Post on 23-Mar-2016
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Chloé HELLEC – Mémoire de master recherche, parcours arts plastiquesSous la direction de Françoise Vincent-Feria
(LA MAISON EN KIT)
UFR Arts, Lettres, Communications Université Rennes 2 Haute Bretagne – Septembre 2010
(LA MAISON EN KIT)Dans quelles mesures l'habitat occidental est conditionné par
notre société contemporaine et ses pratiques, et en quoi celui-ci peut être le véhicule de notre identité sociale et culturelle.
SOMMAIRE
I. RÉSUMÉ DE LA RECHERCHE – LES MOTS CLÉS ...............................4
II. DÉFINITION DU PROJET ......................................................................5
III. QUELS ENJEUX? ..................................................................................11
IV. LA MAISON, UN IDÉAL, UNE NORME .................................................12
•L'archétype de la maison occidentale : une représentation commune, l'importance de la coutume
•Le projet ou rêve de maison : habiter l'imaginaire, la maison un fantasme présent dès l'enfance
•Le rapport au corps
•Le rapport à la société : l'affirmation d'une individualité, l'appartenance à un groupe
I. •La chambre, un enjeu particulier
V. VIVRE PARMIS LES AUTRES, COMME LES AUTRES ..........................32
•La maison pavillonnaire
•Banlieue et lotissement
•L'habitat collectif
VI. L'HABITAT D'URGENCE .....................................................................43
VII. ECO-HABITAT ET ÉCO-DESIGN ........................................................49
VIII. HABITAT ET MOBILITÉ .....................................................................50
IX. BIBLIOGRAPHIE .................................................................................55
X. QUELQUES EXPOSITIONS CLÉS ........................................................56
XI. ANNEXES ..........................................................................................57
• Le projet El piso
• Dossier iconographique du projet La maison en kit3
RÉSUMÉ DE LA RECHERCHE
Le projet porte sur la question de l'habitat en tant que
révélateur de notre identité sociale et culturelle, en particulier
au sein de notre société occidentale contemporaine.
Concrètement, il consiste en l'élaboration d'une maison en
carton, présentée en kit à découper et à monter soi-même,
dans un esprit ludique en référence aux découpages pour
enfants. Ce travail tend à s'interroger sur les effets d'une
certaine standardisation des valeurs esthétiques de la maison
introduite par le modèle des banlieues pavillonnaires et de la
maison individuelle. En outre le projet pose la question d'un
habitat minimum et de la précarité du logement en général de
par sa configuration – la maison est conçue pour une personne
seule – et de par le matériau qui la constitue : le carton. Celui-
ci utilisé également pour ses propriétés écologiques dans la
mesure où il est récupéré et que c'est une matière en grande
partie recyclable1.
Mots clefs : Habitat, société, identité, éphémèrité, précarité.
4
1 J'utilise un carton ondulé brun de récupération.
DÉFINITION DU PROJET
“Sa maison est en carton, Pirouette cacahuète...“Comptine francaise
Mon projet consiste en la réalisation d'une maison entièrement en carton,
présentée en kit à découper et à monter. Elle prend la forme extérieure d'une habitation
type « maison individuelle », et la forme intérieure d'un studio standard pour une
personne seule. Elle est également meublée et équipée d'une manière élémentaire, ses
équipements sont en carton. La maison est à l'échelle un, il est donc hypothétiquement
possible de circuler à l'intérieur, dans l'hypothèse d'un montage. Au final mon projet est
composé d'un ensemble de planches de carton sur lesquelles seront représentés les
gabarits dépliés de chaque élément de la maison. Ils figureront en tracés vectoriels noirs
surmontés de pointillés indiquant les parties à prélever.
Une notice explicative pour le montage sera également associée au kit, décrivant meuble
par meuble toutes les étapes d'assemblage. Cette notice est présentée sous la forme d'un
livret format A5 à l'italienne, en noir et blanc. L'esthétique de cette notice reste assez
élémentaire, les feuillets sont reliés par une simple agrafe.
Dans un premier temps j'ai mis en place un plan provisoire de type “plan technique
d'architecte” afin de pouvoir répertorier le nombre d'éléments de la maison et d'évaluer
sa superficie finale d'après les dimensions de chacun de ses éléments. Ce plan a été
pensé sur la base de différents plans types de studio pour une personne, principalement
trouvés sur internet. Il est en quelque sorte la synthèse de tous ces plans ramenés à leur
plus élémentaire simplicité.
5
Cette maison est constituée de deux espaces séparés, la pièce principale ou pièce à vivre
avec un coin cuisine, un coin salle à manger et un coin chambre et la pièce secondaire soit
une salle d'eau.
La pièce principale est équipée pour le coin cuisine d'un évier, d'une gazinière et d'un
réfrigérateur. Le coin salon quant à lui comporte uniquement une table et ses quatre
chaises. Pour finir le coin chambre est équipé d'un lit avec deux oreillers et une
couverture, d'une table de chevet, d'une lampe et d'une étagère. Une suspension
surmontant un abat-jour, non visibles sur le plan (celui-ci est vu de dessus), seront
également ajoutés à la réalisation.
La pièce secondaire est insérée dans la première grâce à deux cloisons percées d'une
porte formant ainsi un espace carré contenant une douche avec un rideau, des WC et un
lavabo.
Méthode de réalisation
Le plan“ d'architecte ”
J'ai tout d'abord dessiné le plan intérieur de la maison vue de dessus en faisant une
synthèse de tous les plans de studio pour une personne que j'ai pu recueillir2, puis je l'ai
re-dessiné en tracés en vectoriels sur le logiciel Illustrator. J'ai utilisé le système courant
de schématisation des portes, fenêtres et autres meubles pour représenter les éléments
qui constituent la maison. Au final l'espace ressemble plus ou moins à deux cubes
imbriqués l'un dans l'autre.
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2 Avec l'entrée “Floor plans apartments“ sur google.com/images
Les meubles
Pour réaliser mes meubles, j'ai d'abord établi une liste qui les répertorie un par un, à
partir du plan d'ensemble de la maison. La voici :
PIECE PRINCIPALE
Coin cuisine
Evier
Gazinière
Réfrigérateur
Coin repas
Table
Chaises X 2
Coin chambre
Lit (encadrement-oreiller-matelas)
Table de nuit
Lampe de chevet
Commode
PIECE SECONDAIRE
Salle de bain
Douche (bac + pomme de douche)
Lavabo
Toilettes
STRUCTURE
Murs de la maison
Toit
Fenêtres X2
Portes X2
Interrupteurs
Prises de courant
Cela me permet de procéder par étapes et d'avoir une notion de la durée de la tâche à
effectuer. Je réalise ensuite un croquis rapide du meuble dans sa version pliée que
j'imagine le plus souvent en observant des objets existants auxquels j'emprunte les
caractéristiques principales afin d'élaborer un meuble qui soit le moins possible
7
identifiable à un style. En outre j'essaie de ne garder que les lignes définissant le
caractère fonctionnel de l'objet, celles qui le rendent reconnaissable, en utilisant les
formes les plus basiques. Pour les dimensions, j'ai recours aux normes standards que l'on
peut facilement retrouver dans les catalogues d'ameublement (en france, par exemple un
lit d'une personne mesurera 0,90 x 1,80, une chaise mesurera 45 cm de hauteur des pieds
jusque l'assise etc.) Ce croquis m'aide à concevoir un plan à plat de l'objet. Je prends les
mesures, encore une fois, sur des meubles réels et je reporte ces mesures à une plus
petite échelle sur mon dessin (les échelles sont variables selon la grandeur initiale de
l'objet). A l'occasion, pour les formes les plus complexes, je réalise un modèle miniature.
Je souhaite que mes objets puissent être montés, assemblés, sans colle ni attaches. Il n'y
aura donc rien d'autre que les planches de carton dont on pourra extraire chacun des
éléments, la maison pourra être construite sans outil particulier, si ce n'est un cutter ou
des ciseaux pour découper les contours des meubles. (Initialement j'avais envisagé un
pré-découpage des éléments, dans le genre micro-perforation). Pour cela j'ai mis au point
un système d'encoche pour faire tenir les différentes parties entre-elles. Chaque meuble
est conçu de la même manière, c'est-à-dire comme une forme creuse, un peu à la
manière des boites d'emballages. Aux dimensions pré-établies s'ajoute une donnée “x”
qui est l'indice multiplicateur correspondant à l'épaisseur du carton. En effet, étant donné
que j'utilise du carton de récupération, les épaisseurs peuvent varier selon les types de
carton que je récupère. Paradoxalement j'ai essentiellement récupéré des cartons
d'emballages de meubles (du carton “brun“ de préférence), peut être même ceux des
meubles en kit, car ce sont généralement les plus grands. Cependant, j'ai été dans
l'obligation de reconstituer des cartons pour qu'ils soient à la grandeur dont j'ai besoin, en
les assemblant bord à bord.
Une fois le gabarit de mon meuble terminé, j'en produit un dessin vectoriel que je réalise
avec le logiciel Illustrator. Au besoin je numérise mon dessin initial pour guider mon tracé.
Je pense utiliser au final trois sortes de traits dans mon dessin : un trait un peu épais pour
les parties pré-découpées, un trait un peu plus fin pour les parties pliées et une ligne
pointillée qui contourne l'objet. Cependant, j'hésite encore à indiquer les zones de pliages
par une ligne sachant qu'une fois l'objet monté elle sera toujours visible dans le pli, dans
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ce cas peut-être que j'utiliserai uniquement le rainurage pour marquer ces zones.
Ensuite, j'insère mon dessin dans un “cadre ” aux bords arrondis qui délimitera la forme
de mon carton. Par ailleurs chaque planche comporte un titre qui désigne le mobilier
représenté (ex : chaise) souvent accompagné de sous-titres en rapport avec les
différentes parties du meuble et éventuellement avec leurs nombre (ex : assise, dossier,
pieds x4). Pour les textes j'utilise la police Futura medium. Une fois les dessins terminés, je
les reproduits sur des bande de papier kraft, ce type de papier étant ce qu'il existe de plus
proche de l'aspect du carton. Cependant, les éléments intérieur de la maquette, dont je
parlerai plus tard ont été imprimé sur du papier blanc, ainsi ils contrastent plus avec la
structure de la maison.
J'assemble ensuite toutes les pages afin de former une grande affiche que je colle sur
mon panneau de carton que je re-découpe pour finir.
Concernant la structure de la maison, en l'occurrence les murs, le toit, la porte et les
fenêtres, je souhaite que l'ensemble forme une sorte d'archétype de la maison : quatre
murs couverts d'une toiture à deux pentes. La façade sera ajourée d'une porte et d'une
fenêtre, une seconde fenêtre ornera le pan de droit de la maison. Cette structure sera
conçue sous la forme d'un kit comme pour l'intérieur, mais je serai peut-être dans
l'obligation de diviser les murs et le toit en plusieurs parties à assembler pour des
questions d'échelle.
