Post on 31-Jul-2020
INSTITUT SUPÉRIEUR DE RÉÉDUCATION PSYCHOMOTRICE 9 bis, rue du Bouquet de Longchamp – 75116 PARIS
PSYCHOMOTRICITÉ AU CAMEROUN:
QUELQUES SPÉCIFICITÉS
Mémoire présenté par :
CHATOT Lauriane
En vue de l’obtention du diplôme d’état de psychomotricité
Maître de Mémoire : Emilie Baudet, Philippe Scialom Juin 2011
REMERCIEMENTS
A Emilie BAUDET, maître de mémoire et de stage qui m’a guidée et m’a fait
partager sa rigueur, ce qui s’est avéré extrêmement utile tout au long de l’élaboration
de ce mémoire.
A Philippe SCIALOM, maître de mémoire et tuteur du projet extra-académique au
Cameroun, qui m’a encouragé et soutenu dans ce travail, malgré son emploi du temps
chargé.
A Françoise SELMI pour toutes ses connaissances et références bibliographiques.
J’espère que nous aurons d’autres occasions de discuter de la psychomotricité à
travers nos voyages.
A Sœur Catherine Dominique NGO NGUE, directrice de l’IPPR, sans qui ce projet
n’aurait peut être jamais vu le jour. Sa ténacité et son courage permettent à cette
école de vivre et de se développer. Merci à son accueil chaleureux.
A Sophie LIMOUZIN, mon binôme et amie avec qui j’ai découvert le Cameroun pour
la première fois.
A Delphine, Adeline et François pour ce séjour au Cameroun, pour ces aventures
animalières et leur soutien.
A Gaëlle, pour sa relecture pertinente et son aide.
A toute l’équipe pédagogique de l’IPPR et les psychomotriciens camerounais pour
leur accueil, leur hospitalité et leur participation à ce projet.
Et bien sûr, ceux sans qui tout ce travail n’aurait eut aucun sens, tous les étudiants
de l’IPPR qui m’ont communiqué l’amour de leur pays et de leur culture. Ils m’ont fait
découvrir leur psychomotricité. Merci pour tous ces bons moments, en espérant qu’il y
en aura d’autres.
A tous mes proches pour leur soutien inconditionnel et indispensable. Merci de
m’avoir soutenue cette année.
RESUMÉ
La psychomotricité se développe à travers le monde, c’est un fait incontestable.
Peut-on pour autant parler d’ethno-psychomotricité ?
En retraçant les sept ans d’histoire de cette discipline naissante au Cameroun,
nous interrogeons les intérêts de son implantation dans un pays encore fortement
attaché à des traditions et à une culture qui diffèrent tant de ce que nous connaissons
en France. Les particularités africaines de la relation au corps, de la perception du
temps ou de l’espace, de la conception du soin influencent-elles fondamentalement la
pratique professionnelle ? Les interactions entre les étudiants français intervenant au
Cameroun et les Camerounais, étudiants ou professionnels ont-elles du sens compte
tenu de ces différences ? Contribuent-elles à développer « LA » psychomotricité ou
« des » psychomotricités ?
MOT CLÉS : Ethno-psychomotricité – Cameroun – corps et culture – recherche – temps –
espace – médiations – indications – pluridisciplinarité – enseignement
ABSTRACT
It is a widely acknowledged fact that psychomotricity is developing on a
worldwide scale, but can we really describe this trend in terms of ethno-
psychomotricity?
Looking back on the brief history of a field that emerged only seven years ago in
Cameroon, we can question the relevance of its setting up in a country that is still so
strongly tied up to tradition and within a culture that so greatly differs from ours in
France. Do the African specificities, in terms of people’s relationship, to their body,
their perception of time and space, and their approach to care have an impact on
professional practice? Taking those cultural differences into account, how does it make
sense to have French students interact with students and professionals from
Cameroon? Does it contribute to developing psychomotricity as a whole or rather
various “psychomotricities”?
KEYWORDS: Ethno-psychomotricity – Cameroon – body & culture – research –
time – space – mediation – indication – interdisciplinarity – teaching
I
Avant-propos
Je propose ici, quelques pistes qui expliquent le choix de ce thème de travail et la façon
dont il a été écrit. En effet, certains éléments de ma vie personnelle entrent en jeu dans ce
travail mais n’ont pas lieu d’être cités dans le protocole de rechercher ni même au sein du
texte.
Au début de la formation en psychomotricité, j’ai, tout comme l’ensemble des
étudiants, adhéré à un Projet Extra-Académique (PEA)1. Dès la première année, nous avait
été présenté ce fameux « PEA Cameroun ». Etant une amoureuse inconditionnelle de
l’Afrique, il m’était impossible de manquer une telle occasion… C’était décidé, je ferais partie
du PEA Cameroun ! J’ai passé toute mon enfance et une partie de mon adolescence, soit
douze années, en Côte d’Ivoire. Rentrée en France suite aux évènements politiques de 2004,
je n’attendais qu’un prétexte pour retourner à Abidjan (capitale économique de la Côte
d’Ivoire), voire en Afrique centrale ou en Afrique de l’ouest. En outre, j’ai toujours eu à cœur
de m’engager dans une mission humanitaire. Ce PEA me permettait donc de répondre à mes
envies tout en restant proche d’une activité préprofessionnelle relative à la psychomotricité.
C’est lors de mon premier voyage à Douala, en février 2010, et de ma toute première
intervention auprès des étudiants de première année à l’Institut Panafricain de
Psychomotricité et de Relaxation (IPPR) que j’ai saisi toute l’importance de la culture
traditionnelle dans la pratique psychomotrice. En effet, ma collègue et moi proposions aux
étudiants de faire passer les épreuves de ballant et d’extensibilité par deux, quand nous
avons observé de surprenantes réactions de leur part. Nous avons alors compris que la place
du corps au Cameroun n’était visiblement pas la même qu’en France. Puis très vite, nous
nous sommes aperçues qu’il en était de même pour les rapports homme/femme et le
toucher. Le dépaysement et la confrontation à cette nouvelle culture se sont prolongés tout
au long du séjour.
Malgré toute notre bonne volonté et mon expérience personnelle de l’Afrique, nous
avons compris que nous étions arrivées avec de nombreux préjugés sur les relations
humaines, professionnelles ou non, qui tout au long du séjour sont tombés les uns après les
1 PEA : projet extra académique. Projet déjà existant ou à créer auquel chaque étudiants est tenu d’adhérer en début
d’année scolaire. Les thèmes sont variés : recherche, promotion de la psychomotricité ou projet d’aide national ou international. Chaque PEA est coordonné par un psychomotricien professionnel. Les étudiants sont évalués sur un dossier écrit ainsi qu’une soutenance oral en fin d’année scolaire.
II
autres. En effet, après douze ans de vie en Côte d’Ivoire, j’avais inconsciemment fait un
raccourci en considérant que le Cameroun et la Côte d’Ivoire ne devaient pas être bien
différents. Après tout, cela restait l’Afrique…
Pendant la mission, nous étions hébergées au sein même du bâtiment administratif de
l’IPPR. L’école fait partie d’une congrégation de religieuses qui accueille dans son enceinte
un « collège » (en réalité, un collège et un lycée, donc des jeunes de la 6e à la terminale). Ces
jeunes sont en classe toute la semaine et assistent à la messe le samedi et/ou le dimanche. Il
y a donc en permanence du passage, du bruit et du monde autour du bâtiment dans lequel
nous dormions. Après quelques jours difficiles, nous nous sommes pleinement adaptées à
cette vie en collectivité. Ayant grandi dans une culture africaine, j’ai rarement été seule et
suis donc habituée à me déplacer pour provoquer la rencontre et la discussion avec les gens.
A Douala, il en est allé de même : les étudiants restaient discuter jusqu’à tard avec nous. Au
cours de ces voyages, j’ai tissé des liens amicaux avec certains d’entre eux. Il a fallu faire un
effort commun afin de rétablir une distance de chercheur pour ne pas créer de conflit
d’intérêt pendant le travail de recherche.
Lors de mes séjours à Douala, j’ai essentiellement côtoyé des étudiants et des
professeurs, jeunes adultes ayant tous au minimum le baccalauréat. Lors de mon premier
séjour, mon binôme et moi-même échangions avec les étudiants de l’IPPR autour des cours
de psychomotricité qui nous étaient dispensés à Paris. J’ai été impressionnée par les facultés
d’adaptation dont devaient faire preuve ces étudiants face à ce que nous leur apportions.
Lors de cet échange, à l’occasion du PEA et de l’association, j’ai réellement pris conscience
qu’il nous était impossible d’apporter une psychomotricité directement adaptée à la culture
camerounaise. C’est précisément ce travail d’adaptation de la part des étudiants et des
nouveaux professionnels qui a éveillé mon intérêt. Pour Moi, cela a été je pense, l’élément
déclencheur de ce travail.
SOMMAIRE
Introduction …………………………………………………………………………………p.1
Bases théoriques et culturelles
I°) LA PSYCHOMOTRICITÉ EN France…………………………………………………………….…. P.2
1) Bases historiques ……………………………………………………………………………………….p.2
a. Qu’est-ce que la psychomotricité ?........................................................p. 2
b. Histoire du concept de psychomotricité……………………………………………. p. 3
2) Quelques points importants de la psychomotricité occidentale……………..…….p. 6
a. Le temps…………………………………………………………………………………………… p. 6
b. L’espace…………………………………………………………………………………………….. p.8
c. Les différents types de médiations ……………………………………………………p.11
d. Les différentes indications, population et pathologies …………………….p. 14
e. L’équipe pluridisciplinaire………………………………………………………………… p.16
II°) LA PSYCHOMOTRICITÉ AU Cameroun……………………………………………………… p. 18
1) Présentation du Cameroun………………………………………………………………………… p.18
2) Quelques points importants de la psychomotricité au Cameroun……………… p. 19
a. Le temps………………………………………………………………………………………… p. 19
b. L’espace …………………………………………………………………………………………..p.20
c. Les différents types de médiations………………………………………………… p. 21
d. Les différentes indications, population et pathologies ……………………p. 22
e. L’équipe pluridisciplinaire………………………………………………………………. p. 22
3) Histoire et développement de la psychomotricité au Cameroun……………….. p. 22
a. Création de l’IPPR………………………………………………………………………….. p. 22
b. Le partenariat avec l’ISRP et l’OIPR depuis quatre ans …………………….p. 23
c. Reconnaissance ministérielle p. 26
Recherches sur le terrain
I°) DONNÉES OBSERVÉES……………………………………………………………………………… p. 28
1) Observations générales ……………………………………………………………………………..p. 28
a. Attitude générale…………………………………………………………………………… p. 28
b. La relation au corps……………………………………………………………………….. p. 29
c. Un exemple de parcours typique et confus……………………………………. p. 31
d. L’enseignement de la psychomotricité au Cameroun…………………….. p. 34
e. Terrain de stage……………………………………………………………………………… p.37
2) Implantation de la psychomotricité…………………………………………………………… p. 39
3) Difficultés, embûches, problèmes rencontrés…………………………………………….. p.40
II°) DONNÉES ISSUES DES QUESTIONNAIRES, étude réalisée à Douala…………. p. 41
1) Méthodologie…………………………………………………………………………………………… p. 41
2) Outils : questionnaire………………………………………………………………………………… p. 42
3) Protocole…………………………………………………………………………………………………… p. 43
4) L’exposé des résultats……………………………………………………………………………….. p. 44
a. Les étudiants français…………………………………………………………………….. p. 44
b. Les professionnels camerounais…………………………………………………….. p. 49
c. Les étudiants camerounais…………………………………………………………….. p. 52
Analyse des résultats et discussion
I°) ANNALYSE DES RÉSULTATS Comparaison entre le cadre de la pratique
des étudiants français, camerounais et professionnels camerounais p. 56
1) Le temps……………………………………………………………………………………………………. p. 56
a. Le temps et les horaires…………………………………………………………………. p. 56
b. Le découpage des séances……………………………………………………………… p. 58
c. La durée et la fréquence des séances…………………………………………….. p. 59
d. Le bilan psychomoteur…………………………………………………………………… p. 59
2) L’espace……………………………………………………………………………………………………… p.60
3) Les indications et population……………………………………………………………………… p.62
4) Les outils…………………………………………………………………………………………………… p. 63
a. Le matériel…………………………………………………………………………………….. p. 63
b. Le transport du matériel………………………………………………………………… p. 63
c. L’achat du matériel………………………………………………………………………… p. 64
d. L’utilisation des médiations……………………………………………………………. p. 64
5) Le psychomotricien et l’équipe pluridisciplinaire………………………………………. p. 66
6) L’utilisation de prescription médicale………………………………………………………… p. 67
II°) QUESTIONS A DEBATRE SUR L’AVENIR DE LA PSYCHOMOTRICITÉ AU
Cameroun…………………………………………………………………………………………………………. p. 68
1) Questions et proposition de réponses ……………………………………………………….p. 68
2) Contexte de la centralisation des résultats, problèmes rencontrés …………….p. 71
3) Le devenir du partenariat ISRP/IPPR………………………………………………………….. p. 73
4) Système de santé camerounais : Est ce que l'état est prêt à laisser une place à
la psychomotricité ?...................................................................................... p. 75
Conclusion………………………………………………………………………………… p. 78
Bibliographie
Annexes
1
INTRODUCTION L’université d’été de l’ISRP et les fréquents congrès de psychomotricité mondiaux
montrent que celle-ci tend aujourd’hui vers un développement international. Il n’est
donc pas étonnant d’entendre parler de psychomotricité au Brésil, en Argentine ou au
Cameroun. Cependant, nous savons qu’en psychomotricité, l’individu comme le
thérapeute s’engage psychiquement et corporellement dans la cure. Les variables
interpersonnelles sont importantes. C’est pourquoi la psychomotricité est une
méthode adaptative et modulable en fonction de chaque patient et de chaque
thérapeute. Les différences culturelles ne sont plus à démontrer, nombre d’individus
vont en vacances à l’étranger pour se « dépayser », découvrir un nouvel
environnement, l’étudier, ou l’observer. Les ethnologues ont ramené des écrits du
monde entier décrivant chaque culture. Mais, si l’on ajoute les différences culturelles
aux variables interpersonnelles, il est légitime de se demander comment mêler
psychomotricité, culture et individualité. Ici, je choisis comme exemple le cas du
Cameroun, pays d’Afrique peuplé de plus de 250 ethnies avec néanmoins une identité
culturelle nationale marquée.
Au Cameroun, la psychomotricité a évolué au fil du temps, très rapidement
d’ailleurs. Quelle direction a-t-elle prise ? Tend-elle à se rapprocher de la pratique
occidentale ou au contraire à se spécifier par rapport à la culture locale ?
Je me suis demandé comment adapter l’enseignement d’une discipline occidentale
à une culture africaine camerounaise. Quelles spécificités peut avoir la psychomotricité
dans un pays d’Afrique encore fidèle aux médecines traditionnelles et à la religion ?
Comment les Camerounais s’approprient-ils cette nouvelle pratique ? Quelles sont les
spécificités de la psychomotricité camerounaise? Spécificités par rapport à quoi, à qui ?
Sans faire une étude comparative de la France et du Cameroun, deux pays si
différents, car ce n’est pas là l’objet de mon propos, je vais exposer les points
spécifiques qui m’ont interpellée lors de mes séjours au Cameroun par rapport à ce
que j’apprends de la psychomotricité en France. Ces spécificités vont s’orienter autour
de trois grands axes, la psychomotricité au niveau ministériel, au niveau de
l’enseignement et dans le cadre de la pratique professionnelle.
Aujourd’hui, les étudiants camerounais tendent-ils à se rapprocher des
pratiques occidentales ou au contraire intériorisent-ils les concepts psychomoteurs
pour les adapter à leur culture ?
2
BASES THÉORIQUES ET CULTURELLES
I°) LA PSYCHOMOTRICITÉ EN FRANCE
Afin de mieux comprendre en quoi diffère la psychomotricité camerounaise de la
psychomotricité occidentale, je propose de redéfinir les bases de la psychomotricité
telles qu’elles sont conçues en Occident. En effet, si l’on veut savoir quelles sont les
spécificités camerounaises, il faut savoir à quoi les rapporter.
1) Les bases historiques
a. Qu’est-ce que la psychomotricité ?2
Il faut distinguer le concept de psychomotricité, qui a certes évolué dans le temps
mais qui reste stable, et la pratique psychomotrice telle qu’exercée par les
professionnels. Cette pratique peut être éducative, rééducative ou thérapeutique en
fonction du type de patient. Le travail des psychomotriciens se définit donc
différemment selon le champ d’intervention qu’ils ont choisi ou, tout du moins, selon
le terrain qu’ils ont trouvé pour exercer. C’est toujours par rapport au patient qu’ils
adaptent leur pratique. La médiation utilisée, toujours corporelle, varie aussi en
fonction du psychomotricien mais aussi de la personne dont il assure le suivi.
Le terme de psychomotricité est issu de plusieurs courants de pensées : la
psychologie et la psychanalyse, la neurologie et la psychiatrie, la philosophie et la
pédagogie. La profession est paramédicale. Elle s’engage sur trois grands axes :
l’éducation, la rééducation et la thérapie psychomotrice. On pourrait rajouter un
quatrième axe : l’évaluation et le bilan psychomoteur. C’est une profession à l’écoute
des manifestations psychocorporelles, traduisant une souffrance à la fois psychique et
corporelle. La spécificité du psychomotricien est qu’il intervient surtout dans les cas où
les patients utilisent peu ou pas le langage verbal. Il décrypte le langage corporel,
qu’on appelle communication non verbale, en observant attentivement la globalité du
sujet dans une relation ludique. La thérapie psychomotrice a pour objet de prévenir ou
de traiter l’altération du développement psychomoteur et de l’organisation
psychomotrice d’un patient à tous les âges de la vie. Le concept de psychomotricité,
bien qu’ayant évolué au cours de l’histoire, représente l’interaction permanente
existant entre le fonctionnement corporel et le fonctionnement psychique de la
personne.
2 Références au cours de Michel CROSNIER, 2009 à l’ISRP, non publié à ce jour.
3
La spécificité de la psychomotricité est l’approche du vécu corporel et de la façon
dont le sujet l’utilise pour entrer en relation avec l’autre. Cette discipline manie les
concepts de schéma corporel, d’image du corps, d’émotion, de tonus, de perception,
de structuration du temps et de l’espace, mais aussi du développement neurologique,
de la maturation et de la relation à l’autre. L’approche globale de l’individu est une des
caractéristiques principales de la psychomotricité.
Le concept de psychomotricité insiste sur l’unité et la globalité du sujet. Il s’agit
d’aider le patient à reprendre petit à petit possession de son corps au moyen
d’exercices psychomoteurs spécifiques visant une meilleure harmonie du couple
corps/psyché. « La visée première de la thérapie psychomotrice est de donner une
place au corps, une présence » selon Jean Bergès (1980). La spécificité du
psychomotricien réside dans l’attention qu’il porte aux manifestations corporelles et à
leurs significations, ainsi que dans l’établissement d’un dialogue corporel. Par son
intervention, le psychomotricien va chercher à modifier la conscience du patient de
son propre corps, pour tenter d’établir ou de rétablir, de maintenir et d’enrichir les
relations qu’il entretien avec lui-même, avec autrui et avec son environnement.
Le domaine du psychomotricien est donc celui de la vie psychique, à travers et par
la mise en œuvre du corps en mouvement, en expression et en relation.
b. Histoire du concept de psychomotricité3
« Les histoires de la psychomotricité sont plurielles » (Fauché, 1993, p11, In.
Psychomotricité par A.Calza, M.Contant, 2007).
Afin de faire ressortir l’extrême jeunesse de la psychomotricité camerounaise et de
mieux comprendre la réalité actuelle, je vais revenir sur le long cheminement et
l’évolution des idées qui ont conduit à l’émergence de la psychomotricité en Occident.
Platon parlait déjà de la dualité du corps et de l’âme. Chez les grecs, si le corps était
largement mis en avant, l’intellect n’était pas négligé pour autant. Il valorisait l’âme au
détriment du corps, « le corps est le tombeau de l’âme » disait-il dans le Mythe de la
Caverne. Descartes aussi met en avant la dichotomie du corps et de l’esprit à travers
les termes de substances pensante et de substance étendue, au sens d’une substance
qui utilise une portion d’espace. Aristote avait une vision d’un monde fini. Il s’est
intéressé à la matière et à la forme. Pour lui, l’âme est la forme du corps, ce qui fait
3 Psychomotricité du concept à la pratique, Françoise SELMI, (2006), non publié. Cours de Michel CROSNIER (2009),
non publié. J.C. CARRRIC (2001).
4
que le corps est vivant. Spinoza quant à lui, promoteur du monisme, le corps et l’esprit
ne font qu’un.
Beaucoup de travaux en neurologie, notamment après les guerres, ont porté sur le
lien entre le corps et la pensée. Mais la découverte de la psychomotricité va de paire
avec celle des troubles psychomoteurs au XXème siècle.
En 1909, Emile Dupré marque le début des travaux sur l’enfant en décrivant le
syndrome de débilité motrice, la maladresse gestuelle. Avant, les enfants étaient
placés en hôpital psychiatrique dès qu’ils étaient considérés comme asociaux, sans que
l’on ne fasse de différence entre troubles psychiatriques et troubles moteurs.
Sigmund Freud a, quant à lui, apporté une dimension psychanalytique avec ses
recherches sur l’hystérie.
Tous ces courants de pensées philosophique, psychologique et neurologique
interagissent entre eux. La neurologie prédomine et s’oriente vers trois pôles, un pôle
physiologique, un pôle de recherche autour des pathologies corticales et un pôle
psychiatrique.
Henri Wallon amène la notion de dialogue tonique. Le tonus est un support
nécessaire aux mouvements et une base fondamentale en psychomotricité. Il
développe aussi beaucoup les différentes notions de la relation mère/enfant.
Jean Piaget considère, quant à lui, l’intelligence comme le moyen d’adaptation
fondamentale. Il insiste sur la notion de stade de développement et met en avant les
notions d’assimilation, d’accommodation et d’adaptation au milieu.
En parallèle de ces avancées médicales et psychologiques, apparaissent de
nouvelles pratiques. En 1936, Guillemain instaure les classes de perfectionnement et
travaille principalement avec des enfants instables. Il va surtout commencer à faire des
différences dans les difficultés des enfants scolarisés. La même année, Pierre Petat,
professeur d’éducation physique et sportive, dispense une pratique sportive médicale
dont les buts sont multiples. Le schéma rééducatif est certes très important, mais il
met aussi en lien cette gymnastique médicale avec le bien être.
Sur le plan scolaire, on trouve des éducateurs spécialisés, des psychologues
scolaires. Le suivi de l’enfant se spécialise et s’adapte à son rythme. L’enfant est enfin
reconnu comme enfant et non comme un « mini adulte ».
5
Sur le plan médical, les pédopsychiatres font émerger de nouvelles questions
autour de l’enfant comme l’instabilité, les troubles caractériels, l’arriération mentale,
la dysorthographie… sans qu’elle ne soit nommée, la psychomotricité commence à
émerger par l’intermédiaire des consultations médico-psychologiques et la création de
centres de rééducation sportive.
En 1947, le professeur Juan De Ajuriaguerra, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à
Paris, met en place une équipe médicale qui, pendant quinze ans, va s’appliquer à
inscrire dans sa pratique une dimension psychocorporelle. Cette équipe va être divisée
en trois secteurs de recherche, le premier dirigé par le psychologue René ZAZZO, le
deuxième, sur le langage, dirigé par Suzanne Borel-Maisonny, et le troisième sur le
domaine de la motricité dirigé par Geneviève Soubiran. Cette dernière a mis au point
un bilan neuro-psychomoteur. A l’époque, on sent encore l’importance du courant
neurologique, elle prend donc en compte le niveau de maturation neurologique de
l’enfant dans son développement et l’acquisition de ses compétences ; ce qui évite
ainsi de proposer à l’enfant des exercices qu’il n’est pas capable de réussir d’un point
de vue neurologique et développemental. Les liens avec les notions d’espace, de
temps et de tonicité sont faits grâce au travail conjoint de ces trois équipes. On parle
d’écriture spatialisée, par exemple, d’où naîtra la graphomotricité. L’état tonique
influence les relations humaines, le développement et le contrôle de l’état tonique
permettent d’accéder à la relaxation. L’état tonique du psychomotricien peut agir sur
la détente de son patient.
Entre 1960 et 1970, l’éducation nationale forme des rééducateurs en psycho-
motricité (RPM). La faculté de médecine forme, elle aussi, des rééducateurs de la
psycho-motricité. La première école de psychomotricité est créée en 1959, à Genève,
par le Dr Julian De Ajuriaguerra. Le premier enseignement est donné à Paris, à la Pitié-
Salpêtrière, en 1963, sous la direction du Dr Suzanne Masson. La création du premier
diplôme instauré par Julian de Ajuriaguerra, considéré comme le père fondateur de la
psychomotricité, est un certificat de capacité en rééducation psychomotrice. Suite à
l’ouverture de la première école de psychomotricité à la Salpêtrière, à Paris, une
deuxième école va s’ouvrir en 1967, sous l’impulsion de Geneviève Soubiran
(Actuellement « I.S.R.P : Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice).
