Sup Livres 031016

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  • 5/24/2018 Sup Livres 031016

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    LITTRATURES LIVRES DE POCHE

    Faut-il vraiment quunetrange dmangeaisonsempare dun romancier,pour quil dcide dcrireson autobiographie !

    Pour quil se lance corps perdudans cette incertaine entreprise devrit, quand il a pass sa vie manier la fiction, explorerla fron-tire mouvante qui spare le relde limaginaire, faire la preuveque le vraisemblable entretientsouvent avec la vrit des liensplus troits que le vrai lui-mme ou suppos tel. La volontde parti-ciper llaboration de sa propre

    statue, celle dloigner la mort, ledsir ambigu de se voir transform son tour en personnage de fic-tion peuvent pousser vers cetteforme littraire. Dans le cas deGabriel Garca Mrquez, PrixNobel de littrature 1982 et gran-de figure de la littrature mondia-le, la statue na pourtant besoindaucun coup de ciseau suppl-mentaire, tant elle est tailledepuis longtemps, et dans un boisdes plus durs.

    Voil cependant que Gabo ,comme lappellent affectueuse-ment ses amis et ses admirateurs,se met dresser au sommet de sonuvre un rempart hriss de faitsvrais, de dates exactes, de gnalo-gies vrifiables. Un chemin de ron-

    de pav danecdotes, peupl de sil-houettes familires, bourr cra-quer de souvenirs. Comme si, lgeet la maladie menaant, GarcaMrquez se dpchait de rendreleur d toutes les personnes rel-les dont il sest inspir dans sesromans, pour ne pas risquer quel-

    ques reproches biens sentis danslau-del... Navait-il pas dit, pour-tant, lanne qui suivit la parutiondeCent ans de solitude, que riende bien intressant ne lui taitarriv aprs lge de 8 ans (1) ? Ehbien, ctait une boutade ou alorslenvie lui est venue de se contre-dire. Il en ressort une volumineuseautobiographie assez factuelle etun peu fastidieuse. Un texte dontle pouvoir dvocation semble, le

    plus souvent, infrieur celui de lafiction, mme si lextraordinairevitalit narrative de Garca Mr-quez y perce toujours en de nom-breux endroits. Lcriture, nan-moins, nest plus tout fait l actehypnotique dont il parlait il ny apas si longtemps (2), capable dem-barquer son lecteur quel que soitle sujet.

    Lcrivain colombien, qui sestabondamment servi de la lgendefamiliale, et donc de sa propre his-toire pour btir ses livres, retournele processus en se servant de seslivres et de sa vocation dcrivain

    pour cimenter, a posteriori, la nar-ration de sa vie. Autrement dit,tout est mis en uvre pour quesurgisse la figure mythique delcrivainprcoce, de lindividu gui-d par son destin. Quitte passerau crible de l interprtationrtroactive les plus menues attitu-des, tel son refus, bb, de porterdes couches pleines de caca .Caprice de marmot, douleurs bni-gnes ? Non : Il ne sagissait pasdun souci hyginique,affirme lcri-vain,mais dune contrarit esthti-que, et la vivacit de ce souvenir melaisse penser que ce fut l ma pre-mire exprience dcrivain. Petitenfant ple et repli, Gabito vit dans lombre dun drame fami-lial antrieur sa naissance (son

    grand-pre avait tu un homme aucours dun duel) et raconte, dslge de 4 ans, des histoires quil maillait de dtails fantastiques pour amliorer le rel. Une disposi-tion dont il a fait, plus tard, lusageque lon sait, pour le plus grandbonheur de ses lecteurs. Et quidonne sans doute son autobio-graphie ses meilleurs passages :ceux dans lesquels on est en droitde souponner que lauteur a gaie-ment dbord du cadre troit de laralit quand des morts se mani-festent, par exemple, que desoiseaux noirs sortent du lit dunetante malade, ou mme quun per-roquet g de cent ans tombedans la marmite du pot-au-feu.Dans ces moments-l surgissentdes images proches de celles deCent ans de solitude(3), une atmo-sphre incomparable et cette ver-ve, cette libert de ton et dinspira-tion qui font le charme du roman.

    Ailleurs, quand il sen tient larelation des faits slectionns parses souvenirs ou par les rcits deses proches, Gabriel Garca Mr-quez livre des mmoires sommetoute assez conventionnelles. Duberceau jusquaux premiresarmes de journaliste et de pote,puis de romancier, le rcit suit lesprgrinations dun jeune hommen en 1928, lev durant sespremires annes dans linhospi-talire et insalubre circonscriptiondAracataca , levillage sans fron-tires du nord de la Colombie

    dont la vie mouvemente lui inspi-rera plus dune scne romanesque(et qui prtera ses contoursau cl-bre Macondo, la bourgade qui sertde dcor Cent ans de solitude).

    Remontant largement dans labiographie de ses proches, lcri-vain fournit aussi une version vridique de certains pisodesquil a, dans le pass, transformsen romans. A commencer par lhis-toire damour des ses propresparents, Luisa Santiaga Mrquezet Gabriel Eligio Garca. Ilstaient lun et lautre dexcellentsconteurs et gardaient de lamour unsouvenir heureux, raconte lauteur,mais le rcit quils en faisaient taitsi passionn qu cinquante ans pas-ss, lorsque je me suis enfin dcid men servir pour crire LAmouraux temps du cholra, je ne suispas parvenu faire la diffrenceentre la vie et la posie. Do le

    charme du roman qui contait lapassion du fringant tlgraphistepour la jeune fille de bonne famille(4).

    La mme liaison, dans sa versionstrictement biographique, sembleau contraire bien ennuyeuse, touf-fue et mme, par certains aspects,difficile dchiffrer. Comme si lafiction, loin de travestir la ralit,permettait au contraire de la ren-dre plus forte, mais aussi plus lisi-ble. Et plus sduisante, il va sansdire. Tout de mme, la dmarchede Garca Mrquez a lintrt demontrer comment une fictionpeut prendre racine, lauteur selivrant ensuite au subtil exercicequi consiste dcanter certainsvnements rels, en taire ou

    en amplifier dautres, crer unemultitude de reliefs supplmen-taires et surtout, surtout, orches-trer la chronologie suivant untemps propre au rcit. Ce tempsde la fiction qui manque parfois lautobiographie, quand le respectdes souvenirs et la nostalgie quilsdchanent empchent lauteurdtre ce quil sait le mieux tre :un romancier, ft-ce de sa proprevie.

    (1) Entretien avec Luis Hars, dans son

    livreLos Nuestros, 1967.(2)Un sicle dcrivains, documentairedYves Billon et Mauricio Martinez-

    Cavard, diffus sur France 3, le

    3 fvrier 1999.

    (3) Seuil, 1968, et Points , 1995.

    (4) Grasset, 1987, et Le Livre de poche,

    n 4349.

    eSignalons la rdition deLIncroya-ble et Triste Histoire de la candideErendira et de sa grand-mre diaboli-que (Grasset, Cahiers rouges ,168 p., 7,50. En librairie le 12

    novembre).

    HISTOIRE

    APART

    Le romandu doute

    VNEMENT

    Xu Xing.Fleur Jaeggy.Nuala OFaolain.Pierre Lepape.Laure Murat.

    pages III et IV

    UNE NUIT, Nicole Avril, qui,depuis trente ans, a crit17 livres, dont plusieurs romans grand succs, se rveille enpensant : Je ncrirai jamais

    plus. Elle en conoit un soula-gement intense . Son sujet deroman la quitte, le mondeextrieur simpose elle, avecles dsastres de ce XXIe siclenaissant il ne lui semble pastre son sicle dans lcroule-ment des tours du World TradeCenter, le 11 septembre 2001.

    Soudain, elle considre que la fiction romanesque est fra-

    gile, elle se dissout quand la rali-t se fait monstrueuse, quand lemonstre ne cessede nousappara-tre, horreur en boucle, et de nous

    fasciner . Elle nie ce qui la faitvivre depuis ce jour de 1972 oelle a publi pour la premirefois. Elle qui a t conue justeaprs Munich, moment de d-faite, voit tout, dsormais, entermes de dfaite : Dfait.Dfaite. En moi, quelque chosesest dfait.

    Pourtant, elle crit ce livretrange qui sort aujourdhui,LeRegard de la grenouille(1) titreayant sa source dans un souve-nir denfance quelle raconte.

    Josyane SavigneauLire la suite page X

    (1) Plon, 238 p., 18 .

    Gabo , sa vie, son uvreGabriel Garca Mrquez a entrepris dcrire son autobiographie. Il utilise abondamment ses livres et revient sur sa vocation

    dcrivain pour cimenter sa lgende. Mais le pouvoir dvocation du texte apparat, le plus souvent, infrieur celui de la fiction

    /

    Alice Kaplanet le procs deRobert Brasillach.Daphn du Maurier.Jean-Paul Caracalla.

    page V

    Ph.

    J.Sassier/EditionsGallimard-572206

    753

    RCS

    ParisB.

    Il y a longtemps, Borges me confiait que ,d'un roman, il retenait trois scnes, troispassages, en tout et pour tout. Mme larelecture. Ce sont ces moments que j'ai essaydefixer dans celivrepour lerduire l'essentiel, la blessuredes uns et autres.

    la questionquicrieaprs tant d'expriences, et devoyages.

    GALLIMARD

    BianciottiHector

    LanostalgiedelaMaisondeDieuroman

    de lAcadmie frana is e

    Les Rendez-vousde lhistoire Blois.Jacques Le Goff.Jean-Pierre Dozon.Le Paris arabe.

    pages VIII et IX

    a Raphalle Rrolle

    Tout est mis en

    uvre pour que

    surgisse la figure

    mythique delcrivain prcoce,

    de lindividu guid

    par son destin

    VIVRE POUR LA RACONTER(Vivir para contarla),de Gabriel Garca Mrquez.Traduit de lespagnol (Colombie)par Annie Morvan,Grasset, 608 p., 22.

    LIRE EN FTEUn entretien avec Jean-Jacques Aillagon.France-Afrique du Sud : lectures croises.Lire voix haute. Lassociation Lire dans lenoir et les livres sonores pour aveugles.

    pages VI et VII

    DES LIVRESVENDREDI 17 OCTOBRE 2003

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    FRANCFORTde notre envoy spcial

    Muhammad Ali est remont sur un ring, au curde la Foire du livre de Francfort. Il na pas repris lesgants mais a serr ses poings de boxeur face aux pho-tographes et une foule qui lacclamait, comme lagrande poque de ses combats. Le regard impassible,la moustache grisonnante, le champion lgendaire,atteint de la maladie de Parkinson, na pas dit unmot pour accompagner la promotion du monumentque lditeur allemand Taschen lui a dress. Tout lestand est consacr cet ouvrage. Cest sans doute leplus grand et le plus gros livre du monde. Un poidslourd de papier de 34 kg pour celui qui restera com-me une lgende de la boxe :GOATpour Greatest Of

    All Time , le plus grand de tous les temps.Pour Benedikt Taschen, ldition est sans limite. Il

    avait dj consacr Helmut Newton un livre bap-tis Sumo, qui fait figure de poids plume ct deGOAT, un gros carr dun demi-mtre, avec800 pages, plus de 3 000 photographies, une uvrede Jeff Koons, et un tirage limit 10 000 exemplai-res. Tous les livres sont signs par le boxeur et lar-tiste. Il ne sortira pas avant la fin de lanne et il esten souscription pour la modique somme de3 000 euros, pour le modle de base (avec une litho-graphie de Koons). Les 1 000 premiers exemplaires

    sont vendus 7 500 euros (mais avec une sculpture delartiste amricain).

    Il fallait faire quelque chose de compltement dif-frent, nous explique Benedikt Taschen. Cet homme

    a une autre dimension. Sa vie tait cinmatographi-que, alors on a conu le livre comme un film. On peutdire que cest un projet fou, mais il faut tre respec-tueux des artistes et sils sont fous, il faut faire quel-que chose de respectueusement fou

    Muhammad Ali tait lun des hros de son enfan-ce. Benedikt Taschen se levait pendant la nuit pourregarder la tlvision, dans les annes 1960. Unefois, il a vu Neil Armstrong marcher sur la Lune, lesautres fois, il regardait les combats de MuhammadAli. Avec ce livre, lditeur a aussi voulu rendre hom-mage ces photographes, qui ne sont pas toujourspris au srieux car ils soccupent de sport, et principa-lement Howard L. Bingham et Neil Lefer, heureuxdtre Francfort, tout comme lancien entraneurde Muhammad Ali, Angelo Dundee. Ils passent leurtemps rire en parlant du bon vieux temps.