Au total la maison aura une superficie d'environ 12,71m2 soit 3,95m X 3,22m. La salle de
bain d'une dimension de 3,24m2 soit 1,8m X 1,8m viendra s'insérer dans cet espace. La
pièce à vivre mesurera donc 9, 47m2. J'ai calculé cette surface en fonction de la dimension
des meubles de manière à n'avoir aucune perte. Les meubles sont de tailles standards,
j'ai pour beaucoup d'entre eux, repris les dimensions des catalogues de meubles et
d'électroménager.
Plusieurs solutions ont été envisagées en ce qui concerne le mode de présentation finale.
Au départ mon but était de montrer tous les stades du projet : le kit, la phase de montage
et la maison montée. Le problème étant que pour donner à voir ces trois phases il
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m'aurait fallu réaliser au moins deux kit, l'un serait resté emballé et l'autre serait monté.
J'ai pensé réaliser une vidéo où l'on aurait pu voir la maison se construire. J'ai au final
choisi de rendre compte de cet état “assemblé” de la maison en réalisant une maquette à
échelle réduite de celle-ci. Au final mon travail étant conçu sous la forme d'un projet - au
même titre qu'une proposition architecturale classique -, cette maquette sera exposée
avec le kit et permettra de visualiser en trois dimensions les éléments du kit présentés en
deux dimensions.
J'ai mentionné plus tôt le fait que pour que ce travail réponde concrètement au nom de kit,
il me faut trouver un système qui permet d'assembler les différentes pièces afin de
former une unité. Un emballage de type “commercial ” m'apparaît être le moyen le plus
adéquat. Je pense qu'il faudra aussi que la notice puisse être feuilletée et que l'on puisse
associer le panneau que l'on est en train de regarder, au chapitre qui lui est consacré
dans le manuel.
J'ai choisi de présenter ma maison à l'intérieur d'une salle d'exposition et non pas en
situation « réelle », c'est-à-dire en extérieur dans sa version « montée ».
10
QUELS ENJEUX ?
Mon travail porte sur la question de la standardisation de l'habitat dans notre
société contemporaine amenée par la démocratisation de la maison individuelle au sein
des banlieues pavillonnaires. De cette standardisation va découler des normes qui sont
aussi héritées d'une tradition de l'habitat qui s'étend sur plusieurs siècles. Je souhaite
donc m'interroger sur ce qui a permis une certaine uniformisation des valeurs esthétiques
de la maison, fait particulièrement visible chez les classes moyennes.
Je vais tenter de lier cette première recherche à une réflexion sur l'habitat
d'urgence, (une problématique actuelle) et l'habitat écologique.
L'habitat dans une perspective plus générale renvoie également à plusieurs notions
autour de l'individu et de ses besoins tant physiques que psychologiques et spirituels. On
peut noter que la maison se rattache indéniablement aux notions de corps et d'identité
sociale.
En outre, je perçois mon travail comme une parodie, une sorte de contrefaçon de la
maison telle qu'elle apparaît dans notre imagination collective et ce par rapport à un
schéma occidental contemporain.
En effet, la maison que j'ai conçue n'est pas une utopie de maison mais plutôt le
contraire. La maison est ici dés-idéalisée, c'est un jouet inutile, dénaturé. Elle a perdu ses
fonctions de maison, ses fonctions protectrices principalement, car le carton qui la
constitue est un matériau pauvre, qui renvoie à la notion de précarité.
11
LA MAISON, UN IDÉAL, UNE NORME
“There is no place like home!“ Dorothy, The Wizard of Oz
L'archétype de la maison occidentale :
une représentation commune, l'importance de la coutume
On peut remarquer la permanence de l'archétype par rapport l'idée que l'on se fait
de la maison : quatre murs couverts d'une toiture à deux pentes. N'importe quel enfant ou
adulte (issu du monde occidental) à qui l'on demande spontanément de dessiner une
maison nous retranscrira, dans la plupart des cas, cette même vision. On retrouve
toujours ce même point de vue frontal de la maison, soit un rectangle surmonté de deux
obliques qui forment le toit, le tout agrémenté d'une porte et d'une ou deux fenêtres. (On
notera que les enfants dessinent de manière constante et cela même en plein été, une
cheminée d'où s'évacuait un curieux tortillon de fumée). C'est aujourd'hui inéluctable,
malgré la richesse des
constructions passées et
contemporaines, ce modèle
fait partie intégrante de notre
inconscient collectif, de notre
livre d'images personnel, ce
vulgaire cube surmonté d'une
pyramide est une maison,
tout autant que cette sphère
est une pomme et que « ceci
est une pipe ».
12
Jumeau+Paillard, La maison icône, 1999/2000
Jardin de la Piroterie, Rezé
Mais comment arrive-t-on à cette synthèse? Est-ce le modèle de la maison individuelle
qui a influencé cette représentation aujourd'hui ancrée dans notre imagerie collective ou
est-ce l'inverse? Par exemple les architectes parisiens Jumeau+Paillard ont conçu en
1999 pour les Jardins de la Piroterie à Rezé un type d'habitation individuelle, La maison
icône qui donne une nouvelle interprétation des formes archétypales de la maison
traditionnelle en jouant sur les matériaux et la géométrie de la construction. Ils s'amusent
avec les codes, la typologie de la maison, pour en extraire un travail presque parodique.
La construction finale est proche du jouet pour enfants, de la maison légo : géométrique,
anguleuse, qui puise l'essentiel de son dynamisme dans les couleurs vives et uniformes
utilisées par ces architectes.
Cependant ce modèle primaire de la maison ne nous empêche pas de rêver à d'autres
formes d'habiter, au contraire, il est la base commune nécessaire à toutes autres
variations oniriques. Et fort heureusement les déclinaisons sont multiples par rapport à
ce modèle, nous le verrons tout au long de cette analyse.
La psychologue Françoise Minkowska s'est intéressée entre autres aux dessins
d'enfants3, à travers le test de la maison. Elle note que l'enfant, spontanément dessine
une maison en rêvant. Elle s'intéressera également aux dessins d'enfants déportés.
Presque tous les enfants dessinent leur maison avec toute la charge affective que peut
comporter le dessin de la maison. Quand ils habitent un immeuble, ils dessinent une
maison. Sur le plan symbolique, la maison est le chez soi, avec ceux qui habitent avec lui,
elle est la valeur d'abri, de refuge, de protection, de sein maternel. C'est aussi le premier
espace qui est exploré par l'enfant. C'est le symbole du milieu familial où vont se dérouler
les premières expériences. Ces dessins sont par conséquent chargés d'affects. La maison
fonctionne comme un espace mythique. L'enfant y projette ses angoisses, ses fantasmes.
On dit que le toit qui est le sommet de la maison est le siège de la pensée, de la sécurité.
La porte est l'accès à la maison, les portes minuscules se rencontrent chez les enfants
qui ont des problèmes relationnels, qui refusent le contact. La porte est rarement ouverte,
la porte fermée est perçue comme un élément sécurisant, les portes ouvertes sont
13
3 Francoise Minkowska, Le test de la maison chez les enfants appartenant aux différents groupes ethniques, communicaton au congrès des médecins et aliénistes de langue française, Marseille, 1948
perçues par les enfants comme les indices d'une maison inhabitée. Les fenêtres avec
barreaux se retrouvent chez les enfants angoissés, insécurisés. Dessiner une maison, ce
n'est pas seulement dessiner un volume, cet exercice est aussi révélateur du niveau de
socialisation de l'enfant et de sa perception de son espace familial. L'environnement
extérieur, le décor, à tout autant d'importance : le chemin _ plus ou moins sinueux_ qui
donne accès, le soleil qui illumine et l'arbre ou la fleur symboles de vie en sont les
principaux éléments.
Le rêve de maison est inextricablement lié à un projet de vie, de foyer, de famille, de
construction professionnelle et sociale. Hier principalement influencé par le modèle
familial proche, il l'est aujourd'hui par toutes sortes de sources médiatiques : la
littérature, le cinéma et plus récemment la télévision. Ces médias nous donnent à voir des
schémas auxquels nous cherchons inconsciemment à nous conformer.
Mais la question que l'on doit avant tout se poser est : qu'est-ce qu'une maison? La
définition la plus basique serait celle-ci : un bâtiment construit sur un ou plusieurs
niveaux, destiné à servir d'habitation, notamment à une famille. Sur un plan étymologique
le mot maison vient du latin mansio _ action de séjourner _ et manere _ rester. Une maison
décrit également l'ensemble des résidents d'un édifice, une famille, ou par extension une
communauté de personnes. La maison véhicule donc des valeurs de réunion, c'est le
cadre donné à la micro-société qu'est notre famille. Maison et famille sont ainsi deux
notions assez complémentaires, traditionnellement l'un a besoin de l'autre pour exister et
réciproquement, ils sont même réunis sous le mot foyer qui est littéralement le lieu où
habite une famille. Sous l'antiquité les grecs attribuèrent même une déesse vouée à la
protection du foyer et par extension du feu sacré : Hestia (Vesta chez les romains). La
maison est donc depuis toujours perçue comme un endroit qu'il faut protéger, comme le
feu qu'il faut maintenir allumé car c'est elle qui donne l'unité à la famille.
Filarete, sculpteur vénitien et théoricien de l'architecture de la Renaissance italienne,
nous conte ce qui pourrait être le mythe de la première maison4 : Adam, chassé du
paradis, joint les mains au-dessus de sa tête pour se protéger des pluies diluviennes. La
14
4 Cf Joseph Rykwert, La maison d'Adam au Paradis, Paris Seuil, 1976
maison serait ainsi née d'un geste, de cette construction symbolique, qui aurait déterminé
son anthropomorphisme récurrent, celui du besoin de protection contre les éléments
extérieurs. Au-delà de sa fonction d'abri, l'architecture commence par « faire une place »,
selon, Michel Freitag, sociologue, « elle commence par construire un espace comme
espace proprement humain, espace réservé à des rapports sociaux qui met à distance la
nature étrangère et qui du même coup, à travers cette distance modulée établit le rapport
des hommes avec un monde approprié et objectivé. »5 Il parle aussi d'architecture en tant
que construction de l'espace socialisé et ajoute que « c'est en cet espace que la société se
rend visible à elle-même, c'est en lui quelle incarne sa propre pérennité au milieu de tout
ce qui n'est que mouvement, de tout ce qui ne fait que passer entre la naissance et la
mort. Et c'est pourquoi du même coup l'architecture, en tant que matérialisation du
langage et de la culture, vient instaurer la royauté de l'ordre humain sur le monde»6
Ainsi, dans l'histoire de l'humanité, la maison est de toute évidence un être privilégié.
