Source : La Liberté, 06.05.2015

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TIPHAINE BÜHLER

«Robin ne devait jamais pouvoir skier.Le verdict médical est tombé lorsqu’il aeu un an», engage avec chaleur Sandra(44 ans), tout en signalant qu’il n’y aaucun tabou. Né prématuré, son bébé esthémiplégique. Toute sa motricité fine etses appuis posent problèmedu côté droit.«Sa jambene se développait pas correcte-ment, continueAlain (46 ans). Il a unpiedplus petit que l’autre et une jambe pluscourte. Il a dû faire des injectionsdebotoxrégulièrement pour forcer les tendons àse rallonger. Il était ensuite plâtré dessemaines.» Dans la foulée, des séancesde physiothérapie à un rythme effréné. Lesouffle vient de Robin, très actif. Il est éga-lement stimulé par son petit frère Rémi etbouge quasiment comme n’importe quelenfant, grâceàuneattelledont il bénéficiedès l’âge de six ans.

1 La détectionLa famille vit à cinq minutes des pistesdes Bugnenets, un symbole lorsqu’ons’appelle Cuche. Refusant le diagnosticnégatif du pédiatre et voyant les progrèsdeRobin, le couple lemet surdes skis, trèstôt. La première épreuve passe par leschaussures. Le gamin n’a pas la muscula-ture pour diriger ses orteils qui se tordent.«Au début, je ne savais pas comment luiapprendreà skier, se souvient lepèrequi afait ses gammes avecDidier Cuche. Robinne peut pas faire le chasse-neige. Ensuite,il s’est tenu à mes bâtons, à côté de moi.»Sandra avale ses sanglots: «La premièrefois qu’on l’a vuglisser surdes skis, onenapleuré. C’était une victoire, juste qu’il soitdebout enbasde lapiste.Onpouvait ima-giner skier en famille.»

Dès six ans, Robin participe à descourses régionales avec le ski club. «Iln’avait pas de traitement de faveur»,apprécient les parents à l’unisson. «Per-sonne ne lui portait ses skis. Il suivait,moins vite, mais ce n’était pas le pire. Sur

les courses, il voulait être devant. Il esttrès regardant des résultats.» Aujourd’huiencore. «Lorsque son frère a commencéà tout gagner, on a senti la frustration deRobin», poursuit maman. «On a alorsentamé les démarches pour l’inscrire àdes épreuves handi. J’ai fait 1012 télé-phones pour arriver à PluSport (la Fédé-ration du sport handicap suisse, ndlr).C’est sûrquepour skier avecunenfantquia un handicap, il faut quand même êtremordu.» Elle rit d’elle-même.

2 L’envolSes premiers championnats de Suissehandi se déroulent à Schönried. Robin a11 ans, de loin le plus jeune. «Pour monépouse, ça a été extrêmement difficileémotionnellement», confie Alain admira-tif. «Elle s’est repassé le film des dix der-nières années.» Elle l’interrompt: «Et cen’était pas que des années de pur bon-

heur, ça vous pouvez l’écrire». Cette jour-née agit comme un déclic. «En voyant lesautres concurrents, certains descendanten chaise à skis, je me suis dit que Robinavait de la chance», se souvient-elle. «J’aivu qu’il s’en sortirait, serait autonome,aurait un travail et une vie proche de lanorme. Nous, on le voit comme ça. Lui vitjuste le plaisir de l’instant.»

Les championnats de Suisse corres-pondent désormais au grand rendez-vousannuel deRobin, enplusdes courses avecle SC Chasseral Dombresson. A 13 ans, ilintègre la relève nationale de ski handi.Deux ans plus tard, les parents regardentà la TV leur fils défiler aux Jeux paralym-piques de Sotchi. «C’était quand mêmeénorme», souligne Sandra, plus détachée.«Là où j’ai remarqué qu’il avait progressé,c’est lorsque j’ai essayéde le suivreun jourà l’entraînement», s’amuse papa Cuche.«Si je taillais les mêmes courbes que lui,j’étais distancé. J’ai dû couper tout droit.»

3 Le reversA regarder dans le rétro, le manque devalorisation du sport handi frappe. Trèsproche de Didier Cuche, Alain bénéficied’une double vision. «Avec mon frère,on a connu la frénésie des médias où ondoit parfois peser chaquemot. Tandis quedans le sport handi, en dehors des JO, iln’y a aucune visibilité. Pourtant, on auraitdes choses à apprendre, notamment dansl’état d’esprit. Pour un valide, un truc neva pas et c’est la fin dumonde. Et honnê-tement, voir un skieur aveugle descendreen super-G, ça vous donne des frissons.»

Etre le neveu d’une star mondiale ainévitablement eu un impact sur la car-rière de Robin, mais pas sur ses choix.«Didier a été un soutien direct pour lescontacts et indirect, car cela permet uneidentification, explique volontiers Alain.Certaines portes s’ouvrent plus facile-ment. Pour Robin, c’est une fierté. En

revanche, pour Rémi (qui est en passed’intégrer la relève nationale chez les va-lides, ndlr), ce sera toujours une pression.Lorsque vous êtes sur une liste de départet que vous vous appelez Cuche, onattend de vous que vous soyez devant.»

