Post on 16-Jun-2022
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Renforcé.e.s par nos camaraderies, la diversité de nos lieux de vie et par nosexpériences de luttes, nous souhaitons mettre en lumière nos positionscommunes contre la doxa du monde électrique. Nous amenons ici desarguments non exhaustifs, sans concession, afin de bousculer le climat
consensuel et participatif actuel, alimenté par leur transition énergétique. On avoulu donner un petit coup de pied dans la fourmilière des mouvements écolo.
Certaines scènes caustiques sont donc susceptibles de heurter le publicsensible. Néanmoins, toute ressemblance avec des personnes existantes ne
saurait être que fortuite. On a fait le choix de parler depuis ce qu’on est, de cequ’on porte et pas forcément depuis des livres et des références intellectuelles.Il ne faudra donc pas s’étonner de ne pas trouver de notes de bas de page qui
auraient alourdi la lecture. Nous avons fait le choix d’utiliser l’écritureinclusive en grande partie dans le texte. Le genre masculin a été délibérément
conservé pour nommer les figures des dominants et des gouvernants.
Nous vous souhaitons une bonne lecture complice.
« L’énergie est notre avenir, économisons-la », « Une électricité 100 % renouvelable, c’est possibleavec Enercoop », « Rejoignez Engie pour un monde bas carbone ».
On étouffe de votre énergie de partout, de tout le temps, on étouffe d’être là, pris.e.s dans vos câbleset vos lignes, votre bunker mental smart à chacun chacune instillé si subtilement, telle une applidans nos chairs. Votre pouvoir il coule, il est fluide, n’est-ce pas ? Comme vos autoroutes sontfluides, comme vos trains vont et viennent, vos datas circulent, c’est presque beau de loin, ça faitdes toiles d’araignées fluorescentes ou plutôt des constellations de LED. Tout un ordre, toute unehiérarchie, dont l’électricité est le cœur vibrant. Votre organisme, comme vous dites, dont vouschérissez tant la santé économique, il carbure à la centrale, au transformateur, il se dispatche. Etvous nous avez fait malgré nous les agents et opératrices obéissantes de ce monstre froid. Lecourant passe si bien entre vos administré.e.s. Et le black-out qu’on nous brandit comme ultimerisque industriel n’est peut-être que votre peur de voir votre créature s’éteindre d’un coup, et quevous vous retrouviez seuls, à la merci de celles et ceux qui se retourneront contre vous. C’est votrecauchemar ultime, votre pire scénario collapso. Pas étonnant que les théories d’effondrementintéressent autant le gouvernement. Votre société aurait-elle des airs d’île de Pâques ou de TwinTowers ? Il paraît que plus les réseaux sont complexes, plus ils sont fragiles. C’est ça non ? Eh benc’est maintenant, et vous avez la trouille.
Le désastre, les pandas, moiet les autres
On sait toutes et tous qu’on court à notre perte,qu’on va être englouti.e.s par la montée deseaux. Cette peur taraude Linda, 16 ans et tousses copains. Sa plage favorite où elle vientmanger des glaces italiennes au quatre heures,dans son beau bikini bleu à paillettes vadisparaître, et la cabane à gaufres avec. Elleangoisse de ce monde, de la mort des bébéspandas et de la fonte des glaces. Elle en parlesur Instagram avec toutes ses amies, tous lessoirs. Elle twitte « Trump est un con ». À partlui et son oncle, tout le monde reconnaît leréchauffement climatique.
Le désastre environnemental est clairementpalpable. On parle souvent du réchauffementclimatique, un peu moins des pollutionsgénéralisées de l’eau et des terres causées parl’extractivisme. On en parle quand même. Oncommence à savoir que le lithium extrait pourles batteries des voitures électriques zéroémission, pollue ; que l’extraction du graphiterend malades ses ouvrier.e.s, qu’ils et ellesattrapent la silicose, que les terres agricoles
deviennent arides. On sait que l’air estirrespirable à proximité des villes, mais aussiprès des centrales électriques au charbon.
Les problèmes environnementaux découlent del’obsession des firmes de l’énergie à creuser lessols, à excaver encore et encore, à pomper lesressources jusqu’à la moelle, à vider cetteplanète de son jus, comme une orange qu’onpresserait et presserait encore et encore parceque le jus d’orange est le marché le plus juteuxqui soit. Électrifier toujours plus, numériser àl’excès le sapin de noël planète Terre ! Çaclignote : Donuts, Coca, Caca ! Ça parle, çachante, c’est beau, c’est lumineux, c’est smart !C’est Walmart
Cannes à sucre, extraction etcolonies
Le désastre n’est pas qu’environnemental. Lemarché de l’énergie est détenu en grande partiepar des multinationales soutenues par les États.On nous vend le frigo connecté et l’aspirateurqui fait le ménage tout seul, masquant une plusâpre réalité. Celle d’un monde violent, hérité del’aventure coloniale du Nouveau Monde,dominé par les pratiques mafieuses de Gasprom,Areva, Chevron, Total, EDF, Engie et consorts.Les milices paramilitaires sont leur bras armé.On nous a longtemps occulté l’horreur de notrehistoire, celle du sexocide des femmes, de lacolonisation ou de l’esclavage ; de la haine del’autre et du sentiment de légitimité absolue quiguidaient les colons blancs, de leur soif depouvoir et de domination ; de leur obsessiond’asservissement sanguinaire pour l’or. On nousa endormi.e.s avec la berceuse de l’abolition del’esclavage et de la décolonisation.
On entend la voix de De Gaulle, crachotée parun transistor, pour l’autodétermination dupeuple algérien. On serait tenté.e.s de reléguer lacolonisation dans les oubliettes de l’histoire.Pourtant, la France continue de déployer sonarmée pour « pacifier » des territoires enAfrique. On a entendu parler des minesd’uranium au Niger, de la souveraineté nucléairefrançaise : de la fierté de ses centrales et de labombe atomique. L’extraction des métaux raresest en expansion et les prospections serépandent comme la peste à travers le monde.Des entreprises anglaises, australiennes,canadiennes exploitent des mines en Asie, enAmérique du Sud ou en Océanie. Le géantbrésilien Vale se gave du nickel des Kanaks enNouvelle-Calédonie.