    Le projet a failli mal commencer. Benedikt Taschenavait eu la bonne ide denvoyer le Sumo lancienboxeur, pour lui montrer ce quil tait capable defaire. Qui est ce type qui menvoie un livre plein de

    filles nues ? , a t la premire remarque de Muham-mad Ali son manager. Les choses se sont arrangesensuite. Taschen a travaill avec la femme du boxeuret son entourage proche. Le monument est plutthagiographique. Il raconte la lgende. Mais elle esttellement photognique et spectaculaire ! Benedikt

    Taschen a accompli sa mission. Quand il a vu le livre,Muhammad Ali a juste dit : Je ne savais pas que

    jtais si grand ! A. S.

    FRANCFORTde notre envoy spcial

    Ctait la priorit des organisa-teurs : enrayer la crise. Missionaccomplie pour Volker Neumannet son quipe : la frquentation dela Foire a augment de 8,7 %, avec288 887 visiteurs, aprs deuxannes de dclin. La Foire du livrede Francfort, qui a eu lieu du 8 au13 octobre, a su crer les vne-ments. Ctait la foire des records.Il y a eu le plus gros livre du mondesur Muhammad Ali chez Taschenet une sance de signatures, homo-logue par le Livre Guinness desrecords.

    Vendredi 10 octobre, le PrixNobel de littrature Gnter Grassrpondait une interview, devantune petite centaine de personnes,tandis qu quelques pas de l unefoule de plus en plus nombreuse sepressait autour dune longue table

    de livres. Il ny avait quun seullivre, en fait, prsent en 52 di-tions diffrentes. Au bout de latable, sur une estrade, Paulo Coel-ho tait en piste pour battre lerecord de la signature dun livre,LAlchimiste, dans le plus grandnombre dditions. Des voix fmi-nines, parfois relayes par lauteurlui-mmepour appeler : Macedo-nia , Tawan , Brazil , unpeu comme au concours de lEuro-vision.

    Cette agitation ne plat pas tout le monde. Les diteurs vien-nent en payant trs cher pourfaire des affaires plutt que pouressayer la nouvelle Mini, commecela tait possible. La crainte deplusieurs participants est de voir laFoire devenir un grand Salon dulivre allemand, pas toujours propi-ce au climat des affaires.

    De ce point de vue, ctait pluttune Foire calme, sans grands v-nements en dehors de lembal-lement caus par le projet dauto-biographie de Woody Allen (LeMonde du 16 octobre). Ct fic-tion, lune des histoires est celle dupremier roman de Ron McClarty,The Memory of running. Le livre adabord t refus par prs de70 diteurs. Lauteur, qui est uncomdien,spcialis dans lenregis-trement de livres, en a fait un livreaudio qui atterrit chez StephenKing. Celui-ci en fait lloge, et leroman se met intresser tousceux qui lavaient refus. VikingPenguin a obtenu les droits de cercit de voyage dun Amricainobse travers les Etats-Unis pour1,5 million de dollars. Cest AlbinMichel qui le publiera en France.

    Les livres sur les Etats-Unis etsur lintervention amricaine en

    Irak taient nombreux, des Mmoi-res du gnral Clark La Politiquede la vrit, de Joseph Wilson, aucentre dune polmique pour avoiraccus le gouvernement de men-songes.

    Cette relative mollesse de la fic-tion amricaine a profit aux Euro-pens et notamment aux Franais.

    Depuis les succs dans plusieurspaysde MichelHouellebecq,Frd-ric Beigbeder ou Catherine Millet,lide fait son chemin que la littra-ture franaise peut aussi se vendre.Ainsi, le grand diteur espagnolAnagrama a ralis ses troismeilleures ventes en 2002 avec cestrois auteurs.Aussi sonpatron, Jor-

    ge Herralde, qui avait dj lancune rentre littraire franaise en2000, est trs attentif ce qui sepasse Paris. Cette anne, jaiachet davantage de livres franaisquanglo-saxons , explique-t-il.

    Lvnement est venu, avantFrancfort, de la vente des droits dunouveau roman de Dai Siji

    Knopf pour225 000 dollars,un chif-fre exceptionnel pour un auteurfrancophoneaux Etats-Unis. Anne-Solange Noble, la directrice desdroits trangers de Gallimard, aexpliqu Livres Hebdodu 10 octo-bre qu aucun contrat navait tngoci moins de 40 000 euros ,pour lAllemagne, lEspagne, la

    Grande-Bretagne et lItalie. Ellecompte bien le vendre dans unetrentaine de pays, commeBalzac etla petite tailleuse chinoise, qui a tclass dans les meilleures ventesaux Etats-Unis.

    Eric-Emmanuel Schmitt a fait levoyage Francfort pour une san-ce de ddicaces dOscar et la damerose(Albin Michel), qui entre dansles listes des meilleures ventes enAllemagne,o il estpubliparldi-teur suisse Ammann. Anne Carri-re tait satisfaite pour Fatou Dio-me, et Denol a vendu les droitsdUn amour sans rsistance, deGilles Rozier, dans cinq pays euro-pens.

    Maisles deuxvedettes, ctfran-ais ont tMammifres,de PierreMrot, (Flammarion), et Les Amesgrises,de Philippe Claudel (Stock).PierreMrot a bnficidune bon-ne presse et de la double recom-

    mandation de Frdric Beigbederet de Michel Houellebecq. Il aenthousiasm un rseau dditeursindpendants, comme Canongateou Grove/Atlantic, Anagrama, Fel-trinelli (Italie), Hanser (Allema-gne), Vasalucci (Pays-Bas). Philip-pe Claudel a bnfici dun excel-lent ssame en tant achet chezKnopf aux Etats-Unis. Il a gale-ment t vendu en Grande-Breta-gne, en Espagne et en Italie. LesFranais sont contents de ce calmeFrancfort.

    Alain Salles

    LDITION FRANAISEa LA FRANCE ET LALLEMAGNE DFENDENT LE PRIX UNIQUE. Les minis-tres franais et allemand de la culture, Jean-Jacques Aillagon et Christi-na Weiss, ont promis de lutter ensemble pour dfendre le principe duprix unique du livre dans toute lEurope, lors dun forum organis jeu-di 9 octobre la Foire du livre de Francfort. Nous venons de gagner le

    combat du prix unique dans toute lAllemagne. Nous devons parvenir ce que cela devienne la loi dans toute lEurope , a expliqu ChristinaWeiss, tandis que M. Aillagon plaide pour que la rgle du prix uniquedu livre soit aussi valable dans les pays qui vont rejoindre bientt lUnioneuropenne (Lire galement page VII).

    a LES LIBRAIRES TOUJOURS INQUIETS DU RACHAT DE VUP PAR LAGARD-RELe Syndicat de la librairie franaise (SLF) sest tonn du sondageralis par I+C publi par Livres Hebdo du 10 octobre, selon lequel70 % des points de vente de livres estiment que le rachat de VUP parLagardre serait sans impact (Le Mondedu 11 octobre). Ce chiffreest tout fait contradictoire avec lopinion exprime que ce soit par leslibraires eux-mmes ou par leur syndicat, le SLF[qui regroupe 500 librai-ries indpendantes]. Cest contre la cration de cette position domi-nante que le SLF a engag, sans jamais faiblir ni douter, avec laccordunanime de ses adhrents, un combat dont lobjectif est linterdiction decette fusion en raison des consquences dsastreuses quelle entraneraitpour toute la profession , poursuit le communiqu.

    a MAIS CONTENTS DU BUDGET DU MINISTRE DE LA CULTURE. Le SLF salue la politique en faveur de la librairie, annonce par le ministre dela culture ,lors de la prsentation du budget de son ministre. Jean-

    Jacques Aillagon rejoint lanalyse du SLF qui a lanc deux rflexionsconvergentes(): la dfinition dun label pour la librairie indpendante

    et la reprise-transmission des entreprises . Ces chantiers ont pourobjectif de promouvoir le maintien et le dveloppement dun rseau delibrairies dense et de qualit .

    aPRIX.Pierre Hassner est le laurat du prix TocquevillepourLa Ter-reur et lEmpire(Seuil). Le prix desCinq continents de la francopho-niea t attribu Marc Durin-Valois pourChamelle(J.-C. Latts). LeprixCombourg a t remis Rgis Debray pour Dieu : un itinraire(d. Odile Jacob).

    UN O bien rond en guise devisage, des 0 la place desyeux, une bouche en forme de j ou de D renvers, des 7 pourfigurer ses bras, un ! en lieu etplace de sa cravate, des , poursymboliser des gouttes de sueur, lehros de la srie anime Not MyType est tout droit sorti dunemachine crire.

    ImaginsparJohn et MarkLycet-te,deux frres originairesdAustra-lie et spcialistes des animationsinteractives ( travers leur socitde design, Lycette Bros.), les qua-tre pisodes des aventures de ce drle de type mettent en scnedes personnages entirement dessi-ns laide de caractres typogra-phiques sur fond sonore de cla-viers. Dans un environnement

    agressif, leur petit bonhomme ten-te dsesprment de sduire unecollgue de bureau face un rivalentreprenant ou lutte, lettre aupoing,contreles bugsde linforma-tique et les dfaillances de son por-table. Dj rcompenss par le prixde la meilleure ralisation en 2001pour Not My Type , les deuxAustraliensreviennent en compti-tion officielle pour la 5e dition duFestival du film de lInternet (Fifi),dont le palmars sera rvl le18 octobre. Ils concourent cetteanne avec leur dernire produc-tion, The Modern Compendiumof Miniature Automata , un ton-nant programmeinteractif permet-tant aux internautes de fabriquerdtranges cratures, de les archi-ver ou de les envoyer par courrierlectronique.

    Cristina Marinolemonde.fr

    a LES 16 ET 17 OCTOBRE. Jean Paul-han. A luniversit de Marne-la-Valle (77) se tient le colloque LaNouvelle Revue franaise de JeanPaulhan (1925-1940 et 1953-1968) ( 9 h 30, bois de lEtang, salle 212 ;

    rens. : 01-60-95-75-00).

    aDU 16 AU 19 OCTOBRE. Glucks-mann/Todorov. A Strasbourg, les8es Conversations, qui auront pourthme Philosophes humanistesdEurope , recevront les philoso-phes Andr Glucksmann et TzvetanTodorov (rens. : www.conversa-tions-strasbourg.fr).

    a LE 17 OCTOBRE. Texte. A Paris,colloque organis par Lina Franco Prfaces : (r)crire le texte, inven-ter lautre du texte ( 10 heures, Paris-VII - Denis-Diderot, 2, placeJussieu, 75005 ; salle 203, 2 e tage).

    a LE 18 OCTOBRE. Bachelard. A Paris,la BNF et France-Culture propo-

    sent un aprs-midi dtude autourde Gaston Bachelard ( 14 heures,quai Franois-Mauriac, 75013 ;Grand Auditorium ; rens. : 01-53-79-59-59) ; et, le 21, Pierre Bergsera reu dans le cadre de Ma

    bibliothque personnelle , avecdes lectures de textes dApollinaire,de Cocteau, Genet, Gide et Proust( 18 h 30, Grand Auditorium).

    a LE 18 OCTOBRE. Madame Bovary.A Rouen, numrisation et ditionhypertexte du manuscrit et tableronde avec le laboratoire dinfor-matique PSI et le Centre Flaubertde luniversit ( 14 h 30, htel desSocits savantes, 190, rue Beau-voisine (rens. : www.univ-rouen.fr/flaubert).

    a LES 18 ET 19 OCTOBRE. Revue. AParis, le 13e Salon de la revue ren-dra hommage Georges Lambrichset auxCahiers duCheminet accueil-lera les 2es Rencontres de la revue

    lectronique ( 13 heures, lEs-pace des Blancs-Manteaux, 48, rueVieille-du-Temple, 75004 ; rens. :01-53-34-23-23).

    a LE 22 OCTOBRE. Rojas. A Paris, laMaison de lAmrique latine reoitle pote chilien Gonzalo Rojaspour un dbat autour de son der-nier livre, LIllumin(Myriam Solalditeur) ( 18 h 30, 217, bd Saint-Germain, 75007 ; le 23, la galerieLaHune Brenner,vernissage de lex-position avec le portrait de lauteur

    ralis par Mohror et les dix exem-plaires qui constituent ldition ori-ginale (rens. : 01-43-25-54-06).

