Post on 17-Mar-2016
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Aponi, la filleetdu chaman
Sophie-Luce MorinIllustrations de Julie Besançon
À Alain Stanké, pour son amitié et sa bonne humeur contagieuse
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Mon nom de famille est Papillon, comme des milliers
de Québécois et de Français. Mes parents
auraient pu me prénommer Petra, Pétronille
ou Pétula. Mais ils ont choisi Petaluda,
qui veut dire « papillon », en grec. Autre
ment dit, je m’appelle Papillon Papillon.
Avec un nom pareil, pas étonnant
que j’adore les papillons ! D’ailleurs, si ce
n’était que de moi, des papillons, il y en
aurait partout. Je trouve qu’il n’y a rien
de plus beau au monde, de plus gracieux
qu’un papillon.
Mon père me faisait remarquer que
le mot papillon est beau en luimême
et pas seulement en français. En anglais,
on dit butterfly ; pas mal. En allemand :
schmetterling, wow ! Et en russe, babochka,
presque comme babouchka, qui veut dire
grandmère et qui est un des seuls mots
russes que je connaisse.
Estce ma passion pour les papillons
qui m’a amenée à faire la rencontre d’un
monarque bien spécial ? Je ne saurais le
dire. Mais grâce à lui, je parcours le monde.
Je rencontre des gens formidables d’autres
cultures et d’autres époques, et j’apprends
à parler d’autres langues.
Je t’invite à me suivre dans mes aven
tures, et à partager avec moi ces grands
moments de bonheur.
Petaluda Papillon
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Chapitre premier
Surprise !
Loïc Bégin retourna à son pupitre pen
dant que toute la classe l’applaudissait.
— Merci, Loïc, de nous avoir si bien
renseignés sur les avions, dit madame
Thomas.
D’un geste machinal, l’enseignante
repoussa ses lunettes du bout de son
index, puis annonça :
— C’est maintenant au tour de Petaluda de venir nous parler
des papillons.
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Petaluda se leva de sa chaise et
s’avança dans l’allée jusque devant la classe.
Son cœur battait la chamade comme si elle avait couru très, très vite et
qu’elle s’était arrêtée net.
Les exposés oraux la rendaient tou
jours anxieuse.
— Astu déjà raté un examen oral ? lui
avait demandé sa mère, au déjeuner.
— Non, avait répondu Petaluda.
— Alors, selon toutes probabi-
lités, tu devrais réussir celui-là aussi. D’autant que tu connais ton
texte sur le bout des doigts pour l’avoir
répété devant nous au moins dix fois.
Ne t’en fais pas, l’avait encore rassurée
sa mère en lui caressant les cheveux.
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— Tu veux que je te donne un petit
truc pour réduire ton trac ? avait ren
chéri son père.
Petaluda avait acquiescé de la tête
en avalant sa bouchée de pain tartiné de
chocolat.
— Tu fixes un point, n’importe
quoi, droit devant toi. Ensuite, tu com
mences à parler. Tu ne lâches pas ton point tant que ton trac n’a pas disparu. Essaie. Tu vas voir : ça
marche !
Devant la classe, Petaluda avait les
jambes toutes molles. Elle prit une grande
respiration et fixa le mur devant elle. Son
regard se réfugia dans l’œil globuleux du
cyclope que Scott Ferguson, un autre
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élève de la classe, avait dessiné au der
nier cours d’art plastique. Sans attendre
plus longtemps, Petaluda se lança :
— Depuis que je suis toute petite,
je m’intéresse aux papillons.
Voilà pourquoi, quand madame Thomas
nous a demandé de préparer un exposé
sur un sujet qui nous passionnait, je n’ai
pas hésité une seconde.
Elle prit de nouveau une bonne bouf
fée d’air avant de poursuivre :
— Mon objectif, cet aprèsmidi, sera donc
de partager avec vous mes connaissances sur
les lépidoptères — c’est ainsi que l’on
nomme les papillons en zoologie.
Son père avait bien raison. Plus Petaluda
parlait, plus elle sentait son trac s’estomper.
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Si bien que quand elle fut plus sûre d’elle,
elle émergea de l’œil du monstre. C’est à
ce moment précis qu’elle vit s’introduire
dans la classe, par la fenêtre entrouverte,
celui qu’elle espérait depuis très long
temps : Shaka !Gracieusement, le monarque vola
vers elle, devant vingtsept bouches
béantes d’étonnement.
Les élèves, renversés, peinaient à res
ter assis sur leur chaise. Les « oh ! », les
« ah ! », les « wow ! » et les question
nements fusaient de partout dans la pièce :
— C’est ton papillon, Petaluda ?
demanda Nelly.
— Tu l’as apprivoisé ? renché
rit Boris.
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— Tu crois qu’il pourrait venir se
poser sur ma main ? l’interrogea Orlando.
— Où estce que tu l’as acheté ? s’in
forma Chloé.
Petaluda, qui était aussi étonnée que
tous les autres élèves de la visite imprévue
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de Shaka, ne savait plus trop quoi dire. Voilà
que le trac commençait à la reprendre.
— Peutêtre pourraistu nous présenter
ton invitésurprise ? proposa l’enseignante,
qui avait remarqué la nervosité de son élève.
— Oui… Bien sûr… Je vous pré
sente mon ami Shaka, balbutia la fillette.
D’un coup sec, le magnifique papillon
déploya ses ailes et virevolta pendant
quelques minutes à travers la classe. Il
alla ensuite se poser sur le pupitre de
madame Thomas, qui eut un léger mou
vement de recul.
Petaluda poursuivit timidement :
— Comme tous les monarques, Shaka
fait partie de la famille des nympha-lidés. Il est cependant d’une espèce
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différente et très rare : celle des colossus
violaceus.