En 1967, Jean Le Boulch met au point sa méthode sur l’ajustement moteur,
l’adaptation, l’harmonisation et l’affinement du geste par de meilleures coordinations
et un meilleur équilibre. Il explique que pour offrir une réponse adaptée il est
nécessaire d’assimiler et d’intégrer correctement ses perceptions sensorielles.
6
En 1970, toute la dimension relationnelle du corps entre en jeu au milieu de cet
aspect neurologique si prépondérant à l’époque. La politique de sectorisation
psychiatrique et la création de services de pédopsychiatrie ont donné une large place à
la psychomotricité, comme mode d’approche soignante auprès des patients.
En 1980, la psychomotricité est née, entre la kinésithérapie et la psychologie. Elle
trouve petit à petit sa place dans l’équipe pluridisciplinaire et le corps paramédical.
Aujourd’hui encore, elle développe son champ d’activité et ses propres spécificités.
Ce processus d’enrichissement et de développement de la psychomotricité fait
aussi partie d’une évolution politique, sociale, économique, philosophique, et
religieuse, au centre de laquelle se trouve la question de l’être humain et de sa
souffrance. Tous ces domaines influencent le développement de la psychomotricité.
Au Cameroun, la politique, la religion, l’économie, la société et ses courants
philosophiques sont différents. Est-ce que ces différences se ressentent sur le
développement de la psychomotricité ?
2) Quelques grands points importants de la psychomotricité
occidentale
Afin de mettre en évidence les spécificités camerounaises, je vais redéfinir
quelques grands points théoriques du cadre d’exercice de la psychomotricité en
Occident. J’ai choisi de développer ces notions afin de montrer la disparité importante
entre les théories françaises et camerounaises. Ces différences témoignent de la
réalité sur le terrain, ce qui est entièrement normal aux vues de l’extrême nouveauté
de cette discipline et de l’évolution fulgurante qu’elle a connue en si peu d’années. Je
commencerai donc par présenter les théories à la base de la psychomotricité française.
a. Le temps4
Le temps est une durée marquée par la succession des évènements, en particulier
celle des jours, des nuits et des saisons. Le temps est à la fois durée et intervalle : c’est
son aspect cardinal. L’ordre et la succession représentent son aspect ordinal.
L’intégration de ces deux aspects est nécessaire à la structuration temporelle du sujet.
Le temps est aussi une période caractérisée par une succession d’évènements externes
et/ou internes à l’organisme. C’est est une variable indépendante et continue. La
structuration temporelle se compose de l’orientation temporelle, qui est la capacité à
se situer ou à situer un évènement dans le temps et à s’orienter en percevant ce qui
4 Cours de Mme AOUES (2009), à l’ISPR, non publié
7
c’est passé avant ou après un évènement temporellement repéré, et de l’organisation
temporelle qui dépend des connaissances du sujet dans le domaine des notions
temporelles et de sa capacité à les associer en vue d’un but défini.
Les différentes composantes du temps sont l’ordre, la succession, la durée,
l’intervalle, la vitesse, l’irréversibilité, la périodicité ou le rythme.
Notion de Jean Piaget : organisation temporelle dans le développement de l’individu
Dès les premières semaines de la vie, on retrouve des traces de mécanismes
d’appréhension de la durée. On repère, dès la naissance, des séquences de
mouvements selon un ordre temporel déterminé. Le nourrisson, que l’on prend dans
ses bras, tourne la tête vers le sein et cherche à téter. Plus tard, il y aura orientation de
la tête et du regard puis mouvement du bras et tentative de préhension du sein.
Jean Piaget décrit trois stades. Au cours du premier, qui ne prend pas en compte la
vitesse, les notions spatiales et temporelles sont confondues. Au deuxième stade,
l’enfant commence à différencier le temps et l’espace, il dit souvent que ce qui va plus
vite est égal à ce qui met le plus de temps. Enfin, au troisième stade, l’enfant
appréhende l’ordre des évènements, l’emboîtement des durées et l’abstraction de la
durée. Il n’existe pas officiellement d’étalonnage scientifique des âges de
développement des notions temporelles des enfants camerounais mais il semblerait
que ces âges d’acquisition soient différents. Jean Piaget décrit également des repères
en fonction des âges :
- L’acquisition du temps présent se fait avant 3 ans
- Vers 3 ans : distinction rudimentaire du passé / présent/ avenir
- 3-4ans : distinction matin, midi, soir et nuit
- 5ans : date du jour
- 5-6ans : connaissance des saisons
- 7-8 ans : repérage du rythme de l’année (Noël, grandes et petites vacances)
- 8-9ans : le point de départ de la semaine peut être envisagé un autre jour que le lundi.
- 10-12ans : notion de temps historique, siècle…
8
La notion de rythme, carrefour entre espace et temps
Elle est habituellement associée au registre musical mais elle existe aussi au niveau
du corps. Le rythme prend alors deux sens. De façon subjective, il correspond à la
personnalité et à la manière d’être et d’aborder le mouvement pour le sujet. Moins
naturel, il est plus corticalisé et considère chaque temps comme une unité. La
répétition de cette unité à une certaine cadence crée un contexte sonore extérieur sur
lequel le corps peut régler son mouvement. Ce rythme imposé peut agir comme un
facteur d’harmonie sur le corps de l’individu. Le terme de structuration spatiale
implique une dynamique spatio-temporelle qui accompagne le développement. Le
temps est donc pris en compte dans l’appréhension de l’espace.
b. L’espace5
L’espace est un concept que je développerai particulièrement car il diffère
beaucoup au Cameroun. Il fut au cœur de mes recherches. J’exposerai différents
points de vue d’auteurs afin de couvrir toutes les notions qui gravitent autour de
l’espace, tant dans le développement psychomoteur de l’individu, que psycho-affectif
ou cognitif.
On retrouve deux grands aspects de l’espace à la fois quantitatif et qualitatif.
L’aspect quantitatif correspond aux notions de mesure, de cartographie. C’est un
espace concret, mesurable. L’aspect qualitatif étudié en psychologie sociale reprend
les notions d’espace propre, de territoire, de proxémie (E.T.Hall, 1966).
Edward T. Hall
Dans la dimension cachée, E.T Hall (1966), explique que ce sont les organes des
sens qui entrent en jeu dans la localisation. Les récepteurs à distance, d’une part, vont
permettre d’évaluer l’espace visuel, auditif et olfactif, d’autre part, les récepteurs
immédiats vont servir à évaluer un espace tactile, thermique, et kinesthésique. Il parle
de proxémie pour tout ce qui concerne les distances entre les personnes. Il décrit
différentes distances dans les relations : la distance intime, personnelle, publique ou
sociale.
5 Cours de Mme AOUES (2009), à l’ISRP, non publié.
9
Geneviève B. Soubiran
Selon Mme Soubiran, l’adaptation spatiale se définit surtout par la qualité de
l’orientation du corps propre en tant qu’élément constitutif de l’espace. L’organisation
spatiale se structure à partir du schéma corporel et des repères fondamentaux comme
la notion de corps propre. C’est un système unificateur qui sert de référence
primordiale dans la structuration spatiale de l’enfant. Il y a une appréhension
psychologique de l’espace qui joue sur l’investissement et les déplacements dans
l’espace. L’axe corporel est un axe de symétrie autour duquel s’installe les notions de
droite et gauche dans un processus dynamique. De même les notions de haut / bas
ainsi que de devant / derrière se construisent autour des différents axes corporels,
transversal, sagittal, frontal, dans les trois dimensions de l’espace.
Donald W. Winnicott
Au départ, le bébé se repère par rapport à l’espace de l’autre (sa mère). Cet espace
est restreint car il ne différencie pas ce qui lui appartient de ce qui est à autrui. Dans
cette indifférenciation moi/non moi, le corps est vécu comme morcelé. C’est grâce aux
soins maternels, le « Holding » et le « Handling » présentés par Donald Winnicott, que
l’enfant unifie ses perceptions corporelles, rendant ainsi possible le processus
d’individuation. L’enfant crée son espace propre, différent de celui de sa mère. Grâce à
la création de cet espace corporel l’enfant peut construire son espace psychique.
Donald Winnicott parle d’espace transitionnel entre la proximité de la relation à la
mère et l’ouverture au monde.
L’espace s’organise progressivement à partir de données multiples notamment
grâce à l’intégrité de l’appareil sensoriel :
- La vue : évalue les distances, les orientations, les formes, les dimensions, les
reliefs, etc. On note donc l’importance, à ce stade, du contrôle oculomoteur et
des coordinations de plus en plus précises.
- Le toucher : les récepteurs proprioceptifs sont très importants car ils nous
informent sur la position de notre corps et sur ses différentes parties les unes
par rapport aux autres. Ils interviennent dans toute l’information tactile,
lorsque l’on sent un obstacle, un volume, une surface, etc.
- L’audition : contribue à la construction de l’espace car elle permet un certain
repérage spatial selon l’intensité du bruit qui augmente ou diminue en fonction
de l’éloignement ou du rapprochement.
10
Jean Piaget
Pour lui, le mouvement est à la source des représentations spatiales. Le sujet
élabore successivement un espace d’action puis un espace de représentation. Cette
élaboration suivrait les étapes du développement de l’intelligence.
Il évoque ainsi trois rapports spatiaux :
L’espace topologique (espace vécu) ou espace perceptif, qui correspond à la
période 4-12 mois chez l’enfant. Il s’élabore à partir des notions de constance
perceptive, de la forme et de la grandeur grâce à la manipulation et l’exploration. Les
relations entre les objets sont de l’ordre du voisinage, de l’enveloppement
(intériorité/extériorité), de la continuité ou de la séparation (ordre/succession) et des
rapports de frontière (ouverture/fermeture).
L’espace projectif (espace perçu) permet à l’enfant de situer les objets en fonction
de différents points de vue possibles.
L’espace métrique ou euclidien (espace représenté) : à partir de 7 ans, se
développent les notions de droite et de parallélisme, ce qui marque la coordination
des directions. Sont également acquises à ce stade les notions opératoires d’angle et
de distance. De là, découlent les de coordonnées spatiales d’un objet et la géométrie.
Les rapports spatiaux euclidiens concernent à la fois les rapports entre les objets et
entre les figures (par exemple, les proportions, les systèmes des coordonnées
verticales/horizontales mais aussi le schéma topographique et le plan, ainsi que la
notion d’abstraction d’espace).
Il énonce une deuxième hypothèse dans laquelle il distingue, le plan perceptif ou
sensorimoteur et le plan représentatif ou intellectuel.
Le plan perceptif (2-12 ans) se construit dès le début de la vie, il est lié au progrès
de la perception et de la motricité. Il permet l’accès au langage et à la fonction
symbolique. Il est nécessaire de passer par l’acquisition de la construction de l’objet
puis de son invariance (permanence de l’objet). Tout ce qui est caché n’est pas
inexistant. La perception de l’espace se construit progressivement, elle n’est pas innée.
La construction de l’objet naît avec la préhension lorsque la coordination oculo-
manuelle acquière une certaine assurance.
Le plan représentatif (à partir de 10-12 ans) est le cadre de la pensée dans lequel
s’insèrent les données de l’expérience ; c’est pour cela qu’il devient représentatif. Dans
11
ce nouvel espace, les actions virtuelles sont intériorisées et peuvent être appliquées à
des objets absents, représentés, aussi bien qu’à des objets perçus.
La maîtrise de l’espace permet au sujet d’être conscient qu’il transporte en lui et
sur lui des rapports spatiaux à partir de sa configuration corporelle et de l’espace
environnant qui est matérialisé spatialement par des objets. Cette construction de
l’espace englobe des données liées au traitement des informations et au
développement psycho-affectif. Les activités d’exploration sont liées aux désirs. La
communication, l’expérience intentionnelle de découverte et de maîtrise des objets
encouragent l’enfant à s’engager dans la relation au monde. Se déplacer, c’est pouvoir
quitter un lien, une personne, en sachant qu’on va pouvoir la retrouver.
Les connaissances des notions spatiales s’utilisent pour un objet ou une personne
et sont d’abord employées par rapport au « moi » chez le jeune enfant puis se
décentrent petit à petit pour concevoir également les objets les uns par rapport aux
autres. Ce transfert des repères spatiaux s’appelle la réversibilité. Une fois l’espace
structuré, et l’enfant sécurisé, il peut devenir un espace de relation. Quand la relation
est impossible, on utilise un médiateur dans la relation.
c. Les différents types de médiations
Aujourd’hui, en France, la quantité et la diversité des médiations utilisées dans le
cadre de la pratique psychomotrice sont importantes et reconnues. Je vous en
présenterai une liste conséquente mais non exhaustive, pour vous aider à mieux
comprendre le travail qui se fait actuellement à Douala.
La psychomotricité est une thérapie à médiation corporelle, ainsi tout ce qui met
en jeu le corps peut être utilisé au cours de la thérapie. L’intérêt de la médiation est de
pouvoir trianguler la relation pour mieux l’articuler. Ce concept est non sans rappeler
les notions de transitionnalité de Donald W. Winnicott (1971). L’enfant crée une zone
de compromis entre la réalité extérieure et sa réalité intérieure. C’est un intermédiaire
entre l’illusion et la réalité, support des premières symbolisations. (Gabbaï. P, 2006).
Outre l’engagement corporel du psychomotricien dans le jeu spontané avec
l’enfant, il existe aujourd’hui des médiations de plus en plus spécialisées, dont je ne
peux faire une liste exhaustive. Je vais néanmoins tenter de les regrouper sous trois
catégories : les médiations expressives, sensorielles ou motrices.
12
L’expressivité corporelle :
- L’expression graphique
- La peinture sur soie ou sur tout autre support, la mosaïque, etc.
- L’expression scénique (théâtre, jeu de rôle)
- Le mime : travail autour des articulations, utilisation du mouvement comme
représentation d’un acte (opposition au passage à l’acte). On pense un acte
qu’on réalise ensuite, il y a un projet moteur réfléchi. C’est un exercice
particulièrement pertinent pour les patients très apragmatiques puisqu’il n’y a
pas de mise en mot.
- La musicothérapie (rythme et percussion). Les percussions sont très appréciées
des adultes car elles ne sont pas infantilisantes. Travail sur la régulation tonique
et la constance. Exercice des émotions : choisir une émotion, la traduire
rythmiquement et faire deviner l’émotion choisie au reste du groupe, ou travail
sur la transmission d’un message par le biais de l’instrument.
- Le chant : sentir d’où viennent et où raisonnent les sons que nous produisons.
Aller à la recherche du son. Rôle de la respiration et du souffle. Articulation,
respiration.
- La danse : rapport au corps, au temps et à l’espace. Temps d’improvisation qui
permet d’aborder la spontanéité chez les patients puis travail d’imitation.
- Le cirque : funambulisme, équilibre, jonglage, marche sur le ballon, etc.
Le bien être et la sensorialité :
- La relaxation est un travail qui porte sur l’ensemble du corps, l’analyse des
perceptions corporelles et le lâcher prise psychique et physique.
- La balnéothérapie ou travail dans l’eau.
- La salle Snoezelen ou salle multi-sensorielles.
o Temps de relaxation.
o Installation : le patient choisit sa position, quel que soit son choix, ce
sera le bon. Attention à certaines positions anxiogènes (le décubitus par
exemple) ou à certaines positions antalgiques pour des patients
polyhandicapés, en fauteuil, la majeure partie du temps et peu de
verbalisation.
13
o Importance de la concentration : rattacher le patient à l’ici et au
maintenant.
o La respiration. Après la prise de conscience de la respiration, on travaille
sur le rythme respiratoire qui se veut apaisant.
o Image mentale : pas systématique.
o La reprise : remise en mouvement progressive, étirement, frottement
du visage.
o La verbalisation : échange autour du ressenti de la séance, des exercices
dynamiques et de la relaxation.
- Le toucher thérapeutique :
o Toucher enveloppant : les mains se déplacent sur le patient. Percussions
corporelles sur les contours du corps qui entraînent une résonance à
l’intérieur du corps par l’intermédiaire des os. Quand on déplace ses
mains sur le corps de l’autre, il faut que ce soit un toucher franc et
profond, pas de caresse ou d’effleurement.
o Toucher contenant : ressentir les limites corporelles. Le psychomotricien
pose ses mains sur le patient et par le dialogue tonico-émotionnel, son
état tonique suggère l’état de détente chez le patient.
La motricité :
- L’équithérapie ou thérapie avec le cheval privilégiant la relation à l’animal.
- Les parcours psychomoteurs
- Le sport (athlétisme, escalade…)
- Le Taï-chi-chuan : équilibre, transfert d’appuis, axe du corps, déplacement dans
l’espace, en groupe travail de la distance à l’autre, travail d’imitation.
Ces médiations variées sont aujourd’hui très utilisées en France et ont été pensées
en tant qu’outils thérapeutiques de plus en plus spécialisés. En effet, les
psychomotriciens font en sorte de les adapter le plus possible en fonction des âges ou
des pathologies. Le champ d’action de la psychomotricité s’est développé, tout comme
les médiations utilisées.
14
d. Les différentes indications, population et pathologies
« La psychomotricité est un dispositif de soin thérapeutique qui s’intéresse, en tout
premier lieu, aux fondations d’une construction de la plus haute importance, un sujet
humain. » selon Catherine Potel, (2010, p111).
Tout comme les médiations, les indications en psychomotricité se multiplient et
s’étendent à l’ensemble de la population. En effet, du bébé né prématurément en
service de néonatologie à la personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer en
service de gériatrie, en passant par les enfants et les adultes, la psychiatrie et la
rééducation, le psychomotricien travaille sur tous les fronts. Du moins, il s’y essaie. La
discipline étant jeune, il n’est pas simple de se faire une place dans tous ces domaines.
Il n’y a pas de contre-indications majeures au suivi en psychomotricité mais le
contact physique et le rapport au toucher peuvent parfois être source d’érotisation
pour certains patients notamment lors de troubles hystériformes. Avec le toucher, il
faut toujours rester prudent et « à l’écoute » du patient ainsi qu’à l’écoute de soi. Il
s’agit d’un contact direct par lequel peuvent passer nos « états d’âme ».
Les séances peuvent être individuelles ou groupales. Comme le dit Sylvie Gouel-
Barbulesco dans « Psychomotricité : entre théorie et pratique » (2010, p202) sous la
direction de Catherine Potel, les psychomotriciens peuvent « être amenés à répondre à
de nouvelles demandes et à innover des modes de prises en charge originaux, que ce
soit pour des suivis individuels ou collectifs ».
Lorsque l’on ouvre le sommaire de cet ouvrage, on découvre des titres évoquant la
néonatalogie, la pédiatrie, l’adolescence ou la personne âgée. Ceci, montre bien
l’étendue de la population concernée par la psychomotricité et l‘ampleur des
indications. La psychomotricité est applicable à quasiment toutes les situations
pathogènes sauf cas particuliers. S’il nous arrive de douter sur les frontières de notre
profession, nous pouvons toujours nous reporter à une valeur sûre, la prescription du
médecin et le décret légal de compétence du psychomotricien.
Il s’agit du décret n° 88-659 du 6 mai 1988 relatif à l'accomplissement de certains
actes de rééducation psychomotrice, il décrit les actes suivants :
- Bilan psychomoteur
- Stimulation psychomotrice
- Education psychomotrice précoce
15
- Rééducation des troubles psychomoteurs tels que : les troubles de la
maturation et de la régulation tonique, du schéma corporel, de la latéralité,
des apprentissages scolaires, de l’organisation spatio-temporelle, les troubles
tonico-émotionnels, les troubles de la graphomotricité, les maladresses
motrices et gestuelles, l’instabilité et l’inhibition psychomotrices, les troubles
praxiques, les dysharmonies et retards psychomoteurs et la débilité motrice
J.C. Carric (2001, p15) cite Juan De Ajuriaguerra lorsqu’il décrit les troubles
psychomoteurs comme étant sans lésion neurologique, sans dérèglement d’un
système défini et sans manifestation liée aux afférences et aux situations.
La psychomotricité se découpe en quatre axes selon Grégory Auer-Martin,
psychomotricien libéral à Nantes6 :
L’éducation psychomotrice ou stimulation du développement psychomoteur chez
des sujets au cours de leur évolution. Par exemple, en crèche ou en école maternelle,
on retrouve des psychomotriciens qui agissent tant en soutien de l’équipe qu’en
soutien du jeune enfant dont le développement ne se fait pas spontanément. Il a alors
besoin d’aide pour passer d’un stade à l’autre. Pour l’enfant dont le développement se
fait de lui même, on parle d’éveil psychomoteur.
Le bilan psychomoteur évalue spécifiquement les troubles psychomoteurs et une
pathologie à un instant « T », témoignant des capacités ou difficultés du sujet.
La rééducation psychomotrice s’occupe des troubles de l’écriture, de la latéralité
et de l’organisation spatio-temporelle, les retards de développement psychomoteur,
les maladresses motrices et gestuelles, les troubles neurologiques, de la maturation et
de la régulation tonique, ainsi que les troubles du schéma corporel et de la
représentation du corps. Il s’agit de restaurer ou du moins d’améliorer une fonction
précédemment acquise, mais qui a été perdue.
La thérapie psychomotrice prend en compte le soin et le suivi de pathologies
psychiques et/ou motrices telles que l’instabilité ou l’inhibition psychomotrice, les
troubles du comportement ou de la personnalité ou des dysharmonies évolutives.
Mais, elle peut aussi intervenir dans les difficultés d’accès à la symbolisation et à
l’abstraction, les difficultés d’apprentissage scolaire, des troubles de l’attention et de la
concentration ou encore des troubles de régulation tonico-émotionnelle et
6 , www.psychomotricite-nantes.com
16
relationnelle, des déficiences intellectuelles, des troubles psychosomatiques en lien
avec le stress, l’angoisse ou l’anxiété.
Le choix de la psychomotricité est parfois justifié pour des patients avec lesquels la
communication verbale n’est pas ou peu accessible. En effet, lorsque le corps est
directement mis en jeu, le psychomotricien devient un interlocuteur privilégié. Cette
approche corporelle peut se faire grâce à de nombreuses médiations qui sont décrites
plus haut dans le chapitre « médiations ». L’objectif principal est l’aspect relationnel et
ludique, sans pour autant mettre de coté le professionnalisme du psychomotricien.
En conclusion, l’une des spécificités de la psychomotricité se situe au niveau de ses
indications, que ce soit par la multitude des âges ou dans la diversité des pathologies.
L’autre grande spécificité de la psychomotricité est sa place et l’importance du travail
effectué au sein d’une équipe pluridisciplinaire.
e. L’équipe pluridisciplinaire 7
Il a fallu de nombreuses années pour que la psychomotricité trouve sa place au
sein de la scène paramédicale française. Le travail d’intégration de la profession dans
l’équipe pluridisciplinaire n’est pas achevé. Il faut sans cesse redéfinir le champ
d’action du psychomotricien, se présenter à l’équipe, exposer les spécificités du métier
afin de travailler en collaboration au bien être des patients. C’est pourquoi, il me
semble important de présenter le travail d’équipe tel que je le concevais en partant au
Cameroun, ainsi il sera plus simple de comprendre ma surprise en découvrant le travail
du psychomotricien camerounais.
L’équipe pluridisciplinaire, aussi appelée multidisciplinaire, réunit des
professionnels de formations différentes, dont l’objectif principal et commun est la
continuité des soins pour viser l’intérêt du patient dans sa globalité.
Dans les hôpitaux, elle est généralement constituée de :
- L’équipe médicale composée de médecins diplômés qui peuvent être : des
généralistes, des spécialistes, des internes
- L’équipe psychologique composée de psychologues diplômés de la faculté de
psychologie dont les investigations sont : l’évaluation (tests, entretiens), la
psychothérapie (individuelle ou en groupe), l’entretien de soutien (permettant
7Véronique DEFIOLLES (2009), à l’ISRP, non publiée à ce jour.
17
au patient de se confier suite à un traumatisme particulier, sans élaborer
forcément un travail analytique). Son rôle institutionnel est spécifique, elle doit
être à l’écoute du reste de l’équipe et l’aider à réfléchir sur son fonctionnement
et vis-à-vis des soins apportés au patient. C’est un médiateur. Aussi, doit-elle
être extérieure à l’institution.
