprésent.
Je le suivis dans la nacelle, pas très rassurée, et lorsque le ballon se mit à s’élever, je
m’agrippaiàlui.
—Tranquille,Camille,toutvabiensepasser…
Piquéeauvif, jemeredressaipourchassermonappréhensionet concentraimonregard
surl’horizon.Lapeurmetiraillaitl’estomac,maisj’écarquillaistoutdemêmelesyeuxpour
nerienperdredel’expérience.Jesentaismoncœurbattreplusfortdansmapoitrineetme
demandaiscommentmoncorpsallaitréagir,sij’allaisavoirlevertige.
—Soyezattentiveàtoutcequevousressentezpourpouvoirdécrirevosimpressionstoutà
l’heure,d’accord?
Je ne lâchai pas le bras de Claude pendant toute l’ascension qui se fit sans à-coups ou
presque.Finalement,jefussurprisedevoirquej’avaismoinslevertigequejenelepensais.
Je ressentis bien un léger appel du vide, une sécheresse dans la bouche et les mains
tremblantes,maisj’étaislàetjegérais.
L’expérienceétaitsaisissanteet lavue,àcouper lesouffle.J’enavaispresque les larmes
auxyeux,tantc’étaitbeau.Par-dessustout,jeprenaisconsciencedecequej’étaisentrainde
faire.J’étaiscapabledem’éleveràcentcinquantemètresdusol,dedépassermespeurs!Une
fiertéeuphorisantem’envahit,dessinantunincontrôlablesouriresurmonvisage.
—Ancrez,Camille,ancrez!mesoufflaClaudeàcetinstant.
Voyant que je ne comprenais pas, il m’expliqua le principe de l’ancrage positif, une
techniquequipermettaitderetrouverquandonlevoulaitl’étatphysiqueetémotionnelvécu
lorsd’unmomentheureux.
Ilme fallaitd’abordposermonancre liéeàunmoment fortdemavie.Puisassocierun
mot, une image ou un geste à cet instant de sérénité et de bonheur. Aujourd’hui, dans ce
ballon,jechoisisdemepincerfortementlepetitdoigtdelamaingauche.
Par la suite, avec de l’entraînement, je pourrais réactiver mon ancre quand j’en aurais
besoin, en reproduisant le geste associé à l’ancrage et retrouver ainsi le même état
émotionnelpositif.
Je demandai quand même à Claude plus de précisions pour réactiver l’ancrage, pour
m’assurerquej’avaiscomprisleprocessus.Oui,c’étaitbiença:pourressentirànouveaucette
sensationdesérénité,deconfiance,ilmefaudraitallerrechercherlesouvenirdecetinstant,
de cet intense ressenti. En me replaçant dans un endroit calme et confortable, seule,
concentrée,détendue,lesyeuxfermésmême,siçapeutaider,jepourraiseffectueralorsune
visualisationmentale,enrepensantàcesouvenirparticulier,enrevoyant lascèneetenme
remettantvraimentdanslessensationsphysiquesetémotionnelles.Àcemoment-là,legeste
associé pourra être réitéré (me pincer fort le petit doigt, pour ce cas), afin d’intensifier la
montéed’émotionspositives.
—Àpratiquersouventpourquel’ancresoitefficace,précisaClaude.
J’étaisencoreunpeusceptique,maisluipromisd’essayer.
— L’heure est venue d’envoyer valser par-dessus bord vos petits avions, annonça-t-il
encore,etdedireadieuàtouscespoids!Lasymboliquedugesteesttrèsimportante…
Sous son regard complice, je lâchai donc un à un mes avions de papier et me sentis
soudain libérée. En jetant toutes ces choses dont je ne voulais plus, je renforçais ma
déterminationàchanger.J’avaisactionnélelevierd’unprocessusdetransformationdontje
nemesuraispasencoretouteslesconséquences.Unechoseétaitcertaine,cependant:ilétait
trop tardpour reculer. J’allaisdevoir assumer!Pour l’heure, je voyais virevoltermespetits
boutsdepapieravecdélectation.Zou,byebye,mespoids!Tremblez!Vousvivezvosdernières
heures.Jem’amusaisfollement.
Lorsquenous fûmesdenouveau sur la terre ferme,Claudemeproposad’aller boire un
café.
—AlorsCamille,vousêtesfièredevous?
—Jecrois,oui…
—Ahnon,mieuxqueça!
—OUI!Jesuisfièredemoi,m’exclamai-jealorsavecplusdeconviction.
— Voilà qui est mieux, dit-il, tout en allongeant son café avec le carafon d’eau chaude
qu’on lui avait remis. Le meilleur moyen de muscler votre affirmation de soi, c’est
d’apprendreàêtrevotremeilleureamie!Vousdevezvousvaloriser,avoirdelacompassionet
de l’indulgence pour vous-même, et vous donner le plus souvent possible des signes de
reconnaissance…Vousmepromettezdelefaire?
—Jepeuxtoujoursessayer!Maisest-ceque jenevaispasavoir la têtequienfle,après?
plaisantai-je.
—Avecvous,ilyadelamarge,répondit-ildutacautac.Etàcepropos,commeexercice
pourledébutdesemaineprochaine,vousm’enverrezlalistedetoutesvosqualités,detoutce
que vous savez bien faire et de toutes les expériences les plus réussies de votre vie… Ça
marche?
—Rienqueça!Remarquez,lalisterisqued’êtrecourte!
— Ah, Camille… Camille… Si vous recommencez, j’ajoute des gages, attention! Bon,
d’accord… Au début, vous aurez peut-être du mal à trouver, mais plus votre cerveau sera
entraînéàchercherlepositifenvous,plusilletrouverafacilement.Si,si,vraiment.Oh,etje
voulaisvousdonnerceci…
Il fouilla dans sa poche pour en extraire une petite boîte. Je ris intérieurement en
songeantque,deloin,onpouvaitcroirequ’ilallaitmedemandermamainenm’offrantune
belle bague, ce quim’excitait assez. Ce n’était pas une bague,mais un joli lotus jaune. Le
deuxièmeCharms.Ilconsidéraitdoncquej’avaisfranchiunnouveaupalierduchangement.
J’eusdumalàcacherlaboufféedefiertéquimontaenmoietmechauffalesjoues.Lesyeux
brillants,jeleremerciai,etenfilailependentifsurlachaîne,oùilrejoignitlepremier.
Claude reçutuncoupde filqui l’obligeaàpartir rapidement.Avantdemequitter, ilme
glissa entre les doigts un petit bout de papier et s’en alla sans se retourner. Quel homme
étrange!
«Toutestchangement,nonpourneplusêtre,maispourdevenircequin’estpasencore.»Épictète.EtsivousmedessiniezleportraitdelaCamillequevousvoudriezdevenir?Àtrèsvite,Claude.
9
LaCamille-en-devenirbûchaitsec.
Claudeavaitdemandélalistedetoutesmesqualités,detoutcequejesavaisbienfaireet
detouteslesexpérienceslesplusréussiesdemavie…Jepassaidoncmontempslibre,dans
lesjourssuivants,enspéléologieintrospective,etsondailescavitésdemonâmepourtenter
d’enextrairelesmatièrespremièresdemandéesparClaude.
Solidement encordée pour descendre dans le puits étroit des souvenirs, j’avançai à la
lumièreconfusedemamémoire.
Expériences positives, qualités personnelles… Au début, le trou noir! Puis, petit à petit,
ellesrefirentsurface,reprirentformeàmesyeux.
Pourm’aider,jegardaisouslesyeuxlalistedequalitésqueClaudem’avaitenvoyée.Jeme
demandaislesquellesjepouvaism’attribuer…
Accueillante,ambitieuse,audacieuse,autonome,aventureuse,calme,combative,conciliante,confiante,créative,dévouée,diplomate,directe,disciplinée,discrète,douce,dynamique,efficace,empathique,endurante,énergique,espritd’équipe,extravertie,fidèle,flexible,franche,généreuse,honnête,imaginative,indépendante,innovatrice,intelligente,intuitive,joviale,juste,leader,maîtredesoi,méthodique,motivée,observatrice,obstinée,optimiste,ordonnée,organisée,originale,ouverted’esprit,patiente,persévérante,polie,polyvalente,ponctuelle,précise,prudente,pugnace,réservée,résistante,responsable,rigoureuse,rusée,sensible,sérieuse,serviable,sociable,soigneuse,spontanée,stable,stratège,tenace,tolérante,travailleuse,volontaire.
Accueillante, oui. Ambitieuse, pas assez! Conciliante, un peu trop. Créative, je l’étais
autrefois…Sensible,oui,onneserefaitpas.Sérieuseettravailleuse,parlaforcedeschoses!
Généreuse,empathique…plutôt,oui.
Quant à mes expériences de vie les plus marquantes en termes de réussite, outre la
naissancedemonfils,bienentendu,iln’yenavaitpaseutantqueça.Cettefois,peut-être,où
j’avaisdécrochéun19/20enartsplastiquesetoùmonprofesseurm’avaitsichaleureusement
félicitée, me disant qu’il fallait que je continue, que j’avais du talent… Jem’en souvenais
encoreavecémotion.Oui,là,jem’étaisvraimentsentiereconnue.Ilyavaitaussicejouroù
j’avais décroché mon diplôme supérieur de Commerce, et que j’avais annoncé la bonne
nouvelleàmamèrepartéléphone…Maisétait-cevraimentmajoieoulasienne?Ilfaudrait
quej’enparleavecClaude…
QuantauportraitdelaCamillequej’aimeraisdevenir,ilressemblaitpourl’instantàune
pâleesquisse.J’écrivisbeaucoup,touteslesidéesquimevinrent,etpressentisquemêmesi
toutcelaétaitencoreflou,leprocessusétaitactivéetqueleschosesnemanqueraientpasde
s’éclaircir.
Tandis que je procédais à ce travail identitaire de fond, Claude m’envoyait presque
quotidiennementdestrucsetastucespourm’aideràallerdanslesensducerclevertueux.
Ainsi,unmatin,réveilléedepuisàpeinedixminutes,jenem’étonnaipasd’entendreretentir
lasonneriefamilièredemontéléphone,m’annonçantlaréceptiond’untexto.
BonjourCamille.Aujourd’hui,vousteinterezvotrejournéed’humouretdelégèreté.C’estplusfacilepouraffronterlespetitstracas.:)Testezuneséancedegrimacesdevantlemiroir:c’estbonpourlemoraletcontrelesrides.Tirezlalanguedanstoussens,criezWazaaaa,mimezunegrandetristesseetunegrandejoiecommelemimeMarceau,récitezlesvoyellesenforçantletrait,amusez-vous!@+Claude.
Jesouris.Sonexercicemetentait,maisçameparuttoutdemêmeunpeubizarredefaire
leclowndanslasalledebain.Audébut,jen’yallaipasfranchement,puisaufuretàmesure,
je réussis à me lâcher, jusqu’à m’en donner à cœur joie. Mon fils m’observait dans -l’embrasuredelaporte,stupéfait.
—Maisqu’est-cequetufais,maman?
—Delagymnastiquedezygomatiques,lui répondis-jeavecaplomb.
Laréponsel’étonnasurl’instant,maislesenfantsontunefacultéétonnanteàs’approprier
trèsvitemêmelesidéesbizarres.
— Ça a l’air drôle, me répondit-il avec un air sérieux de critique chez 50 millions de
consommateurs.Jepeuxessayermoiaussi?
Jel’invitaiàmerejoindredevantlemiroiretnousformâmesunduodemimiquesfaciales
de haute voltige. Adrienmontra une créativité incroyable dans l’exercice et je lui décernai
sans hésitation la palme de clown d’honneur. Ravi de ce titre honorifique, il fut d’une
humeur enjouée pendant tout le déjeuner, que pour une fois nous prîmes ensemble en
papotant,cequinenousétaitpasarrivédepuislongtemps.
Oui,Claudeavait raison.Cela faisaitbeaucoupdebiendecommencersa journéeparun
peuderireetdelégèreté!
Unautrejour,ilm’invitaàtesterlejeudel’appareilphotoimaginaire:unexercicequ’ilavait
inventé pour m’aider à changer de regard sur ma réalité, en changeant mon filtre de
perception.
—Quand vous sortirez, au lieu de vous focaliser sur les choses désagréables, laides ou
contrariantes,voustenterezdefixervotreattentionsurdeschosesjoliesetagréables.Àvous
deprendredes clichés imaginaires réjouissantsdans la rue,dans les transports,partoutoù
vousvousbaladerez.
Ainsi,jedevaism’entraîneràêtreàl’affûtduBeau.L’expérienceserévélasurprenante!Au
lieud’avoir lesyeuxrivéssur lesmendiants, lespassantsgrincheux, lebébéhurleur, jeme
surpris à observer la couleur du ciel, l’oiseau joli en train de faire son nid, un couple
d’amoureuxs’embrasser,unemamanfaireuncâlinàsonenfant,unmonsieurvenirenaideà
une dame pour lui porter sa valise dans les escaliers, à écouter le bruissement doux du
feuillage…
Cette nouvelle façon de voir m’enchanta. J’enrichissais chaque jour davantage ma
collection d’images positives, un album photo imaginaire qui allait me permettre de me
forgeruneautreimagedumonde…
10
AU FIL DES SEMAINES, constatant que mes symptômes de routinite aiguë s’estompaient
lentement mais sûrement, je commençai à vraiment croire en la méthode. Ce qui me
séduisaitleplus,c’étaitsonapprochefond/forme,l’idéed’agirtantsurlefondduproblème–
quijesuis,cequejeveuxvraiment–quesurlaforme–l’imagedesoi,larelationaumonde
etauxautres.
N’avez-vouspasremarquéquel’imagequ’onsefaitdumondeestd’autantplusbelleque
l’imagedesoiestbonne?Surcedernierpoint,hélas, j’avaisencorefortàfaire…Àcausede
mesformesmalassumées,questionestimedesoi,jepratiquaislerase-motte.Chaquejour,la
vue de ma silhouette dans le miroir jetait une zone d’ombre sur mon humeur. En juge
implacable, je m’inspectais sous toutes les coutures, devant, derrière, sur les côtés, et
condamnaiscessurplusadipeuxàlaperpétuitédemonmépris…
Debout,çaallaitencore.Leboutonfermait.C’étaitassisequel’assautdelaculpabilitéme
reprenait.Quandlespetitsbourreletstentaientdes’échapperd’un40unpeutropoptimiste…
Alors, parfois, j’essayais de tricher avecma conscience, deme dire que lamatière avait
rétréci au lavage ou que le modèle taillait petit… La preuve était là cependant: l’étau se
resserraitautourdemataille…Etpuis,jel’avaislancé,cepetitavionenpapier,duhautd’un
ballonjuchéàcinquantemètresdusol…J’avaisjurénoirsurblancquejenelesvoulaisplus,
ceskilosdetrop…Çaengage,vouscomprenez!
Jeprisdoncrendez-vousavecClaudepourmettrel’affairesurletapis.
J’attendaisdepuisquinzeminutes,quandlaportes’ouvritsurunClaudeauregardpressé.
—Ah,Camille, suivez-moi…Vousallezbien?Entrez.Désolé, jen’auraipasbeaucoupde
tempsàvousconsacrer,aujourd’hui.Jevousprendsentredeuxrendez-vous.—C’est trèsgentilàvous,Claude.J’ai justebesoindevosconseilspourmonobjectifde
pertedepoids…
Il m’écoutait distraitement, tout en continuant de ranger fébrilement les dossiers qui
jonchaientsonbureau. Il se levapour lesporterdans l’armoireetune feuilleglissade l’un
d’eux.Jemelevaipourlaramasser.Tiens,bizarre…Unplandeconstructionavecuntasde
cotesetd’annotations…Je la lui tendis.Ilmelapritsèchementdesmainsenmarmonnant
unremerciement.Ilnesemblaitpasdanssonassiette…
—Çava,Claude?Voussemblezpréoccupéaujourd’hui?Jepeuxrepasserunautrejour,si
vouspréférez?
— Non, non, tout va bien, Camille. J’ai plusieurs dossiers en cours et je suis un peu
débordé,voilàtout,merassura-t-ilaimablement.
Iltassalesdossiersdansl’armoirecommeilput,et jem’étonnaideleurnombre.Était-il
possiblequ’ilaitautantdeclients?Laroutinologieavaitdonctantd’adeptes?
Il revint s’assoir et caressa machinalement sa petite barbe poivre et sel, comme une
femmesepasseraitlamaindanslescheveux:pourseredonnerunecontenance.
—Bien…Alors, ça y est, vous êtes à point pour attaquer un petit programmeminceur?
Parfait.Laclé,pouratteindrevotreobjectif,c’estdebienlecadreravantdecommencer.Vous
connaissezlaméthodeSMART?
—Non,je…
—VousdevezvérifierquevotreobjectifestSpourSpécifique(ilnedoitpasresterflou),M
pourMesurable(ici,votreindicateurdesuccèsseraitparexemplemoinsquatrekilos),Apour
Atteignable (défini de manière à pouvoir être réalisé, découpé en une série d’objectifs
accessibles, ilnedoitpasêtre«l’inaccessibleétoile»),RpourRéaliste (pourmaintenirune
motivation forte, votre objectif doit être cohérent par rapport à votre profil et vos
compétences)etTpourTemps(vousdevezvousfixerunedatebutoir).
Tandis qu’il me décrivait la méthode, je me voyais en Camille Claudel de l’objectif, un
burinimaginaireentrelesmains,pourlesculpter,letailler,luidonneruneformeprécise…Je
chassaicetteimagepourmeconcentrersurleréel.
—Toutçavoussembleclair,Camille?
—Oui,oui,toutàfait…
—Jevouslaissequelquesminutesalors,pourquevousécriviezvotreobjectifSMART.Je
reviens…
Tandisqu’ilquittaitlapiècesurunsourire,jemelevaipourattraperunefeuilledepapier
etuncrayondans lemêmebureau-secrétaireque lorsdemapremièreentrevue.Je trouvai
aisémentune feuille,mais lescrayonsavaientétérangés…J’ouvrisalorsmachinalement le
tiroir,ettombaisuruncadrephoto.JereconnusledécordeCentralPark,àNewYork.Deux
hommesposaientdevantl’appareildansuneattitudefraternelle.Lecontrasteentrelesdeux
était saisissant: l’un respirait l’assurance, la force et la réussite, l’autre, malgré sa haute
stature,semblaitpresquefragile.Uncolosseauxpiedsd’argile.Desombresvolaientdansses
yeuxvoilésdetristesse.IlmeparutavoirunairdefamilleavecClaude,maisavecvingtkilos
deplus!Unfrèrepeut-être?
J’entendisdespasdanslecouloiretrefermaiàlahâteletiroir.
—Çava,Camille?
—Euh,oui,ilmemanquejusteuncrayon…
—Ehbien,ilfallaitvousservir!Tenez,dit-il,enm’entendantun.
—Merci,balbutiai-je,gênéedemonindélicatecuriosité.
Tout en réfléchissant à mon objectif SMART, je me demandai qui était l’homme de la
photo.IlfaudraitquejeposelaquestionàClaudeàl’occasion…
Une demi-heure plus tard, je repartais avecmon objectif sous le bras et quatre kilos à
désagrégersouslaceinture.
Àcestade,lamotivationgonfléeàbloc,jepensaisqueceserait,sijepuisdire,dugâteau.
C’étaitsanscompteraveclaguerrefroidedescuisines…
11
Dans les jours qui suivirent, je m’armai de courage pour mettre en pratique mes bonnes
résolutions.
— Rien que lemot régime fait grossir,m’avaitmise en garde Claude. Vous devez donc
apprendreàvousfaireplaisirautrement.
Il en avait de bonnes!Comme si on avait déjà réussi à se faire plaisir avec des brocolis
vapeuroudupoissonbouilli!
—Pensezauxépices,Camille.
Etpourquoipas,aufond?Qu’avais-jeàperdre?Mevoilàdoncentraindefaireunerazzia
au supermarché du coin et demonter dans la cuisine une armée d’épices pour relever les
platset,espérais-je,lemoraldestroupes…Del’ail,delacoriandre,ducurcuma,dupaprika,
ducurry,dumassalé,dupoivregris,dunoir,dublanc,qu’importelacouleurpourvuqu’ily
aitl’ivressedugoût!
L’ennemi,c’est lefade.Danslaguerrefroidedemesplatschauds, jem’initiaiauxarmes
secrètes du manger mieux. La ruse de la papillote en papier sulfurisé, la contribution
stratégiquedelasauceauyaourt0%,laparticipationhéroïquedesviandesblanchesdansmes
platsderésistance…
Résister,toutétaitlà,justement.Carlesennemisguettaientdansl’ombredesplacards!Le
paquet d’Oreo espérait sournoisement son heure de gloire. Les biscuits m’attendaient au
tournant,piétinantd’impatiencesurleurspetitespatteschocolatées…
Leurscomplices?Lachairdemachair:monproprefils!Jenepouvaistoutdemêmepas
sacrifier sa gourmandise sur l’autel de mes bonnes résolutions! Pour lui, je devais donc
continuer àm’approvisionner en produits défendus dont il se délectait innocemment sous
mesyeuxausupplice,tandisquejecroquaisdansunepommeverteirréprochable…
Sicen’étaitpasdustoïcisme!
Maislapiretranchehorairen’étaitpascelledugoûter.Non.Lapirevenaitaveclatombée
de lanuit.Là, l’appelde l’apérose faisantpressant, impérieux, ledangerd’uneattaqueaux
bombescaloriquesatteignaitsonparoxysme.Desrafalesdetentationstentaientdemettreà
terre mes sages desseins. Et que dire du Syndrome Gratin dauphinois? Son effet pervers,
analogueàceluideStockholm,m’amenaitàsympathiseravec l’ennemi,ànégocieravecma
conscience:oh,justeunecuilleréepourfinirl’assiettedupetit…
Cela étant, ma vaillance finit par payer. En quelques jours, je constatai déjà de nettes
améliorations. Encouragée par ces premières victoires, je m’accrochai de plus belle,
entonnant silencieusement l’hymnedes sommitésde la ligne à la gloiredumoins gras,du
moinssucré,dumoinssalé…
Hélas, à peine les trompettes de la victoire commençaient-elles à sonner, qu’un ennemi
quej’avaissous-estimémontaitàl’assaut:l’ennui.
Au bureau, nous traversions une période de calme plat. Lameute se partageait les os à
ronger, et mon chef donnait les missions en priorité à mes collègues-à-temps-plein. Les
heures duraient trois cent soixanteminutes. Peut-êtremême cinq cents.Des foismille. Je
guettaislapausequatreheurescommeMagellanlaTerrepromise.Bref,jecroupissais.
Alors,biensûr,l’idéedelaredditionmetaraudait.Justeunefois,oublierlerégime…juste
aujourd’hui…Quilesaurait?
Jem’approchaidudistributeur,petiteboutiquedeshorreurscaloriques.Rienqu’unebarre
deriendutout…Oùétaitlemal,aprèstout?J’allaisglissermapiècedanslafentequandmon
téléphonevibra.UntextodeClaude.Était-cepossible?Ilavaitunsixièmesensouquoi?Jele
maudisintérieurement.
Commentçava?Voustenezlecoup?
Jeluirépondisenmentantavecaplomb.
Biensûr.Super.Bonaprès-midi.Cam’.
Iln’ensauraitrien,iln’ensauraitrien,merépétais-je,revenantàlamachinepouryglisser
ma pièce. Mais c’était trop tard. Je sentais sa présence insidieuse partout autour de moi,
commesisesyeuxétaientbraquéssurmapersonne.Bigbrother iswatchingyou!, comme
dansleromandeGeorgeOrwell.Jevivaisle1984durégime.
C’étaitmortpourmonécart.Jejetaiundernierregardtristeàlamachine,etregagnaima
place à pas lents, puis ouvris mon tiroir où m’attendait un paquet d’amandes. Je m’en
autorisaicinq,plusunepommeroyaleGala.Unfestindefourmi.
Et là, sursaut soudain de rébellion. Ses conseils «santé, bien-être» commençaient àme
sortir par les yeux! Rumination, avec la mauvaise foi la plus flagrante. «Prenez les
gnagnagnaescaliers plutôt que l’ascenseur. Allez faire une gnagnagnamarche à l’heure du
dîner. Vous pouvez aussi gnagnagnamuscler vos fessiers en restant assise: il suffit de les
serrer puis de les relâcher discrètement. Vous vous ennuyez en attendant le métro?
Gnagnagnafaites des petits mouvements sur la pointe des pieds; décollez vos talons puis
relâchez!Quantauxabdos,pourquoinepaslesgnagnagnacontracterchaquefoisquevous
passezuneporte,enrentrantleventre?Nivuniconnu!»
Oui, je sais. J’étais sansdoute enpleinephasede résistance.Maisquin’en aurait pas à
l’idée de renoncer à toutes les tentations gourmandes qu’on nous collait sous les yeux à
longueurdetemps?Quoiqu’ilensoit,j’avaisintérêtàmeressaisir,sijenevoulaispasavoir
une désagréable impression d’échec aumoment de remplirmonCahier des engagements:
encoreuneidéedeClaudepourm’impliquerdavantagedansmesrésolutionsetéviterqueje
flanche!Surchaque ligned’engagement, jedevaiscocher lacase«fait»ou«pas fait».Et je
n’avaisaucuneenviedemeretrouverdansquelquesjoursdevantluiavecunesériede«pas
fait».
J’enétaislàdemesréflexionslorsquemonchercollègueFranck(enréalité,mabêtenoire
aubureau)m’interpella:
—ÇavaCamille?Tufaisunedrôledetête.
—Euh,oui,oui,toutvabien…J’essaiedemeconcentrer,c’esttout…
—Ah…Onauraitditquetuallaispondreunœuf.
Gnarfgnarfgnarf.Trèsdrôle.
Jen’allaisquandmêmepasluidirequej’étaisentraindememusclerlepostérieur!Déjà
qu’iln’enrataitpasunepourmefaireenrager.
—Enmatièred’œuf,regardeplutôtceluiquetuassurlecrâne.
Et toc! Un point partout. À la rougeur qui apparut sur ses joues, je vis que j’avais fait
mouche. Je n’étais pas très fière de cette pique,mais il n’avait qu’à pas commencer! Il ne
perdaitjamaisuneoccasiondemepollueretj’appréhendaistoujoursunpeusescoupsbas.Il
faudraitquej’enparleàClaude.
Commesinousétionsenlienpartélépathie,jereçuspileàcemoment-làunedemandede
clavardageenlignesurmonordinateur.
–Alors,Camille,commentsepassevotreprogramme«jamaissansmoncorps»?–Pasmal…C’estparfoisdurderésisterauxtentations…–Maisvousl’avezfait?–Oui.–Bien!Ilnefaudrapasoublierdelenoterdansvotre
Carnetdupositif.Jevousenaidéjàparlé?–Non,pasencore…–Ah!Trèsimportant…Achetez-vousunpetitrépertoiretéléphoniqueetnotez-y,parordrealphabétique,vospetitsetgrandssuccès,vospetitesetgrandesjoies.Ainsi,dansquelquetemps,vousaurezàvotredispositionunecollectiond’ancragespositifs!Vousverrez,c’estexcellentpourl’estimedesoietlasatisfactionpersonnelle.
Jerépondisaussitôt:
Intéressant!Ok,Claude,jevaisypenser.
Jevoyaislecurseurenformedecrayons’agiter,signequ’ilétaitentraindem’écrireune
longueréponse.Unpetittintementm’indiquasonarrivée.
–Jecomptesurvouspournepas«fairequeledire».Chaquerésolutionn’estpasanodine.Beaucoupdegensconnaissentlesbonnespratiquespourmenerunevieplusheureuse,maisnepassentjamaisréellementàl’action…Cen’estpastoujoursfaciledetenirsesengagements.Paresse,fatigue,découragement,lesennemisguettent!Maistenezbon:lejeuenvautlachandelle.
Jemeletenaispourdit…
12
Plus tard, ce jour-là, en sortant du travail, je passai devant une librairie, et l’histoire du
répertoiremerevintenmémoire.L’idéedeceCarnetdupositifm’avaitplu.Pourquoinepas
essayer?Au pire, celam’occuperait devant la télé… J’entrai, en choisis un de petit format,
facileàglisserdansunepocheouunsac,afinde l’avoir toujourssous lamain.Majournée
avaitétééreintantederien,j’étaisfatiguée,j’avaishâtederentreràlamaisonpourenfinme
détendre.
C’étaitoublierunpeuvitelaréalitédeterrain.
Àpeineeussé-jefranchilaportedechezmoiquejesentispeseruneambiancedeplomb.
Adrienavaitsatêtedesmauvaisjoursetmeditàpeinebonsoir.Lajeunefillequejeprenais
pour la sortie de l’école et l’aide aux devoirs ne semblait guère de meilleure humeur. En
avisant les cahiers étalés en mode champ de bataille sur la table du salon, je devinai les
raisons de ce froid. Charlotte ne se fit pas prier, d’ailleurs, pour se plaindre du manqued’attentionetdemotivationdemonfils.Ilgigotaitsanscesse,selevaitpourunoui,pourun
non, voulaitmanger, boire, semoucher, aller aux toilettes, évoquait un ballet incessant de
prétextes pour retarder l’instant de s’y mettre vraiment. Son discours était ponctué de
battements de cils irrités et de moues désapprobatrices. Je la remerciai pour ce debrief
éclairé,toutensoupirantdelassitudeàlaperspectivedurecadragequis’imposait.
Un quart d’heure plus tard, ma jauge de patience avait déjà perdu dix points. Adrien,
enfermédanssalogiquerebelle,rejetaitlafautesurCharlotte:elles’yprenaitmaletenplus,
ilnel’aimaitpastrop…Voyantquesesargumentsneportaientpas,ilmodifiasastratégieet
tentaceluidudécouragement:toutça,c’étaitàcausedesonprofesseurquidonnaitbeaucoup
tropdedevoirs!
J’aurais dû voir que sa coupe de petit bonhomme était pleine,mais à cemoment-là, la
mienne l’étaitaussi, et jenesusque lepunir, en leprivantdesapause tablette. Il s’enfuit
danssachambreenfaisantclaquerdefrustrationlaportederrièrelui.Jedusalorsdéployer
destrésorsd’imaginationetdediplomatiepourcalmerlejeuetfaireensortequ’ilseremette
àsesdevoirs.
QuandSébastien rentra, j’enétais àpréparer le souperd’unemain, à tenirde l’autreun
cahierouvert,etfaisaisréciteràAdrienlaleçonrécalcitrante.Sébastienm’embrassadubout
deslèvresetmedemandasimajournées’étaitbienpassée,sansmeregarder.Jecroisquesi
jeluiavaisrépondu:«non,trèsmal,merci»,iln’auraitpasfaitattention…
Je sentis alors venir cette pointe d’agacement familière, mais essayai de passer outre.
Adrienavaitdumalàapprendreparcœur–ilcomprenaitvite,maisfonctionnaitàl’intuitif
plutôtqu’auméthodique–,etàchaquephrasequ’ilécorchait,moncalmes’effritaitunpeu
plus.Sonapproximationblessaitleperfectionnismequej’avaischevilléaucorps.
Sébastienressortitdelachambre,lecolouvertetlachemiseàmoitiésortiedupantalon,
puissedirigeaverslasalledebain.
—Maisjerêve!C’estquoi,cebazar?cria-t-il,àpeineentrédanslapièce.Quiatoutlaissé
enplan,commeça?
—C’estpasmoi!rétorquaaussitôtAdrien.
Phrase-réflexed’autodéfensetrèscaractéristiquechezlesenfants.
Jemesentisobligéed’intervenir.
— Laisse… Ça doit être moi, Séb’. Désolée, mais je n’ai vraiment pas eu le temps, ce
matin…
Grommellementd’oursdanslelointaindel’appartement.
Charmant!
Ilrevintdanslesalon,sonordinateurportableàlamain,ets’énervadenouveau.
—Et cesmiettes sur le canapé?Adrien!Combiende fois je t’aiditdenepasprendre ta
collationlà!C’estpasvrai,ça!
Je lâchai casserole et cahier et le rejoignis, lasse de ces arrivées tendues, distantes, qui
commençaientàdevenirunehabitudechezlui,maisdécidéemalgrétoutàcalmerlejeu.
—Laisse,jevaislefaire,dis-je.
—C’estbon.JEvaislefaire,répondit-ilsèchement.