De fil en aiguille, la fillette en vint à
raconter aux élèves comment elle avait
fait la connaissance de Shaka. Elle leur
parla ensuite du livre sur les civilisations
anciennes du Mexique. De la tablette. De
l’application Grandir/Rapetisser. De leur voyage à Toltenoc. De la prin
cesse Itzel et de son cousin Aramz. Des
petits dieux en chocolat. De la bague...
Elle leur confia également que toute
cette aventure avait été rendue pos
sible grâce à un règlement en vigueur dans sa famille. Un règlement
établi par ses parents et qui interdisait à
Petaluda de passer plus de trente
minutes par jour devant l’écran de
l’ordinateur.
— « Va jouer dehors ! Va jouer dehors ! C’est bien meilleur pour la
santé ! » Voilà ce que me répètent tout
le temps mes parents ! avoua Petaluda.
— Ah, wow ! Ce que tu peux être
chanceuse ! s’exclamèrent les élèves, qui
mouraient d’envie de vivre, eux aussi, des
aventures aussi passionnantes que celles
de Petaluda.
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Chapitre deuxième
Une invitation pour un voyage à Apopewak
— Grâce à votre visitesurprise, mon
sieur Shaka, j’ai décroché une note parfaite pour l’originalité de ma pré
sentation ! déclara fièrement Petaluda,
qui marchait maintenant en direction de
sa maison.
— On les a bien impression-nés, hein ? Ça va peutêtre leur don
ner l’idée d’aller jouer dehors ! blagua
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le papillon qui virevoltait autour de la
fillette.
— J’étais si émue de vous revoir, tout
à l’heure. Depuis notre premier voyage
à Toltenoc, je n’ai pas cessé de rêver à
notre prochaine destination. D’ailleurs,
en parlant de Toltenoc, vous savez que
la princesse Itzel m’a envoyé une lettre que j’ai reçue pas plus tard
qu’hier et dans laquelle elle prend de
vos nouvelles et des miennes ? Vous ne
pouvez pas imaginer à quel point j’étais
excitée quand j’ai trouvé son enveloppe
dans la boîte aux lettres.
— Estce que la princesse nous donne
des nouvelles de sa mère ? demanda
Shaka.
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— La reine est complètement rétablie. Et le roi est finalement
rentré. Selon Itzel, le royaume n’a jamais
été aussi florissant. C’est comme si c’était
Pâques à longueur d’année avec ces dieux
en chocolat qui se vendent comme des
petits tamales chauds !
— Je constate que tu retiens bien les
mots que les Toltens t’ont appris ! Bravo !
Que dirais-tu, cette fois-ci, d’aller au pays des Amérindiens,
plus précisément à Apopewak ? proposa
Shaka. C’est là que vivent le chaman Tekoa et sa fille Aponi.
— Un chaman, estce que c’est un roi ?
— En quelque sorte, car il est le chef
de sa communauté. C’est à lui que sont
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confiées des fonctions capitales pour assu
rer le bienêtre de son peuple, comme celle
de négocier avec d’autres tribus ou celle de soigner les malades. C’est en ce sens que l’on peut dire que
le chaman est un roi. Mais c’est un roi
humble : il n’habite pas dans un château,
et n’a pas besoin de porter de couronne
ou quoi que ce soit d’autre qui l’élèverait
audessus de ses pairs.
— Mon père dit souvent que ce ne
sont pas ceux qui possèdent le plus d’ar
gent ou de biens qui sont les plus riches.
Ce que vous me racontez à propos du
chaman ne revientil pas à dire cela ?
— Tout à fait. Les plus riches, à mon avis, sont ceux
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qui possèdent la connais-sance de ce qui les entoure, comme
la nature, les animaux et les humains. En
cela, même si le chaman ne possède pas
d’argent et peu de biens, il est riche.
— Vous m’avez vraiment donné
la piqûre, monsieur Shaka. Quand
pourrionsnous partir ?
— J’ai pensé que nous pour-rions nous envoler demain après-midi, puisque demain, c’est
samedi et que tu n’as pas d’école. Si nous
nous donnions rendezvous en face du
vieux chêne, comme la dernière fois ?
Une fébrilité gagnait peu à peu
Petaluda, qui se tenait sur un pied, puis
sur l’autre.
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— Après le dîner ? l’interrogeatelle.
— À treize heures tapantes, ce serait
parfait pour moi.
— Je n’oublie pas la tablette, bien
entendu !
— Tu as tout compris ! Et habille-toi chaudement parce qu’il com
mence à faire un peu froid à cette période
de l’année dans ce coin de pays, conseilla
le papillon.
— Que voulezvous dire par « un peu
froid » ? Estce que je prends mon man
teau d’hiver ? Mes gants ? Ma tuque ? Mes
bottes ? demanda Petaluda, un peu confuse.
— Disons qu’un coupevent, un bon
chandail de laine, un pantalon, des bas et
de bonnes chaussures devraient suffire.
Si jamais il se mettait à neiger, Aponi pourrait te procurer des vête-ments chauds, j’en suis certain. Elle a ton âge, tu sais, et à peu près la
même taille que toi…
— C’est noté. J’ai si hâte à demain, Shaka !
— Moi aussi ! À demain, Petaluda !
Shaka fila dans le ciel, peut-être en direction de Cianan, le royaume des papillons…
C’est sur cette pensée que Petaluda
décida de passer à la bibliothèque de son
quartier avant de rentrer chez elle. Elle
y emprunterait tout ce qu’elle trouverait
sur les Amérindiens, histoire de préparer
son voyage du lendemain.
Pour en savoir plus sur le livre :
www.petaluda.com