Mais la colonisation forcenée par les entreprisesnord-américaines et européennes ne s’arrête paslà. Les mers sont de nouveaux territoires àconquérir et exploiter. La force des vagues et levent marin font bander la startup nation et tousces requins que sont les grandes industries del’énergie. Les territoires inhabités sont leursnouvelles terres de fantasmes : mini-centralesou îles artificielles au programme. Les sirènes,la baleine Moby Dick et Willy, l’orque aduléepar toute une génération d’enfants sont ledernier îlot de légende et de rêve qui nous reste.La lune n’échappe pas non plus au violgénéralisé de notre rapport sensible au vivant.Quand la Chine excave de la poussière lunaire,nos cœurs saignent. Nos flux menstruelss’arrêtent, et l’on hurle notre colère à la nuit.
20 h 12, Patrick et Gisèle, après avoir mangéun bon petit plat bio surgelé écoutent DavidPujadas annoncer le prochain reportage : “LaChine vient d’excaver de la matière sur la luneafin de l’analyser.” « Ils sont quand même fortsces Chinois », s’exclame Patrick. Gisèle n’estpas d’accord. « Je trouve qu’on va un peu troploin, là. Quand même la lune, tu te rendscompte ! On imagine les répercussions, lesmarées perturbées tout ça, quoi ! Même surnous, nos cheveux, ton ongle incarné, et mêmepour nous, les… femmes, quoi ! »
Far West, campagnes etconquête électrique
Cette conquête effrénée des territoiressubalternes ne s’est pas cantonnée à l’extérieurdes frontières de l’État. Pour répondre à laboulimie de ses organes vitaux, les villes, il afallu encore coloniser les terres à l’intérieurmême de son organisme. Avec moins de force etde violence, mais en répondant aux mêmeslogiques, il a fallu assujettir les campagnes.
L’aristocratie et les grands propriétaires terriensavaient déjà soumis, éduqué, taxé, dressé,marchandisé et standardisé les pratiques deculture. Ils avaient contraint à la mécanisation,détruit les sols, provoqué l’exode, brisé lescommunautés. L’écosystème naturel et social deces territoires périphériques n’avait plus lieud’être. Ils n’étaient même plus les organesannexes d’un cœur urbain, dont il s’agissaitd’assouvir la voracité de calories alimentaires.
Les campagnes n’avaient pas même eu le tempsde s’adapter à cette colonisation interne quiexigeait qu’elles réorganisent toute leur activitévers la production alimentaire à destination desvilles que déjà, ces dernières se découvraient unautre appétit. Un nouveau carburant, qui necroissait plus sur la terre, mais se cachait endedans. Le charbon.
Jaillissant des entrailles de la Terre en mêmetemps qu’elles les creusaient, voici surgir lescités ouvrières minières au beau milieu descampagnes. Achevant de prolétarisercultivatrices et fermiers, elles transformentpâtures en terrils et hameaux en ghettos. Au
milieu du XIXe siècle, elles absorbent leursvoisines, comme Le Creusot qui multiplie partrois sa superficie et par sept sa démographie.Emblèmes de l’organisation scientifique dutravail et de son industrialisation, les mines lesont hélas aussi du mouvement ouvrier. Alors,on préfère vite importer une main-d’œuvreimmigrée pour mieux la discipliner. Puis, encoremieux, on choisit l’extractivismenéocolonialiste, pour délocaliser au maximum
l’exploitation humaine et son administrationtrop coûteuse.
Mais quand les mines sortent par la porte,l’électricité rentre par la fenêtre. Après laproduction d’armes pendant la guerre, LeCreusot peut se reconvertir en fabriquant lespièces des centrales nucléaires. Le château de ladynastie Schneider qui exploita les minesdevient un « écomusée », et Schneider Electricrachète la branche distribution d’Areva.
La métastase électrique se répand, invasive,c’est le temps des couloirs de lignes Très HauteTension qui conquièrent les campagnes, dans lalignée de leurs aînées ferroviaires ettélégraphiques. Le territoire est quadrillé. Lescentrales, ces cathédrales modernes, s’imposentdans les espaces ruraux les plus disponibles ;quand les quartiers périphériques des grandesvilles voient s’ériger les transformateurs etdéchetteries industrielles et se déployer larépression policière. Ce sont toujours desouvrier.es qui sont exploité.e.s dans les usines,fabriquant et assemblant les pièces nécessairesaux infrastructures énergétiques, réduit.e.s à unsalariat misérable.
Il faut désormais rendre productives lesdernières « zones à faible densité de population». C’est notamment le cas du territoire de laMeuse et de la Haute-Marne, qui grâce à sesélus locaux et au lobby du nucléaire, est promucomme « pôle d’excellence nucléaire »spécialisé dans la gestion des déchets et duvieillissement des centrales. L’argent duGroupement d’Intérêt Public finance ainsi àhauteur de millions d’euros des dizaines deprojets liés à la filière nucléaire : maintenance,transport, logistique, formation, quand lesentreprises locales ferment les unes après lesautres sans être soutenues par cette instance,supposément « d’intérêt public ». EDF grandit,les usines crèvent.
Il faut acheter le consentement de la population,éduquer la génération nucléaire et convaincre dubien-fondé du projet. Pour cela les communesproches de Bure, village choisi pour être le lieud’implantation du projet Cigéo d’enfouissementdes déchets nucléaires, sont arrosées desubventions gérées par les élus des conseilsdépartementaux à travers les GIP. Celles-ciservent à équiper les bourgs de nouvelles sallesdes fêtes, lampadaires, trottoirs et autreséquipements urbains dont on peut largementdouter de l’utilité quand les commerces locauxferment les uns après les autres et que leterritoire se désertifie. C’est le temps del’accaparement des terres par EDF, auréolé de lamention « service public ». Depuis 2007 parexemple, l’Andra bâtit un empire foncierconsidérable grâce aux SAFER, évitant ainsi desprocédures d’expropriation trop longues, tropcoûteuses et néfastes sur le plan médiatique.