Çamontait,çamontait…
Il épousseta les miettes en poussant de grands soupirs exaspérés, puis s’installa sur le
canapé,devantsonécranautarcique.
Il avait enlevé ses chaussettes et, je ne sais pourquoi, la vue de ses orteils nus faisant
frotti-frottasousmonnez,surlatablebassedusalon,m’irritaencoreplus.Àmoinsquecene
soitsatotaleindifférenceaucombatdomestiquequej’allais,moi,devoirmener,avantd’avoir
lachancedemeposerunpeu.Laplupartdutemps,jelaissaiscouler,maiscesoir-là,cefut
plusfortquemoi.Ilfallaitquejedisequelquechose.
—Çava,jenetedérangepastrop?
—Qu’est-cequisepasseencore?demanda-t-il,irrité.
—Jenesaispas,moi…Peut-êtrequej’auraisbesoind’unpetitcoupdemain,parexemple?
—Unreproche,quoi…
—Alorsça,çam’énervevraiment,tusais!Jenet’aipasfaitdereproche, jet’aidemandé
unpeud’attention!
—Tumecriesaprès,maintenant?Merci.Çafaitplaisirquandonrentred’unejournéede
boulot!Tum’enasdonné,toi,del’attention,depuisquejesuisrentré?
—Alorsça,c’estlameilleure!Tumereprochesdem’occuperdetonfils?
—Ah,tuvoisqu’onyvient,auxreproches!
Adrien, sentant l’ambiance se gâter, s’éclipsa dans sa chambre, ravi d’échapper à la
récitation.
—Ehbienoui,allons-y!J’enaimarredetoutmetapertouteseule!
—Ahoui,jevois.Lapetitecrisehabituelle…
—Quoi, lapetite crisehabituelle?Tu rentres, tranquille, tuvaquesà tesoccupations, tu
faismumuseavectespetitsamisvirtuels…
—Tucroispeut-êtrequejemesuisamusé,aujourd’hui?J’aibossécommeundingue,j’ai
enchaînétroisréunions,j’ai…
—Parceque,biensûr,moi,jen’aipastravaillé?
—Oui,ok,tutravailles…,concéda-t-ild’unaircondescendant.
—C’estquoi,ceton?Travailleràtempspartiel,cen’estpaspareil,c’estça?
—Cen’estpasmoiquil’aidit!
—Mais c’est tout comme!hurlai-je, à bout. J’en aimarre, débrouillez-vous sansmoi, je
rendsmontablier!
— C’est ça, pars! On n’a qu’à divorcer aussi, pendant qu’on y est! Tu as l’air de ne
demanderqueça!
Sesparolesme frappèrentcommeunboomerangenpleinvol.En larmes, j’attrapaimon
manteau,etquittail’appartementenclaquantlaporte.
13
Unefoisdanslarue,jelevailesyeuxversnosfenêtresetvismonfils,levisagetriste,former
uncœuraveclesdoigtsàmonintention,commes’ilsesentaitresponsabledenotredispute
d’adultes. Son petit geste me fit plus que plaisir et je lui adressai à mon tour un sourire
chargédetendresse,avantdem’éloigner,letempsques’apaisematourmenteintérieure.
J’espéraisnetombersurpersonne.Jen’avaispasenviequ’onmevoiedanscetétatdehargne
et d’énervement. C’est fou, pensai-je, qu’on puisse encore s’inquiéter de son image sociale
dans unmoment pareil! J’évitais de croiser le regard des passants; jeme sentais en vrac,
bouleversée, et jene voulais pasqu’ils lisent le désarroi surmonvisage.Pasde témoinde
monmarasme…
Jemarchaijusqu’àunpetitsquare,etappelaiClaude.
—Claude?C’estCamille…Jevousdérange?demandai-je,enreniflant.
Inutiledeluidirequeçan’allaitpas.Illedevinad’emblée.
— C’est Sébastien, nous avons eu une scène… J’étais à bout… Comme si on était en
completdécalage…
Tandis que je lui racontais, je sentais tout le bien que me procurait la qualité de son
écoute.Quelbonheurd’avoirunetelleoreilleàportéedesonchagrin!
—…Encemoment,ilesttotalementincapabledem’apportercedontj’aibesoin.
—Etdequoiavez-vousbesoin?demanda-t-ildutacautac.
—Jenesaispas…Besoinqu’ilfasseattentionàmoi,qu’ilsoitgentil,tendre…Aulieude
ça,j’ail’impressiondevoirunrobotrentreràlamaison!Àpartrâleretsejetersursonordi
enmodeseulaumonde,ilnefaitrien…J’enarrivemêmeàêtrejalousedesesamisvirtuels!
Pendantcetemps,lerestepeuts’écrouler.Etmoi,jesuislà,àm’activerdanstouslessens,à
gérerAdrien,lesdevoirs,lesouper…Cen’estpasjuste!
—J’entends,Camille…
—Enplus,ilpassesontempsàmedirequejenel’écoutepas.Maisc’estfaux!C’estluiqui
nem’écoutepas!Jenepeuxpasenplacerune,ilramènetoutàlui…
Jemarchaisdelongenlargedanslesquaredésert,lesnerfstoujoursenpelote.
—Ah!Lejeudu«c’estluiqui»…Trèsmauvais!C’estpourçaquevousnepouvezpasvous
entendre: c’est un dialogue de sourds! Écouter de mauvaise grâce, ce n’est pas écouter…
Écouter vraiment, c’est se mettre à la place de ce que l’autre vit, être en empathie. Vous
n’imaginezpasàquelpointc’estrare,quelqu’unquisaitvraimentécouter!Jemedissouvent
que celui qui sait écouter est le roi dumonde. Dans les disputes,mieux vaut ne pas tout
prendrepourargentcomptant,Camille,maisapprendreàlireentreleslignespourdécelerles
émotions authentiques… Derrière un reproche, il se cache peut-être une peur et derrière
l’agressivité,delatristesseouuneblessureencorevive…
Tout en l’écoutant, je resserrai les pans demonmanteau, gagnée par une sensation de
froidsansdouteexacerbéeparl’émotion…
—C’estdifficiled’êtredans l’écoutebienveillantequevousdécrivez!Vousverriezsatête
quandilmeregarde,danscesmoments-là!J’ail’impressionaffreusequ’ilnem’aimepas!
—Mmm…Intéressant…Etsivousremplaciez«il»par«je»?
—…
—Oui,vousavezbienentendu.
—Je…jenem’aimepas,c’estça?
— Oui, c’est ça, Camille. Vous avez tendance à interpréter les comportements de votre
conjointàtraverslefiltredéformantdevospenséesnégatives.Encemoment,vousnevous
aimezpastellement,parcequevousvousêtesmisentêtequevousétiezmoinsjolieavecvos
petitskilosdetropetvospremièresridules…Inconsciemment,vousprojetezsurvotremari
votre peur de ne plus être aimable. Et tout, dans votre attitude, va faire que ça finisse par
arriver! Vous aurez validé votre scénario noir: vous n’êtes plus désirable, il ne vous aime
plus…
Sesparolesfrayaientleurchemindansmonesprit,maisl’apaisementqu’ellesdistillaient
enmoicommeunegouléed’eaufraîchefutperturbépardeuxhommesquivenaientd’entrer
dans leparc.Ilsavaient latêtecachéesousdescapucheset jesuivis leurdéplacementd’un
regardméfiant.Dansmonagitation,masoifd’entendrelesconseilsdeClaude, ilnem’était
pasvenuàl’idéequ’ilétaitpeut-êtreimprudentdem’attarderàlanuittombéedanscesquare
désert.Jegagnailasortied’unpasrapide,sanstoutefoisavoirl’airdefuirpournepasattirer
l’attentionsurmoi,maisunemains’abattitsoudainsurmonépaule.Jecriai.Pivotaiaussitôt
pourmedégager.L’undesdeuxhommessepenchaversmoi.Unjeune,quisentaitl’herbeà
pleinnez.
—Vousavezperduquelquechose,medit-il,enmetendantlefoulardhabituellementnoué
àl’ansedemonsac.
—Ah…Merci,balbutiai-je,enleluiarrachantpresquedesmains.
Puisjem’éloignaisansdemandermonreste.
Àl’autreboutdufil,Claudes’inquiéta.
—Allô,Camille?Allô?Vousêtestoujourslà?
Jeregagnaienhâtelesruesdemonquartieréclairéesparlesréverbères.J’attendisqueles
battementsdemoncœursecalmentpourpoursuivrelaconversation.
—DésoléeClaude,unpetitcontretemps.Vousmedisiez?
Pour éclairer le mécanisme de notre dispute, Claude évoqua le principe du triangle
dramatique. Il m’expliqua comment, dans ce scénario relationnel négatif, chacun pouvait
jouertouràtourunrôledevictime,depersécuteuroudesauveur.
—Vouscomprenezdoncquedansuntelschéma,ilnepeutpasyavoird’issuefavorable,à
moinsdesortirdujeu!Dansvotrehistoire,voilàlefilm:luipersécuteur,quandilrâleàtout
bout de champ; vous sauveur, quand vous proposez d’enlever les miettes pour lui, puis
victime,quandvousvousplaignezdemanquerd’aide,persécutrice,quandledialoguetourne
aureproche;luiàsontourvictime,quandilseplaintdesonéprouvantejournée,etc.Chacun
tournedanslesrôlessanstrouverd’autreissuequelecrescendoinévitabledeladispute!Or,
ilexisted’excellentsmoyenspoursortirdutriangle…
—Dites-moivite!
—Déjà,prendreconscienceduscénariopourstopperlejeuetattendreunmomentcalme
et propice pour renouer le dialogue. Ensuite, bien cerner vos besoins pour formuler des
demandes directes à votre conjoint, afin qu’il sache en clair et sans décodeur ce que vous
souhaitez. Si ce sont des attentes légitimes et raisonnables, il n’y a pas de raison qu’il n’y
accèdepas.
—Intéressant…
Jeserraislecombinécontremonoreille,tentantd’ignorerleboutdemesdoigtsgelés.Je
changeaifinalementdemainpourenfournerlapremièrebienauchaudaufonddemapoche.
— Il va falloir aussi apprendre à poser vos limites et à les exposer à votre entourage,
poursuivitClaude.Votreprofildepersonnalitévousconduit trèssouventàchercherà faire
plaisir:uneformedesuradaptationchroniqueauxdésirsdel’autreaudétrimentdesvôtres.
Votre nature vous pousse à être beaucoup en empathie, et c’est une bonne chose de se
soucier du bien-être d’autrui. Encore faut-il ne pas confondre empathie sèche et empathie
mouillée! Avec l’empathiemouillée, vous prenez à votre charge le pathos de l’autre, vous
absorbezses émotionsnégativesetfinissezparallermal,vousaussi!Avecl’empathiesèche,vousarrivezàentendreetcompatiraveclesproblèmesdevotreentourage,sanspourautant
vouslaissercontaminerparsonhumeurnéfaste.Cettesortedebouclierdeprotectionesttrès
utilepournepasse laisseraspirer.Sanscompterqu’auboutd’unmoment,à forcedevous
sentir«bonnepoire»,vouspétezlesplombs.C’estcequis’estpassé,n’est-cepas?
J’acquiesçai.
—Ne vous inquiétez pas, il faut juste réajuster le tir. Arrêtez d’être trop gentille; soyez
simplementplusauthentiquedansvosémotions.Etpuis,trèsimportant,apprenezàdécoller
vostimbresaufuretàmesure,aulieud’explosercommeunecocotte-minute,ainsiquevous
l’avezfaittoutàl’heure.
—Destimbres?C’est-à-dire?Ilvafalloirquejeluiécrive?
—Non,non!Riendetoutça.Décollersestimbres,c’estuneexpressionimagéequisignifie
qu’il faut dire ce qu’on a sur le cœur au fur et à mesure. Il faut dire à votre mari vos
contrariétésaufuretàmesure.
—Jevois…
— Si vous lui faites passer vos messages avec douceur et bienveillance, il n’y a pas de
raisonpourqu’il ne les écoutepas!Etpuis, à l’avenir, quandvous sentezque lamoutarde
commenceàvousmonteraunez,mettez-vousd’accordavecluisuruncoderouge.
—Uncoderouge?
—Oui.Conveneztouslesdeuxd’unpetitsignequevousvousferezpourprévenirl’autre
qu’ilyadangerdedispute!Nouspratiquonsçaavecmafemmeetçamarchetrèsbien!C’est
unesortedewarning,commeenvoiture.Legesteagitcommeunelumièrequiclignotepour
avertirqu’onavanceenterrainminé!Enétantainsiprévenusl’unetl’autre,vouséviterezla
montéeencascadedel’agressivité.
Unbip.Lesignald’undoubleappel.C’était Sébastien,àcoupsûr.Est-cequejedécrochaisoupas?Pastoutdesuite.Jeluifisenvoyerunmessageautomatique:
Jesuisenligne.
—Camille,vousêtestoujourslà?J’aientenduunbip.
—Oui,oui,undoubleappel,cen’estpasgrave,jerappelleraiaprès…
—C’étaitvotremari?
—Oui.Mais je vous enprie, poursuivez.C’est vraiment important pourmoi d’avoir vos
conseils!
—OkCamille.Mais pas longtemps! Il faut que vous rentriez chez vous,maintenant, et
moi,j’aiunbonjournalquim’attendaucoindufeu!
Je nem’étais pas rendue compte que je l’avais retenu aussi longtemps et je me sentis
toutepenaude.
— Dernière chose très importante, Camille: apprenez à formuler des critiques sans
violence. Pour ça, ne commencez pas vos phrases par des «tu» assassins. J’appelle ça la
mitraillette à reproches: imparable pour faire sortir l’autre de ses gonds! Pour dire ce que
vousavezàdire,faitesplutôtuneF.E.T.E.
—Jenevoispascequ’ilpeutyavoirdefestifàsedisputer!
—Cesontdesinitiales:F,vousrappelezlesfaitsquivousontcontrariée.E,vousexprimez
votreémotion,cequevousenavezressenti.TetE,vousproposezunterraind’entente,une
solutiongagnant-gagnantpourlesdeuxparties.Enreprenantlescénariodevotre dispute,çapourraitdonnerceci:«Quandtuassous-entenduquejetravaillaismoinsquetoi(lefait),j’enai éprouvé de la peine, je ne me suis pas sentie valorisée (l’émotion ressentie), or j’ai
vraimentbesoindetesencouragementsetquetusoisfierdemoi,toutcommetoisansdoute.
Jepensequenousdevrionsnousdonnerplussouventdessignesdereconnaissancepourque
chacun de nous se sente valorisé pour tout ce qu’il fait pour la famille (la piste
d’amélioration,constructivepourlesdeuxparties).Ainsi,onéviteraitlesmalentendus.Qu’en
penses-tu?»
—Ah!Pasmal.Maisçanefaitvraimentpasnaturelcommeprocédé.
—Qu’est-cequiestleplusimportant:êtrenaturelouéviterl’escaladedel’agressivité?
Jesouris.
— Ok, Claude, j’ai compris le principe. Mais comment je vais rattraper le coup,
maintenant?Quandjel’aiquitté,ilétaitfurieux.Ilamêmeparlédedivorce!
—Bah,iladitçasouslecoupdelacolère…Jesuissûrquesivousluitendezlamaindela
réconciliation,ilserabiencontentdelasaisir,vousverrez.Faireunpasversl’autre,çaparaît
si simple, et pourtant si peu de gens le font. C’est pour ça qu’il y a tant de divorces.Quel
dommage!Qued’amoursgâchéesalorsqu’avecunpeud’effort, ellespourraient repartirde
plusbelle!Ilfautdireque,dansnotresociétéd’hyperconsommation,onpréfèrejeterplutôt
queréparer.«Lesgrandsbonheursviennentduciel,lespetitsbonheursviennentdel’effort»,
ditunproverbechinois.
—Ah,Claude! Je suis si triste, parfois…J’ai l’impressionque le voile gris a remplacé le
voileblanc…
—Encoreunepenséefabriquéedetoutespiècesparvotrecerveau.C’estunmauvaisfilm
quevousvousjouez.Vouspouvezàtoutmomentdéciderd’enchanger,rappelez-vous!
—Comment?
—Déjàencontinuantdefairecequenousavonscommencéàfaire:enallantbienvous-
même, en prenant soin de vous, en vous recentrant sur vos qualités et atouts, en
redécouvrantvosbesoinsetvosvaleursprofondes.Bref,enrepartantdevouspourrayonner.
Vousnedevezpasfairepesersurvotreconjointlaresponsabilitédevotrebonheur.Ilnedoit
êtredansvotreviequ’unecerisesurlegâteau.
J’imaginaislatêtedeSébastienplantéeaumilieud’ungrosgâteaudégoulinantdecrème.
Unedrôledevision.
—Voustrouvezquej’aitropd’attentesvis-à-visdelui?
—Ce n’est pas àmoi de répondre à cette question. Je dis simplement qu’il faut savoir
aimer à labonnedistance.C’est commeavecun élastique:ni trop serré, c’est étouffant,ni
tropdistendu,parcequ’onfinitparperdrelelien.Ilfauttrouverlabonnetension.Ilestaussi
nécessairededémêlerlesfilsquinousrelientaupassé.
—C’est-à-dire?
—C’est-à-direcomprendrecommentlesrelationsquevousavezvécuesenfantinfluencent
votreprésent.
—Jenevoispascommentunechosedupassépeutinfluencermavied’aujourd’hui!
—Et pourtant, vousn’imaginezpas à quel point!Nem’avez-vouspas raconté que votre
pèreavaitquittévotremèreavantvosdeuxans?
—Oui,c’estexact.
— Il est possible que certaines situations, dans votre vie d’aujourd’hui, réactivent ces
blessures du passé et libèrent malgré vous une charge émotionnelle disproportionnée par
rapport à l’événement déclencheur. On appelle ça des élastiques. Tout à l’heure,
inconsciemment, vous avez poussé votre conjoint à bout jusqu’à ce qu’il dise, excédé, que
vousalliez finirpardivorcer…Vousavez, sans le savoir, validéunvieux schémanégatif, la
terreurdevotreenfance:êtrequittéeparl’hommequevousaimez…
—C’estterrible,vucommeça!Jen’enavaisvraimentpasconscience…
Complètementgeléeàprésent,j’entraidansunbar-tabacencoreouvertetcommandaiun
chocolatchaudaugarçonquis’étaitapprochédematable.Lecellulairechauffaitentremes
mains.Celafaisaitbienunedemi-heurequej’avaisClaudeauboutdufiletilcontinuaitson
coachingavec lamême ferveurque lapremière fois. Ilavait forcémentéprouvé toutça, lui
aussi;ilnepouvaitenêtreautrement.Ilétaittellementhabitéparcequ’ilracontait!Etmoi,
jen’enperdaispasunemiette.
—Laprisedeconscienceestunexcellentpremierpaspourcouperlesélastiquesdupassé.
Après,c’estencontinuantvotretravailpersonneldeconfianceenvousetdetransformation
positivequevouspourrezvousdébarrasserdéfinitivementdecesvieuxdémons.Vousn’êtes
plus lapetite fille sans ressourcesquevousétiezquandvotrepèreestparti.Vousêtesune
adulte responsable et autonome, capable de faire face aux situations. Cela étant, il est
importantderassurercettepartiedevousquiaeupeuretquiaeumalautrefois…Ainsi,vous
serezréconciliéeaveccemorceaudevous-même!
— Et comment fait-on pour rassurer sa petite fille intérieure? demandai-je, tout en
soufflantsurmonchocolatfumant.
— On se met dans un coin, au calme, et on lui parle gentiment, comme à ses propres
enfants. Vous pouvez lui dire que vous l’aimez, que vous serez toujours là, qu’elle peut
comptersurvous…Maispouruneguérisontotaledecetteblessured’enfance,ilvousfaudra
passerparl’étapedupardon.
—Quiest?
—Depardonneràvotrepère.
—…
Claudedutsentirqueçacoinçait,carilenchaîna,s’efforçantdetemporiser:
—Vousleferezlemomentvenu,quandvousserezprête…Pourl’instant,agissezdéjàsur
votreviedecouple,devenezmoteurdelarelation,donnezplus!
—Onenrevientunpeuàlacasedépart,vousnetrouvezpas?Pourquoiceseraittoujours
àmoidefairedesefforts?Pourquoipaslui?
—Parcequenourrirpositivement larelationvousreviendraaucentuple!«Fairedubien
auxautres,c’estdel’égoïsmeéclairé»,disaitAristote.Etpuis,pensezquepourl’instant,c’est
vous qui avez un temps d’avance en développement personnel. C’est donc à vous de lui
montrer le chemin. Peut-être aussi vous est-il plus naturel de prendre des initiatives?
D’instinct,voussaurezcommentfaire jaillir l’étincellepourrallumerlefeu…Convenezque
mieux vaut renoncer à être dans le classique duel du «quifaitquoi», cette compétition
négativepourdéterminerlequel,danslecouple,estleplusméritoire…Ilfautenfiniravecça,
vousnepensezpas,Camille?
Si,biensûr…Ilavaitraison.Centfoisraison.
—Partezduprincipequel’autreessaiededonnerlemieuxdecequ’ilpeutdanslarelation
àl’instantT,etretenezcequ’ilapportedepositifaulieudevousconcentrersurcequivous
déçoit,parcequeçanecorrespondpastoutàfaitàvosattentes.Onrécoltecequel’onsème…
Levieiladageadubon.Semezdureproche,etvousrécolterezrancœuretdésenchantement.
Semezdel’amouretdelareconnaissance,etvousrécoltereztendresseetgratitude.
—Mmm…C’est juste.Jem’enrendscompte.Maiscequimerendfolleaussi,c’estcette
tiédeur, cette léthargie amoureuse! Moi qui rêve encore de grands sentiments et de
démonstrationsromanesques!
— Là encore, il faut viser la voie du milieu: pas de fantasmes irréalisables, mais pas
d’ambitionsaurabaisnonplus.Vousavezraisondevouloirraviverlaflamme…tantquevous
ne projetez pas des attentes disproportionnées! Vous devez respecter et accepter la
personnalitéprofondedevotreconjointetnepasattendredeluideschosesqu’ilnepourra
pasvousdonner.L’amour est commeuneplantequidemandebeaucoupd’attentionetqui
granditbienquandonl’arrose.Valorisezvotremaridanstoutcequ’ilfaitdebien,montrez-
luivotregratitude,voirevotreadmiration.Vousleverrezalorschangerets’épanouirdejour
en jour. Il sera probablement beaucoup plus réceptif à vos propositions amoureuses.
Sourires,soutien,tendresse,voilàleterreaudevotrecarteduTendre!
Bipànouveau.
—C’estencoreSébastien.
—Ehbien,décrochezCamille,qu’est-cequevousattendez?
—Claude?
—Oui?
—Merci.
Sébastienetmoiéchangeâmesquelquesmots,suffisantspourdésamorcerlatension.Etpour
ajouter une touche d’humour à notre réconciliation, je rentrai chez moi en agitant un
mouchoir de poche blanc dans l’embrasure de la porte. La paix fut scellée par un tendre
baiserderetrouvailles.
Adrienenprofitapoursurgirdesacachetteetnoussauteraucou.
—Vousn’allezplusdivorcer,alors?demanda-t-il,vaguementinquiet.
Sébastienetmoinoussondâmesl’unl’autreduregard,àlarecherched’uneréassurance.
Jeperçusalorsdanssesyeux…oui,c’étaitbiença…unelueurd’attachementquimerassura.
—Maisnon!dis-je,enluiébouriffanttendrementlatignasse.
—Eh,maman!protesta-t-il,s’empressantderemettresesmèchesenplace.
Depuis quelque temps, son look le préoccupait beaucoup, et gare à qui touchait à sa
coiffure mouillée-gominée avec le plus grand soin! Profitant de cette ambiance de
réconciliation,lepetitfutéplaidahabilementsacause:
—Commej’aifinitousmesdevoirs, jepeuxfaireunpeudetablette,s’il teplaît,maman
chérie?
Jenesavaispasquelseraitsonmétier,maisjenem’inquiétaispastroppourlui!Ilsavait
si bien vousmener là où il le voulait! Impossible de lui en vouloir très longtemps, ni de
résisteràsesappelsdecharme…
Adrien rivéà sa tabletteavecun sérieuxdegamer aguerri, jem’accordaiunmomentde
tête à tête avec Sébastien, les gestes tendres encore un peu sur la retenue, l’esprit encore
griffépar ladispute.Et tandisqu’ilnousservaitun fonddevinblanc, jeprisconsciencede
l’effort à accomplir pour redonner à nos amours tout le faste d’antan. Pour qu’elles
retrouventlasplendeurd’unVersailles,j’avaisencoreducheminàaccomplir…
Heureusement,questionchemin,Claudesemblaitenconnaîtreunrayon.
14
Pourmaleçond’êtresuivante,Claudem’avaitdonnérendez-vousaujardind’Acclimatation.
Celafaisaituneéternitéquejen’yétaispasvenue.Monâmed’enfantfrétillanteserégalaitde
voir tourner lesmanèges et croquer les pommes d’amour. Jeme serais damnée pour des
churros au chocolatmais, dieumerci, Claude arriva à point nommé pourm’éloigner de la
tentation. Il m’invita d’abord à prendre un thé chez Angélina, où je nem’accordai qu’une
seulegourmandise,unerondelledecitron–vuledegrédestoïcismenécessairepourrésister
auxétalsdepâtisseriesfines,celaméritaitd’êtrerelevé.Puisilm’entraînadanslagaleriedes
glacesdéformantes.
—Qu’est-cequevousvoyezlà,Camille?
—Quellehorreur!Moi,enplusgrosseencoreetdéformée,m’esclaffai-je.
—Est-cequecetteimageestvraie?
—Non,heureusement!Jenesuispassigrossequeça.
—Vousn’êtespas sigrossequeçaenvrainonplus,Camille.Laplupartdu temps,vous
vous voyez comme à travers ce miroir déformant à cause de vos pensées négatives qui
transforment la réalité. Votre mental vous joue des mauvais tours. Il vous raconte des
histoiresetvousfinissezparlecroire!C’estunmagiciennoir,maisvousêtesunemagicienne
encoreplus forte: vousavez lepouvoirde stopper votremental, etmêmede lemanipuler!
Regardez-moi,Camille…Quiestmaîtredevospensées?
—Jenesaispas…
—Maissi,voussavez…
—Moi?
—Biensûr.Personned’autrequevous!Leplussouvent,onesttrèsmauvaisjugepoursoi-
même. Aujourd’hui, vous êtes persuadée que vous êtes trop grosse parce que vous avez
quatrekilosdetrop,maisc’estdansvotretêtequeleproblèmeapristropdeplace…Jepeux
vousassurerquecen’estpasça,êtregros!
Jeluiglissaiunregarddebiais,toutenrepensantàl’hommedelaphoto,danssonbureau.
Était-ce un proche? Était-ce lui-même? Je n’osai pas lui poser la question directement. Je
tentaidoncuneautreapproche.
—J’ail’impressionquevousconnaissezbienlaquestion…
Jevissaridedulionsefronceretlasurprisesepeindresursonvisage.Ilseraclalagorge,
commes’il cherchaitàgagnerdu temps,commesimaquestion l’embarrassait.Sesyeuxse
perdirentdanslevague,etilréponditévasivement:
—Oui,eneffet.Jeconnaisbienleproblème…
—Pourl’avoirvécuvous-même?
Jelusdanssonregardquejel’agaçaisavecmesquestions.
—C’estbienpossible.Maisnousnesommespaslàpourparlerdemoi.
Dommage, pensai-je. Cela m’aurait diablement intéressée d’en savoir plus sur sa vie…
Maisjesentisqu’ilnefallaitpasinsisterpourl’instant.
Ilm’entraînaverslepremiermiroirdelagalerie.Unmiroirnormal.
—AlorsCamille,regardez-vousbien,etdites-moimaintenantcequivousplaîtleplusdans
votrephysique?
Jescrutaimonrefletàlarecherched’élémentsfavorables.
— Eh bien, je crois que j’aime bien mes yeux, ils sont pétillants et d’une assez jolie
couleur…
—Trèsbien!Continuez…
Jedescendisunpeuplusbas,pourévaluermesattributsféminins.
—Mapoitrine n’est pasmal nonplus…Elleme fait un joli décolleté.Mes chevillesme
plaisentassezaussi.J’ailesjambesfinesjusqu’auxgenoux!
—Parfait,Camille.Vousallezdonctoutfairepourmettrevosatoutsenvaleur,etfocaliser
votreattentiondessusplutôtquesurvospetitsdéfauts,donttoutlemondesefiche.Gardez
toujoursà l’esprit l’exempledecertainesfemmespassi joliesqueçaetquionteupourtant
un succès fou. Prenez Édith Piaf, qui a eu les plus beaux hommes, ou Marylin Monroe,
connuepoursesrondeurs!Maiscequicompteleplus,vousl’avezdeviné,c’estcequevous
dégagezde l’intérieur.La confiance en soi est votreplusbel atour.Rayonnez et vous serez
irrésistible!C’estenvousremplissantdebelleschosesquevousserezattirante.Croyez-moi,
la bonté et la bienveillance brillent plus que les bijoux les plus beaux! Ce que vous êtes à
l’intérieursevoitàl’extérieur.
J’avaisenviedeluidemandersic’étaitcequis’étaitpassépourlui…Ilplanaitsursavieun
voiledemystèrequejen’osaispasencoresoulever.Jemecontentaid’uneboutade.
—Çafaitunpeupubdeyaourt,cequevousdites,maisjecomprendsl’idéegénérale…
— Œuvrez chaque jour pour devenir une personne meilleure, véhiculez des ondes
positives,etvousverrezbientôtlesuccèsquevousaurez!
—Etsijen’yarrivepas,Claude?Si,malgrétout,jecontinueàmetrouvermoche?
—Chut, chut, chut!Arrêtezdenourrirvos rats,Camille.Vos rats, ce sontvospeurs,vos
complexes,vosfaussescroyances,toutecettepartiedevousquiaimebiensefaireplaindreet
jouer lesCaliméro.Est-ceque vous comprenez cequevous recherchez, inconsciemment, à
jouercemauvaisrôle?
—Mmm…Peut-êtrequesi jerestemoche, jen’attirepastrop l’attention,et jenerisque
pasdedécevoir.Oud’êtredéçue!Etpuis,aumoins,lesgensn’attendentpastropdemoi,j’ai
lapaix!
—Etquelseraitlerisqued’attirerlesregards?
— Qui dit plus de regards, dit plus de commentaires, plus de jugements, donc,
potentiellement,plusderisquesd’êtreblessée…
—Oui, sauf qu’on ne peut vous atteindre que si vous êtes atteignable. Plus vous aurez
confiance en qui vous êtes, moins vous serez susceptible d’être blessée par des atteintes
extérieures.Quandvousaurezremusclévotreestimedevous,quevousaurezunprojetdevie
en totale cohérence avec votre personnalité et vos valeurs profondes, vous avancerez
sereinement,fortedevotrevisionpositive,etvousn’aurezpluspeur.Vousserez«alignée»,
enharmonieavecvous-mêmeetl’univers.
—Ditcommeça,çafaitenvie…J’espèrequecegrandjourarriverabientôt.
—Çanedépendquedevous,Camille.
—Maispouraméliorermonimagedemoi…?
Claudem’emmenadevantunmiroiraffinant.
— Déjà, tous les matins, devant votre miroir, vous allez changer de dialogue intérieur.
Vousrépéterezdesaffirmationspositives.Quevousêtesbelle,attirante,quevousaimezvos
formes,quevousavezdejolisyeux,unebellepoitrine,quevousêtesunefemmeformidable
quiréussitcequ’elleentreprend,etc.
—Cen’estpasunpeutrop?
— C’est à peine assez! répondit-il, taquin. Ensuite, vous allez apprendre l’art de la
modélisation.
—C’est-à-dire?
—Quellefemmeadmirez-vousleplusetpourquoi?
—Jenesaispas…J’adoreCatherineDeneuve,jetrouvequ’elleauncharmefou!
—Trèsbien.Alors, étudiezCatherineDeneuve, sesattitudes, samanièredemarcher,de
sourire…Entraînez-vousàreproduiresesgestes.Fermezlesyeux.Visualisez-vousentraindemarcherdanslarueetjouezàêtreCatherineDeneuve.Commentvoussentez-vous?