- L’équipe paramédicale composée de :
o La filière de soin, qui rassemble : l’infirmier, l’infirmier en bloc
opératoire, l’infirmier spécialité anesthésiste, la puéricultrice et
auxiliaire de puériculture, l’aide soignant
o La filière de rééducation, qui rassemble : le psychomotricien,
l’ergothérapeute, l’orthophoniste, le kinésithérapeute, l’orthoptiste, le
diététicien, le pédicure podologue
o La filière médico-technique, qui rassemble : l’audioprothésiste,
l’opticien, l’ambulancier, les techniciens de laboratoire, le manipulateur
radio
- L’équipe socio-éducative composée de : l’assistante sociale, l’enseignant
(éducation nationale), l’éducateur (spécialisé/de jeunes enfants/moniteur-
éducateur/sportif), l’animateur socioculturel
- Les nouvelles professions : le danse-thérapeute, le musicothérapeute, l’art-
thérapeute, le relaxologue, le sophrologue
Selon la Loi de février 2005,
« L’équipe pluridisciplinaire réunit des professionnels ayant des compétences
médicales, paramédicales, des compétences dans le domaine de la psychologie, du travail
social, de la formation scolaire et universitaire, de l’emploi et de la formation professionnelle.
Sa composition doit permettre l’évaluation des besoins de compensation du handicap quelle
que soit la nature de la demande et le type du ou des handicaps ; cette composition peut varier
en fonction des particularités de la situation de la personne handicapée ». (Décret 2005-1587
relatif à la Maison Départementale des Personnes Handicapées - Art R 146-27).
18
II°) LA PSYCHOMOTRICITÉ AU CAMEROUN
1) Présentation du Cameroun
La république du Cameroun ou Cameroon est un pays d’Afrique centrale. C’est une
ancienne colonie allemande qui a été placée sous protectorat à la fois français et
britannique. C’est pourquoi ses deux langues officielles sont le français et l’anglais. Sa
capitale politique est Yaoundé mais la plus grande ville et la capitale économique est
Douala. Malgré la présence d’un président de la République et d’un pouvoir
institutionnel, les chefs traditionnels ont conservé un rôle très important. En outre, le
système juridique local s’appuie sur le droit coutumier et permet ainsi aux cultures
camerounaises de perdurer. On recense plus de 250 dialectes assimilés aux langues
nationales. La culture camerounaise est réputée pour être extrêmement riche étant
donné la multiplicité des groupes ethniques et son histoire à la fois française et
anglaise. Bien avant cela, le pays a vu arriver Portugais, Allemands et bien d’autres. Le
Cameroun compte plus d’une centaine de royaumes traditionnels. Ces entités tribales
occupent une place fondamentale dans la vie culturelle, politique et sociale du pays.
Elles soutiennent les populations locales pour les créations d'activités et contre la
pauvreté, la maladie, le chômage.
Quelques chiffres : 8
- Population totale : 18 175 000
- Revenu national brut par habitant ($ internationaux PPA) :2,060
- Espérance de vie à la naissance : 50 ans pour les hommes et 52 ans et pour les
femmes.
- Espérance de vie en bonne santé à la naissance (chiffres 2003) : 41 ans pour les
hommes, 42 ans pour les femmes.
- Quotient de mortalité infanto-juvénile pour 1 000 naissances vivantes : 149
- Quotient de mortalité 15-16 ans (pour 1 000) : hommes : 451 et femmes : 422
- Dépenses totales consacrées à la santé par habitant ($ internationaux, chiffre
2006) : 80 par an
- Dépenses totales consacrées à la santé en % du PIB (chiffre 2006) : 5,2
8 Sauf indication contraire, les chiffres concernent l’année 2006, selon les statistique sanitaires mondiales 2008.
19
2) Quelques grands points importants de la psychomotricité au
Cameroun
Le peu de données théoriques sur la psychomotricité au Cameroun témoigne de la
récente implantation de la profession sur le territoire et du manque de travaux de
recherche. Il me paraissait important que cet écart se reflète également dans mon
travail. On observe concrètement l’inégale répartition des paragraphes. Ces différents
points nécessitent des travaux de recherche scientifique sur le terrain. J’ai commencé
ces recherches que j’exposerai ultérieurement.
a. Le temps
Le philosophe John Mbiti cité par Ferdinand Ezembé (2009), a parlé d’une notion
subjective du temps en Afrique. Pour lui, le temps est appréhendé grâce à des repères
naturels mais sans être mesuré objectivement. Le futur ou le passé sont certes
évoqués mais en des termes très flous. On parle souvent en Afrique du cycle de la vie
qui donne alors une notion d’immuabilité aux choses. Il est possible de différencier le
temps social du temps productif selon Ferdinand Ezembé (2009), ainsi on retrouve
cette spécificité africaine surtout dans le temps social mais aucunement dans le temps
productif. Lorsqu’ils travaillent à l’usine les africains sont tout à fait respectueux des
horaires.
Les repères naturels constituent en effet un élément important de l’organisation
temporelle au Cameroun. Le fait qu’il fasse nuit à partir de 18 heures d’un coté et de
surcroît, l’insécurité ambiante limitent énormément les déplacements dans la ville la
nuit, surtout pour les « blancs ». La journée commence plus tôt le matin et finit plus
tôt qu’en France, sauf dans le cadre de l’enseignement à l’IPPR où il nous arrivait
d’avoir cours avec les étudiants jusqu’à 22 heures.
Suite à un constat flagrant, j’ai questionné les Camerounais sur leur rapport au
temps car lors de rendez-vous, professionnels ou non, les camerounais ne sont jamais
à l’heure ! Les horaires sont très difficilement tenus, que ce soit par les professeurs ou
les étudiants, ou encore qu’il s’agisse de consultations ou de rendez-vous entre amis.
Dans le cadre de leur suivi au centre de l’IPPR, les patients arrivent rarement à l’heure,
ils sont soit en avance soit en retard. Dans la rue, il n’est pas inhabituel de discuter
avec des gens qui attendent un rendez-vous depuis une heure. A l’hôpital général de
Laquintinie, à Douala, les patients peuvent attendre deux heures avant une
consultation. Le plus frappant est la patience avec laquelle ils attendent. Quand on leur
demande si cela ne les embête pas d’attendre sans cesse dans la journée, ils
20
répondent « C’est comme ça ici »9. Lorsque je leur demande si ce ne serait pas plus
simple de respecter les horaires donnés, pour une meilleure organisation de la
journée, ils me répondent que « le temps n’est pas leur problème » et qu’ils « s’en
fichent ». Le temps au Cameroun n’a pas du tout la même valeur métrique et
matérialisée qu’en France. La plupart des Camerounais n’ont pas de montre, la journée
est rythmée par l’ordre des priorités. Ce qui nous surprend, nous occidentaux, c’est
que nous n’avons pas les mêmes priorités. Un enfant, par exemple, peut arriver 30
minutes en retard sur une prise en charge de 45minutes parce que sa mère faisait la
vaisselle. Cependant, personne ne semble s’énerver, se plaindre ou se scandaliser
d’une telle situation, cela fait partie de la vie quotidienne. On peut sentir un certain
fatalisme dans l’appréhension de la vie au Cameroun. En occident, nous avons une
frise chronologique déterminée sur laquelle nous plaçons des éléments de vie, au
Cameroun, ce sont les éléments de vie qui constituent la frise chronologique.
b. L’espace
Je n’ai trouvé que peu de références décrivant la perception de la notion
d’espace dans la culture camerounaise et encore moins appliquée à la
psychomotricité. Néanmoins Claude Tardit (1985), parle de l’influence du lignage dans
l’occupation spatiale d’un territoire. L’implantation, la taille varie selon le statut du
chef de famille chez les Bamoums par exemple. On retrouve l’importance de
l’organisation spatiale décrite par Eric de Rosny (1981, p16) lorsqu’il part en visite
nocturne afin d’observer les rituels des « nganga »10.
En me basant sur mes observations lors des voyages, je peux uniquement
communiquer ma surprise face aux contrastes présents au Cameroun : entre la ville et
la brousse premièrement et au sein de la ville elle-même. Effectivement, la ville de
Douala est surpeuplée par rapport à d’autres villages de campagne. C’est un amalgame
de nombreux quartiers quasiment indépendants les uns des autres. Indubitablement,
Douala n’est pas organisée comme les villes européennes avec un centre ville et une
répartition en couronne. Elle s’est plutôt construite par quartiers : des affaires,
résidentiel, commercial … Une répartition qui ne se ressent pas toujours dans cette
ville fourmilière.
9 Je retranscris les témoignages en langage oral.
10 L’organisation mondiale de la santé propose « tardipraticien », Eric de Rosny, préfère garder le mot doula de
« nganga » car il n’a pas trouvé de not français qui puisse retranscrire réellement cette pratique de « guérisseur ».
21
Suite à l’arrivée des sociétés multinationales à Douala, les notions d’espace
sont devenues totalement paradoxales. Les expatriés et les entreprises sont protégés
derrière de grands portails, des murs incroyablement hauts et recouverts de tessons
de bouteilles ou de piques en fer. Face à ces prisons dorées, les quartiers les plus
défavorisés sont faits de petites maisons adossées les unes aux autres, avec parfois en
guise de porte un tissu. Les fenêtres sont souvent ouvertes à cause de la chaleur, les
enfants jouent et grandissent ensemble, les adultes discutent entre eux dehors, dans la
cours. Les notions de propriété personnelle sur-défendue d’un côté et de vie
communautaire de l’autre côté cohabitent dans Douala.
Sur la route, il n’y pas non plus d’espace propre et défini. Le code de la route,
pourtant existant et connu de tous, n’est absolument pas respecté. Les adresses ne
sont pas définies par des noms de rue ou des numéros mais par la description de
l’espace environnant et le nom du quartier. Par exemple, l’IPPR se situe à Douala –
Bassa dans le collège Chevreul, à côté de l’usine de chocolat. On retrouve parfois des
indications telles que « société à coté du grand portail vert ». Nous pouvons nous
demander ce qu’il en est si le propriétaire décide de repeindre son portail en rouge.
L’espace ne semble pas très structuré mais il en ressort néanmoins une certaine
organisation. Le Dr Vailloux (1959, p18) dit même, en cherchant l’impact du milieu
traditionnel sur le développement psychomoteur des jeunes enfants, l’« absence de
structuration peut expliquer les difficultés de spatialisation géométrique reconnues
dans l'enseignement technique ».
c. Les différents types de médiations
Je n’ai pas d’information théorique, pas de trace écrite des médiations, spécifique,
ou non, utilisées au Cameroun. La psychomotricienne Françoise SELMI est venue
donner une formation d’une semaine sur la relaxation, intitulée « initiation à la
relaxation thérapeutique », ma collègue et moi-même avions présenté lors de ce
séminaire la méthode de relaxation psychosomatique G.B. SOUBIRAN. Suite à sa visite
au Cameroun, Philippe SCIALOM11 a mentionné dans son compte rendu la nécessité
d’accentuer l’entraînement inter et intra promotions à la verbalisation des objectifs
des projets thérapeutiques, à diversifier les contenus des prises en charges de façon
plus créative, variée et adaptée à la culture camerounaise. Il faut apporter dans
11
Compte rendu de la mission du 16 au 22 février, rédigé par Philippe Scialom, Psychologue-Psychomotricien,
délégué par l’ISRP (Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice à Paris) et l’OIPR (Organisation Internationale
de Psychomotricité et de Relaxation)
22
l’enseignement plus de médiations thérapeutiques que la simple relaxation : danse-
thérapie, musicothérapie, médiation par l’eau, art-thérapie (peinture et sculpture), etc.
d. Les différentes indications, population et pathologies
Mes hypothèses intuitives de départ, d’après ce que j’ai pu entendre en arrivant à
Douala, sont que la psychomotricité est essentiellement pensée pour les rhumatismes
des personnes âgées et les enfants, qu’ils soient gravement atteints d’un point de vue
neurologique et psychologique, ou qu’ils soient concernés par des troubles
d’apprentissage.
Voila ce que j’ai pu lire dans un article camerounais qui présentait la
psychomotricité et l’IPPR de Douala :
« L’Ippr apporte à la médecine moderne une technique de soin complémentaire et jusque là
inconnue. Notamment pour les cas des maladies désespérées, qu’on met très souvent en Afrique sous le
compte de la sorcellerie (autistes, asthme, transe, hyperactifs, dyspraxie, les personnes âgées,
adolescents, prématurés, les victimes des séquelles de méningite, d’accidents vasculaires cérébraux…). La
psychomotricité est une discipline scientifique et thérapeutique qui offre une nouvelle opportunité pour
un bon encadrement physique, psychologique et psychique d’un individu »12 Mathieu Nathanaël
NJOG (2008).
e. L’équipe pluridisciplinaire
Je dispose, là encore de peu d’écrits théoriques sur la formation et le travail
pluridisciplinaire au Cameroun, je me base donc sur mes observations personnelles.
J’ai pu lire dans un article camerounais que «les psychomotriciens sont des produits
prisés par les centres hospitaliers, les structures sanitaires scolaires et les entreprises »
Mathieu Nathanaël NJOG (2008). Ce seront les réponses données dans l’exposition des
résultats qui nous en apprendrons plus sur l’équipe pluridisciplinaire.
3) Histoire et développement de la psychomotricité au Cameroun
a. Création de l’IPPR13
L’Institut Panafricain de Psychomotricité et Relaxation (IPPR)14 a vu le jour à Douala
en 2003 grâce à Monsieur Kassaï Mburling Boniface, initié à la psychomotricité au
12 Mathieu Nathanaël NJOG, (2008), in Le Messager, (5-11-2008). http://njognath.over-blog.org/article-
24493153.html 13
Cf. Annexe 2. Récapitulatif chronologique.
14 Cf. Annexe 1. Organigramme de l’IPPR.
23
Congo par une psychomotricienne belge et en lien avec des psychomotriciens
européens. Il est, à l’époque, directeur de l’« institut des enfants sourds-muets et
retardés mentaux » à Douala. Puis, M. Kassaï s’associe avec Sœur Catherine-
Dominique Ngo Ngue, qui est alors supérieure générale de la congrégation des sœurs
servantes de Marie de Douala (CSSMD) et ils mettent en place le premier « séminaire
de psychomotricité et de relaxation » à Douala. Suite au départ de M. Kassaï, Sœur
Catherine-Dominique, fait appel Gérard Hermant, secrétaire général de L’organisation
internationale de psychomotricité et relaxation (OIPR) et directeur général de l’institut
supérieur de rééducation psychomotrice (ISRP) de Paris pour la création et la
reconnaissance de l’IPPR. Enfin M. Scialom intervient à la demande de M. Hermand en
tant que coordinateur du projet extra académique (PEA) de l’ISRP.
Sœur Catherine-Dominique, restant seule directrice de l’IPPR suite au départ en
Angleterre de M. Kasaï, et initiatrice de ce projet, rencontre le coordinateur de la santé
de l’archidiocèse de Douala qui l’oriente vers le ministère des affaires sociales.
En 2005, une demande de reconnaissance est déposée auprès de la délégation
régionale des affaires sociales. L’actuel délégué régional apporte son soutien immédiat
au projet et à l’école en venant régulièrement assister aux séminaires annuels et aux
journées portes ouvertes.
Mais, nous sommes au Cameroun où tout est lent, coûteux et compliqué. Sœur
Catherine-Dominique, seule face aux autorités et à la direction de l’école, demande en
2006 la création d’un partenariat avec l’ISRP et l’OIPR.
b. Le partenariat avec l’ISRP et l’OIPR depuis 4 ans
Sœur Catherine-Dominique responsable de l’école en 2006 dans un contexte
difficile, s’adresse à M. Hermant afin de mettre sur pied une structure pédagogique
valable et reconnue par l’Etat camerounais.
Plusieurs points sont alors abordés et les différents objectifs sont désormais
énoncés. Les soutenances de mémoire doivent avoir lieu au Cameroun afin de créer un
diplôme d’Etat camerounais de psychomotricien dans le but d’éviter l’installation de
charlatans à Douala. Il faut trouver des personnes capables d’assurer l’enseignement
de la psychomotricité et de former des camerounais à cette compétence, car
jusqu’alors il était prématuré de trouver des psychomotriciens diplômés et capables
d’enseigner. Enfin, il faut s’atteler à l’organisation pédagogique de l’école.
24
Création d’un Projet Extra Académique PEA en 2007
En Avril 2007, le partenariat entre l’OIPR/ISRP et l’IPPR se concrétise avec la
nomination par M. Hermant, secrétaire général de l’OIPR, de Monsieur Philippe
Scialom au poste de délégué pour l’organisation pédagogique et académique de
l’enseignement de la Psychomotricité à l’IPPR. Ce dernier, venu au Cameroun en
octobre-novembre 2007, prendra des décisions importantes pour l’école. La
psychomotricité faisant partie du champ du paramédical, la demande de
reconnaissance a été déposée au ministère des affaires sociales puis, au ministère de
la santé publique. Un tutorat a été mis en place entre les étudiants de l’IPPR Douala et
les étudiants de l’ISRP Paris, grâce à Internet. L’extranet créé sur le site de l’ISRP a
permis aux étudiants camerounais, surtout les anciens élèves de M. Kassaï, de
télécharger les cours de psychomotricité afin de se remettre à niveau.
Le PEA Cameroun à l’ISRP a pour vocation d’envoyer pendant trois ans des
professionnels et des étudiants en psychomotricité pour dispenser des cours à l’IPPR
avec quatre objectifs clairs :
- Viser l’autonomie de l’IPPR en formant des futurs enseignants camerounais et
africains.
- Aider à la mise en place du programme et de l’organisation pédagogique.
- Délivrer des certificats de fin de formation correspondant aux exigences de
l’OIPR (programme d’enseignement, niveaux d’étude et validations
d’examens).
- Enfin, reconnaître l’IPPR au sein de l’OIPR.
Cependant, malgré ces évènements positifs qui ont jalonné la période 2007-2009,
l’école a dû faire face, dès ses débuts, à des situations difficiles.
En effet, certains étudiants s’inscrivaient car la soutenance était prévue à Paris et
voyaient l’école comme un moyen de s’expatrier en France. Manquant de sérieux, ils
finissaient par se désinvestir de la formation. Les divers cursus suivis par les étudiants
avant d’intégrer l’école (BEPC, CAP, Probatoire15, Baccalauréat) ne facilitaient pas non
plus le travail des professeurs. Par ailleurs, des limites des étudiants n’ayant pas le
niveau baccalauréat, n’ont pas tardé à se manifester avec l’arrivée des
psychomotriciens français et les programmes de formation en vigueur. Malgré la
15
Correspond à la classe de Première en France, les camerounais passent en fin d’année un examen qui leur permet l’accès en classe de terminal pour passer le baccalauréat.
25
possibilité donnée par le délégué de l’OIPR d’achever sa formation selon son rythme et
son niveau, l’hétérogénéité des classes et le faible niveau scolaire ont créé de
nombreux problèmes. Plusieurs étudiants ont organisé une rébellion, s’opposant aux
examens de validation des modules, au règlement des frais de scolarité, au respect du
règlement intérieur, etc. Le mouvement s’est soldé par leur renvoi de l’école.
La nouveauté de la discipline scolaire et professionnelle, ainsi que sa
méconnaissance du grand public ont rendu difficile le recrutement des étudiants. Les
étudiants représentent justement la seule source de financement de l’école, ce qui
entraîne de lourdes difficultés financières face à des dépenses telles que, les
honoraires des enseignants, l’accueil des étudiants et des psychomotriciens français,
la confection des plans architecturaux pour la construction des futurs locaux, l’achat
du matériel didactique indispensable, les différents loyers des classes, des bâtiments
administratifs ou du centre d’accueil pour enfants, etc.
Malgré ces contraintes, l’école se développe et le partenariat porte ses fruits petit
à petit.
Création de l'association en juin 2009 : action et objectifs:
L’année 2009 a été marquée par la création d’une association baptisée association
pour la diffusion de la psychomotricité panafricaine, née des efforts conjoints de Sœur
Catherine-Dominique et de l’ensemble du PEA. Cette association va permettre aux
prochains étudiants du PEA de trouver plus facilement des sponsors. Il a fallu élire le
bureau de cette nouvelle association et la future présidente s’est rendue à la
préfecture pour constituer le dossier, phase qui s’est avérée plus longue que prévu
mais qui a néanmoins abouti. Puis, il a fallu démarcher les banques pour ouvrir un
compte au nom de l’association (il s’agissait de pouvoir déposer les dons ou l’argent
récolté par les étudiants auprès des différents sponsors ainsi que les cinq euros de
cotisation des membres). Les trésorières ont obtenu les papiers nécessaires à
l’ouverture du compte qui, malgré les lenteurs administratives, est aujourd’hui actif.
Les vagues successives d’étudiants ayant rejoint l’association mènent des actions
variées, telles que des ventes de gâteaux, des trophées de l’étudiant, des recherches
de sponsors, etc. Enfin, en février 2010, un concert organisé par les étudiants de l’ISRP
permet de récolter suffisamment de fonds pour accueillir deux Camerounais lors de
l’Université d’Eté à Paris et acheter du matériel pour le centre de l’IPPR (matériel
informatique, livres pour la bibliothèque de l’IPPR, etc.).
26
c. Reconnaissance ministérielle
Au cours de la journée portes ouvertes organisée par Monsieur Scialom en
Novembre 2007, le délégué régional des affaires sociales décide d’ouvrir les portes des
autres ministères à l’IPPR, vœu qu’il exprime dans sa correspondance du 03 avril 2008
adressée à la promotrice : «… Eu égard au caractère transversal de cette discipline, une
concertation doit être engagée avec les secteurs apparentés notamment ceux de la
Santé et de l’Education Physique, en vue de donner une orientation pertinente à cette
initiative qui vise un meilleur suivi de certaines cibles du Ministère des Affaires Sociales
(petite enfance, handicapés, personnes âgées). …».
Une première rencontre a lieu le 16 avril 2008 dans les locaux du délégué régional
des affaires sociales. Cette réunion de concertation réunissait les délégués : du
ministère des affaires sociales, du ministère de la santé publique, du ministère de
l’éducation physique et du ministère de l’emploi et de la formation professionnelle
ainsi que la promotrice et les psychomotriciens venus de Paris.
Une visite sur le terrain de cette même équipe, renforcée par la Brigade de
Contrôle eut lieu le 24 avril 2008 dans les locaux de l’IPPR au collège Chevreul.
L’appartenance au ministère de la santé publique fut unanimement reconnue au cours
de cette rencontre, après analyse des compétences du psychomotricien. Toutefois, le
partenariat avec les autres ministères a été recommandé.
Le 13 mai 2008, un nouveau dossier est déposé à la délégation régionale de la
santé à Douala. Le 11 mars 2009, une mission d’expertise technique est envoyée par le
ministre de la santé publique comme ultime étape avant toute décision ministérielle.
Le 24 avril 2009, le ministre de la santé publique signe l’autorisation d’ouverture d’un
cycle de formation des techniciens médico-sanitaires16, option psychomotricité et
relaxation, à Douala. Il place cette école au même niveau que les autres écoles
paramédicales formant des techniciens médico-sanitaires et organise le concours
officiel pour la formation, prévoyant 30 places pour l’année académique 2009-2010.
Depuis la reconnaissance officielle de la formation par le ministère de la santé
publique du Cameroun, en juillet 2009, les étudiants sont en partie recrutés par
concours national et recevront donc les premiers diplômes d’Etat camerounais de
psychomotriciens en juin 2012. Les autres étudiants ayant suivi la même formation
sans avoir passé les concours devraient néanmoins obtenir en équivalence ce diplôme.
16
Le découpage de l’équipe soignante n’est pas le même qu’en France, les techniciens médico-sanitaires sont en quelque sorte l’équivalent de la filière paramédicale.
27
La reconnaissance du partenariat entre l’IPPR d’une part et l’ISRP/OIPR d’autre part
vient d’être encouragée par un courrier du ministre de la santé du Cameroun. Le
dossier déposé en 2008 pour obtenir une aide financière auprès de la banque
islamique de développement est suivi par le ministère de l’économie et une inspection
de la banque doit avoir lieu prochainement. L’issue favorable serait la construction de
locaux neufs pour l’IPPR et son centre thérapeutique. Un dossier est en cours de
constitution au ministère de l’enseignement supérieur, de façon à élargir l’éventail de
formations possibles à l’IPPR.
En Septembre 2009, le ministre de la santé publique signe sur la demande de
l’IPPR et son équipe, la lettre d’accord de collaboration. De même, un accord de
financement est signifié par le ministre de l’économie, de la planification et de
l’aménagement du territoire, pour les constructions et les équipements de l’IPPR.
Malheureusement, ce financement reste bloqué au ministère depuis plus d’un an. La
corruption est un problème majeur en Afrique et surtout au Cameroun. En mars 2011,
la directrice de l’IPPR m’a dit avoir « bousculé » le ministère et la subvention qui leur
était promise depuis trois ans leur a été attribuée. Cela a permis de lancer les travaux
de construction de deux nouveaux bureaux et l'aménagement du centre de l’IPPR
(peinture et travaux de sécurisation des locaux).