Le modèle agro-industriel et le remembrementavaient déjà optimisé les rendements agricolespour permettre de grignoter plus de terres. Il estdésormais temps de spécialiser les territoires :nucléaire, renouvelable ou tourisme de masse ?Des illusoires enquêtes publiques dans lesvillages jusqu’à la répression et les expulsionsen banlieue, tous les territoires sont désormaissubordonnés, destinés à assouvir ce cœur battanturbain affamé.
Perte des savoir-faire et desimaginaires, réductionnisme et
réalité augmentée : bienvenue àl’ubertranshumain !
Exode rural et accaparement des terres aidant,voici poindre les exploitant.e.s agricoles 2.0.Armé.e.s de drones à caméras et logiciels decalcul de la productivité pour chaque centimètrecarré de surface, ils et elles ne sont pluspaysan.ne.s, mais industriel.le.s. Les petit.e.sfermes n’existaient déjà plus, les moyen.ne.sdisparaissent. Les collèges de campagneproposent des visites de l’exploitation voisine.Vaches laitières par centaines, granules OGM etméthaniseur ou vignes, produits phytosanitaireset panneaux solaires ? « À chacun son segmentde marché, mon fils, tu choisiras quand tu serasgrand ! ». Ces industriels d’un nouveau genrenous vendent même l’écologie de demain. Ilssont si proches de la terre, dans leursusines 2.0 ! Ils exploitent chaque ressource àleur portée, sur leurs hectares à perte de vue.
L’extension des réseaux énergétiques est alléede pair avec une perte d’usages directs del’énergie mécanique et de manièreconcomitante, de savoir-faire et de connexionssociales. Lorsqu’il devient si simple d’actionnerun bouton, d’appuyer sur une pédale ou detourner la clef d’un engin, la traction animale,les moulins hydrauliques et à vent ne semblentplus avoir leur place, tout comme les métiers quigravitent autour.
Ce qu’on a aussi perdu avec l’arrivée del’électricité, c’est le sens de faire en commun,nos liens d’interdépendance. La machine les aremplacés dans les champs. On fait tout, seul.edevant son écran, assis.e sur son tracteur. On acréé des multitudes de solitudes à la place denos communautés. La centralisation de l’énergienous a fait perdre nos usages sociaux etcommunaux. S’il reste des agricultrices etmaraîchers qui entretiennent un rapport affectifet sensible à leurs bêtes, les grandes tablées desmoissons sont loin.
Les barrages hydroélectriques intègrent larivière au système électrique, à l’exclusiond’autres usages qui dessinaient toute uneorganisation sociale autour des bassins versants.Le meunier connaissait le cours d’eau ou levent, il s’adaptait à ses variations saisonnières etquotidiennes. Il connaissait les rouages internesde sa machine : le bois qui la compose, lerythme des meules adapté pour la mouture degrain désirée. Même s’il n’était pas du côté dupeuple, mais de ceux qui taxaient les récoltes,son savoir-faire s’est perdu. L’irrationalité decertains choix d’énergie, dont celui duremplacement de la force vive de l’eau par le
charbon en Angleterre au XIXe siècle, a deséclairages politiques. Bien que payant, ilincarnait par son aspect délocalisable etaccumulable, au plus proche des « gisements demain-d’œuvre », l’énergie parfaite pour dompterles prolétaires. Le charbon impose ainsi unrythme constant et régulier, quand lesfluctuations de l’eau rendaient les journées detravail irrégulières. C’est l’ajustement du tempset de l’espace à la temporalité continue de laproduction. C’est le temps de la « révolutionindustrielle », de la centralisation du travail dansdes usines pensées sur le modèle des prisons,véritables instruments de domestication,assurant hiérarchie et dépendances desouvrières. On pourrait dire la même chose del’électricité. Le macro-système électriquealimente des usager.e.s finaux lointain.e.s,passifs, atomisées dans leurs usines, logements,
bureaux où le travail est rythmé parl’interrupteur électrique, de plus en plusdispensable dans un monde de veille générale.
Thomas est ainsi complètement déconnecté desrythmes organiques et naturels, à ne plus savoiren quelle saison pousse la tomate puisquechaque jour, lorsqu’il se rend au supermarché,les étalages en regorgent. Pour traverser laville sur son vélo, il n’a qu’à demander à sonAssistant Personnel Virtuel de trouver lemeilleur itinéraire. Il n’est pas triste de ne plusutiliser sa connaissance de la ville, de ne plusse laisser surprendre par le hasard de larencontre en s’arrêtant demander sa route aupassant. Thomas n’a plus besoin de personne, ilest in-dé-pen-dant. Son Intelligence Artificielleapporte la réponse à toutes ses questions, luipermet de se faire livrer sa nourriture ou derencontrer l’amour. Thomas reçoit 15notifications par seconde. Sa vie est bienremplie. En étant noyé sous un fluxd’informations en continu, il est convaincu d’yprendre part, à ce monde, d’y être connecté. Ilpense même que la 5G c’est nécessaire, car ilpourra charger plus vite ses contenus vidéo et yaccéder en permanence depuis son machintechnologique, unique fenêtre sur son monde.
Le développement de l’électricité airrémédiablement changé notre rapport au tempset à la vitesse. On est endoctriné·es par lesconcepts d’efficacité et de rendement et on a finipar oublier ce que « prendre le temps »signifiait. Les flux incessants d’énergie etd’informations assurant la continuité de laproduction sont basés sur un temps unifié : il estla même heure à l’horloge des bourses dumonde entier. La seconde, définie par lavibration de l’atome de césium, est la plus petiteunité d’un temps disjoint des cycles cosmiques.On essaie de nous faire croire à l’idéal du tempsréel et unique : tout va toujours plus vite et doitaller plus vite. Il faut optimiser la moindreseconde. Les informations, actualisées enpermanence, sont tout de suite obsolètes.L’hétérogénéité des temps sociaux et despulsations du vivant est lissée, car seul comptele temps contrôlé et comptabilisé de l’activitéproductive. Peu importe que Thomas, lorsqu’ilappuie sur l’interrupteur, utilise l’énergieproduite par une tempête en mer du nord ou parune canicule en Espagne. Tout est relié, tout estindifférencié. Bien que notre lien au mondes’appauvrisse de jour en jour, que des formes devies disparaissent, le virtuel, lui, s’étend. Lapeur de la déconnexion ou du manque de réseaudeviennent les nouvelles angoisses deshumain·es toujours plus connecté·es. C’est quela numérisation du monde et les prothèsesqu’elle nécessite (smartphone, montreconnectée, capteurs) génèrent de nouvellesdépendances et modifient nos capacitéscognitives : ce sont ces machines qui désormaisnous permettent d’accéder au monde augmenté.L’humain est ainsi la nouvelle frontière àdépasser. Il n’est pas assez rapide, pas assezintelligent et justifie bien que l’on fasseconfiance à des machines pour penser, prédirece qui va arriver et prendre des décisions à notreplace. Après avoir colonisé nos imaginaires,l’énergie et ses réseaux s’attachent désormais àcoloniser nos chairs.