C'est notre premier univers, elle est cosmos. Elle est notre paysage initial, elle abrite les
souvenirs de notre vie et leur donne force. C'est l'un des protagonistes les plus
importants de notre histoire parce qu'elle est le lien entre notre passé, notre présent et
notre futur, en s'érigeant comme un point de repère dans la cartographie de notre
mémoire. Sans elle, l'homme serait vraisemblablement un être dispersé. Il en est de
même pour l'homme d'une ou plusieurs maisons. Celui qui papillonera de toit en toit n'est
pas plus différent de celui qui qui toute sa vie séjournera dans sa maison familiale car les
souvenirs de sa première maison seront inscrits en lui et agiront sur lui comme une
matrice qui définira sa manière de vivre ces habitations futures, comme la reproduction
d'un schéma initial. Les souvenirs du monde extérieur n'auront jamais la même tonalité
que les souvenirs de la maison7.
Je reviens sur le choix de présenter ma maison à l'intérieur d'une salle d'exposition et
non pas en situation « réelle », c'est-à-dire en extérieur dans sa version « montée ».
15
5 Michel Freitag, Architecture et société, éd Saint Martin, Montréal, 1992, p.17. Il fait ici référence à la distinction que fait Hannah Arendt entre la nature et le monde, dans La condition de l'homme moderne, éd. Calmann Lévy, Paris, 19616 Ibid, p.187 Georges Bachelard, La poétique de l'espace, PUF, 1957, p.25
Selon moi l'espace du musée confère un statut particulier et il est important que mon
travail soit compris en tant qu'œuvre et non en tant que projet architectural à proprement
dit, avec tout ce que cela comprend d'ambitions utopiques. Je ne conçois donc pas mon
projet comme une alternative possible sur le marché de l'habitat. Je souhaite au contraire
mettre en exergue certains codes de l'habitat et de la production industrielle. Et je pense
que la salle d'exposition met en place la distance nécessaire qui permet d'apprécier ce
projet en tant qu'objet artistique, grâce à une mise en abyme de l'espace dans l'espace. De
plus l'enceinte du musée fait écho aux unités d'expositions des grandes enseignes
d'ameublement, car finalement la limite est infime entre la galerie d'art et la galerie
commerciale. Ne nous méprenons pas, je ne veux pas faire d'amalgame sur les finalités
de ses deux espaces, mais il me semble qu'il découle de l'un et de l'autre des pratiques
similaires. Dans les deux cas de figure, nous sommes des visiteurs et nos habitudes en
tant que visiteurs nous parviennent directement d'une certaine industrie du tourisme. En
effet l'industrie du tourisme à développé chez l'être humain un rôle nouveau, celui de
visiteur. Aujourd'hui il n'existe plus personne qui n'ait été au moins une fois dans sa vie
dans ce rôle du visiteur, directement ou indirectement.
L'action de visiter n'est plus exceptionnelle, elle fait partie de nos pratiques quotidiennes
au sein de notre société de consommation. La définition du visiteur du musée paraît
évidente, cependant il me semble que l'on peut parler aujourd'hui d'un rôle hybride, celui
de visiteur-consommateur, tant l'industrie du commerce joue avec les codes de
présentation des musées : vitrines, éclairages, etc. L’expérience esthétique n'est plus le
propre de l'art et tend à colorer la totalité des expériences culturelles ou encore,
commerciales. Dans cette nouvelle ère de l'esthétisme tout est sujet de contemplation et
en même temps cette immersion, cette affluence d'informations, nous conforte dans notre
rôle de zappeur de la culture, notre attention est sans cesse détournée, happée par ce qui
est nouveau.
Je propose donc de réaliser l'inverse, d'utiliser ces codes commerciaux de présentation
pour donner à voir un objet artistique. La maison que je présente étant elle-même un
ersatz de la maison en tant qu'objet commercial. Mais nous pouvons également
nousinterroger, en regard à ce que nous avons analysé précédemment, sur le fait que la
16
maison pavillonnaire, ce produit du 20e et 21e siècle, soit lui aussi un ersatz de la Maison
dans le sens global du terme. Car en vulgarisant les codes architecturaux, elle inscrit
dans un même temps, dans l'imagination collective, un modèle de maison dont nous avons
du mal à nous soustraire. D'une part cette normalisation de l'habitat offre une plus grande
accessibilité, une plus grande démocratisation de la maison. D'autre part il naît de ce
modèle un conformisme qui cède difficilement la place à de nouveaux systèmes
d'habitations.
Par ailleurs, les plans dépliés créent des formes géométriques parfois inattendues : de la
technicité des dessins et de l'analogie des détails, il naît un nouvel objet, une nouvelle
forme proche de l'abstraction. La mise en page et les légendes réinsèrent ces objets dans
une esthétique industrielle.
Dans l'art contemporain, la maison est donnée à voir de manière récurrente sous forme
de maison-maquette. C'est un univers en réduction, un monde miniature qui interpelle
directement l'habitant qui est en chacun de nous et qui nous incite à nous projeter. La
maison semble être devenue une nouvelle apologie de la représentation mimétique du
sujet, un nouveau type de « portrait », où se retrouvent les polarités de l'abstrait et du
figuratif. Le sujet absent aurait ainsi trouvé une nouvelle forme d'incarnation, de
« reconstruction » à travers la représentation de la maison. Ainsi l'objet maison peut,
dans le cadre d'une investigation artistique, être associé à des enjeux identitaires, elle fait
facilement l'objet d'une personnification. Deux démarches se confrontent dans la maison
maquette : la maison typifiée (versant abstrait du portrait), soumise à la réduction
formelle de ses éléments, qui se répètent le plus souvent en autant de modules
identiques, où le toit se donne comme ultime signe de reconnaissance et la maison-objet
standard (versant « figuratif ») dont s'empare l'artiste. A l'opposé de la maison bloc-
minimal, la maison standard développe une surcharge identificatoire, accumulant
délibérément les stéréotypes, soumise à un processus de sur-individuation.
Dans une mouvance post minimale, nombreux furent les artistes à élaguer la maison de
tout superflu pour ne conserver que son principal élément identificatoire : le toit à double
pente. L'on peut ici traverser les années quatre-vingt et confronter un même modèle de
17
maison, une même maison modèle : les volumes minimaux de Joël Shapiro, les maisons
en bêton d'Hubert Kiecol ou de Melvin Charney, les maisons de George Ettl, d'Ettore
Spaletti, de Louise Bourgeois, de Timm Ulrichs, de David Rabinovitch, ou de Wolfgang
Laib, en pollen ou en riz, sont toutes des maisons où l'épure de leur volume découpe les
murs d'une maison réduite à son signe minimal, le toit. Les façades le plus souvent
aveugles font de la maison un bloc monolithique, stéréométrique, clos sur elle-même,
soumis à un rythme répétitif qui le dépouille de toute individualité. La maison serait le
paradigme d'une perte d'identité. Ses éléments structurels les plus significatifs tels que
le toit ont perdu de leur efficacité architectonique, pour s'abstraire en découpe
ornementale agrémentant une forme cubique. La maison soumise à un processus de
réduction de ses éléments constitutifs, aboutira à la maison typifiée en maquette, où à des
variantes d'habitat où le toit et son équivalent nomade, la tente, délimiteront l'espace
hermétique à habiter. Le toit est le couvercle de la maison, sa forme totem. C'est ce qui la
caractérise en tant que telle et ce qui la différencie du cube.
Le projet ou rêve de maison :
habiter l'imaginaire, la maison un fantasme présent dès l'enfance.
La quête perpétuelle de la maison idéale est inscrite en filigrane dans notre vie. La
recherche d'un « chez soi » est fondamentale et essentielle à tout être humain. Nous nous
reportons sans cesse à notre désir d'habiter, car il est inextricablement lié à notre vie
quotidienne. Mais aussi égoïste que nous semble notre rêve de demeure idéale, il est
irrésistiblement modelé aux formes de notre culture. L'architecture agit à la fois en tant
que résultat et facteur de notre adhérence sociale, nous ne pouvons contrôler totalement
l'influence du groupe auquel nous appartenons et qui fait autorité. Les styles se dégradent
et l'imitation, la standardisation et la loi nous réinsèrent dans la coutume. Désirer une
maison parfaite nous replace finalement dans la collectivité. Et paradoxalement cela
passe par un certain désir de propriété, dans le sens de délimiter son espace, de
s'extraire du monde commun afin de créer un chez soi. Sans que ce soit pour autant un
besoin vital, nous éprouvons la nécessité de conquérir un endroit à l'intérieur duquel nous
18
pouvons établir nos propres règles. Et cela dès l'enfance, en construisant les premières
cabanes, ersatz de maisons, l'enfant recrée l'espace domestique qui lui est familier et s'y
impose en maître. Il joue au papa et à la maman, copiant et théatralisant le schéma social
observé chez ses parents.
La maison est le cadre donné à notre vie, un point de repère temporel et spatial offert à
nos souvenirs et à nos projets. Je le répète les souvenirs du monde extérieur n'auront
jamais la même tonalité que les souvenirs de la maison. On imagine rarement la maison
vide, car vide elle fait peur, elle est inutile, une maison ne prend tout son sens que si elle
est habitée. Quand on rêve la maison c'est pour s'y regarder vivre, éprouver son espace,
faire l'expérience de son habitabilité. La maison est la plus importante des constructions
humaines, car elle est une constante dans notre existence, elle harmonise notre
quotidien, elle donne à l'homme des raisons ou des illusions de stabilité.
Les contes de fées nourrissent notre premier imagier onirique de maison. La maison que
l'on y décrit est située dans le passé imprécis du « il était une fois ». Ce temps aux
contours mal définis, hors du temps vécu, où se loge une contrée lointaine et fictive,
donne sa première force poétique à la maison, même si celle-ci n'est qu'une simple
maisonnette de bûcherons. En même temps, le pays du conte de fée nous est familier, on
y retrouve la masure où vivent de pauvres gens, entourée de forêts profondes, de
fontaines et de rivières enchantées, dans un village dominé par le château seigneurial.
Ces éléments caractéristiques du conte de fées sont des repères qui transforment le pays
de nulle part, du « temps jadis », en espace connu.
Il est bien souvent question dans les contes d'une bâtisse simple et modeste, qui est
décrite comme un foyer rassurant à l'instar de la maisonnette des sept nains dans
Blanche neige ou de celle des trois ours que découvre Boucle d'or. Il semble que la
petitesse de la maison ai toujours un rapport avec sa convivialité. De plus ces maisons
sont généralement situées à l'écart de toute civilisation, nichées au fond des bois. Le
voisinage est rarement perçu en termes positifs et l'isolement est un gage de tranquillité
et de bonheur familial qui ne doit pas être troublé.