—Belle,sûredemoi,posée…
—Commentréagissentlesgensautourdevous?
—Ilsmeregardent,m’admirent…
—C’estagréable?
—Trèsagréable!
—Super!Gardezcessensationsentête,etn’hésitezpasàlefairepourdevrai.Mettez-vous
danslapeaud’undevosmodèles!
—Ok.J’essayerai…Çapeutêtredrôle.
—Etpuisquenousparlonsdemodèles…Jevoudraisquevousvouscherchiezdesmentors.
Quelles personnes admirez-vous le plus? Quelles sont leurs qualités? Leur modèle de
réussite?Étudiezleurvie,lisezleurbiographie…Créez-moiunbeaupatchworkgraphiquede
toutesleursphotos.Vouspouvezmefaireçapourdansquinzejours?
—Mmm…Jevaistâcher…
Envrai,jemesentaisunpeucommel’étudiantàquil’onvientdedonnertropdedevoirs,
mais Claude m’avait prévenue: les petits monstres intérieurs guettent: paresse,
découragement…Ilfallaitquejem’accroche,mêmesilerythmeduchangementmesemblait
intensifetquejenemesentaispasencoretrèsàl’aisedanslessouliersdemonnouveaumoi.
15
Je rentrai chez moi, claquée. Les informations se bousculaient dans ma tête. Que de
changementsenclenchésensipeudetemps!J’avaisbesoind’unbonbainpourmedétendre.
Jeversaiunetonnedebainmoussantetmelaissaiglisserdansl’eaubrûlantequimordaitma
chair.Undélice!Jejouaiaveclamoussecommequandj’étaispetite,unvraiplaisirrégressif.
J’avaisletemps:laveilleausoir,aulieuderegarderlatélé, j’avaismitonnéunbonpetit
platpourlelendemain.Nousn’avionsplusqu’ànousmettrelespiedssouslatable.
Onserégala,etj’eusdroitàunconcertd’onomatopéesdepapillesreconnaissantes.
—C’estsuperbon,maman!Tupeuxfairel’émissionLesChefs,moijedis!
Jerissouscapeenvoyantmonfilsseresservirunetroisièmefoisdelatarte,danslaquelle
j’avaisglissédutofusoyeuxetdelacourgetteaumilieud’olivesetdetranchesdefromagede
chèvre.
Ilamangédelacourgette…Ilamangédelacourgette…
C’estsûr,çachangeaitdessurgelés…
Souvent,aprèslesouper,Adrienmeproposaitunjeudesociétéaveclui,maisjenem’en
sentaisjamaislecourage.Etpuis,n’avais-jepaspassél’âge?Quand,cettefois,jeluidisoui,il
enrestabouche-bée.Lalueurdejoiequibrillaalorsdanssesyeux,cettejoiecristallineque
seulslesenfantspeuventressentir,finitdebalayermesréticences.
Claudem’avaitsuggéréça.D’arrêterd’êtretropadulte.Demelaisserdavantagealleràdes
moments complices avecmon fils.«Le secret, c’est departiciper»,m’avait-il glissé avecun
clind’œildeconnivence.Mevoilàdoncenmodegamer(joueur,c’esthas-been),àessayerde
mereconnecteràmonenfant intérieur,cettepartiedemoi ludiqueetcréativetropsouvent
bridéeparmonmoiadulteresponsableetunbrinrabat-joie,m’avaitencoreexpliquéClaude.
Contre toute attente, je m’amusai. Et le visage heureux de mon fils valait toutes les
récompenses. Comblé dans son besoin de jeu et de présence, il se coucha sans faire
d’histoires.Unbonheur!
— Tu viens te blottir unpeu,medemanda Sébastien, installé sur le canapé, quand je lerejoignisdansleséjour.
—Non,pastoutdesuite,répondis-jegentiment.J’aidutravail.
Ilparutsurpris,unbrindécontenancémême.Il fautdirequed’habitude,c’était toujours
moi qui quémandais de la tendresse. Pour une fois, les rôles étaient inversés. Peut-être
venais-jedetrouverlàlabonnedistancedel’élastique?
Jem’installaisurlatabledusalonavecmonordinateurportable,maisaussidupapieret
des crayons. Je commençai par le plus facile: le portrait chinois des personnalités que je
voulaismodéliser.
J’écrivispêle-mêle:
Jevoudraisavoirlasagessed’unGandhi,lasérénitéd’unbouddha,lagrâced’uneAudreyHepburn,lesensdesaffairesd’unRockefeller,lavolontéetl’abnégationd’uneMèreTeresa,lecouraged’unMartinLutherKing,l’ingéniositéd’unRouletabille,legéniecréatifd’unPicasso,l’inventivitéd’unSteveJobs,l’imaginationvisionnaired’unDeVinci,l’émotiond’unChaplin,etpourfinir,leflegmeetl’humourdemongrand-père!
Contente de mon brainstorming, je cherchai, puis imprimai les photos de toutes ces
personnalitéspourcréermontableaudementors.Jenem’attendaispasàceque l’exercice
mefasseautantdebien:touscesvisagesm’inspiraient,meressourçaient.Enlesregardant,je
tentaidepercerunpeudusecretdeleurtalent,etdem’imprégnerdeleurmodèlederéussite.
Jesentaisquecepetitexercicem’avaitpermisdemettreenlumièrecertainesdemesvaleurs
etd’affinerlavisiondelapersonnequejevoulaisdevenir.
Letableaudemesmodèlesavaitfièreallure!Jedécidaidel’accrocherenbelleplaceprès
demonbureau.Jecontinuaiensuitemesrecherchesdansmondomainedeprédilection, la
mode.J’explorailesbiosdegrandscréateurs,dontmonpréféré:Jean-PaulGaultier.
Jeparcourusavidementl’entréequiluiétaitconsacréesurWikipédia:
Àquinzeans,ildessinelesesquissesd’unecollectiondevêtementspourenfants.C’estaprèsavoirvulefilmFalbalasdeJacquesBecker,pourlequelMarcelRochasadessinétouslescostumes,qu’ilsedécideàfairedelacouturesaprofession.Ilenvoieundossieràl’entrepriseYvesSaintLaurent,maissacandidatureestrejetée.SescroquisvontalorsàPierreCardin.Le
jourmêmedesesdix-huitans,ilintègrelamaisondecouture,oùilresteraunpeumoinsd’unan,avantderejoindrele«farfelu»JacquesEsterel,puis,en1971,l’équipedeJeanPatou.
Comment un homme aussi génial a-t-il pu être rejeté par la Maison Saint Laurent au
débutdesacarrière?Incroyable!
Cela me rappelait la petite histoire sur la persévérance que me racontait souvent mon
grand-père.
—Sais-tu qui est cet homme, né dans la pauvreté, et qui a dû toute sa vie supporter la
défaite?Ilauraitpuabandonnerdenombreusesfois,setrouvermilleraisonsdelefaire,mais
nelefitpas.Ilavaituneattitudedechampionet,àforce,ilenestdevenuun.Etunchampion
n’abandonnejamais.Enfant,ilaétéchassédesamaison.Ilaperdusamère.Afaitfailliteune
première fois. A été battu aux élections législatives. A perdu son emploi. A fait faillite de
nouveau etmis dix-sept ans à rembourser sa dette. Sa fiancée estmorte. Il a traversé une
gravedépressionnerveuse.Aétébattuà laprésidencede laChambredesReprésentantsde
l’Illinois,éluauCongrès,maispasréélu.Iln’ajamaisobtenul’emploid’agentdesterresde
sonÉtatnatal,pourlequelilavaitpostulé.Ils’estprésentéauSénatdesÉtats-Unisetaété
battu.Aprésenté sa candidaturepour la vice-présidence lorsde la conventionnationaledu
partietaobtenumoinsdecentvotes.Ils’estreprésentéauSénatetaétéencorebattu…Cet
homme,Camille,c’estleprésidentAbrahamLincoln!
Ilmeracontaitcettehistoire,etàlafin,ilavaitlesourireauxlèvres,contentdelachute.
Etmoi,est-ceque j’avaissupersévérertoutau longdemavie,ouest-ceque j’avaistrop
vite renoncé à mes rêves? Cette idée jeta une ombre sur mon humeur. Maussade, je me
dirigeaivers leplacarddufondducouloiretenressortisuncartonàdessins.Ensilence, je
memisàfeuilletermesesquissesd’unautretemps.Jenotai,ébahie,l’aisancedestraits.C’est
quej’avaisunsacrécoupdecrayon,àl’époque!Peut-êtreaurais-jepuenfairequelquechose,
si j’avaissuiviuneécolededessinau lieud’étudesdecommerce…Maismaintenant,c’était
troptard.Àcôtédescroquisacadémiques, jem’amusaisàrevisiterdesvêtementsd’enfants
ordinaires.J’imaginaisdesajoutsde tissus,dematières,demotifsqui leurconféraientune
originalitéindéniable.
— Hou là! Tu te mets la tête dans ces vieilleries? Nostalgie, nostalgie! me taquina
Sébastien,enpassantdanslecouloir.
Jeluijetaiunregardfuribond.
—Excuse-moi!Jeplaisantais!dit-il,enmefaisantunbaisersurlajoue.Ilssonttrèsbien,
tesdessins.Tuvienstecoucher?
—Non,pastoutdesuite…Jeregardeencoreunpeutoutça.
Je caressai les feuilles de papier comme on caresse un rêve du bout des doigts. Et si je
décidaisdeluiredonnervie,àcerêve?Sébastiencomprendrait-il?Serait-ilàmescôtéspour
prendre le train du changement, ou resterait-il à quai? Cette question n’était pas sans
m’inquiéter…
16
JeconfiaiàClaudemesinquiétudesconcernantl’évolutiondemarelationavecSébastien.Il
mefitprendreconsciencedecequecelapouvaitavoirdedéstabilisantpourmonmarideme
voirainsiremettremavieenquestion.Toutescestransformationsdevaientlebousculeren
profondeur.Jedevaisaccepterl’idéequ’unepériodedetransitionétaitnécessaire.Aprèstout,
je lui imposaismapetite révolution,alorsqu’iln’avait riendemandé! Il fallait lui laisser le
temps de s’adapter. Et puis, une telle période demutation s’accompagnait forcément, chez
monmaricommechezmoi,detouteunepaletted’émotions:lesrésistances,lesdeux-pas-en-
avant-trois-pas-en-arrière…
Ma peur était double, en fait: peur que Sébastien neme suive pas dansmon projet de
réorientationprofessionnelle,peurquenotrerelationcontinueàs’essouffler…
—Lapremièrechoseàsavoir,meditalorsClaude,c’estsivousl’aimeztoujours.
—Oui,biensûr,mêmesidesfois,jedoute.
—Souvent,cen’estpas l’autrequ’onn’aimeplus,c’estcequ’estdevenue larelation.Or,
dansuncouple,chacunestco-responsabledelaqualitédeséchanges.Sivousvoulezrallumer
la flamme,provoquezdes étincelles!N’attendezpas toujoursde l’autre l’initiative,nousen
avonsdéjàparlé…
—Maiscommentfaire?
—Endéveloppantvotrecréativitéamoureuseparexemple…
—Amusant!Dequellemanière?
—Vouspourriezluiécrireuntextod’amour3.0pourcommencer.
—3.0?Qu’est-cequec’estqueça?
— Eh bien, à l’heure où tout le monde écrit des messages en phonétique, prenez le
contrepied en lui envoyant des textos créatifs, bien écrits et, comble du chic, sans fautes
d’orthographe!
—Maisencore?
— Suivez votre inspiration! Cela dit, il existe quelques techniques. Vous identifiez les
centresd’intérêtdevotrecherettendreetvousenchoisissezun.Vousécrivezensuite,façon
brainstorming, tous lesmots et toutes les expressions qui vous viennent, en lien avec ce
thème. Enfin, vous créez des rapprochements improbables de mots, vous inventez des
expressionspourécrireuntextesavoureux.Prenonsunexemple,sivousvoulez,çaseraplus
clair…Qu’est-cequilepassionne,votremari?
—Iladorelezen.Ilfaitduyoga.Etilrêvequ’onailleenInde.
—Parfait.Listonstouslesmotsliésàcethème.
Avecsonaide,jegriffonnaisurunefeuilledepapier:
Zen.Lotus.Fleurdelotus.Équilibre.Respiration,souffle.Paix.Beauté.Bulleintérieure.Jardinzen,méditation…
—Écrivezbientout,insista-t-il,ceseravotrematièrepremièrecréative.Etsouvenez-vous
de la règle du CQFD. C barré, pas de Censure ni de Critique. Q pour Quantité, il s’agit
d’émettreunmaximumd’idées.FpourFarfelu.Bienvenueà lui!Notezmême les idées les
plus folles et improbables. D pour Démultiplication. Une idée en entraîne une autre, ça
s’appellerebondir!
—Jem’ensouviendrai.Merci,Claude.
—Ensuite, croisez le vocabulaire du zen avec le vocabulaire amoureux, secouez bien et
découvrez lestrouvaillesrédactionnellesquienrésultent.Pensezaussiauxfiguresdestyle:
lesassonances–larépétitiond’unmêmesonvoyelle–,lesallitérations–larépétitiond’un
mêmesonconsonne–,lescomparaisons,l’emphase–l’exagérationdansleton–,l’oxymore
– l’alliancedemots au rapprochement improbable, comme la fameuse«obscure clarté qui
tombedesétoiles»deCorneille–,lalitote,quiatténueunedéclaration,comme«iln’estpas
laid» pour dire qu’il est beau, et tant d’autres.Mais plus important que tout: suivez votre
cœur!
—Çanecoûteriend’essayer.
Ce que je fis aussitôt, constatant que ce n’était pas aussi facile que ça en avait l’air.
Concentrée, le stylo suspendu dans les airs, je cherchai l’inspiration en laissant fuir mon
regardau-delàdesvitres…
JemisbienvingtminutesavantdeprésentermonlovtxtàClaude:
Monamour,Dehors,uncielbasetlourd,dedans,unsoleilauzénith:c’estl’effet-bonheurdeteretrouvercesoirdansnotremaison-bulle.Bulledechaleur,bullededouceur,jardinzenquid’unbaiserdevientjardind’Eden.Laisse-moiêtrelaFleurdeLotusdetesjoursetleLoodetesnuits,ceventbrûlantduRajasthan,poursoufflersurtesdésirscommesur
lesbraisesd’unfeusacréetnousemmenerversdesrivagesoùseull’amouradroitdepassage…TaCamillequit’aime.
Claudelevaversmoidesyeuxébahis.
—Ehbien!Pourunepremière tentative,vous faites fort!Excellent,vraiment…Biensûr,
l’écritureamoureusen’estqu’unetechniqueparmid’autres.Touteautreformedecréativité
est la bienvenue pour river son clou au quotidien! Laissez aller votre imagination et votre
intuition,osezvos idées.Vousverrez:nonseulementvousallezbienvousamuser,maisen
plus,vousaureztôtfaitderaviverlaflamme…
—Vousditesçaparcequevousaveztesté?
—Quisait…
Encouragée par cet essai prometteur, je décidai de lancer dans les jours qui suivirent
l’opérationB.L.:Big Love. Je commençai en douceur, l’air de rien, par un texto quotidien.
Puis j’intensifiaipeuàpeumontravaildereconquêteduterritoireamoureux,enminant la
maison demots doux sur des post-it que Sébastien découvrait entre deux oreillers, ou en
ouvrantleplacardàbiscuits…
Jen’obtinspastoutàfaitlesrésultatsescomptés.Àvraidire,ilsemblaitplussurprisque
séduit. Comme si ces soudaines démonstrations d’amour lemettaient sur la réserve. Bien
sûr,ilmesouriait,m’embrassaitpourmeremercier.Ilavaitmêmel’aircontent,unpeu,mais
pascontent-contentcommejel’espérais.Jesentaisbienquequelquechoselechiffonnait.En
yréfléchissant,jemedisqu’ildevaittrouvermonattitudeunbrincontradictoire…D’uncôté,
je faisais tout pour me rapprocher de lui et raviver la flamme entre nous, de l’autre, je
m’affranchissaischaquejourunpeuplusdelui,denouveauxprojetspleinlatête,luioffrant
l’imaged’unefemmesûred’elleetdesestalents.Àlapoubelle,lamendiantedel’amour!La
nouvelleCamilleavait leventenpoupe.Cetteautonomiesentimentaleauraitdû leréjouir.
Or, il restait circonspect. Il avait l’air d’attendre de voir. J’espérais que, bientôt, mon
changementd’attitudeàsonégardetmesjeuxamoureuxauraientraisondesesréticences…
Enattendantcetheureuxjour,jecontinuaimonlenttravaild’introspectionpourdécouvrir
quiétaitlavéritableCamille,laCamillecréativeetaudacieusequisauraitmeremettresurle
chemin demes rêves. Jem’attelai donc à en dessiner le portrait, créant un photomontage
original: je découpai des photos dans lesmagazines, collait ma tête sur une silhouette de
belle femmedans le vent, lui ajoutaiun cartonàdessins sous lebrasd’où jaillissaientdes
croquisdevêtementspourtout-petits…Jedécoupaides lettresà la typographievariéepour
reconstituerdesmotsetlescollaiharmonieusementsurlaplanchedestyledemavierêvée.
Confiance,audaceetdéterminationtrouvèrentainsileurplacedanslacomposition.Lajupe
quejeportaissurl’image,jeladessinaiaveclesmots«créativité»et«générosité».J’incrustai
égalementlesphotosdemonfilsetdemonmarisurdessilhouettesdemagazines,dansdes
postures vivantes et rigolotes…Le tout commençait vraiment à être à l’image de ce que je
voulaisdevenir:vivant,créatif,ambitieux,drôleetgénéreux!
Satisfaite,jeprislemontageenphoto,etl’envoyaiàClaude,dontlaréponsenetardapas:
Magnifique!Jevoisquevotrerêveprendforme.Petitàpetit,nouscontinueronsàlepréciser…LanouvelleCamilleestentraind’apparaître!Pourcontinuervotrechemindetransformation,jevousproposedemerejoindrejeudivers12h30aun°59delarueSaint-Sulpice,dansle6e.Bonnenuit…Et…aufait…aulieudecompterlesmoutonsavantdevousendormir,cesoir,repensezàtroischosesagréablesoufavorablesquivoussontarrivéesdanslajournée.C’estradical,vousverrez!Claude.
17
Ensortantdumétro,jemedemandaiscequeClaudemeréservaitcommesurprisecettefois.
Ilavaitunefaçonbienàluidemettreenscènesesleçonsd’être,d’illustrergrandeurnature,
maisdefaçonmétaphorique,certainsdesesconseilsoupréceptes.Jeristouteseuledansla
rueenrepensantà la têteque j’avaisdû faire, lorsque j’avaiscomprisqu’ilvoulaitmefaire
monterdansunemontgolfière!Toutçapourquejemedébarrasse,àlafoissymboliquement
etconcrètement,detoutcequimepolluaitl’esprit…Etcesentimentdebien-être,unefoislà-
haut! Métaphore encore d’un bien-être plus grand à venir et gratification immédiate,
concrète.Lagaleriedesmiroirsdéformants…trèsparlant,çaaussi.Etaujourd’hui,qu’est-ce
queçaallaitêtre?JemesurprisàpresserlepasenarrivantrueSaint-Sulpice,pouratteindre
plusvitelen°59,commeunepetitefilleimpatiented’ouvriruncadeau.
J’arrivai devant un établissement tout en vitrines, à la devanturemoderne et claire, au
mobilierintérieurquimesemblatrèsdesign.Jemisquelquesinstantsàcomprendredequoi
ils’agissaitetjepoussailaporte,àlafoisintriguéeetamusée:Claudem’avaitfaitvenirdans
un… bar à sourire! Concept qui me fit… sourire! Je savais que ça existait, bien sûr, mais
c’étaitlapremièrefoisquej’entraisdanscegenredeboutique.
Il m’attendait, perché sur un tabouret haut, à tu et à toi avec la patronne. Ils
m’accueillirenttousdeuxchaleureusement.J’eusl’impressiond’êtreunecandidate,dansune
émissionderelooking. Claude voulaitm’offrir une formule «Éclat». Celame gêna,mais il
insista:pourlui,celafaisaitpartiedelaformationetduprocessusglobal.
La patronne nous installa alors dans une petite cabine, et Claude profita des quelques
instantsd’attentepourmeparler.
— Camille, vous imaginez bien que je ne vous ai pas fait venir ici uniquement pour la
beautédevosdents…
—Jem’endoute!Jecommenceàvousconnaîtreunpeu.
Souriresdepartetd’autre.C’étaitdecirconstance!
—Outre l’importancedesoignersesdents, je suissurtout làpourvousrappelercellede
votreCapitalsourire.Carvotresourirepeutfairevotrerichesseplussûrementqu’unticketde
loto!
—Vousn’exagérezpasunpeu,là?
Ilnetintpascomptedemaremarqueetpoursuivit:
—Unsourirenecoûterienetilapourtantuneinfluenceconsidérablesurvotreentourage
commesurvotrepropremoral.Lebénéficeestdouble!Vousconnaissezbiensûrlesparoles
de l’Abbé Pierre? «Un sourire coûte moins cher que l’électricité, mais donne autant de
lumière.» Il amêmeétédémontréqu’un sourire sincèreoffert àquelqu’unpeut entraîner,
par réaction en chaîne, jusqu’à cinq cents sourires dans une journée! Sans parler de ses
bienfaitssur lecerveauetsur lecorps!Savez-vousqu’uneétuderécentemenéeauxUSAle
prouve? Des scientifiques ont demandé à des volontaires de tenir une baguette dans la
bouche. Ceux du premier groupe devaient la tenir sans expression sur le visage. Ceux du
deuxième groupe devaient le faire en se forçant à sourire. Ceux du troisième groupe, en
souriantnaturellement.Àpartirdelà,onlesasoumisàdiversexercicesstressantstelsque
plonger les mains dans l’eau glacée. À chaque exercice, on relevait les variations de leur
rythme cardiaque. Dans le groupe dont l’expression devait rester neutre, le rythme s’était
sensiblement accéléré.Dans le groupe au sourire forcé, les relevés attestaient d’un rythme
cardiaque bien moins élevé. Mais c’est dans le groupe au sourire naturel que le rythme
cardiaque était le plus lent… Que retenir de cette expérience? Que le fait de sourire,
naturellementounon,réduitleseffetsdustresssurl’organisme.Là-dessus,lesscientifiquessontformels.L’explication:lecerveauinterprètelesourire,qu’ilsoitnatureloupas,comme
unétatdebonnehumeuretlibèredeshormonesdesérénité.Cen’estpasbeau,ça?
—Si,eneffet!
—Vous voyez, Camille, sourire vous permet non seulement d’être plus aimée des gens,
d’êtreplusheureuse,maisaussidevivrepluslongtempsetenmeilleuresanté!Sansparlerdu
faitquevousêtestellementplusbellequandvoussouriez…Votrevisageenesttout illuminéet vous avez l’air plus jeune. L’étape suivante, c’est d’apprendre à faire vivre votre sourire
intérieur.
—Monsourireintérieur?
— Oui. C’est un sourire tourné vers soi-même, sourire qui apporte la fameuse paix
intérieure. Une quête, un Graal, qui nous semble souvent inaccessible à nous, pauvres
Occidentauxenmalde spiritualité…Il fautdirequ’aujourd’hui,nousn’avonspasvraiment
accès à quelqu’un capable de nous donner ce type d’enseignement, ni sur les bancs d’une
université,entreuncoursdemarketingetundejuridique…Alorsqu’auxtempsanciens,les
maîtrestaoïstesenseignaientl’artdecesourire-làetexpliquaientqu’ilétaitgarantdesanté,
de bonheur et de longévité. Car se sourire à soi-même, c’est commeplonger dans un bain
d’amour. Non seulement le sourire intérieur donne une énergie réconfortante, mais il
possèdeaussiunpouvoirdeguérisonnonnégligeable!
—Waouh!Etconcrètement,commentjefaispourlecultiver?
—Vous pouvez vous entraîner quelques instants, tous les jours…Chaque fois que vous
avezunpetitmomentdelibre,asseyez-voustranquillement,relâchezbientouteslestensions
de votre corps, desserrez les mâchoires en entrouvrant légèrement la bouche. Prenez
conscience de votre respiration et de la profonde relaxation qu’elle vous apporte,
physiquement.Chérissezcesoufflevitaletimaginezqu’ilagitcommeunmassageintérieur.
C’est à ce moment-là que vous pourrez commencer à sentir le sourire intérieur: vous
éprouverez un bien-être profond, un lâcher-prise bienfaisant, une douce sérénité. Vous
pouvezaussivisualiserunefleurquis’épanouitauniveaudevotreplexus…
—Franchement, Claude, je ne sais pas si j’arriverai à être suffisamment détendue pour
fairecegenredechose.Jesuistellementspeed!
—Neprésupposezpas!Faitesl’expériencequelquesjours.Vouspourriezêtreétonnéedu
résultat!Audébut, c’estnormald’avoirdumal à tenir enplace.Puis au fil des jours, vous
prendrezunréelplaisiràretrouvercetétat.C’estunpeucommelecielbleu…Vousaimezle
beaucielbleudesjoursd’étéenborddemer?
—Ah,çaoui!C’estmerveilleux!Maisici,onestdanslagrisailletoutl’année…
—Ehbien,retrouver lesourire intérieur,c’estunpeucommeretrouvervotrebeaucarré
decielbleu,etceladèsquevousledésirez.Mêmequandlecielestchargédenuages, ilest
toujoursaussibleu!Demême,quandvotrehumeurestmaussade,àl’intérieurdevous,ilya
toujourscemagnifiquecielbleuquivousattend.Ilfautjusteapprendreàs’yreconnecter…
—C’estbienvendu!Bravo!Çadonneenvie…
Unejeunefemmepénétraàcetinstantdanslacabine.Monsoinallaitcommencer.Claude
s’éclipsa.Jemelaissaifaire,impatientedevoirlerésultat.Puisjepusadmirermonnouveau
souriredanslaglace.Impressionnant!Lesoinavaitététrèsefficace!Enchantée,jerejoignis
Claudequiavaitreprisplacesursontabouretetdiscutaitavecunclientquiattendaitqu’une
cabine se libère, selon toute vraisemblance. Il le salua dès qu’il me vit, et s’avança à ma
rencontre.
—Vousvoilàmaintenantparéepoursourireàpleinesdents,Camille!Maisrappelez-vous:
ilestencoreplusbeauquandilvientdel’intérieur…
18
Dans l’après-midi qui suivit, j’expérimentai les enseignements de Claude dans la rue. Je
décidaidememettredans lapeaudeCatherineDeneuve.J’étrennaimonsourire toutneuf
surleshommesquejecroisais,toutenaffichantl’affriolantedésinvolturedelafemmesûre
desoncharme.Jem’évertuaiàfairerimerconfianceetélégance,enhommageàmonmodèle
féminin.
Les résultats furent surprenants: quatre interpellations en vingt minutes! Les deux
premiersmessieurspourmedirequej’avaisuntrèsjolisourire.Letroisièmepourm’inviter
à boire un café. Le quatrième pour me donner sa carte en vue d’un rendez-vous galant…
Inutile de dire que mon estime personnelle était remontée en flèche! Je savourai ce
sentimentnouveau,cettegriseriedeconstatermonpouvoirdeséduction.Etdiscrètement,je
posaiunepetiteancre.Pourlesjoursgris.
Aubureau,monchangementd’attitudenepassapasnonplus inaperçu.Pourm’amuser,
j’entrais dans la peau demesmentors au gré des circonstances. Ici, dans celle d’un Steve
Jobs,etj’étaisalorsincroyablementplussûredemoi.Là,danscelled’unGeorgesSt-Pierre,
habitée toutà coupd’une force tranquilleà touteépreuve.C’étaitdevenuun jeuavecmoi-
même et je m’émerveillais de ses effets sur mon mental et mon environnement
professionnel.J’avais l’air tellementplusposéequecela semblait imposer le respectàmes
collègues, d’habitude toujours prompts à l’humour potache, voire aux sarcasmes. D’autant
que cette transformation s’accompagnait d’un enthousiasme inhabituel pour ce qui avait
constituépourmoi, cesderniersmois,uneactivité ennuyeusepournepasdirenauséeuse.
Cela suite au conseil de Claude, bien entendu, qui m’avait convaincue d’adopter le «faire
commesi».Uneposturepsychologiquequiconsistaitàfairecommesicetravailétaitleplus
passionnantdumonde.«Prenez toutcequ’il yad’intéressantàprendre,vivez leschosesà
400%,aulieudevivoteretd’attendreenruminantqu’unprovidentielchangementtombedu
ciel»,m’avait-ildit.
Depuisquelques jours,donc, jem’impliquaisà fond,souriaisà toutva,cequin’échappa
pasàmonboss.
—Camille,çafaisaitlongtempsquejenet’avaispasvuecommeça…Tuesenformeence
moment,etçameplaît!Tuessûrequetuneveuxpasrepasseràtempsplein?Réfléchis…Ça
pourraitêtrevraimentbien.
Je n’en revenais pas! Je sortais du placard et j’étais portée aux nues dans le même
mouvement. Incroyable! J’étais flattée et éprouvais secrètement un petit sentiment de
triomphe.Est-cequeçaneressemblaitpasàunerevanche,ça?Enmêmetemps,était-cede
celadontj’avaisenvie?
Quoiqu’ilensoit,madéferlantepositivecontinuaitàs’étendredans lesbureaux.Même
Crâned’œufmeregardaitd’unœilneuf,etl’idéequejeluienbouchaisuncoin,aprèstoutes
lesremarquesdoucereusespournepasdireperfidesque j’avaisessuyéesdesapart,n’était
passansmeréjouir!MaislanouvelleCamillen’avaitpasdetempsàperdreaveccegenrede
satisfactionsnégativesetstériles.LanouvelleCamilles’étaitengagéeauprèsdeClaudepour
jouerlejeudetouslesexercicesqu’illuiproposait,etl’und’eux,commemelerappelaitun
desesmessages,m’invitaitàallerau-delàdesapparences:
Chacunméritequ’onluidonneunechanced’êtreconnu.Encorefaut-ilbaisserlagardedujugement,desapriorietdesinterprétations.Jevousmetsaudéfidevousrapprocherdequelqu’unquevousn’aimezpastroppourfaireplusampleconnaissance…
Franchement?J’avaisautantenviedemieuxconnaîtreFranckqued’allermependre!En
repensantauxnombreusesfoisoùilm’enavaitfaitvoirdetouteslescouleurs,j’étaisplutôt
tentéedeletenirbienàl’écart…Cependant,mieuxleconnaîtreétaitl’unedescasesàcocher
dansmonCahierdesengagements,et«pasfait»n’étaitpasuneoptionenvisageable!
Unjeudimatin,jeprisdoncmoncourageàdeuxmainsetm’approchaidesonbureau.
—Dis-moi,Franck,tufaisquelquechosepourlelunch?Çafaitlongtempsquejeveuxte
proposerqu’onmangeensemble,histoiredeprendreletempsdediscuterunpeu…
Jesentisunfrémissementdestupeurdanstout lebureau.Lesautresn’enperdaientpas
unemiette.Franckglissaunregardobliqueverssescamarades,commepourlessondersurla
réponsequ’ildevait fournir.Dansunbeaumouvementdesolidarité, touspiquèrentdunez
surleurclavier.
—Euh,oui,pourquoipas,lâcha-t-ilenfin,encoretoutdéstabiliséparmademande.
Nous nous retrouvâmes donc pour le repas de midi, lui devant son steak tartare, moi
devantmasaladeniçoise,dansunjeuderôlesinversé.Ilgigotaitsursachaise,visiblement
malàl’aise.Luiqui,d’habitude,mefaisaitenrageretmeraillaitavecunaplombbiencampé,
il était complètement dérouté par ma gentillesse inattendue. Le coup des masques qui
tombent…
J’entreprisdedétendre l’ambiance enmettantde l’huilepourque ça glisse: bonspetits-
sourires-des-famillesetfleurssursestalentsdecommercial.—Jenetel’aijamaisdit,maisj’admiretatechniquedevente.Çanem’étonnepasquetu
soisnuméroundansl’équipe!
Ilrositsouslecompliment.Jenel’avaisjamaisvucommeça!
