Post on 13-Sep-2018
(SUR) VIVRE EN HAUT
RELATIONS HOMME / NATURE DANS LE NORD QUÉBÉCOIS
Essai (projet) soumis en vue de l’obtention du grade de M. Arch.
Superviseur:
Pierre Thibault
Nils Kröger
École d’architecture
Université Laval
2012
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RÉSUMÉ DU SUJET
Avec la mise en place du Plan Nord par le gouvernement québécois, le territoire
nordique du Québec est appelé à changer profondément. Le présent essai (projet) porte
sur le milieu de vie qui sera créé pour accueillir les travailleurs de la mine Renard, une
mine de diamant qui sera mise en service dans les cinq prochaines années dans le Nord
du Québec. Le climat rigoureux du site, son caractère extrêmement isolé, et la nature
des activités qui s’y dérouleront posent des défis architecturaux et constructifs hors du
commun. La condition vierge du site influence également la nature du projet. Le défi
proposé est de créer un milieu de vie sain, attirant et stimulant à l’échelle de l’usager et
de sa communauté. Cet essai tente de redéfinir la place de l’architecture dans notre
société en sortant des balises normales de ce champs d’étude pour sonder des enjeux
d’ordres politiques, sociétaux et écologiques. La thèse selon laquelle une mine peut être
génératrice d’un milieu de vie attirant et stimulant y est défendue. Ce faisant, cet essai
se positionne dans un débat par rapport à l’exploitation des ressources naturelles qui
divise actuellement la société québécoise. En tant que société, décidons de la meilleure
façon de développer notre territoire.
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MEMBRES DU JURY
Pierre Thibault président du jury, superviseur de l’essai (projet), architecte, professeur
Diana Cardas architecte, chargée de cours
Gianpiero Moretti professeur
Olivier Bourgeois architecte
AVANT-PROPOS
Je voudrais prendre l’occasion d’exprimer ma gratitude pour ceux qui m’ont appuyé tout
au long de mon parcours académique et professionnel jusqu’à ce jour.
Merci à M. Pierre Thibault pour sa contribution iau projet. Ses idées, son écoute
et le temps qu’il y a consacré ont été d’une aide précieuse. Merci aux collègues
étudiants de l’université Laval et McGill qui ont passé de nombreuses soirées tardives à
l’atelier avec moi. Merci à ma famille pour leur soutien moral et financier sans lequel
cette aventure n’aurait pas été possible.
Finalement, un merci spécial à ma copine Jeanne qui m’a accompagné dans les
moments heureux et difficiles depuis le début de mes études en architecture.
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TABLE DES MATIERES
i. Résumé 1
ii. Membres du jury 2
iii. Avant-propos 2
Liste des figures 4
1. Introduction 5
2. Cadre théorique 6
2.1 Gestion et développement du territoire
2.1.1 Modèles théoriques 6
2.1.2 Enjeux propres au Nord Québécois 7
2.2 Cohabitation et communauté
2.2.1 Modèles théoriques 8
2.2.2 Enjeux propres au Nord Québécois 10
2.3 Formes de l’habiter 11
3. Précédents
3.1 Simmons Hall 14
3.2 Immeuble qui pousse 16
3.3 Abbaye Val-Notre-Dame 17
4. Projet
4.1 Analyse de site 19
4.2 Projet proposé par la compagnie minière 21
4.3 Processus de création 25
5. Synthèse 28
Bibliographie 30
Annexes 32
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LISTE DES FIGURES
Figure 1. Unité d’habitation, Marseilles (http://forum.skyscraperpage.com/showthread.php?t=176317)
Figure 2. Simmons Hall, vue d’ensemble (http://stevenholl.com/project-detail.php?id=47&books=96)
Figure 3. Simmons Hall, espaces communs (http://stevenholl.com/project-detail.php?id=47&books=96)
Figure 4. Simmons Hall, coupe schématique (http://stevenholl.com/project-detail.php?id=47&books=96)
Figure 5. Immeuble qui pousse, vue d’ensemble (http://edouardfrancois.com/project_detail.php?project_id=42)
Figure 6. Immeuble qui pousse, ambiance extérieure (http://edouardfrancois.com/project_detail.php?project_id=42)
Figure 7. Abbaye Val-Notre-Dame, insertion paysagère (http://www.cecobois.com/repertoire/index.php?option=com_rea&view=fiches&id=220&Itemid=100)
Figure 8. Abbaye Val-Notre-Dame, cloître (http://www.cecobois.com/repertoire/index.php?option=com_rea&view=fiches&id=220&Itemid=100)
Figure 9. Analyse de site
Figure 10. Carte topographique et hydrographique (Stornoway Inc.)
Figure 11. Rose des vents, été (Stornoway Inc.)
Figure 12. Implantation de la mine
Figure 13. Plans du complexe d’habitation (Stornoway Inc.)
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1. INTRODUCTION
Le présent essai (projet) prend position par rapport à un débat politique délicat qui divise
actuellement la population québécoise. L’essor économique des pays dits «en voie de
développement» (Chine, Inde, Brésil) fait actuellement monter la demande pour
plusieurs ressources naturelles dont les minerais puisque ces ressources sont
nécessaires au développement des infrastructures de ces pays ainsi qu’à la production
de divers biens de consommation. (Tremblay : 2012) Le Québec, dont le sous-sol est
riche en minerai, est donc dans la mire de diverses compagnies minières cherchant à
profiter de cette période d’essor économique (Adriana-Wisco, New Millenium, Tata et
ArcelorMittal par exemple). Le gouvernement du Québec, dont l’intérêt pour cette région
remonte à l’époque du premier ministre Robert Bourassa, y voit l’occasion de créer des
milliers d’emplois biens rémunérés et au salaire fortement imposé, et de percevoir des
redevances des compagnies minières. Il consent donc à investir massivement dans les
infrastructures (électricité, routes) nécessaires à cette industrie. Les détracteurs du Plan
Nord estiment que les redevances exigées aux minières sont trop faibles et que les
l’impact environnemental de l’activité minière sera lourd. L’exploitation minière à un
endroit donné est forcément temporaire, puisque la quantité de minerai contenue dans
le sol est finie. Il ne s’agit donc pas de développement durable. L’idée avancée dans cet
essai est qu’en investissant davantage dans la création de milieu de vie destinés aux
travailleurs miniers, les compagnies minières pourraient devenir les moteurs d’un
développement durable du Nord. Cet essai s’intéresse concrètement au cas du projet
Renard, qui deviendra éventuellement la première mine de diamants au Québec. Le site
est situé à 360 km au Nord-est de la ville la plus proche, soit Chibougamau (pop. 7500).