Création du concours d’entrée à l’IPPR reconnu et organisé par le ministère de la santé
publique. 17
Les modalités du concours sont les suivantes :
Pour s’inscrire, les candidats au concours d’entrée dans les écoles de formation des
techniciens médico-sanitaire en analyses médicales, psychomotricité et relaxation, il
faut être titulaire soit du Baccalauréat C ou D (équivalant BAC S), ou de tout autre
diplôme reconnu équivalent. Les épreuves tirées des programmes officiels porteront
sur les matières suivantes : culture générale, mathématiques, biologie, physique-
chimie et langue. Elles sont présentées sous forme de documents composés de
questions à choix multiples et à réponses courtes et ouvertes. Les résultats de ces
concours seront publiés par une décision du ministre de la santé publique.
17
Informations tirées du site internet www.culturevive.com communiqué de Monsieur André MAMA FOUDA,
Ministre de la Santé Publique fait à Yaoundé, le 30 avril 2010
28
RECHERCHES SUR LE TERRAIN
Mes recherches au Cameroun portent autant sur mon observation que sur les
résultats du questionnaire de recherche que j’ai utilisé. Afin de remettre ce travail dans
son contexte, il me semble important de préciser comment il a été élaboré. En effet,
l’histoire commence en février 2010 lors de mon premier voyage au Cameroun. Suite à
cette expérience, j’ai décidé de baser mon mémoire de fin d’étude sur la
psychomotricité dans ce pays. Ma problématique était encore floue et, bien qu’ayant
une vague idée de l‘approche que je souhaitais donner à ce travail, j’étais consciente
qu’il y avait encore beaucoup à découvrir et à raconter. Quel sujet choisir
précisément ? Le Cameroun d’un coté la psychomotricité de l’autre et au milieu, moi,
surprise, admirative, en colère, déçue. Il se passait visiblement quelque chose entre
mes attentes, ma connaissance de la psychomotricité et ce pays. Alors j’ai décidé d’y
retourner afin de répondre à toutes ces questions. Mon choix était fait, mon mémoire
porterait sur le Cameroun et la psychomotricité. Sans plus de détails, il m’a donc fallu
ouvrir un œil attentif afin d’utiliser ces observations une fois ma pensée mieux
structurée. Je reconnais que l’exercice n’était pas simple : comment « observer »
lorsque l’on n’a pas encore un objet précis à étudier ? Le travail d’exploitation et de tri
des données observées s’est fait à mon retour à Paris, lorsque j’ai pu prendre du recul.
Mes observations portes donc sur le tonus postural et le tonus d’action, sur la place du
corps dans la société camerounaise. Je présente ensuite, le cas clinique d’un enfant de
17 mois et son parcours de santé, mes expériences durant les cours à l’IPPR… Toutes
ces informations permettent de comprendre pourquoi et comment s’installe la
psychomotricité au Cameroun et surtout si elle ressemble à la psychomotricité que
nous connaissons en France.
I°) DONNÉES OBSERVÉES
1) Observations générales :
a. Attitude générale
Le Camerounais est globalement hypotonique, la démarche est lente et
nonchalante. On observe un ballant des bras assez prononcé. Les Doualas, les
Bamilékés et les Bassas, qui sont les trois ethnies que j’ai rencontrées à Douala, sont
de taille moyenne. Les filles, en général plus petites, ont les traits du visage plus ronds
que les garçons, qui ont le visage plus anguleux. En fonction des situations sociales et
des émotions qu’ils ressentent, on observe un changement très brusque du tonus,
29
marqué par une attitude à l’extrême inverse de l’attitude hypotonique décrite ci-
dessus. En effet, ils se révèlent très hypertoniques lors des « palabres »18 par exemple.
Tout le corps est alors mis en mouvement. Ils parlent avec tout le corps (les bras, le
dos, etc.), et sautent, tapent du pied, tapent des mains, etc. j’ai constaté que ces geste,
véritable dialogue tonique, illustrent le dialogue. Effectivement, le vocabulaire étant
souvent imprécis, les gestes, intonations et mimiques deviennent un réel étayage à la
communication verbale. On peut donc observer une certaine capacité naturelle de
dissociation, surtout dans les danses traditionnelles, et à l’inverse, on peut remarquer
une raideur corporelle extrême.
On note une grande capacité d’adaptation rythmique, que l’on retrouve dans les
percussions opérées dès le plus jeune âge quelque soit le support (instrument, table
ou chaise…). Il y a, au centre de l’IPPR, un petit garçon de sept ans prénommé Modeste
dont le diagnostic n’est pas encore posé. Il est né en état de mort apparente avec un
APGAR19 à 0 pendant prés d’une semaine puis, au bout de sept jours, il a poussé son
premier cri. Aujourd’hui, Modeste a un retard intellectuel sévère, il ne parle pas, il est
très difficile de communiquer avec lui. Il souffre également de lourds troubles du
comportement et d’une hyperactivité motrice empêchant sa scolarisation. Comme il
n’existe pas ou peu de structures d’accueil pour ces enfants à Douala, Modeste est
arrivé au centre de l’IPPR. Malgré ses difficultés, il a un sens du rythme et de la
musicalité impressionnants. Il tape et joue de la musique sur tout ce qu’il trouve : c’est
son mode d’expression privilégié.
b. La place du corps
« Le corps est partout dans la culture Africaine » (Norbert Le Guerinel, 1980)
La question de la punition et du châtiment corporel au Cameroun
J’évoque ici la question du châtiment corporel car j’ai assisté au centre de l’IPPR, à
la punition d’un enfant, Modeste. On observe chez lui un syndrome polymorphe avec
une lourde problématique t. Modeste, ne tenant pas en place pendant le temps calme
et essayant de sortir par la porte a été puni. La punition était de rester assis sur une
18
Assemblée coutumière, généralement réservée aux hommes, où s'échangent les nouvelles, se discutent les
affaires en cours, se prennent les décisions importantes` selon le Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales. Aujourd’hui, l’art de la palabre ne se limite pas aux hommes, il s’agit de discussions oisives et
interminables autour de thèmes variés.
19 L’APGAR est un test évaluant la santé du nouveau né sous forme de score. Ce score se base sur l’observation de
certains facteurs comme, la couleur de la peau, la fréquence respiratoire, la fréquence cardiaque, le tonus et la réactivité aux stimuli.
30
chaise. Modeste n’ayant pas respecté la punition, le stagiaire de troisième année, seul
homme et donc représentant de l’autorité au centre, l’a menacé de rester assis avec
une corde. La vision de l’enfant à genoux, mains sur la tête, me choque encore.
D’autant qu’au vue de la problématique de l’enfant, je ne comprends pas le sens que
cela peut avoir pour lui. L’étudiant dit ne jamais avoir tapé d’enfant, il réutilise juste la
menace des parents car c’est leur seul mode éducatif de référence. En discutant
autour de moi à Douala j’ai entendu des témoignages extrêmement controversés par
rapport à la question du châtiment corporel. C’est pourquoi je choisis ici d’exposer
quelques unes de mes recherches et interviews auprès de la population camerounaise
afin de mieux comprendre quelle est la place du corps et au sein de la sphère
éducative et sociale.
«La peur du gendarme est le début de la sagesse » (Maxime populaire)
Le châtiment corporel, « chicotte20 », fait partie de la culture éducative du
Cameroun. C’est une question d’autorité et l’outil principal utilisé par les parents pour
faire respecter le cadre aux enfants. Cette pratique est non seulement reprise par les
parents mais aussi par la majorité des adultes envers les enfants. Le rapport
adulte/enfant est essentiellement vertical et descendant. Néanmoins, les mentalités
sont aujourd’hui en pleine mutation, les exemples occidentaux et les accidents suite à
des « tabassages 21» influencent de plus en plus le pays. En effet, depuis quelques
années, suite au décès d’un lycéen frappé à la nuque par son professeur, une loi est
passée, interdisant aux enseignants de frapper leurs élèves. Cependant, même si cette
loi n’est pas toujours respectée, il semble difficile aujourd’hui de faire des généralités
quant à la position des Camerounais sur cette pratique.
La question que l’on peut se poser dans le cadre thérapeutique d’une prise en
charge en psychomotricité tourne autour du rapport au corps. Il est certes possible
qu’avec notre culture occidentale nous soyons choqués par cette pratique, néanmoins
elle constitue pour les enfants un cadre de référence réel que nous, psychomotriciens,
n’avons pas à juger.
20
La chicotte vient du portugais et signifie « fouet ». Historiquement, c’est un fouet à lanière épaisse, en cuir d’hippopotame utilisé pendant la colonisation, elle existe encore beaucoup en Centre Afrique et Afrique de l’Ouest pour l’éducation des enfants. L’objet n’est plus forcément un fouet, il peut s’agir d’une corde, d’un bâton, d’un journal…http://fr.allafrica.com/stories/200906170633.html Cameroun: La chicotte, « Arme d'éducation » massive, Eric Elouga, 17 Juin 2009
21 En utilisant ce terme, je réemplois, le mot utilisé par la population camerounaise, quelque soit les personnes que
j’ai interrogé à ce sujet. c’est un mot fort, qui peut choquer, c’est pourquoi je chois de le retranscrire ici.
31
Lors d’une discussion avec le préfet des études22 de l’IPPR, qui a suivi la formation
de psychomotricien, ce dernier m’a confié qu’il n’était pas d’accord avec ces méthodes
qui lui semblent vouées à l’échec. En effet, selon lui, le jour où les enfants grandissent
et acquièrent la capacité physique de rendre les coups, il ne reste plus aux parents
« que leurs yeux pour pleurer ». Il lui paraît donc important pour ne pas perdre le
respect pour ne pas se retrouver démuni face à ces jeunes adultes23 et de développer
d’autres modes de communication et d’éducation avec les enfants. Lui a choisi de
passer par le dialogue avec ses propres enfants. Mais il m’a confié tout bas qu’il était
très mal perçu par sa communauté, qui le juge faible et irresponsable.
c. Un exemple de parcours de santé typique et confus.
Afin de concrétiser mon exposé, je choisis de vous présenter un cas clinique. Il me
permet de présenter quelques notions éducatives et socioculturelles camerounaises
face au handicap. Vanessa, la maman, nous confie sa perception du système de santé
camerounais, entre tradition et médecine occidentale, sur l’empreinte du magico-
religieux dans la société, sur l’impact de la famille et sur l’importance qu’a pris pour
elle la psychomotricité dans la prise en charge de son fils Maël.
L’histoire de Maël et de ses parents est celle d’une famille démunie face au
handicap d’un enfant. Vanessa, est une Camerounaise de Douala, son papa est
Français. Maël est un petit garçon de 17 mois qui a convulsé à la naissance. Sa dernière
convulsion remonte à 8 mois. Aujourd’hui, aucun diagnostic n’a été posé. Il y a
toutefois une suspicion d’AVC24 anténatal.
Dès le lendemain de sa naissance, il convulse pour la première fois. On observe
alors de légères myoclonies au niveau du pied et de la main gauche, dans un premier
temps. On lui injecte alors du Gardénal®25 et du Valium26®. Mais, à l’hôpital de Douala
il y a eu une erreur sur le poids de l’enfant qui a reçu des doses beaucoup trop fortes
et a « dormi » pendant plusieurs jours. A son réveil, il présente une paralysie de
22
Responsable pédagogique qui fait le lien entre les étudiants les professeurs et la direction.
23 Le terme d’adolescent est très peu ou pas utilisé au Cameroun. Il existe des rituels de passage de l’enfance à l’âge
adulte donc c’est une période qui n’existe quasiment pas.
24 Accident vasculaire cérébral.
25 Gardénal® : anticonvulsivant qui appartient à la famille des barbituriques.
Il est utilisé dans le traitement de certaines formes d'épilepsie. http://www.eurekasante.fr/medicaments/vidal-famille/medicament-mgarde01-GARDENAL.html 26
Valium® : anxiolytique de la famille des benzodiazépines. Il possède également des propriétés anticonvulsivantes. http://www.eurekasante.fr/medicaments/vidal-famille/medicament-ovaliu01-VALIUM-ROCHE.html
32
l’hémicorps gauche. Les examens ne révèlent aucunes anomalies. Afin d’éviter de
nouvelles convulsions, on place l’enfant sous Dépakine®27 et on lui prescrit de l’éveil et
des stimulations psychomotrices. Maël est aussi suivi pour des séances d’ostéopathie,
d’acupuncture et d’ergothérapie. A quatre mois, il refait une convulsion hypotonique à
32° C. On lui injecte du Valium® et il est alors hospitalisé quatre jours dans une clinique
privée de Douala. La semaine suivante, il fait une convulsion hyperthermique. À 5
mois, Maël est rapatrié à l’hôpital Necker à Paris.
Vanessa, me racontait lors de notre entretien combien le handicap représente une
véritable malédiction au Cameroun. Pour beaucoup de parents, c’est donc une honte
d’avoir un enfant handicapé. Le handicap, associé à la malédiction renvoi à la faute. On
peut facilement imaginer la culpabilité que représente le handicap de cet enfant dit
« maudit ». Au village, on considérait Maël comme un enfant « boa28 » qu’il fallait
déposer prés de la rivière pour qu’il redevienne un serpent29. D’autres parle
« d’enfant-cordon » pour parler de l’autisme. Eric de Rosny (1996, p132) parle des
traitements par cordelettes attachées autour des reins pour qu’il reste « avec nous ».
Outre les soins médicaux qu’il a pu recevoir, en France ou au Cameroun, Maël a
également bénéficié de la médecine traditionnelle. En effet, Vanessa, reste très
attachée aux traditions. Elle pratique matin et soir des rituels de purification de la
maison à l’encens, afin de refouler les ondes négatives et de chasser les mauvais
esprits. Elle m’explique que dans sa culture, l’enfant vient d’un autre monde. On le
place dans le ventre de sa future mère. Ainsi lorsqu’il naît et qu’il arrive sur Terre, il se
peut que viennent avec lui ces petits njounjous30, ou esprits invisibles. Lorsque l’enfant
gazouille, elle suppose qu’en réalité il s’adresse à ces esprits qui peuvent être amis ou
maléfiques. Ce sont eux que Vanessa tente de chasser par l’encens. Afin que le bébé
veuille bien rester dans ce nouveau monde, on attache à l’enfant des bracelets, des
colliers et des lacets autour des chevilles ou de la taille. Une façon de matérialiser le
lien avec ses parents et faciliter la transition entre ces deux mondes. Ce lien doit l’aider
27 Dépakine® : appartient à la famille des anticonvulsivants non barbituriques. Il est utilisé dans le traitement de l'épilepsie, seul ou en association avec un autre antiépileptique et le traitement préventif des convulsions liées à la fièvre chez l'enfant. http://www.eurekasante.fr/medicaments/vidal-famille/medicament-mdepak01-DEPAKINE.html 28
Le concept de l’enfant « boa » renvoi à l’infirmité motrice cérébrale (IMC), en effet puisque l’enfant présente une phase de flasticité la population considère qu’il s’agit en réalité d’un serpent qui s’est métamorphosé en enfant.
29 Il faut souligner que la pauvreté au Cameroun limite grandement l’accès au soin, ou alors au prix de lourds
sacrifices qui engagent toute la famille.
30 « Les jins sont ainsi compris comme des êtres spirituels crées par Allah à partir du feu de la Fournaise Ardente. Ils
sont doués d’intelligence mais restent invisibles aux yeux des humains » E WEBER (1996) cité par Marion James dans Culture et psychomotricité, vers une ethno psychomotricité l’exemple de l’enfant maghrébin. Issu du monde musulman ils ont intégré la culture camerounaise. Ils sont souvent « mauvais » et responsables des maladies.
33
à ne pas se laisser mourir et à accepter de rester sur Terre. Elle m’explique avoir
emmené Maël dans le Nord Cameroun chez les Bamilékés, qui ne vont jamais à
l’hôpital car ils ne légitiment pas à cette « médecine de blanc » qui selon eux n’a pas
encore fait ses preuves face à la médecine traditionnelle. Lorsqu’ils se présentent à
l’hôpital il est souvent déjà trop tard. Le médecin ne peut plus rien faire, cela les
conforte donc dans l’idée qu’il ne sert à rien d’aller à l’hôpital. Les accouchements se
font encore à domicile et les soins sont prodigués dans le village. Leurs méthodes, à la
grande surprise des plus réticents, montrent des résultats satisfaisants surtout au
niveau de l’utilisation de plantes médicinales et d’épices. J’ai noté que les camerounais
se tournent vers les personnes compétentes en fonction des problèmes auxquels ils
sont confrontés. Tantôt ils se retourneront vers les guérisseurs traditionnels, tantôt
vers les médecins, selon le type de pathologie. Un jeune Camerounais m’a confié qu’il
souffrait d’un ulcère à l’estomac. Dans un premier temps, il comptait se rendre au
village voir le guérisseur pour prendre des plantes faisant office de pansement
gastrique, ensuite si le problème n’était pas réglé il se rendrait à l’hôpital.
Vanessa me confie le soulagement qu’elle a ressenti face aux réactions de sa
famille concernant le handicap de Maël. En effet, certains ont pensé qu’il était maudit,
d’autres ont supposé qu’il avait été envoûté par une personne du village qui en voulait
à sa famille, ou encore que c’était une maladie à soigner. Cependant, tous se sont
mobilisés pour aider Maël. Que ce soit en le désenvoûtant, en le soignant, en le
massant ou en le protégeant, ils ont manifesté le désir de soutenir Vanessa dans ses
démarches. Ce n’est malheureusement pas le cas de toutes les familles. Le plus
souvent, on assiste à un rejet du handicap, de l’enfant et parfois de ses parents. Dans
le pire des cas, on observe des abandons ou des meurtres.
Pour Vanessa, il est beaucoup plus difficile de soigner un enfant, car un adulte peut
verbaliser sa souffrance et exposer sa problématique. Avec son enfant, elle a dû
apprendre à décrypter ses pleurs et son langage corporel par l’observation. Cette
maman pense que la psychomotricité pourrait se développer s’il y avait plus
d’informations. Elle a peiné à obtenir des informations sur ce métier qu’elle ne
connaissait pas. C’est par l’intermédiaire de l’ostéopathe qu’elle a été redirigée auprès
d’une psychomotricienne. Elle ne pense pas que la psychomotricité soit une
concurrente de la médecine traditionnelle mais elle comprend que certains tradi-
praticiens la considèrent comme telle. Vanessa a emmené Maël chez une masseuse
spécialisée dans la « maladie des fontanelles » car à 8 mois, il ne tenait toujours pas sa
tête. Au bout de quelques séances seulement, Maël a commencé à essayer de tenir sa
tête. C’est pourquoi elle m’avoue que le travail en psychomotricité est long et qu’il est
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parfois difficile de faire confiance quand on n’observe pas de résultat. En plus, compte
tenu du prix de la séance, cette thérapie n’est pas accessible à la plus part des
Camerounais.
Ce propos traduit bien l’importance de la demande formulée par ces familles
terrifiées par une maladie qu’elles ne s’expliquent pas. L’influence, toujours très
prononcée, du magico-religieux au Cameroun perturbe encore plus ces familles
désorientées. La psychomotricité pourrait prendre tout son sens si elle faisait office de
lien entre la médecine occidentale et la médecine traditionnelle. En effet, cette
discipline qui associe le corps et l’esprit peut arriver à se faire une place dans un pays
et une culture où le corps occupe une position centrale. En outre, dans le cas du petit
Maël qui bénéficie pourtant d’une prise en charge pluridisciplinaire, on constate que
les différents membres de l’équipe ne dialoguent pas entre eux. Il paraît difficile de
faire un travail efficace et optimal pour Maël et sa famille.
d. L’enseignement de la psychomotricité au Cameroun
Mon premier contact avec l’IPPR
Lors de ce premier voyage, nous étions deux à nous présenter en classe devant les
étudiants. Nous avions mis l’accent sur le fait que nous étions nous même étudiantes
et en aucun cas des « profs ». Nos compétences avaient donc des limites et nous
étions là pour leur proposer la psychomotricité telle qu’elle nous avait été transmise à
Paris. D’entrée de jeu, nous avons compris que nous n’avions pas les connaissances
suffisantes sur le Cameroun pour leur apporter une psychomotricité déjà adaptée à
leur culture. Nous avons donc choisi de leur montrer une psychomotricité
« française », à eux de se l’approprier pour en faire une discipline camerounaise.
Lorsque j’ai compris l’importance de ce travail d’appropriation et d’intériorisation de
ces concepts propres à la psychomotricité et à l’Occident, j’ai décidé d’en faire le sujet
de mon mémoire dessus.
Dans le cadre de cet échange, j’ai été confrontée aux premières spécificités
camerounaises. Lors d’un exercice par deux, avec les premières années, j’ai été très
surprise par la réaction d’une étudiante devenue extrêmement hypertonique à l’idée
d’être touchée. Et comme son binôme était un homme, elle a catégoriquement refusé
l’exercice.
Lors de notre première intervention, mon binôme et moi-même, avons travaillé
autour d’éléments différents tels que la relaxation psychosomatique de G.B.
Soubiran®, la méthode Jacobson autour la contraction/détente ou de la sophrologie
35
ludique. Nous avons également abordé le tonus, l’espace, la prise de conscience du
corps ou l’image du corps. Cependant les étudiants nous ont réclamé des cours de
sémiologie en psychomotricité. Nous avons dû nous résigner à donner des cours quasi
magistraux. C’est face à des étudiants très demandeurs que nous nous sommes
retrouvées. Paradoxalement, nous étions toujours confrontées à ce blocage, ce
malaise, surgissant au moment de toucher le corps de l’autre. Lors du séminaire
international de psychomotricité de Douala, nous devions animer des ateliers de
relaxation en fin de journée, après les conférences. Nous avions décidé de guider
verbalement les séances mais de faire pratiquer les étudiants sur les volontaires de
l’assistance. Il a suffit d’une coupure d’électricité (comme il y en a fréquemment à
Douala) pour que tous les étudiants s’en aillent discrètement de la salle. Suite à cet
incident, ils ont justifié leur réaction par la fatigue, d’autres sont entrés dans une
longue litanie de plaintes car ils pensaient pouvoir partir plus tôt, jusqu’à ce qu’un
petit groupe reconnaisse qu’ils n’avaient tout simplement « pas envie ». « Pas envie »
de se salir car il faut savoir que la relaxation qu’elle soit en position décubitus ou en
position pro cubitus se fait sur une natte à même le sol, or le sol du gymnase du
collège Chevreul est en béton recouvert de terre et de poussière rouge. Nous avons
rediscuté de cet évènement avec eux et les avons à nouveau questionnés sur leurs
motivations. Puis après s’être excusés de leur comportement, le séminaire a pu
reprendre dans des conditions optimales.
En plus des conditions pratiques et de la motivation, des influences culturelles se
sont surajoutées. En effet, une jeune femme ayant participé en début de semaine aux
séances de relaxation à soudainement exprimé son refus le troisième jour. Lorsque je
lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu qu’elle « saignait » et donc qu’elle ne
pouvait pas. Elle faisait référence à ses menstruations qui renvoient au Cameroun à
une certaine notion d’impureté. Les filles se privent de beaucoup d’activités,
notamment tout ce qui concerne la mise en mouvement du corps, sport, etc.
Nous nous sommes adaptées aux conditions du travail en pratique à l’IPPR.
Contrairement à Paris, là-bas, pas de tatamis, de tapis et de sol plat et propre. Cela a
rendu les exercices au sol assez difficile. De plus les filles, souvent en robe ou en jupe,
sont rarement habillées en conséquence ce qui rend la pratique un peu compliquée
2e voyage et évolution de l’enseignement :
L’enseignement théorique de la psychomotricité aujourd’hui est assuré par quatre
professeurs : Guy et Adolf, qui sont des psychomotriciens diplômés de l’IPPR, et
Adeline et Delphine, deux psychomotriciennes françaises installées pour l’année
36
scolaire à Douala. Ils prennent également en charge la pratique des tests et épreuves
du bilan psychomoteur. Depuis quatre ans, les étudiants de l’ISRP se relaient à Douala
afin d’échanger autour des cours de psychomotricité théoriques et pratiques, en
particulier. C’est d’ailleurs, cette année (2010-2011) la mission principale des
étudiantes qui partent en échange au Cameroun. En effet, l’enseignement théorique
est assuré en continu et les étudiants de l’ISRP interviennent sous formes de «stage »
de deux semaines pour initier les étudiants de l’IPPR à une médiation, telle que le
cirque, le théâtre ou la danse.
Cours de pratique IPPR 1, 2, 3 autour de la médiation théâtre et expression corporelle :
C’est lors de mon deuxième séjour, seule, en novembre 2010 que j’ai proposé aux
étudiants une initiation à la médiation théâtre et expression scénique autour de
l’expression corporelle. Nous avons étalé les nattes dehors dans l’herbe en évitant les
racines et les cailloux. Je me suis vite retrouvée face à trois épineux problèmes.
Premièrement l’absence du cadre contenant de la salle, les étudiants étaient
surexcités. Je me faisais difficilement entendre compte tenu du bruit de la ville.