La biométrie avait servi de base à laphrénologie, aux théories racistes et à la policescientifique. Elle ouvre une voie vers laréduction des formes du vivant à leurscaractéristiques mesurables. L’ADN serait le« code » du vivant, permettant d’expliquertoutes ses caractéristiques. C’est dans cecontexte que le transhumanisme organise lafusion de l’humain avec la machine et le code.Les armées du monde occidental planchent surle soldat augmenté via exosquelette etopérations chirurgicales. Les investissementsmassifs de Google font converger I.A.,biotechnologies et nanotechnologies enréactualisant les vieux délires eugénistes. Onprétend nous augmenter, gommer nos défauts,on veut en fait lisser et contrôler ce qui restaitd’aléatoire et d’unique en nous. Cachée sous unvernis social, c’est bien d’une marchandisationde nos êtres dont il s’agit.
La déconnexion ultime, la mort, est le dernierterritoire à conquérir pour ces patronsrichissimes. L’immortalité sera offerte (ouvendue) aux plus méritants sur l’autel de lascience et du progrès.
Smart world, datas etsurveillance
Les technologies numériques sont un gloutonénergétique, mais leur boulimie peut êtreassouvie par la transition énergétique. Mieux,numérique et électrique se renforcent.L’avènement du smart world opère unréajustement en temps réel des flux d’électricitésur le réseau international. Il repose sur unecapacité accrue de stockage et de transport desdonnées très gourmandes en électricité. Alorsqu’elle sert à alimenter les data centers, ceux-ciservent en partie à collecter des données rendantcompte de la consommation électriqueinstantanée. Pratique !
L’Intelligence Artificielle s’immisce aujourd’huidans tous les aspects de notre vie. Les capteurset algorithmes se multiplient, car ils sont lasource d’une nouvelle gouvernance. L’I.A. noussauvera. À l’instar de la main invisible dumarché, censée réguler les différends entre leshumains, la main invisible du numérique nouspermettra, par sa capacité à réduire le réel à desdonnées chiffrées transitant via des flux, derendre le système plus fluide, mieux gérable. Ils’agit d’optimiser la productivité de la terredevenue machine et de ses habitant.e.s. Enévitant embouteillages, pics de pollutions, deconsommation, inflations, comportementssuspects, plus rien ne fait obstacle aufonctionnement continu du système productif età la circulation de ses flux. Pas d’interruption,pas d’intermittence, l’ordre électrique s’enassure. Il est la condition sine qua non de lapossibilité de la vie sur terre.
Dans ce monde numérisé et électrifié, lescaméras se répandent : identificationautomatique des attitudes anormales,reconnaissance faciale et vidéo-verbalisation.
Les drones de Frontex et détecteurs demouvement aux frontières permettent une visionimmédiate des flux migratoires dans une tour decontrôle centralisée. Le panoptique s’étend.
Les compteurs Linky et autres capteurscollectent en temps réel de la donnée, établissentdes profils de clientes et consommateurs,moralisent les pratiques et empêchent la fraude.Les GAFAM compilent des milliers d’heures dedémarches internet quand les smartphonesgéolocalisent. L’assurance Axa offre desmontres connectées à ses client.e.s pour vérifierleurs informations de santé. FranceConnect créedes profils numériques reconnus par l’État pourcentraliser toutes les démarches administrativesd’un.e individu.e. Pôle emploi peut consultervos relevés bancaires pour savoir si vous étiez àl’étranger. La police est désormais en mesured’appréhender une boîte de nuit qui ouvreclandestinement en temps de confinement, en sebasant sur ses relevés Linky. Amazon crée uneapplication de fichage consultable sur lessmartphones de flics, mise à jour en temps réelet compilant renseignement humain,condamnations judiciaires et activité militantesur internet.
Industriels, multinationales, États et forcesarmées se serrent les coudes. Ils parlent la mêmenovlangue : le FALC (Facile à lire et àcomprendre), qui trouve son écho dans leursspots vidéo au design aseptisé. Tous vantent lemérite de la ville connectée et surveillée.
Si le Cloud « dématérialisé » prétend nousassister et nous servir, ses réseaux etinfrastructures encombrantes envahissent nossols. Les câbles souterrains et sous-marinsenchaînent nos esprits, atrophient nos cerveaux.Nous devenons dépendant.e.s, avons besoin desécrans pour voir les autres, des capteurs poursentir notre environnement et des donnéesproduites sur nous-mêmes pour nous connaître.
L’homme moderne et leventre de la terre
Le système énergétique tel que nous leconnaissons est indissociable du capitalisme quil’a fait naître, nourri depuis des sièclesd’expropriation, de destruction et d’exploitationdes corps et des territoires. L’extractivisme quil’alimente est fondamentalement patriarcal etcolonial. Il commence avec la chasse auxsorcières en Europe, les enclosures, le travailsalarié, la destruction de savoirs inscrits dans lemonde et d’organisations sociales autonomes –tout autant qu’avec la geste colonisatrice del’Europe moderne, qui consiste à exproprier,faire table rase, planter, exploiter.