Le projet proposé prévoit de prolonger une route provinciale, soit la route 167, pour
rejoindre le site de la future mine qui est présentement inaccessible. Cette route
prolongée sur une distance de 260 km coûtera 375 millions de dollars selon les
dernières projections, dont 331 millions seront payés par le gouvernement québécois. À
proximité du site, le gouvernement a annoncé la création du parc Albanel-Témiscamie-
Otish sur un territoire de 11,000 km2 comprenant la communauté crie de Mistissini. Le
projet Renard emploiera 180 travailleurs durant la phase d’exploitation (10 ans).
La démarche se base sur deux prémisses. La première, formulée par Yan
(2001), avance que l’environnement a un impact sur le bien-être des gens qui y vivent.
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Par conséquent, un environnement extrêmement isolé et confiné, comme celui des
communautés minières du Nord-du-Québec, a un impact extrême sur ses habitants.
L’architecture, en tant qu’interface entre l’homme et l’environnement, peut mitiger l’effet
de ces facteurs (isolement, confinement) sur la qualité de vie des travailleurs. La
deuxième prémisse est qu’une vision de développement à long terme du Nord
québécois passe nécessairement par la création de milieux centrés sur l’usager. La
réflexion théorique accompagnant le projet s’articulera en trois temps. D’abord, le
contexte historique du développement Nord du Québec sera sommairement présenté.
Ensuite, la question de la forme idéale de cohabitation entre travailleurs sera abordée.
Finalement, le rôle de l’habitation dans le milieu de vie sera examiné.
2. CADRE THÉORIQUE
2.1 - Gestion et développement du territoire québécois
Le but de cette section est de décrire sommairement dans contexte historique le projet
s’inscrit. La littérature révèle que la méthode actuelle de développement du territoire
québécois s’inscrit dans une logique marchande et coloniale. Il s’agit d’une forme de
développement qui a peu de retombées sur le territoire concerné.
2.1.1 - Gestion et développement du territoire : modèles théoriques
Osherenko (1992) classifie les approches au développement du nord en trois
grandes catégories, soit l’approche de conquête et colonisation, l’approche de
développement balancé et l’approche de développement durable. De l’arrivée des
occidentaux en Amérique au XVe siècle jusqu’au début du XXe siècle, l’approche de
conquête et colonisation fut prédominante. Durant cette période, les richesses naturelles
du nord de l’Amérique attirent les explorateurs et les entrepreneurs européens et
américains. Le but de l’opération est de transférer la richesse produite au Nord vers le
Sud.
L’approche du développement balancé fut introduite dans les années 1980. Elle
vise à protéger l’environnement tout en extrayant les ressources nécessaires au niveau
7
de vie des sociétés industrialisées. Pour ce faire, des niveaux maximaux de pollution
sont dictés. Ceux-ci visent à protéger les écosystèmes et la santé humaine, mais
doivent être assez bas pour permettre un retour raisonnable sur l’investissement fait
dans ce territoire.
La notion de développement durable, qui est apparue vers la fin des années
1980, est définie ainsi par la Commission Brundtland : « développement qui répond aux
besoins du présent sans compromettre la possibilité des générations futures de
répondre à leurs besoins » (WCDE 1987 : 43) Ce concept diffère du développement
balancé en ce sens que l’entreprise durable tient compte des bénéfices et des coûts
environnementaux de ses opérations. Par exemple, elle augmente sa marge de profits
en générant moins de déchets, en réutilisant ses déchets et en employant des
technologies vertes.
2.1.2 - Gestion et développement du territoire : Enjeux propres au Nord québécois
Quelle relation les québécois entretiennent-ils avec leur territoire nordique?
Dufaux (2011) propose la dynamique coloniale comme prémisse au rapport que les
Québécois entretiennent collectivement avec leur territoire. En effet, le territoire
québécois fut initialement occupé sous forme de colonie. Bien que le Canada assume
une souveraineté politique depuis 1867 (confédération canadienne), la prospérité
économique du pays repose sur les exportations vers d’autres pays, principalement la
Grande-Bretagne au XIXe siècle puis les États-Unis au XXe siècle. Le but d’une colonie
commerciale étant de drainer les ressources de la colonie vers la métropole, la mise en
place de réseaux de transport sophistiqués et étendus est une priorité de l’État. Les
installations portuaires, aéroportuaires et les voies ferrées servant au transport de
marchandises sont donc mises à jour régulièrement. Or, afin de maximiser la rentabilité
de l’opération, les investissements servant la population (logements, écoles, hôpitaux)
sont tenus au strict minimum. Ainsi, King (1985) parle de la fondation de villes dans les
colonies commerciales comme d’un « mal nécessaire » lié à l’exploitation des
ressources. Dufaux (2011) évoque la différence entre l’occupation du territoire sous le
régime français et anglais. Ainsi, sous le régime français, les autorités politiques
s’efforcent de planifier et de construire des villes durables. Le lotissement des terres en
longues bandes étroites donne un accès égal aux cours d’eau et chemins pour tous les
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colons, favorisant ainsi une solidarité spatiale entre eux. Par sa construction massive,
l’habitat vise la permanence et la solidité. La cartographie urbaine de l’époque illustre
que les administrateurs planifient pour une croissance future de la colonie. Sous le
régime anglais, l’approche par rapport à l’aménagement des territoires à coloniser
change drastiquement. Ainsi, « l’implantation du système orthogonal des cantons,
derrière sa simplicité formelle, se révèle insensible à la nature du territoire dans son
relief, son réseau de drainage et son potentiel agricole. Mais cela importe peu puisqu’il
s’agit de favoriser la spéculation immobilière et l’extraction de capital à court terme plutôt
qu’une mise en valeur à long terme » (Dufaux 2011 ; 53). En somme, une logique de
rentabilité à court terme sous-tend le développement du territoire québécois.