19
La maison imaginaire inspirée des contes et de la science fiction n'a pas de forme
spécifique, car elle est la plus libérée du carcan des styles et de la tendance, elle est pure
fantaisie, car l'on ne s'imagine pas vivre dedans dans le monde réel et de ce fait, notre
dessin mental de cet habitat est sans limites, on peut aussi bien s'imaginer vivre dans la
cosse d'un petit pois que dans une boite de conserve sur orbite. Il en est tout à fait
autrement de notre rêve maison idéale qui puise des références dans des modèles
existants, ainsi celui qui rêve de faste et de grandiloquence lorgnera probablement sur les
palais de maharajah et autres villas hollywoodiennes.
Cependant la fonction de la maison dans les contes peut varier, elle n'est pas toujours
représentée comme un foyer rassurant, mais peut aussi être assimilée à la cabane de tout
les pièges, Bruno Bettelheim analyse cette dernière fonction dans le conte d'Hansel et
Gretel : « ... la maison en pain d'épice qu'ils trouvent dans la forêt représente une existence fondée sur les satisfactions les plus primitives. Se laissant emporter par leur faim incontrôlée, les deux enfants n'hésitent pas à détruire ce qui devrait leur procurer abri et sécurité lors que les oiseaux en mangeant les miettes auraient dû leur faire comprendre qu'il n'est pas bon de dévorer tout ce qu'on rencontre. En dévorant une partie du toit et des fenêtres de la maison de pain d'épice, nos héros prouvent qu'ils n'hésitent pas, par gourmandise, à priver des personnes de leur demeure. (...)8
Il est une autre maison qui évoque éveille l'imagination, c'est la maison miniature. La
maison miniature fait office d'observatoire, le regard que l'on y porte est omniscient. De la
maison de poupée, nous pouvons ouvrir la façade, plonger la main à l'intérieur, voir d'un
seul coup d'oeil toutes les pièces de la maison. La frontière entre privé et public est
abolie, c'est une incursion forcée dans l'espace domestique. Ici les pièces avec une forte
valeur d'intimité comme la salle de bain ou la chambre se retrouvent au même niveau que
des pièces à valeur plus conviviale comme la cuisine ou le salon.
L'artiste canadienne Heather Benning, dans le cadre d'une résidence dans la
communauté de Redvers, Saskatchewan au Canada, a pris possession en 2005 d'une
ferme abandonnée et la transformée en une maison de poupée géante. La façade nord a
été enlevée et remplacée par de larges parois de verre révélant, comme dans une maison
20
8 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, éd. Robert Laffont, Paris,1976.
aux couleurs bonbons et décoré dans le style des années soixante, époque où la maison
fût abandonnée.
Initialement, j'ai envisagé moi-
même mon travail dans son côté
ludique, car j'ai été inspirée à la
base par les découpages pour
enfants je voulais que mon projet
soit en quelque sorte la ré-
appropriation de ce jeu à grande
échelle.
Habiter occupe une place
fondamentale dans l'existence humaine. De la
yourte nomade au duplex urbain, avoir un toit
est à la fois un dénominateur commun et un
discriminant culturel. Dans notre imaginaire c'est la maison qui symbolise le foyer (quelle
que soit la forme véritable de l'habitation), et s'amuser à le recréer par le jeu semble faire
partie intégrante de la nature humaine. Reconstituer des intérieurs miniatures et « jouer à
la maison » (comme on dirait « jouer à la poupée ») sont des classiques de l'univers
ludique. D'ailleurs quand est-t-il de la maison de poupée? Ne serait-elle pas la projection
même d'un idéal? Ce qui est sûr c'est qu'elle permet à l'enfant – au même titre que la
cabane – d'agir par mimétisme par rapport au modèle domestique renvoyé par les
adultes. L'artiste et théoricienne Mary Flanagan dans son texte « Une maison de poupée
virtuelle capitaliste? »9 étudie le phénomène des Sims, jeu virtuel donnant au joueur la
possibilité d'évoluer dans une sorte de maison de poupée électronique et intelligente
habitées par des personnages virtuels. Elle en analyse la représentation de l'espace
domestique, le rapport à la consommation et à la féminité. La maison proposée dans ce
jeu incarne à la fois l'essence de l'architecture pavillonnaire américaine et la potentialité
pour le joueur d'exprimer son individualité, celui-ci disposant des moyens d'agrandir sa
maison et de l'équiper en meubles et en accessoires.
21
9 Mary Flanagan, The Sims: Suburban Utopias, Birkhäuser Publishing, Basel Boston Berlin, 2007
Heather Benning, Dolhouse, 2008Maison abandonnée, techniques mixtes
610cm x 365cm x 731cmSinclair, Minitoba, Canada
Le rapport au corps
Nous pouvons faire un parallèle entre la maison et l'idée du vêtement, ou de
manière plus probante, du masque. A savoir, en quoi la maison relève de l'identité sociale
et fait office de masque – contrairement aux sociétés primitives qui auront plus tendance à
se servir du masque pour l'affirmation d'une identité – afin de se régler sur les autres en
masquant son intériorité, sa sexualité, mais aussi sa créativité. La maison induit
obligatoirement les notions
ambivalentes de public et de privé, elle
est un être à la fois social et intime.
Toute collectivité fixe entre ses
membres trois distances ; la distance
intime (de quelques centimètres autour
du corps), la distance personnelle (de
cinquante centimètres à un mètre) et la
distance sociale (entre deux
interlocuteurs dans une file d'attente
par exemple). C'est pourquoi la
maison, dans la manière dont nous
l'éprouvons grâce à notre corps, agit
sur notre quotidien, nous définit par
rapport aux autres et dans nos actions.
Dans son travail, l'artiste britannique
Lucy Orta pense le vêtement comme
habitat minimum et portable. Au début
des années quatre-vingt-dix, elle
confectionne des tentes-habitacles
vêtement. Loin du primitivisme rustique et d'une volonté de retour à d'improbables
origines, la tente, habitat provisoire et démontable, transforme la maison en « nulle
part », empêche son immobilisation dans l'espace, mais aussi dans le temps.
22
Lucy Orta, Body Architecture : Collective Wear - 4 Persons, 1994 Tissu imperméable en polyamides, tringles télescopiques
Selon Paul Virilio:
« Lucy Orta travaille sur le vêtement non plus comme vêtement près du corps, comme une seconde peau, mais comme emballage, c'est-à-dire à cheval entre l'architecture et le vêtement...Le vêtement s'émancipe, s'expanse pour tenter de devenir une maison, un radeau pneumatique. Il devient plus que vêtement, il devient véhicule, véhicule de survie, véhicule aussi contre l'anonymat... »10.
Georges Perec dans Espèces d'espaces remarque que nos activités quotidiennes
correspondent à des tranches horaires et que chaque tranche horaire correspond à une
pièce précise (de l'appartement en l'occurrence).
Il note aussi l'importance de certaines pièces par
rapport à d'autres. A l'appartement désossé
entre ses fonctions stéréotypées, Perec oppose
une autre répartition de l'espace, inventée par
jour de la semaine, par dépaysement
systématique, il rêve d'une pièce inutile, d'une
maison sans porte ni fenêtres... Selon Gaston
Bachelard la maison natale est physiquement
inscrite en nous, il en résulte un groupe
d'habitudes organiques. Par exemple nous
serions surpris si nous retournions dans notre vieille
maison d'enfance de constater à quel point les gestes
les plus fins resurgissent toujours parfaits et vivants, comme si nous ne l'avions jamais
quittée. Ainsi les autres maisons ne sont que des variations d'un thème fondamental, la
maison natale inscrit en nous, en notre corps, la hiérarchie des diverses fonctions
d'habiter. Mais si on remarque que la maison influe sur notre corps, nos gestes
quotidiens, on peut envisager logiquement que celle-ci soit pensée au modèle de notre
corps. En 1943, le Corbusier inventât un nouveau système architectural, le Modulor. Il
imagine une silhouette humaine standardisée servant à concevoir la structure et la taille
d'unités d'habitation telle que la cité radieuse à Marseille. Elle devait permettre selon lui
23
10 Orta Lucy, Refuge wear, éd. Jean-Michel Place, Paris 1996 Propos sur Lucy Orta recueillis lors d’un entretien en décembre 1995.
Le Corbusier, Le modulor, 1943
un confort maximal dans les relations entre l'homme et son espace vital. Ainsi il pensait
créer un système plus adapté que l'actuel système métrique, car il est directement lié à la
morphologie humaine.
L'artiste israélien Absalon, de son vrai nom Eshel Meir, c'est également penché sur la
conception d'un espace aux strictes mesures de son habitant. Entre 1993 et 1994 il réalise
des « Cellules », habitations minuscules et unipersonnelles, conçues à la base pour son
propre logement. Ces cellules sont des réductions essentialistes de l'univers domestique
par le dépouillement, le volume, l'optimisation et la géométrisation de l'espace
domestique. Le travail d'Absalon consiste à chercher ce qui peut être défini comme
élémentaire à une structure d'habitation, à une maison « unipersonnelle ». On peut définir
la cellule comme une petite pièce close où l'on s'isole, cet artiste conçoit lui sous ce
terme des « maisons limites », c'est-à-dire les plus petites et les plus ajustées des
maisons possibles (les cellules ne dépassent pas 9m2). Ce qu'il propose, c'est un habitat
absolument essentiel, à travers une économie de l'espace domestique. Bien sûr son
travail n'est pas sans provoquer un sentiment exiguïté, voire de claustrophobie accentué
par la blancheur uniforme de ses structures et des éléments qui les composent. A la fois
Absalon construit ses cellules d'habitation en fonction de ses dimensions propres, de ses
habitudes et de son comportement, à la fois doit-il et veut-il subir les contraintes d'une
architecture qu'il a voulu « au plus juste » et qui de ce fait influe sur son attitude,
l'amenant à modifier ses gestes, à forcer ses habitudes pour en construire de nouvelles.
24
Absalon, Cellules d'habitations, 1993
Absalon lui-même écrit : « La cellule est un mécanisme qui conditionne mes
mouvements. »11
On peut présumer du caractère social d'une pièce très fréquentée comme le salon qui est
l'endroit de la réception et de l'apparat par excellence. La maison répond à une exigence :
nous avons besoin de vêtir notre corps d'un abri protecteur, notre âme d'une armure
rassurante. « Il faut un creux où lover notre moi, distinct du dehors et d'autrui, mais selon un ordre qui nous replace, sans le dire, dans le gironde la tribu. »12
La maison offre la possibilité de s'abandonner loin du regard des autres à être nous-
même. L'homme au sein de la maison est essentiellement nu, le plus nu des animaux et la
maison est son vêtement, son armure et son refuge. Il y relâche toute inquiétude, toute
vigilance et comme une maison c'est aussi un lit et puisqu'habiter est s'y coucher, alors il
peut s'abandonner au sommeil. Fonction que la salle de bains pourrait aussi revendiquer
avec plus de force encore puisque, entièrement nu, désarmé et passif, nous y laissons
flotter corps et esprit dans la douceur de l'eau.