Deuxièmement, l’obscurité, à partir de 17h45, il fait nuit à Douala or le cours finissait à
20 heures. Enfin troisièmement et non des moindre, les moustiques. Nous avons
malgré tout réussi à faire les trois heures de cours prévues, les trois promotions
d’élèves confondues. Il a fallu s’adapter aux conditions extérieures, c’était d’ailleurs
un très bon exercice personnel. Je leur ai demandé de parler de leur vécu et des items
psychomoteurs travaillés par les exercices proposés, ainsi que la population cible ou
les différentes variantes de l’exercice.
J’ai pu observer une forte dynamique de groupe surtout entre les deuxièmes et
troisièmes années. Beaucoup de confiance et de complicité qui ont favorisé la prise
d’initiative. J’ai été agréablement surprise par l’évolution de leurs réactions face aux
médiations, comparée à l’année précédente, lors de mon premier séjour. Même si
l’intérêt et l’utilisation de ces pratiques en psychomotricité leur semblent encore flous,
ils arrivent à faire de nombreux liens théorico-cliniques. Le rapport entre ces
médiations et la psychomotricité, perçue comme soin strict, n’est pas évident, cela
découle plus pour eux de l’ordre de l’épanouissement et du développement personnel.
Je pense vraiment qu’il faut désormais mettre l’accent sur la diversité de ces
médiations dans la formation à l’IPPR.
Lors de mon intervention avec les étudiants de deuxièmes année autour de la
médiation théâtre et expression corporelle, un des étudiants m’a révélé ne pouvoir
réutiliser ces exercices avec des adultes qui jugeraient ceux-ci trop infantilisants. Il y a
37
indubitablement une frontière franche entre l’enfance et l’âge adulte. Une fois adulte,
il n’est pas commun de régresser à l’enfance. Ainsi, le lâcher prise par le jeu est difficile
à aborder. Cela pose la question de l’utilisation de médiation pour les patients
Camerounais telle que l’on peut la concevoir en France.
Malgré les appréhensions premières, lors des verbalisations de fin d’exercices
scéniques, certaines étudiantes ont dit avoir pris plaisir à ne plus penser aux soucis
quotidiens, à « se lâcher » et rire aux éclats. Elles disaient que cela leur rappelait leur
enfance. C’était une réelle prise de conscience de l’intérêt thérapeutique de ces
moments de régression. Il apparaît que ces moments de régression sont plus
difficilement accessible pour les hommes.
Notre approche française surtout au sein de notre formation à l’ISRP est très
phénoménologique. Nous passons essentiellement par l’expérience corporelle avant
d’en tirer la théorie. Il semble qu’au Cameroun, il soit nécessaire de théoriser,
d’intellectualiser les sensations et les exercices avant de les mettre en pratique. De
plus, la place de l’adulte est très idéalisée, l’adulte est « fort », il est en recherche de
performance. Il est donc d’autant plus difficile pour les étudiants d’échapper à la peur
du jugement pour se lancer dans des exercices qui engagent directement le corps et la
personne dans sa globalité.
e. Terrain de stage
Je présente « le centre » et le FEDEME qui ne sont pas les seuls terrains de stages mais
qui sont ceux que j’ai visités.
Le centre d’accueil pour enfant de l’IPPR
Sur le trottoir face à l’école, l’IPPR a créé un centre de consultation et d’accueil
pour enfants, que tout le monde appelle « le centre ». Il s’agit également d’un lieu de
stage pour les étudiants de l’IPPR. Je vais décrire ici une journée type du centre de
l’IPPR telle que je l’ai vécue, afin de voir comment s’organise la psychomotricité au
Cameroun. En effet, j’ai dans un premier temps défini quelques grands points de la
psychomotricité en Occident, puis j’ai démontré le manque de théorie au Cameroun
sur ces mêmes sujets. J’ai prévu par le biais de questionnaires de demander aux
principaux concernés leur avis sur ces questions, afin d’avoir une vision à la fois
théorique et pratique de la psychomotricité camerounaise.
La journée commence par un temps d’accueil de 8 heures à 9 heures avec un
stagiaire de troisième année à l’IPPR et Adeline (psychomotricienne française installée
38
à Douala pour six mois). Les enfants arrivent petit à petit et sont accueillis par
Thérèse31 ou un étudiant de l’IPPR en stage. Les enfants sont en « temps libre », ils ont
des jeux à disposition tels que des Lego, un tamtam, des cubes ou de quoi dessiner.
Les psychomotriciens jouent plus ou moins un rôle d’éducateur pendant ces temps
pas encore bien définis. Ceci pose la question de la relation thérapeutique puisqu’en
dehors de la salle de psychomotricité, le psychomotricien doit s’occuper de la vie
quotidienne du centre. Il propose des activités occupationnelles, fait respecter les
règles, surveille le goûter, les toilettes, etc. Comment se déroule la séance individuelle
et la relation thérapeutique quand le psychomotricien passe la matinée à se fâcher
dans la salle commune et à donner des punitions voire à taper ? Le châtiment corporel
fait partie de l’éducation camerounaise et les psychomotriciens camerounais ne font
pas toujours exception à la règle (ce point théorique a été développé précédemment
dans le questionnement de la place du corps). Selon les psychomotriciens présents, les
séances se déroulent individuelles dans une des deux salles de psychomotricité ou
dehors dans la cours du centre. La plupart des enfants viennent toute la semaine de 8
heures à 13h30 mais d’autres ne viennent que pour leur séance d’une heure environ.
Chaque enfant a son psychomotricien référent avec qui il est en séance individuelle
Le découpage temporel théorique de la journée est très difficile à respecter et faire
respecter à Douala. Les psychomotriciens de l’équipe et les stagiaires n’étant pas les
mêmes toute la semaine, ils prennent du temps pour écrire dans un cahier de
transmissions les événements de la matinée. Puis, ils consignent le compte rendu de la
séance pour chaque enfant, s’il y a eut une séance individuelle, sinon ils rapportent les
évènements particuliers, l’apparition de nouveaux comportements ou les bagarres.
L’objectif principal est de réorganiser l’espace et les temps pour créer un cadre
rassurant et contenant pour les enfants, sans trop de distraction. Ceci a été fait
pendant mon séjour de novembre 2010. Nous avons organisé le centre en trois salles.
Une salle avec un bureau pour les entretiens et les activités de motricités fines dans
laquelle le matériel et les jeux sont rangés. Une deuxième salle qui est la salle de
motricité globale dans laquelle se trouvent les tapis, les ballons et le matériel de
relaxation. Enfin, la plus grande pièce, la salle commune.
Comme nous l’avons vu, les camerounais ont beaucoup de difficultés à respecter
les horaires, tant les thérapeutes que les patients ou leur famille. Il est donc difficile
31
Cf. Annexe 1 organigramme de l’IPPR.
39
d’organiser précisément la matinée, des activités et séances individuelles quand il n’y a
pas d’horaire fixe. Toutefois, ceci est très formateur pour les stagiaires et jeunes
professionnels qui se trouvent confrontés au problème du cadre thérapeutique. On
comprend ainsi toute son importance pour la cure.
L’objectif de ce « centre » est de devenir un centre de consultation. En effet,
l’espace commence à devenir insuffisant pour accueillir tous les enfants et s’ils restent
toute la matinée, il faudrait alors embaucher des éducatrices. Il prendrait ainsi l’allure
d’un accueil de jour. Sœur Catherine souhaiterait pouvoir accueillir les enfants à la
journée voire en internat. Cela nécessiterait un déménagement et un budget qu’elle
ne possède pas pour l’instant.
Caméléon, FEDEME, centre d’accueil pour déficients mentaux et pour auditifs
L’association, fondée il y a dix ans par une Allemande, est un terrain de stage pour
les étudiants de l’IPPR. Soigneusement organisée et brassant une population variée,
elle offre un contexte de stage particulièrement intéressant pour les étudiants.
Malheureusement ces stages ne débouchent pas sur des embauches, faute de budget,
alors que la demande en psychomotriciens est réelle sur le terrain.
2) Implantation de la psychomotricité
Aujourd’hui, les psychomotriciens parviennent à trouver du travail, mais
globalement, ils peinent à en vivre réellement. Pour la plupart, il s’agit de séances à
domicile, ici et là. Les autres, plus chanceux, ont réussi à trouver un emploi stable avec
un cabinet dans une clinique privée ou dans des associations.
Le séminaire international de psychomotricité de Douala a lieu une fois par an dans
le gymnase du collège Chevreul. Il a pour objectif de sensibiliser un large public à
l’approche psychomotrice mais aussi d’apporter des éléments théorico-cliniques sur
des questions touchant les différentes indications en psychomotricité. Enfin, il permet
de favoriser les échanges entre les différents professionnels de la santé, de l’éducation
afin d’initier et d’améliorer un réel travail en équipe pluridisciplinaire. Il est ouvert à
tous, les médecins, les instituteurs, les enseignants dans le supérieur ou les parents
d’enfants malades. Les étudiants de l’IPPR, toutes promotions confondues, assistent
également aux conférences. Ils aident à installer la salle, accueillent les conférenciers,
comme le public, et peuvent aussi être amenés à contribuer aux ateliers en fin de
journée. Lors de notre participation au séminaire de 2010, ma collègue et moi-même
devions animer des ateliers de relaxation en fin de journée. Ce sont donc, les étudiants
40
de l’IPPR qui pratiquaient sur des volontaires de l’assistance pendant que nous les
guidions verbalement.
A la SWAA, premier psychomotricien salarié de Douala
Je vais présenter le premier lieu d’exercice de la psychomotricité à Douala. Adolf
fait partie de la première promotion de diplômé de l’IPPR et a trouvé un emploi dans
une association de Douala. Cela fut le premier pas de l’implantation professionnelle de
la psychomotricité au Cameroun.
La SWAA, Society for Women and Aids in Africa, est une association de soutien aux
femmes africaines touchées par le Sida, fondée 1988. Son objectif est de créer un
forum où les femmes peuvent mener des actions collectives de lutte contre le SIDA. La
branche camerounaise a vu le jour en 1990. Elle est subdivisée en six branches
régionales. La SWAA littorale a ouvert ses portes en 1991, avec pour vocation de
freiner la propagation du virus d’immunodéficience humaine (VIH) par des activités de
prévention qui tiennent compte des habitudes socioculturelles. Elle s’engage aussi à
assurer le suivi psycho-social, nutritionnel et médical des patients et de leurs familles.
Enfin elle vise à réduire l’impact de l’infection dans les familles et les communautés. Il
y a eu 2 910 consultations en 200932. L’association compte 1 438 inscrits, dont 85 % de
femmes dans le centre et 547 personnes sous anti rétro viraux (ARV), dont 30 enfants.
L’équipe est constituée de 15 permanents (un médecin généraliste, un chargé de
programme, une assistante sociale, deux infirmières, deux aides soignantes, trois
conseillers psycho sociaux, un psychomotricien, un secrétaire, un comptable). Elle est
renforcée par une équipe de vacataires (gastroentérologues, dermatologues,
gynécologues, pédiatres, psychologues, diététiciens et travailleurs sociaux) et une
équipe de bénévoles membres de l’association (médecins, juristes, journalistes, AS,
infirmières et ingénieurs, pharmaciens).
3) Difficultés, embûches, problèmes rencontrés.
L’exemple de l’IPPR montre bien toute la difficulté d’évoluer et de s’installer à
Douala et en Afrique en général.
Aujourd’hui l’IPPR dépend du ministère de la santé. Pour que les étudiants
bénéficient d’équivalences de diplômes ou que l’école reçoive des budgets qui
contribueraient au développement de l’école et du centre, il faudrait qu’ils soient
reconnus par le ministère de l’enseignement supérieur. Cependant, pour être reconnu
32
Référence obtenue par la SWAA directement lors de ma visite en Novembre 2010.
41
par ce ministère, il faut remplir des conditions bien précises ; la principale étant de
posséder ses propres locaux… Pour l’instant les bâtiments sont prêtés et, en théorie,
loués par la congrégation des religieuses. Or, pour avoir ses propres locaux l’école a
besoin d’un budget qui « dort » au ministère. La subvention a visiblement été bloquée.
Comme mentionné précédemment, la corruption est un véritable fléau au Cameroun.
Selon une étude de 2004, publiée par l’ONG33 SOS Corruption, la santé et
l’enseignement supérieur font partie des vingt administrations les plus corrompues…
un mal qui gangrène malheureusement de nombreuses administrations au Cameroun
et globalement en Afrique. Dans le cas présent, elle pose un frein au développement
de l’école. Néanmoins, nous espérons que la situation sera prochainement débloquée,
grâce aux efforts de l’école et de Sœur Catherine-Dominique, mais aussi au soutien
sans faille de MM. Hermand et Scialom. Avec le concours du délégué du Ministère de
la Santé, l’IPPR se verra peut-être enfin attribuer la subvention promise…
Afin de faire un état des lieux du développement et de l’implantation de la
psychomotricité au Cameroun j’ai proposé un protocole de recherche qui nous
renseignera sur la pratique des camerounais à un instant « T ». En effet la pratique
récente est en plein essor et on évoque les changements de terme de mois voire de
semaines.
II°) DONNEÉS ISSUES DES QUESTIONNAIRES
1) Méthodologie
Cette recherche a une double action, elle évalue d'un point de vue quantitatif
l'évolution de la psychomotricité, en recensant le nombre de psychomotriciens
agissant de telle ou telle façon, avec intervention ou non de spécificités culturelles. Elle
permet également la mise en évidence, d'un point de vue qualitatif, des spécificités
culturelles en question. C’est pourquoi le questionnaire propose des questions assez
ouvertes pour permettre aux participants des réponses élargies.
Selon le professeur Alex Mucchielli (2007), il existe cinq grandes méthodes de
recherches qualitatives, à savoir l'induction analytique, la théorisation ancrée,
l'approche phénoménologique, l'analyse structurale et la systémique des relations.
Pour la théorisation ancrée, les spécialistes nous informent qu'il faut
impérativement prendre en compte « la perspective dans laquelle se situent les acteurs
sociaux ». Il faut donc chercher des relations entre les personnes interrogées. D’après
33
Organisation non gouvernementale.
42
Howard Becker et Blanche Geer (1960), il faut résumer les notes de terrain sous forme
« d'incidents » qui sont « l'expression verbale complète d'une attitude ou des actes
complets, individuels ou collectifs ». Cependant, toutes les notes ne seront pas utiles à
la recherche. Il convient donc de procéder à l'exploitation de ces données afin de
s’assurer qu'elles sont bien en lien avec le thème de la recherche.
Pour l'approche phénoménologique, on suppose que l'interrogé nous expose sa
façon de voir un objet du monde, ici la psychomotricité. Il ne doit pas décrire l'objet
mais bel et bien la façon dont il le voit avec ses yeux et sa relation à l'objet. C’est dans
ce cas la relation sujet-objet qui motive la recherche.
L’analyse structurale repose sur le travail de Claude Lévi-Strauss, c’est à dire
l'analyse des mythes d'Œdipe, Cadamos et Antigone. Le but est de repérer les points
communs à ces trois mythes. Ici, il s’agit de repérer les points communs entre les
pratiques psychomotrices françaises et camerounaises pour mieux faire ressortir leurs
différences.
La systémique qualitative des relations a pour objectif premier le « cadrage », c'est-
à-dire de délimiter le champ d'observation.
L’induction analytique observe de nombreux faits et tente d'en tirer des
généralités.
Je me suis inspirée de ces différentes théories pour mettre au point mon
questionnaire. En effet, je le souhaitais suffisamment ouvert pour récolter un
maximum d’informations sur les perceptions des psychomotriciens ou des étudiants au
sujet de leurs pratiques.
2) Outils :
Afin de recueillir les informations nécessaires, j'ai construit des guides d'entretien
composés de questions ouvertes autour de cinq grands thèmes :
- Le temps
o Comment travaillez-vous avec le temps ? Notamment le respect des horaires ?
o Comment découpez-vous une séance ?
o Quelle est la durée et la fréquence des séances dans la prise en charge ?
o En combien de séances faites-vous un bilan ?
43
- L’espace
o Où travaillez-vous ? Hôpital, clinique, association, à domicile … ?
o Avez-vous un espace propre à vous ?
o Décrivez la salle dans laquelle vous travaillez ?
o Comment est agencé l’espace ? Comment est rangé le matériel, où et pourquoi ?
- La population
o Avec quel type de population travaillez-vous ?
- Les outils
o Quel matériel utilisez-vous ?
o Qui achète le matériel ?
o Comment le transportez-vous à domicile ?
o Quelle médiation utilisez-vous ?
- L’interdisciplinarité
o Avec qui travaillez-vous ? médecin, autres psychomotriciens…De qui se constitue l’équipe pluridisciplinaire ?
o Travaillez-vous uniquement sur prescription médicale ?
3) Protocole :
J’ai constitué trois groupes : un groupe d’étudiants camerounais de troisième
année, un groupe de professionnels camerounais et un groupe d’étudiant français de
troisième année. En fonction du nombre de professionnels et d’étudiants
Camerounais, j’ai sélectionné de façon aléatoire le même nombre d’étudiants français.
Afin de ne pas orienter les résultats, j’ai proposé les enquêtes à des étudiants dont
j’ignorais tout du lieu de stage. Ces formulaires sont tous anonymes. Ils sont basés sur
quelques points importants de la psychomotricité comme l’espace, le temps, les outils
(matériels et médiations), les indications et le travail en équipe pluridisciplinaire. J’ai
envoyé des séries de questionnaires identiques par mail, avec la même consigne, aux
français ou aux camerounais.
44
Cette consigne était la suivante : « Je vous rappelle que ce questionnaire est
anonyme, je vous demande d’y répondre de façon claire et synthétique et de me le
retourner dès que possible ».
Pour les professionnels camerounais, le protocole d’interrogation diffère quelque
peu puisque j’étais, à l’époque, sur le terrain. La population sondée est composée de
neuf psychomotriciens. Le groupe compte trois hommes et cinq femmes. Les huit
psychomotriciens sont assis avec moi, dans une même salle. J'expose le thème général,
par exemple le temps, et je cite les sous-questions qui s'y rapportent. Ainsi, tout le
monde reçoit les mêmes consignes et les mêmes informations avant de répondre aux
questions. J’ai recensé les réponses sous formes de tableaux récapitulatifs.
L’objectif de mon travail de recherche est d’observer la tendance générale de
l’évolution de la psychomotricité au Cameroun. A savoir : si malgré un enseignement
français, les étudiants camerounais restent fidèles à leur culture au sein de leur
pratique. Je fais une analyse comparative entre les professionnels camerounais sortis
de l’école depuis quelques années et les étudiants en cours de formation, pour tenter
de déterminer si, au fil du temps, les Camerounais intériorisent les concepts
psychomoteurs enseignés par des Français puis, s’en détachent pour faire ressortir leur
spécificité culturelle.
4) Exposé des résultats.
Après avoir récolté les réponses aux questionnaires, je les ai rassemblées dans un
premier tableau récapitulatif qu’il n’est pas pertinent de communiquer dans ce
mémoire pour en comprendre explicitement les résultats. J’ai donc refait des tableaux
par réponses, de manière à proposer la présentation la plus claire possible. Je vais
exposer les résultats des questionnaires sous forme de tableaux récapitulatifs. Dans un
premier temps, je présenterai et détaillerai les réponses des étudiants français, puis
j’exposerai les résultats des professionnels camerounais et enfin je révèlerai les
réponses des étudiants camerounais.
a. Etudiants français : 10
En France, les horaires sont majoritairement respectés par les stagiaires. Pour une
étudiante néanmoins, le respect des horaires est difficile, elle est toujours en retard
dans sa vie personnelle et exprime ses difficultés à être « dans les temps ».
45
Quasiment tous les participants ont des rituels de début et de fin de séance. Le
découpage, quant à lui, varie et s’adapte en fonction du patient ou du groupe. Pour
tous, il fait partie du cadre de la séance et s’établit suite au bilan.
Tableau a.1 : Utilisation du temps par les étudiants français
Etud1 Etud2 Etud3 Etud4 Etud5 Etud6 Etud7 Etud8 Etud9
Durée des séances
45min-1h
30min 30-45min
30-45min
30-45min
30-45min
45min 30min 10min-1h
fréquence des séances
1/sem 2/sem 1-2/sem
1/sem 1-2/sem
1-2/sem
1/sem 1/sem 1/sem
Bilan
2x 45min
1 ou 2x 30min
2 x 45 min
2 ou 3x 3045 min
3 x 30-45 min
2 ou 3x 40 min
1 ou 2x 45 min
3 x 45 min
2 ou 4x 10min à 1h.
Presque à l’unanimité, les étudiants français prévoient des séances de 30 à 45
minutes une à deux fois par semaine. J’ai pu distinguer un écart important dans le
secteur de la gériatrie compte tenu de la fatigabilité des patients. Les séances peuvent
varier de 10 minutes à 1 heure une fois par semaine.
Le bilan est étalé sur 2 ou 3 séances de 30 – 45 minutes en moyenne. Il s’effectue
sur 1h30 en moyenne sans compter le temps de cotation. Les remarques, dans le cas
d’un bilan d’observation, peuvent s'étendre sur un mois, avec des observations de
10 minutes à 1 heure, une ou deux fois par semaine, soit en contact direct avec la
personne soit en retrait.
Tableau a. 2 : Utilisation de l’espace chez les étudiants français
Espace propre : Oui 7
Non 5
Se déplace 1
Description : Adaptées : 9 Peu adaptées : 3
Douze lieux de stages recensés : centre pour enfants déficients auditifs, hôpital
psychiatrique intra-extra (3), centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP),
établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (2) (EHPAD), institut
médico-éducatif (IME), service de soins et d’éducation spéciale à domicile (SSESAD),
libéral (3), centre médico-psychologique (CMP).
46
La plupart des répondants ont un espace propre, mais certains doivent partager
leur salle avec d’autres psychomotriciens ou professionnels paramédicaux. Une
minorité se déplace jusqu’au lit du patient, ou est contrainte d’utiliser une salle
d’activité ou le salon de l’institution.
La majorité des étudiants dispose de salles spacieuses et lumineuses. L’espace est
adapté. Des éléments comme les miroirs, les tapis, des petites chaises ou des ballons
semblent constituer les indispensables car on les retrouve dans toute les salles de
psychomotricité.
Les placards, armoires, étagères, caisses ou salles de rangement sont utilisés pour
de ne pas créer de sur-stimulations et aider le patient à rester concentré quelque soit
son âge et sa pathologie. Le matériel est le plus souvent caché et rangé par thème
(motricité fine, graphomotricité, jeux de constructions, etc.) en fonction de chaque
psychomotricien.
Tableau a. 3 : La population et les indications rencontrées en stage par les étudiants français
POPULATION INDICATIONS
Nouveaux nés : 1
Troubles psychiatriques : 8 Troubles moteurs : 4
Enfants : 7
Adolescents : 2
Adultes : 5
Personnes âgées : 2
Tous les âges de la vie bénéficient de suivi en psychomotricité avec une
majorité de psychomotriciens auprès d’enfants. Dans l’échantillon choisi, il y a deux
fois plus de thérapies auprès de troubles psychiques qu’auprès de troubles moteurs.
47
Tableau a. 4 : Les principaux outils utilisés par les stagiaires français
Motricité globale Stimulation sensorielle
Dessin Motricité fine Jeux de société
Ballon (7), tapis (9), cerceaux (5), balles multiples (9), trampolines (2), échasses (2), structures en mousses (4), rubans (2), plots (2), bâtons (3), briques (3), cordes…
Balles à picot, dalles sensorielles, plumes, couvertures, draps, coussins, musiques (CD ou instruments).
Feutres, crayons, feuilles (4)
Boutons, billes, quilles, toupies,
(1)
Il y a ici beaucoup de matériel utilisé au service de la motricité globale et de la
stimulation sensorielle, au détriment de la motricité fine peu évoquée dans les
questionnaires. Ce tableau montre qu’il existe une certaine standardisation du
matériel du psychomotricien. En effet, les tapis, ballons ou balles sont cités quasi
unanimement.
Tableau a. 5 : Transport et achat du matériel psychomoteur en France
Transport du matériel Pas de transport (3), sac + voiture de fonction (2), ne sait pas (3), question ignorée (2).
Achat du matériel Par le psychomotricien (3), par l’établissement (4), ne sait pas (2), question ignorée (1).
Le matériel est rarement transporté. Lorsque c’est le cas, il l’est au moyen de
grands sacs et d’une voiture de fonction mise à disposition par l’institution, pour des
questions d’assurance. Le nombre de sondés ayant ignoré cette partie ou ayant
répondu par « ne sait pas » montre bien que la psychomotricité à domicile est
relativement méconnue des étudiants en France. En effet, à Paris notamment, il y a
peu de lieux de stage impliquant des déplacements à domicile. Il y aurait donc une
influence de la région sur l’exercice de la psychomotricité.
Le matériel est principalement acheté par l’établissement, mais il arrive que le
psychomotricien en achète ponctuellement.