—Camille,dit-ilalorsd’unairgrave,jen’aipastoujoursététendreavectoi…Jevoudrais
m’enexcuser…Tusaiscequec’est,onveutfaire lemalindevant lescopainsetonfinitpar
êtreprisàsonproprejeu.Envérité,jet’aitoujourstrouvéetrèscourageusedetravaillertout
ent’occupantdetonfils…Vraiment!
Cefutàmontourderosir.Oneffaçanotrelignedéfensived’unfrancsourireetlerestedu
dînerfutbeaucoupplus léger.Ilavaitunepassionpour l’aéromodélismeet faisaitvolerses
propresenginsminiatures.Sesyeuxbrillaientcommeceuxd’unenfantquandilenparlait.Il
meconfiaaussisalassitudedeceboulot,parfois.Sonimpressiond’enavoirfaitletouretson
manque d’ambition, cependant, pour oser en changer. Nous finîmes par parler de nos
famillesrespectivesetj’apprisavecsurprisequ’ilavaitdivorcél’annéeprécédenteetcombien
celaavaitétédurpourlui,surtoutd’êtreséparédesesenfants…
—Jesuisdésolée,jenesavaispas…
—Jen’enaiparléàpersonneaubureau.
C’étaitmoi,àprésent,qui leregardaisd’unœilneuf,unpeuhonteusedemonjugement
hâtifetpeunuancésurlui.Sansdoutequesonhumoursarcastiqueluiavaitservidebouclier
pour nous tenir à distance et ne rien laisser transparaître de sa blessure à vif. Comme on
pouvaitsetrompersurlesgens,quandmême,fautedeleurprêterunevéritableattention,de
prendreletempsdelesconnaîtremieux!Engrattantunpeu,jedécouvraisencecollèguede
bureauquimefaisaitl’effetd’unhérissontoujoursprêtàdardersurmoil’undesespiquants,
unhommesensibleetplutôtattachant.
Nousquittâmeslerestaurantrepusdeparoles.
—Çam’afaitdubiendeteparler,medit-ilsimplement.
—Oui,c’étaitunbonmoment.Àrefaire?
—Oui,àrefaire.
Ilmedécochaungrandsourire.
Çaaussi,cefutunechosequejedécouvris,cejour-là:lesouriredeFranck.
19
Jen’avais pas eu lesmains aussimoites depuismes orauxde fin d’études. J’avais rendez-
vousau cabinetdeClaudepour lebilandesquatremois.Oui,quatremoisdéjàque j’avais
commencémonprogrammePapillon,commejel’appelais.Pourl’instant,j’avaislachrysalide
encorecolléeaucorps.Mais lamétamorphoseétait encourset,déjà, jemesentaisunpeu
une autre. J’avais l’impression d’avoir vécu ces quatremois plus intensément que les cinq
dernièresannées!Jemetrouvaisun incroyableregaind’énergieetuneacuité intellectuelle
accrue.Claudeexpliqueraitpeut-êtrelephénomèneparunaccroissementdesendorphineset
autreshormones,dont letauxaugmenteaveclapenséepositive, lesourire, lesentimentde
redevenirmaîtredesavie…
Ilmereçutchaleureusement.
—Vousallezbien?
—Oui,çava,Claude.J’ail’impressionqueleschosesavancent!
—Bien.Nousallonsfairelebilandevosavancéesdansvosobjectifs.Vousêtesd’accord?
—Oui,oui.
—Voyonslesobjectifsphysiques,pourcommencer.Vousm’avezapportévotreCahierdes
engagements?
—Oui,levoilà.
Jeluitendisnerveusementlepetitcahieràspirales.
Danslescasescochées,leschosesfaites:
Sourireàaumoinsdixpersonnesparjour.Prendreplussoindemoi(soinscorporelsetesthétiques)etdemonallurephysique.Choisirunlookpourmettreenvaleurmapersonnalité.
—J’airemarquéquevousaviezparfaitementdéveloppécepoint,Camille,félicitations!
Perdrequatrekilos.
Casenoncochée.
—Voyonsçatoutdesuite…
Ilmemontraunpèse-personneetm’invitaàmonterdessus.Jedéglutis,appréhendantle
résultat.
— 54,8 kilos. Vous avez perdu 4,2 kilos. Bravo, Camille! Vous pouvez cocher la case,
maintenant!
Joie!J’avaisenfinperdumeskilosdetrop!
Claudecontinuaàexaminermaliste.
Faireunegyminvisibleentouslieux.
Casecochée.
Expérimenterlacréativitéamoureuse.
—Vousaveznoté«encours»?
Jemeraclaiunpeulagorge,puisluiexpliquai:
—Oui,jesuisentraind’essayerdifférenteschoses.MaisSébastiennesemblepasencore
réceptifàcentpourcent…
— C’est normal. Tous ces changements doivent lui faire une drôle d’impression.
Persévérezendouceur,jesuissûrqueçaporterasesfruits…
—Nousverronsbien!
—EtleCarnetdupositif?Vousavezpuleteniraufuretàmesure?
—Oui,levoilà.
Claudefeuilletalerépertoiredanslequelj’avaisinscritmesrécentssouvenirsagréables:
D:DéjeunerréussiavecFranck,monanciennebêtenoiredubureau.R:Régalpourtoutelafamilleavecundélicieuxplatcuisiné.
S:Séduction,quatremessieursm’abordentparcequ’ilsmetrouventcharmante.J:JeudesociétéavecAdrien,unvraimomentdecomplicité!F:Floraison,monrosierm’afaitunenouvellefleur!
—Camille,jetiensàvousdirequejesuisfierdevous!Jecroisquevousavezméritéceci…
Il ouvrit un tiroir et me tendit la jolie boîte enrubannée, dorénavant familière. Avec
émotion, j’y découvris un nouveau Charms: un lotus vert, cette fois, que j’accrochai àma
chaîne,où il rejoignit lesdeuxautres.Encoreunnouveaupalier franchi!Ceinturevertedu
changement…Çacommençaitàdevenirsérieux.J’offrisàClaudeunsourirecalmeetposé–
lesourired’unepersonnequiauraitbeaucoupmûrienpeudetemps–,maisàl’intérieurde
moi,c’étaitRio.J’avaisenviedecourirdanslarue,desauteraucoudespassants,desortirles
vuvuzelas! Je ressentais la même joie que mon fils quand il décrochait un A en dictée.
J’auraispucourirm’acheterunsacdebillesousablerunebouteilledeChampomy…
Claudemeramenasurterre.
—Vousavezfaitunjoliboutdechemin,maisvousn’êtespasencoreauboutdelaroute!
Sivouslevoulezbien, jevousproposedetravaillerunmomentsurvosprochainsobjectifs.
D’accord?
J’acquiesçai.
Uneheureplustard,nousrelisionsensemblelalistequis’étirait:
Continueràinstaurerdebonnespratiquespourplusdezénitudeetd’harmonie.PoursuivrelareconquêteamoureusedeSébastien.DécrisperlesrelationsavecAdrien.Poserducadretoutendéveloppantunerelationharmonieuse.Clarifiermonnouveauprojetdevieprofessionnelle. Étudiersafaisabilitéetlespistesdesamiseenœuvre.Passeràlaréalisation.
Puisjepoussaiunprofondsoupir.Direquequelquesinstantsauparavant,jebondissaisde
joie!Claudeperçutmondécouragement,carilreprit:
—Confiance,Camille.Avecletempsetlapatience,lafeuilledumûrierdevientdelasoie.
Continuezàvousconcentrer,tâchepartâche,missionparmission.
—Merci,Claude.Mercivraimentpourtoutcequevousfaitespourmoi!
Il me serra chaleureusement la main, visiblement heureux de suivre ma progression.
Combiendegensétaientmotivéscommeill’était,pouraideruneautrepersonneàfaireson
chemin et miser sur une hypothétique réussite pour espérer être payé en retour? Je le
trouvaisunbrinutopiquemaisaufond,admirable…
20
Courageusement, je continuai, jour après jour, à appliquer les conseils de Claude. Je
connaissais maintenant par cœur les «bonnes pratiques» pour être du côté du cercle
vertueux.Maiscommeilmeledisaitsouvent,leplusimportantn’étaitpasdesavoir,maisde
faire!Ilneselassaitjamaisdevanterlesavantagesdelarégularitéetdelaténacité…
À la fin de ce quatrième mois, j’eus l’impression d’avoir passé un seuil critique: je
commençaisréellementàappréciermanouvellefaçondevivre,manger,bouger,penser…Je
touchaisdudoigt cette fameuse réconciliation corps/espritdontparlent tant lesdisciplines
orientales. Mes quelques minutes quotidiennes de gymnastique et d’étirements m’avaient
définitivement reconnectée à mon corps. Corps que, pour ainsi dire, je n’habitais pas
vraimentauparavant.Jefinisparlesapprécier,ces mouvements,etmêmeparrechercherlessensationsqu’ilsprovoquaientenmoi.
Lorsque je marchais dans la rue, je m’appliquais par instants à imaginer mon corps
commeuntraitd’unionentrelecieletlaTerre,àmesentirreliéeàungrandtoutetnonplus
àme considérer comme un élément isolé, perdu dans la nature. Je pris conscience à quel
point j’avaispuêtrecoupéedemessensations.Mais j’étais résolueàhabiterdorénavant le
présent.Finiletempsperduàruminerlepasséouàmetourmenterpourl’avenir.Quec’était
reposant!
Jeme rendis compte également du rôle que pouvaient jouer la nature et l’oxygénation
dansl’améliorationdemasantéphysiqueetpsychique.Moiquiavaisgrandidanslebétonet
la pollution, jem’étais persuadéeque jen’aimais pas lanature: jem’en étais fait une idée
erronée,imaginantdesmillionsdepetitesbestiolesrampantesouvolantes,cachéesdansde
vastes étendues vertes et silencieuses, d’un ennui mortel. Renouer avec Dame Nature
m’apporta un réconfort insoupçonné. Jamais je n’aurais pensé pouvoir retirer une telle
énergiedesmerveillesqu’ellemetànotredisposition!
Unjour,Claudedécidadem’initierà l’Ikebana,art floral japonaisquiprocuredétenteet
apaisement, en instaurant un dialogue silencieux avec la nature.Nous partîmes donc pour
une balade champêtre, sécateur à la main, afin de cueillir des végétaux inspirants. Puis,
guidéeparlui,jem’amusaiàcomposerune«poésievégétale»,cherchantunsubtiléquilibre
deformesetdecouleurs.
Moiquineprenaisjamaisletempsdemeposer,jepassaisdorénavantplusieursminutes
parjouràméditerdevantmonâtrezenaménagé,inspiréduTokonomajaponais,cetteniche
décoréed’unkakémonoquiabriteunecompositionfloraled’Ikebanaainsiquediversobjets
symboliques,chandelier,statue,objetd’art…J’avaistrouvélepetitcoinidéaldanslamaison,
unanglemortdanslefonddusalon,jusque-lànoninvesti.Parterre,jeposaiunvaselonget
épurépourymettremes créations floralesd’Ikebana.Aumur, je fixai trois cases cubiques
designdetaillesdifférentes.Chacuned’ellesrecueillaitdesobjetssymboliquesinspirantset
ressourçants: lapremière,unbouddharieuràcôtéd’unejoliecartepostalecomportantune
citation–«Fairecequetuaimes,c’estlaliberté;aimercequetufais,c’estlebonheur»–,la
deuxième,unebellebougieetmestrois livrespréférésdumoment, latroisième,unephoto
de famille nous représentant tous les trois et une statuette de Shiva, bon et vénéré dieu
hindou, souvent présenté comme «celui qui porte bonheur». Quelques coussins colorés
jolimentdisposésausolinvitaientàunepausemoelleuseetcontemplative.
Ainsi,quandjemesentaisstressée,jem’offraisquelquesinstantsdepaixdanscetendroit,
fixantlaflammedemabougiejusqu’àmesentirhypnotisée.
Ce changement de philosophie de vie me nourrissait de l’intérieur et, semaine après
semaine,jemetrouvaisbeaucoupmoinsanxieuse,moinsagitée.Jeprisaussiconscienceque
j’avais tendance, avant, à focaliserma pensée surmes insatisfactions…De quoi entretenir
unemorositéchronique!
Claude m’avait donné un antidote à cette morosité: pratiquer tous les jours quelques
instantsdegratitude.Jeme levaisdoncchaquematinavecunremerciemententête,etme
couchais chaque soirdemême.Mercid’avoirun fils enbonne santé,d’avoirun toit,d’être
dansunpaysenpaix…Mercid’avoiruncompagnonàmescôtéspourm’aimeretm’épauler.
Jeprismêmel’habitudederemercierpourdeschosesplusinsignifiantes:unetassedecafé
fumantaupetitmatin,unetarteauxpommespartagéeaveclesmiens,unrayondesoleilprès
d’unlac…
Jegardaisaussiàl’espritl’idéedeprendresoin,touslesjours,desobjetscommedesgens
autourdemoi.Prendresoind’uneplante,d’unanimal,desoi,desesêtreschers,maisaussi
detoutepersonnecroiséesursoncheminquienauraitbesoin.«Onn’avécuqu’àlahauteur
de ceque l’onadonné»,m’avait souffléClaude,une fois, à juste titre. Ilm’avaitd’ailleurs
envoyé un livre de pensées duDalaï Lama pour nourrirmon changement dementalité. Il
avaitprissoind’ensurlignerquelquespassages.
Certainesphrasesmemarquèrentplusparticulièrement,dontcelle-ci:
«Endéveloppantl’altruisme,l’amour,latendresseetlacompassion,onréduitlahaine,le
désirou l’orgueil.»Cesvaleursfaisaientéchoenmoi,maisparfacilité,parnégligence,jelesavaisdélaissées
cesdernièresannées…Lesecret,c’étaitdene jamaiss’arrêterdepratiquer.D’ypensertous
lesjours.Sansça,lenaturelrevenaitaugalop!Etlesmauvaiseshabitudesaussi…
J’aimaisbienégalementcettecitation:
«Certainsregardentlavaseaufonddel’étang,d’autrescontemplentlafleurdelotusàla
surfacedel’eau,ils’agitd’unchoix.»
Unebelleillustrationdelavisionquelesunsetlesautrespeuventavoirdelavie.Petità
petit, je pris conscience de ce qui construisait le bonheur: le fait de s’engager, dans une
relationamoureuse,unefamille,untravail,peuimporte!
Quantàcequidonnedusensàlavie,ilmesemblaitàprésentquec’étaitdesavoirdonner
lemeilleurdesoienseservantdesesqualitésprofondes,cellesquifondentnotrevéritable
identité. Être bon dans ce qu’on fait et être bon avec les autres… N’était-ce pas la clé de
l’épanouissement?
Certainspourraientobjecterqu’ilsnesontbonsàrien.Qu’ilssontmêmemauvaisentout.
J’avaismaintenantlaconvictionqueceuxquipensentainsiontsimplementtropdetoxines
danslemental.Labonnenouvelle,c’estqu’ilesttoutàfaitpossiblededétoxifiersonesprit
pour que se révèle son potentiel de développement. Tout le monde possède des qualités
propres.Ilsuffitdelesidentifier,puisdelesfaireprospérer.Onobtientalorsl’essencemême
decequifaitlemeilleurdesoi,ungisementbienplusprécieuxquetoutl’ornoirdumonde.
J’enétais làdemesréflexions, lorsque je reçusunmessagedeClaudequi faisaitéchoà
mesproprespensées:
BonjourCamille!Auprogrammedestroisprochainessemaines,penséepositive,autosuggestionetméditation…Vousallezavoirdupainsurlaplanchepourcontinueràinstallerlesbonnespratiquesquotidiennesdereprogrammationdevotremental!Maisc’estpourlabonnecause,n’est-cepas?
Jedemandai:
Pourquoitroissemaines?
Ilmeréponditaussitôt:
C’estleminimumdetempsqu’ilfautpourqu’unchangementsemetteenplaceetcommenceàdevenirunehabitude…
Il m’avait envoyé parallèlement un petit colis. Je défis fébrilement l’emballage, et
débarrassaienhâte l’objetdesacoquedepapier-bulle.C’étaitunesortedebonbonnièreen
verretransparent,assezjolie,maisquimelaissacirconspecte!Claudeavaitglisséàl’intérieur
unrouleaudepapier.Jedévissai lecouvercleetmesaisisdumessage.Le textecourait sur
deuxlonguespages.
Camille,Voici votre rumignotte…Ce sera votre cagnotte anti-ruminationetpenséesnégatives.Leprincipe?Vousmettrezuneurodedanschaquefoisquevousaurezdespenséesoudesparolesnégativesoustériles.Jenepeuxquevoussouhaiterdenepasdevenirricheparcebiais!Je ne vous le répéterai jamais assez: lapenséepositive a un réel impact sur votrecorpset votrepsychisme.Desétudes très sérieuses leprouvent!Tenez,unexemple…Uneexpériencemenéepardes scientifiques… Ils remplirentd’unemêmequantitédeterre deux contenants à peu près de la grosseur d’une assiette à dessert. Puis ilsplantèrent vingt-trois semences de gazon dans chacun des récipients, avec la mêmequantité d’engrais. Ils les installèrent dans une serre, non loin l’un de l’autre, pours’assurer que chacun recevrait exactement la même quantité de soleil par jour, etjouiraitdesmêmes conditionsde températurependant lapériodedegerminationdesgraines.La seule variante était la suivante: chacun à leur tour, et trois fois par jour, leschercheurs s’installaient devant chaque contenant. Devant le premier, ils proféraientdesmotstrèsnégatifs,desattaquesverbales…«Jamaisriennepousseraici,riennevase passer, ça ne donnera jamais du gazon, je doute vraiment que cette terre-là soitfertile et puis,même si çapousse, je suis sûrque ça va finirpar sécher etmourir…»Devant le second pot, leur attitude était au contraire confiante et leurs proposagréables. Ils ne disaient que des choses très positives sur la germination et lapossibilitédevoirlegazonpousser.«J’aitellementh^atedevoircegazonpousser,çava être extraordinaire! Il fait beau, la chaleur est parfaite, ça va aider les graines àgermer.J’ailespoucesverts,toutcequejesèmeréussit…»Troissemainesplustard,unephotodesdeuxcontenantsaétépubliéedanslecélèbreTimeMagazine.Inutiledevousdirequedupremier,exposéauxcommentairesnégatifs,n’étaientsortiesquedeuxou troispetitespousses,contrairementausecond,quiétaitremplidegazon,ungazonvertetfoncé,profondémentenracinédanslesol,solide,fort,haut.Vousl’avezcompris,Camille:nosparolesontunevibration.Notreattitudeaussi.
Si elles ont une telle influence sur des semences, imaginez l’effet qu’elles peuventproduire sur des êtres humains! Voilà pourquoi il faut faire attention à son dialogueintérieur autant qu’à ses propos extérieurs. Pourquoi ne pas commencer dèsaujourd’hui?Àbientôt…Claude.
Jefusimpressionnéeparcettedémonstrationettouteprêteàessayerdechanger.Maisje
subodorais la difficulté pour moi qui avais pris depuis si longtemps le pli de voir et
d’exprimer le négatif plutôt que le positif. Claude m’avait prévenue: tout comme
l’haltérophile doit s’entraîner quotidiennement, la reprogrammation mentale demande
ténacitéetefforts.Sansparlerde lavigilance.Car l’esprita tôt faitde retrouversesvieilles
mauvaiseshabitudes,sionbaisselagarde!Jemepromisdoncderedoublerdevigilance,et
plaçaima rumignotte bien en vue sur la bibliothèque, dans le salon, enme disant que ce
seraitamusantdeproposeràmeshommesdeparticiper.
L’idéeplutbeaucoupàAdrien.
Le lendemainmatin, tandis qu’il émergeait d’une nuit trop courte, Sébastien se dirigea,
maussade,verslafenêtre…
—Ohnon!Queltempspourri,c’estdéprimant!
Jen’eusmêmepasbesoind’intervenir.Adrienlefitàmaplace.
—Papa!Uneuro!s’exclama-t-il,ravidesurprendresonpèreenflagrantdélitdenégativité.
Sébastien commença par bougonner, puis s’arrêta net, prenant conscience que plus il
râlerait,plusildevraitmettredepiècesdanslarumignotte.
—Non,non,non!D’accord,j’arrête!Jen’aipasenviedefinirsurlapaille!
Etilvintembrassertendrementsongardien-du-positif.Quant à moi, tous les jours, je m’évertuais à pratiquer la pensée et l’autosuggestion
positives.Àchangermestournuresdephrases.Àlesformulernonplusdemanièrenégative,
maispositive.Nonplusà laformepassive,maisactive.Unevraiegymnastiquedeplasticité
cérébrale!
Jem’étais imprimé une courte fable que Claudem’avait envoyée et la relisais souvent.
C’estl’histoired’unhommequivatrouverunsagepourapprendreauprèsdelui.
–Dites-moi,vousquiêtessage,qu’est-cequ’ilyadansvotreesprit?–Dansmonesprit,ilyadeuxchiens,unnoiretunblanc.Lenoirestlechiendelahaine,delacolèreetdupessimisme.Leblancestceluidel’amour,delagénérositéetdel’optimisme.Ilssebattenttoutle
temps.Lediscipleestunpeusurpris.–Deuxchiens?Quisebattent?–Oui,pratiquementtoutletemps.–Etlequelgagne?–Celuiquejenourrisleplus.
Ilétaitclairquedepuisdesannées,mespenséesavaientdûbienplusressembleràunnoir
Cerbèrequ’àunjolipetitbichonmaltais!Mais j’étaisrésolueàchanger leregistrecaninde
monesprit.Comprennequipeut.
Claudeajoutaàmalistedéjàlongueunautreprincipeàsuivre,inspirédel’adagefavoride
l’empereurAuguste: festina lente,hâte-toi lentement. J’avais, semblait-il, commebeaucoup
d’autres personnes, la fâcheusemanie de confondre vitesse et précipitation. Ces dernières
années,j’avaispassémontempsàtoutfaireviteetmal,àvivrecommeunemouchecoincée
danssonbocal,àm’exciteràtout-va,àmecognerlatêtecontrelesvitresdel’existence,faute
dem’accorderletempsdemeposeretdeprendreunreculsalutaire.
Je m’exhortais donc à tout vivre un cran moins vite. Ne plus céder à la dictature de
l’urgence. Agir oui, mais sans pressions inutiles. Toute la différence entre bon stress et
mauvaisstress.
J’étais en train de m’agiter tranquillement au bureau, lorsque je reçus un nouveau
messagedeClaude. Ilmedonnaitun rendez-vousmystère–encoreun!–, lemercrediqui
venait.UneadresseàCharenton-le-Pont.Ilmedisaitjusted’emporterunmaillotdebainune
pièceetuneserviette.
Maillotdebain?Maisc’estquejen’avaispasvraimentenvied’exécuterquinzelongueurs
dansunepiscine,moi!
21
C’estdoncunpeucontrariée–mais,fair-play,j’avaismisuneurodanslarumignotte–que
j’arrivai lemercrediau lieudenotrerendez-vous.Contrairementàmoi,Claudesemblaiten
pleineformeetassezexcité.Quellesurprisem’avait-ilencoreréservée?
Jene tardaipasà ledécouvrir. Ilnem’avaitpasattiréedansunepiscineordinaire,mais
dans un centre spécialisé enplongée sous-marine. Lorsque je compris,mon cœur semit à
battretrèsvite.Oh,lepiège!Iln’allaitquandmêmepas…
Si,ilallait!
Je tentai de protester, deme défiler, arguant que je n’avais pas l’habitude de pratiquer
l’apnée,quejenesavaismêmepassij’arriveraisàtenirdixsecondesdesuite,maisilbalaya
d’ungestemonappréhensionetmefituntoposurl’exercice:sonbutétaitquejecomprenne
l’importancedema respirationpour canalisermes émotions et restermaîtresse demoi entoutescirconstances.
Bon…Jevoyaisbienl’idéegénérale,maisfallait-ilvraimentenpasserparcetteexpérience
extrême?Apparemmentoui,carunmoniteurnousrejoignitbientôtavectoutlematériel,et,
enmoins de temps qu’il nem’en aurait fallu pour dire «stop», jeme retrouvai harnachée
d’un équipement très lourd, dont l’usage était àmesmains ce que le chinois était àmon
esprit.Unemontéedestressmeparasitalecerveau;j’eusleplusgrandmalàcomprendreet
retenirlesconsignesdumoniteur,surtoutlesgestesdecommunicationàutilisersousl’eau.
SiClaudes’étaitimaginéquej’allaisjouerlessirènes,ilsetrompaitdutoutautout!Question
grâceetagilité,j’avaisplutôtl’aird’unéléphantdemerquiauraitgrandiauSahara.Quantà
maphysionomie,entreledétendeurquim’étiraitlaboucheetmescheveuxhirsutescomme
destentacules,elleévoquaitplusMéduseetsacheveluredeserpentsque ladouceArieldu
dessinanimé.
Entoutcas,monallurefitbienrireClaude.J’essayaideluidonnerunpetitcoupdepied,
pourvengermadignitéoffensée,maisl’eauralentissaittousmesmouvements.Ildutvoirma
ridedulions’accentuersouslemasque,maisnerelevapas.Ilmedemandasimplementpar
signesi toutétaitok.Jehaussai lesépaulespourmanifestermadésapprobation.Mais très
vite, lemoniteurm’entraîna vers le fond et l’expériencem’absorba tout entière. Au début,
moncœurbattaittrèsvite,àcausedel’appréhension.Jedusmeforceràrespirercalmement
pourmestabiliseretnepasrisquerl’hyperventilation.Puisjecompris–j’expérimentai–que
la respiration étaitmaîtressedu jeupour guidermon évolution sous l’eau.Aprèsquelques
essaisinfructueuxoupeuconvaincants,jecommençaiàmieuxgérerl’affaire.Jefinismême
par faire le poulpe: et que jemonte et que je descends rien qu’en contrôlantmon souffle,
captivéeparlasensationd’apesanteur!Jevérifiailebien-fondédecequelemoniteurm’avait
dituninstantplustôt,àsavoirqu’enfaisantvariersonvolumepulmonaire,onmodifiaitsa
flottabilité,devenantàloisirpluslourdouplusléger.Jepouvaisainsifacilementcorrigerma
positionsousl’eau,auprixd’unmoindreeffort.
Enfindeséance,jemesentaisvraimentàl’aiseetosaismêmequelquesfollescabriolesen
rebondissantsurlesparoisdelafosse.Était-celetrop-pleind’oxygène?J’étaiseuphorique!
—Alors,c’étaitbien?medemandaClaudeàlasortiedesvestiaires.
—Génial!Maisvousauriezpumeprévenir!
Jeluidonnaiuncoupdecoudepoureffacerdesonvisagesonexpressiongoguenarde.
— Ouille! fit-il, en riant. Ça aurait été dommage de rater ça! Vous étiez charmante en
sirènedespiscines!
Jeluifisunegrimacepourluirendrelamonnaiedesapiècedetaquinerie.
—Si je vous avais dit ce que j’avaismanigancé, est-ce que vous seriez venue?Non, pas
vrai?
Si,vrai…
Jesortisdel’établissementplusfièrequej’yétaisentrée.Unmomentuniquequiviendrait
grossirlesrangsdessouvenirsfortsnotésdansmonCarnetdupositif…
TandisquenousattendionslebuspourretourneràParis,Claudeproposaunpoint.
—Revenonsdeuxminutessurlaleçonàtirerdecetteexpérience:quandvousêtesdansun
momentdestress,concentrez-voussurvotrerespirationetsouvenez-vousdecemomentde
plongée sous-marine. Le calme sous l’eau, la tranquillité, le contrôle de la respiration, la
maîtrise de soi… Même au cours d’une journée normale, prenez conscience de votre
respiration.Gardezàl’espritqu’unebonnerespirationnevientpasseulementdel’inspiration
mais tout autant de la qualité de l’expiration. Si vous expirez bien à fond, vous donnez la
possibilité à vospoumonsde se remplir ensuited’un airneuf, doncplusprofitable à votre
organisme!
—Effectivement,ilfautlesavoir…
—Maintenant,voussavez!
22
Nourrie des enseignements de Claude, je m’appliquais, jour après jour, à devenir plus
présente àmoi-même, quitte àme surprendre dans des gestes quotidiens.Me brosser les
dents ou mâcher en pleine conscience constituaient des expériences nouvelles fort
intéressantesetaugmentaientsensiblementmonacuitésensorielle.Jecomprenaismieuxà
présent l’expression «être à côté de la track». C’est vrai qu’on pouvait passer son temps
commeabsentàsoi-même,avec la fâcheuseconséquencedene jamaisêtreauseulendroit
quicomptevraiment:l’icietmaintenant.
La veille, Claude m’avait d’ailleurs envoyé un message avec une formule qui m’avait
beaucoupplu:
Aujourd’huiestuncadeau.C’estpourçaqu’onl’appelle«présent».
Maisplusjedevenaisconsciente,plusilm’étaitdifficiledevoirmonentouragecontinuer
àvivredanscequimesemblaitdésormaisêtrelamauvaisefaçon.
C’estainsiqu’unsoir,jecraquai.
—Ah,non,Sébastien!Paslecellulaireàtable!C’estinsupportableàlafin!Déjàqu’onne
tevoitpasbeaucoup,simêmequandtueslà,tun’espaslà…
— Mais si, je suis là! Excuse-moi. J’attends simplement une réponse urgente pour le
boulot,net’énervepas.
—Autantdirequetufaisàpeineattentionàcequetumanges…
—Cen’estpasvrai!Quiest-cequitemetcesidéesentête?C’esttongourou?
Respirer calmement. Ne pas entrer dans le jeu… Ne pas s’énerver… Être dans la
bienveillance…
—Exactement!Jesuismêmeentraindetravaillersurlapleineconscience,figure-toi!Et
çachangelavie.
—Jenedemandequ’àvoir,ironisa-t-il.
—Ok, je teprendsaumot.J’allais justement teproposerprochainementuneexpérience
intéressante…
—Ahoui?Etqu’est-cequec’est?
—Tuverrasbien!
Jenedisriendeplus.Jevoulaisquelasurprisesoittotale.
Je m’étais inspirée de la méthode de Claude, qui reposait sur l’expérimentation et sa
valeurhautementpédagogique, et j’avaisdénichédansParisun endroit trèsparticulier qui
allaitmepermettre de faire comprendre à Sébastien, demanière concrète et empirique, ce
qu’était la pleine conscience, ainsi que les bienfaits que l’on pouvait en tirer. J’étais toute
contentedemoietmeréjouissaisd’avancedel’effetdesurprise,imaginantdéjàsatêteetson
petitairamuséquejetrouvaissisexy.
Mais le jour dit, quand il découvrit le concept du lieu où je l’avais conduit, il fut surtout
inquiet.
— C’était ça, ton idée?murmura-t-il avec unemoue si dubitative que j’eus un brusque
accèsdepanique.
Et si cette soirée en tête à tête qui devait être une petite fête tournait au fiasco, avant
mêmed’avoircommencé?
Non!Pasquestion!
Jem’employaialorsàremonterlemoraldestroupes:
—Allez,Séb’,fais-moiconfiance!Çavaêtresuper,tuverras!Onvabienrire.
Pasconvaincue,latroupe!Alorsquenousattendionsnotreserveurattitré,jelevoyaisqui
détaillaitd’unœilsceptique l’entréeoùnouspatientions,cherchantàpercer lemystèredes
lourdes tentures qui occultaient la salle de nos futures «réjouissances», tentures qui
n’étaientpassansrappelercellesdestunnelsoùs’engouffrent lestrainsfantômesdesfêtes
foraines…
Vincent,quiallaits’occuperdenous,arrivaenfin.IlmeplaçaderrièreSébastien,etmefit
mettrelesmainssursesépaules,façonchenille.PuisilpritlesmainsdeSéb’etl’engageaàle
suivreau-delàdesrideaux.
Nouspénétrâmesalorsdansunesalleplongéedanslenoirtotal.Etquandjedis«total»,le
mot est encore faible. Soulages, le peintre connu pour ses compositions monochromes
noires,auraitparlé«d’ultra-noir».Jegloussai,toutensentantdestressaillementsdansledos
deSébastienquin’enmenaitpaslarge.
Nous trouvâmes à tâtons nos dossiers de chaises et nous installâmes pour ce dîner à
l’aveugle. Je l’avoue, les premiers instants,moi non plus, je neme sentis pas très à l’aise.