4 Le lien du cœurLes parents se sont interdit de dire à leurfils qu’il ne pourra jamais faire une acti-vité à causede sonhandicap. «On l’a laisséessayermême le patin à glace, alors qu’onsavait que l’équilibre avant-arrière, Robinne l’aurait jamais», mentionne Sandra.Aujourd’hui dans son élément entre étu-des et carrière internationale, Robin agagné son autonomie. «Le meilleur mo-ment désormais, c’est lorsqu’on peut res-ter dans notre canapé, qu’il n’y a pasquinze paires de skis à farter dans legarage et que la saison est finie», éclatede rire cet attachant duo. I

LA LIBERTÉ MERCREDI 6 MAI 2015

SPORTMERCREDIDenis Hollenstein

1719 FOOTBALL La Juventus tient son rang contre le Real19 FOOTBALL Pep Guardiola de retour à la maison21 TENNIS Rafael Nadal en plein brouillard24 HOCKEY SUR GLACE La Suisse bat chichement l’Allemagne24 HOCKEY SUR GLACE Les bons souvenirs de Seguin

ROBIN CUCHE> 21 mai 1998. Sandra et AlainCuche voient naître Robin avec deuxmois d’avance. Deux ans plus tard,son frère Rémi arrive à Saules (NE).> 2011. Robin devient «newcomer»de l’année, prix qui récompense lemeilleur junior suisse handicapé. Ilrafle tout en sport handi et participetoujours à des courses régionaleschez les valides.> Janvier 2012. Il passe la taxation.> 2014. Il participe aux Jeux olym-piques de Sotchi (18e en slalom et12e en géant)> 2015. Mondiaux de Panorama,Robin se déchire un ligament croiséde sa jambe hémiplégique, pas deski pendant un an.

LA FAMILLE DE

«LATAXATION, LE SUJET No 1 DANS LE SPORT HANDI»Pour intégrer la relève du sport handi etparticiper à des courses internationales,Robin a dû passer la taxation, un testqui définit son degré de handicap. Cerésultat adapte le chronomètre de l’athlète.Ainsi pour Robin, on retire 7% du tempsréel. Pour un cas plus lourd, ce sera peut-être 14%. Des calculs dans lesquels seperdent les parents.

L’examen devait se passer devant unecommission de médecins à Sestrières.Robin a 13 ans. «Avant de faire neufheures de voiture pour avoir cette taxation,je voulais m’assurer que mon fils puisseêtre taxé», raconte la mère. «On estallé chez une spécialiste à Interlakenqui nous a confirmé que Robinserait LW9-2 (hémiplégique léger, ndlr)sans problème, voire plus. Un drôlede paradoxe. On se retrouve en tantque parents à espérer que son fils soit

suffisamment invalide pour participer auxcourses handi.»

«A Sestrières, le contrôle a été très viteréglé, car c’est assez flagrant chez Robinlorsqu’il est en short. On a découvert cemonde de la taxation», explique ouverte-ment Sandra. «C’est le sujet No 1 dansle sport handi. Tout le monde parle deça et personne n’est satisfait avec le résul-tat et aimerait avoir plus.» La polémiqueavait enflé aux Jeux de Sotchi, car un skieurdiminué de deux phalanges était devenuchampion olympique alors qu’il bénéficiaitde la même taxation qu’un manchot.«Robin et nous étions contentscomme ça», indique-t-elle. «C’estsurtout la reconnaissance qu’il peutfaire du ski dans le sport handi.» Il ad’ailleurs pris le départ de ses premièrescourses internationales les jours suivantsen Italie. TBU

SOUVENIR EN FAMILLE

Le ski, une valeur familialeSi ce n’est pas Robin (à droite),c’est son frère Rémi qui seprésente dans les portillons de

départ. L’occasion pour toutela famille de chausser les skis.

TBU/LDD

MON FILS EST UN CHAMPION 4/5

«Robin ne devait jamais skier»SANDRAETALAIN CUCHE•Papadu championde ski hémiplégiqueRobin, et frère de la starDidier, leNeuchâteloisa cette double vision, sport handicap et sport de compétition.Maman est un vecteur de rires commede larmes.

Alain et Sandra Cuche: «C’est sûr que pour skier avec un enfant qui a un handicap, il faut quand même être mordu.» ALAINWICHT

Derrière chaque champion, il y a desparents. Il faut soutenir son enfantsansmettre de pression et garder latête froide aussi souvent que possi-ble. Lemétier de sportif fait souventrêver. Pour les parents, les réalités etles obstacles sont différents danschaque discipline et pour chacun. Ilsapprennent sur le tas à décrypter cemonde si particulier, à s’accommoderdes folies financières ou de la peurde l’accident, et surtout, à maintenirle lien du cœur. Ils témoignent.