    Chaque semaine, lemonde.fr propose aux lecteurs du Monde deslivres , la visite dun site Internet consacr la littrature.

    Un poids lourd de 34 kg pour Muhammad Ali

    Lautomne en fteLes 18 et 19 octobre Saint-Arnoult-en-Yvelines, la MaisonElsa-Triolet - Aragon clbre le 30e anniversaire de la mort de PabloNeruda. Daniel Mesguich liraElgie Pablo Neruda et autrestextes, Jacques Weber rendra hommage Louis Aragon par lalecture dHenri Matisse Roman,et Marc Ogeret voquera Lo Ferr(rens. et rs. : 01-30-41-20-15. 15 par spectacle et 35le pass).

    CLANCY, MOORE, MME CASQUETTE

    www.lycettebros.com/notmytype/www.lycettebros.com/automata/

    Calme FrancfortLes organisateurs ont enray la baisse de la frquentation de la plus grande Foire du livre

    du monde. La fiction franaise tire bien son pingle du jeu

    Rencontres dun autre type

    ACTUALITS

    AGENDA

    Lditeur amricain HarperCollins met en vidence sur son standles grands portraits de ses auteurs blockbusters , cest--dire ceuxau plus grand potentiel de ventes. En 2002, lancien patron dIBMctoyait David Beckham et Michael Crichton. Cette anne, Madonnaest entoure par deux hommes en noir, avec la mme casquette :dun ct Tom Clancy, lauteur de thrillers la gloire du Pentagone etdes services secrets amricains ; de lautre, Michael Moore, le pour-fendeur de lAmrique de George Bush. Dtail : le prcdent livre deMichael Moore, Mike contre-attaque, avait failli ne pas tre publipar HarperCollins, car il donnait une mauvaise image de lAmrique,

    juge peu opportune aprs le 11 septembre 2001. Un an aprs, il estdevenu lalter ego marketing de Tom Clancy. Ultime dtail : HarperCollins est une filiale, comme The Sun ou Fox news, de lempire deRupert Murdoch, News Corp.

    LE NET LITTRAIRE AVEC

    II/LE MONDE/VENDREDI 17 OCTOBRE 2003

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    Le roman-solitude de Nuala OFaolain

    Xu Xing est n dans un payso les citoyens passent leurtemps rpondreaux ques-

    tions que [leur] posent les machines,chacune fouillant chaque fois unpeu plus profond dans [leur] me.Les cheveux finissent par sen dres-ser sur la tte . Quadragnaire aulook de jeune homme, jean et tee-shirt, il a effectivement la tignasse

    courte en pis, mais cest parcequon lalpague au saut du lit. Cesttout sourire et courtoisie quil sesoumet linterrogatoire dunepolice littraire occidentale friandede Chinois modernistes, a fortioriallche par un beat pkinois.

    Celui que lon prsente commeun Kerouac postmaoste a publideux livres. Dj sorti en France en1992 chez Julliard sous le titre LeCrabe lunettes, mais bnficiantdune nouvelle mouture de sa tra-ductrice Sylvie Gentil, Variationssansthmeestun recueilde nouvel-lesquil avait d garder sousle cou-de un certain temps avant de leporter chez un diteur, sur leconseil damis lui prdisant des

    ennuis . Dans un style libre, iro-nique, il y dpeint des lmentsoisifs de la socit , citadins pau-ms, vagabonds cyniques, amantsincompris, des types qui refusentles valeurs des cadres uniformes,senlisent dans leur incapacit

    jouer le jeu social. Se sentant seul dans le flot des voitures et destres , et rebelle devenir com-me les autres , lun se sent con luniversit , sinsurge contre leslettrs qui friment en casant Sar-tre ou Freud dans la conversation ,refuse de servir la rvolution. Unautre cultive sa mauvaise graine,se torche avec le courrier du Comi-t central, peaufine la meilleuremanire dtre dcadent . Un troi-sime est bourr de mdicamentspar des blouses blanches

    Rcits dont la critique souligne-ra linsolence, lacharnement dpeindre des gens inutiles , le

    regrettable instinct manier ladrision pour parler patriotisme,politique, ducation, art factice. Eto saffirme un ton mordant, ungot pour la digression, la chroni-que sans thme ni cohrence,un dsir dcrire comme un jazz-man joue de la trompette, privil-giant le monologue intrieur ,laissant courir sa plume Les soli-taires un peu jets sont des sages.

    N en 1956 dans une familleaise, par consquent suspecte etractionnaire, Xu Xing a vu sesparents parpills par la rvolutionculturelle dans les campagnes ,sest retrouv seul Pkin 11 ans,la faim au ventre, livr lui-mme,puis quatre ans larme, et

    balayeur dans un restaurant.Publies en 1985, ses Variationssans thme sont considres parquelques voix dissidentes commeannonciatrices du malaise existen-tiel de la jeunesse chinoise, aumme titre que les crits de GaoXingjian, rsolus ne pas raconterdhistoire, ne comporter aucune

    intrigue, bannir toute descriptionobjective, privilgier tel ou telpoint de vue purement subjectif .

    Install en Allemagne aprs larpression de Tiananmen en 1989,travaillant en usine, Xu Xing restemuet jusqu son retour Pkin en1992. Et tout ce qui reste estpour toi (titre repris de la derni-

    re nouvelle deVariations sans th-me) est la chronique( mi-autobio-graphique, mi-fictive ) de seserrances avec un comparse nom-m Xi Yong, vieux frre insomnia-que dont il est le Sancho Pana, personnage de faire-valoir du nar-rateur, selon un procd ancestralen Chine, et qui [lui] permet de faire

    passer [s] es ides. Comme GaoXingjian, Xu Xing manifeste sacontestation en se lanant dansun long voyage travers la Chine( Tte basse, sur mon vlo, je pda-le ), fait une vire au Tibet ( Ilssont tout le temps en train de fomen-ter des troubles, l-bas ), unefaon daller voir ce quil y a delautre ct de la montagne , defuir un pays dont la mutation luiinspire du dgot, de traner avecdes compagnons de fortune, man-ger, boire, dans un flou somno-lent , en qute de miracle ou debonne rencontre.

    Il qualifie la politique de rformeet douverture de grande farce ,fustige les fonctionnaires qui inventent des formulaires commedautres jouent au mah-jong, seretrouve un temps assis sur un

    tabouret lentre dun immeuble,avec un brassard rouge, pour sur-veiller les mchants . Les femmes,quand elles ne sont pas infodesau Parti, incarnent laccalmie : Femmes, je vous aime tellement,tellement Ds que je plonge entrevos bras, joublie tout. Je me laissealler sentir la vie, respirer la vieautrement. Pour tout le reste je suissans forces, perdu.

    Constat final sans illusions : Immuable, la vie depuis la nuitdes temps suit son rythme, avec sesdsirs, ses besognes, ses spasmes, sestohu-bohu, ses naissances et sesmorts, elle scoule en un flux mal-propre et nausabond.

    Jean-Luc Douin

    Par amour de la vritLe temps dune croisire, lhrone de Fleur Jaeggy dcouvre le secret de son origine

    Malgr sa fatigue elle arri-ve de New York o elle a,depuis peu, un pied--ter-

    re , Nuala OFaolain ne mche passes mots. On pourrait mme direquellea ladent dure,cette Irlandai-se par ailleurs fort sympathique.Dure, comme la t sa vie. Et com-me le sont ses livres. Dans On sestdj vu quelque part ? (d. SabineWespieser, Le Monde des livres

    du17 janvier),elle racontaitson his-toire, celle dune pas-grand-chose,issue dune longue ligne de pas-grand-chose . Elle racontait lalco-

    ol, la misogynie, le conservatisme,la peur de la sexualit ; et son com-bat.Un combat quirestera17 semai-nes sur la liste des best-sellers duNew York Times! Sept ans ont pas-s, mais Nuala OFaolain a encoredu mal y croire : Les Am-ricains me demandaient : O estvotre prochain livre ? Ils pensaientquil fallait capitaliser le succs !Jtais un peu effraye puis je mesuis dit : Merde ! Aprs tout, je vaisessayer. Cestainsi que,pour ldi-teur amricain Riverhead, elle sins-talle New York et critChimres

    Journalistepour un magazinesp-cialis dans le voyage, Kathleen deBurca se met, la cinquantainevenue, enquter sur une sombreaffaire de divorce qui eut lieu

    durant les pires heures de la grandefamine qui frappa lIrlande. Maisnallez pas croire que Nuala OFao-lain ait crit un roman historique,

    mme si lIrlande du XIXe

    sicle estsoigneusement dpeinte. Cest sur-tout loccasion de dresser le portraitdune femme qui ralise que sa vieest aussividequunstudio nonmeu-bl et que, considrer le sexecomme un truc dhtel , elle seretrouve aujourdhui seule, sansmari, sans enfant : Ctait la fautede papa qui n e ma va it pas aime(), de lIrlande catholi-que()et de lAngleterre qui mavaitfait sentir infrieure(). Ctait lafaute des annes 1960, qui avaientinventla pilule et la minijupe ; enfin,ctait la faute de lhistoire qui avaitinvent un monde o chacun devaitseplier lidalbourgeoisde lafidli-t ou tre puni. Pas difficile dima-giner que Nuala OFaolain partage

    cette opinion : Le catholicismevous enseigne ce quest le bien, le mal moi, je ne sais pas ce que cela veutdire. Les hommes sont trs forts pour

    reprer les femmes qui savent tenirune maison ! Le monde nous dit quilfaut vivre avec quelquun : jaiessay et je dteste a. Pendantquinze ans, elle a pourtant partagsa vie avec une femme, mais, prci-se-t-elle, cest plus facile : on est dumme ct, on na pas besoin de sebattre tout le temps .

    Livre sur la solitude, la fuite enavant du corps Jai 50 ans. Deuxde mes dents du bas sont branlantes.Lecaf medonne desbrlures desto-mac ,Chimresest avant tout untexte dune beaut rare et cruelle.Un roman damour, mme si, com-me disait Borges : Lamour est unereligion organise autour dun dieufaillible.

    Emilie Grangeray

    Les drisions chinoises de Xu XingLes rcits de lcrivain dpeignent la vie de gens inutiles , cyniques, incompris, ayant en commun une incapacit jouer le jeu social.

    Des histoires sans histoire au ton libre et ironique o perce labandon de toutes les illusions

    Certains livres brefs sonttrompeurs : denses, ils pro-cdent par approches

    varies pour laisser apparatre telfragment dintrigue qui sera dve-lopp plus tard, ils proposent quel-ques indices quils abandonnent, ilsentretiennentavec le lecteurun rap-port de complicit, mais lentra-nent dans des dtours inattendus.Ces livres-l, malgr le peu depages, ne peuvent pas tre lus vite.

    Fleur Jaeggy, peut-tre parce quela langue italienne nest pas sa lan-gue maternelle (elle est germano-

    phone dorigine), ncrit pas dansun style facile et fluide. Les phrasessont simples, mais leur enchane-ment ne lest pas : il suit les sinuosi-ts dune pense torture, faitedclairs, dintuitions, de remar-ques potiques et de raisonne-ments qui jouent avec le temps. Levoyage quelle dcrit ici, voyageavec les morts, avec la mort, estune remonte dans la mmoire, unpeu dsordonne, un peu chaoti-que, un peu incertaine, jusqu ce

    que se dcouvre un thtre, lui,clair pleinsfeux,dansles derni-res scnes.

    La jeune fille a 16 ans, commeMarguerite Duras dans LAmant.Elleaussi, cettejeune filledurassien-ne va avoir un amant, un amant quise donne passionnment et se refu-se. On ne saura pas grand-chose delui. Cest un officier de marine quiavant la jouissance dit Basta ! et arrte tout. Une demi-initiationqui fait enrager la jeune matresse.

    Cette scne, qui est forte et belle,nest pas le centre du roman. Elle seproduit tardivement, de manireassez insolite. Mais, bien entendu,elle nest pas sans importance. Lelivre est crit pour une autre scnequi occupe les dernires pages. Onne comprend qualors le sens du

    voyage en bateau. Car il sagitdune croisire en Mditerrane.