48
Tableau a. 6 : Utilisation de médiations par les étudiants français en psychomotricité
Expressivité Sensorialité Autres
Théâtre (1), mime (1), danse (1)
Relaxation (5), toucher thérapeutique (1), Snoezelen (1), balnéothérapie (1), stimulation basale (1)
Jeu (4), parcours psychomoteurs (2), le corps (1), brushing (1), graphisme et dessin (2)
La liste des médiations utilisées n’est pas exhaustive. J’ai demandé aux
étudiants les principales médiations qu’ils utilisaient sur leur terrain de stage à raison
de deux journées par semaine. Elles se révèlent néanmoins variées et assez globales.
Certains étudiants ont évoqué des mots très larges comme « le corps » ou « le jeu ».
Tableau a.7 : La psychomotricité et l’équipe pluridisciplinaire en France
Médicale Paramédicale Socio éducative Bureau Autres professions
Médecins (psychiatres) Diététiciens (1) Infirmiers (6), auxiliaires de puériculture (1), sages-femmes (1), aides soignants (1), agent des services hospitaliers (ASH) (1), aide médico-psychologique (AMP) (1)
Orthophonistes (5), kinésithérapeutes (5), ergothérapeutes (5), podologues (1), orthoptistes (1), autres psychomotriciens (6)
Assistantes sociales (5), éducateurs (5), instituteurs (3), enseignants activités physiques adaptées (APA) (1)
Direction, cadre, comptable, secrétaire.
Art thérapeutes (1), psychologues (6)
La psychomotricité a aujourd’hui sa place au sein de l’équipe pluridisciplinaire qui
est très importante, riche et variée. Elle travaille en lien avec une équipe médicale,
paramédicale et socio-éducative, mais aussi avec les nouvelles professions et les
membres du bureau.
49
b. Les professionnels camerounais : 8
La question du travail autour du temps et du respect des horaires a été largement
perçue par les répondants qui décrivent leurs difficultés à respecter les horaires.
Certains précisent l’importance de les respecter sur le lieu de travail.
Tous les professionnels découpent leurs séances en trois temps. Un temps d’accueil
est matérialisé par un « bonjour », le fait d’enlever les chaussures ou un « échange ».
Ensuite, intervient un temps de séance à proprement parler, avec des exercices
psychomoteurs ou une phase de relaxation. Enfin, la conclusion de la séance est définie
par un temps de verbalisation, le fait de remettre les chaussures ou de dire « au
revoir ».
Tableau b.1 : Utilisation du temps par les psychomotriciens au Cameroun
Pro1 Pro2 Pro3 Pro4 Pro5 Pro6
Durée des séances
35min-1h 1h 30-45 min 45min 1h30
30min-1h 45min-1h
Fréquence des séances
3/sem 2 /sem 1/sem 1/sem 1/sem 1/sem
Bilan
2 2 Non communiqué
3 Non communiqué
2
Les séances durent en moyenne de 45 minutes à 1 heure, une à deux fois par
semaine. Le bilan se fait sur deux séances, soit environ en 2 heures.
Tableau b. 2 : Utilisation de l’espace par les psychomotriciens au Cameroun
Espace propre : Oui 5
Non 3
Se déplace 3
Description : Petite et peu adaptée : 4 Adaptée : 2
J’ai pu recenser neuf lieux d’exercices professionnels : un hôpital, deux cliniques
privées, une association, trois suivis à domicile et le centre de l’IPPR.
Une majorité de psychomotriciens dispose d’un espace propre, même s’il n’est pas
forcément adapté. Les rangements ne sont pas souvent décrits car, en réalité, le peu
50
de matériel acheté, faute de moyens, ne nécessite pas ou peu de rangement. Le
rangement n’est pas systématiquement pensé ou justifié.
Tableau b. 3 : La population et les indications rencontrées au Cameroun
POPULATION INDICATIONS
Nouveaux nés : 1
Psychiatriques : 4 Moteurs : 4
Enfants : 5
Adolescents : 0
Adultes : 3
Personnes âgées : 4
Il n’y a pas de suivi auprès d’adolescents mais toutes les autres périodes de la
vie et les secteurs du handicap sont couverts par la psychomotricité, qu’il s’agisse
d’handicap moteur ou mental.
Tableau b. 4 : Les principaux outils utilisés en psychomotricité au Cameroun
Motricité globale
Stimulation Sensorielle
Dessin Motricité fine Jeux de société
Ballons (3), briques, cerceaux
Matelas (2), musique (3), coussins (2), draps, balles (2),
Coloriage (4), feutres (4), crayons (4), feuilles (4)
Pâte à modeler (4),
Jeux de construction (4)
Les professionnels camerounais utilisent peu leur matériel (faute de moyen
celui-ci est de toute façon peu varié). Pour beaucoup, la motricité fine ne se travaille
qu’autour de la pâte à modeler. La stimulation sensorielle s’utilise majoritairement à
travers la relaxation. Cette liste est non exhaustive car les professionnels n’ont pas fait
l’inventaire de leur matériel. Je leur ai demandé de me citer les outils les plus
fréquemment utilisés dans leur pratique, ceux qui leur venaient le plus facilement à
l’esprit.
Tableau b. 5 : Transport et achat du matériel psychomoteur au Cameroun
Transport du matériel Voiture personnelle/taxi (2), aucun (1), non communiqué (3)
Achat du matériel Par le psychomotricien (2), par l’établissement (3), par les parents (2), non communiqué (1)
51
Le transport du matériel n’est pas standardisé. Il se fait soit avec la voiture
personnelle soit en taxi-voiture ou taxi-moto. Ils ne sont ni payés ni assurés pendant
leurs déplacements. Le matériel est fourni par l’établissement dans trois cas
seulement, sinon le psychomotricien achète lui-même son matériel. Parfois même, il
demande aux parents ou au patient de se procurer le matériel nécessaire.
Tableau b. 6 : Les principales médiations utilisées en psychomotricité au Cameroun
Expressivité Sensorialité Autres
Jeu dramatique, mime (2), danse africaine, danse.
Relaxation (4), stretching, toucher thérapeutique (3).
Parcours psychomoteurs, graphisme (2), jeux
Le nombre de médiations utilisées est extrêmement faible, elles sont peu
variées. Même si, là encore, il s’agit d’une liste non exhaustive, la pauvreté des
médiations utilisées est constatable.
Tableau b. 7 : Le psychomotricien et l’équipe pluridisciplinaire au Cameroun
Médicale Paramédicale Socio-éducative Travaille seul
Bénévole
médecins (3), infirmières (2)
D’autres psychomotriciens
Educateur spécialisé (1), instituteurs (2)
4 1
Les professionnels camerounais travaillent souvent seuls ou, dans le meilleur
des cas, au sein d’une équipe restreinte. Une psychomotricienne travaille même toute
seule et bénévolement. Un seul psychomotricien évolue réellement au sein d’une
équipe pluridisciplinaire, à laquelle il est pleinement intégré. Pour les autres, le travail
en équipe se cantonne à des comptes rendus aux supérieurs hiérarchiques.
Tableau b. 8 : L’utilisation des prescriptions médicales en psychomotricité au Cameroun
PRESCRIPTION MEDICALE
Oui : aucun Non : 4 Non communiqué : 4
Aucun psychomotricien Camerounais ne travaille sur prescription médicale. Pour
quatre des psychomotriciens interrogés la réponse n’a pas été donnée.
52
c. Etudiants Camerounais : 8
Le respect des horaires est déclaré très difficile, à l’unanimité. Ils sont souvent
obligés de s’adapter au patient. Les horaires sont variables et proportionnels à la
gravité du trouble suite au bilan.
La moitié des étudiants découpe les séances en trois temps : un temps d’accueil, le
plus souvent un entretien, puis un temps de séance avec des exercices psychomoteurs,
enfin un temps de départ et de verbalisation. L’autre moitié des étudiants découpe la
séance en fonction des axes de travail fixés par le projet thérapeutique, la fatigue et la
pathologie du patient. La subdivision de la séance en trois temps n’est pas
systématique.
Tableau c. 1 : Utilisation du temps par les étudiants au Cameroun
Etud1 Etud2 Etud3 Etud4 Etud5 Etud6 Etud7
Durée des séances 45min-1h 45min-1h 45min-1h 45min-1h 30-45min 45min 30-45min
Fréquence des séances
3/sem 2-3/sem 1/sem 1/sem 1/sem 3/sem 2/sem
Bilan 3 2 ou 3 2 ou plus
pour bilan d’observation
1 1 entre la 3e et la 4e
séance
1 2
La durée et la fréquence des séances varient en fonction des axes de travail et
s’adaptent donc au patient, à sa fatigabilité, à sa disponibilité et à sa pathologie. La
fréquence change en fonction de la structure ou du stagiaire (de une à trois fois par
semaine). La durée de la séance est en moyenne de 45 minutes.
Globalement, le bilan se déroule en deux séances, suivant la pathologie du
patient. Une étudiante précise qu’elle fait passer le bilan à la troisième ou quatrième
séance, mais elle ne développe pas les raisons de son choix. Une autre, qui travaille
avec des enfants, pose un bilan dès la première séance, puis en refait un tous les mois
pour évaluer l’évolution de l’enfant.
53
Tableau c. 2 : Utilisation de l’espace par les psychomotriciens au Cameroun
Espace propre : Oui 2
Non 4
Se déplace 2
Description : Peu adaptée : 3 Adaptée : 4
J’ai noté treize lieux de stages pour les étudiants camerounais : deux en hôpital,
trois en clinique privée, deux en association, trois au centre de l’IPPR et trois à
domicile. Certains étudiants effectuent leur stage sur plusieurs lieux différents.
Les étudiants assurant un suivi à domicile ne disposent pas d’un espace très adapté
et sont obligés de l’agencer à chaque début de séance. Pour les autres, faute de moyen
financier, les salles de travail sont souvent relativement dépourvues de matériel.
Lorsqu’il y en a, il est rangé le long des murs de façon à laisser un espace vide au
centre pour les exercices de motricité. Il y a parfois des miroirs, des dessins aux murs,
des tables de massages (lorsqu’ils utilisent les salles de kinésithérapie) ou un lit et deux
chaises (lorsqu’ils utilisent des chambres d’hospitalisation). Une étudiante sollicite la
salle de mécanothérapie du physiothérapeute.
Tableau c. 3 : La population et les indications rencontrées au Cameroun par les étudiants
POPULATION INDICATIONS
Nouveaux nés : 1
Psychiatriques : 4 Moteurs : 5
Enfants : 5
Adolescents : 1
Adultes : 1
Personnes âgées : 2
Les étudiants camerounais ont trouvé des stages dans tous les domaines et les
âges de la vie, du nouveau né à la personne âgée. On observe une relative équité entre
le domaine psychiatrique et le domaine des troubles moteurs. Ils sont très sollicités
dans les cas d’autisme, d’accidents vasculaire cérébraux, d’hémiplégie ou autres
troubles neurologiques (déficience mentale, trisomie 21, hyperactivité, inhibition ou
encore schizophrénie). La liste n’est pas exhaustive mais elle reprend les réponses des
étudiants interrogés qui parfois retrouvent toutes ces problématiques dans un seul
centre.
54
Tableau c. 4 : Les principaux outils utilisés par les stagiaires au Cameroun
Motricité globale
Stimulation Sensorielle
Dessin Motricité fine Jeux de société
Tricycles, tunnel, ballon (4), matelas(3),
Tissus(2), balles à picot(4), tables de massages(2), nattes (6), tam-tam, huile d’olive
Tableau, craie, crayons de couleur, gomme,
Lego, pâte à modeler, cailloux, hochet
Jeux, puzzles
Ces résultats montrent bien qu’il y a peu de matériel à disposition et surtout
qu’il n’y en a pas dans toutes les institutions. Sur sept étudiants interrogés (qui parfois
ont plusieurs lieux de stage), quatre utilisent le ballon. Cela traduit une faible
utilisation du matériel. Les étudiants disposent également, comme outils, de jeux
divers trouvés dans le commerce ou du matériel disponible à la maison lors des visites
à domicile. Ils bénéficient également des différentes épreuves de bilan qu’ils ont pu
étudier pendant leur formation ou emploie le matériel qu’ils ont fabriqué pour la
passation des bilans
Tableau c. 5 : Transport et achat du matériel psychomoteur au Cameroun Transport du matériel sac + taxi (2) Pas de transport (5)
Achat du matériel Etablissements (3), stagiaires (3), les parents des patients(2) non communiqué (1)
Le matériel est peu ou pas transporté par les stagiaires qui,, pour la majorité ne
sont pas véhiculés et doivent payer les transports en communs. Le matériel reste dans
la structure ou au domicile du patient (d’autant qu’il est fréquemment acheté par les
parents). Les étudiants qui transportent du matériel emportent le minimum (ballon de
baudruche, balle à picots ou pâte à modeler, par exemple).
Tableau c. 6 : Les principales médiations utilisées par les stagiaires camerounais
sensorialité autres
Enveloppement, relaxation (2), toucher thérapeutique
Le jeu (2)
55
Il y a très peu de médiations utilisées. Les médiations s’adaptent au matériel à
disposition et au patient, ainsi qu’à sa pathologie. Aussi, sont-ils restés très évasifs sur
les méthodes utilisées.
Tableau c. 7 : les stagiaires camerounais et l’équipe pluridisciplinaire
EQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE
Equipe paramédicale Equipe médicale Equipe éducative
Kinésithérapeutes (2), ergothérapeutes (2), orthophonistes, psychomotricienne en supervision
Médecin, psychiatre, neuro psychiatre, physiothérapeute, neuro pédiatre
éducatrices
Les équipes comptent peu de professionnels, les stagiaires se retrouvent souvent
seuls face à des patients qu’ils ne connaissent pas. Ils bénéficient d’une supervision par
une psychomotricienne diplômée depuis plus de trois ans, une fois par mois sur leurs
lieux de stage. Néanmoins, les collaborations interdisciplinaires établies, si elles sont
peu nombreuses, semblent bien fonctionner.
Tableau c. 8 : L’utilisation des prescriptions médicales en psychomotricité au Cameroun
Oui : 6 Non : 3
Les stagiaires psychomotriciens travaillent majoritairement sur prescription
médicale.
56
ANALYSE DES RESULTATS ET DISCUSSION
I°) ANALYSE DES RÉSULTATS : Comparaison entre le cadre de la pratique
des étudiants français et camerounais et des professionnels
camerounais
Afin d’évaluer la progression temporelle de la psychomotricité au Cameroun et
d’observer l’emprunt de la culture locale sur la discipline, je vais confronter les
réponses des trois groupes, étudiants de troisième année français et camerounais et
professionnels camerounais.
Je vais reprendre les items et comparer les réponses données tant sur le fond que
sur la forme. C’était la liberté que je voulais garder en proposant un questionnaire
ouvert.
1) Le temps34
a. La perception du temps et le respect des horaires
Le respect des horaires est sans doute ce qui diffère le plus entre la France et le
Cameroun. Alors que la question a été largement ignorée ou non comprise par les
étudiants français, les professionnels camerounais ont perçus la question de façon
globale. Ils évoquent autant les horaires que l’évolution de la pathologie dans le
temps, l’impatience des malades à guérir, l’influence du temps sur le corps et le
rapport à la mort.
Commençons par aborder la problématique de l’influence du temps sur le corps.
Dans son travail à la SWAA35 , Adolf me dit avoir remarqué qu’il y avait de moins en
moins de retard moteur chez les enfants infectés par le VIH, grâce au progrès des
traitements anti-rétro viraux (ARV). Par contre, il constate un retard au niveau des
apprentissages et de l’accès au symbolisme. Il suit des enfants de 9 à 13 ans deux fois
par mois. Il travaille sur la préparation de l’annonce de la maladie, évalue les patients
avant puis après. Il est également encadrant d’un groupe de parole avec des adultes
infectés. On voit bien ici, la prise en compte du temps en psychomotricité et dans la
culture. En effet, la problématique corporelle et temporelle n’est pas abordée de la
même manière en France et au Cameroun, même si nous sommes tous égaux face à la
maladie. La constante recherche du jeunisme en France est une conception du temps
34
Cf. Annexe 3, tableau 1
35 Cf. page 40
57
tout à fait opposée à celle du Cameroun où l’âge est synonyme d’expérience et où le
respect se mesure en années. Les camerounais ne courent pas après le temps,
contrairement à nous, Occidentaux, dont la journée est rythmée par le tic tac des
aiguilles, l’agenda et ses rendez-vous, les échéances. On cherche à maîtriser, à
apprivoiser le temps. On lui a donné une valeur métrique. Le temps fait référence à la
mort surtout dans la maladie, mais la mort n’a pas la même signification dans nos deux
cultures, ce qui change la problématique temporelle. Les enterrements sont plutôt des
moments festifs au Cameroun, même si les rituels varient en fonction des traditions
ethniques.
Pour les étudiants français, le respect des horaires est une marque de
professionnalisme qui délimite le cadre thérapeutique de la séance. Un réel effort est
réalisé par les étudiants camerounais pour tenir les horaires. Ils veulent montrer
l’exemple par la fermeté du respect des règles. Certains reconnaissent tout de même
que c’est difficile. Les patients aussi sont régulièrement en retard de 15 à 20 minutes
environ. Certains psychomotriciens camerounais banalisent les retards lorsqu’ils sont
inférieurs à 15 minutes car c’est une réalité tellement présente qu’ils n’ont pas tous le
courage de se battre contre. Il faut prendre les rendez-vous en fonction de la
disponibilité du patient ou de ses parents, s’il n’est pas autonome, et, bien
évidemment, de celle du psychomotricien. Certains étudiants justifient ce manque de
considération vis-à-vis des horaires par une faute de moyen financier (payer le
transport et la séance, ne pas aller travailler pour conduire son enfant en séance). Il
faut savoir qu’au Cameroun, peu de personne dispose d’un compte bancaire et le
compte courant n’existe pas. Tout se règle en argent liquide. Beaucoup d’emplois ne
sont pas déclarés et sont payés au jour le jour ou au mois. Ce qui explique la
fluctuation financière des familles qui peuvent payer les séances pendant un certain
temps, puis une certaine semaine ne peuvent pas mais peuvent à nouveau la semaine
suivante.
Un stagiaire travaillant à domicile est donc assez libre et organise ses rendez-vous
en fonction des disponibilités du patient et des siennes. Il travaille parfois en journée
continue, parfois avec une pause le midi (midi – 14 heures) ou à mi-temps. En France,
pour des raisons pédagogiques, mais aussi de responsabilité institutionnelle, le
stagiaire est suivi par son maître de stage et n’a pas autant de liberté qu’au Cameroun.
Le stagiaire français bénéficie du cadre contenant et rassurant de la structure, de
l’équipe et surtout de l’appui de son maître de stage. Néanmoins, les stagiaires
camerounais semblent satisfait de la situation. Ils apprécient cette liberté d’action. En
réalité, ce n’est pas vraiment un statut de stagiaire, puisque l’étudiant est déjà
58
catapulté dans le monde professionnel, au sein d’une équipe qui ne connaît pas trop
son champ d’action et le sollicite donc, trop ou pas assez.
Concernant les horaires, il semble tout de même que les professionnels soient un
peu plus rigoureux que les étudiants camerounais car ils dénoncent ces retards et se
sont imposés une certaine rigueur. Ils reconnaissent bien la difficulté que représente
l’adaptation aux multiples retards, les conséquences que cela représente sur une
journée de travail. Certains psychomotriciens annulent le rendez vous si le patient est
en retard. A force d’insister sur les horaires et l’importance que cela revêt dans le cadre
de la thérapeutique, ils arrivent à des résultats plutôt concluants. Néanmoins, des
retards sont encore observables. Ils sont parfois catégoriques, « un patient en retard
ne sera pas accepté en séance ! » disait une psychomotricienne interviewée.
Néanmoins son directeur de clinique l’obligeait de temps en temps à prendre quand
même les patients pour des raisons financières. Visiblement, on perd la dimension
thérapeutique au prix de celle du rendement. Puisque l’on attend un rendement de ce
patient il devient en réalité un client. A la clinique, le patient paye et le client est roi. Le
plus souvent, le patient en retard paye et rate sa séance, il ne reviendra donc que la
semaine suivante. Cela pose la question de l’investissement du patient dans sa cure, de
la place du soin dans la culture, mais aussi de l’investissement financier. En outre, la
clinique cible volontairement une certaine catégorie socioprofessionnelle, ayant les
moyens financiers nécessaires au paiement des séances. Cela témoigne bien de
l’inégalité d’accès au soin. C’est une question éthique qui malheureusement ne se pose
pas uniquement pour la psychomotricité et ne se pose pas seulement au Cameroun.
Ces éléments soulèvent l’importance du cadre temporel en psychomotricité et tout
simplement de l’organisation logistique. En effet, comment organiser un emploi du
temps quand aucun patient n’arrive à l’heure prévue ? Les professionnels se
rapprochent des pratiques françaises considérant le temps et les horaires comme
faisant partie intégrante de la thérapeutique en psychomotricité. Néanmoins, les
habitudes culturelles camerounaises représentent un obstacle majeur.
b. Le découpage des séances
Si le découpage de la séance de psychomotricité en trois temps est quasiment
omniprésent dans les réponses des étudiants français et des professionnels
camerounais, il n’en est pas de même chez les étudiants camerounais. En effet, la
première moitié seulement reprend ce découpage, l’autre moitié, quant à elle, reste
très floue, disant se baser sur le patient, ses troubles et le projet thérapeutique.
Quelques soient les rituels utilisés, il y a un début, un milieu et une fin. Chacun utilise
59
son « bonjour » (rituels des chaussures, échauffement corporel ou entretien) pour
marquer le début de la séance. Puis, se déroule la phase des exercices, jeux et
médiations. Enfin, arrivent les moments de verbalisation, des chaussures, des
étirements ou autres rituels de départ pour marquer la fin de la séance, l’heure de se
dire « au revoir ». Peut-être que les étudiants camerounais, qui n’ont pas de maître de
stage sur place, ont besoin de plus de temps pour apprendre à structurer leur séance.
Ou alors, il s’agit d’une volonté affirmée de construire les séances différemment ou du
moins d’expérimenter de nouvelles choses. Cela montre bien à quel point les étudiants
camerounais sont dans un processus dynamique de réflexion par rapport à leur
pratique.
c. La durée et la fréquence des séances
La durée de la séance est plus longue au Cameroun, en moyenne 45 minutes à une
heure. J’imagine qu’ils prennent en compte, les retards habituels de leurs patients de
15 ou 20 minutes. Toutefois, celles des étudiants sont un peu plus courtes que celles
des professionnels, se rapprochant des durées françaises. En France, nous privilégions
des séances de courtes durée : 30 minutes voire 10 minutes (prenant en compte la
fatigabilité et le nombre de rendez-vous également pour certaines institutions).
La fréquence des rendez-vous est légèrement plus importante chez les étudiants
français, une à deux fois par semaine, contre une fois par semaine chez les étudiants
de l’IPPR. Certains professionnels, qui ont une activité réduite compte tenu de la
méconnaissance de la discipline, peuvent se permettre de voir plusieurs fois le même
patient dans la semaine. D’autres en revanche, ayant trop de demandes, ne peuvent
assurer qu’une consultation ou deux par mois.
d. Le bilan psychomoteur
Le bilan se fait en deux heures au Cameroun et en une heure et demie en France,
sans compter le temps de cotation et de rédaction de bilan. Je ne pense pas que cette
différence soit réellement significative. Visiblement, en ce qui concerne le « format »
des séances de psychomotricité, les deux écoles s’organisent de façon similaire. Les
différences trouvées relèvent plus de variables interpersonnelles que de réels courants
de pensée. En revanche, les professionnels camerounais n’évoquent pas du tout le
temps de cotation et de rédaction du bilan. Les bilans réalisés sont essentiellement des
bilans d’observation. Dans les structures que j’ai visitées, les bilans étaient rédigés soit
dans un cahier propre à chaque enfant, soit dans le cahier du psychomotricien. Dans ce
cahier, on pouvait retrouver tous les bilans et compte rendus de séances des enfants
ayant un même psychomoteur référent. Pour l’instant ils n’ont pas l’obligation de
60
communiquer leurs conclusions et informations au reste de l’équipe car ils travaillent
peu avec les autres soignants. Mais s’ils veulent inciter les médecins à leur indiquer des
patients pour initier un travail d’équipe, il leur faudra également leur renvoyer un
compte rendu.
Les tests qu’ils pratiquent leur sont donnés avec les étalonnages français. Or, en ce
qui concerne le développement psychomoteur du jeune enfant, on a pu remarquer
que les âges d’acquisition ne sont pas tout à fait les mêmes. Le développement
comprend bien les mêmes étapes que le développement d’un enfant français mais les
paliers ne se passent pas dans le même ordre. Ceci explique que pour les acquisitions
motrices, notamment la marche, un enfant camerounais est en avance de quelques
mois par rapport à un enfant français. Il prononcera en revanche ses premiers mots un
peu plus tard. Seulement pour l’instant, il n’existe pas de référence scientifique ni
d’étalonnage coté. Les étudiants camerounais utilisent les cotations dans l’optique du
test/re-test uniquement. Ils ne comparent pas les résultats de l’enfant avec sa
moyenne d’âge mais avec son résultat précédent. C’est d’ailleurs un futur projet de
l’IPPR que de lancer la recherche sur le développement, pour qu’ils puissent créer leur
propre outil.