2.2 – Cohabitation et communauté
La littérature scientifique supporte l’hypothèse selon laquelle il existe une relation
entre la forme physique d’une communauté et les liens unissant ses membres.
Différentes visions de la forme idéale de la communauté sont présentées. L’étude de
ces modèles théoriques de développement urbain alimente le processus de conception
du projet à l’échelle urbaine.
2.2.1 - Cohabitation et communauté: modèles théoriques
Quel rôle la discipline de l’architecture joue-t-elle dans la création de milieux de vie
durables ? Jacquard (2002 ; 123) avance que le travail de l’architecte est de réaliser est
« un lieu où les hommes vivront en commun ; il est de sa responsabilité de donner une
orientation à cette mise en commun. […] Elle peut aussi aboutir à des rencontres
toujours nouvelles, à la construction de personnes constamment en quête de contacts, à
la réalisation d’une société où chacun se sente merveilleux dans le regard des autres ».
Heller (2009 ; 18), pour sa part, confirme que la forme physique d’une ville a un l’impact
sur la communauté qui y vit. «The quality of an urban environment has a significant
impact upon the physical mental health of the incumbent community. […] For a
community to function and be sustainable, the basic social needs of its residents must
be met.» Ainsi, le sentiment d’appartenance à une communauté, de connectivité
(connectedness) et d’autonomie (empowerment) augmentent le bien-être collectif et
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individuel, ce qui a pour effet d’augmenter l’investissement en capital social et financier.
Ceci a pour effet d’augmenter la force et l’efficacité d’une communauté. Une revue
sommaire de la littérature scientifique récente révèle que plusieurs courants de pensée
différents tentent de définir la «bonne» communauté. La théorie du capital social et le
nouvel urbanisme sont abordés ici.
La notion de capital social fait référence au réseau social qui unit les membres
d’une communauté donnée. Le réseau social est formé de la somme des interactions
sociales du groupe. Cette forme de capital est difficilement quantifiable par opposition
aux autres formes de capital (physique, humain, naturel par exemple). La confiance et
les normes sociales sont des composantes importantes du capital social. Ainsi, la
confiance est nécessaire pour développer des relations d’obligations et d’attentes entre
les membres de la communauté. Les normes sociales encouragent certains
comportements et en proscrivent d’autres.
Le nouvel urbanisme est apparu en réaction à l’étalement urbain des villes nord-
américaines. Selon ce courant de pensée, cet étalement mène au déclin des centres-
villes et à la perte d’habitats naturels et de territoire agricole. Par ailleurs, les habitants
de la banlieue dépendent de l’automobile pour toute activité de la vie courante. La vie
communautaire y est peu présente puisque le mode de vie banlieusard ne favorise pas
les interactions sociales. Pour remédier à cette situation, le nouvel urbanisme préconise
un développement dense et mixte. Les transports actifs et collectifs sont préférés à
l’automobile.
Selon Heller, parmi les critères qui définissent le caractère durable d’une
communauté, on note :
1.- Sa capacité à satisfaire les besoins individuels et sociaux des habitants et sa
capacité à créer des opportunités pour réaliser leur potentiel,
2.- Le caractère sain, sécuritaire et habitable de l’environnement physique
3.- Le développement et l’usage des ressources sociales de la communauté d’une façon
durable pour construire des communautés fortes et résilientes, qui s’adaptent au
changement.
Talen (1999 ; 1369) propose la notion de «sense of place» pour décrire une
structure physique propice à supporter une communauté forte. «A sense of place is
recognized as ‘an important component of wellbeing as it forms part of an individual’s
identity, contributes to the creation of a group, neighbourhood or cultural identity» Ainsi,
l’usager qui vit dans un environnement distinctif aura plus de chances de s’y identifier et
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de s’identifier au groupe avec lequel il partage cet environnement. Cela met en lumière
l’aspect néfaste des milieux de vie génériques proposés aux travailleurs par les
compagnies minières.
La marche est une activité qui favorise l’interaction sociale et, par le fait même,
renforce la communauté : «Walking is a desirable physical activity for good health. It
also promotes a sense of belonging in the community through face-to-face social
encounters with others on the street.» (Ganapati : 2008, 385) Les propos de Talen
(1999 ; 1365) s’inscrivent dans la même logique : «The public realm provides
opportunities for community interaction, civic engagement, and a sense of community»
Ainsi, un milieu de vie structuré par des espaces publics de qualité et favorisant la
marche a plus de chances de faire vivre une communauté forte.
2.2.2 – Cohabitation et communauté : enjeux propres au Nord québécois
La stratégie employée pour développer un milieu de vie durable dépend du
contexte physique et culturel dans lequel il se situe. Certains facteurs propres aux
milieux éloignés (confinement, isolement) retiennent l’attention Cette étape vise à
quantifier l’impact de ces facteurs sur les usagers. La littérature scientifique en dresse
un portrait assez détaillé. L’étude exhaustive menée par Yan (2001) sur les usagers
d’une station de recherche arctique évalue les effets du confinement spatial sur leur
humeur. Les améliorations physiques potentielles à la station sont également traitées.