    Johannes, lepre de la jeune fille,linvite laccompagner entreVeni-se et la Crte. Il est riche, malade,va mourir. Il a obtenu dela mre dela jeune fille la permission de sonvoyage. Les parents sont spars etse disputent cette enfant dj adul-te. Les informations familiales sontfournies au lecteur par bribes. Lamort de Johannes prcde le rcitqui serpente dans la mmoire.

    On pense parfois, en lisant FleurJaeggy, aux romans brefs de Moni-que Lange, qui,tout en dsesprantdtre romancire, a, tout comptefait,laborune uvrequi compor-te quelquesjoyaux. MoniqueLangetait toutefois plusdirecte,pluscar-re, plus violente, moins crbrale.

    Fleur Jaeggy aime crire paraphorismes tout dabord obscursquelleclaire page parpage, parci-monieusement. Les enfants sedsintressent de leurs parentsquand ils sont dlaisss. Ils ne sontpas sentimentaux. Ils sont passion-nels et froids. Dune certaine mani-re, quelques enfants quittent lesaffections, les sentiments comme sictaient des choses. Ou : Parfois

    lexistence dune personne a undbut tardif. Une vie absente, ouune non-existence, peut durer long-temps. Est-ce une anomalie ? Ouencore : La vrit na pas dorne-ments. Comme un cadavre lav, pen-s-je. Les obscurits excessivesagacent, parce quelles paraissentde prime abord comme de simplesmaladresses dissimules en partipris daffectation.

    Et peu peu, on se prend au jeu,parce que la narratrice est une ado-

    lescente, plonge dans le men-songe. Elle se croyait seulementune fille de famille issue dun cou-ple sans amour. Sa situation estbeaucoup plus complexe, commele rvle la scne finale. Le compa-gnon de voyage nest pas le prequelle croit.

    Et rtrospectivement, le romantout entier gagne en rigueur et entrouble. Les squences se rorgani-sent : la croisire de fantmes,avec les flash-back qui la jalon-nent, les portraits, les rminiscen-ces, les morts, les suicides, lesmeurtres, qui constituent lef-frayant viatique de ladolescente,la fausse douceur aristocratique delenfance sans amour prennent unsens. Sa famille quelle tentait deremodeler durant son voyage, du

    jour au lendemain, nexiste plus.Son origine est autre, son voyagena pas eu la signification quellecroyait lui donner en laccomplis-sant.

    La littrature alors joue son rleessentiel : non pas diffuser uneombresur la lumire pardes myst-res affects, mais au contrairedissi-per la brume de la vie pour dga-ger le noyau clair des mots, paramour de la vrit .

    Ren de Ceccatty

    LIVRAISONSaDLICIEUSES POURRITURES,de Joyce Carol OatesAcharne dmasquer les chefs sataniques,sducteurs pervers et pres abusifs, autant qudnoncer les traumatismes des vierges embrasespar des passions funestes, Joyce Carol Oatessadonne un bel exercice de suspense baroquedans un campus de la Nouvelle-Angleterre. Sonhrone est folle amoureuse de son professeur delittrature et dcouvre que ce gourou orchestre,avec la complicit de sa sorcire dpouse, des

    messes noires dont plusieursde ses camarades declasse ont t les vic-times. Atmosphre vnneuse garantie, sur fond de totems, ano-rexies, somnifres et abus sexuels. J.-L. D.Traduit de langlais (Etats-Unis) par Claude Seban, d. Philippe Rey,174 p., 14. A noter la parution, au Livre de poche, de Mon cur mis nu(no 15536, 764 p., 8 ).

    a LOPRA DE LA LUNE,de Bi FeiyuXiao Yanqiu, lhrone du roman, avait jadis t clbre dans le rlede ChangE, personnage de lopra chinois traditionnel. Vingt ans plustard, on lui demande de remonter sur scne ; elle tente de retrouver lecorps, le visage, la voix quelle avait autrefois. On dcouvre le mondede lopra chinois, o chaque intonation, chaque geste de la main ou

    le maquillageont leur codification, avecen fond la vnalit de la soci-t chinoise contemporaine. De cures damaigrissement en liaison avecle PDG qui finance le spectacle, Xiao Yanqiu se dtruit peu peu tan-dis que son mnage seffondre. Son lve Chenlai la remplacera finale-ment dans le rle car au moment mme o elle sapprte incarnerde nouveau ChangE, qui dans lopra vole une pilule dimmortalit son mari afin de voyager jusqu la Lune, Xiao mourra sous leffet depilules abortives. Elle glisse dans la mort vtue et maquille en dessede la Lune St. L.Traduit du chinois par Claude Payen, d. Philippe Picquier, 120 p., 11 .En librairie le 20 octobre.

    a LLE ANONYME,de Yi MunyolLvolution de cet crivain coren semble dconcerter ses lecteurs :sans entrer dans les controverses dont il est lobjet, on peut constaterquil est merveilleusement dou pour la nouvelle. Ce recueil en donneun florilge. Trois de ces textes dveloppent le thme de lambigut :un constat sur lvanescence de la vrit, la difficult de saisir le rel,notamment quand lamour sen mle. Quels rapports curieux entre lesexeet leparatre ! Ainsi,dans Lle anonyme , lapicela plus brillan-te du livre, cest tout un village qui esttromp par un don Juan de mis-re : chacun le sait, mais chacun le dissimule. Les deux autres nouvellesmanifestent des proccupations diffrentes et dailleurs contradictoi-res. La premire est un commentaire sur le fascisme de proximit : tout

    le monde est coupable, parfois de crime, toujours de faiblesse. Danslautre Pour les choses qui disparaissent , un chapelier condam-n par le progrs sobstine prserver son art. On peut penser MatreCornille, mais le Coren, dans son vocation dramatique du naufragedes traditions, dpasse de beaucoup laimable Daudet. J. Sn.Traduit du coren par Ch Yun et Patrick Maurus, Actes Sud,144 p., 16.

    a LA REINE DE LIDAHO,de Thomas SavageCest avecLe Pouvoir du chien (Belfond, 2002) que lon a dcouvert enFrance Thomas Savage, cet crivain du Montana, disparu en juillet,qui fut le chantre des montagnes Rocheuses. Dans ce deuximeroman traduit, on retrouve lOuest profond au travers des dramesdun clan de riches leveurs domin par une femme hors d u commun, la reine du mouton de lIdaho . Mais on dcouvre surtout un person-nage dcrivain qui ressemble trangement lauteur, un artiste malcompris parce que ses phrases vont au-del de lnonciation et quilest persuad quil ny a pas de fins, heureuses ou malheureuses :ilny a que des pauses . Fl. N.Traduit de langlais (Etats-Unis) par Pierre Furlan, Belfond, 324 p., 19 .

    LITTRATURES

    CHIMRES(My Dream of You)de Nuala OFaolain.Traduit de langlais (Irlande)par Stphane Camille,d. Sabine Wespieser,736 p., 29 .

    PROLETERKAde Fleur Jaeggy.Traduit de litalien parJean-Paul Manganaro,Gallimard, 134 p., 13,50.

    RENCONTRE

    VARIATIONS SANS THMEde Xu Xing.Traduit du chinois parSylvie Gentil,Ed. de lOlivier, Petitebibliothque , 264 p., 11.

    ET TOUT CE QUI RESTE EST POURTOI (Shengxia de dou shuyu ni)de Xu Xing.Traduit du chinois parSylvie Gentil,Ed. de lOlivier, 218 p., 20 .

    LE MONDE/VENDREDI 17 OCTOBRE 2003/III

  • 5/24/2018 Sup Livres 031016

    4/10

    Cest une magnifique machine remonter le temps, cePas-sage de lOdon, de Laure

    Murat, dont on avait dj pu admi-rer le talent pour les biographies degroupe dans La Maison du docteurBlanche : histoire dun asile et de ses

    pensionnaires, de Nerval Maupas-sant (Latts, 2001). Cest lhistoiredamour de deux femmes, qui seconfond avec leur passion, non seu-lement pour la littrature, mais pourles crivains, dont, toujours, ellesont pris le parti contre tout ce quivisait les entraver, voire lescondamner au silence.

    Cette solidarit active avec les

    artistes leur a valu, de leur vivant,bien des attaques, et, aprs leurmort, dtre peu prs oublies desdictionnaires et des manuels . Grce ce voyage en Odonie , elles sontdsormais inoubliables.

    Lune, Sylvia Beach, est ne en1887 dans le Maryland ; lautre,

    Adrienne Monnier, en 1892, Paris.Adrienne Monnier ouvre en 1915 au7, rue de lOdon, Paris 6e, La Mai-son des amis des livres, une librairie-bibliothque de prt. Ds 1916, yseront assidus Louis Aragon (lecteurboulimique et clectique comme entmoigne sa fiche de lecture), AndrBreton, Pierre Reverdy, Max Jacob,Blaise Cendrars, Paul Lautaud Ala fin de cette anne 1916, SylviaBeach entre pour la premire foischez Adrienne Monnier.

    En 1919, Sylvia Beach ouvre sontour une librairie-bibliothque deprt de langue anglaise, Shakespea-re and Company, au 8, rue Dupuy-tren (6e), et, en 1921, elle dmnageau12, rue de lOdon : LOdonie est dfinitivement en place. Laven-ture se termine dune part en 1941,lorsque Sylvia Beach ferme sa librai-rie, dautre part en 1951, lors-quAdrienne Monnier, malade, cde

    le bail de la sienne. Adrienne Mon-nier sesuicideraen 1955,ne pouvantplus supporter sa maladie un dr-glement de loreille interne, produi-sant, disait-elle dans le mot retrouvaprs sa mort, des bruits qui [la]martyrisent . Sylvia Beach mourradune embolie en 1962.

    Ltre humain qutait Adriennesera, je lespre, tudi de prs, un

    jour ou lautre,crit Jules Romainsen 1956.Elle tait mystrieuse com-me tout le monde, selon la parole deMaeterlinck, mais sensiblement plusque tout le monde. Quant CyrilConnolly, rendant hommage Syl-via Beach en 1963, il voit quelquechose darien en elle sa vivacit,son nergie, sa simplicit, sa luciditen font un oiseau chapp duneanthologie grecque . Sylvia Beach,elle, disait simplement avoir eu troisamours dans sa vie : Adrienne Mon-nier, James Joyce et Shakespeareand Company.

    Ces trois amours, Laure Murat les

    tudieen effet deprs ,mais,sur-tout, elle les fait revivre. En sachantse tenir gale distance du bilanfroid dune priodede lhistoirelitt-

    raire et de lempathie hagiographi-que. LOdonie nest pasune uto-pie idyllique, mais un cercle o lonsaffronte, se brouille, se retrouve,o lon sengage en littrature, olonprend, avec passion, le risque dese tromper. Ils ntaient pas nom-breux, avec Adrienne Monnier,

    discerner la modernit de Michaux,dArtaud ou de Benjamin , remar-queLaureMurat.Avantde sinterro-ger sur labsence de deux gants du

    XXe sicle, ignors en Odonie : Proustet Cline. Adrienne Monnier avaitsansdoute autant de difficults peut-tre pour les mmes raisons avecune autre uvre aussi titanesque,

    rvolutionnaire, queLa RechercheetleVoyage au bout de la nuit: lUlys-se de Joyce, quelle introduisit pour-tant en France .

    Publier Joyce (auteur reconnu enAngleterre, mais refus,pour cegrosroman jug ennuyeux et obscne)fut lhroque combat de lOdonie,

    que Laure Murat retrace sous tousses aspects sans luder ceux qui nesont gure flatteurs pour tel ou tel,Joyce inclus dans deux passion-nants chapitres : Ulysse et les ama-zones et La Guerre de sept ans .Cest lors dun dner, en juillet 1920,que Sylvia Beach rencontre Joyce : Nous changemes une poigne de

    main cest--dire quil posa unemain sans force dans ma petite pattedure et nerveuse, crit-elle dans sesMmoires. Il tait de taille moyenne,mince, les paules lgrement votes.Ses mains trs troites attiraient monattention.Il portait aumdius et lan-nulaire gauches des bagues aux pier-

    res lourdement serties. () Il donnaitlimpression dune sensibilit extrme,la plus grande que jeusse jamaisconnue.