On voit trop souvent les XVIe et XVIIe sièclescomme une période de renaissance, de réformeet pas assez pour ce qu’ils ont été. À savoir, destemps de bûchers, de persécutions, de tortures,d’expropriation des classes rurales laborieuseshors des terres qu’elles cultivaient jusqu’à lors,de destruction de la culture paysanne et des lienscommunaux. Les classes dominantes ontcondamné à l’errance et aux marges celles etceux dont elles n’avaient plus besoin pourgénérer du profit. Elles ont offert des salairesdérisoires à une nouvelle frange dejournalier.e.s, en compensation de la perte desterres et des droits de glanage. Le capitalisme apu se développer sur le dos de ces populationsen errance et grâce à la relégation à la sphèredomestique de la force de travail des femmes,en s’appropriant leurs domaines de compétence
et en les excluant du savoir officiel comme desactivités salariées. À l’instar des guérisseusesdes classes populaires traquées par lesmédecins. Pourvoyeuses d’un travail gratuit,anéanties par les persécutions. Voilà commentles femmes ont nourri le pouvoir naissant ducapital. Paré de l’éthique de la propriété privée,du droit absolu du possédant, il a justifiéégalement le commencement de l’expansioncoloniale par un commerce d’esclaves sansprécédent et l’expropriation des populationsamérindiennes de leurs terres.
L’idéologie sous-jacente au capitalisme alors enplein essor, est celle de l’homme moderne et sonmodèle, celui de l’entrepreneur bourgeois. Cethomme parfait voit le monde par ses lunettesuniverselles et transcendantes. Ce regard luisuffit puisque seul compte pour lui ce qui estvisible. La lumière lui est vitale, il détestel’ombre, il voit tout et loin et s’il le faut, élimineles obstacles. Il n’hésite pas à trouer lesmontagnes, raser les forêts, combler le lit desrivières pour rendre lisible et accessible leterritoire transformé en carte de ressources. Il serêve comme pur esprit et oublie son corps. Iln’en a pas besoin d’ailleurs puisque d’autres,corps subalternes (peuples colonisés, femmes,non blanc.he.s, non humain.es), s’occupent deproduire les biens et tous les services quipermettent à sa raison de se déployer pourpercer les mystères de la nature. Oui, il estobjectif, il sait s’extraire du monde pour lecouper en petits morceaux et le disséquer. C’est
ainsi qu’il le comprend et qu’il dévoile laVérité, dont le nombre lui semble la plus purereprésentation. Ainsi distant du monde, il peut letransformer à volonté pour le parfaire. Car cequ’il valorise par-dessus tout, c’est l’activité,l’affairement. Sa hantise, c’est la perte. C’est lependant de son obsession pour la production.Jamais il ne perd de temps ! Le repos, oui, maisjuste ce qu’il faut pour recharger les batteries.Quant aux déchets et aux pertes inhérentes à samanière de transformer, il les traque grâce à uneoptimisation permanente des processus.Quelques astuces qui montrent son ingéniosité :l’utilisation énergétique des déchets via leurincinération, qui résout à la fois le problème del’énergie et le problème des déchets ! Ouencore, les smart grids, ces réseaux dits « intelligents » qui permettent une meilleurecorrélation entre offre et demande d’électricité.Un outil merveilleux de chasse au gaspi !
Au XIXe siècle, la thermodynamique a permis àcet honnête homme d’assouvir son désir depouvoir. La construction du concept d’énergieen est le résultat. Il permet de mesurer lacapacité au travail de toute chose et transformele monde en un vaste flux dont il est possible detirer une production. Il est désormais possible decomparer un cheval et un wagonnet de charbon,un fleuve et une parcelle ensoleillée, une forêtde chênes et un tas de déchets, selon un critèreobjectif et quantitatif. De la tonne d’équivalentcharbon au franc, du kilowattheure à l’euro,l’énergie présente un équivalent économiquedirect. Le réseau électrique concrétise cetaplatissement de phénomènes, de matériauxéclectiques et capricieux, en ressourceshomogènes et manipulables. Elles sont la based’un investissement prometteur : l’énergie c’estle sang de l’industrie, le nerf de la guerre, lefondement de la civilisation moderne.L’entrepreneur de l’énergie contribue au progrèsgénéral et sert la Société par son œuvrebienfaisante. L’électricité n’est-elle pas devenueun besoin fondamental de l’humanité ? Où enserait l’Afrique sans cet ingénieur doué et
audacieux ? Notre homme doit poursuivre ceprojet humanitaire. Certains gisements d’énergiene sont-ils pas encore inexploités, là où dessociétés misérables, ignorantes de cette richesse,vivent encore sans électricité ? Comme ilfertilisa les déserts et ensemença le ventre rondde la terre par la force de son vit, il sauraengendrer l’énergie avec le soc adapté à chaqueterritoire.
Participation, mirages etdésillusion
Roger, sans être cet honnête homme bourgeois,a capitalisé toute sa vie et, face au poids de satrop grande culpabilité, veut investir dans un
20e de pale d’éolienne, d’un projet participatifet citoyen sur sa commune. Fort heureusementpas dans son jardin, mais à l’autre bout duvillage, chez les Dupont. Il a 60 ans, parle fort,coupe la parole aux voisin.e.s et bombe le torseà l’idée de sauver la France. Les retombéespermettraient de tondre le gazon devant lamairie ! En plus, il donnera un emploi à unenfant de 11 ans, dans l’extraction de lithium,preuve de son ouverture d’esprit face à laChine, qui a quand même fait du tort auxentreprises françaises. Un monde plus propreici et plus pollué là-bas. C’est ça l’avenir, lui a-
t-on vanté. Et il a sorti le porte-monnaie,convaincu d’agir en héros écolo patriote.
On aurait pu être tenté.e.s de croire en la « participation ». De croire qu’avec l’éolienparticipatif, nous aurions la possibilitéd’impacter la décision politique. On aurait pu serendre aux consultations publiques, lorsque desentreprises sollicitent notre voix, et donner notreavis sur les lieux où implanter cette nouvellesource d’énergie. On aurait même pu devancerEDF. On aurait mis des panneaux solaires surnotre toit. Mieux encore, on aurait carrément pumonter notre propre projet d’éolien, avec notrevillage. Quelle que soit la forme choisie parmices trois-là, on aurait pu céder à l’appel duparticipatif, puisqu’il est à la mode partout, danstous les nouveaux projets industriels eturbanistiques. On aurait pu croire que celas’inscrivait dans une démarche d’autonomiepolitique, de renforcement de notre pouvoird’agir.
Malheureusement, on ne sait que trop bien quenos attentes sont illusoires. Ce nouveau motd’ordre de l’action publique la légitime en lacouvrant d’un vague vernis démocratique.