L’étude révèle l’importance du contrôle sur les ambiances physiques et sur la façon
d’occuper le temps en dehors des heures de travail pour les personnes isolées et
confinées. Ainsi, dans une liste donnée d’améliorations futures à la station de recherche
arctique qu’ils habitaient, les répondants ont priorisé d’augmenter les options
d’exercice à la station. Le contrôle individuel de la température et de l’humidité arrivait
au second rang. Par ailleurs, l’intimité des usagers vivant dans un espace restreint fut un
critère particulièrement important. Ainsi, l’isolation acoustique déficiente entre les
chambres fut sévèrement critiquée par les usagers. La séparation entre les espaces
privés et public était également prioritaire. L’étude indique que cette différenciation entre
l’espace privé et l’espace commun est plus importante que la taille des pièces.
Finalement, l’étude évalue la corrélation entre le bien-être psychologique des occupants
et certains facteurs environnementaux. Les facteurs de corrélations maximaux furent
établis entre le bien-être et l’environnement intérieur ainsi que le maintien de l’intimité.
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Clifford (2009) aborde les impacts d’un mode de vie nomade (fly-in / fly-out) sur la
qualité de vie des travailleurs miniers australiens. Il s’agit d’un modèle où les travailleurs
font la navette entre leur lieu de travail et leur maison aux quinze jours. Les compagnies
minières réduisent ainsi l’investissement en infrastructures pour les mineurs tandis que
les travailleurs passent plus de temps en compagnie de leurs proches. Au niveau
écologique, ce modèle est évidemment négatif en ce sens qu’il génère des
déplacements aériens réguliers sur de longues distances, décuplant ainsi l’empreinte
carbone du projet. L’étude de Clifford (2009) démontre que ce modèle a un impact
négatif sur la satisfaction des employés par rapport à leur travail. À long terme, ce
modèle perturbe le mode de vie (lifestyle) des employés et de leurs conjoints. D’autres
études ont démontré L’effet néfaste du FIFO sur les relations de couple et sur
l’interaction sociale et communautaire des employés fut également démontré. Les
problèmes de santés associés au FIFO incluent perte de sommeil, tabagisme et
problèmes gastro-intestinaux. Les familles affectées par le FIFO se perçoivent plus
souvent comme étant dysfonctionnelles.
À la lumière de ces études, certaines orientations de design s’imposent. En
milieu éloigné, les enjeux reliés à l’intimité et au contrôle de l’usager sur son
environnement sont majeurs. Par ailleurs, un scénario qui évite les allers-retours entre le
travail et la maison (fly-in / fly-out) serait préférable.
2.3 - Formes de l’habiter
The house is not simply the primary totem of how we individuate within the culture, it's also a principal means of how we aggregate. While houses may not exactly invent our social relations, they certainly make them visible. Homes may be our castles but they're our cathedrals as well. (Sorkin: 1987, 30)
La compréhension du rôle de l’habitation, cellule de base du milieu de vie, est
primordiale pour la compréhension de ce qu’est un milieu de vie durable. Cette section
s’attarde donc aux conceptions théoriques de l’habitation ainsi qu’aux besoins
spécifiques auxquels les logements devront répondre dans le contexte du projet
d’architecture proposé.
La perception du rôle de l’habitation est en constante mutation. Ainsi, Sorkin
(1987) établit que le début du mouvement moderne coïncide avec l’éclatement d’une
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d’une conception unifiée du rôle de la maison en plusieurs conceptions fragmentaires.
Les courants moderniste et postmoderne ont émergé de cette fragmentation.
Le mouvement moderniste a vu le jour dan l’Europe d’après-guerre. La
destruction causée par la guerre a créé un besoin massif en logements qui devait être
adressé rapidement. Les avancées technologiques dans le domaine des structures en
béton armé ont ouvert la voie à de nouvelles avenues aux architectes modernistes, qui
ont développé un vocabulaire architectural tirant profit du potentiel de ce matériau. Le
Corbusier est le porte-étendard intellectuel de cette génération d’architectes. Sa maison
Dom-Ino représente bien la liberté de conception qu’offre le béton. Dans Vers une
Architecture, il propose sa célèbre et choquante définition de la maison comme étant
rune « machine à habiter ». Cette glorification de la machine arrive au moment où
plusieurs machines intègrent la vie courante. L’automobile devient un moyen de
transport accessible aux masses. De concert avec le gouvernement, les urbanistes
entreprennent de construire les réseaux autoroutiers qu’on connaît aujourd’hui. C’est
cette vision de « machine à habiter » que Le Corbusier a concrétisé dans sa fameuse
Unité d’habitation. Cette pensée fut développée dans un contexte politique spécifique,
où l’on a tenté de transposer des construits sociaux d’égalitarisme en construits
physiques. Ainsi, la maison moderniste cherche à offrir la lumière du jour, l’air frais et
une vue sur la verdure aux masses qui habitaient des logements surpeuplés et
malsains. En ce sens, l’Unité d’habitation remplit son mandat.
Figure 1 : Unité d’habitation, Marseilles
13
Ce type d’environnement répond aux besoins physiques de l’homme, mais laisse
peu de place à l’appropriation personnelle. L’appropriation est définie comme une
« interaction dynamique entre l’individu et l’espace » Blanc (1986) On considère
l’espace non pas comme un support mais plutôt comme une entité qui agit sur l’homme.
Moles (1976) propose qu’il y a appropriation lorsque l’individu peut projeter sa
personnalité sur l’espace. Les faiblesses du modernisme furent examinées en détail par
la génération des architectes postmodernes. Jencks explique l’aspect aliénant d’une
architecture hyper-rationalisée qui laisse peu de place à l’humanité de l’usager. La perte
d’objectifs sociaux et l’appauvrissement formel causés par l’application dogmatique de
principes donnés sont les raisons principales de l’échec moderniste, selon Jencks
(1977; 24). Par ailleurs, il décrie la réduction de toutes les typologies de bâtiments à un
espace générique : «So we see the factory is a classroom, the cathedral is a boiler
house, the boiler house is a chapel, and the President’s temple is the School of
Architecture ».