    Ulyssesparat, en anglais, en 1922, Shakespeare and Company. EtAdrienne Monnier se battra pen-dant sept ans pour que paraisse enfranais, La Maison des amis des

    livres, Ulysse, auquel pourtant, deson propre aveu, elle ne comprendrien. Cartel estbienle modleexem-plaire, trop oubli aujourdhui, queproposent ces deux femmes : savoiradmirer,puisservir,une crationquivous dpasse.

    Jo. S.

    Au fond des chosesDu bol au chasse-mouches, Roger-Pol Droit nous invite regarder autrement les objets familiers

    La France quon admireLhistoire littraire de Pierre Lepape, une rfrence

    Par intermittences de lesprit,les Franais aiment autantadmirer que dnigrer. Le plai-

    sir est vif de tirer ici son chapeau un ancien voisin de colonne, qui atenu le feuilleton du Monde deslivres de 1993 juin 2001. PierreLepape (1) vient daccomplir sonchef-duvre, comme on le disaitdun compagnon aprs son tour deFrance.

    Le Pays de la littrature, ce livredhistoire, est en mme temps unessailittraire, construit sur une th-se solide, sinon tout fait neuve. Ilvulgarise, au meilleur sens du terme,la recherche littraire du XXe sicle,en narrant, avec lart dun efficace,lgant et persuasif artisan des let-tres, le savoir accumul par les cher-cheurs. Son titre est justifi : quelautre pays que la France pourraitrevendiquer la littrature commefondatrice de la nation elle-mme ?

    Ce gros travail est une somme quirconcilie la recherche savante et laculture littraire de lhonnte hom-me, par la grce allgre dune narra-tion o concourent les talents dujournalisterudit, de lex-professeur,du grand lecteur. Le lecteur idal dece gros livre jamais imposant estquelquun qui aurait pass son baclittraire avec le Lagarde et Michard,voire avec le Castex et Surer, et quivoudrait revisiter sacultureet lten-dre, sur les pas dun guide sr de sesopinions, vives et intelligentes.

    Le Lepape , ainsi lappelle-

    ra-t-on srement lavenir : mmesil na que peu voir avec unmanuelde littrature, ildressela car-te du territoire. Il ressemble unouvrage de rfrence publi il y aune dcennie sous la direction deDenis Hollier, De la littrature fran-

    aise, panorama confectionn pardes savants qui plaaient les uvressignificatives de lhistoire littrairedans leur contexte culturel (2). A cetouvrage, Pierre Lepape reprend lor-ganisationde sonrcit endatesmar-quantes pour des dveloppementsthmatiques. Les deux livres serecoupent ncessairement sur plu-sieurs dates. Bien videmment surles fameux serments de Strasbourg :en 842, ils fondent conjointement laFrance et lAllemagne, en tablissantcommelanguesadministratives,sup-plantant le latin des clercs, la langue teutonne parle sur les terres deLouisle Germanique et le roman driv du latin, parl sur celles deCharles le Chauve.

    L o le savant mdiviste

    Howard Bloch exposait surtout, ausujet de ces Serments, les problmesposs aux spcialistes de sa discipli-ne, et limitait ainsi son audience auxtudiants avancs et aux profes-seurs, Pierre Lepape procde toutautrement : en historien sadressant des lecteurs cultivs, certes, maispas ncessairement quips de lexi-ques spcialiss. Quand il crit : Lalangue franaise crite est ne lemme jour que la France et par unedcision politique liant lune lautre.()Lcriture est une langue que per-sonnene parle. () Le franais est une

    fabrication de la littrature , il don-ne sans ambages les lments surlesquelsva se fonder toute son argu-mentation socio-historique.Lexcep-tion franaise, si lon veut, lie eneffet lart littraire lordre tatique,quil soit pour ou quil soit contre.

    Cette thse est emprunte lco-le de Pierre Bourdieu. Mais, la lireexpose sans dogmatisme, sur unton si naturel et en un style si lim-pide, on suit en confiance sa mise enrcit au fil de 43 chapitres grenantvnements et uvres commeautant de cls servant lintelligenceautant de lhistoire que de la littra-

    ture.Il faut alors des sursauts desprit

    critique pour se rappeler que leLepape est luvre dun auteur,avec sa mthode, ses rfrences(scrupuleusement indiques), doncses ides, ses partis pris, ses traitsaffts, son style. Un fils de Sartre etde Bourdieu. Un intellectuel qui napas jet lanalyse marxiste avec lesang du bain stalinien. Lenterre-ment de Sartre veille sa nostalgie. Ily voit la fin dune histoire hroquedont les personnages quil prfresont Rutebeuf, Christine de Pizan( notre premier homme de lettres ),Rabelais, Montaigne et La Botie,Thophile de Viau, homme de liber-t, Voltaire, Diderot, Laclos, Beau-marchais, Chateaubriand, Flaubertet Baudelaire, Zola, Mallarm,Pguy,Gide ( Etre maurrassien,cest

    penser comme Maurras ; tre gidien,cest se distinguer de Gide , on vou-

    drait avoir invent cette formule),Cline, ( figure de la destruction ),les 121 contre la guerre dAlgrie.

    Au prsent il ne se mle plus, force defrquenterles grandsmorts.Aprs Sartre, Beigbeder, non merci,semble-t-il dire. Y aura-t-il combatpour continuer le dbat ? On peutcraindreque non, lestemps sontmol-lassons.

    Michel Contat

    (1) Aussi auteur de belles biographiesde Diderot (Flammarion, 1991), Voltai-

    re (Seuil, 1994), Gide (Seuil, 1997).(2) Ouvrage paru dabord en anglais,sous le titreA NewHistory of FrenchLite-rature(Harvard University Press, 1989),

    puis complt, en France, chez Bordas(1993).

    Runis dans la librairie de Sylvia Beach (au centre), James Joyce et Adrienne Monnier

    La philosophie sapprivoise.Elle quitte les hauteurs inac-cessibles, renonce au style

    apocalyptique et redcouvre laplus fondamentale et la plus illus-tre (Montaigne) de nos occupa-tions, qui consiste vivre.

    Et comme notre vie est notam-ment faite dinnombrables futilitset de choses drisoires, le vrai sagese gardera bien de les mpriser. Le futile donne penser, le drisoi-re conduit au srieux, la profondeurpart du superficiel , crivait Roger-Pol Droit dans 101 expriences dephilosophie quotidiennes q ui aconnu le succs (1). Les brefs essaisscintillants qui composent ce livreapprennent au lecteur dcouvrirle merveilleux dans laction la plusbanale. Ils dcrivent le bonheur decontempler la poussire illuminepar un rayon de soleil et saluent laferie des paillettes et des strassdans les petits cirques misreux.

    Le lecteur gote loccasion le

    sel du moindre geste (prendre unedouche les yeux ferms, enlever samontre) et le plaisir de se soustrai-re, un instant, la contingence dumonde rel, pour inventer, commely incite lauteur, les titres de lac-tualit,ou pourconsidrerlexisten-ce de lhumanit comme uneerreur (excusable).

    Dans les Dernires nouvelles deschoses, tout aussi captivant que leprcdent ouvrage, Roger-PolDroit continue la rhabilitation delimmdiat, en plongeant cette foisdans le capharnam dobjets quinous entourent. Il ne faut surtout

    pas en avoir peur, nous avertit-il.Certaines choses ont pour missionde recevoir, daccueillir, de prser-ver, ainsi le bol, le plus maternel etle plus rassurant des objets (lathire jouant le rle de bol-chef ) ; dautresassurentles transi-tions,ainsi lelit, vaisseauspatial cir-culant entre la vie debout et ltrecouch, ou le tiroir, vritable pli dumonde, qui cache et dmultiplieses ressources secrtes. Porteuse

    de nostalgie, lcharpe rappelle

    lauteur le dpart pour lcole, ttle matin, dans le noir, alors que samre lui disait: Noublie pas toncache-col. Le cahier, objet suran-n, entretient lui aussi un lienindfectible avec lenfance , et,comme lelivre et letemps,il se lais-sedcouvrir et remplirpage page,offrant ainsi limage concrte dunevirtualit vertigineuse.

    Non moins nostalgique, le rver-bre engendre autour de sa solitu-de un brouillard toujours possible et illumine la solitude rassuranteet joyeuse de la femme aime.

    Cet univers vivace et hospitalierincorpore sans rticence lesobjets les plus rcents. Latlcommande nous

    immerge dans un monde imaginaireo vouloir cest faire (jajoute :tant quil ne sagit que de changerles chanes de tlvision et les pis-tes des CD) ; lordinateur, qui estlumire,ddouble la conscience ; ledisque se prpare numriser etdonc absorber une multitude dechoses.

    Des traces dinhumanit pertur-bent parfois lambiance : la brouet-te, objet minemment pacifique, se

    chargedun coupde piles de corps

    dcharns,humains peine, squelet-tiques . Ce souvenir douloureuxsurprend, tant les objets choisis, dela salire jusquauchasse-mouches,sinsrent dans limmense coucheprotectrice tisse depuis lauroredestempspar lacivilisation.Huma-niss de part en part, ces objets ontt conus comme sourcede joie etde confort, et seule la malignit desusagersen pervertit parfoisla finali-t. Normalement, pourtant, loin deprovoquer langoisse ou dattiserlalination,la proximitde cescho-ses nous apaise. Un parfum desagesse indienne (spcialit deRoger-Pol Droit) mane delles.

    Ce nest pas le moindre mrite dece livre admirablement crit que deproposer une vision profondmentamicale des choses. En abolissantles frontires entre linsignifiant etlessentiel, il initie ses lecteurs labeaut inattendue du quotidien etles habitue ainsi lagrable mtierde vivre.

    (1) Ed. Odile Jacob, 2001 ; repris enpoche chez le mme diteur.

    eRoger-Pol Droit collabore au

    Monde des livres .

    LE PAYS DE LA LITTRATUREDes serments de Strasbourg lenterrement de Sartrede Pierre Lepape.Seuil, Fiction & Cie ,730 p., 26.

    Voyage en Odonie Dans leurs librairies parisiennes, Sylvia Beach et Adrienne Monnier ont accueilli

    et dit, dans lentre-deux-guerres, quelques-uns des plus grands auteurs

    DERNIRES NOUVELLESDES CHOSESde Roger-Pol Droit.Ed. Odile Jacob,272 p., 19,50 .

    LIVRAISONSaDE LALITTRATURE,dUmberto EcoLorsquUmber-to Eco analyseSylvie, de Ner-val,les aphoris-mes de Wilde,leManifeste duPartcommunis-te,de Marx oula Potique,

    dAristote, il y met, bien sr, beau-coup drudition mais aussi, faitplus rare,une jubilationet unener-gie qui se communiquent directe-ment au lecteur. En ouverture de ce

    riche rassemblement de textesdivers confrences, prfaces, tu-des , Eco sinterroge sur le destindes grands personnages de roman.En fermeture, lessayiste rvle,avecrigueuret humour, comment ila crit ses propres romans. Signa-lons aussi deux beaux textes, le pre-mier sur le symbole, le second sur lestyle. Dans ce dernier essai, Eco dis-tingue utilement les diffrentsmodes de la critique littraire.Traduit de litalien par MyriemBouzaher, Grasset, 428 p., 22 .

    a LINCIPIT ROMANESQUE,dAdrea Del LungoOn se souvient toute sa vie des pre-mires phrases de Proust, de Kafkaou de Flaubert. Elles nous invitent,

    pour chaque roman, pntrerdans un espace littraire singulier.Les crivains le savent, qui prtentune extrme attention leursentres en matire. Ainsi Balzacretourna-t-ilcontre Stendhal, pro-pos de ladmirable incipit de LaChartreuse de Parme, les reprochesquon fit ses propres romans detrop retarder le commencement delaction. Lessai dAndrea Del Lun-go, spcialiste de Balzac auquel ilconsacre la dernire partie delouvrage, livre ici une tude syst-matique du plus haut intrt sur ce moment dcisif , cette prise deposition du romancier et sur les

    multiples enjeux et fonctions de lin-cipit.Traduit de litalien par lauteur,Seuil Potique , 382 p., 25 .

    aPORTRAITS DE LCRIVAINCONTEMPORAIN,sous la directionde Jean-Franois Louetteet Roger-Yves RocheUn sujet passionnant et trs actuel :la place prpondrante, la multipli-cation mdiatique et commercialedu visage de lcrivain. Jean-Fran-ois Louette, souligne cette croyance en lincarnation dunevaleurexemplaire, dune qualitmys-trieuse (celle de lcrivain) . Lescontributeurs nont pas t choisisauhasard : ChristianDoumet,Anne-Marie Garat, Patrick Drevet Ni les

    visages de Ponge, de Modiano, deBataille ou de BlanchotEd. Champ Vallon, 360 p., 24,50 .