Les valeurs de protection et de résistance de la maison peuvent être transposées en
valeurs humaines. Celle-ci prend les énergies morales et physique d'un corps humain. Il
existe une forte analogie entre la maison et tout ce qui a attrait à l'humain, du reste ne
parle-t-on pas de « l'âme » d'une maison? Georges Bachelard prend l'exemple de la
lampe : « la lampe veille donc elle surveille. Plus étroit est le filet de lumière, plus pénétrante est la surveillance. Une lampe attend à la fenêtre, par elle la maison attend, la lampe est le signe d'une grande attente. Elle voit comme un homme. »
Ainsi il remarque :
« les maisons des hommes forment des constellations sur terre. »13
25
11 Ecrits publiés dans le catalogue de l'exposition qui lui fut consacrée en 1993 à l'ARC, Paris12 Georges Bachelard, La poétique de l'espace, éd. PUF, Paris, 195713 Ibid
Cette valeur de protection peut être assimilée comme je l'évoquais plus tôt, à celle du
vêtement, celui qui nous réchauffe, celui qui nous protège. Comme chacun le sait, plus un
vêtement est près du corps, plus il est isolant. Il en est souvent de même,
métaphoriquement, avec la maison : plus la pièce est réduite plus elle se veut
réconfortante, ainsi nos combles, mansardes, alcôves n'ont-ils pas valeur de coquille? Les
souvenirs de solitude étroite, simple, resserrée restent dans notre mémoire les
expériences d'espaces réconfortants, espaces qui ne désir pas s'étendre. Ces cocons nous
incitent à un retour à un état presque primitif, ils sont autant de lieux pour se lover,
s'isoler, rêver, telle la chrysalide favorisant le repos de l'être et son essor. Ces petits
espaces nous offrent la solitude nécessaire pour nous construire. Aussi la valeur
d'intimité est renforcée quand la maison, attaquée par l'hiver, nous donne un abri bien au
chaud quand il fait froid dehors.
J'ai également découvert au fil de mes différentes lectures que notre regard sur
l'architecture se transforme avec l'avènement de la photographie, comme l'écrivit Roland
Barthes14
« l'âge de la photographie correspond précisément à l'irruption du privé dans
le public, ou plutôt à la création d'une nouvelle valeur sociale, qui est la
publicité du privé (...) ».
En fait la maison évolue dans son articulation entre l'intérieur et l'extérieur, entre privé et
public, entre l'intimité qui parle le langage de la culture et de l'expérience et l'extérieur, la
façade, qui reflète le caractère social, d'information au monde. « Dis-moi comment tu es
logé je te dirai qui tu es ». Par anthropomorphisme, la maison peut même être facilement
assimilée à un portrait, elle agit par mimétisme avec l'habitant. Alberti avait lui identifié la
maison au corps (le corps vivant en général). Dans le dessin La femme maison de Louise
Bourgeois en 1947, la maison s'est substituée au visage.
« Si la maison est une métaphore du corps et du lien social, la maison et son image
sont aussi des métaphore du temps humain »15
26
14 Barthes Roland, La chambre claire. Notes sur la photographie, éd. Seuil, 1980, p.15315 Marc Augé, Domaines et Châteaux, Paris, Seuil, Librairie du XXe siècle, 19889 ; p. 171.
Par conséquent la maison pourra aussi
être soumise au processus de
destruction du corps. Quant à la maison
de Bachelard, elle est un état d'âme, un
être intérieur. Selon lui la maison est
imaginée comme un être vertical, elle
s'élève. Aussi, elle est imaginée comme
un être concentré. Alberti renvoie, en
effet, à l'organicité de l'édifice, que
l'architecte a pour vocation de réaliser
par l'opération de partition. Car les
parties qui composent, ou mieux, qui
forment la ville comme la maison, leurs
membres (membra) ainsi que les appellent
Alberti, ne possèdent aucune indépendance
individuelle. Ils sont solidaires et
complémentaires les uns des autres comme les membres d'un corps vivant et comme eux
indissociables du corps entier qui leur donne sens. La verticalité de la maison de
Bachelard est assurée par la polarité de la cave et du grenier, il emprunte pour cela la
psychanalyse de Jung qui se sert de la double image cave / grenier pour analyser les
peurs qui habitent la maison. La cave serait synonyme de l'inconscient, l'être obscur de la
maison, quant au grenier il serait l'expérience du jour, à même d'effacer les peurs de la
nuit. A la cave les « ténèbres » demeurent jour et nuit. Cette étude psychologique
systématique des sites de notre vie intime Bachelard lui donne le nom de « topo-
analyse ».
27
Louise Bourgeois, Femme Maison, 1947Encre sur papier, 9-15/16 x 7-1/8 in Guggenheim Museum, New York
Le rapport à la société :
l'Affirmation d'une individualité, l'appartenance à un groupe
Notre rapport au logement nous force à adopter différents rôles, différents statuts
en tant qu'habitant. Nous sommes alternativement propriétaires, locataire, voyageur,
touriste, nomade, sédentaire, hôte, invité... Nous vivons seul, en famille, dans des
communautés, en ermite etc. De ce fait il y a autant de rôles et de façon d'habiter qu'il y a
d'espace conçus pour être occupés. Je dis conception, car une il suffit des fois d'une
projection mentale, d'une simple ligne tracée au sol. Même si je vais traiter de la maison
dans son ensemble je m'intéresserai particulièrement à l'aménagement et aux objets qui
la constituent. En effet une maison est à la fois un extérieur et un intérieur, un espace que
nous devons peupler de tout ce qui nous définit; meubles, livres, bibelots, mais surtout
goûts, mode de vie, souvenirs. De plus l'aménagement d'un habitat par un individu est à la
fois quelque chose de très personnel, lié à chacun, mais aussi très influencé - encore une
fois - par les modèles de sa culture. Le fantasme de la belle maison passe par le choix
d'un décor qui servira à imposer aux autres une certaine image de soi et à leur signifier
notre catégorie sociale où notre ambition d'atteindre cette catégorie. Par ailleurs ce
rapport à autrui, au monde extérieur, est une notion intrinsèque à l'idée de maison. En
effet, close sur elle-même, elle renferme notre intimité par opposition au devoir de
sociabilité qui nous incombe à l'extérieur de la maison. Finalement de ces espaces de
viecontemporains il en ressort toujours des désirs individuels et collectifs. Il y a dans ses
espaces un côté contemplatif qui n'est pas sans rappeler le musée ou les pratiques
touristiques en général.16
Le centre commercial est un lieu tout sauf singulier. Paradoxalement, dans cet espace où
nous côtoyons une foule d'anonymes affairés nous y avons des habitudes, il nous est
familier. Puisque les choses sont à leur place, puisqu'il n'y a aucune surprise, c'est un
endroit rassurant. Et la présence des autres n'est pas inquiétante, car ils sont là dans un
28
16 Yves Michaud analyse d'ailleurs l'influence du tourisme sur l'expérience esthétique, dans le chapitre « la
demande d'esthétique : hédonisme tourisme et darwinisme » de L'art à l'état gazeux, Essai sur le triomphe de
l'esthétique, éd. Stock, 2003
même but que nous. En substance : l'homme que nous croisons dans la rue, ou dans une
station de métro est potentiellement un sujet de méfiance, mais le centre commercial, ou
le supermarché le rend plus fréquentable. Car en plus d'être un environnement familier il
est lié au domestique. Chaque produit peut hypothétiquement atterrir dans nos placards
et être intégré à notre quotidien. Le centre commercial est conçu pour rendre agréable et
favoriser l'acte d’achat (climatisation, escalators, musique d'ambiance, stationnement
gratuit, parfois des attractions, etc.) Au XXe siècle, l'automobile va bouleverser les modes
de vie et les modes d'achats. Le centre commercial est la réponse mercantile aux
nouveaux besoins des consommateurs : proximité du stationnement pour charger les
courses dans le coffre, facilité d'accès depuis la banlieue où les citadins habitent de plus
en plus. D'ailleurs la banlieue pavillonnaire précédera de peu l'invention du centre
commercial, l'un ayant des incidences sur l'autre et réciproquement.
Le centre commercial est devenu la vitrine d'une culture de masse, une culture qui se
manifeste, du point de vue esthétique, à travers un design dégénéré en kitch. Aujourd'hui
la production industrielle, y compris le design, s'est développée en un réseau complexe
qui utilise les informations en provenance de différents domaines. La somme des
informations auxquelles le producteur peut accéder dépasse de beaucoup la capacité
d'absorption de la mémoire individuelle. Il est en conséquence nécessaire de travailler en
groupes, en équipes associant composantes humaines et composantes artificielles, de
telles sortes que le résultat ne peut plus être attribué à un auteur. Le processus du design
est donc organisé sur le mode d'une division du travail très poussée; il n'est plus possible
d'imputer à un individu la responsabilité d'un produit. Cette fascination par le monde des
objets peut être qualifiée de « païenne », et les objets usuels qui fascinent en tant
qu'objets, peuvent être appelées des « idoles ». Dans cette perspective, la situation
actuelle de la culture est caractérisée par une forme d'idolâtrie.
Pour l'homme des cavernes les parois de la caverne étaient données, et c'est pour
s'opposer à elles qu'il a confectionné des images pariétales, donnant ainsi forme à sa
volonté de contrer la nature (une volonté de « beauté »). Nos murs à nous sont des formes
tardives et décadentes des parois de la caverne. Le problème existentiel peut se formuler
ainsi : bien que nos murs aient été bâtis par des hommes (par des maçons, par des
29
architectes et par ceux qui imposent leur idéologie aux architectes et aux maçons), ils n'en
sont pas moins donnés pour ceux qui habitent à l'intérieur. Pour tous ceux qui vivent dans
le cadre d'une certaine civilisation, la culture est tout comme la nature un
conditionnement donné. C'est pourquoi les murs font partis du donné; ils sont donnés
pour ceux là même qui les bâtissent. Mais nous sommes des êtres réflexifs, spéculatifs.
C'est pourquoi nous pouvons faire quelque chose que l'habitant des cavernes ne pouvait
pas développer une philosophie de la culture. Et la culture nous apparaît sous la forme
d'une accumulation sans cesse croissante de choses que nous plaçons contre les quatre
murs de nos habitations, pour recouvrir leur nudité et dissimuler le fait qu'il nous sont
donnés.