En réponse à leurs prédécesseurs, les postmodernes définissentt la maison
comme le domaine du personnel, le terrain de l’individuation. Habraken (1999 ; 13)
défend cette approche dans son ouvrage : « [The human activities] are so interwoven
with human happiness and human dignity that they are far more than merely an
influence in the housing process » Il critique ainsi la position moderniste sur la «
machine à habiter » : « La machine a pour but de réaliser des actions pour nous alors
que le logement devrait nous permettre de réaliser des actions par nous-mêmes.
(Habraken 1999 : 24, trad.) Habraken pousse encore plus loin cette idée d’interaction
entre l’habitant et l’habitat avec la notion du design participatif. Le design participatif vise
une collaboration entre les futurs habitants et les professionnels lors de la conception
d’un projet donné. Le projet reflète ainsi les désirs et besoins des usagers.
La revue de la littérature révèle donc deux modèles principaux pour qualifier le
rôle de l’habitation dans la création de milieux de vie, qui se succèdent
chronologiquement.
14
3. ÉTUDE DE PRÉCÉDENTS
L’étude de précédents recense divers projets d’habitation traitant des deux
thèmes centraux de cet essai (projet). D’une part, la forme bâtie encadre et définit les
interactions humaines à diverses échelles, de façon à favoriser l’émergence d’un
sentiment de communauté. D’autre part, ces projets s’insèrent dans le paysage afin d’en
révéler le potentiel poétique et de créer un lieu significatif que ses habitants voudront
s’approprier et conserver.
3.1 - Simmons Hall
Figure 2 : Simmons Hall, vue d’ensemble
Ce projet de résidences universitaires au M.I.T. conçu par Steven Holl propose
une gradation intéressante entre les espaces privés et les aires communes. Ce bâtiment
abrite notamment des logements pour 350 étudiants, un café et des restaurants sur rue
et un auditorium de 125 places. Le projet est basé sur le concept de porosité qui s’opère
à plusieurs échelles. Formellement, il s’agit d’un prisme rectangulaire sur dix étages,
duquel on aurait soustrait cinq blocs afin de créer entrées, vues et terrasses communes.
L’enveloppe, un exosquelette de béton ponctué régulièrement de percements carrés
reprend le thème de porosité. Les percements sont peints de différentes couleurs afin
de représenter l’appartenance à différentes « maisons ». Les circulations horizontales
du bâtiment s’organisent autour de larges « rues intérieures » propices aux rencontres
fortuites entre étudiants. Cinq atriums organiques percent le bâtiment verticalement,
15
servant à la fois de poumon et de lieu de rencontre pour les étudiants. Yehuda (2003;
65) décrit ainsi les relations interpersonnelles que propose le Simmons Hall :
If student life is in fact a rehearsal for the future life of civil society, this project can be said to revolutionize everyday life in the university, releasing the ordinary street into a world of experiment and play as an alternative to political apathy and personal isolation. […] Simmons Hall is a slice of a city that echoes Holl's own earlier preoccupation with the edge of the city. […] The hallway [is turned] into a street-like environment that benefits from the porous morphology in providing unexpected openings, lounges and common halls. These collective spaces are intended to bring students together, to provoke interaction and dialogue.
Figure 3 : Simmons Hall, espaces communs
Figure 4 : Coupe conceptuelle
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3.2 – Immeuble qui pousse
Figure 5 : Immeuble qui pousse, vue d’ensemble
Figure 6 : Immeuble qui pousse, ambiance extérieure
Cet immeuble à logements à Montpellier fut conçu par Édouard François. Il
comprend 64 unités de logement. Ce projet offre une perspective intéressante sur la
relation entre l’individu, l’artificiel et le naturel. Les panneaux de béton composant la
façade du volume comprenant les appartements est recouverte de galets qui témoignent
du passage du temps par leur vieillissement sous l’effet du soleil et des précipitations.
Les interstices entre les galets accueillent une végétation ensemencée ou naturelle. Une
passerelle relie chaque unité à un espace extérieur, sorte de cabane à ciel ouvert qui
donne une relation intime à l’environnement naturel. Cette réinterprétation du thème de
la cabane dans les arbres projette le logis vers le monde extérieur. L’immeuble est
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déposé sur un soubassement de rocs bruts qui crée un ancrage à la terre. Loubès
(2010 ; 35) y voit un retournement de l’idée que l’on se fait d’habiter :
Bruissement des feuillages, piaillement des oiseaux. Un coup de vent détache quelques feuilles qui nous effleurent dans leurs chutes… Elles vont joncher le sol. Demain il faudra les balayer. Par ce dispositif, je sais qu’il y a des jours de vent et des jours sans vent. […] Ce logement va bien au-delà des réponses aux besoins biologiques de la machine à habiter. Il permet d’habiter plus et plus loin.
3.3 - Abbaye Val-Notre-Dame
Figure 7 : Abbaye Val-Notre-Dame, insertion paysagère
L’abbaye Val-Notre-Dame, située dans le décor enchanteur de la forêt de la
montagne coupée non loin de St-Jean-de-Matha, fut conçue par Pierre Thibault.
Les moines cisterciens furent contraints à déménager puisque, le nombre de
moines dans la communauté ayant décliné, leur ancienne abbaye à Oka était
devenue trop vaste. Puisqu’il s’agit d’un groupe de gens vivant au rythme des
saisons, au sein d’une communauté retirée de la civilisation, l’architecture
monastique possède plusieurs caractéristiques recherchées dans ce projet. Le
programme de l’abbaye est distribué en spirale autour du cloître central. Ainsi, les
moines sont en contact visuel avec le paysage vierge de la forêt environnante
lorsqu’ils se retirent dans leurs chambres, tout en partageant des espaces
communautaires. Cette dichotomie intériorité / extériorité reflète le désir des
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moines de vivre une vie respectueuse de leur environnement et de leur prochain.