Quelle qu’en soit la source, la productiond’électricité contribue aux désastres en cours.Le terme même de transition énergétique estusurpé. « Transition » supposerait le passaged’une source de production à une autre alorsqu’en réalité, les nouveaux modes de production
d’électricité (biomasse, photovoltaïque,éolienne, méthaniseur, hydrogène, etc.) ne fontque s’ajouter aux anciens et s’appuient mêmelargement sur eux. Déjà, les acteurs ducapitalisme vert étendent leurs griffes vers denouveaux territoires à conquérir. Des firmeseuropéennes comme l’Espagnole Guascor ouEDF Énergies Nouvelles implantent descentaines et des centaines d’éoliennes sur desmilliers d’hectares dans toute l’Amérique latine,avec la même obsession que nos ancêtres pourla canne à sucre et le tabac.
On a du mal à concevoir l’ampleur de laviolence qui accompagne l’appropriation de cesterritoires par des entreprises qui nous sont sifamilières.
L’ÉDF se met aux éoliennes, c’est l’progrès,quoi ! Faut bien évoluer avec son temps !Surtout si on n’veut plus de nucléaire ! Et puisça leur apporte le progrès aux autochtones ! Ahqu’elle est belle l’ÉDF si chère au cœur desFrançais. L’État mexicain lui aussi doit bienl’aimer pour l’avoir si chaleureusementaccueillie. Un quatrième parc de plus de 4000hectares rien que pour elle, pour environ 62éoliennes ! Mais ça doit être de très grosseséoliennes, ça dites donc ! Hein Jamie ? Fred,dis-nous tout, comment se passent cestractations ?
« Hé bien Jamie, la population autochtone estinformée dans de grandes “consulta” proposéespar l’État mexicain, en espagnol et même dansleur langue ! Tout le monde est réuni sur lagrande place du village. Une estrade est dédiéeà tout le gratin : du président du projet d’EDFau Mexique, aux associations des droitshumains en passant par le syndicat de l’énergie.Ils présentent rapidement tous les bienfaitssociaux et économiques du projet pour lacommunauté. Puis, la population en débat.C’est pas beau, ça la démocratie occidentale ?»
On y est allé.e.s, on peut vous dire que c’est unemise en scène grotesque devant laquelle ce beaumonde se régale à la vue de la communauté quis’étripe sous ses yeux, quatre heures durant. Etles éoliennes ne sont pas si grandes que ça ! Lespots de vin, qui visent à assurer l’acceptation duprojet par la population, finissent inévitablementpar provoquer tensions, conflits et in fine,déchirements des communautés locales. Le butétant de faire des terres communales la propriétéprivée de l’entreprise, via la corruption, maisaussi par des assassinats si la population résistetrop. C’est le cas emblématique de BertaCáceres, dirigeante Lenka au Honduras, quimenait la résistance à un projet de barragehydroélectrique, assassinée en 2016. Le recoursaux pistoleros et à des groupes armés estmonnaie courante. Les entreprises de BTPlocales se mènent une guerre acharnée pourobtenir les contrats de construction. On peutaffirmer que l’État français, avec sa filialeélectrique, poursuit sans vergogne son œuvrecolonisatrice : même soutien étatique à desentreprises extractives, mêmes relationsasymétriques entre blancs et autochtones,mêmes désastres humains et environnementauxau final… Il participe à la destruction desstructures sociales et des modes de vie locaux.Le vide laissé par cette déliquescence favoriseles narco-trafiquants dans l’exercice de leurdomination. L’État français est responsable demeurtres au nom d’une écologie mondiale. Et en
ce sens, on peut bien affirmer que la Franceparticipe à l’éco-techno-fascisme ambiant.
Crises, individus etresponsabilités
En plus de savoir que le renouvelableparticipatif ne tient aucune de ses promessessociales, on sait trop bien qu’il ne tient pas nonplus ses promesses écologiques. Qu’uneéolienne EDF installée sur notre territoire ne faitpas baisser notre facture et ne nous confèreaucune autonomie supplémentaire. On sait tropbien que nous sommes dépendant.e.s d’EDF etde ses sous-traitants pour construire, transporter,installer cette éolienne ou ce panneau solaire.Que nous en sommes aussi dépendant.e.s pourl’entretenir, la démanteler, la recycler. On saittrop bien que nous n’aurons aucune maîtrise decet outil, aucun nouveau savoir-faire, aucuneautonomie. Et que l’énergie ainsi produite serade nouveau balancée sur un réseau très hautetension, qu’elle ne nous appartiendra jamais,mais sera vendue sur le marché, pour alimenterdes infrastructures bien loin de chez nous, quifabriquent des produits polluants.
Finalement, si on dépensait notre énergie danscette illusion de participation et d’autonomie, ceserait offrir notre énergie humaine à EDF, luiprémâcher le travail.
On aurait pu écouter celles et ceux qui militentpour un « Green New Deal ». Se féliciter du faitque l’écologie était enfin inscrite à l’agendapolitique. Du fait que le réchauffementclimatique était enfin pris en compte par lesCOP 21 et suivantes. On aurait pu se dire quetoutes ces mesures étaient positives et incitaientdes entreprises polluantes à se reconvertir dansle renouvelable, les contraignaient à agir enrespectant davantage la planète. On aurait pu sedire qu’on était sur la bonne voie, même si celan’était pas assez radical, militer dans desgroupes partisans d’une réforme de l’actionpublique et privée. On aurait pu vouloir protégercertains espaces au Costa Rica pour qu’ilsrestent « naturels » afin d’y faire del’écotourisme 15 jours à l’année. On aurait puignorer qu’exploiter et protéger ne sontfinalement que les deux facettes d’une mêmepièce.
Mais nous avons compris que derrière lesdéclarations d’intention, la critique desémissions carbone n’était qu’une mutationtechnologique, une révolution industrielle deplus. Nous avons vu comment un marchéspécialisé dans l’échange de « crédits carbone »permettait aux entreprises du monde entier depolluer toute la planète et de perpétuer lacolonisation sous une nouvelle forme. Nousavons vu que tout en creusant des mines, enfissionnant des atomes, des entreprises serachetaient en rasant des forêts africaines pouren faire de la monoculture d’arbres commel’hévéa, expropriaient les populations etbénéficiaient, comble suprême, d’unereconnaissance pour leur action écologique.