Enveloppée par ce noir complet, avec pour seul repère spatial la profondeur des sons qui
résonnaient autour de nous, j’étais gagnée par une certaine angoisse. Allais-je tenir deux
heures ainsi, privée de toute image, accrochée à cette table comme à un radeau dans
l’obscurité?
Danscenoir,nousavonsalorscommencéàcomblerlesblancsdeparolesdécousues,aussi
déboussolés l’un que l’autre par cette situation insolite, gauches et maladroits avec cette
nouvelle grille de lecture sensorielle. Mais aux paroles et aux rires animés des autres
convives,j’endéduisisquecemalaisenedureraitsansdoutepas.
Heureusement, l’arrivée du premier plat nous détendit. Vincent, non-voyant, semontra
aux petits soins, et nous servit une surprenante entrée. Dans cet univers inédit, nous
goûtionsautantavecnosdoigts,devenusnosyeux,qu’avecnotrepalais.Nousredécouvrions
l’antregustatifdenotrebouche,d’ordinairehumblechaumière,devenue,encetteoccasion,
palaisdesmilleetunepapilles, templedesaveurs inconnues.Lefaitd’êtreprivésde lavue
semblaitdécuplerlespouvoirshabituelsdenoscapteurssensoriels.
—Alors?Tuvoiscequeçafaitdedégusterenconsciencecequetumanges?
—Unpointpourtoi.
—Avouequec’estplutôtunebellesurprise,non?
—J’avoue.Tuasfaitfort!
Nosvoix,nosparolesaussi,avaientuneautrerésonance.Sanslevisageetsesmimiques,
lavibrationdenossoufflesetnosintonationsprenaientunesignificationaccrue…
Le repas se poursuivit d’exploration gustative en exploration gustative, ponctué de
dégustations œnologiques, subtils nectars dont le bouquet nous explosait en bouche. Nos
autres sens révélaient leurs talents cachés. Dire qu’en temps ordinaire, nous les utilisions
probablementàmoinsde10%deleurspossibilités!Toutcommenotrecerveau…
Aufinal,jesentisSébastienconquis.Ilcommentaitavecenthousiasmecequ’ilressentait,
essayait de définir au plus précis les nuances des aliments, des vins, de deviner quels
aromatesouquelles épices relevaient les sauces.Cetteprisede conscience le touchaitbien
plusque jene l’avaisescompté,etcetteséanced’éveilsensorielsemblait luiavoirdonné le
goûtdureviens-y.
—Trèsbelle initiation,ma chérie,merci!Mais tun’aspaspeurque tout cecimedonne
d’autresidéesd’expériencesdepleineconsciencetoutaussiintéressantesàpartager,mmm?
demanda-t-ild’unevoixchaude,enattrapantmonpainplutôtquemamain,puismamainen
renversantmonvin.
Jeris.
Je comprenais très bien de quoi il voulait parler. Et, personnellement, je n’y voyais pas
d’inconvénient!
23
J’étaisheureusedemesprogrèsetdesentirqu’enfin, j’avançaissur lebonchemin.Jen’en
ressentais pas moins, par moments, une fébrilité pénible, un état d’euphorie bizarre qui
chahutait mon sommeil et troublait ma quiétude. Autrement dit, j’étais stressée! La
bonzitude n’était pas encore d’actualité. L’effervescence des changements m’ébouillantait
l’esprit. Mes nerfs en surchauffe n’allaient pas tarder à faire sauter les résistances. Il me
fallaitrelâcherlessoupapes,souspeined’imploser.Jenepouvaispasresterdanscetétatde
hautetensionetenparlaidoncàClaude.Ilyvituneexcellenteoccasiondemesensibiliser
auxbienfaitsdelaméditationetdelacohérencecardiaque.Desconceptsovnispourunepile
électriquecommemoi…
—Resterimmobileànerienfaire,j’aihorreurdeça!Jemetrouvenulleetj’ail’impression
deperdremontemps.Non,vraiment,laméditation,cen’estpasfaitpourmoi…
—Vousditesça,maisc’estcommelereste,Camille,vousyviendrez.Ilyaencorequelques
semaines, l’idée de faire dix minutes de gym par jour vous semblait impossible. Manger
autrementaussi!
—Oui,maislà,c’estdifférent:cen’estpasdansmanatured’êtrezen!
— Personne ne vous demande de changer votre nature. Juste de créer quelques
aménagementsdansvotrequotidienpourplusdebien-êtreetdesérénité.
—Çadoitêtreformidablepourceuxquilepeuvent,jenedispaslecontraire,maismoi,je
netienspasenplace,j’aitoujoursétécommeça…
— Toujours, jamais! Et si vous en finissiez avec ces absolus? Voulez-vous, oui ou non,
vousdonnerunechanced’essayer?
J’acquiesçai,unpeuhonteuse,toutàcoup,defairetantd’histoires.
— Ne vous inquiétez pas, Camille! Vous allez y arriver. C’est un pli à prendre, tout
simplement. Après, vous ne pourrez plus vous en passer. Savez-vous que des études très
sérieuses ontmontré que lesmoines et autres adeptes de laméditation ont unemeilleure
santéetunmeilleursystèmeimmunitaire?Çavautlapeine,non?
—Sûrement,maispourl’instant,çamesemblesurtouttrèscompliquéàmettreenplace…
—Unequestion:est-cequevoustrouvezagréabled’êtrestressée,soustensioncommeça?
—Non,pasdutout!
—Pourtant,çadoitvousplaireplusquevousnelecroyez,puisquevousvousaccrochezà
cepointàvotrefaçondevivre,danslaquellevouslaissezzéroplaceaucalmeetauretoursur
soi.
Jevoyaisbienqu’ilcherchaitàmepousserdansmesretranchements.
—Ok,ok!cédai-je,alors.Jevousprometsd’essayer.
—J’aitouteconfianceenvoscapacités,medit-ilavecunbonsourire.Vousverrez,cen’est
pasplussorcierqueça.Ils’agitjustedes’entraîneràfairelecalme,lesilence,etàapprendre
àregardercequisepasseensoi.Commencezdéjà,deuxoutroisfoisparjour,paruneséance
de respiration profonde: six respirations par minute, pendant cinq minutes. C’est à ce
rythme-là que la physiologie s’apaise. Vous pouvez le faire n’importe où, même dans le
métro!
—Ilfautvoir…
—Unautreexercicetrèsintéressantestceluiquej’appellel’harmonisateur:ilmélangeles
principesdecohérencecardiaqueetdevisualisationpositive.
—Çadevientunpeucompliqué,non?
—Pas du tout! Le principe de base est lemême…Vous vous créez dans la journée une
bulledetranquillité,envousisolantdansunepièceoùvousneserezpasdérangée.Vousvous
asseyez confortablement, le dos droit, et vous installez une respiration paisible. Puis vous
portezlamainàvotrecœuretrespirezenlevisualisantquisegonfleàchaqueinspirationet
se vide à chaque expiration. Une fois le calme bien installé en vous, vous ajoutez une
visualisation positive: un souvenir qui vous «fait chaud au cœur», et vous essayez d’en
revivreintensémentlesémotionsetlessensations.C’estsimple,non?
—Ets’ilnemevientaucuneimage?
—Jereconnaisqu’audébut,çapourravoussemblerunpeudifficile.Maisjevousconseille
devous constituerpetitàpetituncatalogue intérieurd’imagesetdesouvenirspositifs.Unalbumphotomentalisé…Plusvousy travaillerez,plus ilsera fourni,etplusvouspourrezy
accéderfacilement.
—Ahoui,pasmal!
—Mais je crois qu’à ce stade, ce qui vous sera le plus utile, c’est de rencontrer un vrai
grandmaîtredelaquestion…
—…?
—MaîtreWu.Jevaisvousconduireauprèsdelui.Vousverrez,aprèscettevisite,toutvous
semblerabienplusclair…
Nousfîmestroisquartsd’heurederouteavantd’arriverchezM.Wu.J’étaisimpatientede
connaîtrecetexpertenméditation!Tandisqu’unpaysagederasecampagnedéfilaitsousmes
yeux,jem’entraînaisdiscrètementàlarespirationcontrôléeetàlavisualisationpositive.
—Vu,Camille!s’écriasoudainClaude.
—Quoi?
Ilaffichaunpetitsouriregoguenard.
— Voilà quelques minutes que je vous observe discrètement, et je vous vois vous
entraîner!
—Et…?
—Rien,rien!C’esttrèsbien!Continuez…Nevousoccupezpasdemoi.
Enfin,nousarrivâmesàdestination.Lespneuscrissèrentsur legravier, tandisquenous
pénétrionsdanslacourdelamaison.Deschiensaccoururentànotrerencontreenaboyantde
leurgrossevoixgraveenrouéedegicléesdebave.Lamaîtressedeslieuxlesrappelaàl’ordre.
Leschiensobéirentaudoigtetàl’œil.Sansdouteaurait-ellepunousfairecroquerlemollet
oulécherlamaind’unsimplehaussementdevoixoud’unclaquementdelangue.Unetelle
assurance naturellem’impressionna. Claude l’avait prévenue de notre arrivée. Son sourire
nousouvritlesbras.
—BonjourClaude.Commentvas-tu?
— Très bien, Jacqueline, et toi? C’est vraiment gentil de nous accueillir. Je te présente
Camille,dontjet’aiparlé…
Au-delàdesoncôtématrone,jedécouvrisen Jacquelineunefemmeauvisagepoupin,auxformes généreuses et au tempérament jovial. Bizarrement, je ne m’attendais pas à cette
allure.J’imaginaisquelqu’undeplus…oriental!
—Ravie de faire votre connaissance, Camille. Vous voulez donc rencontrerMaîtreWu?
demanda-t-elle,enmefixantdesesyeuxmalicieux.
—Euh,oui.
—Jecomprends!Beaucoupdepersonnesveulentfairesaconnaissance!Suivez-moi…
Nous traversâmes alorsun grand salon, joliment typé avec sa cheminée ancienne et ses
poutresapparentes,etbaignantdansledouxsoleild’hiverquifiltraitàtraversdelargesbaies
vitrées.
—J’adorevotresalon.
—Merci, réponditnotrehôtesseensouriant,apparemmentravieducompliment.Voilà…
MaîtreWuestdanslacour.Jevouslaissealleràsarencontre.Jeseraidanslacuisine.Àtout
àl’heure…
Claudeme fit passer la première. J’arborais déjà un sourire chaleureux, avenant, tandis
que mes yeux balayaient la cour. Puis mon sourire s’affaissa. Je ne voyais personne.
Déception.MaîtreWuétaitpeut-êtreparti?
Devantmonairdépité,Claudeprécisa:
—Levoilà…
Maisjenevoyaistoujourspersonne.
—Là,Camille!m’indiqua-t-ild’ungeste.
Je suivis la direction de son doigt. Confortablement installé sur un coussin brodé, un
splendidechatpersansomnolaittranquillement,allongédetoutsonlong.Ilsedégageaitde
luiunmélangedemajestéetdepaixabsolue.J’accusailecoup,puis,retrouvantmesesprits,
metournaiverslejoyeuxplaisantin.Troisquartsd’heurederoutepourça?
—Vousalors!dis-jed’unevoixlourdedereproches.
LevisagedeClaudeaffichaitunmélangedesatisfactionetdecontrition.Ilétaitsansdoute
contentetconfustoutàlafoisdesablague.
—Pardonnez-moicepetittour,Camille.Mais jen’aipastrouvédemeilleurexempleque
MaîtreWupourvousmontrercequepouvaitêtre larelaxation!Vousquiavez l’impression
quevousnesaurezpasméditer,commencezparapprendreàfairelechatquelquesminutes
parjour!Luin’apassonpareilpourêtrepaisibleetcalme,bienancrédansl’instantprésent!
Je lui lançai un regard furibond qui le motiva à se réfugier dans la cuisine, auprès de
Jacqueline.
Restée seule avec Maître Wu, je pris quelques instants pour le regarder vivre et fus
surprisedemesentirenvahieparuneagréablesensationdepaix.Ilécrivait,desespaisibles
battementsdequeue,uneinvisibleprosesurl’élogedelalenteur.Unhymneaucarpediemà
luitoutseul.Ilnebronchapaslorsquejeplongeailamaindanssafourrurechaudepourune
longuecaresse.
JesusdèslorsquejenepourraisplusenvouloiràClaudedem’avoirconduiteici.Apaisée,
je les rejoignis, Jacqueline et lui,dans la cuisine. Ilsbavardaient gentiment,dégustantune
tassedethéàlamenthe«dujardin»,meprécisanotrehôtesse.JevisqueClaudeguettaitsur
monvisagel’étatdemonhumeur.Ilylutmonremerciementmueteteneutl’aircontent.
L’après-midi s’achevaparunenote gourmande, avecune tarte auxprunesqui neme fit
pasregretterledéplacement…
24
DepuismarencontreavecMaîtreWu,jem’amusaisàjouerleplussouventpossibleauchat,
pourleplusgrandbonheurdemesterminaisonsnerveuses.
Bizarrement, plus je gagnais en sérénité, plus je sentais mon énergie vitale revenir en
force.Etavecelle,jedoisl’avouer,unerecrudescencedelibido!Honnêtement,j’enétaisun
peudéboussolée.Embarrasséedecesnouvellespulsions,j’essayaid’aborddelesignorer.Je
n’osaisenparleràClaude…Nemejugerait-ilpasunpeutrophardie?
Finalement,n’ytenantplus,jeprovoquaiunediscussionsurcethème.
—Jenesaispascommentvousenparlermais…voilà:depuisquelques jours, jeressens
unesortede…regaindelibido,etçamelaisseperplexe.Jevoulaissavoirsiçaavaitunlien
avecnotreprogrammedetransformation.
Il se racla la gorge, manifestement surpris par ma question, mais me répondit quand
même.
— Ça ne me surprend pas plus que ça, Camille. Oui, bien sûr, ça va de pair avec les
changementsquevousavezmisenœuvre: le faitd’agir,dereprendrevotrevieenmain,de
travailler votre physique et votremental contribue à générer d’excellentes énergies.Ce qui
vousmetforcémentdansdebonnesdispositionspourvivreàfondvotreviedefemme.C’est
plutôtunebonnenouvelle,non?
—Oui…maisjenesaispourquoi,jemesensmalàl’aise.C’estpourçaquej’aieubesoin
devousenparler…
—Mmm… Je comprends. Peut-être que vous êtes étonnée de découvrir une facette de
vous-même jusque-là inexplorée? Une autre Camille, en quelque sorte. Une femme plus
audacieuse,assumantmieuxsesdésirsetsasensualité.
Jerougis.
—C’estque…jenesuispasencoresûred’aimerl’imagequeçapourraitrenvoyerdemoi…
—C’estbiennormal.Encoredenosjours,lepoidsdupatrimoineéducatifbien-pensantse
faitsentir.Desmillénairesdesexualitépasséeàlamoulinettedelamoraleetdestabous,ça
laisse des traces! Et les femmes commencent à peine à assumer pleinement une sexualité
libéréeetdesdésirsaussi fortsqueceuxdeshommes…Ilne resteplusque tout lemonde
acceptecettenouvelledonneérotique!
—Justement,j’aimeraisbieninsufflercesnouvellesénergiesàmoncouple.Êtreforcede
proposition,innover,sivousvoyezcequejeveuxdire…Vouscroyezquejedoismelancer?
Claudemesourit,lesyeuxpétillants.
—Sansaucundoute.Votremarinepourraqu’apprécier!
Passisûrqueça…
Jeme lançai toutdemême…Durant toute lasemainesuivante, jecomplotaipourpréparer
masurprise.Adriencaséchezmamèrepourlasoirée.Larobenoireauchicéternel,avecce
qu’ilfallaitd’audacedansledécolletépourtroublermêmeuncompagnondelonguedate.Les
escarpinsauxtalonsdedixcentimètresréservésauxgrandesoccasions.Lechampagneprêtà
êtreservidansdescoupesgivrées,pourréserverunaccueildignedecenomàmoncheret
tendre.
Underniercoupd’œildanslemiroir:assurément, j’étaissublime!Celafaisait longtemps
que jenem’étaisvuunesibelle ligne,desyeuxaussipétillantset le teintaussi lumineux.
Sébastienallaitfondre…Nepouvaitquefondre…
Quand il rentra, il mit quelques secondes à s’acclimater à la pénombre avant que son
regardnetombesurmoi.Jeluienvoyaialorsmonsourirelepluscharmeur,quilestatufia.Je
profitai secrètement de cet instant suspendu où je lisais dans ses yeux l’effet escompté: la
surprise,letrouble,l’intérêt.
Enfin!
Je décidai alors d’entrer de plain-pied dans le théâtre dema reconquête et de lui jouer
directementlagrandescèneduII,celledubaiserdecinémasouslesspotlightsdel’halogène
dusalon.
Mesbrassefirentlianesautourdesesépaules.
—Hellobeaubrun,dis-je,enempruntantunevoixrauqueetsensuelle,jeuderôleoblige.
Celam’amusaitdelesentirbousculé,presqueintimidé.
—Waouh,quelaccueil!souffla-t-il.Tuesmagnifique!
Jejubilaiintérieurement.
—Et vousn’avez encore rien vu!dis-je, le vouvoyant àdessein, complètement absorbée
parmonrôlededéesseglamour.
Rideauxsurnospaupières.Planrapprochésurunbaisersuaveettorride.
J’écrasaima bouche contre la sienne, prise àmon propre jeu de sensualité.Mon corps
cambrépressécontrelesien,unemainappuyéesurlebasdesesreins,l’autreglisséesoussa
chemise, jeprojetaisdéjà la scène sur l’écrannoirdenotrenuitblanche.J’étaisgrisée.Ma
mains’aventuraitdéjàlelongdesacuisse,lorsqueSébastienm’arrêta.
Jenecomprispaspourquoi.
— Ça va, chéri? Qu’est-ce qui se passe?murmurai-je d’une voix déjà engourdie par les
prémicesduplaisir.
—Oui,oui,çava,c’estjusteque…
Montéléphonesonnaàcemoment-là.Jemaudislesnouvellestechnologies.Allonsbon!
Mamère…
J’avais oublié de mettre l’antihistaminique d’Adrien dans son sac. Petit nœud de
culpabilité.Jelarassurai:pourunsoir,cen’étaitpastrèsgrave.Oui,ilpourraits’enpasser.
Non,paslapeined’alleràunepharmaciedegarde.Tandisquejel’écoutaisdistraitement,je
jetaisdesregardsobliquesàSébastien,pourtenterdesondersonhumeur.
— Oh, oh! gloussa ma mère. À ta voix, j’entends que je dérange! Dis-moi, ta soirée
s’annonceplutôtbien,non?
Jedétestail’idéequ’elleessaiedes’imaginercequiétaitentraindesepasseràlamaison.
—Maman!protestai-je.
Puisjemeradoucis.C’étaitquandmêmegrâceàellequejepassaiscettesoiréetranquille.
Enfin, j’espérais qu’elle ne serait pas que tranquille! Quoi qu’il en soit, je la remerciai
chaleureusementavantderaccrocher.
Sébastien s’était levé et se tenait à présent près de la fenêtre, me tournant le dos. Je
m’approchaisansbruit,leprisdansmesbras,etluimurmuraiàl’oreille:
—Eh!Qu’est-cequinevapas?
Pournepasavoiràrépondre,ilsemitàmedonnerunepluiedepetitsbaisersdanslecou,
surlesjoues,surlabouche.
—Sébastien,arrête,dis-jedoucement.Dis-moi.
Sesyeuxfuyaientlesmiens.D’unemaintendre,jel’obligeaiàmeregarder.
— Excuse-moi, Cam, lâcha-t-il, c’est absurde. Je ne sais pas ce qui m’arrive. Tu es là,
superbe,sexy,entreprenanteetd’uncoup,çame…
—Çatequoi?
—Jenesaispas,çamefaitbizarre!
Jerelâchaimonétreintepourm’éloignerd’unpas.
—Ok.Tun’aimespas,quoi?
—…
Sonsilencemeblessaetjesentismonterenmoiuneboufféed’énervement.Déçueautant
qu’agacée, je saisis les coupes de champagne vides pour les rapporter à la cuisine, faisant
claquerbruyammentmes talons sur leparquet en signedeprotestation.Je rangeai tout ce
quimetombaitsouslamainavecleplusdebruitpossible.
Luis’étaitapprochéensilence,etsetenaitaussi immobilequejem’agitaisdanstousles
sens.Jesentaissurmoisonregardtristeetconfus.Auboutd’uninstant,n’ytenantplus,je
m’arrêtaidevantlui.
—Quoi?Parle!Vas-y!Qu’est-cequinevapas?
Ilhésitaitàseconfier.Jelevoyaisàseslèvresquiremuaientdanslevide.
Puis,soudain,iléclata.
—Jesuiscon,jesuistropcon,pardon!Depuisquelquetemps,tuestellementdifférente,
tellementplus…Etmoi…moi…
Maintenant,c’étaitluiquis’agitait,parcourantlapiècedelongenlarge,faisantdegrands
gestesaveclesbrascommepourmieuxtrouversesmots.
Sagaucheriem’attendrit.Jem’approchaietluienserrailatêteentremesmains.
—Quoi,toi?dis-jedoucement.
—Moi…J’aipeur,jecrois.
—Peur!?
— Oui, peur. Tous ces changements dans ta vie… Ta manière d’aller de l’avant, de
bousculerteshabitudes,d’oserêtrepleinementtoi…
—Ehbien?C’estplutôtpositif,non?
—Oui…C’estbien,mais…
Il gardait sa confidence sur le bout des lèvres, sans doute inquiet de ce que j’allais en
penser.
—Maisquoi,Sébastien?
— Et si je ne changeais pas assez vite à ton goût? Si je n’étais pas à la hauteur de la
nouvelleCamille?
C’étaitdoncça?Jen’auraispascru.Jeletrouvaitouchantdanssescraintes.Jeplantaiun
regardbienassurédanslesienetluisourisavecamour.
—Jamaisdelavie!Qu’est-cequetuvasimaginer?Jet’aimeSébastien,commejamais.Et
tousceschangements,c’estaussipourtoiquejelesfais,pourquetusoisfierdemoi,quetu
metrouvestoujoursdésirable!
—…
Ilapprochases lèvresdesmiennesenguisede réponseetmuselamesdoutesd’un long
baisertroublant.Etcettefois,riennipersonnenel’interrompit…
25
Depuiscettenuit-là, l’ambianceàlamaisons’était transforméeradicalement.Unsiroccodecomplicitésoufflait surnosamours,dont lesbraises ravivéesnedemandaientqu’àprendre
deplusbelle.Quantàmonfils,j’avaisdécidéd’adopterlesprincipessuggérésparClaudeafin
deneplusstresserpourunouipourunnon:arrêterd’enfairetropetdem’enfairetrop!Bref,
m’offrirplusdelégèretédanslamanièred’accomplirlestâchesquotidiennes.«Descendsde
tacroix,onabesoindubois»,m’avaitditClaudeunjourenriant,pourmefairecomprendre
qu’il fallaitquej’abandonnemonrôledemèreauborddelacrisedenerfpourm’yprendre
différemment.
Tout d’abord, je pris le temps de m’intéresser un peu plus à l’univers d’Adrien. En
catimini,jememisàlapagedesdernièresgrandesactualitésfootballistiques.J’apprismême
parcœurlenomdesplusgrandsjoueursetlesprincipalesrèglesdujeu.Lasoirée«match»
suivante, au lieu d’être pour moi un morne temps mort, fut réjouissante: la tête de mes
hommesébahisparmesconnaissancesvalaitledétour!Ducoup,Adrienm’interpellaautant
quesonpèrependantlematch.«T’asvucetteaction,maman?»criait-ilàtoutboutdechamp,
enmedonnantdesbourradesviriles.Etaupremierbutdesonéquipefavorite,c’estdansmes
brasqu’ilsautapourcrier«Goal!»Poursûr,moiaussi,j’avaismarquédespoints.
J’entreprisaussidem’initierà sonuniversmusical enécoutant seshitspréférés.Bruno
Mars,ArianaGrande,NickiMinaj, JacksonDerulo,DavidGuetta…Lapremière fois que je
memis à entonner lesparolesd’unede ses chansonspréférées enmême tempsque lui, il
n’enrevintpasetjecrusliredanssesyeuxquelquechosequiressemblaitàdel’admiration
teintéederespect.
Ces nouvelles dispositions changèrent considérablement la couleur de nos relations. La
portedudialogues’ouvraitgranddenouveau.
Surcettelancée,jem’attaquaiaupointnoirdesdevoirs.
— Tu sais, Adrien, je déteste quand jememets en colère, que je te crie après pour les
devoirs et qu’on se dispute… Je me sens très mal… J’ai vraiment envie que les choses
changent.Pastoi?
Ilfitouidelatête.
— Est-ce que tu saurais expliquer, toi, pourquoi tu trouves si difficile, parfois, de t’y
mettre?
Ilpritletempsderéfléchiretjetrouvaisonsérieuxàchoisiraumieuxlesmotspourme
répondreattendrissant.
— Je sais pas. Déjà, c’est pas drôle, les exercices, et puis il y en a trop. Surtout, j’ai
l’impressionqueçat’énervetellementqueçamestresse.J’aipeurdemetromperetquetu
megrondes…Ducoup,j’aimêmeplusenvied’essayer.
J’accusai le coup et repensai au conseil de Claude: laisser de côté la mitraillette à
reprochesetparlerdesonressenti,dire«je».
—Quandjem’énerve,luiexpliquai-jealors,c’estquejesuisinquiètepourtoi.Jepenseà
ton avenir et j’ai peur que tu ne prennes pas assez tes études au sérieux. C’est tellement
importantpourplustard,debientravailleràl’école!Cequejeveux,c’estquetupuissesavoir
lameilleureviepossiblequandtuserasgrand.
—Jesaismaman.Maistut’inquiètestrop!Tunemefaispasassezconfiance.
—C’estpossible,concédai-je,ensouriant.J’essaiejusted’êtreunemamanacceptable.
—Arrête!T’esunesupermaman!
—Tucrois?
—Maisoui,m’assura-t-il,enprenantmamaindanslasienneavecunsourireespiègle.
Mon cœur se gonfla de gratitude. Je songeai aux techniques de pédagogie positive que
Claudem’avaitdonnées.
—Quedirais-tusionessayaitdechangerlafaçondefairelesdevoirs?suggérai-jealors.
—Comment?
—Ehbien,onpourraitfaireensortequecesoitplusamusant,parexemple…
—Çam’iraitbien!
—Tope-là!
On topa de troismanières différentes, avant de se prendre dans les bras l’un de l’autre
pourungroshug.
—Jet’aimemaman,murmura-t-ildansmoncou.
Jeleserraiplusfort.
—Moiaussi,jet’aime,monchéri.
C’estainsiquejemisenplaceuneméthoded’éducationmoinsorthodoxemaisôcombien
plus amusante. J’utilisai par exemple le principe du 1,2, 3, soleil pour les récitations: tu
avancesd’unpasverslatableàchaquebonneréponseettureculesdedeuxquandc’estfaux.
Ou bien l’apprentissage des leçons en chansons. Un vrai succès! Non seulement Adrien
apprenaittroisfoisplusvite,maisenplus,ils’amusaitcommeunfou.
J’appliquai la même approche pour les corvées de table et de cuisine. Au lieu de
m’égosilleràdemandercinquante foisdesuiteuneaidequimettaitdesheuresàarriver, je
trouvai une astucepourmotiverAdrien: je le convainquis de créer avecmoi un restaurant
imaginairedontilseraitlechef.Safaçondes’impliqueretdeseprendreaujeumesurprit.Je
nem’attendaispasàcequeçamarchedanscesproportions.
Ilpritsiausérieuxcetteentreprisequ’ilcréaunerecettetoutàfaitoriginaledeboulettes
deviandeauxseptépices,àl’indienne.Jecoupailaviandeendés,illahachaaveclerobot.Je
coupaide l’ail, ilbroyaaupilonunechapeluremaison.Luiquid’habitudenejuraitquepar
les écrans, semblait s’en donner à cœur joie avec ces travaux manuels! L’étape finale de
rouler les boulettes dans l’œuf puis dans la chapelure aux graines de sésame fut pour lui
carrémentjubilatoire.Jelerevis,cinqansplustôt,quandiljouaitencoreàlapâteàmodeler
avec cette grâce enchantée de la petite enfance…Nousn’échangeâmes que peude paroles,
durantcetteséanced’intensecréationculinaire,maisnossouriresetnosgestessynchronisés
endisaient longsur l’harmoniede l’instant.Engrandchefétoilé, il s’amusaitàmedonner
des ordres comme si j’étais son commis, rôle auquel je me pliais volontiers, tant j’étais
heureusedevoirmastratégiefonctionner…
Ces changements me permirent ainsi de dégager du temps et de l’énergie pour me
consacreràunetâched’envergure:construiremonnouveauprojetprofessionnel.Carc’était
décidé, je ne voulais plus continuer à exercermonmétier de commerciale,mais revenir à
monrêveinitial:travaillerdanslestylismeetlacréationpourenfants.
Commeme ledisaitClaude, ilétait tempspourmoide fairecoïncidermonprojetdevie
avecmapersonnalitéetmesvaleursprofondes.
Jecommençaiparmelancerdansdesrecherchesexploratoires.Mondésirprofondn’était
pas de prendre une franchise, mais de créer ma propre marque, mon propre concept.
Rapidement, néanmoins, je dus me rendre à l’évidence: le marché du prêt-à-porter pour
enfantssemblaitsaturéetlesdébouchésbienminces…
Autre constat sans appel: avec la crise, les gens ne dépenseraient jamais des sommes
importantes pour acheter des vêtements de bébés qui, un mois après, seraient déjà trop
petits…
Dèslors,quelcréneautrouver?
L’inspiration me vint en «googlestormant». Une technique de créativité inspirée du
brainstorming dontm’avait parlé Claude et qui permettait de trouver des idées grâce aux
recherchesparinternet.
C’est ainsi que je tombai sur une marque néerlandaise qui proposait un principe de
fashion leasing: louer ses vêtements à l’année, comme son véhicule ou son appartement!
Moyennantunabonnementmensuelde cinqeuros, le client avait l’assurancedeporterun
vêtement demarque toujours à la dernièremode, tout en étant acteur du développement
durable,aveclapossibilité,aufinal,d’acheterlevêtementoudelerendrepourprofiterd’un
autreenlocation!
Mon cerveau s’emballa aussitôt: pourquoi ne reprendrais-je pas ce principe pour des
vêtementsdetout-petits?Desvêtementsbioéthiquespourles0-3ans,auxquelsj’apporterais
une véritable valeur ajoutée par le biais d’ajouts de matières et de motifs qui rendraient
chaquepièceunique.Jen’auraisqu’àm’associeravecdesfournisseursdevêtementsdebase
bioéthiques, bodys, T-shirts, pantalons, pour ensuite les personnaliser. Du prêt-à-porter
hautecoutureaccessibleàtouteslesbourses…Oh,oui…Jetenaislàquelquechose!
Mon esprit s’échauffait, emporté par l’enthousiasme. Tous les parents adorent créer un
lookàleurbébé.Quin’ajamaisgagatisédevantleshabitsminiatures,sicraquants?Seulhic:
le prix prohibitif de tenues originales dont il faut changer trop souvent…Mais avec mon
concept, ils pourraient renouveler autant qu’ils le voudraient la garde-robe de leurs petits
mignonsgrâceausystèmedelalocation!Rapidement,j’établisunebasedecalcul:jepourrais
proposeruncontratdelocationdechaquepetitvêtementàcinqeurosparmois,enmoyenne.
Je travaillai sans relâche pour peaufiner mon projet, commençai à créer mes premiers
prototypespouravoirdequoidémarcherdespartenaires.
Sur le conseil de Claude, je pris contact avec une pépinière d’entreprises, structure
d’accompagnement de tout porteur de projet de création, et préparai un solide dossier de
présentation.Puisjecroisailesdoigtspourobtenirl’accordducomitéd’agrément…
Leschosesprenaientune tournureplutôt convaincante.Je sentaisdebonnesvibrations.