    a FOUS LITTRAIRES, NOUVEAUXCHANTIERS,ouvrage collectifLe colloque annuel des Invalidesest devenu une institution. Pour sasixime dition en novembre 2002,les intervenants se sont intresss quelques fous littraires , dontcertains trs peu connus, commeConstantin Olympov, Raoul Ouf-fard, Paulin GagneEd. Du Lrot (Tusson, Charente),204 p., 25.

    aDICTIONNAIRE THMATIQUE DUROMAN DE MURS, 1850-1914,de Philippe Hamonet Alexandrine ViboudUn travail considrable regardantun ample corpus le roman fran-ais de la deuxime moiti duXIXe sicle pour cet ouvrage inat-tendu. O lon voit se dgager lesgrandes thmatiques d alcool et artiste prostitution ,d argent thtre Ed. Presses Sorbonne nouvelle,544 p., 30 .

    a LE SPECTACLE DU SECRET,dAriel MeyerIssue dune thse soutenue Gen-ve en 1999, cette tude interroge lareprsentation littraire du secret

    et son fonctionnement chez diversromanciers (de Gautier, BarbeydAurevilly, Stendhal et Zola) etdabord dans Les Fausses Confiden-cesde Marivaux.Ed. Droz, 262 p., 27,80 .

    a IMAGINAIRES DU VENT,sous ladirection de Michel ViegnesSpcialistes de peinture, de cinma,de mythologie et de littrature sesontpenchs surce phnomne cli-matique qui a favoris limaginairedes artistes. Quil soit souffle, briseou tempte, le vent est une figuredynamique et fconde, mme sielle est parfois terrible.

    Ed. Imago, 326 p., 23 .

    a LE PAVILLON DES FANTMES,de Gabriel AstrucAmi de Marcel Proust qui lui adres-sa quelques trs belles lettres pr-sentes dans ce volume, fondateurdu Racing-Club de France et duThtre des Champs-Elyses, orga-nisateur des spectacles des Balletsrusses de Diaghilev, Gabriel Astruc(1864-1938) publia ce volume demmoires en 1929, reprisici avecdenombreux documents indits. Per-sonnage oubli, Astruc joua un rlecentraldansla viemusicaleet cultu-relle du Paris de la Belle Epoque.Prface dOlivier Corpet,d. Mmoire du livre, 476 p., 29 . P. K.

    /

    ESSAIS

    a Thomas Pavel

    PASSAGE DE LODONSylvia Beach, Adrienne Monnieret la vie littraire Parisdans lentre-deux-guerresde Laure Murat.Fayard, 370 p., 24.

    IV/LE MONDE/VENDREDI 17 OCTOBRE 2003

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    Nouveaux territoiresDaphn du Maurier explore, avec bonheur, les sentiers de la science-fiction

    Nomades des lettresJean-Paul Caracalla invite un voyage littraire dans Paris

    EN BREF

    Le livrequAliceKaplan,profes-seur delittrature Duke Uni-versity, a consacr au procs

    de Robert Brasillach, accde au for-matde pochedeux ansaprssa pre-mireparution dans une traductiondont le titre franais reflte bien,par son ambivalence, la questionque pose ce destin singulier. Il estheureux que cette enqute meneavec maestria, qui conjugueconnaissance des enjeux historio-graphiques etsoucide cernerlestra-

    jectoires des protagonistes dun

    procs qui les runit six heures deleur vie le 19 janvier 1945, soit ainsimise la porte dun vaste lectorat.

    Lauteur na pas voulu crire unebiographie mais reconstituer le pro-cs de Brasillach pour comprendrela logique profonde et la procdure

    judiciaire qui conduisirent un cri-vain fasciste la mort, il y a soixan-te ans. Jugpar la cour de justice dela Seine en vertu de larticle 75 ducode pnal pour intelligence aveclennemi, Brasillach fut condamn mort. Le gnral de Gaulle ayant

    refus sa grce, il fut excut le6 fvrier 1945.Au procs, son avocat, Jacques

    Isorni, peignit laccus sous lestraits dun partisan de Vichy et dePtain,dunpote,non dunpropa-gandiste align sur les thsesnazies. Il frayait ainsi la voie ceuxqui ont tent depuis de rhabilitersammoiredansle sillage deMauri-ce Bardche, diteur des uvrescompltes de son beau-frre. Enscrutantavec une attentionparticu-lire les textes de lcrivain, AliceKaplan montre comment ils furentmonds aprs sa mort, afin que lesens puisse en tre inflchi. Cestque les crits de Brasillach taient et demeurent accablants.

    Comment son nom est-il devenucelui du prototype du collabora-teur ? N en 1909 Perpignan, ce

    fils dun officier tu en 1914 auMaroc eut une enfance bourgeoise Sens, o son beau-pre taitmdecin. Admis lEcole normalesuprieure en 1928, il se fit journa-liste et crivain. Responsable de lapage littraire deLAction franaise,ilse radicalisaet rejoignitJe suispar-tout,dont il fut rdacteur en chef partir de 1937. Il y exhala un antis-mitismetenace.Si leromancierBra-sillach faisait montre dune senti-mentalit mivre , le journalistetrempait sa plume dans lacide.

    Prisonnierde guerre en 1940,lib-ren 1941sur demandede lambas-sade allemande Paris en tantquintellectuel franais susceptibledaider la cause nazie, Brasillachdevint un collaborationniste pleinde haine. Il fit de Reynaud,de Blumet de Mandel ses cibles privilgies.Dans un article de fvrier 1942, La conjurationantifascisteau ser-vice du Juif , il assimilait la Rpu-blique une vieille putain agoni-

    sante, garce vrole, fleurant le pat-chouli et la perte blanche .Deuxmois aprs la rafle du VldHiv, ilproclamaitla ncessit de sespa-rer des Juifs en bloc et de ne pas gar-der les petits . Ayant rompu avecJesuis partout en aot 1943, il nencontinua pas moins dans la mmeveine. En fvrier 1944, il crivaitdans Rvolution nationale : Jaicontract, me semble-t-il, une liaisonavecle gnie allemand, jene loublie-

    rai jamais. Quon le veuille ou non,nous aurons cohabit ensemble. LesFranais de quelque rflexion,durant ces annes, auront plus oumoins couch avec lAllemagne, nonsans querelles, et le souvenir leur enrestera doux.

    Arrt fin aot 1944 Paris, Bra-sillach passa cinq mois en prison,ayant limpression, crivit-il sonavocat, de prparer loral dunconcours . Loral se passa mal.

    Non que Brasillach ait cd face laccusation : Je nepuis rienregret-terde ce quia tmoi-mme. Maisle procureur gnral Marcel Reboulenfona habilement le coin, citantles crits de laccus, y comprisceux qui vouaient les juifs auxgmonies. Jacques Isorni futbrillant l o il et fallu convaincreet mouvoir. Les jurs un impri-meur, un ingnieur, un employ,un technicien le condamnrent.

    En dpit des efforts dAliceKaplan, partie sur leurs traces avecde maigres indices, ces quatre-lconserverontleur mystre. Lenqu-te est passionnante, mme si lestombeurs de la star de la collabo-ration littraire restent finalementdes ombres. Il en va autrement dessignataires dela ptition pour lagr-ce de Brasillach, initiative de JeanAnouilh, Marcel Aym et FranoisMauriac. Claudel, Cocteau, Colette,

    Paulhan, Valry la signrent.Camus signa aussi, sen expliquantainsi Marcel Aym : Jai toujourseu horreur de la condamnation mort et jai jug quen tant quindivi-du du moins je ne pouvais y partici-per, mme par abstention. Cest tout.Et cest un scrupule dont je supposequil ferait bien rire les amis de Bra-sillach Ma signature va se trouverparmi les vtres, tandis que celle deBrasillach na jamais jou en faveurde Politzer ou Jacques Decour.

    Laurent Douzou

    Daphn du Maurier doit sarputation aux romanspu bl i s l a f in d es

    annes 1930 : LAuberge de laJamaque, Rebecca, Laventurevient de la mer,qui ont assez large-ment occult le reste de son uvreet notamment les romans crits la toute fin de sa carrire. Il sagit

    pourtant douvrages remarquablespar leur qualit, mais aussi parceque Daphn du Maurier y abordedes territoires romanesques nou-veaux.

    Mad,son dernier roman, est unepolitique-fiction qui dcrit la rsis-tance des gens de Cornouailles une invasion de soldats amricains

    et limposition de la culture yan-kee. Quant La Maison sur le riva-ge, publi deux ans auparavant, ilsagit dun roman de science-fic-tion sur le thme du voyage dansle pass.

    Le sous-titre franais Llixirde double vie indique quil estfait usage ici dune drogue expri-mentalecomposepar un biophysi-cien effectuant des recherches surle cerveau. Le personnage principalaccepte de lui servir de cobaye etse retrouve projet au XIVe siclependantquelques heures.Les exp-riences suivantes lui permettrontde retrouver les mmes personnes des membres de la petite nobles-se et leur entourage des prio-desdiffrentes etde suivreleur des-tine, parfois tragique.

    Happ par ce pass ressuscitsous ses yeux, fascin par une trs

    belle figure de femme amoureuse,Dick Young a bien du mal retrou-ver, dans le prsent, son quilibre.Au point de confondre un jour defaon dramatique lun et lautre. Etil ne connat pas les effets perversde cette drogue qui conduisent un dnouement inattendu. A lirecetteMaison sur le rivage, on songe

    au roman de Connie Willis LeGrand Livre, et on se dit que Daph-n du Maurier a compos l lundes plus magistraux romans dugenre.

    Le Gnral du roia pour cadre laguerre civile qui opposa auXVIIe sicle les partisans du Parle-ment ceux des Stuart, pour dcorla Cornouailles et pour personna-ges les membres de deux famillesayant choisi le camp du roi Charles.

    Ce nest pas Sir Richard Glenvil-le, lhomme de guerre, qui est aucentre de lintrigue, mais HonorHarris,cellequi,en raisondun acci-dent layant rendue infirme, refusade lier son destin cet hommequelle aimait pourtant. Dans ce mlange de fiction et de ralit ,Daphn du Maurier adopte lepoint de vue de ceux et de cellesqui subissent les alas de la guerreet des occupations. Et si celle quiest son porte-parole fait preuve

    dun caractre indomptable jus-qune pas renierce gnralunani-mement dtest, elle nen est pasmoinsrduite ntre,pour lessen-tiel, quun tmoin, dune terriblelucidit toutefois, des passionshumaines dans un temps o ellessexacerbent.

    Jacques Baudou

    Le singulier destin de Robert BrasillachLe romancier et journaliste de Je suis partout fut jug pour intelligence avec lennemi et excut en fvrier 1945. A partir du procs,

    Alice Kaplan mne lenqute sur un collaborationniste plein de haine, dont les crits taient et demeurent accablants

    De livre en livre, Jean-PaulCaracalla ne cesse de fairepartager son got pour les

    voyages, les trains et son amour deParis,quila clbr, traversSaint-Germain-des-Prs, Les Champs-Ely-ses(Flammarion 2000 et 2002) ouMontmartre (Denol, 1997). Troisquartiers quon ne manquera pasde sillonner avec en poche ces dli-cieux Vagabondages littraires, encompagnie dun prestigieux aro-page o se retrouvent (voire secroisent) : Chateaubriand, Stend-hal, Balzac, Hugo, Flaubert, Dau-det, mais aussi Proust, Lon-PaulFargue,Cendrars, Simenonet quel-ques illustres Amricains qui ont

    marqu les golden twenties, telsHemingway, Miller, FitzgeraldSont exclus les crivains sdentai-res, tel Paul Morand qui, malgr unconstant besoin de bouger, neconnut Paris quune seule adres-se ou presque : lavenue Charles-Floquet.

    Cest donc en compagnie de ces

    nomades des lettres que Jean-PaulCaracalla invite un voyage singu-lier et passionnant dans lespaceet le temps, allant du Paris rvolu-tionnaire celui de laprs-guerre,en passant par la Belle Epoque etles Annes folles.