Cette spirale est percée par la porterie sur l’axe est-ouest, qui sépare les espaces
privés de l’enceinte monastique des espaces semi–publics en se fondant dans le
paysage. Cet axe perméable relie le visiteur aux fonctions «publiques», soit
l’hôtellerie et l’église. Par son opacité minérale, cet axe marque l’enceinte
monastique et le cloître réservés exclusivement aux moines cisterciens.Cette
hiérarchisation des espaces publics aux espaces privés s’opèrent également à la
verticale, puisque les aires de réunion se retrouvent au rez-de-chaussée.
Formellement, la pureté des volumes reflète, d’une part, la simplicité du mode de
vie monastique et, d’autre part, la nature vierge de la forêt environnante. Les toits
verts et la matérialité sobre (bois, béton, ardoise) viennent renforcer l’aspect
intemporelle de l’intervention bâtie.
Figure 8 : Abbaye Val-Notre-Dame, cloître
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Puisque le site est présentement vierge, l’analyse porte principalement sur
l’aspect géographique et paysager du site, et sur le projet présenté par la compagnie
Stornoway. Ce projet aura un impact significatif sur le paysage, vu son ampleur. Le site
est relativement accidenté. Les flancs montagneux au sud-est du site (1) le surplombent
de 160 m. Le site est parcouru par un système hydrographique complexe, dont l’élément
majeur est le lac aux Lagopèdes (2). Ce lac forme une presqu’île (3). Le site est situé
dans une zone nordique moyenne (Hamelin : 1980) où la forêt boréale prédomine. Les
températures atteignent -35º C en janvier et 20º C en juillet. Les vents dominants, qui
atteignent 40 km/h, proviennent principalement de l’Ouest en été et de l’Est en hiver.
Une forêt d’épinettes noires, dont les spécimens restent relativement petits à cause du
climat, couvre le site.
Figure 10 : carte topographique et hydrographique
21
Figure 11 : Rose des vents, été
4.2 – Projet proposé par la mine
La mine aura un impact majeur sur le paysage du site. Une partie de la mine
sera à ciel ouvert (voir figure 12, no. 1, 2, 3). L’excavation génère une quantité
importante de roc qui forme des amoncellements immenses (4, 5, 6, 7) La mine
comporte une usine de traitement du minerai (8) et le camp des mineurs est prévu sur
un site immédiatement adjacent à la mine au sud-ouest (9). Des plans pour un complexe
d’habitation furent conçus par la firme d’ingénieurs SNC-Lavalin pour le compte de
Stornoway (voir figure 13). À la lecture de ces plans, il est clair que la relation à la
topographie naturelle du site et au lac aux Lagopèdes ne faisait pas partie des
préoccupations des concepteurs. Ainsi, les bâtiments sont disposés sur une trame
orthogonale simpliste et rigide. La présence toute proche du lac aux Lagopèdes n’est
pas prise en compte puisqu’aucune connexion visuelle ou physique n’est créée.
L’aspect compact du campement est un rare point positif à retirer de cette proposition,
même si la plupart des bâtiments n’ont qu’un étage. Au point de vue urbain, les
bâtiments ne sont pas placés de façon à créer des lieux publics extérieurs intéressants
ou vivants.
Figure 12 : implantation de la mine
22
Ainsi, l’espace entre les différents bâtiments est perdu. L’implantation proposée
place le campement à moins de 200 m de la mine, le long de la route projetée reliant la
mine à Chibougamau. Cette proximité pourrait être nuisible, puisque l’activité minière
génère un niveau élevé de pollution sonore.
Les bâtiments proposés, habillés de tôle beige, rappellent des bâtiments
industriels par leur dimension et leur matérialité. Par ailleurs, la façon dont le programme
est subdivisé en bâtiments distincts exacerbe l’aliénation de l’usager par rapport à son
environnement. Ainsi, les composantes du programme ayant rapport aux loisirs
(télévision, table de billard, etc.) se retrouvent dans un bâtiment dédié aux loisirs. Il est
donc impossible pour l’usager d’y mener une vie telle qu’il la connaissait avant d’aller
vivre à la mine, où il existait une transition entre l’espace privé de l’usager et l’espace
dédié à de la communauté. Cette aliénation est renforcée par le fait que toutes les ailes
du campement sont reliées par un corridor intérieur. Ce geste, qui vise à éviter la rigueur
du climat aux travailleurs, renforce encore plus cette aliénation, cette coupure entre
l’usager et son environnement. En somme, l’aspect quantitatif (superficie allouée à
chaque fonction) est considéré mais l’aspect qualitatif est complètement évacué. Par
ailleurs, le coût relié à la construction du campement semble être le seul facteur qui est
entré en ligne de compte pour la conception du campement.
23
Figure 13 : Plans du complexe d’habitation
Le programme à la page suivante est basé sur les besoins exprimés par la
compagnie minière Stornoway. Les surfaces correspondent donc à celles figurant sur
les plans précédemment mentionnés, produits par SNC-Lavalin.