Nous ne sommes donc pas de celles et ceux quimilitent pour un « état d’urgence climatique ».Les décideurs ne se découvrent pas,soudainement, une brèche d’humanisme. Ils
nous annoncent surtout qu’il faudra déléguer àun pouvoir centralisé et paternaliste lemonopole de la gestion d’une nouvelle crisequ’ils ont largement provoquée eux-mêmes.Lorsque les dominants admettent une partie duproblème en le qualifiant de « crise » ou d’« urgence écologique », ce n’est certainement paspour le résoudre, mais plutôt se déclarercompétents pour la prendre en charge. Et on voitbien que la crise sanitaire actuelle n’appellenullement les États à endiguer ses causes quesont la déforestation, l’industrialisationagressive ou les élevages concentrationnaires.La seule réponse qui est donnée à toutes ces « crises », qu’elles soient économiques,sécuritaires ou sanitaires, ce sont des mesuresrestrictives pour les libertés, des violences, et debrutales avancées dans la centralisation dupouvoir politique. Il n’y a pas de raisons quilaissent penser qu’il en sera autrement pour lacrise climatique.
Émilie est « zéro déchet ». Elle a découvert lemouvement Zéro en répondant à un défi sur lesréseaux sociaux. Depuis, elle achète sescéréales à l’épicerie vrac en centre-ville. Etquand elle va au marché bio le dimanche, elleapporte ses propres contenants en verre, qu’elletransporte dans son sac en coton. Elle fait duvélo électrique. Mais c’est pas de sa faute si unepartie est alimentée par les centrales. Elle, elleest à Enercoop. Elle reçoit trois notificationspar minute, sur son fairphone dont le Cobaltvient des mines du Congo. Mais Émilie est « zéro déchets », elle voudrait bien que Apple
produise local. Et les métaux rares de son ordi,ça compte pas dans ses déchets : c’est pas desemballages qui s’entassent dans sa cuisine.C’est pas sale, c’est loin.
On aurait pu se laisser séduire par le discoursappelant à l’éco-responsabilité. Se prendre aujeu du « consom’acteur », de la responsabilitéindividuelle. On aurait pu croire au smart world.Télécharger les nouvelles applications poursignaler les déchets autour de chez nous. Onaurait pu se faire la police morale de nos rues,sous couvert d’écologie. Essayer d’éduquer lesquartiers et utiliser l’argument écologique pourverdir une domination de classe. On aurait puaccepter le Linky, se dire que réguler nosconsommations, contrôler les pics, c’étaitpositif, quand bien même c’était au prix dedonnées personnelles. On aurait pu stigmatiserles pauvres qui ne refont pas leur isolation. Etceux qui roulent au gasoil. On aurait voté pourque les voitures électriques bénéficient destationnements gratuits et de réduction auxpéages. Même si elles sont aussi polluantes queles autres en amont, lors de leur fabrication. Onaurait pu voter pour la smart city, participer auxdébats en lignes, soutenir les poubellesconnectées dans lesquelles il est impossible defouiller pour se nourrir. On se serait faitécocitoyen.ne.s. On aurait dit que cet « éco »renvoyait autant à l’écologie qui nous animait,qu’à la volonté de faire des économies ; et qu’ence sens, c’était un truc inclusif pour les classespopulaires. On aurait pu se mentir en soutenantle greenwashing : le label bio payant, le vraclivré en container, l’électricité produite au prixd’expropriations. On aurait pu nier toutes lesconséquences sociales et extractivistes de cecapitalisme « vert » et nous targuer sur lesréseaux sociaux d’en être les pionnier.e.s. Maisnous avons choisi de nous construire contre lui.
Objets objectifs et Chosemouvante
Le désastre que l’on vit n’est pas un problèmed’ingénieur.e.s qui nécessiterait une ou dessolutions pour nous sortir d’affaire. Ce n’est pasune externalité que les gestionnaires doiventprendre en compte et intégrer dans leursalgorithmes pour pouvoir continuer comme side rien n’était. Notre manière de vivre ledésastre consiste à accepter d’aller versl’inconnu. On ne sait pas comment nous vivronssans la production actuelle d’électricité. Nous ensommes pour l’instant dépendant.e.s, certes,mais cela ne nous empêche pas de nous opposerà ce qui nous détruit.
Si aujourd’hui les gouvernements assument deplus en plus une dérive autoritaire claire, c’estque des mouvements sociaux remettent de plusen plus en question le patriarcat, la police, leracisme, etc. Nous pensons que c’est aussi lemoment d’attaquer l’ordre électrique.Aujourd’hui assis.e.s autour d’une table, descomplicités se révèlent et nous nous prenons àrêver d’une chose…
Cette Chose a pris naissance il y a bienlongtemps déjà, dans les luttes autonomespassées, dans les luttes antinucléaires lorsqu’ony trouvait encore une critique radicale de l’Étatet de l’armée, avant de s’enfermer dans unargumentaire purement écologique quiaujourd’hui prône l’industrie du renouvelable.On a pu la trouver au détour de chantierscollectifs se réappropriant savoirs et savoir-faire. Elle a ouvert des squats, cultivé des terrescollectives ou fait du pain à Calais. Plusrécemment on l’a retrouvée au pied d’un pylôneen train de le déboulonner, construisant descabanes ou se baladant dans un bois occupé.Elle se confrontait directement à ce monde enprenant la rue avec joie et détermination ;laissant derrière elle les réformistes et leursoutils de contrôle de sa colère. Les ronds-pointslui ont appris qu’une multitude de pratiques, derencontres et de bousculements étaient en cours,
que la mise en lien de tout ça, que le faitd’accepter de se laisser percuter par l’autre, loinde son confort politique, participe d’unprocessus d’émancipation collectif difficilementrécupérable.
Pour nous, les luttes écologiques n’ont de senset ne peuvent réellement avoir un impact que sielles sont menées non seulement en lien avecd’autres luttes s’attaquant aux systèmes dedomination, mais aussi en acceptant d’êtretraversées par ces dernières.