Quinze jours plus tard, lorsque je reçus une réponse positive de la pépinière, j’en tombai
presque à genoux de bonheur! Sébastien, malgré des inquiétudes somme toute bien
légitimes,avaitdécidédemesoutenir.Nerestaitplusmaintenantqu’àannoncerla«bonne»
nouvelle à ma mère… Cette idée m’enchantait beaucoup moins. Pour elle, un poste
permanentétait,professionnellement,laseuleoptionrecevable.Laconnaissantcommesije
l’avais faite – et non l’inverse –, j’appréhendais de lui révéler les bouleversements dema
vie…Àjustetitre.
26
Je sonnai à la porte du petit appartement qui m’avait vue grandir avec un mélange
d’excitationetd’appréhension.Mamèrem’accueillitavecungrandsourireetmeserradans
ses bras, en une tendre accolade. J’étais nouée à l’idée de ce que j’allais lui annoncer,me
demandant comment elle réagirait. Je savais que d’ici quelques instants peut-être, cette
harmonietoutmielvoleraitenéclats…
— Installe-toi, ma chérie. J’arrive. Il faut juste que je voie où en estma blanquette de
veau…
—Maman!Tut’esencoredonnétropdemal!Jet’aiditunpetitsoupertoutsimple.
—C’esttroisfoisrienetçamefaittellementplaisir!
Jecapitulai.Commetoujours.
Jem’installai sur le canapé du petit salon, les jambes croisées, les battements demon
cœur serré réglés sur ceux de la grande horloge design qui trônait dans la pièce, trophée
rapportéd’unpéripleàNewYork.
Mamèremerejoignit,fringanteàl’idéedecetête-à-têteentrefilles.
—Voilà!Jesuistouteàtoi!
Jemeraclai lagorge.Elles’aperçutdemonmalaiseetuneombrepassaaussitôtsurson
visage.
—Çava,machérie?Tuasl’airtoutchose…
—C’estque…j’aiunenouvelleimportanteàt’annoncer.
—OhmonDieu!TuquittesSébastien?
—Maisnonmaman…
—C’estluiquitequitte?
— Maman! m’agaçai-je. Pourquoi faut-il que tu projettes toujours sur moi tes pires
angoisses?
Sonvisageserembrunitplusencore.
—Jeneprojettepas,machérie.Jesuisjustelucidesurlaréalitédelavie…Regardeceque
tonpèrenousafait…
—Ça, c’est ton histoire,maman! Ça ne veut pas dire que les choses se passeront de la
mêmemanièrepourmoi!
—Tuasraison,excuse-moi…Alors,cettegrandenouvelle?Oh,jesais!Tuesenceinte!
Pourquoi fallait-il toujours qu’elle revienne à la charge sur ce point? Ne pouvait-elle
respecterlefaitquejenedésiraispasd’autreenfant?
—…
—Non?Bon…Dis-moi,alors,m’encouragea-t-elle,enmeprenantlamain.
—Jevaisquittermontravail.
Elleretiraaussitôtsamain.
—Cen’estpasvrai?
— Si maman, c’est vrai. Tu sais, il y a quelque temps, j’ai rencontré un homme
formidable…
—TutrompesSébastien!s’indigna-t-elle.
—Maman!Arrêtedefinirmesphraseset laisse-moiteraconter!Biensûrquenon, jene
trompe pas Sébastien… L’homme que j’ai rencontré m’accompagne depuis quelque temps
afindem’aideràfairelebilandemavieetàretrouverlechemindemonbonheurperdu…
— Comment ça, perdu? Je croyais que tu étais heureuse! Pourquoi tu ne m’en as pas
parlé?Jenecomprendspas…Tuasuntravail,unmariquit’aime,unenfantmagnifique…
—Ouimaman,j’aitoutçaetjecroyaisquej’étaisheureuse,moiaussi…Maisunmatin,je
me suis réveillée complètement vide, submergée par un vague à l’âme terrible… Grâce à
Claude,jesuisentrainderetrouverunsensàmavie.
—Claude?Ils’appelleClaude?Qu’est-cequ’ilfait,cetype,danslavie?
—Ilest…routinologue.
—…
—C’estunenouvelleapprochededéveloppementpersonnel, très forte…, tentai-jedeme
justifier.
—Qu’est-cequec’estquecetruc?s’alarma-t-elleaussitôt.Tusaisqu’ilfautseméfier…Ily
a tellement de charlatans, maintenant! Sous prétexte de te vendre du rêve et une vie
meilleure,ilstefonttombersousinfluence…
Jesavaisqueçatourneraitcommeça…
—Maman!Cen’estpasdutoutça!Quandest-cequetuarrêterasd’avoirpeurpourmoiet
demetraitercommeunepetitefille?Jesaiscequejefais.
—…
Etmaintenant,lemutisme.Ellememettaitlesnerfsàvif.
—Jevaisenfinréalisermonrêve,maman:monterunprojetpourtravaillerdanslamode
pourenfants.
—Tuesconscientequec’estbouché,commesecteur?
Jelasentaisoscillerentrel’anxiétéetl’offuscation.
—Oui,maislà,j’aiimaginéunconceptuniqueetoriginal!Tuconnaisleleasing?
—Leleasing?Non…
—C’estunsystèmepratique,économiqueetécologiquequipermetauxgensdelouerdes
produits,avecoptiond’achat.C’estdéjàtrèsrépanduchezlesconcessionnairesautomobiles
etdanslesecteurdujouet.Encettepériodedecrise,lesgensn’achètentpasdevêtementsde
luxepourlesbébés.Tropcherpoursipeudetempsd’usage.Parcontre,jeleurproposeraide
leslouermoyennantcinqàquinzeeurosparmois.Jesuissûrequeçavaêtreunsuccès!
Jem’emballai.Maismamère,detouteévidence,étaitloindepartagermonenthousiasme.
— Et tu quittes ton emploi pour ça? Moi qui, toute ma vie, ai essayé de t’inculquer
l’importancede la stabilité financière…Tu te rendscompteque tupourraismettreenpéril
tonéquilibrefamilialetleconfortmatérield’Adrien,sijamaisçanemarchaitpas?
— Pourquoi faut-il toujours que tu envisages le pire? J’ai besoin que tu croies enmoi,
maman!Pasqueturuinesmesprojetsàcoupsd’inquiétudeetdepessimisme!
—EtSébastien,ilenpensequoi?
—Ilmesoutient.Nousavonsfaitnoscalculspourtenirlecouplespremierstemps…
—Quederisques!Quederisques!
— Oui, mais la vie elle-même est un risque! Il faut que tu comprennes que ce projet
représente pour moi une immense bouffée d’oxygène. J’ai l’impression de revivre, d’être
enfinmoi!
—…
Autantparleràunmur!
—Bon,jecroisquejevaisyaller.Jevoisbienquetun’espasencoreprêteàacceptercette
idée.
—…
Ellenecherchapasàmeretenir.Ellesemblaitassommée!
Une fois dans la rue, je fus saisie d’émotions contradictoires. Triste de me sentir
incomprise parma propremère. Agacée qu’elle neme fasse jamais confiance quant àma
capacitéàm’ensortir,maisaussi libéréed’avoirétémoi-même, fidèleàmes rêvesetàma
personnalitéprofonde.Enfin,j’avaismisunstopau«faireplaisir»systématique.J’osaisvivre
la vie qui me ressemblait et non une vie que ma mère avait imaginée pour moi. J’étais
néanmoinsencoreunpeumalàl’aisedansmanouvellepeau;jeressentaisdel’inconfort…Je
m’exaltais sur mon nouveau projet, mais que se passerait-il si, au bout du compte,
j’échouais?Simamèreavaitraison,avecsesmisesengarde?Cespenséesmegâchèrentun
peuleplaisir…Jeressentisalorsunvifbesoind’enparleràClaude.J’avaishâted’avoirson
avissurlesujet.
27
Claudem’avait de nouveau donné rendez-vous pour une de ces séances aussi inattendues
dansleurformeetleurcontenuquerichesd’enseignements.Maiscettefois,j’enconnaissais
précisément le lieu: lemuséeduLouvre. Jene voyais cependant pas pourquoi ilm’y avait
entraînée,ettandisquenousarpentionslesinnombrablesgaleries,jemedemandaiscequ’il
allaitbienpouvoir tirerdesongrandchapeaudemagicien.Enattendantde lesavoir, je lui
contaimon face-à-face avecmamère.Mais je le trouvai distant, ce qui ne lui ressemblait
guère. À quoi songeait-il? M’écoutait-il vraiment? Je m’évertuais à essayer de lui fairecomprendremesémotions,àquelpointlescepticismedemamèrem’avaitébranlée,etluine
sourcillaitmêmepas,poursuivantsacalmedéambulationparmilestableaux…
—Claude,vousnem’écoutezpas!m’impatientai-jeàlafin,énervéedesondétachement,
alorsquejevivaisunvéritabletsunamiintérieur.
Aprèstout,c’étaitluiquim’avaitdemandédelerejoindreauLouvre!Sic’étaitpourlevoir
agirexactementcommes’ilyétaitvenuseul,àquoibonm’êtredéplacée?
Ilnemeréponditpas,etmit ledoigtsur labouchepourm’enjoindrede fairesilence.Je
fussurlepointd’exploserd’indignation.Ilaccéléracependantlégèrementlepaset,avecun
sourireénigmatiquedecirconstancedansletempledelaJoconde,meconduisitdanslasalle
du grandMaître, Léonard de Vinci. Toujours sans un mot, il me fit asseoir sur l’une des
banquettes,faceàsonultimechefd’œuvre:LaVierge,l’EnfantJésusetsainteAnne.Etnous
restâmeslàunelonguepoignéedesecondes,faceàlatoile.
—Quevoyez-vous,Camille?medemanda-t-ilenfin.
Perplexe,jelaissaimesyeuxcourirsurletableau,essayantd’enpercerlasignification.
—Ehbien,jevoislaViergequisemblevouloirprendrel’EnfantJésusdanssesbras,mais
enmême temps, j’ai l’impression que l’enfant essaie de lui échapper, plus intéressé par le
petitagneauqu’ilveutlui-mêmeattraperqueparlatendreinvitedesamère…Quantàsainte
Anne,jeluitrouveunairdedétachementetdebienveillance.
Claudesouritàmespropos.
—Enfait,Camille,jevousaiamenéeicipourvousmontrercetableauetvousexpliquerce
qu’ilreflèteàmesyeuxdelarelationmère-enfant.
Larelationmère-enfant…L’image furtived’Adrienmurmurantdansmoncou«je t’aime
maman» traversamonesprit, et j’eus enmême temps la sensationphysiquede sa chaleur
contremoi.Puisjemerevisdanslesalondemamère,essayantdeluiparlerdemesprojets
professionnels,souslejetconstantdesesinterruptions.
—L’agneausymbolise le sacrifice,poursuivitClaude, et le faitqueJésus leprennedans
sesbrassignifiequ’ilacceptesondestinfuneste.Marie,entantquemère,chercheàl’éloigner
decedestinde souffrance.Cequedit songesteprotecteur.Quantà sainteAnne, elle reste
dans une attitude de retenue; elle regarde sans intervenir, ce qui montre qu’elle accepte
symboliquementledestindesonpetit-fils.
Cette analyse éclairante de ce qui n’était encore pour moi, quelques instants plus tôt,
qu’unecharmantescènepastorale,mesouffla.Suspendueàsesparolesetlesyeuxfixéssur
letableauavecunintérêtrenouvelé,j’attendislasuiteavecimpatience.
—Toutemèreapeurpoursonenfantetcherchepartouslesmoyensàlepréserverdela
souffrance,Camille.C’estnaturel, intrinsèqueàl’amourmaternel.Maiscepeutêtreparfois
unfreinpourl’enfantquidoitaccomplirsondestinetfairesavie.Vousétiezjusqu’àprésent
dansunequêteconstanted’approbationvis-à-visdevotremère.Vousavezétouffévosdésirs
pourluifaireplaisiretnepasdécevoirsesattentes.C’estcommesivousaviezmarchétoutce
temps dans des chaussures trop étroites. Et maintenant que vous lui annoncez que vous
suivezvotreproprevoie,çaluifaitpeur.C’estnormal.Maisvousdevezapprendreàluilaisser
sa peur, à ne pas la prendre pour vous et à poursuivre votre chemin, en vous faisant
confiance. Quand elle vous verra épanouie et heureuse, croyez-moi, elle se réjouira pour
vous!
—Jel’espère,Claude,jel’espère…
Tout en lui répondant, je me demandai quelle sorte de mère j’étais exactement pour
Adrien.Est-cequejefaisaisbienleschoses?Est-cequej’avaislabonneattitude,cellequilui
permettrait de s’épanouir aumieux de ses capacités? Il était encore jeune, ses désirs, ses
besoins ceux d’un enfant… Mais quand il grandirait? Quand il devrait faire ses choix,
construiresonchemind’homme?Saurai-je l’accompagnersansprojetersur luidesattentes
qui ne seraient pas les siennes, commemamère l’avait fait pourmoi? Saurai-je l’écouter
vraimentetl’aiderdanssaréalisationdesoi?Oncroitfairepourlemieux,maisparfois,nos
craintes,notreamourmêmenousaveuglent…
Claude s’était tu, commepourmieux laisser le champ libre àmespensées. Je lui fisun
petitsourirepourluiindiquerquej’étaisànouveautoutouïe,etilreprit:
—Aujourd’hui,Camille,votremèreapeurquecechangementd’orientationvousapporte
son lot de souffrance.Or, il va bien falloir qu’elle comprenne qu’au bout d’unmoment, la
vraiesouffrance,pourvous,seraitderestersansagir!Leplusgrave,cen’estpasd’échouer.
C’estdenepasavoiressayé.Detoutefaçon,onnepeutjamaisseprémunirdeséventuelles
souffrances,carellesfontpartiedelavie.Vouloiryéchapperestimpossible.Lavieestfaite
depainnoiretdepainblanc.Chacundoitl’acceptercommepartentièredesrèglesdujeude
l’existence!Résisteràcetteréaliténefaitquerenforcerlemal-être.C’estpourquoilessages
apprennent à agir sur ce sur quoi ils ont prise, non sur le cours extérieur des événements
maissurlafaçondelesappréhender.
Ses paroles me faisaient l’effet d’un filet d’eau fraîche un jour de canicule. Elles
renforçaientmadéterminationàpoursuivredanslavoietouteneuvequejem’étaistracée,et
medonnaientdugrainàmoudrepourplustard,lorsqu’àmontour,jeseraisconfrontéeaux
choixfondamentauxqueferaitmonfilspourforgersonavenird’adulte.
Aussi,lorsqu’ungroupedetouristesétrangers,nombreuxetbruyants,fitirruptiondansla
salle, interrompant notre passionnant échange, je grommelai et ne pus réprimer des
claquementsdelanguedésapprobateurs.
Claude,lui,restaimpassibleetsouriant.Riennel’énervaitdoncjamais?
Ilm’entraînadansuneautresalle,toutenpoursuivantsesexplications:
—Voyez,Camille,l’impactqu’ontencoresurvousdesélémentsextérieursperturbateurs.
Vouslaissezvotrebien-êtreàleurmerci.Laréalité,c’estquevousn’aurezjamaisvraimentla
mainsurlecoursdeschoses,etvousrisquezd’êtreéternellementcommeunpetitbouchon
de liège ballotté sur des flots capricieux. Pour le sage, la tempête peut bien faire rage en
surface,enprofondeur,lecalmerègnetoujours…Lesecret,c’estdereprendrelecontrôlede
votrementaletdedéciderquemêmeleschosesdésagréables,vouslesvivrezbien.Devoirdu
positifmêmedans le négatif.Vous verrez, c’est une façond’aborder l’existence qui change
tout.
—Ouimaisquandmême…Cen’estpassisimpledecontrôlersespensées!Nosréactions
nesontpastoujoursrationnelles.Moi,parexemple,çafaitplusieursjoursquejedoute,que
jenesuisplussûrederienpourmonprojet…J’aipeur.Jetrouveçatellementrisqué!Sans
compterquemamèren’estpas laseuleàémettredesréserves.Mameilleureamieetmon
oncle aussi m’ont dit qu’ils trouvaient que c’était fou de se lancer dans un concept aussi
incertainenpleinecrise!Jemedemandesijenevaispastoutarrêter…
Claudeposalamainsurmonavant-bras,etmeparlacommeàunepetitefillequiapeur
dunoir,d’unevoixchaudeetrassurante.
—Camille,etsi,pourcommencer,vousremplaciez«j’aipeur»par«jesuisexcitée»?Cette
astuce marche plutôt bien. Oscar Wilde disait: «La sagesse, c’est d’avoir des rêves
suffisammentgrandspournepas lesperdredevue lorsqu’on lespoursuit.»C’est vous qui
avez raison d’oser. Laissez-moi vous conter une petite histoire qui devrait vousmettre du
baumeaucœuretvousredonnerconfiance…
Unefoisparan,auroyaumedesgrenouilles,unecourseétaitorganisée.Elleavaitchaque
foisunobjectifdifférent.Cetteannée-là,ilfallaitarriverausommetd’unevieilletour.Toutes
les grenouilles de l’étang se rassemblèrent pour assister à l’événement. Le top départ fut
donné.Lesgrenouillesspectatrices, jugeant lahauteurde la tour,necroyaientpaspossible
quelesconcurrentespuissentenatteindrelacime.Etlescommentairesfusaient:
«Impossible!Ellesn’yarriverontjamais!»
«Jamaisleurphysiqueneleurpermettrad’yarriver!»
«Ellesvontsedessécheravantd’êtreenhaut!»
Lesentendant,lesconcurrentescommencèrentàsedécouragerlesunesaprèslesautres.
Toutes, sauf quelques-unes qui, vaillamment, continuaient à grimper. Et les spectatrices
n’arrêtaient pas: «Vraiment pas la peine! Personne ne peut y arriver, regarde, elles ont
presquetoutesabandonné!»
Lesdernières s’avouèrentvaincues, saufune,qui continuaitdegrimperenverset contre
tout.Seule,etauprixd’unénormeeffort,elleatteignitlacimedelatour.
Les autres, stupéfaites, voulurent savoir comment elle y était arrivée. L’une d’elles
s’approchapour lui demander comment elle avait réussi l’épreuve.Et elle découvrit que la
gagnante…étaitsourde!
Prenez donc garde, Camille, de ne pas vous laisser influencer par l’opinion de votre
entourage.Ne lesécoutezpas.Nevous laissezpasdécourager.Mêmeceuxquivousaiment
projettent parfois sur vous leurs peurs et leurs doutes. Repérez vos pollueurs et faites en
sortequ’ilsnevouscontaminentpasparleurvisionnégative,désapprobatriceousceptique…
LesmotsdeClauderésonnèrentencorelongtempsàmesoreillesetfirentleurœuvre.Je
nepouvaispaset,surtout,jenevoulaispasfairemarchearrière:ceprojetprofessionnelme
tenaittropàcœur,etjesentaiscombienilétaitimportantquejelemènejusqu’aubout.Ilen
allaitdemonaccomplissementpersonnel.Jem’armaidoncpsychologiquementd’œillèreset
deboulesQuiès,biendécidéeàcontinuermaroute…
28
Mon pot de départ à l’agence m’emplit d’un sentiment mitigé, mélange de libération
jubilatoire et d’une certaine anxiété. Est-ce que j’avais vraiment fait le bon choix? Ma
décision avait surpris tout le monde. La plupart demes collèguesme prenaient pour une
gentille mère de famille, installée sur les rails d’une vie bien rangée, et voilà que je me
transformaisenuneentrepreneuseaudacieuse,auprojetprofessionnelimprobable!
Lasallederéunionavaitdumalàcontenir tout lemonde,carmonchefavaitconvié les
autres équipes,profitantdemondépartpour créerdu lien entre les services.D’unepierre,
deuxcoups.
Certains, totalement indifférentsàmondépart,voireàmapetitepersonne,gobaientdes
cacahuètesetprofitaientduchampagnegratuitsansmêmeavoirl’idéedemesaluer.D’autres
venaientmedireunmot,cachantmalunepointedejalousie.
—Uneboutiqueencemoment?J’aiunamiquia faitça; iln’apaspusepayerpendant
cinqans.Cen’estplusdutravail,c’estdubénévolat!
—Entrepreneur?Mmm…Ilfautaimertirerlediableparlaqueue…
Après m’avoir dispensé leur bonne parole, ils partaient avec un «bonne chance» qui
sonnaitunpeucomme«bondébarras».
Leursargumentsme faisaientbouillir.Pourquoi toujours tout rapporter à l’argent?Cela
m’agaçaitprodigieusement.Unrêve,mêmeausalaireminimum,restaitunrêve!Jamaisjene
m’étaissentieaussivivantequ’encemoment,etça,çan’avaitpasdeprix!
Heureusement, certaines personnes s’étaient montrées vraiment adorables. Mélissa
notamment,quitravaillaitàl’accueil,m’avaitoffertunjolibouquetdefleurs.EtCrâned’œuf
s’était occupé deme trouver un cadeau au nomde l’équipe: un trèfle en cristal qui faisait
officedepresse-papiers,unmagnifiqueobjetdécoratifsignéLalique!J’eusdumalàcacher
monétonnement.
— Pour qu’il te porte chance dans tes projets…, m’expliqua-t-il. Tu le mettras dans ta
boutique,hein?
Jel’embrassaichaleureusement.Tantdedélicatessevenantdelui,j’étaissidérée!
Mon boss s’approcha de moi à son tour, et je crus lire dans ses yeux une pointe
d’admirationetd’envie.
—Bonneroute,Camille!J’espèresincèrementquevosprojetsvontaboutir.Vousêtestrès
audacieusedevouslancerdansunetelleaventure,surtoutparlestempsquicourent…Avec
lacrise,lesgensn’osentplusrien!Enfin,sijamaisçanemarchaitpas,n’hésitezpasàrevenir
frapperàlaporte.Ilyauratoujoursuneplacepourvous.
—Mercimonsieur.Jen’oublieraipas.
Mêmesij’espéraisbiennejamaisavoiràrevenirenarrière…
Mon carton fut vite fait.Dix ans dema vie de travailleuse dansunmouchoir de poche!
J’avais l’impressiond’être enplein rêve.Mais impossible de savoir si c’était unbonouun
mauvais.
Tandis que je longeais les rues pour rentrer chez moi avec mon petit baluchon de
démissionnaire, je me sentais comme étrangère à moi-même, secouée par un cocktail
d’émotions contradictoires, soulagement, joie, sentiment de liberté, mais aussi, trac, peur,
anxiété,vertige…
Dans les jours qui suivirent, je m’activai de plus belle pour peaufiner mon montage
financier. Jem’étais renseignée sur l’apportpersonnelque j’étais censée fournir… Ildevait
représenteraumoins30%dumontantglobal.Mêmeengrattanttousmesfondsdetiroirs,je
nelesatteignaispastoutàfait…Serait-cequandmêmesuffisantpourconvaincreunebanque
etobtenirunfinancementcomplémentaire?
Aidée par les gens de la pépinière, je préparai un dossier en béton armé. Du moins,
l’espérais-je.Monpland’affairesbienficelé,jepartisàl’assautdesbanques.
Lematindupremierrendez-vous,monestomacjouaitaugrandhuit.Jeregardaisl’heure
touteslestrente-sixsecondes.Puisenfin,ilfuttemps.Etquandfautyaller,fautyaller…De
toutefaçon,jen’avaisplusd’onglesàronger.
Jem’étaispréparéuneplay-listdePowerSongs,desmusiquesquidonnentdelaforce.Ce
n’estpaspourrienquel’onpartaitàlaguerreenchansons.
J’écoutais à fond No surprises, de Radiohead, une chanson, selon moi, sur laquelle
n’importequipouvaits’écrireundestin.Jemarchaisdans larue,mesentantdifférentedes
autres,plongéedanslefilmseize-neuvièmedemasuccess-story.Est-cequeçasevoyaitsur
mon visage, ce qui était en train de m’arriver? J’essayais de lire la réponse sur celui des
passants;euxtrouvaientsansdoutejusteétrangequejelesregardedelasorte.Qu’importe!
J’avaislesmainsmoites,maisdesailesblanchesdansledos:finprêteàmelancer.
Malheureusement,monenthousiasmefutdecourtedurée.
Lebanquiermereçutfroidement.Jetaàpeineuncoupd’œilàmondossier.Tiquasurmon
mince apport financier et abrégea notre entretien, qui dura à peine dix minutes, en me
promettant une réponse rapide. Effectivement, sur ce point, il tint parole. Quarante-huit
heuresaprès,jerecevaisuneréponsenégative.
Mon rendez-vous suivant dans une autre banque eut un malheureux air de déjà-vu. La
réponsenégativemecueillitenpleinerue,alorsquejerentraischezmoi,lesbraschargésde
courses.Àl’inconfortdelasituations’ajoutal’amèredéception.Unedeplus.Jesentaismon
rêveprendresesjambesàsoncou.Lapeuretladésillusionmepiquaientlagorge,lesyeux,le
nez.
QuandAdrienm’ouvritlaporte,jeluidisàpeinebonsoir,traçantjusqu’àlacuisinepour
qu’ilnepuissepasliresurmonvisagemadéconfiture.C’étaitoublierquelesenfantsontdes
capteursgéants:ilssententtout.
—Çava,maman?Tuveuxquejet’aideàrangerlescourses?
—Çava,çava,monchéri,jevaismedébrouiller…,dis-jeenfeignantdem’affairerdevant
lesplacards.
Jeluitournaisledosvolontairement,pourqu’ilnevoiepaspoindremeslarmes.
Peineperdue.
—Maismaman,tupleures?demanda-t-il,ensepenchantpourmieuxvoirmesyeuxety
constaterl’effractiondelatristesse.
—Maisnon,çava,jetedis!Allez,vajouerdanstachambre.
—Jenepartiraipastantquetunem’auraspasditcequinevapas!
Quelaplomb!Celaluiarrivait,parfois,dejouerl’hommedelamaisonetdemepaterner.
Sentantqu’ilnemelâcheraitpastantquejeneluiauraispasditcequimechiffonnait,jelui
expliquailerefusdelabanque.
— Tu comprends, il memanque encore un peu de sous pourmontermon projet, et la
banquen’apasvoulumelesprêter,alors,cesoir,jesuistriste.Maisnet’enfaispas,jen’ai
pasditmonderniermot!
Je m’efforçai de lui sourire à travers mes quelques larmes, pour ne pas l’inquiéter
davantage.
Ilmeserradanssesbraspourmefaireungroscâlinetmeditd’untonassuréd’homme
quiconnaîtlavie:
—T’inquiètepas,maman,çavas’arranger!
Puisiltournalestalonsetallajouerdanssachambre.Sonattitudem’arrachaunsourire.
Quelphénomène!medis-jeavectendresse.
Après avoir rangé les courses, je passai à la vaisselle enm’attaquant aux poêles que je
n’avaispaseulecouragedenettoyerlaveilleausoir.Jegrattaiàl’épongeavecl’énergiedu
désespoir, espérant que ce geste basique du quotidien arriverait à calmer mes nerfs
malmenés.
Alorsque je commençais àmettre la table, appelantAdrienpourunpeud’aide, il arriva
danslesalonavecunairdeconspirateurravi.
—Maman?Tiens,prends.
Ilmetendituneenveloppeenkraft.
—Ouvre!m’exhorta-t-il.
Jem’exécutaietdécouvrisàl’intérieuruneliassedebilletsetunebonnecinquantainede
piècesdemonnaie.
—C’est pour toi,m’annonça-t-il, rayonnant de fierté. J’ai tout compté: il y a cent vingt-
troiseurosetquarante-cinqcentimes.Etsicen’estpasassez, jerevendraimaPS3.Comme
ça,tupourraslefairetonprojet,hein,maman?
Une boule d’émotionme serra la gorge. Dieu que je l’aimais en cet instant! Qu’il était
beau,avecsesyeuxbrillantsetsafouguenaturelle,àvouloirmesauverdeladéroute!
Jeleprisdansmesbraspourl’embrassertrèsfort.
—Mercimonamour,c’estadorablede tapart.Maisgarde tessouspour l’instant…Je te
prometsque,sij’enaibesoin,jeviendraitelesdemander…
—Promis?
—Promis,luiassurai-je.
Ilsemblaitàlafoiscontentettoutdemêmesoulagédepouvoirconserverseséconomies.
Voyant lesourirerevenusurmonvisage, ildutestimerqu’ilavaitréussisamissionets’en
allarangersonbutindanssachambre,lecœurléger.
Cetteinitiativesiadorablemitdubaumesurlemien.Ilnefallaitpasquejebaisselesbras.
Pourmoi,pourmonfils,pourtousceuxquicroyaientenmonprojet,jedevaism’accrocher!
C’est dans cet état d’esprit que je repartis à la conquête d’un financement, et présentai
mondossieràunetroisièmebanque…
À nouveau, quelques jours passèrent, et j’attendis, le moral gonflé à l’hélium de
l’espérance.Espérancequi,unefoisencore,explosaenvol.
Cetroisièmerefusvintcommeuncoupdemassue.
Troisbanques!Etaucuned’ellesn’avaitvouludevenirpartenairedemonprojet!Rienn’y
avait fait. Ni mon super sourire à la Catherine Deneuve, ni mon air sage et confiant à la
Gandhi,nimafouguedepromotricefaçonMichaelDouglasdansWallStreet…
Ledésespoirme gagna. L’angoisse aussi. J’avais quittémonposte, engagé des dépenses
pourfairefabriquermesmodèles…Siaucunebanquenemesuivait,j’étaisfinie!Jen’aurais
plusqu’àramperauxpiedsdemonancienbosspourlesupplierdemeredonnerunposteet
m’estimerheureusedereprendremapetitevierégléecommedupapieràmusique.
Ah,non,ça,jamais!
Alors jemeretournai contreClaude.Ruminai.C’estvraiquoi, c’étaitbienà causede lui
quejem’étaislancéedansceplaninsensé!C’étaitluiquim’avaitencouragéedanscettevoie!
Etmaintenant,j’allaismecasserlafigure…Sébastiennemelepardonneraitjamais…Siçase
trouve,cette foutuehistoireallaitaussiemportermoncoupleetdétruirema famille.Déçu,
outragé,Séb’mequitterait,emmenantAdrienaveclui.Ruinée,dépressive,jefiniraisàlarue!
Le bad trip s’en donnait à cœur joie avec mes méninges survoltées. J’étais en pleine
catastrophe-stratégie!
Mamèreavaitraison,c’estdelafolie!Jen’yarriveraijamais…
Galvanisée par ma furpeur (il y a toujours de la peur dans la fureur), je débarquai en
trombeaucabinetdeClaude.Luietsafoutueméthode…J’allaisluidiremafaçondepenser!
Le mettre face à ses responsabilités, l’obliger à… à… je ne savais pas encore quoi, mais
l’obliger.
Jepassailebarragedelasecrétairesansm’arrêter.
—Madame,non,vousnepouvezpas…
J’allaismegêner!
J’ouvris sans ménagement la porte du bureau. Claude suspendit sa conversation
téléphoniqueenmevoyantdébarquer.
—Madame,s’ilvousplaît,tentaencorelasecrétaire.
—Laissez,Marianne.Jem’enoccupe.Uninstant,Camille.
Il termina sa conversation tranquillement. Son calmem’irritadavantage; il était trop en
contraste avec ma tourmente. Pourquoi fallait-il que cet homme ait l’air toujours si
souverain,etmoitellementenvrac?
—AlorsCamille,quesepasse-t-il?
— Comment ça, ce qui se passe? Il se passe que c’est la Bérézina! Que je viens d’avoir
aujourd’huiunetroisièmeréponsenégative!Quec’estlafindesharicots!
J’éructaiscommeunvieuxcoqcourroucé.
—Calmez-vous,Camille,ilyatoujoursunesolution…
—Ah non, alors là, stop! J’en aimarre de votre attitude positive! Regardez où ellem’a
menée,votre attitudepositive!Oui,vous,là,avecvosconseilsàlacon!Jesuisvulgaire?Tantmieux! Je vous ai cru, je vous ai fait confiance… J’ai envoyé valser mon emploi et voilà,
maintenant,vioup,plusrien!Àlarue,ladame!Non,mais,franchement…Oùest-cequevous
avezvuque j’avais l’étoffed’unentrepreneur?C’étaitcourud’avanceque j’allaism’ycasser
lesdents!
Claudemelaissadéversermabilesansintervenir.Ilsemblaitdésolédemevoirdanscet
état.Enentendantmesvitupérations,sonassistanterevintfrapperàlaporte.
—Toutvabien,monsieurDupontel?
—Oui,toutvabien,Marianne,merci.