24
Bâtiment Quantité Surface (m²) Dortoir Chambres type A 168 x 11 1848 Chambres type B 60 x 13,5 810 Salles de bain type A 84 x 3,2 270 Salles de bain type B 60 x 4,8 288 Circulations horizontales 6 x 138 830 Circulations verticales 9 x 26,6 240 Total 4286 Cafétéria Salle à manger 1 x 395 395 Cuisine 1 x 225 225 Chambre froide / dépôt 11 x 53 585 Salle de bains 1 x 40 40 Plonge 1 x 65 65 Cafétéria 1 x 100 100 Entrée, circulations 165 Total 1575 Gymnase Gymnase 1 x 425 425 Circulations horizontales 1 x 50 50 Total 475 Administration Réception 1 x 128 128 Bureaux 16 x 15 235 Salle de bains 4 x 3,5 14 Buanderie 1 x 40 + 1 x 14 54 Circulations, salle d’attente 1 x 140 140 Livraison 1 x 34 34 Total 605 Bâtiment de détente Cinéma 1 x 55 55 Télévision 2 x 30 60 Salon 1 x 110 110 Musculation 1 x 110 110 Circulation, entrée 65 Total 400 Garage Garage 3 x 50 150 Total 150 Grand Total 7491
25
4.3 – Processus de conception
Dès les premières rencontres étudiant-professeur visant à démarrer le projet, une vision
s’est dégagée du potentiel pour ce projet. L’idée de créer un projet qui dépasserait le
cadre strict de la mine s’est imposée. Le handicap principal du site, soit son éloignement
absolu, peut être considéré comme un atout. Ainsi, les espaces vierges infinis qui
entourent la mine ont un potentiel pour l’industrie touristique. Ceci comporte deux
avantages. D’abord, les infrastructures qui doivent être construites pour les besoins de
la mine sont plus rentables si elles sont utilisées à plus d’une fin. Ainsi, la route reliant
Chibougamau au Projet Renard ainsi que la piste d’atterrissage et les vols réguliers
desservant la mine seraient rentabilisés davantage. Tel que mentionné précédemment,
la compagnie prévoit que les employés vivent à la mine la moitié du temps seulement.
Deux fois par mois, un groupe de travailleurs arrive par avion pour en remplacer un
autre. Ces vols peuvent donc servir à transporter d’autres visiteurs sans occasionner de
frais supplémentaires. Ce scénario rentabiliserait également les composantes
communes du programme tel que le restaurant et le gymnase. Ce changement de
paradigme redéfinit la façon de voir le travail et la vie à la mine. L’ajout d’une vocation
touristique amène une population différente à la mine. Cette diversité enrichirait la vie
des travailleurs. Par exemple, les mineurs pourraient inviter leurs familles à y passer
leurs vacances. Le vocabulaire utilisé pour parler du projet s’est donc adapté : le projet
de logements s’est progressivement transformé en projet de «village» avec tout ce que
cela présuppose.
Lors de la critique préliminaire, la proposition présentée plaçait le «village» sur la
pointe de péninsule du lac aux Lagopèdes située au Nord de la mine. L‘idée était que la
péninsule formerait un «cadre», une limite naturelle au village. En plus de marquer la
particularité du lieu dans la mémoire collective, la contiguïté induite par péninsule
encouragerait l’interaction et l’échange au sein de communauté des travailleurs. Par
ailleurs, la traversée du bras du lac aux Lagopèdes séparant la mine du village formerait
un seuil marquant le passage du travail au repos, afin de donner à l’usager un sentiment
qu’il n’est pas constamment «à la mine». Pourtant, cette proposition fut mal reçue. Le
rapport effort / effet fut critiqué : la construction d’un pont reliant la péninsule à la mine
entraîne des coûts démesurés par rapport aux bénéfices retirés. De plus, le fait
d’excentrer le village par rapport à la mine à ce point altère encore plus la nature vierge
du site. Finalement, le fait d’avoir la mine constamment dans son champ de vision peut
26
être oppressant pour les travailleurs à la longue. L’aspect bioclimatique du projet fut
également au cœur de cette critique. L’importance de concevoir des bâtiments
compacts fut soulevée. Par ailleurs, le positionnement proposé exposait particulièrement
les bâtiments aux vents de l’Est en hiver.
Lors de cette rencontre, l’idée fut avancée de positionner le village sur les berges
du lac aux Lagopèdes, à la jonction entre le paysage artificiel de la mine et le paysage
naturel qui l’entoure. Le village devient ainsi à la fois un dispositif de cadrage optique de
la nature et un seuil entre le monde humain et naturel. Les espaces publics communs
forment un seuil intermédiaire entre les logements et la mine qui signifie le passage du
travail à la détente. Le village est relié à la mine par un réseau de sentiers destinés aux
piétons qui peuvent être empruntés par des véhicules lors de la phase de construction et
en cas d’urgence seulement. L’implantation du village rend superflue la présence d’une
route carrossable desservant chaque bâtiment. En effet, les 600 mètres séparant la
mine du village peuvent être parcourus à pied en 7 minutes environ. Cette stratégie de
transport actif comporte deux avantages : En plus de réduire la portée des travaux de
voirie nécessaires, l’utilisation de modes de transports actifs (bicyclette, marche,
raquette, ski de fond par exemple) change la perception et l’expérience du lieu par
l’usager. Exposé directement aux éléments, celui-ci percevra plus finement les
changements quotidiens et saisonniers dans la faune, la flore et la météo.
Afin de concrétiser la vision de village, le programme a été revu. Les chambres
des travailleurs sont regroupées au sein de neuf bâtiments relativement autonomes
comprenant une cuisine, un espace pour manger ainsi qu’un salon en plus des
chambres et des installations sanitaires des usagers. Cette décision programmatique
sert à hiérarchiser la transition entre l’individu et la communauté. Ainsi, à l’échelle de
l’individu, chacun possède l’intimité nécessaire pour se laver et se reposer seul, tout en
profitant d’un lien visuel unique avec le paysage du lac aux Lagopèdes. À l’échelle d’un
groupe d’usagers de 12 à 36 personnes, chaque bâtiment offre l’espace nécessaire pour
manger ou se détendre en groupe. Cela donne plus de possibilités à chaque individu.
Ces bâtiments de logements sont structurés autour d’une place publique centrale
bordée par les bâtiments publics, soit le restaurant, le gymnase, le bâtiment
administratif et le garage. Cette place publique peut servir de lieu de rassemblement
formel ou informel pour tous types d’évènements. Par exemple, un feu pourrait y être
allumé pour rassembler les travailleurs. Cette place publique serait aménagée
27
minimalement, puisque le nombre d’usagers ne justifie pas une place publique urbaine
proprement dite. Il s’agit plutôt d’une surface où la pierre du sous-sol est exposée. Ainsi,
si la mine ferme ses portes dans une dizaine d’années, la place publique retournerait à
l’état naturel rapidement. Par ailleurs, ce lieu resterait dans le même esprit que la nature
sauvage environnante. Cette place publique est directement adjacente au lac aux
Lagopèdes. Cela fait sorte que la place est le lieu de rencontre névralgique des
pêcheurs et des baigneurs en été, des patineurs et des skieurs de fond en hiver, des
travailleurs partant pour la mine, et des clients du gymnase et du restaurant.