    On suivra ces guides dans leursitinraires et leurs lieux de prdi-lection (cafs, restaurants, salonsou cnacles, thtres) avant deles raccompagner chez eux. Selonles alas de la fortune et de la car-rire, ces logis peuvent tre tour tour des htels particuliers, desateliers dartiste ou, plus frquem-ment, des mansardes.

    Si le diplomate Chateaubriandet le Milanese Stendhal quipartagent tous deux des senti-ments ambigus lgard de la capi-tale migrent le plus souvent pourdes raisons politiques(exil, destitu-

    tion), Victor Hugo, lui, est tou-ch trs tt par linstabilit de lavie familiale. Ainsi, partir de lasparationde ses parents qui lobli-ge quitter les jardins de sonenfance prs du Val-de-Grce, ilne va cesser de dmnager. Aprsson mariage, le pre de famillenombreuse devra trouver un toit

    la mesure de celle-ci et de sa gloirelittraire grandissante.

    Pour la plupart des crivains vo-qus, cest surtout la situationfinancire(ou la spculationimmo-bilire dont est victime Proust bou-levard Haussmann) qui condition-ne leur dplacement. CommeAlphonse Daudet qui fut un tempssans domicile fixe avant davoirpour protecteur le duc de Morny ;ou encore, le plus savoureux den-tre tous, Balzac, qui joue cache-cache avec ses cranciers. Restentles bourlingueurs de Paris, telsCendrars ou Lon-Paul Farguedont Jean-Paul Caracalla offre unmouvant portrait.

    Au terme de ces dambulations,on regrettera cependant labsencedes femmes, notamment celle deColette qui conta avec saveur sesmultiples dmnagements dansTrois, six, neuf (1). Mais peut-tresera-t-elle dun prochain vagabon-

    dage ?Ch. R.

    (1) Buchet Chastel, 102 p., 13 .

    eSignalons Chateaubriand, des illu-sions contre des souvenirs , de Jean-Claude Clment (Gallimard, Dcou-vertes , 160 p., 13 ).

    LIVRAISONSaCONTES AUFER ROUGE,de Villiers deLIsle-AdamPour Verlaine,rien de moinsquun gnie , pourMallarm, la

    langue, vrai-me nt dunDieu partout . Partags par sesamis Charles Cros et Baudelaire ce dernier lui faisant connatreluvre dEdgar Poe , ces avis nesuffisent pas placer Villiers deLIsle-Adam la place qui luirevient dans la littrature. Cetteanthologie rappelle et corrige cet-te injustice. Elle runit des nouvel-lesde ses Contes cruels, o linfluen-ce de Poe nterien leur originali-t, et de Tribulat Bonhomet, unrecueil o ce personnage est unetalentueuse caricature dun vilbourgeois balourd la Daumier.La nouvelle qui le fait tueur decygnes pour entendre leur chantest un chef-duvre de concision ;

    en quelques lignes, tout est dit dela cruaut, de la fatuit et de labtise. Eternel anxieux solitaire enqute dabsolu, cest bien au ferrouge que Villiers crit, et de tel-les incandescences ne peuvent querjouir qui vient sy brler. Nymanquez pas. P.-R. L.Librio, 96 p., 2 .

    aCRITIQUE DU MERVEILLEUXET DE LA FANTASYde Jacques GoimardAprs la science-fiction et le fan-tastique, cest deux territoires(mais peut-tre nen forment-ilsquun ?) plus indcis que sattaque

    Jacques Goimard : le merveilleuxet la modern fantasy dont il sestfait, en tant que directeur de col-lection, le propagandiste zl. Lechamp explor est vaste et Jac-ques Goimard ne se prive pas denfouiller les moindres recoins, pas-sant de lAtlantide Flash Gordonou Tolkien, zigzaguant avec bon-heur dun film de Luis Buuel(exemple ambigu de merveilleuxchrtien ) louvrage de Vladimir

    Propp sur La Morphologie duconte. Il rde du ct du pplum,du jeu de rle, de Superman ou deTnbreuse et rend hommage Wojtek Siudmak dont une peintu-re orne la couverture de cet essaikalidoscopique o se dploie unerudition sidrante. J. Ba.Pocket, Agora , 766 p., 12,30.

    a LES ALLES SOMBRESdIvan BounineIvan Aleksievitch Bounine(1870-1953), premier laurat russede lAcadmie sudoise (1903, untrs grand Nobel), exprime dansles rcits qui composent ce recueilla qute du temps assassin enoctobre 1917 par le coup dEtatbolchevique. Alors que trente ansplus tard, lEurope sacheminevers le dsastre quelle subira ,lcrivain rfugi sur les collinesde Grasse se retourne vers ce pas-s ni idyllique ni idalis. Jusquen1944, loin des champs de bataille,il ressuscitera les grands espacesrusses et son exil parisien, portpar les vagues de la nostalgie.

    Cest toujours Eros qui ouvre sonbal de spectres sous le regard impi-toyable de Thanatos. Dans Cau-case , cocufi par le narrateur, unofficier de la garde du tsar se don-ne la mort. Un migr solitairefinit terrass par une crise cardia-que aprs avoir trouv, enfin,lme sur ( Paris ). Alors

    quune fois encore la mort frappeune belle Russe adultrine tuepar son mari dans un caf de Vien-ne, ( Heinrich ), dans le GrandNord sibrien de jeunes et joliesfermires sont poursuivies parlours en rut et par les satyres desbois ( Bel ge de fer ). Serviespar une criture musicale, riche etsensuelle, mais jamais charge,ces brves nouvelles rappellent lesproses dun Ivan Tourguenievfcondes par la modernit dAr-thur Schnitzler et de StefanZweig. E. R.Traduit du russe et notesde Jean-Luc Goester et FranoisLaurent, prface de Jacques Catteau,d. LAge dhomme, Biblio ,378 p., 6,95 .

    RobertBrasillachlors de sonprocs enjanvier 1945

    LA MAISON SUR LE RIVAGE(The House on The Strand)de Daphn du Maurier.Traduit de langlais parMaurice-Bernard Endrbe,Le Livre de poche, n0 15561,444 p., 6,5 .

    LE GNRAL DU ROI(The Kings General)de Daphn du Maurier.Traduit de langlais parHenri This,Phbus, Libretto 362 p., 10,50 .

    LIVRES DE POCHELITTRATURES

    INTELLIGENCE AVEC LENNEMILe procs Brasillach(The Collaborator. The Trial andExecution of Robert Brasillach)dAlice Kaplan.Traduit de l'anglais (Etats-Unis)par Bruno Poncharal,Gallimard, Folio , no 3908,480 p., 7,10 .

    VAGABONDAGES LITTRAIRESDANS PARISde Jean-Paul Caracalla.La Table ronde, La PetiteVermillon , 176 p., 8,50 .Indit.

    Publies en 1669 parle libraire Barbin, cesLettres portugaises,censes avoir tadresses par unereligieuse portugaise auchevalier de Chamilly,rencontrrent, ds leurparution, un vif succs.Un succs qui tientautant leur

    mouvante et brlantesincrit (Stendhal lescitait comme lexemplemme del amour-passion ),qu la lgende autourde leur authenticit.Trois sicles dexgseplus tard, lattributionde ces lettres Gabrielde Guilleraguesne faitplus de doute. Il faut(re) lire pour lui-mmece chef-duvrepistolaire (prcurseurdu genre) accompagnici dun remarquableappareil critique(prface et notes)dEmmanuel Bury (Le

    Livre de poche, Libretti , 90 p.,1,50 ). Tout aussipassionnes etdsespres sont leslettres de Lizzie Westadresses VincentDeering, pre de lapetite fille dont elle a lacharge. A la mort de safemme, ce dernier

    quitte la France pourles Etats-Unis, laissantla jeune institutriceseule avec ses espoirset ses promessesdavenir. Aprs trois ansde silence, les deuxamants se retrouventpar hasard ou presque,comme on le dcouvredans ce court rcitdEdith Wharton(tirdeFils et autresnouvelles). Elle ydessine un dlicatportrait de femme et,ce faisant, nous instruitsur labngation, lalchet masculine et lescompromissions (Les

    Lettres, traduit delanglais Etats-Unis par Anne Rolland,Gallimard, Folio 2 ,92p., 2 ). Dans unautre registre, on sedlectera des missivesquAlphonse Allaisseplut imaginer. Ainsicelle signe Increvablement, votre

    fidle MauriceCurnonsky , quipropose, ni plus nimoins, quun procdpour mettre un termeaux temptes en mer !Ou cette autre dans Philologie qui estun rgal de jongleriesverbales. A limage decesPlaisirs dhumour,brillant florilge detextes donns par Allais divers journaux et quiillustrent le talent de ceprince de lhumour. Ase tordre, assurment(Le Livre de poche, Libretti , 94 p., 1,5 ). Ch. R.

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    JOHANNESBURGde notre correspondante

    Je mange du pap, tu manges dupap, il/elle mange du pap Le pap , plat national base de fari-ne de mas, se conjugue en franaisdans le centrecommunautaireIthu-teng-Trust de Soweto. Dans cetteimmense township, ancien ghettonoir du temps de lapartheid, plusde 350 adolescents se regroupenttous les samedis pour des cours defranais. Ils viennent de collges etde lyces, situs parfois plusieursdizainesde kilomtresde l pour unenseignement que leur tablisse-ment nefournit pas. Tous enunifor-me, entasss 40, voire 50, dans de

    petites classes poussireuses, ilssont disciplins et assidus. Leursprofesseurs sont maliens, ivoiriensou camerounais et viennent de lAl-liance franaise de Soweto.

    Le franais est la deuxime lan-gue du monde. Si on veut travailler,aller ltranger, il faut apprendredautreslangages , expliqueSeppa-ti. Cette lycenne de 12 ans sexpri-me dans un anglais un peu hsitant.Elle se dbrouille mieux en zoulou,en sesotho ou en setswana. Le fran-ais est la cinquime langue quelleapprend. La plupart des lvessavent que le franais est parl dans

    une grande partie de lAfrique. Comme au Nigeria ? demandeun jeune garon vite repris par uncamarade plus g qui cite le Sn-gal, la Cte dIvoire et la Turquie.

    Certains ont choisir au lyceentre afrikaans et franais commeoption pour le baccalaurat , expli-que Maniga, un des enseignants. Alors,par rejet de lalanguede lan-cien oppresseur, ils apprennent lefranais , poursuit-il. Je prfretre ici plutt qu la maison. Cestplus sr. Chez nous, il y a les gangs, ladrogue, la violence , explique Pre-cious, 18 ans. Cet argument est lundes plus souvent voqus. Beau-coup denfants viennent aussi

    apprendre le franais pour chap-per la violence quotidienne dughetto ou de leur famille.

    Ici, les cours de franais sont gra-tuits.Les professeurs sont paysparlAlliance franaise de Soweto. Pen-dant la semaine, ils donnent descours des adultes dans les locauxde lAlliance. Leurs motivationssont avant tout professionnelles ,explique Ndessomin Dosso, unenseignant. Ceux qui viennent titre priv paient une somme sym-bolique, 350 rands par semestre(43), contre 2 500 rands lAllian-ce franaise de Johannesburg. Cer-

    tains ont des bourses de lambassa-de de France, comme ces policiersquiont affaireaux immigrs franco-phones de tout le continent.

    LAlliancede Sowetoa faillidispa-ratre, il y a deux ans, aprs plu-sieursbraquages.Son histoire, com-me celle de lAlliance de MitchellPlain, dans une township du Cap,est un peu particulire. Normale-ment,les Alliances sontdes associa-tions de personnes prives quidemandent ensuite leur adhsionau rseau des Alliances franaises.La cration de celle de Soweto en1983 rpondait des motivationspolitiques, la France ne souhaitantpas limiter sa prsence aux zones

    blanches. Aujourdhui, ces deuxAlliances nexistent qu grand ren-fort de subventions.

    Le franais est galement ensei-gn dans certains tablissementspublics, mais risque de ltre demoins en moins. Dbut octobre, legouvernementa annoncaux chan-celleries stupfaites qu partir de

    janvier 2004 il ne prendrait plus enchargelescoursde languestrang-res. Avec 11 langues officielles, lan-glais,lafrikaans,et 9 langues africai-nes,les jeunes Sud-Africainsont suf-fisamment faire.La France,lEspa-gne, lAllemagne, lItalie sont doncpries de financer le cot de lensei-gnement de leur langue.