—MmeTheveniauds’impatiente…Vousaviezrendez-vousàlademie.
— Pouvez-vousm’excuser auprès d’elle et lui demander si elle peut revenir la semaine
prochaine?MerciMarianne.
Ildécommandaituneclientepourmoi?Étantdonnémonhumeur,çamefaisaitplaisirde
venirperturbersonaprès-midibienhuilée.Ilm’avaitpousséeàprendredesrisquespourme
lancerdansuneaventureprofessionnellecomplètementdélirante,etj’estimaisqu’ilavaitsa
partderesponsabilitéencasd’échec.
—Camille,calmez-vous!Troiséchecs,çaneveutpasdirequetoutestperdunonplus.Une
banque,deuxbanques,dixbanques…Ilfautpersévérer!Etsicen’estpaslebontiroir,ilfaut
enouvrird’autres!
— Persévérer, persévérer! Vous en avez de bonnes. Ce n’est pas vous qui avez tous les
joursàlirel’inquiétudeouladésapprobationdanslesyeuxdevosproches!
— «Face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non pas par la force mais par la
persévérance.»H. JacksonBrown…— Vous commencez à m’énerver avec vos citations! Ce n’est pas avec ça que je vais
décrocherunprêtbancaire!
—Peut-êtrepas.Maiscen’estpasnonplusenvousmettantdansunétatpareil…Quelle
heureest-il?
—Commentça,quelleheureilest?18h15,pourquoi?
—Parfait,onajusteletemps…
—Letempspourquoiencore,Claude?demandai-je,énervéedesesincessantsmystères.
—Vousverrezbien!Allez,prenezvotremanteau!
—Mais…
Jenepusm’opposerdavantage.Claudemepritparlamanche,etm’entraînadehorsaupas
decourse.Sonautoriténaturellenesediscutaitpas.Outresavoiturequejeconnaissaisdéjà
–entreparenthèses,çadevaitsacrémentbienmarcherpourlui,pourqu’ilrouleenJaguar–,
ilpossédaitunscooterquiattendaitdevant soncabinet. Ilmeplanta sansménagementun
groscasquesurlatête,étouffantainsimesdernièresprotestations.
Nous fonçâmesdansParis.Jem’agrippaià sa taille,à la foisgriséeetapeurée.Ledéfilé
desrues, lesvisagesanonymesfloutésparlavitesse, lesconcertsdeKlaxon,lepanachedes
monuments,l’orclinquantàleursommet,laprofondeurimpénétrabledelaSeineetsesrives
charmantes, les mariés japonais posant devant les appareils photo pour l’éternité, lesvendeurs à la sauvette, les badauds, les pressésmontés sur ressorts…Tout cemanègeme
donnaitletournis.
Lebrusquearrêtduscooter,queClaudegarasuruntrottoir,mitfinàmarêveriecitadine.
Devantmoi,unebâtissedepierresgrises:laparoisseSaint-Julien-le-Pauvre.
—Noussommespileà l’heure,déclaraClaude,visiblement satisfaitde sonpetit tourde
force.
—Claude,franchement,jenesuispasd’humeur…
Ilnemelaissapasterminermaphrase.Ilmefitpresserlepaspourentrerdansl’égliseet
noustrouvadeuxplacesautroisièmerang.
—Chut!Taisez-vousmaintenant.Etécoutez.
J’aurais volontiers protestémais déjà, une femme s’avançait sur la scène, accompagnée
d’unhommeencostumesombrequis’installacérémonieusementaupiano.
Les deux premiers airs me calmèrent. Les notes voluptueuses, dans un déplacement
invisible, venaient caresser mes tympans, créant dans tout mon corps des vibrations
apaisantes.
Ce fut au troisième air que l’émotion me saisit, lorsqu’un Ave Maria d’une pureté
cristallines’élevadanslanef.J’eneuslachairdepoule.Tantdeferveurmetransperçait.Les
larmesmemontèrentauxyeux…
Claude me jetait des petits regards en biais, heureux sans doute de voir que la magie
opérait.
Des frissonsme parcouraient tout le corps. Jeme sentais comme connectée à quelque
chosede«supérieur»sansvraimentpouvoirdirequoi…Maiscette sensationmeremplissaitdeforceetdeferveur.
Jepassaileresteduconcertsurunnuage.
Àlasortie,nousdécidâmesd’allerboireunverreauCaveaudesOubliettes.
— Claude, je suis désolée de m’être emportée tout à l’heure… C’était vraiment injuste.
Vousfaitestoutcequevouspouvezpourm’aider, jelesaisbien…Etsi j’échoue,cenesera
pasdevotrefaute.
—«Lesuccèsestlacapacitéd’allerd’échecenéchecsansperdresonenthousiasme»,disait
WinstonChurchill…
—Vousrecommencezavecvosphrases!
—Oups, désolé! Je voulais juste vous dire une fois encore que ce que vous vivez en ce
momentavecvotrerecherchede financementn’estpasunéchec.Ça faitpartiedesaléaset
déboires d’un parcours de réussite. Je vous ai amenée dans cette église pour vous faire
ressentirlaforcedelaferveur.Ilfautquevousgardiezlafoi!Faites-vousconfiance.Moi,je
croisenvous!
—Mmm…,grommelai-je,encoreunpeusurlaréserve.
—Alors,c’estreparti?medemanda-t-il,enmetendantlamain.
J’hésitaideuxsecondes,puisluitenditlamienne.
—C’estreparti.
Quelques joursplus tard, jedécrochaiun rendez-vousavec labanquePopulis. J’avais lusurunmagazinequ’ilsavaientlaréputationdesoutenirlespetitsentrepreneursdélaisséspar
lescircuits financiersclassiques…Jeneprojetaiaucuneattente,cettefois,pournepasêtre
déçue.
Quand un coup de filme donna une réponse positive, huit jours plus tard, je tombai à
genouxd’émotiondansmonappartement.J’attendisd’avoirraccrochépourpousser–hurler!
–uncride joieà fairepâlirunecraiesuruntableaunoir.J’étaisàdeuxdoigtsdesoulever
mon T-shirt sur ma tête et de courir partout comme une dingue en hurlant:
«goaaaaaaaaaaaaaaal!»
J’avaisenfindécrochémonpasseportpourunenouvellevie.
29
Ma victoire me valut un quatrième lotus Charms, violet celui-là, que je caressais
machinalement à mon cou, comme un grigri porte-bonheur. Je n’aurais jamais cru gravir
ainsileséchelonsduchangement,maisforceétaitdeconstaterquelaméthodefonctionnait.
Maintenant que j’avais les fonds, je pouvais enfin mettre en œuvre ce qu’il fallait pour
concrétisermonconceptdelocationdevêtementshautecouturepourtout-petits,àdesprix
trèsaccessibles.
Lelancementdelaboutiqueétaitprévusixmoisplustard.Etiln’yauraitpasunjourde
trop,d’icilà,pourquetoutsoitprêt!Parmoments,j’avaisl’impressiondemetransformeren
robotbioniquemultitâches.Jedevaisêtrepartoutàlafois:àlacréation,àlaréalisation,àla
logistique…
Il devenait impératif que je me fasse seconder. Point de salut sans bras droit! En la
matière,jepoussaimêmeleluxejusqu’àm’enoffrirquatre,enfinhuitencomptantaussiles
brasgauches.Bref,quatrepairesdemainshorspairtrouvéeschezdejeunescouturièresqui
mefirent l’honneurdevoirenmonprojetuntremplinpour leurcarrière.Ellesacceptèrent
doncdejouerlejeud’êtretrèspeurémunéréesjusqu’aulancementofficieldemonaffaireet
demisersurmaréussite.Notrefineéquipes’installadansuneboutiquedelarueLeGoffque
j’avais louée, à deux pas du Luxembourg. Ce n’était pas immense, mais cela suffirait
amplementpourundébut.Etlelocalavaitbeaucoupdecharme.Despoutresapparentes,une
mezzanine,unearrière-boutiquetrèslumineuseetmêmeunsous-solaménageablepourdes
vestiairesetuncoincuisine.
J’emmenaiAdrienvisiter.
—C’esttropstylé,maman!
Cequiletaraudaitleplus,c’étaitdesavoirsij’allaisdevenirriche.Iljouaitàénumérerce
quenouspourrionsnousoffrir,sijedevenaiscélèbregrâceàmaboutique.Ilsevoyaitdéjàà
bord des plus belles voitures, Porsche rouge un jour, Bugatti noire le lendemain… Il était
tellementmignonavecsesyeuxquibrillaientd’excitation!Jemerégalaisdelevoirprofiter
dutempsdel’insoucianceetdesplaisirssimples…
Rêve,monfils,rêve,medisais-jeavecunsourireattendri.Etquetoujourslaréalitétesoit
douce!
J’avaiségalement remuéciel et terrepour trouverdespartenairesquime fourniraientà
moindrecoûtlesvêtementsdebaseencotonetchanvrebiologiques,certainsmêmeenlaine
d’alpaga,lainedeyaketbambou.
Lorsquejereçusenfinmescommandes,jecaressailonguementcesmatièresincroyables,
jubilantàl’idéedecequej’allaisenfaire.
Durant cette période, j’étais gagnée par une irrépressible effervescence créative. Je
dormaispeu,mais, bizarrement, sans en ressentird’effets indésirables. Jem’étonnais.Moi
quid’ordinaireressemblaisàunescargotneurasthéniqueaumoindremanquedesommeil…
On aurait pu croire que j’étais dopée. Et dans un sens, je l’étais, dopée à l’enthousiasme!
Réaliserainsimesdésirslesplusprofondsmenourrissaitcommeaucuneautresèven’aurait
pulefaire.Jamaisjen’avaisétéhabitéeparunetelleénergie!
30
Claudesuivaitmesavancéescommeunpapa-poule.Etenparlantdepapa,ilnemanquapas
demerappelerquedanslalistedesobjectifsqu’ilmerestaitàaccomplirfiguraitcelui-ci:me
réconcilieravecmonpère.
Là,jeprotestai.
—Claude, cen’est vraimentpas lemomentdemedemanderça.Vousvoyezbienque je
suiscomplètementdébordée!Jen’aidéjàpasuneminutepourmoi…
—Iln’y apasdemeilleurmoment, au contraire,Camille.Etpuis, vous sentezbienque
cettechosevoustrottedanslatêtedepuisdesannéesetvousgênecommeuneépinedansle
pied… Pourquoi rester un jour de plus avec cette douleur? Vous serez tellement soulagée
d’avoirfaitunpaspourréglercettesituation.LanouvelleCamillenelaissepaslesproblèmes
ensuspens,n’est-cepas?
—Bon,bon,çava…Jeverraisijepeuxtrouverunmoment…
Çam’énervaitqu’ilm’imposecelamaintenant…Maismel’imposait-ilvraiment?Jesavais
qu’ilavaitraison,toutaufonddemoi.Jenepouvais laisser lasituationperdurer.Jedevais
faireface.Cettehistoire,jel’avaisglisséed’uncoupdebalaisousletapisdemaconscience,
pensant qu’elle se ferait oublier. Que nenni! Elle n’avait cessé, toutes ces années, de me
grignoter insidieusement lemoral. La culpabilitémêlée de rancœur, tapie dans l’ombre de
mon cœur, faisait son travail de sape.Mais comment pardonner à celui que je ne pouvais
appelerautrementque«mongéniteur»denousavoirquittéesavantquej’aieaccomplimes
premierspas?
Sixansquejen’avaispasrevumonpère.Depuiscettescèneaffreuseaucoursdelaquelle
j’avaisvouluréglermescomptesaveclui,décollermestimbresauraitditClaude.Àl’époque,
c’étaitcarrémentunekalachnikovàreprochesquej’avaisbrandie!J’avaisdéversésurluimes
munitions,sansluilaisserlamoindrechancedes’expliquer.Labileavaitenvahimesveines
aussisûrementquedelaciguë.Jetapaispourluifairemal.Unecolèredepetitefille,çapeut
renverser des tables et casser des chaises. Toute la partie obscure en moi avait explosé
commeunvolcan en éruption.Les émotionsnégatives emmagasinéespendant ses longues
absencesétaientremontéesàlasurface.Jevoulaisluifairepayersonéloignementàcoupsde
motsmeurtriers…Pourquoiavait-ilquittémaman?Étais-jeunbébétropbruyantqu’iln’avait
pusupporter?Oùétait-il,quandj’avaispeur,quandj’avaismal?
Malheureusement,monrèglementdecomptesm’avaitéclatéenpleinvisagecommeune
grenade dégoupillée, et j’avais abouti à un résultat que je ne souhaitais pas vraiment: une
rupturepureetsimple.
Les semaines, les mois, les années avaient passé sans que j’ose le premier pas de la
réconciliation… Je craignais sa réaction et, pire encore, un nouveau rejet. Avec le recul, je
comprenaismieuxpourquoi ilavaitquitté le foyer.J’étaisunaccidentsurvenudanssavie,
alorsqu’ilétaitbeaucouptropjeune.À23ans,iln’avaitnilamaturiténilamotivationpour
assumerunenfant.Ilavaitnéanmoinsaidémamèreàlahauteurdecequesesrevenuslui
permettaient,etvenaitmerendrevisitede tempsen temps.Ces instants, raresetprécieux,
melaissaientunsouvenirmémorable,ungoûtsucrédebarbe-à-papa.
Jemis unmoment à retrouver le précieux petit répertoire téléphonique, poussiéreux et
écorné,enfouisousunamoncellementdepapiersstockésaufinfondd’unplacard.
Ilétaitlà…Sonnuméro…
Je restai de longues minutes devant le combiné, le cœur battant, les mains moites, la
bouchesècheàl’idéedenepastrouverlesmots.Puis,enfin,jemelançai.
Lessonneriesretentirent,puisildécrocha:
—Allo?
—…
—Allo??
—Papa?
—…
«Lepardonnefaitpasoublierlepassé,maisélargitlefutur»,disaitPaulBoese.C’étaitvrai.
Après ce coupde fil àmonpère, jeme sentisplus légère.Ce fut commesi j’avais coupé la
corde qui retenait dans le sillage de mon navire de lourds barils et l’empêchait d’aller de
l’avant. Au début, bien sûr, lesmots s’étaient étranglés, avaient peiné à sortir, entre nous.
Puis nous avions trouvé la voix du cœur, sincère et juste, pour jeter un pont entre nous.
Émus,nousavionsalorsconvenudedînerensemble.Cemomentcomplicefutuneoccasion
unique de déposer le fardeau de nos meurtrissures respectives et nous apporta une belle
rédemption.Làoù iln’yavaitplusdenotrehistoirequepointillésetpointsdesuspension,
nousvenionsderouvrirdesguillemets…
J’enrestaislecœurbaba.
31
Étrangement, depuis que je m’étais réconciliée avec mon père, je me sentais également
apaisée dans ma relation de couple. Peut-être étais-je en train de prendre conscience des
amalgamesquejefabriquaisdepuislongtempsentrelescomportementsdemonpèreetcelui
demon conjoint? À quel pointma peur d’être quittée commemamère l’avait étém’avait
intoxiquée, jetant un voile d’ombre sur ma relation avec Sébastien? Mais c’était fini
aujourd’hui. Je ne laisserais plus jamais le passé interagir avec le présent, ni conditionner
mesrelations!
Bien sûr, je ne pourrais empêcher que mon mari parte avec une autre, si le destin en
décidaitainsi.Maisj’étaismaintenantsereine:jesavaisque,quoiqu’iladvienne,jepourrais
compter surmes ressources intérieures pour faire face. Et cette certitudeme donnait une
forceincroyable,forcequejen’auraisjamaiscruposséder.
J’avaisdoncfaitlapaix,semblait-il,aveclagentmasculine.
Je savourai cette pensée en dégustant une bonne tasse de thé vert, lorsqu’un matin,
Sébastienentradanslacuisineenmetendantuneenveloppe.
—Tiens,pourtoi,unelettreaucourrier.
Àl’intérieur,unecourtemissive:
Rendez-vousjeudiàl’EspaceMilleetcentciels,pouruneréunionausommet!Soyezàl’heure:14hprécises.Àjeudi,Claude.
Quemanigançait-ilencore?
Sébastien, qui s’était beurré une tranche de pain, me fixait du coin de l’œil, tout en
mâchantunetartine.
—Encoredutravail?
—Euh…oui!Queveux-tu…
—Onnet’arrêteplus!
Jelesentisunpeupréoccupé,fébrile–jen’auraissudireexactement–,etm’approchaide
luipourluivoleruntendrebaiser.
—Net’inquiètepas.Lejeuenvautlachandelle!Etbientôt,tuverraslesrésultats!
—Jen’endoutepas…
Lejeudi,j’abandonnailesfillesàl’atelier,laissantmesinstructionspourl’après-midi,etfilai
àmonrendez-vous,nonsansavoirpasséune tenuechicetglamourquimevalutquelques
sifflets et quolibets dans la rue. Je rosis,mais vu l’adressedu lieude rendez-vous, dans le
XVIearrondissement,jem’étaisditquemieuxvalaitêtredansleton.Etn’était-cepasaussi
uneoccasionparfaitedevoircommentjem’ensortaisdanslapeaudelanouvelleCamille?Si
j’encroyaislesregardsflatteursquejerécoltais,celasemblaitmarcherplutôtbien.
Enpoussantlaportedel’EspaceMilleetcentciels,j’euslesoufflecoupé.Lehallàluitout
seulsemblaitchanterunhymneàlabeautédespalaisd’Orient.Matièresraffinées,mobilier
aux formesélégantes, fragrances subtiles, couleurs chatoyantes…J’eus l’impressiond’avoir
faitunvoyagedansl’espace-temps.Quelbonheur!Etceslustres!Ceslanternesanciennes!Et
ces tapis profonds et moelleux posés, ici sur des parquets anciens, là sur des mosaïques
artisanales! Jeme sentis aussitôt captivée par l’atmosphère envoûtante de clair-obscur qui
projetaitsurchaquevisagedesombresdemystère.
Mais leseulvraimystèredemeurait:pourquoiClaudem’avait-il faitvenir ici?C’estavec
cettequestionentêtequejemedirigeaid’unpasfermeversl’hôtessed’accueil.
—Lebar,s’ilvousplaît?J’airendez-vous.
—Aufonddel’allée,toutdesuiteàvotregauche.
Jeparcouruslecheminindiqué,lecœurbattantplusfortdansmapoitrine.Qu’est-ceque
c’étaitencorequecettemiseenscène?
Arrivée dans le bar, aussi magnifiquement décoré que le hall d’entrée, je scrutai les
personnes présentes. Aucune silhouette ne me rappelait celle de Claude… Je le maudis
intérieurement de son retard: j’avais horreur de poireauter toute seule dans ce genre
d’endroit. Les hommes avaient si tôt fait de seméprendre sur les intentions d’une femme
seule! J’essayai donc d’adopter un air détaché et sûr demoi, répétant dansma têtemon -mantra devenu habituel depuis quelques semaines: «Je suis Catherine Deneuve, je suis
CatherineDeneuve…»
Monvoisindecomptoirmetournait ledosetm’offrait lavisionmassivedesoncomplet
bleumarine, audemeurant fortbien coupé.Belle carrure,medis-je, avantdem’apercevoir
avectroublequeledosétaitentraindeseretourner.
—Vousici!meditalorsl’hommeavecunsouriredésarmant.
—Mais…Mais…Qu’est-ce…
—Ehbien,tuvois,iln’yapasquetonClaudequisacheorchestrerdessurprises!
Sébastienencadramonvisagedesesmainscommeilauraitsaisiunegravureprécieuse,et
m’embrassa langoureusement.Jem’enflammaiplusquederaison,délicieusementtroublée
parl’inconvenanceetl’incongruitédecebaiserdansuntellieu.Heureusement,leserveurfit
minederegarderailleurs.Sébastiens’écartademoietplantasesyeuxdans lesmienspour
observer leseffets jolimentravageursdesonaudace.MaboucheétaitsaBastilledu jouret
sonregardbrillantsemblaitappeleràlarévolutiondenosamours.
J’enbalbutiai.
—Incroyable!Maiscommentas-tufaitpour…
—Tsit,tsit,tsit!IlsetrouvequetonClaudeestfinalementbeaucouppluscoolquejene
l’avais imaginé! Iln’apashésitéà jouer les complicespourm’aideràmettre surpiedcette
petitemiseenscène: ilaécrit lemotpourtefairecroirequelerendez-vousétaitavec lui…
Amusant,non?
—Ilvam’entendre!dis-je,mais j’étaisbientropraviedurésultatpour luienvouloir.Et
alors?Que comptes-tu fairedemoi qui vaille la peinedem’arracher à quelquesheuresde
précieuxtravail?
—Mmm…Deschosesquineteferontpasregretterd’êtrevenue!Etpuis,unmomentde
détenteneterendraqueplusproductive,n’est-cepas,mabusinesswomanpréférée?
Ilnousavaitconcoctéunprogrammed’enfer.Hammam,sauna,piscine,gommagedouxau
savonnoir à l’eucalyptus.Nousnous abandonnâmes en duo auxmains expertes de jeunes
masseuses balinaises, qui nous amenèrent proche du septième ciel. Tout mon corps se
délassait,tandisquejetenaislamaindeSébastien,tendrecontactquiajoutaitencore,s’ilen
étaitbesoin,àlasensualitédecettedélicieusepausekinesthésique…Quandnousquittâmes
lacabine,jenetouchaisdéjàplusterre.
Le dîner aux chandelles qui suivit fut l’apogée de cette journée et expédiames papilles
directement au nirvana. Ce lieu flattait les sens commenul autre ailleurs.Mais ce quime
ravit le plus, ce fut de constater que Sébastien me regardait de nouveau avec ses yeux
d’autrefois,enShéhérazade…
Etça,c’étaitplusqu’unobjectifatteint.C’étaitunvœuexaucé!
32
LapauseidylliqueofferteparSébastienm’avaitgalvanisée.Etheureusement,carlapériode
quisuivitfutterriblementéprouvante.Jedustenirdesdélaisimpossibles,négocieravecdes
fournisseurs avides, manager une équipe encore inexpérimentée, effectuer des démarches
administrativesrocambolesques,créerlanuit,organiser le jour…Bref, jen’étaispasloinde
craquer. Par bonheur, je disposais d’un comité de soutien hors normes. Famille et amis
défilaientdansl’atelierpourmanifesterhautetfortleursencouragements.Etcelamefaisait
chaudaucœur.Jevoulaistantqu’ilssoientfiersdemoi!
Claude, mon cher Claude, ne ménageait pas non plus ses efforts: il m’avait promis de
contacterdesrelationsdepresse.Ildisaitconnaîtredumonde…Aumoinsunechosedontje
n’auraispasàm’occuper!Commentferais-jepourleremercierunjour?
Pour l’heure,mon nouveau bébé prenait de plus en plus de vigueur. La naissance était
pour bientôt. Il était donc temps de lui trouver un nom. J’organisai une séance de
brainstormingdansl’arrière-boutique.Claudem’avaitconseillédeconvoquerdespersonnes
d’horizons différents. Ce serait plus riche ainsi et la matière première créative serait plus
intéressante. En plus de mes couturières, je conviai donc ma coiffeuse et mon
kinésithérapeute, qui acceptèrent gentiment de se prêter au jeu. Je leur annonçai la règle
préalable à toute séancede créativité, leCQFD:pasde critiquenide censure;des idées en
quantité; de la fantaisie, du farfelu; les suggestions qui se font écho, rebondissent…Nous
devions cependant garder en tête les points clés: notre cible – les petits de 0 à 3 ans– et
l’offrespécifique–desvêtementsbioéthiques,uneapprochehautecoutureauprixduprêt-à-
portergrâceauleasing.
Pournouschaufferlesneurones,nouscommençâmesparjeterpêle-mêlesurunefeuille
de papier tous les mots qui nous venaient à l’esprit, puis nous décidâmes d’explorer plus
précisémentlevocabulairepropreàlapetiteenfance:
Boutdechou,brindille,cigogne,cacabouda(onabienditpasdecensure!),hautcommetroispommes,abracadabra,patapoum,mini,bambin,miaou,123soleil,pirouette,
cacahouète,bébécadum,berceau,petitsdoigts…
Nousnotâmesaussiquelquesmotsliésàl’universdelacoutureetdelamode:
Defilenaiguille,boutonsd’or,doigtsdefée,création,lacomptineÀlamodedecheznous…
Claude nous aida à faire une carte de positionnement. Sur le graphique, deux axes se
recoupaientetformaientquatrepôles:l’universbébépratique,l’universbébé«enchanté»,le
bio équitable, la mode à louer. Ainsi, nous pourrions «classer» nos trouvailles, ce qui
faciliteraitnotrechoix.
Puislarondedesnomscommença…
— Fashionimo! jeta ma coiffeuse. C’est bon ça, les noms qui se terminent en «imo»?
Némo,Géronimo,Pinocchio?OuMinimode?
—Bien!Jenote…
—Etpourquoipas:LesPetitsDoigtsd’or?proposaGéraldine,l’unedemescouturières.
—OuMaillesetMalices?s’exclamaLucie,illuminéeparsatrouvaille.
—LesBBverts!ditFabienne.Benquoi?OnabienlesBBbrunes!C’esttendance.
—Biomode!lançamonkiné.
—Ahnon!Çafaittropmédical!
—Pasdecritique,onadit!
—Et3pommes,çasonnebien,non?
—Génial!Saufqueçaexistedéjà…
—Oh…
Aprèsavoir évincé lesnomsdéjàpris, lesnoms trop longs, lesnomspasbeaux, les trop
tordus, nous arrivâmes à une liste de quatre possibilités: BBécot, Vert Bambin, Les Fées
modeetP’tittrousso.Chacunportaitunmessage,disaitquelquechoseduprojet.
BBécot… Le nom contenait le mot «bébé». On entendait aussi «éco» pour écologique,
«bécot», synonyme de tendre petit baiser, allusion à ces petits moments précieux que
partagentunemamanetsonbébé.
VertBambin parlait avec«Vert»du côté écolo/équitable et rappelait, avec«Bambin», laciblevêtementspourbébés.
LesFéesmodeouvraientd’embléesurl’universdelamagie,séduisanteetattractivepour
le public de la petite enfance. Le fait de parler demode était important aussi, puisque les
vêtements créés sevoulaient fashion.Onentendait également«l’effetmode», clind’œil au
leasingquipermetdecraquerpourunvêtementàlamode,puisd’enchangertrèsvite.
P’tit trousso… le nom évoquait la notion de «trousseau» et sa connotation de
transmission.Autrefois, le trousseauétaitquelquechosedeprimordialque l’onconstituait
aufildesans.Ainsi,cenomdonneraitdel’importanceauconceptensuggérantauxparents
qu’ilsoffraientàleurenfantdesvêtementsd’importance,despiècesuniques.
Lestergiversationsallèrentbontrainpendantencoredeuxheures.Puisladécisiontomba:
ceseraitLesFéesmode.Uneeuphoriegagnaalorslegroupe,contentdelâcherlessoupapes
aprèscettelongueséancedecréativité.
—Champagne!
J’enavaisplacéunebouteilleaufrigoenprévision.Tandisquenoustrinquionsensemble
joyeusement,jenepusm’empêcherdefixerlenominscritengrossurlepaperboard,etdéjà
monimaginations’enflammaitpourluicréeruneidentitévisuelle…
33
Etpuis…etpuis,legrandjourarriva.L’inauguration,enfin!
Laboutiqueétaitpleineàcraquer.Touslesinvitéssetenaientautourdemoi,uneflûtede
champagneàlamain.Pourl’occasion,monpetitcomptoirdemodeavaitrevêtuseshabitsde
fête:ici,unbuffetdrapédeblanc,avecunmaîtred’hôtelauxgantsnonmoinsblancsetàl’air
solennelderigueur,là,uneravissantehôtessed’accueil…
Mamère me couvait d’un regard admiratif. À côté d’elle, mon père, qui avait fait tout
spécialement le déplacement, ne pouvait cacher son émotion et, assez peu discrètement,
m’adressaitdesclinsd’œiloutranciersetlevaitlespoucespourmeféliciter.Voirmesparents
côte à côte, la hache de guerre enterrée, en train de bavarder comme de vieux amis, me
comblait.SébastienetAdrien,aupremierplan,mimaientdesapplaudissementstriomphants
etme faisaient rire.Mon filsavait racontéà toussescopainsquesamèreallaitouvrirune
boutique de haute couture pour enfants et qu’elle allait devenir célèbre! Cette vision
fantasméedemoi,quiseulepouvaitnaîtred’unimaginaireenfantin,metouchait.Maiscequi
m’émouvaitleplus,c’étaitdelirelafiertédanssonregard…
Maseuledéception:Clauden’étaitpasencorelà.Ilallaitratermondiscours,danslequel
j’avais bien entendu prévu de lui rendre un bel hommage. Qu’est-ce qu’il pouvait bien
fabriquer?Cen’étaitpassongenred’arriverenretard,etj’étaisvaguementinquiète.Lecœur
unpeuserré,jeprislaparoleetcommençaiàremerciertousceuxquiavaientprisunepart
active,àquelquetitrequecesoit,àlamiseenœuvreetlaréalisationdemonrêve.
Soudain,unbrouhahasefitentendreauniveaudelaported’entréeetunegrosseagitation
sembla gagner l’assemblée. Une meute de gens s’engouffra dans la boutique, semant un
certaintrouble.Jenecomprenaispascequisepassait,tropsecouéeparletam-tamdemon
propre cœur. Crépitements de flashs, de cris… Telle la mer rouge de la Bible, le flot des
visiteurs s’ouvrit petit à petit jusqu’àmoi, offrant le passage à une stupéfiante apparition:
Jean-PaulGaultierenpersonne!Etjustederrièrelui,Claude,goguenard,éclatantd’unejoie
complice,mesouriaitàbellesdents,heureuxdevoirsasurprisefairetoutsoneffet.
Jen’enrevenaispas!
À plusieurs reprises, déjà, ce projetm’avait apporté de grandsmoments de satisfaction.
Lorsque l’imprimeurm’avait téléphoné, toutd’abord,pourm’annoncerquemesplaquettes
publicitairesetmescartesdevisitesétaientprêtes.Puislorsquej’avaisassistéauxdernières
finitionsà ladevanturedemaboutique.Cette émotion, cette jubilation,quand les artisans
avaientdonnél’ultimecoupdepinceauauxtroismotssésamesdemanouvellevie:LesFées
mode! J’enavais écraséquelques larmesdiscrètes.Tantde cheminparcouru en seulement
quelques mois! La réussite serait-elle au rendez-vous? Je comptais sur cette soiréed’inaugurationpourmedonnerundébutderéponse,mais là…Là,çadépassait toutceque
j’avaispuimaginer.Jean-PaulGaultier!Lui-même!Dansmaboutique!
Je tendis à mon idole une main tremblante qu’il serra chaleureusement. Je l’entendis,
commeà traversunbrouillard enchanté, expliquer à l’assembléequ’il était heureux et fier
d’être leparraindemaboutique,dont leconcept l’avaitbeaucoupséduit.QuandClaude lui
avaitenvoyé laprésentationduprojet, iln’avaitpashésité longtempspouroffrirsonimage
médiatique,afindedonneràmesFéesmodeuneplusgrandevisibilité.
—Camilleaungrandtalentdestyliste,poursuivit-il.Sesmodèlespetiteenfancepossèdentune véritable originalité. Et offrir la possibilité aux familles d’accéder à des vêtements
uniqueshautdegammeàpetitsprix,grâceauleasing,c’estincroyablementmalin.Vraiment,
bravo,Camille!
Jen’encroyaisnimesyeux,nimesoreilles.Jean-PaulGaultierm’applaudissantàbâtons
rompus!Jesentisleslarmesmemonterauxyeux,tandisqu’ilconcluait:
—Jeseraiheureuxdeluioffrirmonsoutienetsiellelesouhaite,mesconseils!
J’étaisaucombledubonheur!
Les journalistes prirent ensuite des photos de nous deux. Puis ils me posèrent des
questions pour pouvoir écrire leur article. Grâce à l’incroyable démarche de Claude, mon
conceptallaitêtrejolimentmédiatisé!Plusqu’uncoupdepouce:unvéritabletremplin…
Verslafindesoirée,Claudes’approchademoi.Jen’hésitaipasuninstantetleserraidans
mesbras.Jeluidevaistellement!