La forme et l’orientation des logements sont basés sur les données récoltées lors
de l’analyse de site. Ainsi, les hauteurs des logements sont en escaliers descendant
vers les berges du lac pour maximiser les vues. Les bâtiments sont de forme allongée
parallèle aux berges du lac afin que chaque chambre ait une vue unique sur l’eau. Les
bâtiments s’adaptent aux courbes topographiques du site. Cette stratégie comporte
deux avantages. Premièrement, chaque bâtiment est formellement unique. Cette unicité
formelle permet à l’usage de s’identifier à une construction, une appropriation de
l’usager pour son logement qui engendrera divers bénéfices. D’autre part, le fait de
suivre la topographie existante permet de s’implanter plus légèrement, sans changer le
relief naturel du site. Dans le contexte d’un milieu éloigné où la main d’œuvre est rare,
cette stratégie minimise les coûts reliés à l’aménagement paysager et aux fondations.
Puisque le site est en pente vers le lac, l’arrière des bâtiments repose sur le sol et
l’avant repose sur pilotis. Ces pilotis et les colonnes forment une forêt qui s’intègre aux
arbres aux alentours.
Lors de la critique intermédiaire, l’implantation proposée fut approuvée par le
jury. La discussion porta sur les propositions formelles et constructives sur la table. Il fut
mentionné que la question des coûts de construction est incontournable pour un projet
en région isolée. La solution la plus réaliste pour réduire les coûts de construction est la
préfabrication. Ainsi, la forme des bâtiments de logements qui suit la topographie fut
rationnalisée pour que chaque bâtiment puisse être composé en grande partie de
modules préfabriqués tous identiques. Chaque module comprend la chambre d’un
travailleur, un espace de travail (table intégrée), une garde-robe, un WC avec douche,
toilette et évier, et un balcon séparé de la chambre par un espace trois-saisons défini
par une moustiquaire amovible. Cet espace trois saisons permet d’entreposer les
équipements de plein-air de l’usager s’il y a lieu (canne à pêche, patins, fusil de chasse,
28
etc.). Le balcon est relié au sol par une échelle pour donner un accès physique direct de
la chambre à l’extérieur aux travailleurs, qui serait praticable trois saisons par année.
Lors d’une fermeture éventuelle de la mine, les modules pourraient donc être
désassemblés et réassemblés sur le site d’une mine en production. Le but est d’allonger
la vie utile de la structure en la déplaçant aux sites où la demande en logements existe.
Lors de la critique finale, le jury s’est attardé à un problème constructif : La toiture
supérieure doit-elle être isolée et imperméable ? La membrane imperméable doit-elle
plutôt recouvrir le toit du module ? Ceci serait nécessaire si les précipitations pénètrent
entre les deux toitures. Ce dédoublement entraîne des coûts additionnels. Par ailleurs,
on a critiqué le peu d’attention portée à la conception du module en tant que tel. Par
exemple, les modules auraient pu être conçus de manière à toujours coller les WC d’un
module sur celui du voisin pour simplifier la plomberie. Par ailleurs, des modules conçus
avec plus du soin auraient mieux répondu aux besoin d’intimité des usagers. Les
travailleurs auraient davantage joui de leur expérience en vivant dans un module plus
confortable. On a souligné le fait que ce type d’exercice est documenté dans plusieurs
projets d’habitations minimales. Ceci constitue donc le point d’amélioration le plus
important par rapport au projet présenté lors de la critique finale. Le jury a également
noté un certain nombre de points positifs. Ainsi, la sensibilité par rapport à la
topographie du site fut soulignée. Par ailleurs, le jury s’est dit convaincu par les qualités
du projet dans son ensemble en comparaison au projet présenté par la compagnie
minière. Les perspectives présentées évoquent la possibilité d’un milieu de vie plus
accueillant pour les travailleurs.
5. SYNTHÈSE
Il ne fait aucun doute que le projet proposé est plus coûteux à construire que le
projet que la compagnie minière projette de réaliser. Or, cet investissement additionnel
aurait plusieurs retombées positives pour la compagnie. D’abord, la compagnie minière
pourrait réduire ses coûts en transport si certains travailleurs, se sentant chez eux dans
l’environnement de la mine, décidaient de rester à la mine pour des périodes dépassant
les deux semaines proposées par la mine. Le bien-être accru des travailleurs se
traduirait également par une plus grande productivité des travailleurs. La construction
modulaire rend la construction plus durable puisque les modules peuvent être réutilisés
ailleurs. Il s’agit là d’une autre façon de rendre projet durable. L’ajout d’une vocation
29
touristique au complexe rend l’investissement économique plus justifié et enrichit le
milieu de vie des travailleurs. Au-delà du bien-être des travailleurs, une volonté de la
part de la mine de léguer un milieu de vie durable aux québécois influencerait
possiblement l’opinion publique, actuellement très critique vis-à-vis la gestion de
l’exploitation des ressources naturelles au Québec. En créant un milieu de vie au-delà
de la mine, la compagnie minière a toutes les chances de faire un projet dont la
communauté sera fière et dans lequel elle voudra s’investir, assurant ainsi la prospérité
sociale et économique de la région.
30
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ANNEXE 4 : MAQUETTE ÉCHELLE 1 :1000, CRITIQUE FINALE
ANNEXE 5 : MAQUETTE ÉCHELLE 1 :1000, CRITIQUE FINALE