2) L’espace 36
La majorité des structures citées par les étudiants français n’existent pas au
Cameroun, surtout les structures médico ou socio-éducatives telle que les IME ou les
SSESD37. J’ai remarqué qu’au Cameroun les institutions publiques sont corrompues,
comme expliqué plus haut. Elles ont peu de budget pour embaucher du personnel ou
proposer des stages, ce qui explique le peu de stagiaires à l’hôpital. L’hôpital général
demande également que l’IPPR paye une assurance responsabilité civile pour couvrir
ses étudiants en cas d’accident, ce que l’école n’est malheureusement pas en mesure
de faire. Beaucoup d’étudiants et de professionnels espèrent travailler en clinique
privée car elles disposent de plus de moyens financiers et leur assurent un minimum
de matériel et un meilleur salaire.
Si les conditions de stage des étudiants camerounais ne sont pas catastrophiques,
elles ne sont pas non plus idéales. En effet, peu d’étudiants bénéficient d’une salle de
psychomotricité et ils doivent généralement se contenter des chambres
d’hospitalisation, des salles partagées avec d’autres professionnels ou de la chambre du
36
Cf. Annexe 4, tableau 2
37 Cf. page 45
61
patient lors des visites à domicile. Lorsqu’ils disposent d’une salle, elle est assez petite
et dépourvue de matériel. En France, les conditions sont beaucoup plus variables. Si les
salles de psychomotricité sont partagées avec d’autres psychomotriciens, elles sont
néanmoins relativement adaptées, ou adaptable avec du matériel. On retrouve des
objets quasiment incontournables pour le psychomotricien, comme le miroir, les tapis,
les chaises et le gros ballon. Les psychomotriciens camerounais qui se déplacent à
domicile verbalisent leur agacement par rapport au manque de considération de leur
travail par les familles. Elles entrent et sortent de la chambre pendant la séance ou
alors, continuent leur tâches domestiques en cours jusqu’à retarder le rendez-vous
d’une heure. Les étudiants camerounais, étant en stage dans des locaux sans
psychomotriciens, n’ont pour la plupart pas d’espace adapté, encore moins de salle de
psychomotricité. Pour les professionnels installés ou salariés, des salles sont mises à
disposition, bien qu’elles ne soient pas toujours adaptées. Malgré tout, ils disposent
d’un espace à eux.
Faute de moyens financiers, les psychomotriciens camerounais disposent de peu
de rangements et de matériel. En France, le matériel est rangé dans des salles,
placards, caisses, armoires ou tout autre rangement. Le matériel est ainsi classé par
thèmes ou même par items psychomoteurs et souvent caché pour éviter la sur-
stimulation chez les enfants. Les praticiens, se déplaçant à domicile, n’ont pas de
rangement puisqu’ils utilisent le matériel disponible sur place ou en transportent un
minimum. Les stagiaires et professionnels camerounais, bénéficiant de locaux adaptés,
ont à leur disposition du matériel et surtout des rangements. Ceux-ci sont surtout
utilisés pour protéger le matériel rare et coûteux des enfants qui pourraient l’abîmer.
Certains évoquent tout de même la question de la sur-stimulation chez le patient. Il
faut donc filtrer l’environnement pour qu’il ne soit pas trop intrusif.
Je m’interroge quant à la façon dont la psychomotricité va pouvoir s’intégrer dans
le paysage camerounais. Mais surtout, comment les psychomotriciens pourront faire
leur propre choix dans leur pratique ? En effet, comment savoir si les positions pour
lesquelles ils optent sont des choix ou des obligations budgétaires ?
62
3) Les indications et la population ciblée
Je ne remarque pas de différence significative au niveau des âges des
populations reçues entre le Cameroun et la France. Il y a peu d’adultes cités par les
étudiants camerounais. Nous pouvons nous demander s‘il s’agit d’un manque de
structures existant pour ces patients, s’il y a peu de patients adultes requérant des
soins ou si cette promotion d’étudiants est bien sensibilisée à cette population. Après
les avoir questionné, il se trouve qu’en cours d’année certains ont trouvé des stages en
neurologie ou à l’hôpital militaire auprès d’adultes. Néanmoins, lors de mes voyages,
j’ai vu peu de structures accueillant des adultes. J’ai entendu parler de la maternité que
certaines de mes collègues ont visitée. J’ai moi-même visité un centre d’accueil pour
des religieuses âgées. Il faut savoir qu’au Cameroun la plupart des personnes âgées
sont accueillies dans leur famille. Enfin, j’ai vu des centres d’accueil pour enfants mais
pas pour adultes. A priori, tout comme les personnes âgées, les adultes handicapés
sont confiés aux familles, surtout lorsque le handicap est mental et ne nécessite pas de
soins somatiques. Les étudiants camerounais souhaitent visiblement développer leurs
compétences auprès d’enfants et de personnes âgées. Etonnamment, la
psychomotricité s’est développée extrêmement rapidement dans le milieu gériatrique
alors qu’il a fallu presque 40 ans pour que cela s’installe en France. Les étudiants
français qui sont venus au Cameroun étaient très influencés par le plan Alzheimer mis
en place récemment en France. Ils ont, je pense, influencé le développement de la
psychomotricité camerounaise.
La psychomotricité s’étend et se développe. Les étudiants, aujourd’hui, suivent
toutes les catégories d’âges. Mais, comme les professionnels camerounais, ils sont
sollicités pour des cas pathologiques lourds : affections neurologiques, maladies
génétiques, infirmités motrices ou pathologies psychiatriques telles que l’autisme ou
des psychoses graves. On retrouve très peu de suivi auprès de troubles des
apprentissages ou de l’orientation spatiale, s’ils ne sont pas associés à un trouble plus
grave par exemple. Il faut du temps pour que la psychomotricité se développe, qu’elle
soit connue des populations et des équipes soignantes. En France, aujourd’hui encore, nous découvrons de nouveaux champs d’application de la psychomotricité, comme la
prise en charge de la douleur, la psychomotricité en entreprise ou encore en unité pour
malade difficile (UMD) par exemple.
63
4) Les outils 38
a. Le matériel
La question des outils est difficile à cerner. Manque de budget, pratique culturelle
ou choix personnel ? J’ai constaté que peu de matériel était utilisé en séance que ce
soit par les professionnels ou les étudiants. Néanmoins, dans les deux cas, tous les
domaines sont couverts, tous les items psychomoteurs sont travaillés. S’il y a peu de
matériel au Cameroun, il y a néanmoins l’essentiel. On ressent l’empreinte des
étudiants de l’ISRP qui sont venus échanger autour des outils psychomoteurs. Les
étudiants de l’ISRP, comme ceux de l’IPPR, semblent beaucoup plus sensibilisés à la
stimulation sensorielle et donc à l’utilisation de balles à picots, de tissus, de coussins ou
de la musique.
On observe une nette différence dans la quantité et la diversité du matériel par
rapport à la France. Pour les professionnels camerounais disposant de très peu de
matériel, il y a parfois un outil pour travailler un item. Par exemple, la pâte à modeler
pour travailler la motricité fine ou le ballon pour la motricité globale. Leur utilisation
du matériel est assez sectorisée. Les étudiants disposent d’un peu plus de matériel et,
surtout, ont développé grâce à leur formation une capacité à adapter le matériel pour
qu’il devienne du matériel psychomoteur. Néanmoins, qu’il soit camerounais ou
français, l’outil principal du psychomotricien reste avant tout le corps. Les camerounais
semblent d’ailleurs bien s’accommoder de cette situation. Pour la motricité fine, ils
utilisent une bouteille en plastique coupée en deux et des petits cailloux pour faire des
transvasements, travailler la pince fine et la régulation tonique. Ils montrent une
grande capacité d’adaptation.
b. Le transport du matériel
La question sur le transport du matériel est peu traitée par les étudiants français
qui y ont peu recours dans leurs stages. Lorsqu’il y a un déplacement, il se fait avec une
voiture de fonction, prise en charge et assurée par l’employeur en cas d’accident. Le
matériel est transporté au moyen de grands sacs. Les psychomotriciens camerounais,
faute de structures existantes, exercent beaucoup à domicile. Le transport du matériel
est là encore dicté par la loi de l’argent car il est aux frais des stagiaires et
professionnels. De plus, transporter un sac plein de matériel dans les rues de Douala
n’est pas très discret. Cela pourrait inciter les voleurs à se servir et donc être le motif
d’agressions. En effet, n’oublions pas la situation parfois peu sécuritaire de Douala.
38
Cf. Annexe 5, tableau 3
64
Enfin, pour des raisons simples, transporter un sac de matériel sur un taxi moto39 n’est
pas pratique, le matériel pourrait tomber, s’abîmer et la quantité est forcément
limitée.
c. L’achat du matériel
En France, le matériel est principalement acheté par la structure et de temps en
temps par le psychomotricien. Si certains Camerounais travaillent au sein de cliniques
privées qui fournissent du matériel, ils achètent, pour la plupart, leur matériel eux-
mêmes. Ce matériel est difficile à se procurer à Douala. En effet, si les magasins de jeux
ne sont pas rares, les jeux coûtent chers ou sont de mauvaise qualité. Il n’y a pas de
commerciaux qui démarchent les institutions pour leur proposer du matériel
psychomoteur. Au mieux, les commandes doivent se faire sur Internet et sont livrées
en France. Lorsque quelqu’un fait le voyage, il ramène la commande. Ils leur arrivent
même de solliciter les parents et les familles pour l’achat du matériel nécessaire au
suivi du patient; ce que l’on ne retrouve pas en France, du moins dans les réponses des
étudiants.
d. L’utilisation des médiations
En France, les médiations font partie de l’enseignement pratique de la
psychomotricité. Nous avons des intervenants, psychomotriciens ou non, professeurs
de Taï-chi-chuan, de danse, de cirque, de musique ou de théâtre, par exemple, qui
nous donnent des pistes de travail dans leur domaine, à adapter à la psychomotricité.
C’est vraiment ce qui manque à Douala : des intervenants compétents dans leur
domaine, assez intéressés par la psychomotricité pour proposer un travail en lien avec
la thérapeutique psychomotrice. C’est en train d’être mis en place, notamment car les
étudiants de deuxième année de l’ISRP n’ont pas le niveau pour enseigner la théorie.
Ils peuvent en revanche apporter leur expérience pratique des médiations. En France,
beaucoup participent à des activités sportives ou artistiques extrascolaires, ce que l’on
retrouve peu au Cameroun. Les étudiants camerounais, souvent déjà parents ou avec
une famille à charge et habitant loin de l’IPPR, n’ont pas le temps de s’investir dans des
activités extrascolaires. En France, nos expériences artistiques ou sportives
enrichissent et influencent notre pratique professionnelle. Les camerounais manquent
sûrement d’éprouver corporel sain qui participe à la construction et à la finesse de la
représentation corporelle. Une représentation interne de soi sert de ressource. Les
camerounais manquent de créativité dans l’invention de nouveaux jeux. Ou alors, ils
39
Compte tenu des embouteillages et du prix du taxi voiture, le taxi moto est largement utilisé à Douala, davantage
que le taxi voiture.
65
ont ces ressources mais ne pensent pas ou n’osent pas puiser dedans.
En France, il a fallu de nombreuses années pour que les médiations soient pensées
comme de véritables outils en psychomotricité. Au Cameroun, pour l’instant, les
médiations sont peu utilisées ou de façon très stéréotypée, mais je pense qu’il faut
leur laisser le temps de construire leurs propres médiations, leurs propres outils en
prenant ce qui peut être intéressant et en adéquation avec leur fonctionnement et
leur culture, tout comme nous avons pu le faire en France avec les médecines
traditionnelles chinoises. Pendant longtemps en France, n’ont été utilisés comme
médiation en psychiatrie adulte que la relaxation, la gymnastique douce et le tai chi
chuan. Mais, les médiations pour l’adulte commencent à se penser et à trouver leur
place dans l’univers de la psychiatrie adulte. On pensait que l’utilisation de médiations
pouvait être trop infantilisante mais nous savons aujourd’hui que l’engagement du
corps dans le suivi des adultes réunifie le corps et constitue un encrage solide. En
outre, la médiation thérapeutique, aussi multiple qu’elle puisse être, est un outil choisi
en fonction des aptitudes du psychomotricien et du patient. Plus le patient aime la
médiation et plus il adhère au soin.
On retrouve, dans la pratique camerounaise, ce que j’ai pu observer avec les
étudiants, c'est-à-dire une certaine difficulté à lâcher prise et à proposer des activités
expressives telles que le théâtre ou la danse en séance, surtout avec des adultes. Les
professionnels ont mis en place quelques médiations comme la danse ou les
percussions ainsi que le mime avec des patients. Cependant, ils décrivent leur
difficulté à proposer des activités qui parfois leur paraissent infantilisantes et surtout
qui semblent s’éloigner du soin. J’ai rencontré un psychomotricien camerounais
exerçant à Douala : il a remarqué que plus de la moitié des patients qu’il a reçu l’année
dernière et pour qui il a fait le bilan en même temps que l’entretien lors de la première
séance, ne sont jamais revenus. Il a compris que les patients venaient en réalité avec
une demande masquée et lorsque le rendez-vous les décevaient en ne répondant pas
directement à leur problématique, ils ne revenenaient pas. En outre, il est difficile de
mettre le corps en mouvement chez un adulte ; c’est jugé comme trop infantilisant
même lorsque le corps est dénigré. Mettre le corps tout de suite au centre de la séance
est trop violent pour eux. Il a donc décidé de commencer par quelques entretiens où il
« applique l’empathie et la congruence. » Il recentre la problématique du patient sur le
corps, un peu plus tard dans le suivi. Cela marque le début de l’alliance thérapeutique.
Il suit actuellement une vingtaine de patients régulièrement depuis deux ans. C’est en
utilisant l’essai / erreur que les professionnels camerounais trouvent un mode de
fonctionnement qui leur convient et qui convient à leurs patients. Les étudiants
66
camerounais, quant à eux, semblent un peu plus perdus entre toutes ces nouvelles
choses apportées par l’ISRP et les pratiques possibles au Cameroun. Néanmoins, il leur
faudra peut être plus de temps pour intérioriser toutes ses informations et fonctionner
par essai / erreur. Ils sont dans un processus de remise en question et de réflexion et
non pas dans un système d’application linéaire de ce que l’on peut leur apporter.
En ce qui concerne les médiations employées au Cameroun, elles sont peu
nombreuses et peu exploitées. Mais elles sont néanmoins citées dans les réponses des
questionnaires. En outre, si les étudiants ont un bon niveau théorique, ils sont en
difficulté dans le domaine créatif. Ce qui est en train de changer car c’est évidement en
lien étroit avec la formation de l’IPPR. En effet, dans un premier temps l’accent a été
mis sur le niveau théorique, puis le bilan et l’évaluation psychomotrice, les tests et les
principales médiations ont été énoncés. L’équipe pédagogique de l’IPPR et l’ISRP s’est
vite rendue compte du peu de médiations utilisées, outre la relaxation
psychosomatique de G.B. SOUBIRAN©, la pâte à modeler, le toucher thérapeutique et
les jeux de ballons. Nous avons tous compris qu’il était fondamental de s’adapter aux
moyens matériels avec lesquels ils allaient travailler. J’ai donc été surprise de ne pas les
voir utiliser la danse africaine, la peinture, la nature… qu’ils ont a disposition. Notre
matériel en salle de psychomotricité n’est que la reproduction en plastique d’éléments
naturels.
5) Le psychomotricien et l’équipe pluridisciplinaire 40
Le travail en équipe, comme expliqué ci-dessus, est peu instauré encore au
Cameroun alors qu’en France, la psychomotricité semble avoir trouvé sa place au sein
de l’équipe pluridisciplinaire.
Ce travail en équipe n’est pas très développé étant donné l’extrême jeunesse de la
profession dans le paysage soignant au Cameroun. Les premiers psychomotriciens
camerounais ont été peu nombreux à travailler en institutions et pratiquaient donc
seuls. De plus en plus, ils trouvent des emplois en clinique ou en milieu associatif. Les
étudiants camerounais, de part leurs stages dans les différents secteurs du soin,
commencent à sensibiliser quelques praticiens à la discipline. Néanmoins, pour
l’instant, le travail en équipe se résume aux comptes rendus au supérieur hiérarchique
ou à l’organisation de séances en fonction des salles disponibles et de l’emploi du
temps des autres soignants. On ressent encore peu le travail d’élaboration de toute une
équipe aux formations multiples autour d’un patient. Dans sa structure, un des
40
Cf. Annexe 6, tableau 4
67
psychomotriciens camerounais m’expliquait qu’il était amené à être extrêmement
polyvalent. Il disait avoir parfois du mal à maintenir le cadre de son champ de
compétence face aux demandes des patients et des membres de l’équipe. Cela soulève
la question des frontières de la psychomotricité. La discipline étant nouvelle à Douala,
elle est relativement méconnue de l’équipe soignante qui l’entoure et notamment du
médecin chef de service. C’est lui qui indique les patients au psychomotricien ; il est
donc nécessaire qu’il connaisse son champ de compétence. Il exprime le besoin de
marquer des frontières plus franches afin de ne pas être débordé par l’immense
demande que l’on retrouve à Douala. Face à la douleur physique des patients, il doit
faire un choix dans l’ordre de ses priorités et je pense qu’il pose un cadre un peu strict
au début mais qui pourra s’assouplir par la suite.
Il est fondamental de faire connaître le métier de psychomotricien et les
compétences requises. Mais aussi, d’échanger avec ses collègues sur ses propres
capacités et ses objectifs de travail. Un vrai travail d’élaboration est nécessaire tant
pour le psychomotricien, que ses patients et l’équipe entière. Aujourd’hui c’est là que le
Cameroun se situe. Il reste encore du chemin à parcourir.
6) La prescription médicale41 :
Au Cameroun, on observe une grande progression au niveau des prescriptions
médicales. Lorsque j’ai interrogé les professionnels camerounais au mois de novembre
2010, aucun d’entre eux ne travaillaient sur prescription médicale. Aujourd’hui, une
grande partie des étudiants camerounais travaillent sur prescriptions médicales mais
ce n’est pas encore systématique. La méconnaissance de la discipline par le reste du
corps soignant permet aussi aux psychomotriciens comme aux étudiants de prendre
plus de liberté. En effet, certains m’ont dit ne pas hésiter à intervenir auprès d’un
patient lorsqu’ils le jugeaient nécessaire. C'est-à-dire sans diagnostic posé, sans l’aval
d’un médecin, donc sans prescription médicale. En France, en théorie, le
psychomotricien travaille sur prescription médicale. Dans les faits, il peut en aller
différemment. On constate en effet, dans les questionnaires des étudiants, que tous
n’ont pas répondus oui.
La reconnaissance ministérielle est très récente au Cameroun. Je me demande si le
cadre est existant, auquel cas il s’agit d’une défaillance du système d’application de la
loi, ou si la pratique n’est pas encore tout à fait légiférée. En effet, je n’ai pas trouvé les
textes de loi concernant la pratique de la psychomotricité au Cameroun. Ceci dit, la
41
Cf. Annexe 7, tableau 5
68
constitution n’est pas aussi transparente qu’en France et les textes de loi ne sont pas
informatisés et donc beaucoup plus difficiles à se procurer. À l’avenir, il faudra
sûrement rester vigilant sur l’application de la psychomotricité au Cameroun.
II°) QUESTIONS A DEBATRE SUR L’AVENIR DE LA PSYCHOMOTRICITÉ
CAMEROUNAISE
1) Questions et propositions de réponses
A la lumière de ces résultats, l’évolution de la psychomotricité au Cameroun
apparaît incontestable. Il est cependant un peu prématuré de repérer une identité
camerounaise dans la pratique. On note toutefois quelques points spécifiques qui
diffèrent de notre pratique française. Que ces spécificités soient observées faute de
moyens financiers, par méconnaissance de la profession ou par des choix affirmés afin
d’être en adéquation avec la culture camerounaise, elles sont remarquables.
L’espace et le temps, des composantes standard de la psychomotricité ?
Les horaires sont difficiles à respecter mais face aux difficultés d’organisation, il
faudra trouver des solutions. Au niveau formel, le découpage et la durée des séances
sont adaptés aux patients. Il faut leur laisser le temps nécessaire pour effectuer les
ajustements optimaux de l’organisation des séances et mettre en place un suivi à long
terme en trouvant la meilleure adéquation entre pratique, culture et prix de la cure.
Les lieux de pratique se diversifient et la psychomotricité s’étend sur le pays dans
les différents domaines de soins. Il serait intéressant de développer la discipline dans
le domaine social et éducatif. Nous verrons tout à l’heure, en étudiant le système de
santé camerounais, s’il est possible d’y développer la psychomotricité. L’espace des
salles de psychomotricité se construit petit à petit, en fonction des moyens et du
matériel à disposition. En attendant, il est fondamental que les camerounais
s’adaptent. Cela leur permettra d’ailleurs de développer un sens de l’adaptabilité très
pointu, qualité remarquable chez un psychomotricien.
Le matériel est-il indispensable ?
Les camerounais ont peu de matériel, mais ils en ont suffisamment pour un suivi
minimum de leurs patients. Il faudrait néanmoins varier un peu plus le matériel et
surtout l’utilisation de médiations et jouer davantage sur la créativité. En prenant du
recul et face à la quantité de matériel utilisé en France, je me demande si l’on ne
69
risque pas de s’enfermer avec le matériel. N’y a-t-il pas un risque de baser la séance
uniquement sur le médiateur, en perdant finalement la dimension relationnelle avec le
patient ? Je n’ai pas forcément connu le manque de matériel ou son inverse au cours
de ma formation, mais lors de mes séjours au Cameroun, j’ai eu le sentiment d’un
retour aux sources. Mais les sources de la psychomotricité sont-elles vraiment en
marge du matériel ? Cette discipline étant jeune, il me semble qu’elle a toujours
bénéficié du matériel de base, comme les miroirs, tissus, tapis, ballons et salles
disponibles. Les camerounais ont à leur disposition un environnement riche à exploiter
mais, malheureusement, ayant grandi dedans, ils ne s’en rendent pas toujours compte.
Ils étaient épatés lorsque je leur ai annoncé que nous allions travailler les parcours
psychomoteurs dans la cours, en passant sous les branches des arbres, en enjambant
les racines, en marchant dans le sable, sur la dalle de béton, en sautant dans l’herbe,
en triant les cailloux… Les étudiants se plaignent du manque de financement et de
matériel en se comparant à la France mais ils n’ont pas conscience de la richesse de
leur pays. La capacité innée et culturelle de percevoir le rythme de toute mélodie, par
exemple. Les fenêtres sont toujours ouvertes, on peut entendre la musique d’un bar à
côté de l’école, les oiseaux qui chantent dans les arbres tout autour des salles de
classes…
Je me suis dis qu’en France il ne serait pas impossible d’avoir aussi une
psychomotricité sans matériel, qui s’adapte à l’environnement. Mais alors le matériel
est-il nécessaire ou n’est-ce qu’un confort ?
Les moyens financiers ont-ils une influence sur le type de la pratique ?
Pour les questions matérielles, telles que l’espace ou les outils, je me suis
retrouvée un peu ennuyée pour déterminer si leurs conditions de travail étaient
guidées par le manque de moyens ou par des choix assumés…
La médiation la plus utilisée (elle l’était presque exclusivement) était donc la
relaxation. Puis, est venu le toucher thérapeutique, car la psychomotricité était très
sollicitée pour soulager les rhumatismes et la douleur et des pathologies lourdes. J’ai lu
le mémoire d’une étudiante camerounaise qui portait sur la drépanocytose et la prise
en charge de la douleur chez ces patients. Le psychomotricien de l’association contre
le Sida utilise beaucoup la relaxation pour travailler sur l’image du corps ou les plaintes
somatiques multiples liées à la maladie. Le développement de l’utilisation des
médiations répond aux demandes qui émanent des patients. C’est une pratique non
habituelle culturellement, mais professionnels comme étudiants se sont vraiment
sentis en difficulté face à leur patients. En effet, ils avaient été préparés au bilan
70
psychomoteur mais une fois le projet thérapeutique élaboré que proposer au patient ?
Comment construire la séance ? Ce point est en ce moment même en pleine mutation
à Douala. Il faut laisser le temps à la discipline de se développer et aux praticiens de la
construire. Un psychomotricien camerounais m’a dit « pour moi la psychomotricité, ce
n’est rien d’autre que du soin ». En effet, il est souvent confronté à d’autres
problématiques qui pour lui relèvent de « l’épanouissement personnel ». On voit peu
de suivi engagé pour des cas de dyspraxie ou des troubles des apprentissages. C’est un
champ qui reste à explorer et à développer. Cela a été soulevé en réunion avec le
tuteur du projet Cameroun M. SCIALOM lors de son dernier voyage en février 2011.