30
La chambre, un enjeu particulier
La chambre est la pièce de la maison dans laquelle on passe le plus de temps si l'on
considère que l'on passe environ 33 % de notre vie à dormir. Jusqu'au XVIIe siècle, les
chambres individuelles sont rares, la famille dort généralement dans ensemble dans la
pièce principale de la maison qui tient lieu également de salle à manger et de cuisine.
Jusqu'à cette époque, l'intimité est un luxe. Il en est de même dans les plus hautes
sphères du pouvoir. La chambre de Louis XIV, si richement décorée et tout au confort du
roi, n'en est pas moins une chambre de parade, ouverte au public.
La chambre peut revêtir différentes formes selon les pays et les cultures. Néanmoins,
toutes celles-ci ont un dénominateur commun : le sommeil. Initialement la chambre est
une boite qui répond uniquement à ce besoin. Le lit est le meuble le plus important de
cette pièce, il en définit la fonction. Au fil du temps cette boite va devenir de plus en plus
complexe à mesure que vont se greffer d'autres activités. On peut considérer également
que la chambre est le lieu le plus romanesque de la maison et le plus empreint
d'onirisme. Car dormir sous entend évidemment rêver, cela ajouté au fait que c'est le lieu
de l'intimité, de l'amour physique, de l'introspection et de la contemplation rendue
possible par l'isolement. Chez de nombreux poètes ou écrivain, la chambre est le lieu du
recueillement et de l'inspiration, Proust par exemple ne quittait pas sa chambre. La
chambre d'hôtel quant à elle permet au voyageur de retrouver où qu'il aille le lieu de son
intimité. Qu'importe l'éclectisme de ses lieux de passages, car ce sont les habitudes et la
manière dont celui investira ces endroits qui les rendra semblables à ses yeux.
31
VIVRE PARMI LES AUTRES, COMME LES AUTRES
“Little boxes, on the hillside, little boxes made of tiky-taky (...) and they all look just the same“
Extrait de la chanson “ Little boxes“ de Malvina Reynolds, 1962
La maison pavillonnaire
On peut expliquer le succès de la maison pavillonnaire par le désir de repli sur soi
suscité par l'individualisme exacerbé qu'a créé notre époque de communication et
d'information instantanée. A l'encontre de la mixité sociale des centres villes, les
quartiers pavillonnaires fabriquent une société de l'entre soi où l'uniformité et la
répétitivité de l'architecture formatent le voisinage et regroupe une population homogène.
Principalement situé en zones péri-urbaines -, le quartier pavillonnaire est de par ce fait
un monde de l'entre deux, en dehors. Ne traverse le quartier que celui qui y habite. C'est
un lieu de vie au sens le plus strict, c'est-à-dire détaché des autres fonctions de la vie
sociale, du travail entre autres. C'est un lieu de sommeil (dans un sens équivalent quoique
moins péjoratif à ce que l'on appelle les cités dortoirs) et de quotidienneté familiale. Par
ailleurs toutes nos pulsions habitantes partent d'une relation à autrui, aussi l'un des
fantasmes les plus tenaces est probablement celui de demeurer à l'écart des autres. En
ce sens la maison individuelle traduit le paradoxe de « s'isoler parmi les autres ».
La vie est marquée par les déménagements, l'acquisition d'une maison symbolise le
couronnement d'un parcours résidentiel. D'une façon un peu cliché on peut observer les
différents stades d'occupation d'un habitat par une personne lambda, qui de la location
d'un studio de célibataire, va passer à celle d'un appartement qu'elle occupe en couple
pour finir par acquérir la traditionnelle maison qu'il occupe en famille (soit un couple et
32
2,018 enfants selon l'INSEE). Bien sûr c'est une vision extrêmement globalisante notre
société et j'ai décrit ce schéma uniquement dans l'optique d'illustrer mon discours au
sujet des classes moyennes.
La maison individuelle préfabriquée a d'abord été une réponse à un besoin, notamment
aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. Il s'en suivra un idéal de mode vie
projeté par les très aseptisées banlieues américaines. Aujourd'hui plus d'un américain
sur deux vit dans les « suburbs », dont l'arrangement illimité de maisons disposées sur
des pelouses et exhibant d'innombrables portes de garages, passe pour être le vecteur du
syndrome nimby (not in my back yard, littéralement pas dans mon arrière cour) une
position éthique et politique, qui veille à ne pas tolérer de problèmes dans son
environnement proche, dont est victime la middle class américaine. En 1956, le collage de
Richard Hamilton, qui annonçait le pop art, « Just what is it that makes today's homes so
different, so appealing? » véhiculait une imagerie hétérogène et sarcastique de la maison,
en rupture avec son aseptisation forcenée. Mais c'est en réalité dès le début du vingtième
siècle, grâce en partie l'industrialisation et au taylorisme, que des architectes vont penser
la maison en vue de sa reproduction en série et de sa rapidité de construction. Depuis,
l'industrie et la production de masse se subordonnent à la maison familiale. Et déjà à
l'époque ces nouvelles constructions font des émules. Buster Keaton réalisera en 1920 le
film One week17 ou La maison démontable, comédie burlesque où un jeune couple se fait
offrir une maison en kit qu'ils n'ont plus qu'à monter, jusqu'au moment où un rival inverse
le numéro des caisses..
17 http://video.google.com/videoplay?docid=3147358394537366471#
One Week, réalisé par Buster Keaton et Edward F. Cline, 1920, 19min.
En France par exemple, dès 1940 le secrétariat d'état à la production industrielle met en
place le service des constructions provisoires qui fut chargé de construire rapidement
abris, baraques et maisons transportables, ainsi qu'un nouveau type de construction dit
« maisonnette 74 ». Par ailleurs, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la maison
individuelle est fortement conditionnée par le modèle régionaliste. Lequel a posé le
problème de l'adaptation de l'habitat à son milieu géographique. Mais, coupée des
sociétés rurales qui l'avait vu naître la maison régionaliste vendue sur catalogue s'éloigne
rapidement de son modèle original. Selon certains architectes, la faible qualité de la
maison individuelle est un sujet préoccupant si l'on considère sa dimension patrimoniale.
La maison se donne ironiquement sous le signe du prêt à habiter, où les pavillons achetés
sur un plan sont censés rendre compte de l'individualité de leur occupant.
François Roche, architecte, commente ce phénomène de standardisation 18 :
« Vendu sur catalogue, clé en main, ce produit commercial et industriel qui hante, toutes les périphéries des villes n’est évidemment pas aussi légitime et adapté que ce que suggèrent les campagnes d’affichages sur fond de " maison de maçon. »
« (…) le cadre politico-économique français a préféré privilégié un produit bancaire, stéréotypé, normalisé et figé, qui attribue à une famille constituée un produit fini et à ce produit fini un endettement sur vingt ans dans une aliénation de la surface à l’objet et de l’objet au crédit. Rien qui ne puisse, à l’horizon, autoriser un processus de transformation. Sorte de cadavre exquis de la représentation sociale, ce système n’a pu se monter qu’en flattant l’individu là où il est le plus fragile, la propriété et la tondeuse en prime. »
Les congés payés ne sont pas pour rien dans l'avènement de nouvelles pratiques
d'habiter. En effet dès 1936, Six cent mille personnes partent sur les routes en direction
de la mer ou de la campagne et inaugurent de nouvelles formes de vie. Fautes de petits
hôtels et de pension de famille, tentes et caravanes surgissent d'un peu partout. Deux
mondes vont désormais se côtoyer d'une nouvelle manière : les « possédants » habitués
de Deauville, Cannes ou Menton et les « vacanciers », pour lesquels il reste à inventer une
34
18 Extraits de « la maison, volume 1 », in Exposé, revue d’esthétique et d’art contemporain, n°3, 1997
nouvelle industrie du loisir. Plus tard la maison secondaire ne sera plus réservée au plus
privilégiés et deviendra accessible - en partie grâce à l'industrie et aux développements de
nouveaux « produits » - à beaucoup de personnes des classes moyennes.
Je souhaite également aborder dans mon projet la question du vrai et du faux, en effet ma
maison se définit par son côté factice, car même si elle présente l'aspect d'une maison
« tout confort », le fait qu'elle soit entièrement en carton la rend inutilisable, les éléments
électroniques ne pourront pas fonctionner, les meubles construits « en creux » n'ont pas
la résistance de meubles réels, ils ne sont que des carapaces ou moulages de meubles.
Un peu à l'image d'une maison témoin ou d'un décor de cinéma, les choses ne sont pas là
pour être réellement utilisées, mais plutôt pour être observées avec une certaine distance
et avec un point de vue différent, non pas celui d'un habitant mais celui d'un spectateur.
Face à l'écran de cinéma et a fortiori quand l'on projette sur celui-ci l'espace d'une maison,
le spectateur est « rejeté » à l'extérieur par rapport à cet intérieur qu'il voit, quoique son
extérieur soit lui-même un intérieur (la salle). « La maison au cinéma est une histoire croisée
de la vue et du lieu »19. Peut-être pouvons-nous penser cette maison comme une sorte de
vitrine. Ou en d'autres termes comme à un « maximum inutile » en référence à l'idée que
l'on engrange parfois dans nos intérieurs des objets en partant du simple fait qu'il faut les
avoir (peu de personnes s'interrogent sur l'utilité d'avoir un frigo par exemple, on part du
principe que cela va de soi). Si les meubles que j'ai conçus sont creux, c'est le résultat du
système d'encoches que j'ai mis en place pour les concevoir, le vide produit fait écho au
vide de sens, à l'inutilité volontaire de cette maison. En ne gardant que la forme des objets
j'ai voulu mettre en évidence la question de la fonction et le fait que dans notre société
tout se veut immédiat, vite fait, vite consommable mais qu'en même temps les industriels
maintiennent l'illusion de quelque chose de fait soi-même, le « do it yourself », que l'on
peut customiser selon l'expression du moment. De cette manière l'habitant est rassuré
sur le pouvoir qu'il exerce sur son espace de vie. Il est assuré de ne pas vivre dans la
conformité la plus stricte et d'avoir pu personnaliser son espace en adéquation avec ce
qu'il est.
35
19 François Albera, la maison au cinéma, « la maison, volume 1 », in Exposé, revue d’esthétique et d’art
contemporain, n°3, 1997
Cela me permet d'évoquer brièvement l'oeuvre d'Andrea Zittel20 qui dans sa série des « A-
Z Escape Vehicule » propose un
ensemble d'unités habitables en
forme de caravanes que l'on peut
customiser. L'aspect extérieur est
le même pour toutes les unités,
l'intérieur est quant à lui pris en
charge par son propriétaire qui le
décore à son goût. Andrea Zittel
s'intéresse à la fabrication de
masse associée à la production
américaine et au désir croissant de customisation.