—Claude!Jenesaiscommentvousremercierpourtoutcequevousavezfaitpourmoi…
—Jesuisheureuxdevotresuccès,Camille,ettrèsfierdevous!Jecroisquevousavezbien
méritéça…
Il me tendit alors la fameuse petite boîte entourée, cette fois, d’un joli ruban doré. Je
devinaiaussitôtcequ’ellecontenait:lelotusnoir.Ledernierdestalismans.
Les yeux humides, je l’embrassai chaleureusement et le Charms rejoignit sur la chaîne
ceuxquej’avaisdéjàgagnés.
—Jedoisyaller,maintenant,dit-il.Encoretoutesmesfélicitations.
Avant de partir, ilme glissa une petite enveloppe blanche dans le creux de lamain. Je
l’ouvrisaprèssondépart.
Lemotdisait:
MachèreCamille,Permettez-moi de vous fixer un ultime rendez-vous. J’ai quelques révélations à vousfaire. Puis j’aurai fini ma mission auprès de vous et vous pourrez continuer votrechemin,enétantsûred’êtresurleBONchemin!Rendez-vousdoncaprès-demainà14h,enhautdel’ArcdeTriomphe.Encorebravo,etbellenuit,votredévoué,Claude.
Quellesurprisemeréservait-ilencore?
34
J’avaisdoncrendez-voustoutenhautdel’ArcdeTriomphe…JereconnaissaisbienlàClaude
et son goût desmétaphores: pour cette entrevue destinée àmarquer la fin de samission
auprèsdemoi,quelmeilleurendroiteneffet?Carpouruntriomphe,son«enseignement»en
avaitétéun!Maisjelesoupçonnais,comptetenudelamodestiedontilavaitfaitpreuveetde
son souci de mettre en avant mes avancées et mes réussites plutôt que ses succès de
«mentor»,devouloircélébrermonpropretriomphe,celuiquis’incarnaitdanstantdepetites
chosesauquotidien,commedansdeplusgrandes,dontLesFéesmodeétaientl’emblème…
J’approchaidumonument,admirantsursesflancslesallégorieséclatantesdelavictoire.
Oui,quelmeilleurendroit,vraiment,pourcélébrerl’achèvementdemonprojetpersonnelet
rendrehommageaubrillant accompagnementmenéparClaude?J’avaislementonglorieuxet l’œil fier, tandis que je passais à côté du soldat inconnu et jeme sentais habitée d’une
mêmeflamme.
Parvenue tout en haut de l’édifice, j’observai la vie au-dessous demoi, tous ces points
minusculesquis’agitaientdanstouslessens,cesvoituresdelatailled’autos-tamponneuses,
ceshumainsgroscommedespixelscolorés…Leventfaisaitdansermescheveuxetj’inspirais
àpleinspoumons lesparticulesde libertéetd’ambitionquisemblaient flotterautourdece
lieuchargéd’histoireetdeconquêtes.
Claudesetenaitlàetm’accueillitàbrasouverts.
—Claude!Quelplaisirdevousvoir!
—MoiaussiCamille.Alors,remisedevosémotionsdel’autresoir?
— Pour ça oui. C’était merveilleux! Merci encore pour tout ce que vous avez fait. Et
l’arrivée de Jean-Paul Gaultier, c’était dingue! Jeme demande encore comment vous avez
réussicemiracle.
—Ah,ah!Petitsecretdefabrication…Mais,voussavez,sileconceptneluiavaitpasplu,il
neseraitpasvenu.Leméritevousrevientdoncentièrement.Avez-vousvu leshauts-reliefs
de ce monument, Camille? C’est magnifique, n’est-ce pas? Je ne voyais pas de meilleur
endroitpourachevercettemission.Toutecettesymboliquedevictoire,de liberté,depaix…
C’est ce que vous avez réussi à gagner, grâce à vos efforts, à votre volonté et à tous les
changementspositifsquevousavezmisenœuvredansvotrevie…
—Jen’yseraisjamaisarrivéesansvous!
—Toutlemondeabesoind’unguideàunmomentouunautre,etjesuisheureuxd’avoir
puvousaider…
Nousnoustûmesuninstant,émus,leregardrivésurl’exceptionnelpanoramaqu’offraitla
terrasseoùnousnoustrouvions.
—Voussavez,Camille, j’aimeàpenserquenoussommes touscitoyensdumonde,mais
peudegensenontvraimentconscience.Chacunpourraitdevenir«ambassadeurdelapaix»
rien qu’en agissant à son niveau, en œuvrant à sa sérénité intérieure et à son bonheur.
Imaginezl’impact,sideplusenplusdegenschoisissaientlecerclevertueuxaulieuducercle
vicieux…
—C’estvrai.C’estpourçaquejesuisbiencontented’êtrerevenuedansleboncercle.Vous
m’avez tellement appris!Même si votremission auprèsdemoi s’achève, j’espère vraiment
quenouspourronscontinuerànousvoir.
—…
—Claude?
Sonvisages’étaitbrusquementassombri.
—Peut-êtrequequand jevousaurai faitmesrévélations,vousn’aurezplusenviedeme
voir…
—Dequoimeparlez-vous?Quellesrévélations?
—Jedoisvousdireunsecretquivapeut-êtrevousbouleverser.
—Vousmefaitespeur…
—Alorsvoilà…
J’étaissuspendueàseslèvres.
—Jenesuispasdutoutroutinologue.
—…
Jeleregardaisanscomprendre.
—En vrai, je suis architecte. D’ailleurs, lamaison que vous avez vue, c’estmoi qui l’ai
dessinée!C’étaitmonrêve…Devenirungrandarchitecte.Vousm’auriezconnuilyaquinze
ans, j’étaisungarspaumé,complètementdéprimé,gros, sansavenir…J’habitaisauxÉtats-
Unisàcetteépoque.Jetravaillaiscommeserveurdansunepizzéria,àdesannéeslumièresde
mes idéaux. C’est là que j’ai pris vingt kilos…Une fuite en avant dans la nourriture pour
oublieruneblessureencoreàvif…Toutçaàcaused’unehistoired’amourquiamalfini…
Claudehachaitsesphrasesetjelisaissursonvisageàquelpointcetépisodeavaitdûêtre
douloureuxpourlui.Lestraitscrispésàl’évocationdecesouvenirpénible,ilpoursuivit:
—J’ai quitté la France à la suite d’une rupture brutale et douloureuse avec celle que je
pensaisêtre la femmedemavie.Elleestpartieavecmonmeilleurami…Une trahisonqui
m’acomplètementmisparterre.Nousallionspasserentroisièmeannéed’Archietprojetions
denousmarionsàlafindenosétudes.Jenepouvaispasresterdanssonsillage.J’airessenti
le besoin de m’en aller loin, très loin, de tout laisser tomber, y compris mon rêve
professionnel,pour l’oublier.Unocéanentreelleetmoinesemblaitpasde trop!Maisune
foisauxStates,madépressionn’afaitqu’empirer.Jemesuistotalementlaisséaller,jusqu’à
devenirénorme.
Jem’écriaidansundéclicsoudain:
—Maisalors,l’hommedelaphoto,c’étaitvous!
Cefutàsontourdenepascomprendre.
Ilmefallutexpliquerl’indélicatessequim’avaitvaludedécouvrirleclichédanssontiroir.
—Oui,c’étaitbienmoi.L’autrehomme,c’estJackMiller.C’estluiquis’estoccupédemoi
et m’a remis sur les rails pour m’aider à devenir ce que je suis aujourd’hui. Sans lui, je
n’aurais jamais repris l’architecture, je ne croyais plus en moi. C’est mon mentor, mon…
routinologue!
—Commentça,votreroutinologue?
Leventfaisaitvolersamèchepoivreetseletsesyeuxsefirentpluspétillants.Ilpoussaun
grossoupir,puissedécidaàtoutmeconfier.
—Camille,ilesttempsquejevousexplique…Laroutinologie,ensoi,estuneinvention.Il
s’agitenréalitéd’unesortedechaîned’entraide,derelaisdelaréussite:celuiquiaétéaidé
devientroutinologueàsontouretdoittransmettrecequ’ilaappris,envenantenaideàune
autrepersonnedesonchoix.
—Mais…Mais…Cen’estpaspossible…C’est…C’estincroyable!
—C’estlavérité.
— Et votre cabinet? Votre assistante? Et cette jeune femme qui me disait avoir été
accompagnéeparvous?
— Une mise en scène montée de toutes pièces. En réalité, ce cabinet est mon bureau
d’architecteetMariannemonassistantehabituelle.J’aidûlamettredanslaconfidenceetla
convaincre de jouer le jeu. Cette femme qui a accepté de témoigner comme étant une
anciennecliente,c’estmapetite-nièce…Pourlereste,ilmesuffisait,àchacunedevosvisites,
decachertoutcequiauraitputrahirmonvraimétieretdemettreenévidencequelquesfaux
dossiersderoutinologue…
—C’étaitdoncpourça,leplandemaisonaveclescotesetlesdossiersempilés?
Ilacquiesçaensilence,guettantmaréaction.
— Mais alors, vous n’avez pas vraiment de compétences ni de légitimité pour jouer le
coachavecmoi?
Iltoussota.C’étaitlapremièrefoisquejelevoyaisperdredesacontenance.
— Oui et non, Camille. Car chaque nouveau «routinologue» a reçu, comme vous, un
apprentissage,qu’ilreproduitensuitescrupuleusement.Pourvous,çaamarché,non?
Jesentaisqu’ilattendaitdemoiuneformed’absolution.Jen’étaispasencoretoutà fait
prêteàlaluidonner.Ilallaitd’abordfalloirquejedigèretoutça.Ildutliredansmespensées,
carilreprit:
—Necroyezpasquejenesaispascequevousressentez,Camille.Pourmoiaussi,çaaété
unchoc,quandj’aiapprisqueJackMillern’étaitpasroutinologue…Certes,laméthoden’est
pasclassique,pastrèsorthodoxemême,maisellevautlapeine,vousnecroyezpas?
Nousnousregardâmesintensément.Uninstantsuspendu,fort,complice…
Jecapitulai.
—Oui.Çaenvautlapeine.
Ilrespiraànouveau.Souriant,ilfarfouilladanssasacochepourenextrairequelquechose.
—Alors,vousêtesprêteàrecevoirceci…
Il me tendit un épais cahier. À l’intérieur, je retrouvai toutes les étapes de mon
programme,lesexpériences,lesapprentissages,lesinstructionsdétaillées.Jeparcourusavec
émotioncespagesrempliesdenotes,deschémas,dephotos…Quelrecueilimpressionnant!
—Je l’ai tenupour vous tout au longde votre parcours.C’est un support qui vous sera
précieuxpouraccompagner,plus tard,celuioucellequevouschoisirez.Surunregard,une
parole,voussaurezquec’estlabonnepersonne…
—Ças’estpassécommeçapourmoi?
—Oui.Çafaisaitquatreansquej’attendaisdetrouverquij’auraisenvied’accompagner!
J’enrestaisbouchebée,flattéeaussi.
Puisilmetenditdescartesdevisitederoutinologueimpriméesàmonnom–commes’il
n’avait pas douté un seul instant que je dise oui –, ainsi que des fausses pochettes de
dossiers,desphotosetdestémoignagesderemerciementsquej’auraisàafficheraumurde
monfuturcabinetdeconsultation…Toutelapanoplieduparfaitroutinologue!
—Jevous enprie.Prenez-les.Àvotre tourde transmettre tout cequevousavezappris.
Vousleferez,n’est-cepas?Vousnelaisserezpaslachaînedesroutinologuesserompre?
Savoixavaitprisl’accentdelasupplication.
J’étaischamboulée.Sonregardsoutint lemienavec insistance.Toutcequenousavions
vécu me revint en mémoire. L’émotion me serra la gorge. Je tendis le bras et pris le
matériel…Jeluidevaisbiença,non?
35
Les gouttes, de plus en plus grosses, s’écrasaient sur mon pare-brise. Les essuie-glaces
grinçaient,maisenmoi,toutétaitcalme.Malgrélapluie,lagrisaille,lesembouteillagesetla
marerougeque lespharesrépandaientdans lanuit.Pour lapremière foisdemavie, jeme
sentaispleinementenpaix,«alignée»commeauraitditClaude.Fini le tempsoù lavieme
chahutaitcommeunevulgairebrindilleprisedansletumulteduvent.Jouraprèsjour,jene
cessaisdem’émerveillerdemesressources intérieuresetmesentaisconnectéeàune force
dontjenesoupçonnaispasjusque-làl’existence.Jemesentaisprêteàfairefaceàtoutesles
situations.J’avaisenfincompriscommentprendrelesrênesdemavieetpourrienaumonde
nelesauraislaisséess’échapperdemesmains.
Autour de moi, à l’arrêt dans les voitures, empêtrés dans un collé-serré de taules, des
visagesrembrunis, agacés,fatigués.J’avaisenvied’ouvrirmesvitresetdecrieràtue-têtelemode d’emploi de Claude pour se rabibocher avec le bonheur. Au lieu de cela, je me
contentaisdesourirebéatement,enattendantquelefeupasseauvert.
Vert! Jedémarrai en trombe,presséede libérer la voie,maisunvéhicule, grillant le feu
rouge,m’emboutitviolemmentsurladroite…
Off.
Grosblanc.
Puisbientôt,lessirènes.
Oh,unjolipompier,medis-je,tandisqu’onm’extrayaitdemonvéhicule.
Quelques instantsplus tard, assisedans le camiondes secours, jeme remettaisdemon
choc.Unefemmefitalorsirruption:lachauffarde.Ellefonditsurmoi,serépanditenexcuses
larmoyantes,semaudit,sefustigea,s’admonesta,seplus-bas-que-terra…
Je l’écoutaisans l’interrompre.Je l’auraisvouluque jen’auraispuréussir:quand il faut
queçasorte,fautqueçasorte.Touteslesdeux,nousn’avionsrien,àpartquelquesbleuset
égratignures.Plusdepeurquedemal.Malgrétout,elleneseremettaitpasd’avoirprovoqué
l’accident.
Aprèsleconstatd’usageetdifférentesformalitésadministrativo-policières,nousgarâmes
nos voitures sur le bas-côté pour libérer la chaussée. Elles seraient enlevées par nos
assureursrespectifs.
Pour nous remettre du froid et du choc, je proposai alors àmon emboutisseuse encore
toutecontrited’allerboireunchocolatchaud,enattendantlesdépanneuses.Ellesemblaàla
foisreconnaissanteetincrédulequejeluitémoignecettedélicateattention.
Elledéversasurmoiautantderemerciementsqued’excusesuninstantauparavant.Jene
meformalisaipasdecedébordementverbal:ellesemblaitvraimentàbout,lapauvre.
Nous commandâmes des chocolats chauds – viennois pourmoi, le réconfort d’un petit
monticuledechantillys’imposait!Jevoyaissalèvreinférieuretrembloter,lasentaisaubord
d’unflotdeconfidencestroplongtempscontenues.
Jeposaimamainsursonavant-brasensigned’encouragement.
—Nevous inquiétezpas! luidis-je.Cen’estpas si grave!Etpuis, ils commencentàme
connaître,mesassureurs.J’ai euaffaireàeux il yaquelquesmois.Aveccequ’on lespaie,
autantqu’ilsserventàquelquechose!
Deslarmescommençaientàperleraucoindesesgrandsyeuxbleusagités,perdusdansun
visagelargeetrond.
—Mer…Merci!Vous…Vous êtes si gentille!À votreplace, je crois que j’auraispété les
plombs!
—Çan’auraitpasserviàgrand-chose.
— Je suis si… si… désolée! Je ne sais pas ce qui m’arrive, ces derniers temps, rien ne
tourne rond! Je suis à vif, j’ai envie de tout envoyer balader… Et là-dessus, cette journée
effroyable,vraiment,c’esttrop!
Elle s’effondra devant moi dans une explosion de sanglots. Ce qui ne fut pas sans me
rappelerdeschoses…
Lesbattementsdemoncœurs’accélèrent.Lemomentétaitpeut-êtrevenu?Sheistheone,
pensai-jeavecunecertaineémotion.
Allais-jeêtreàlahauteurdelatâche?Inconsciemment,jemeredressaidansmonfauteuil
debistrot,etprisuneprofonde inspirationavantdeplonger lamaindans lapochedemon
manteauetdecaresserlepetitboutdecartonquis’ytrouvait.
—Commentvousappelez-vous?demandai-je.
—Isabelle.
Jeluitendismapetitecarte.
—TenezIsabelle.Prenez.Ilsetrouvequejepourraipeut-êtrevousêtreutile…
Elle se saisitdemacartedevisiteavec l’air incréduledequelqu’unquinevoitpasbien
commentonpourraitluivenirenaide.
—Jesuisroutinologue.
—Routino-quoi?
Petitlexiquederoutinologie
Ancragepositif
C’estunetechniquequivouspermettradevousmettredansunbon«étatressource»,c’est-à-
diredansdesconditionsphysiquesetémotionnellesfavorables.Comment?Enréactivantces
mêmessensations,ressentieslorsd’unmomentheureux.
Pour cela, créez votre ancre: dans un endroit calme, visualisez bien lemoment heureux
dont vous voulez vous souvenir, ressentez intensément l’état émotionnel que vous voulezpouvoirretrouver,etassociez-luiunstimulus:mot,imageougeste.Avecdel’entraînement,vous réactiverez l’ancre en reproduisant le geste, lemot, ou en évoquant l’image associée,
afinderetrouverl’étatémotionnelsouhaité.
Appareilphotoimaginaire
Pouractionnervotre«appareilphotoimaginaire»etmodifierlefiltredeperceptiondevotre
réalité, il vous faut être à l’affût du beau, focaliser votre attention sur des choses jolies,
agréables, réjouissantes, dans la rue, dans les transports, partout où vous allez. Vous
constituerezainsiuncatalogued’images intérieurespositives:extrêmementbénéfiquepour
reprogrammervotrecerveauenpositif!
Artdelamodélisation
Il s’agitdevous trouverdesmodèlesparmi lespersonnalitésou lespersonnagesde fiction
dontvousadmirezunequalité,unaspectde leurvie.CommeCamille,vouspouvezdresser
leur portrait chinois («J’aimerais avoir la sagesse d’un Gandhi, la grâce d’une Audrey
Hepburn,etc.»),faireunpatchworkdeleursphotosetl’afficheràunendroitoùvouspourrez
le voir souvent, ou encore imaginer que vous êtes telle ou telle personne, et agir en
conséquence pour gagner en confiance en vous. Prenez le meilleur de vos mentors –
attitudes, bonnes pratiques, philosophie –, et construisez ainsi votre propre modèle de
réussite!
Cahierdesengagements
Cecahiervousserviraànoterlesobjectifsquevousvousêtesfixés,lesengagementsprisvis-
à-vis de vous-même, afin de vous impliquer complètement dans vos résolutions. Et pour
chacund’eux, indiquez ensuite s’il est atteint ou pas.Rappelez-vous que le plus important
n’estpasde«savoircequ’ilfaudraitfaire»,maisdelefaire.Justdoit!
Carnetdupositif
Ils’agitd’unrépertoiresurlequelvousnoterez,parordrealphabétique,vospetitsetgrands
succès,vospetitesetgrandesjoies.Laméthode?Pourchaquelettre,pensezàdesmots-clés
qui évoquent desmoments forts et positifs. Exemple: A commeAmour (décrivez vos plus
beauxmomentsamoureux),ouArthur(lesbonsmomentsavecvotreenfant),ouAntibes(si
l’endroitévoquedesvacancesmémorables),ouArtsmartiaux(silesouvenird’unemédaille
vousaempli(e)dejoie),etc.Décrivezlesouveniravecprécision–l’environnement,lesgens
–,etdétaillezégalementvossensationsphysiquesetémotionnelles.
Catalogueinterned’imagespositives
Ilvadepairavecl’appareilphotoimaginaire!Vousconstituezunalbumphotomentaliséde
moments agréables, paisibles, à convoquer régulièrement pour retrouver ces bonnes
vibrations.Toutcelacontribueàrenforcerunmentalfortetunevisiondumondepositive.
Changerdedialogueintérieur
Pouryparvenir,unetechniquequiafaitsespreuves:répétezchaquematindevantlemiroir
des affirmations positives sur vous-même.Même si vousn’y croyez pas encore tout à fait,
votrecerveau, lui, lesentendet lesenregistre!Vousygagnerezenbien-être, et restaurerez
uneimagevaloriséedevous-même.
Chansonsénergisantes
Composez-vousunelistedelecturedemusiquesquivousdonnerontdesailesdansledos.
Coderouge
Il s’agit d’un petit signe dont vous pourrez convenir avec votre conjoint(e) (ou avec un
enfant)pourle(la) prévenirqu’ilyadangerdedispute.C’estunesortedewarning, commeenvoiture.Legesteagitcommeunelumièrequiclignoteetmetl’autreengarde.Lamontée
encascadedel’agressivitépourraainsiêtreévitée.
Couperlesélastiques(dupassé)
Les«élastiques»dupassésontdesévénementsquivousontaffecté(e)etdontvousn’avez
pas conscience de l’influence sur votre présent. Certaines circonstances de votre vied’aujourd’hui réactivent ces blessures et libèrent malgré vous une charge émotionnelle
disproportionnée par rapport à l’événement déclencheur. Pour vivremieux le quotidien, il
convient d’identifier ces «élastiques» et de les «couper», en en prenant conscience tout
d’abord, puis en entreprenant certaines actions, par exemple en travaillant sur des colères
refouléesd’autrefois,oubiendesdeuils inachevés(libérer laparoleet lesressentissoitpar
l’écriture,soitauprèsd’unthérapeute).
Créativitéamoureuse
Osezlacréativité!Faitesdesbrainstormingsamoureux:noteztoutesvosidéesensuivantla
règleduCQFD.Cbarré:pasdecensurenidecritique.Qpourquantité:émettezunmaximum
d’idées.Fpourbienvenueaufarfelu:notezmêmelesidéeslesplusfollesetimprobables!D
pourdémultiplication:uneidéevousfaitpenseràuneautreidée,celas’appellerebondir!Que
vous imaginiez des lovtxt (des textos d’amour créatifs), ou que vous cherchiez des lieux
insolites de rendez-vous pour surprendre votre amoureux(se), la créativité reste votre
meilleurealliéeanti-routine.
Décollersestimbres
Vous«décollerezvostimbres»enosantdirecequevousavezsurlecœur,enexprimantvos
contrariétés au fur et àmesure qu’il y a gêne, conflit – latent ou non. Vous éviterez ainsi
l’effetcocotte-minuteetl’explosion.
Empathiemouillée
Vous pratiquez l’empathie mouillée lorsque vous prenez à votre charge les problèmes de
l’autre,quevousabsorbezsesémotionsnégatives.C’estainsiquevousfinissezparallermal,
vousaussi.
Empathiesèche
Vouspratiquezl’empathiesèchelorsquevousadoptezuneattituded’écoutedistancée,écoute
quivouspermetd’entendreetdecompatiraveclesproblèmesdevotreentourage,sansvous
laissercontaminerpar leshumeursnéfastes.C’estunbouclierdeprotectiontrèsutilepour
nepasvouslaisseraspirer.
Faire«commesi»
La techniquementale du «faire comme si» consiste à agir comme si la situation qui vous
embarrasseou lachosequevousavezà faireetpour laquellevousrenâclezunpeuétait la
situation ou l’activité la plus passionnante du monde. Vivez-la à 400%; ne vivotez pas,
n’attendezpasenruminantqu’unchangementprovidentieltombeduciel.
Fairelechat
Vous«ferez le chat» en vous accordant unpetitmoment rien qu’à vous, un petitmoment
paisible et calme, bien ancré dans l’instant présent, où vous pourrez vous étirer, bâiller,laisser vos idées flotter comme une méditation. Faire le chat, c’est tout simplement se
contenter«d’être»,sanscéderàlapressiondu«faire»…
FaireuneF.E.T.E.
Plutôtqued’utiliser la«mitrailletteàreproches»,parlezposémentdevotreressenti,encas
de situation tendue ou blessante, formulez une demande claire à votre interlocuteur. Pour
cela, rappelez lesF/Faitsquivousont contrarié(e).PuisexprimezvotreE/Émotion, ceque
vous avez ressenti. Proposez ensuite unT/Terrain d’E/Entente, c’est-à-dire une suggestion
d’amélioration,unesolutiongagnant-gagnantpourlesdeuxparties.
Instantsdegratitude
Chaquejour,ayezentêteunremerciementpourtoutcequevotrejournéevousaapportéde
positif,duplusinsignifiantauplusgrandbonheur(dubienfaitd’unetassedecaféauréveil,à
l’incommensurablejoied’unaccomplissementpersonnel).
Listedevosexpériencespositivesetlistedevosqualités
Établissezlalistedesévénementspasséslesplusmarquantspourvousentermesderéussite
et celle de vosqualités et savoir-faire.Cela vouspermettrade vous focaliser sur les points
positifs de votre vie ou de votre personne, et de regagner ainsi du terrain sur le plan de
l’estimedesoi.
MéthodeSMART
Cetteméthodevousaideraàdéfinirlesobjectifsquevoussouhaitezatteindreetàobtenirles
meilleures chances de les atteindre. Il vous faut vous assurer que votre objectif est
S/Spécifique (clairement cerné et adapté), M/Mesurable (un indicateur de succès doit
pouvoir établir qu’il est atteint), A/Atteignable (défini de manière à pouvoir être réalisé,
découpé en une série d’objectifs accessibles; il ne doit pas être «l’inaccessible étoile»),
R/Réaliste(pourmaintenirunemotivationforte,votreobjectifdoitêtrecohérentparrapport
àvotreprofiletvoscompétences)etT/Temporellementdéfini(vousvousêtesfixéunedate
butoir).
Mission«Grandblanc»
C’estlegrandménageinetout.
Le ménage in ou ménage intérieur: vous allez identifier tout ce qui vous paraît toxique,
néfaste, sclérosantdansvotre relationauxautres,votreorganisation,votreenvironnement.
CommeCamille,vouspouvezétablirunelistede«jeneveuxplus…»
Leménageout,ménageextérieur:vousallezvousconcentrersurvotrecadredeviepour
l’améliorerdetouteslesfaçonspossibles,envousdébarrassantdesobjetsinutilesouabîmés,
enfaisantdutri,durangement,enrafraîchissantladécoration…
Mitrailletteàreproches
C’est«l’arme»dontnoususons,lorsquenousfaisonscommencernosphrasesparle«tu»du
reproche(«Tunepensesjamaisà…Tuteplongesdanstonordisansmedemandersi…»).À
proscrireabsolumentpour éviterdemettre lepieddans l’engrenagede l’agressivité.Mieux
vautapprendreàformulersesressentisenutilisant«je».
Nourrirsesrats
Vous«nourrissezvosrats»sivousencouragezlapartiedevous-mêmequiaimebiensefaire
plaindreetjouerlesCaliméro.Cequiestsouhaitable,donc,c’estd’arrêterdelesnourrir,ces
rats,etd’essayerdecomprendreenquoicemauvaisrôlenourritcertainesdevospeursoude
vos blessures secrètes. Vous deviendrez ainsi moins atteignable, parce que plus sûr(e) de
vous.
Penséeetattitudepositives
Vos paroles ont une vibration. Votre attitude physique aussi. Les deux influencent
grandementvotrementalet,parextension,votreréalité.Voilàpourquoiilestbond’adopter
unepenséeetuneattitudepositives.Se tenirdroitplutôtquevoûté, sourireversus faire la
tête,voirlepositifentoutechoseplutôtqueseplaindreetsedécourager…Entraînez-vousà
laformulationpositive:employezdansvosphraseslatournurepositiveplutôtquenégative,
laformeactiveplutôtquepassive.Dire«jen’yarriveraijamaisdanslestemps»,cen’estpas
pareil que dire «je fais face aux difficultés en m’organisant et en mobilisant mes
ressources»…Àvousdejouer!
Respirationprofonde
Deux à trois fois par jour, prenez le temps de respirer profondément. Asseyez-vous
tranquillement,relâchezbientouteslestensionsdansvotrecorps,desserrezlesmâchoiresen
entrouvrant légèrement la bouche. Inspirez jusqu’à quatre, bloquez deux, expirez quatre,
bloquezdeux.Progressivement,vousaméliorerezvoscapacitésrespiratoiresetpasserezàdes
rythmesinspiration-apnée/expiration-apnéetelsque8-4/8,12-6/12,16-8/16.
À savoir: la qualité de votre expiration est primordiale, car mieux vous expirez, mieux
vousremplissezensuitevospoumonsd’airneuf!Or,cetapportenoxygènevaressourcertout
votrecorps,sansparlerdevotrecerveau…
Chérissezcesoufflevitaletimaginezqu’ilprocèdecommeunmassageintérieur.
Rumignotte
C’estvotrecagnotteanti-rumination!Pourcréervotrerumignotte,recyclezunbocalouune
bonbonnière.L’idée:chaquefoisquevousvoussurprenezàruminerunepenséenégativeou
stérile, glissez un euro ou un dollar dans la rumignotte. Une pratique ouverte à toute la
famille!
Sourireintérieur
Lesmaîtrestaoïstesenseignaientl’artdusourireintérieur–oul’artderetrouverlasérénité
intérieure –, garant de santé, de bonheur et de longévité. C’est un état de bien-être et de
calme qui s’obtient par des exercices réguliers de relaxation, de respiration profonde. Le
sourire intérieur, c’est aussi la capacité à développer acceptation, bienveillance, générosité,
amourpoursoietpourautrui.Êtrehabitéparcetétatd’espritestcequiapportelafameuse
«paixintérieure».
Théoriedespetitspas
Cette théorie nous dit qu’il est sage d’envisager le changement comme une succession de
petites étapes, de petites transformations, plutôt que comme une montagne immense à
franchir d’un coup. Il apparaît ainsi moins effrayant et son résultat n’en sera que mieux
atteint!
Triangledramatique
Le triangle dramatique est un principe qui décrit les trois rôles symboliques que nous
pouvonsoccuper tourà tour,plusoumoinsconsciemment,dans le scénariod’unerelation
négative:celuidelavictime,dupersécuteuroudusauveur.Dansuntelschéma,ilnepeuty
avoird’issuefavorable,àmoinsdesortirdujeu.
Remerciements
Un immensemerci à Stéphanie Ricordel et Élodie Dusseaux, éditrices chez Eyrolles, pouravoircruenmonprojetetluiavoirpermisdevoirlejour.
Merci à Erwan Leseul d’Édito et à Christine Michaud d’avoir choisi de le défendre au
Québec.
MercitoutaussigrandàStéphanie,masœurjumelle,etàmamèrequim’onténormément
aidée et soutenue de leur avis bienveillant et constructif tout au long de l’écriture de cet
ouvrage.
MerciàRégis,moncréatifbien-aimé,quim’asouffléletitredecelivre.
RaphaëlleGiordano
Écrivain, artiste peintre, coach en créativité… La création est un fil rouge dans la vie de
Raphaëlle.Diplôméedel’ÉcolesupérieureEstienneenArtsappliqués,ellecultivesapassion
desmots et des concepts pendant quelques années en agences de communication à Paris,
avant de créer sa propre structure dans l’événementiel et le coaching créatif
(www.emotone.com).
Quant à la psychologie, tombée dedans quand elle était petite, formée et certifiée à de
nombreux outils, elle en a fait son autre grande spécialité. Ainsi, ses premiers livres
proposentuneapproche résolument créativedudéveloppementpersonnel, tant sur le fond
que sur la forme. Les secrets du docteur Coolzen: (une collection de quatre titres),Mon
carnetdecoaching100%bonheur,J’aidécidéd’êtrezen…
Avecsonpremierroman,Tadeuxièmeviecommencequandtucomprendsquetun’enas
qu’une,elleseconsacreàunthèmequiluiestcher:l’artdetransformersaviepourtrouverle
chemindubien-êtreetdubonheur.
Etlaroutinologie?
Constatant qu’un nombre croissant de personnes possédant tout pour être heureuses sans
finalement parvenir à l’être se trouvaient en proie à une forme de morosité chronique,
Raphaëlle a créé un métier essentiel. Ni psy, ni coach, le routinologue est un expert en
accompagnementdansl’artderetrouverlebonheurperdu!
Poursuivrel’actualitédeRaphaëlleGiordano(datesdeconférences,séminaires,webinars), -rendez-voussurwww.routinologue.com