    La dcisiona surpris. Le prsidentThabo Mbeki lui-mme avaitdemand publiquement tous sesministres dapprendre le franais,pour souvrir au reste du continent.Sa ministredes affairestrangres asuivi plusieurs stages en Francepour tenter dapprendre lautrelangue africaine . Ilresteencoredif-ficile de trouver des fonctionnairesou diplomates parlant franais.

    Quelque 4 500 personnes pren-nent des cours dans lune ou lautredes 18 Alliances du pays, le plusgrand rseau du continent aprsMadagascar. Il y aura toujours desgens pour apprendre le franais, parncessit du fait de leur travail, oupour renouer avec leurs origines ,estime Christophe Ledu, directeurde lAlliance de Johannesburg. Lepays compte des du Plessis , des du Toit , ou des de Villiers ,descendant des huguenots franais.Cependant, mme Frankchoeck,ancien bastion francophone duXVIIe sicle, qui le 14 juillet conti-nue pavoiser enbleu,blancet rou-ge, plus personne ne parle franais.

    Le pays compte toutefois unecommunaut belge importante,prsde 30 000 personnes, laquellesajoutent environ 6 000 Franais et

    des dizaines de milliers dAfricainsfrancophones. Pour eux et les quel-ques milliers de Sud-Africains fran-cophiles, lAlliancefranaiseest aus-si une bibliothque, unespace cultu-rel vivant. A loccasion de Lire enfte, une vente de livres doccasionsera organise la bibliothque delAlliance de Johannesburg, un desrares endroitso lontrouve littra-ture et documents en franais.Quant aux journaux, on trouveoccasionnellement Le Monde enkiosque mais un prix prohibitif.

    La tche de promouvoir laculture franaise,dans ce cadrefina-lementpeu propice, revient lInsti-tut franais dAfrique du Sud(IFAS). Chaque anne, lIFAS parti-cipe auTempsdescrivains,qui ru-nit Durban des auteurs du conti-nent et de la diaspora noire. Ama-

    dou Kourouma, Gisle Pineau,Maryse Cond ou Carl de Souzasont passs par l. LIFAS fait aussila promotion dun art assez mcon-nu ici, la BD. Une exposition landernier a tourn dans tout le pays,avec des ateliers runissant notam-ment Jean-Philippe Stassens et Pas-cal Rabat.

    LIFAS aide aussi la traductionde livres, condition quun diteurlocal se manifeste. Deux recueilssont sortis : un roman de Jules Ver-ne,LEtoile du Sud, qui se passe enAfrique du Sud, a t traduit enanglais en version intgrale, et LesCarnets de campagnedu gnral deVillebois-Mareuil, ont t traduitsdu franais en afrikaans. Le pro-chain pourrait sappeler InkofanaEncane,Le Petit Prince, en zoulou.

    Fabienne Pompey

    Un comdiensortidu Conser-vatoire qui rvait dun spectacle total , Bernhard

    Engel, et un avocat loreillemusica-le devenucrivain,Jean-PaulCarmi-nati, voulaient lorigine partagerleurs bonheurs de lectures. Liretouthautce quechacunlittout bas.

    Ilsen avaientassezde la voixblan-che avec laquelle les livres sont sisouvent lus, et cherchaient pro-mouvoir les auteurs quils aimaienten interprtant leurs textes : Noussommes des diteurs notre manireet des pianistes solos.

    Leur fureur lectrice on lisaitpartout, tout le monde, nos prochesnen pouvaient plus trouve alorsun lieu dchos. Ce sera un bistrotparisien de la rue Gt-le-cur. Puis,en 1997, ils rencontrent DominiqueVannier, grce laquelle ces lec-teurs publics deviennent aussi entrepreneurs de spectacle .Dessubventions prives suivent, ils for-ment et engagent dautres lecteurs.Lquipe, ( maischacunest autono-me ), dsormais appele LesLivreurs, part lire et donner desleons de lecture voix haute dansdes collges, ce qui aboutira lacration dun Prix de lecture, dont

    la finale a lieu chaque anne lAuditorium du Louvre.

    Aujourdhui, ils lisent, toujoursaussi inlassablement, des rcits sur-tout mais aussi des textes dam-biance , classiques et contempo-rains, dans des librairies, des hpi-taux, des trains ou des thtres. Ilsorganisent stages et vnementstels que le Bal la page dans lecadre de Lire en fte. Cette 20e di-tion il y eut aussi les bals latinos, Tapas nocturnes , les bals polars, Tu dun bal en plein cur , etles bals amoureux, Lis-moi que tumaimes tiendradu cabaret litt-raire, entrecoupant de morceauxlus danses et musiques ( Au dbut

    ctait dur, il fallait assurer nous-mmesla danse ! ).Les extraits pro-viendront entre autres des romansdEmmanuelleBayamack-Tam, Tho-mas Guntzig ou Fred Kassac.

    Aprs les spectacles, on venaitleur dire : Ctait fantastique, jepourrais lire avec vous, moi aussi ?

    Et Engel de refuser : tre lecteur estun mtier qui implique un travailsurle souffle,la voix, le ton,et surla la musique de la phrase . Le lec-teur ne doit pas se mettre en scnemais servir le texte , ce qui nex-clut pas la subjectivit ; il viterapour cela les trois cueils que sontla lecture monacale , la lecturechante et la lecture mime .

    Seulement alors les auditeurspourront crer librement des ima-ges partir du texte lu. Ce quils nepeuvent faire au thtre, ce quilsfaisaient en revanche lorsquen-fants bien bords on leur racontaitdes histoires Y a-t-il des textesimpossibles lire ? Selon Jean-PaulCarminati, tout bon texte peut trelu ; la lecture haute voix est lpreu-ve dterminante de la qualit littrai-re . Bernhard Engel modre. Il nya pas de paradigme du texte lisible,mais dheureuses conjonctions

    entre un texte, un public, et un lec-teur ( Dans les prisons, on essaiedviter les polars ). Sans compter le travail de dminage qui pr-viendra une liaison malvenue ou undouble sens dsastreux.

    Rabelais, dans le Quart Livre,racontait lhistoire de ces parolesgeles en grelots de glace qui, sousleffetde lachaleurde lamain,dg-lent. Les Livreurs, eux, sacquittentde cette opration difficile quest latransformation du livre en parolevive avec cette mme chaleur com-municative.

    Nora Philippe

    eBal la plage, le 18 octobre, laBoule noire (120, bd Rochechouart,75018. Tl. : 01-47-39-03-42.)

    Marc Roger vit en lisant, enmarchant. Le 18 dcem-bre, 15 heures, il sera sur

    un pont de Visegrad en Bosnie-Herzgovine pour lire haute voixunextraitde Ilest unpont sur laDri-na,dIvo Andric, dans le contextegographique dans lequel elle a t

    crite . Peut-tredes passantssar-rteront-ils, peut-tre pas. Il fera lamme chose avecLIliadesur le sitede Troie, en Turquie, ou avec untexte de Jacques Lacarrire dans unamphittre grec. Je donne mespropresrendez-vous avec la littratu-re. Ce sont des petites folies qui nen-gagent rien si ce nest la folie delacte , explique Marc Roger.

    Dimanche 19 octobre, MarcRoger va sembarquer dans uneplus grande folie. Il prendra la rou-te, avec femme et enfant, pour unan de voyages et de lectures,autour de la Mditerrane, pied(15 20 km par jour), en 4 4 (lereste du trajet et lquipement) etdans les livres (300 ouvrages dansles bagages). Il prendra la routepour sa premire tape : le moulin

    dAlphonse Daudet. Il invite ceuxqui veulent laccompagner audbut de son voyage venir avecun livre quils liront pendant uneminute voix haute.

    Marc Roger est lecteur public. Illit dans les bibliothques, les co-les, les maisons de retraite, les pri-

    sons, les cafs, etc. En 1996, il acr lassociation La Voie deslivres, pour se lancer dans un tourde France, sur le mme principe : En livres, pied et voix haute .Cette anne, il voit plus grand.Lide lui est venue en 2000 auSalon du livre de Beyrouth: Il y aeu un accueil extraordinaire lors deslectures. Pendant dix jours, les gensnont pas lch. Je ressentais uneenvie davoir des histoires, une enviede partage. En me promenant sur laplage, en regardant la mer, je mesuis dit que cela devait tre pareiltout autour de la Mditerrane. Illui faut prs de trois ans pour don-ner une ralit ce rve. Il aconstruit deux programmes de lec-ture : Du bleu qui les spare ,avec des textes de Dritro Agolli,

    Javier Cercas, Andre Chedid ouBkir Yildiz, etc. ; Des dlicestout autour (Albert Cossery,Mohammed Dib, Carlo Lucarelli,Amin Maalouf, etc.).

    En fonction des tapes, il ajoutedes auteurs, comme Orhan Pamuk Istanbul ou1900 Pianiste, dAles-

    sandro Baricco, sur une plage deToscane. Son priple le conduira

    jusquau 16 octobre 2004 travers20 pays, dArles Montpellier, enpassant par Marseille, Ajaccio,Rome,Split, Mostar, Sarajevo,Tira-na, Athnes, Thessalonique, Izmir,Rhodes, Byblos, Beyrouth, Damas,Alexandrie, Tripoli, Alger, Oran,Fs, Cartagena, Alicante, Barce-lone, Cerbre.

    Le rythme de la marche est pri-mordial. On ne serre pas les mainsdes gens de la mme faon quandon descend dun train ou quon arri-ve pied. Mais ce nest pas un chal-lenge, cest la lecture qui est mise enavant, pas la marche. On a des diffi-cults pour passer les frontires

    pied, car tout est pens pour quelon circule dans des canaux. Cer-tains passages de frontires ris-quent dtre dangereux pour leslivres : On aura de la chance si labibliothque fait le tour de la Mdi-terrane.

    I l n e st p as c om d ie n n i

    conteur : Je ne suis pas sur scne,il ny a pas dclairages. Je suis unlecteur. Le texte crit est mon viati-que. Cest son mtier depuisonze ans. Avant, il montait sur sc-ne pour dfendre ses propres tex-tes de posie sonore. Un soir, il estall faire une lecture dautresauteurs dans une maison de retrai-te. A la fin de son programme, unevieille dame aveugle lui demandede revenir. Il ira une fois par semai-ne et abandonnera lcriture: Jai franchi le cap trs nettement.Jprouve de la sensualit et du plai-s ir tr e dan s la lectu re des autres. Je suis un passeur de livres.

    A. S.

    eRenseignements : www.lavoiedes-livres.com et www.oxor.net.

    Les Livreurs transforment le livreen parole vive

    Marc Roger va faire un voyage dun anautour de la Mditerrane, en lisant, en marchant

    France-Afrique du Sud, lectures croises

    DES MANIFESTATIONS LTRANGER

    QUELQUES RENDEZ-VOUS AU PROGRAMME

    Kazakhstan: le rseau des bibliothques propose des expositionset tables rondes (du 17 au 21 octobre) ;Congo: le centre culturel fran-ais de Kinshasa organise trois journes sur la littrature congolaiseavec des confrences, dbats, expositions (du 17 au 19 octobre) ;Togo: le rseau des bibliothques et le centre de lecture et danima-tion culturelle organisent du 18 au 29 octobre des caravanes du livre,des expositions, des dbats et un concours ;Tawan: lInstitut fran-ais de Tapeh invite des promenades littraires, des ateliers dcri-ture, des lectures dans les universits, lAlliance franaise, auxBeaux-Arts ainsi que dans les rues de la ville.

    Evnement Lire en fte, organise par le ministre de la culture, a lieu du 17 au 19 octobre. Des initiatives trs diverses prennent

    LIRE EN FTE

    b EN TRAIN DE LIRE A linitiative de la SNCF, 16 garesde capitales rgionales invitent lepublic une performance-lectu-re : lire voix haute et en conti-nu. Histoires de lecture, les 17 et18 octobre, de 10 heures 18 heu-res (rens. : 01-53-25-62-66).b LHPITAL ET EN CLINIQUEPrs de 350 centres hospitaliers, cli-niques, maisons de retraite semobilisent loccasion de la mani-festation(rens. ministre de la san-t, de la famille et des personneshandicapes : 01-40-56-57-19).b EN PRISONLes maisons darrt de Villepinte,

    Rouen, Poitiers organisent des lec-tures, des rencontres et unconcours de contes.b PA