En 1991, elle crée une entreprise qu'elle nomme «A-Z Administrative Service », au sein de
laquelle elle produira désormais ses œuvres. «A-Z» devient ainsi une marque de fabrique
: un logo dérivé de ses propres initiales. Mais au-delà de l'aspect identitaire, il montre,
non sans une certaine ironie, la volonté utopique de tout circonscrire. Littéralement : de A
à Z.
Pour finir dans a série Living units Andrea Zittel conçoit un espace est rationalisé à
l’extrême, une unité comprenant toutes les fonctions essentielles de la vie quotidienne.
J'entends également produire un espace ne comprenant que le mobilier indispensable à
la vie de tous les jours, cependant ce mobilier sera directement issu de formes déjà
existantes, je ne concevrai pas ma maison comme un module visant à rentabiliser l'espace
au maximum comme c'est le cas chez Andrea Zittel.
36
20 http://www.zittel.org/
Andrea Zittel, A-Z escape vehicule, 1996Acier, électronique, isolation, bois, verre
157,5 x 213,3 x 101,6 cmNew Museum, New York
Concrètement je pense que toutes ses notions autour du stéréotype, de la standardisation
voir l'aseptisation de l'habitat et de son intérieur seront, dans mon projet, rendues
plastiquement par une facture qui renverra à la production industrielle, même si je ne
pourrais pas pour autant travailler ce projet en série de par la dimension et le nombre
d'éléments qu'il comporte, bien que le choix d'un seul matériau, le carton qui en
l'occurrence sera imprimé soulignera ce côté sériel.
Mais revenons en à l'exemple du studio de cinéma qui pour moi est l'espace qui joue le
plus admirablement avec cette ambivalence du vrai et du faux, du réel et de l'imaginaire.
Le studio existe depuis le début du cinéma : Edison tourne dans un atelier. Mais il ne s'agit
pas alors d'un studio qui permet la reconstruction d'un lieu. C'est Méliès qui va plutôt
développer cet aspect en recourant à des conventions représentatives (toiles peintes,
décoration souvent plane). De toute manières pendant des années les intérieurs sont
tournés en extérieur (un panneau peint ou deux faisant un angle). Les studios se veulent
perméables à l'extérieur, transparents, transformables, presque immatériels. On les
appellent « les maisons de verre » (Glass House, Glas Haus). Ils sont un lieu de
constructions éphémères, transitoires, un cas d'architecture provisoire, un lieu
d'élaboration du paradoxale et du faux (maquette, trompe l'oeil). Le studio reproduit en
plus petit le monde extérieur, la ville à la fois sur le mode du capharnaüm, d'un désordre
complet et sur celui de la stylisation, de la maîtrise, du modèle réduit. Nous pouvons
37
Andrea Zittel, A-Z Living Comfort Unit, 1994 / 1995
établir un parallèle sur le plan formel entre ses décors de cinéma et les unités
d'expositions des grandes enseignes d'ameublement et de décoration. Les produits,
assemblés et agencés de manière à reproduire l'intérieur cosy d'une chambre ou d'un
living-room aide le visiteur à se projeter dans son futur « chez lui ». Il est dispensé de
l'effort de concevoir son intérieur, ce qui facilite amplement sa décision d'achat.
L'artiste suédoise Miriam
Bäckström, poursuit depuis
le milieu des années 1990
un travail qui interroge le
vrai et le faux. Dans la série
Museum, collection and
reconstruction, 1998-99
Miriam Bäckström
photographie les espaces
intérieurs reconstitués de
certaines institutions
exposantes (autrement dit
d'Ikéa, en l'occurrence celui
d'Älmut en Suède).
Cette artiste travaille essentiellement sur des espaces inhabités, tels que des studios de
cinéma, des halls d'usines désaffectées (Scenografier / Set constructions, 1995-2001), des
scénographies de musées ou encore des appartements dont les occupants viennent de
décéder (Succecion : Estate of deceased person, 1992-96). Ces différents intérieurs sont
comme autant de portraits indirects. Ses photographies sont toujours en couleur, sans
effet visuel particulier, il y a une certaine neutralité dans l'image, une sorte de froideur
documentaire de la photo. De plus Miriam Bäckström procède toujours par séries, elle se
concentre sur l'archivage iconique et la reconstitution des espaces, ce qui accentue
l'aspect documentaire, collecte de données. Ce qui est étonnant dans la série des Museum,
collection and reconstruction, c'est le fait que l'artiste photographie des espaces qui sont
justement voués, en partie, à être photographiés pour des catalogues publicitaires.
38
Myriam Backström, Museum, collection and reconstitution, 1998/1999Cibachrome sur aluminium, 48X55 cm
Ce qui fait la différence avec ces photographies c'est justement qu'elle dépouille les
siennes de tout artifice, de toute esthétisation, elle n'essaie pas de rendre compte du côté
chaleureux d'un foyer. L'artiste ne met jamais rien en scène, elle utilise uniquement les
moyens de la photo pour fixer les ambitions, les désirs, les angoisses des habitants et des
utilisateurs, tels qu'ils se manifestent dans ses espaces. La photo Model Home de cette
même série est cadrée de sorte que l'on distingue nettement le sol et le plafond, ce qui
est encore plus révélateur du côté factuel du sujet, car alors on peut distinguer la
structure stratifiée, l'aspect carton du décor. On peut également distinguer la zone qui
sépare l'espace en deux parties et qui permet au visiteurs de circuler sans entrer dans le
salon.
Même si le médium qu'utilise cette artiste est différent de celui de mon projet, dans son
travail, Miriam Bäckström s'emploie à présenter une multiplicité de lieux qui témoignent
tous d'un même constat de déshumanisation de l'espace. Au contraire je pense plutôt mon
travail comme une synthèse de l'espace habité. Le point de convergence se produit sur la
question du vrai et du faux, dans ses photos d'intérieurs Ikéa, Miriam Bäckström rend
compte d'un lieu qui semble réel, mais qui en vérité n'est habité par personne.
39
Myriam Backström, Set constructions series S014 , 1995 / 2000Cibachrome sur aluminium, 48X55 cm
Banlieue et lotissement
Bien entendu, on ne peut parler de maison individuelle sans parler de lotissement,
car d'une certaine façon le lotissement est au pavillon, ce que la banquise est à l'igloo, son
milieu naturel. Dans sa définition la plus stricte un lotissement est le morcellement
volontaire d'une propriété par lot en vue de construire des habitations. Cependant, on
parle aussi de lotissements industriels ou commerciaux. Par métonymie on parle de
lotissement pour désigner un ensemble d'habitations qui résultent d'un découpage foncier
souvent monofonctionnel ce qui tend à les distinguer des quartiers d'usage de la ville ou
d'un quartier ancien. Le lotissement est une ancienne notion datant du XIXe siècle, sa
création a été influencée directement par le développement des chemins de fer et des
tramways qui permettent d'urbaniser des secteurs trop éloignés des centres historiques.
L'influence des transports en commun baisse au cours de la seconde moitié du XXe siècle
en fonction de la croissance de la mobilité individuelle, c'est pourquoi souvent les
lotissements sont à proximité des axes routiers.
D'une certaine manière, l'homme du quartier pavillonnaire n'est pas loin de celui du
centre commercial que nous évoquions précédemment, il appartient à une communauté
de personnes de statut égal, celui d'habitant conféré par le quartier lui-même et comme
ne peut être là que celui qui y vit, c'est un circuit fermé. Le voisin d'à côté nous est moins
étranger, car il a la même petite maison, le même petit jardinet, va faire ses courses au
même endroit et va chercher ses enfants à la même école que nous. Cette cohabitation
qui consiste à avoir des voisins est d'ailleurs habituelle et coutumière à tous. On a des
voisins à la maison, dans le train, sur la route ou dans les files d'attentes. Le lotissement
ne nécessite pas à la base d'être surveillé, la surveillance est intrinsèque au lotissement
dans le sens où ce qui est dépareillé saute aux yeux plus facilement dans un océan de
similitudes. Les habitudes, la vie quotidienne également s'accordent au diapason, la
distance pour aller travailler dans les villes induit la nécessaire possession d'une auto,
dans certains quartiers nous pouvons assister au ballet harmonieux de celles qui quittent
le garage au petit matin et le réintègre le soir.
40
Dan Graham dans le célèbre article « Homes
for America », publié en décembre 1966 dans
la revue Arts Magazine à New York, présenta
une série de photographies en couleurs de
maisons de banlieue du New Jersey. Le
cadrage renforce l'aspect uniforme du
quartier de même que Graham choisi
intentionnellement de produire des images
techniquement faibles, imprimé avec des
couleurs bas de gamme à la manière d'un
photo-reportage. Son travail subvertit tout à
la fois l'idéologie pop en intervenant dans le
média lui-même, ainsi que la logique
minimaliste à travers la déclinaison sérielle
de pavillons standard de banlieue. Il se jouait
tout à la fois du système préfabriqué de la
maison et de celui du journal.
L'habitat collectif
On peut penser que l'appartement est soumis à une plus forte normalisation que la
maison. En effet cette mise en tiroirs de l'homme habitant s'est accompagnée,
inévitablement, d'un durcissement des normes de construction et de confort. A une
demande sans cesse plus nombreuse, on a dû répondre par des formes de plus en plus
simples et homogènes, si bien que l'imagination des bâtisseurs et de leurs éventuels
clients s'est infléchie dans le sens du rationnel et du pratique, bref du fonctionnel au
carcan duquel le beau et le confortable ont dû se plier à leur tour. A la différence de la
maison, l'appartement est prévu pour accueillir des occupants successifs et se trouve
donc aussi peut personnalisé que possible. Il n'est ainsi, toujours, qu'un substitut de la
maison, une forme altérée de celle-ci. L'on y pénètre par l'intermédiaire obligé d'espaces
collectifs : escaliers, ascenseurs, couloirs, qui s'interposent entre un dedans intime et un
dehors qui est à tout le monde. L'appartement par opposition à la maison, n'est qu'un
41
Dan Graham, Homes for America, 1966/1967Arts Magazine
intérieur, une boite close sur elle-même. Cette coquille fonctionnelle et anonyme qu'a
conçu l'architecte, ce trou conventionnel, c'est à l'occupant d'y tailler un espace à sa
mesure, de l'habiter et de le construire. Par ailleurs la ville du Havre a récemment
détourné d'anciens conteneurs industriels afin de créer des studios universitaires, à
l'image de ce qui a déjà été expérimenté en 2005 à Amsterdam en Hollande.21 Ainsi, si
extérieurement mon travail prendra la forme d'une maison, l'intérieur sera semblable à
un studio. J'ai utilisé plusieurs plans de studios préexistants comme modèles pour
élaborer en essayant de simplifier au maximum la forme des pièces et en faisant en sorte
optimiser au maximum l'espace grâce à l'agencement du mobilier. Dans l'appartement, la
valeur de l'intérieur est augmentée, car il est le seul reflet, la seule vitrine de
l'individualité de l'habitant. L'intérieur est le seul espace propre à appropriation.