Quelles indications pour la psychomotricité ?
Les indications, tout comme les lieux d’exercice de la psychomotricité, vont
s’étendre avec le temps. Il faut que la psychomotricité se fasse connaître. Le contenu
de la formation, pour les étudiants, est de plus en plus varié par rapport aux
populations cibles et aux indications en psychomotricité. Lorsque les psychomotriciens
camerounais, après quelques années de travail sur le terrain, reviendront dans
l’enseignement, ils pourront étoffer le contenu du programme pédagogique en
fonction des pathologies rencontrées localement.
L’équipe pluridisciplinaire un point d’encrage au travail du psychomotricien ?
En France, les psychomotriciens font tout leur possible pour mettre en exergue
leur identité au sein de l’équipe soignante. Par exemple, à l’hôpital, il arrive que le
psychomotricien ne mette pas de blouse blanche pour se dissocier de l’équipe
soignante. Au Cameroun, pour l’instant, les psychomotriciens, qui sont en phase
d’intégration progressive aux équipes soignantes, auront un important travail à faire
pour appuyer leur identité à part entière. Les étudiants doivent porter une tenue
bleue42, blouse courte et pantalon. Le fait de porter une blouse pour les
psychomotriciens dépend plus de la décision de l’institution dans laquelle ils
travaillent. On voit en France, des structures dans lesquelles les psychomotriciens ont
bien du mal à se faire reconnaître et à travailler en lien avec les autres professions,
alors le chemin est encore long pour le Cameroun qui évolue vite, néanmoins.
Lorsque j’ai questionné les professionnels camerounais en novembre 2010, ils
travaillaient majoritairement à leur compte. Aujourd’hui, ils sont un peu plus
nombreux à être salariés. Toutefois, leur intégration au sein d’une équipe
42
Illustration de la couverture du mémoire.
71
pluridisciplinaire ne va pas être simple et ne se fera pas en quelque mois. Il s’agit de
savoir quelle place le système de santé camerounais et les mentalités sont prêts à
laisser à la psychomotricité.
La prescription médicale influence-t-elle la qualité de pratique ?
L’utilisation de la prescription médicale est en nette progression depuis ces
dernières années. Maintenant que le Ministère de Santé camerounais reconnaît
officiellement la psychomotricité et son école, ils vont légiférer la pratique
psychomotrice, si ce n’est pas déjà fait. Au début, n’étant pas encadrés par une loi et
étant méconnus du corps soignant, les psychomotriciens avaient plus de liberté. Mais
suite à l’installation de « charlatan » et l’influence de la pratique française, l’utilisation
de prescription médicale s’est instaurée au Cameroun.
Toutefois, on peut remettre en question la validité d’un tel travail de recherche
dans un processus aussi dynamique, en perpétuelle mutation. Effectivement, tout au
long de mon travail, des changements n’ont cessé de s’opérer. Je présente donc, ici, un
état des lieux, une photo à un instant « T » de ce que peut être la psychomotricité au
Cameroun. Il serait très intéressant de refaire une recherche de cet ordre d’ici
quelques années, une fois le contexte un peu plus stable, pour voir si l’existence d’une
ethno-psychomotricité se confirme.
2) Contexte de la centralisation des résultats, problèmes rencontrés
Lors de mon travail de recherche, la collecte des réponses au questionnaire s’est
révélée aussi importante que les réponses obtenues. En effet, j’ai procédé par courrier
électronique et je me suis arrangée pour que les étudiants puissent avoir accès à
Internet, par le biais des psychomotriciennes françaises sur place, du secrétariat de
l’IPPR ou encore par des étudiants français qui ont fait des aller/retour entre Paris et
Douala. J’ai fonctionné de manière identique avec les étudiants parisiens.
J’ai reçu dix réponses d’étudiants français interrogés en deux semaines à peine. J’ai
eu la première réponse des étudiants camerounais trois mois après leur avoir envoyé
les questionnaires. Je me suis posée la question de leur réelle motivation à s’impliquer
dans un projet de recherche sur la psychomotricité dans leur pays.
Au premier abord, j’ai été déçue de la passivité et de la réaction des étudiants
camerounais. Il a fallu cinq mois d’attente, des relances multiples par différents biais
(psychomotriciennes françaises, directrice de l’école, coordinateur du projet et
étudiants). M’étant investie personnellement, j’ai trouvé que ne pas répondre
72
catégoriquement et sans justifications était une réaction agressive. Je ne comprenais
pas. Puis, je me suis demandée pourquoi j’étais déçue et pourquoi cette réaction me
touchait autant. En dehors du fait que l’échéance du rendu de mémoire de fin d’étude
approchait à grands pas. J’ai réalisé que je ne devais pas être déçue, contente ou pas
des résultats, je devais raisonner sereinement avec plus de distance. Il s’agit de
résultats scientifiques à analyser sans jugement de valeur. Après tout, une absence de
résultat est déjà un résultat en soi. Je me suis donc appliquée à chercher les
différentes hypothèses qui pouvaient expliquer cette réaction de leur part. Je devais
prendre de la distance avec ce que j’avais vécu sur place dans le cadre de la mission
humanitaire. Cela m’a conduite à m’interroger sur nos motivations à nous,
Occidentaux, et plus précisément étudiants de l’ISRP, quand on part au Cameroun.
Y-a-t-il une dette entre nos deux pays ? Si oui dans quel sens ? On peut parler je
pense, d’une dette réciproque. La dette de l’Afrique, mais aussi celle de la France pour
avoir colonisé et exploité les ressources primaires du Cameroun. Que reste-t-il chez
nos générations de l’idée de la colonisation de nos pères ? Que recherchons-nous dans
une mission humanitaire ? Je pense que le passé commun de nos deux civilisations ne
peut être écarté. La colonisation et l’esclavage, restent présents dans notre
inconscient. Il reste dans la culture camerounaise une certaine amertume face à la
France. Et je pense qu’il y a dans notre bénévolat un certain désir de réparation. Cette
réciprocité n’est pas neutre dans la relation. Le traité de Versailles43 (1919), qui fixait
les conditions de la paix, entérina le partage franco-britannique du Kamerun44, mais le
Cameroun français ou oriental cessa d'être une colonie française en 1922 pour devenir
un «territoire sous mandat de la Société des Nations» confié à la France. Dans les faits,
le Cameroun français (les quatre cinquièmes du territoire) fut administré comme une
colonie française ordinaire et le Cameroun britannique ou occidental (le cinquième du
territoire) fut intégré au Nigeria en tant que colonie anglaise. Chacun des
colonisateurs marqua «son» Cameroun de son empreinte, en imposant soit l'anglais
soit le français. Les français ont été beaucoup plus durs avec les peuples camerounais.
Alors que les anglais permettaient l’apprentissage des langues ethniques, les français
ont interdit les langues autres que le français à l’école. Cette façon de procéder, par la
force, en tentant d’imposer la culture française à un pays possédant déjà ses propres
cultures peut laisser des traces dans l’inconscient de la société actuelle. A plus petite
échelle, on peut évoquer la relation entre l’IPPR et l’ISRP. En effet, un partenariat est
43
http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/cameroun.htm
44 Orthographe d’origine citée dans le traité de Versailles.
73
instauré entre les deux écoles, entre les deux pays, depuis quatre ans. Mais sans
l’intervention de l’ISRP, l’IPPR ne se serait peut être pas aussi vite ni aussi bien
développée.
Je me suis posée la question d’une éventuelle peur de l’échec, peur de ne pas
répondre correctement. Ils ont mis beaucoup de temps pour y répondre, voire pas du
tout. Je me suis également rappelée qu’après l’enthousiasme dont ils avaient fait
preuve lorsque je leur ai annoncé le sujet de mon mémoire, ils s’inquiétaient un peu de
lire ce que j’allais écrire sur eux.
La problématique temporelle correspond aux observations que j’ai pu faire sur leur
gestion du temps et l’ordre de leurs priorités. Ce n’est pas facile pour nous,
Occidentaux, qui vivons dans l’urgence de concevoir une certaine lenteur de
réalisation. Cela nous paraît lent par rapport à notre point de vue et nos priorités.
Cependant, si la dimension culturelle de la perception et de l’utilisation du temps n’est
pas à négliger, je pense qu’il est possible que d’autres hypothèses entrent en jeu.
La question de la motivation et la distance sont à prendre en compte (l’étude a été
réalisée à plus de 6 000 kilomètres). Il est difficile d’anticiper les conséquences ou les
tenants et aboutissants lorsqu’on participe d’aussi loin à un projet. En outre, j’ai choisi
mon sujet de mémoire sans leur demander leur avis et certain n’avaient peut-être tout
simplement pas envie que je parle d’eux. Malgré les avancées considérables
observables à Douala, on constate tout de même une certaine fragilité dans la réalité
des choses.
Bien que j’aie envoyé une trentaine de questionnaires aux étudiants français, dix
m’ont répondu rapidement, ce qui suffit pour mon étude. Sur neuf étudiants de l’IPPR,
six seulement ont répondu, ce qui fait deux tiers, alors qu’un tiers des étudiants
français m’a répondu. Dans notre promotion à l’ISRP, nous sommes 156 étudiants. Si
un tiers des étudiants participe à un projet donné, cela fait quand même plus d’une
cinquantaine d’étudiants investis. A l’IPPR, ils ne sont que neuf étudiants en troisième
année, l’on attend d’eux d’être particulièrement irréprochables en raison de leur petit
nombre. En effet, lorsque trois étudiants refusent un projet cela fait déjà un tiers des
étudiants en moins…
74
3) Le devenir du partenariat ISRP/IPPR :
Suite à la dernière réunion à Douala le 22 février 2011, un courrier a été adressé au
chef de la division de la coopération au ministère de la santé publique. Le but étant de
faire un bilan des objectifs atteints et des nouveaux objectifs à fixer, sachant que cette
coordination de M. Scialom a pour but, depuis 2007, d’assister Sœur Catherine
Dominique dans le développement et l’organisation de l’IPPR.
Au niveau de l’enseignement, la formation atteint un bon niveau d’autonomie. Les
étudiants progressent et sont bien suivis par une équipe pédagogique qualifiée. A
l’occasion du séminaire international, sur le thème de la psychomotricité aux différents
âges de la vie, a eu lieu la cérémonie de remise officielle des attestations de formation
des douze premiers psychomotriciens camerounais. Ces attestations sont cosignées
par l’IPPR-OIPR. Ces premiers psychomotriciens ont trouvé des débouchés
professionnels dans différents secteurs (VIH, exercice libéral, hôpital psychiatrique,
centres pour enfants handicapés). Parmi eux, deux sont les premiers enseignants de
l’IPPR. Avec la participation de sept étudiantes de l’ISRP et de deux professionnelles
françaises durant cette année universitaire, de nouveaux étudiants prochainement
diplômés pourront être formés à l’enseignement. Il faudrait toutefois accentuer
l’entraînement inter et intra promotions, la verbalisation des projets thérapeutiques et
varier le contenu des séances de façon plus créative et adaptée à la culture
camerounaise.
L’IPPR est un institut de formation bien structuré. L’équipe pédagogique gère
efficacement l’organisation générale de l’école. L’équipement informatique est utilisé
à bon escient, la bibliothèque propose des ouvrages spécialisés et le règlement
intérieur est clair et appliqué.
Cependant, il faudrait nommer un responsable coordinateur de l’ensemble des
stages. En effet, pour l’instant c’est Adeline qui s’en charge, elle passe sur les lieux des
stages des étudiants à peu près une fois par mois. Elle quitte l’école à la fin de l’année
scolaire. La question de sa succession se pose car le suivi pédagogique des étudiants
pendant leurs stages est fondamental.
Afin de créer de nouveaux outils propres au Cameroun, un projet de recherche est
évoqué depuis quelques temps déjà. Un objectif de recherche potentiel serait d’établir
un étalonnage des âges de développement psychomoteur, dans un premier temps
pour les enfants de 0 à 3 ans. Pour cela, il faudrait nommer un coordinateur
enseignant et des stagiaires de première année en maternité et en crèche. En effet,
75
cela fait plusieurs années déjà que le Cameroun n’a pas d’outil pour évaluer le
développement de l’enfant. Plusieurs observations ont pu montrer que les enfants
camerounais ne se développent pas de la même façon ni à la même vitesse que les
enfants français. Donc les échelles de développement n’ont pas de valeur significative
au Cameroun. Il serait également intéressant de renforcer l’ancrage de la
psychomotricité dans les maternités, la prévention pour les prématurés et la guidance
dans les relations précoces mère-enfant.
Le centre thérapeutique annexé à l’IPPR est un lieu de soins et de stages. Le suivi
des patients est régulier. Les différentes observations et évolution se rapportant au
bilan psychomoteur pourraient être différenciées des observations cliniques
quotidiennes. Il pourrait également être intéressant d’étoffer l’éventail des
orientations psychomotrices possibles, vers les difficultés scolaires, par exemple. Ce
centre pourrait être l’occasion d’intégrer des thérapeutes d’autres professions
complémentaires tels que les orthophonistes ou les kinésithérapeutes. Une stagiaire
éducatrice de jeunes enfants a fait un stage de six mois au centre de l’IPPR, ceci a
permis une révision de l’organisation de la journée mais aussi une affirmation de
l’identité du psychomotricien bien distincte de celle de l’éducatrice.
En conclusion de ce bilan, des progrès exponentiels ont été accomplis en trois ans
et demi pour atteindre un bon niveau d’autonomie, de professionnalisation et de
formation. L’envoi d’étudiants français n’est plus indispensable et se situe aujourd’hui
à un niveau d’échange réciproque. La décision d’arrêter ou de poursuivre le
programme doit être prise au plus tard fin avril 2011 par l’IPPR. Il est discuté en ce
moment d’une fusion potentielle avec le PEA « penser le corps africain » pour l’année
universitaire prochaine. Des rendez vous seront prochainement pris avec la présidente
de ce PEA afin d’évoquer les objectifs que nous pourrions fixer ensemble.
Malgré ses efforts et ses progrès, le développement de la psychomotricité à
l’échelle du pays dépend de la place que lui laissera le système de santé.
4) Système de santé camerounais : est ce que l'État est prêt à laisser
une place à la psychomotricité ?
Quelle est la place de la psychomotricité dans le système de santé camerounais
actuel ? On remarque une répartition inégale des services médicaux dans le pays et se sont les zones enclavées du Grand Nord et de l'Est du pays qui en pâtissent le plus. Le
76
Cameroun bénéficie d’un potentiel significatif en structures sanitaires, dont
l’organisation générale s’appuie sur le cadre suivant45 :
- Un niveau central qui comprend les services centraux du Ministère de la Santé
Publique.
- Les hôpitaux qui regroupent des établissements publics administratifs :
o L’hôpital Général de Yaoundé
o L’hôpital Général de Douala
o L’hôpital de Gynéco obstétrique pédiatrie
o Le centre hospitalier universitaire (CHU)
- Des services rattachés :
o L’hôpital central de Yaoundé
o L’hôpital Jamot de Yaoundé
o L’hôpital Laquintinie de Douala
- La province, qui comprend :
o Une délégation provinciale de la santé publique
o Un hôpital provincial ou assimilé (il y a actuellement au Cameroun dix
délégations provinciales de santé publique)
- Le district de santé :
Il y a actuellement au Cameroun 143 districts de santé. La population d’un district
de santé varie entre moins de 50 000 habitants et plus de 150 000 habitants. Un
district de santé peut couvrir plusieurs entités administratives limitrophes. Il
correspond à un ou deux arrondissements dont il épouse les limites administratives. Il
ne doit en aucun cas être à cheval sur deux arrondissements ou deux départements.
45 http//:www.info.worldbank.org/.../Cameroun/Cadre%20organisationnel%20existant.doc
77
- Un département peut comprendre un ou plusieurs districts de santé :
o Un service de santé,
o Un hôpital de district (il y a actuellement 130 hôpitaux de district et
191 hôpitaux de district assimilés au Cameroun)
o Des services et structures de santé publiques ou privées
o Des structures de dialogue et de participation communautaire
Il y a actuellement au Cameroun 1 298 aires de santé et 1 690 centres de santé.
Comme cité plus haut, la corruption est un fléau au Cameroun, notamment dans le
domaine public. Ainsi, il y a d’autres paramètres à prendre en compte pour
l’implantation de la psychomotricité dans le système de santé camerounais. D’autant
que dans un pays comme le Cameroun, où en 2000, 48 % de la population46 vivait en
dessous du seuil de pauvreté, on peut se demander si la psychomotricité est une
nécessité ou un luxe.
En conclusion, il existe bel et bien un espace théorique pour la psychomotricité.
Des centres existent mais les différents membres du corps soignant sont-ils prêt à lui
laisser une place ? Serait-il concevable qu’un jour la psychomotricité puisse faire le lien
entre les tradi-praticiens et la médecine occidentale ? Est-ce que le Ministère de la
Santé débloquera les budgets nécessaires aux créations de postes ? Seul l’avenir nous
le dira. En France, l’essence même de la psychomotricité est difficilement perceptible
par le grand public. Il ne saisit parfois pas ce travail de lien entre le corps et l’esprit et
ce, en raison de l’importante dichotomie qu’il existe entre le soma et la psyché dans
notre culture. L’extrême rapidité du développement de cette pratique au Cameroun
montre que ce cloisonnement est moindre. La psychomotricité arrivera-t-elle à se faire
une place au Cameroun et sera-t-elle reconnue comme une discipline locale ?
46 https://www.cia.gov/cia/publications/factbook/geos/cm.html#Econ.
78
CONCLUSION
La psychomotricité, malgré des spécificités culturelles, reste internationale et
accessible à tous, à condition d’être réellement à l’écoute des patients. Au-delà des
spécificités culturelles, de l’histoire de chaque patient et de chaque thérapeute engagé
dans la relation thérapeutique, la psychomotricité prend à la fois en compte la culture
de chacun et en même temps la globalité du sujet.
Aujourd’hui, la psychomotricité au Cameroun est en plein essor. Il reste encore des
choses à faire mais il faut laisser du temps au temps. Nous avons pu voir à travers ce
travail, comment les camerounais gèrent le temps et, s’ils sont souvent en retard au
quotidien, ce n’est pas le cas pour la psychomotricité. Je souhaite de tout cœur que ce
partenariat fructifiant entre l’ISRP et l’IPPR continue et permette à d’autres étudiants
de vivre cette expérience tant enrichissante sur le plan professionnel qu’humain.
J’ai, pendant ma formation, étudié l’histoire de la psychomotricité en France, les
différents courants qui l’ont influencé, les difficultés de la création d’un diplôme, la
mise en place d’écoles et la difficulté d’insertion d’une nouvelle profession au sein des
équipes médicales, paramédicales et éducatives. En arrivant à Douala et en discutant
avec les étudiants, les « diplômants »47 et la directrice, j’ai été fascinée par le fait que
tout ce que j’ai appris sur l’histoire de la psychomotricité, ils sont en train de le vivre.
Ils écrivaient leur histoire. En effet, dans 50 ans, ce sont ces pionniers de la
psychomotricité camerounaise que les jeunes élèves étudieront en cours. Je trouve
cela incroyablement grisant et vertigineux de jongler ainsi avec l‘avenir et le passé.
Malgré tous les problèmes auxquels les précurseurs sont immanquablement
confrontés, ils restent motivés et je suis admirative de leur force de caractère et de
leurs convictions. Ils appellent cela de la foi, moi, l’espoir…
47
En train d’être diplômés, n’ayant pas encore validé, le mémoire.
BIBLIOGRAPHIE
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- WINNICOTT. D, (1971, traduction 1975), Jeu et réalité, Ed. Gallimard.
ANNEXE 1 :
ORGANIGRAMME DE L’IPPR RENTRÉE SCOLAIRE 2010
ANNEXE 2 :
RÉCAPITULATIF CHRONOLOGIQUE DE L’HISTOIRE DE L’IPPR
ANNEXE 3 :
TABLEAU 1 : RÉCAPITULATIF DES TROIS GROUPES CONCERNANT LE TEMPS
ÉTUDIANTS CAMEROUNAIS (7)
ÉTUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)
Horaires difficiles à respecter pour le patient et le stagiaire. Découpage des séances en 3 temps utilisés par la moitié des étudiants. L’autre moitié s’adapte au patient et sa problématique. Durée et fréquence des séances : 45 minutes 2 fois par semaine. Bilan réalisé en deux séances environ.
Horaires respectés, marque de professionnalisme et garant du cadre thérapeutique. Découpage des séances en 3 temps systématique, les rituels diffèrent. Durée et fréquence des séances : 30-45 minutes 1 à 2 fois par semaine. Bilan réalisé en deux ou trois séances, environ 1h30 sans compter le temps de cotation et de rédaction.
Horaires difficiles à respecter pour les patients donc nécessite adaptation au retard de 15-20 minutes en moyenne, surtout pour des raisons financières. Découpage des séances en 3 temps, systématique, les rituels varient. Durée et fréquence des séances : 45 minutes – 1 heure, 2 fois par semaine. Bilan réalisé en 2 heures sur deux séances.
ANNEXE 4 :
TABLEAU 2 : RÉCAPITULATIF DES TROIS GROUPES CONCERNANT L’ESPACE
ETUDIANTS CAMEROUNAIS (7)
ETUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)
Propre : non en majorité. Espace peu adapté mais adaptable. Peu de lieux de stage en hôpitaux, plus de cliniques privées ou d’associations. Le peu de rangements présents est justifié pour protéger le matériel des enfants.
Propre : mitigé mais oui pour une grande partie. Espace adapté. Lieux de stage dans une multitude de secteur privé et public. Rangement par thèmes et items psychomoteurs, pour éviter la sur stimulation et facilité l’accès.
Propre : oui et non mais très peu adapté. Peu de lieux de travail en hôpital. Plus de centre, de « libéral ». Peu de rangement sinon sur étagères, ou armoires.
ANNEXE 5 :
TABLEAU 3 : RÉCAPITULATIF DES PRINCIPALES INDICATIONS ET POPULATION AU
CAMEROUN ET EN FRANCE
ETUDIANTS CAMEROUNAIS (7)
ETUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)
Nouveau né : 1 Enfant : 5 Adolescent : 1 Adulte : 1 Personne âgée : 2 Trouble psy : 4 Trouble moteur : 5
Nouveau né : 1 Enfant : 7 Adolescent : 2 Adulte : 5 Personne âgée : 2 Trouble psy : 8 Trouble moteur : 4
Nouveau né : 1 Enfant : 5 Adolescent : 0 Adulte : 3 Personne âgée : 4 Trouble psy : 4 Trouble moteur : 4
ANNEXE 6 :
TABLEAU 4 : RÉCAPUTILATIF DE L’UTILISATION DES OUTILS EN PSYCHOMOTRICITÉ
DANS LES TROIS GROUPES
ETUDIANTS CAMEROUNAIS (7)
ETUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)
Peu de matériel ni qualitatif, ni quantitatif mais couvre tous les domaines. Beaucoup de stimulation sensorielle. Transport à leur frais. Achat : par le stagiaire ou les familles (parents), parfois par la structure. Médiations : très pauvre.
Matériel très varié et très utilisé. Un peu moins de motricité fine par rapport aux autres items. Standardisation du matériel. Peu de transport en stage. Sinon voiture de fonction. Achat par la structure et parfois le psychomotricien de l’institution. Médiations : multiples et variées, beaucoup d’expressivité, et stimulation sensorielle
Peu de matériel, mais couvre tous les domaines (un outil par item presque) travail sur la motricité fine et le dessin important. Transport à leur frais. Achat : peu par la structure, principalement par le psychomotricien ou la famille. Médiation : relaxation et toucher thérapeutique quasi unique médiation. Mais commencent à se développer : danse, musique, mime… reste pauvre.
ANNEXE 7 :
TABLEAU 5 : RÉCAPITULATIF DE LA PLACE DES TROIS GROUPES AU SEIN DE L’ÉQUIPE
PLURIDISCIPLINAIRE
ÉTUDIANTS CAMEROUNAIS (7)
ÉTUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)
Travail en équipe peu développé. Surtout pour l’organisation du partage du temps et des salles.
Travail en équipe indispensable en France.
Beaucoup travaillent seuls, sauf compte rendu au supérieur quand il y en a un. Un seul est vraiment intégré dans une équipe pluridisciplinaire.
ANNEXE 8 :
TABLEAU 6 : RÉCAPITULATIF DU TRAVAIL SUR PRESCRIPTION MÉDICALE DANS LES
TROIS GROUPES
ÉTUDIANTS CAMEROUNAIS (7)
ÉTUDIANTS FRANÇAIS (10) PROFESSIONNELS CAMEROUNAIS (6)
Oui et non Oui Non