À travers les luttes qu’on a vécues, on s’estprêté.e.s à maintes pratiques. Certainesheureuses, d’autres moins. On a joué le jeu duspectacle médiatique, on a cherché à « massifier » et à « sensibiliser », à faire de joliesactions non violentes symboliques, délaissanttrop souvent les actions directes bien qu’ellessoient indispensables à la construction durapport de force. On a parfois su mieux que lesautres, et on s’est laissé.e.s cloisonner dans unentre-soi militant (mais pas seulement). Avec lenumérique on a aussi pu devenir des rebelles decanapé, croyant agir, mais ayant perdu toutancrage dans le réel. On a pétitionné, fait desprocès ou essayé de changer des lois ; ça n’a passuffi. On a trop souvent été sommé.e.s de sejustifier : « vous êtes contre le nucléaire etl’éolien ? Très bien, mais que proposez-vous ? ».Ce monde est incohérent, absurde, nous nechoisirons ni le SRAS ni la grippe H1N1 ! Leurs
solutions ne sont que de nouveaux problèmes etnous ne serons plus les technicien.ne.s de leurdésastre. On ne veut plus passer notre temps àapporter des pansements à ce système de mort.
La Chose s’attaque à EDF, à son ordreélectrique, ses infrastructures et sa propagandeverte. Nous cherchons à nous réapproprier cequi, au cœur même de nos vies, est contrôlé etgéré par la force de l’État et du capital. Lesréseaux électriques sont indispensables à leursuprématie et à toutes les dominations qui endécoulent. Nous voulons fouiner, creuser,enquêter, pour anticiper les projets destructeursque les aménageurs de l’énergie cachent le pluslongtemps possible. Nous exposerons leursabus, leurs déboires et nous fracturerons leurcommunication rassurante. Nous montreronsque nous sommes capables de connaître dans lesmoindres recoins ces réseaux qui nousenferment, que nous sommes capables d’enidentifier les brèches et de nous y engouffreravec fracas. Nous leur ferons savoir que nousles voyons. Que nous les traquerons. Que nousne les laisserons pas continuer sans vergogneleur délire techno-mégalo-maniaque. Parcequ’elles sont partout, les infrastructures sontfaibles et indéfendables : pylônes,transformateurs, compteurs et concentrateursLinky, antennes 5G, aucun de ces nœudsénergétiques ne peut tenir sans le consentementde la population.
Partout, nous serons la rupture. L’ingénierie,l’agriculture, l’enseignement ne sont pasl’apanage d’une société gestionnaire. Il nousfaut en faire les outils d’une contre-propositionradicale et conviviale. Ensemble, au chantier !Contre l’éolien, fabriquons des éoliennes !Abreuvons-nous de savoir-faire artisanaux,laissons la neutralité carbone aux partisans dustatu quo. Dotons-nous de technologiessuffisantes, mais surtout transmettons les outils,la capacité et l’envie de nuire. Construirel’alternative n’a de sens que pour ébranlerl’existant.
La lutte ne peut se renouveler qu’en comptantsur notre capacité à nous reconnaître, à nousréunir ; mais aussi à supporter l’inconfort de ladiversité idéologique. Écologistesconsciencieux, anarchistes irréductibles, âmeserrantes terrifiées par l’effondrement de notresophistication ; profitons des camps pour saisirces connivences, pour participer auvrombissement immémorial des luttes quiessaiment.
La Chose n’est pas un collectif ni un groupefermé. C’est un ensemble de personnes qui serencontrent, issues d’horizons multiples,déterminées à en découdre avec l’ordreélectrique et à cultiver l’autonomie énergétiqueet politique. La Chose demeure dynamique, elleest un processus qui consiste à mettre du lienentre les gens de lutte, les rompus, lesincrédules. Elle existe contre leurs objets,connectés, soi-disant autonomes, maisaffectivement distants. Elle appelle plutôt à serencontrer à l’occasion de camps, de chantierscollectifs, d’actions ; théâtres d’une connexionvivante et concrète entre les êtres voulantretrouver prise sur leurs moyens d’existence.Elle est prête à échapper encore à leursnormalisations et à leurs récupérations. Àrefuser de se laisser enfermer. Elle cherche à
construire un rapport de force. Elle crée del’autonomie, parfois incohérente, toujourspartielle, mais néanmoins concrète et ancréedans des pratiques locales et collectives. Ellen’est pas construite, elle croît. Elle estmétamorphoses et force d’ouverture auxpossibles.
Ceci est une invitation. Nous ne sommes pasdupes, mais nous y croyons quand même. Ils ontcru qu’on serait dépassé.e.s par leurs systèmestoujours plus complexes, au contraire ! Onembrasse la complexité, mais la nôtre ! Cellequi relie chaque chose vivante, celle qui nouspermet de créer des complicités, celle qui nousbouscule dans nos constructions sociales etpolitiques, celle qui nous permet d’avancer,d’apprendre, d’évoluer. Rétorquons à leurcomplexité quelque chose que les algorithmesne sauront jamais décrire : la force que l’onnourrit en se comprenant, en construisant etrésistant ensemble et de toutes les manières.Émilie ! Prends ton sac en coton bio, glisses-yune clef à molette et viens voir la Chose et cequ’elle construit au prochain chantier collectif !Thomas ! Et si tu disais à Siri d’aller se fairevoir ? Ingénieur.es, désertez ! Venez vousconfronter au monde réel, celui des gens quivivent, qui se battent contre vos systèmes etprocédés. Électriciennes et électriciens quipètent des câbles, n’avez-vous pas des petitesidées pour les débrancher ? Hackers, hackeuses,quelles failles critiques saurez-vous exploiter ?Copaines, copines, copains, où que vous soyez,si ce texte a fait résonner quelque chose en vous,créons et recréons ces espaces, ces lieux dedéconnexions, de vie et de résistances, relions-les pour constituer cet archipel vibrant qui ne selaissera pas numériser, virtualiser, électrifier,écraser. Qui veille et réagira sans détour à leurstentatives totalisantes. Enrageons de joie etlibérons-nous de l’emprise de ces réseaux demort. La Chose existe. Faisons-la vivre.
Coordination Hétéroclite pour l’Obturation des Systèmes Electriques = C.H.O.S.E.
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