La structure de la famille moderne prend tous les jours de nouvelles formes et le
logement doit s'adapter à d'autres usages. On voit de plus en plus de familles éclatées,
divorcées, recomposées, monoparentales et où les jeunes restent de plus en plus
longtemps chez leurs parents. De nouveaux modes de vie, principalement en ville,
émergent comme la collocation ou la chambre chez l'habitant pour certains étudiants.
Dans beaucoup de cas des personnes ont tendances à se regrouper pour des questions
économiques, où du moins à trouver de nouveaux compromis de vie. Cependant la
colocation, qui semble être un mode de vie essentiellement urbain, est peut être une
forme de refus d'un certain individualisme, une nouvelle forme moderne, moins utopique,
du système de la communauté. D'autres, plus chanceux, vont investir dans une résidence
secondaire, un logement utilisé pour les week-ends, les loisirs ou les vacances, une sorte
d'échappatoire du quotidien. C’est un phénomène qui « concerne toutes les couches
sociales, tous les milieux et tous les âges » selon la sociologue Françoise Dubost22 et qui,
selon Jean Viard, colonise la campagne de désirs urbains, la transformant en « une zone
d’habitat, de ludisme, de mémoire et de production agricole. » Parallèlement la société
moderne et plus précisément la société de consommation, encourage des modes de vie de
plus en plus individualistes. La famille n'étant plus forcement un modèle
d'accomplissement, l'univers des célibataires est devenu la cible des industriels et autres
publicitaires qui vont répondre à de nouveaux besoins et créer un monde où tout peut être
portionné, miniaturisé, individualisé.
42
21 http://www.france-info.com/france-education-2010-08-30-le-havre-met-les-etudiants-en-conteneurs-481186-9-43.html22 Francoise Dubost, L'Autre Maison : la résidence secondaire, refuge de générations, éd. Autrement, Paris, 1998
L’HABITAT D’URGENCE
L'architecture de survie n'est pas un nouveau style architectural. Yona Friegman23 la
définie comme un « proto-style », dans la mesure où elle représente une attitude nouvelle
vis-à-vis de l'habitat, de l'architecture et de l'objet architectural. Ce type d'architecture
répond en premier lieu à des nécessités qui sont d'ordres diverses et variées. Les
guerres, les catastrophes naturelles, la pauvreté en sont les principaux facteurs.
L’histoire de l’humanité est jalonnée de migrations. Ces migrations sont provoquées par
une multitude de causes économiques, géopolitiques ou encore environnementales. Pour
qualifier les populations en migration, on parle alors de réfugiés et parfois de déplacés
internes. Il existe une différence entre les deux termes : les réfugiés sont ceux qui ont fuit
leurs pays d’origine pour un autre, bénéficiant de par ce statut d’une protection et d’une
assistance particulière ; les déplacés internes sont les populations qui ont fuit leur lieux
de résidence mais sont restés à l’intérieur des frontières de leurs pays, ils ne bénéficient
d’aucune protection et sont d’autant plus vulnérables. On comptait donc 26 millions de
déplacés internes en 200724 (5 à 6 millions de déplacés internes au Soudan, 3 millions en
Colombie, 2,7 millions en Irak par exemple) et 16 millions de réfugiés selon l’UNHCR
(l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés). Jusqu’à récemment, la notion d’habitat
était peu prise en compte dans la gestion des situations d’urgence, cela importait peu par
rapport à des notions d’alimentation, d’approvisionnement en eau, de sécurité et d’accès
aux soins. En outre la définition même de pauvreté est en perpétuelle mutation et ce
malgré le fait que la pauvreté soit l'une des choses les plus anciennes au monde. A une
certaine époque, avoir une maison dans les campagnes ne représentait pas un problème
insurmontable, le paysan, même le plus démuni pouvait construire les murs et le toit de
sa maison à partir de matériaux dont il disposait relativement librement. Avoir un toit était
en tout cas plus facile que d'avoir à manger. Avec l'industrialisation, une nouvelle situation
née au coeur des villes : le terrain acquiert une valeur élevée qui interdit la possibilité des
constructions simples, habituelles à la campagne. La maison devient un bien, sur lequel
on peut spéculer et c'est tout naturellement que la maison évolue de plus en plus en un
43
23 Yona Friedman, « L'architecture de survie », une philosophie de la pauvreté, éditions L'éclat, p.20924 http://www.unhcr.fr/
produit locatif, propre à générer une source de revenu. Aujourd'hui le prix de location,
même celui de l'habitat le plus modeste, représente la part la plus importante des gains
d'un travailleur. L'accès à l'habitat est donc une nouvelle caractéristique de la pauvreté de
notre société moderne. Yona Friedman va même jusqu'à parler de « nouveau pauvre »25,
en dénoncant le fait que l'homme des pays industrialisés produit essentiellement de
l'argent (contre 5% seulement de la population qui produit de la nourriture et 15% des
produits manufacturés), et que par conséquent cet homme qui ne possède que de l'argent
n'en possède pas assez pour se procurer les biens tels que nourriture, logement, etc, de
manière satisfaisante selon les normes et les conventions admises par l'époque. Cette
difficulté grandissante à pouvoir disposer d'un toit, fait du problème des sans-abris le
nouveau fléau de notre époque autant dans les pays du tiers monde que dans le monde
occidental car c'est une réalité, la question de la précarité de l'habitat et de ce qu'on
appelle également les « mal-logés » ne concerne plus uniquement les plus pauvres mais
tend à s'étendre au classes moyennes. Une question d'actualité qui avait par exemple
bénéficié d'un coup de projecteur en France avec les événements en 2006 sur le canal
Saint martin à Paris et qui avait provoqué la création du collectif des enfants de Don
Quichotte26 pour la défense des mal-logés.
Les architectes et artistes qui se sont penchés sur la question d'habitat d'urgence ont
apportés des solutions architecturales des plus innovantes, ils ont du penser à de
nouveaux modèles urbains, de nouvelles manières d'habiter en dehors de toutes normes
établies. Ils doivent prendre en compte des données aux caractéristiques extrêmes telles
que des conditions climatiques exceptionnelles, la densité de la population à secourir,
etc.. L'une des principales donnée est évidement la donnée économique c'est pourquoi ces
architectes doivent réfléchir de façon très rationnelle à la manière la plus optimale
d'utiliser l'environnement et les matières premières déjà présentes, afin de rentabiliser
l'acheminement des matériaux. Ils doivent penser à une facilité et une rapidité de
construction en lien avec la main d'oeuvre disponible. Aussi cet urbanisme doit combiner
un paradoxe de taille, l’urgence et la permanence. Les camps de réfugiés sont
délibérément conçus pour être provisoires et tout est fait pour dissuader les gens de s’y
fixer, mais parfois le contexte fait que les réfugiés n’ont pas d’autres choix que d’y rester.
44
25 Ibid, p.7526 http://www.lesenfantsdedonquichotte.com/
Le journaliste André Bruyère analyse dans la revue Architecture d'aujourd'hui de 194527
consacré aux solutions d'urgence la complexité des logements provisoires et insiste sur la
nécessité d'inventer en s'orientant vers les formes propres aux tentes, terriers, bulles de
savon, cloches, meules de paille, châteaux de cartes ou conserve pour dessiner de
nouvelles habitations individuelles d'urgence. Il précise que « dans l'effort d'accès au
prochain seuil du progrès, la pure technique doit atteindre des simplicités minérales,
végétales ou animales : cristal de roche, coquillage, coquille de noix, d'escargot ou de
tortue. Le nid est déjà trop intellectuel. »
Les architectes qui se sont intéressés à l'habitat d'urgence se sont penchés sur les
moyens permettant d'élaborer des habitations d'une grande simplicité structurelle,
solides, rapides à construire et surtout très peu onéreuses qui utiliseraient donc des
matériaux locaux.
C'est le cas de l'architecte japonais
Shigeru Ban, aujourd'hui conseiller
pour le Haut Commissariat de l'ONU
pour les réfugiés et membre du
comité éditorial de la revue
L'Architecture d'Aujourd'hui. Lors d’une
visite d’usine de fabrication de
mandrins en carton, Shigeru Ban
découvre les avantages des Paper
Tube Structure (P.T.S), des rouleaux à
la fois bon marché et disponibles dans
toutes les tailles (longueur, diamètre et épaisseur).
Dans un premier temps, il les utilise comme colonnes et fermes, puis, à partir de 1998, les
exploite également pour la constitution d’arches (ex. la charpente du Paper Dome
atteignant vingt-huit mètres de long et huit mètres de haut). C'est ainsi qu'il a mis au
point, après le grand séisme de Kobe en 1995, des méthodes d'auto-construction
permettant de bâtir des abris d'urgence, une église et d'autres installations.
45
27 L'Architecture d'aujourd'hui n° 2, 1945
Shigeru Ban, Paper Log House, 1994Carton, plastique et toile de récupération, sable
En réponse aux catastrophes qui privent les populations de logements, il crée la Paper Log
House, constituée principalement de tubes de carton. Le principe est le suivant : ces
maisons reposent sur des caisses de bière remplies de sable, sont constitués de murs de
tubes de carton (108mm de diamètre, 4mm d'épaisseur et fabriquable sur place), d'un
plafond et d'un toit en toile de tente. Il utilise ainsi des matériaux bon marché, facilement
trouvables, avec un mode d'assemblage réalisable par n'importe quelle personne, donc à
la main d'oeuvre facile. Ce type de construction a plusieurs avantages: non seulement son
but premier est de reloger des démunis face aux problèmes de logement lors
d'événements naturels, mais il permet aussi un stockage relativement simple, et la
possibilité de recyclage lorsqu'il n'est plus nécessaire de les utiliser. a été conçue pour
Kobe puis utilisée à Ankara en Turquie (1999). En transformant les tubes de carton
recyclés en matériaux de structure pour l'architecture, Shigeru Ban change de ce fait la
supposition selon laquelle le carton est fragile et souple.
Dans une même optique, Nader Khalili, architecte d'origine iranienne, installé aux États-
Unis depuis 1971, aussi ancien architecte de gratte-ciel, a développé au sein du camp de
réfugiés de Baninajar dans la province du Khuzestan en Iran, dans le cadre de son
organisation Cal-Earth, un abri en sacs de sable – appelé Eco-Dôme - dont la construction
ne demande ni qualification particulière, ni transport coûteux, ne requiert qu’un minimum
de matières premières et se construit rapidement par une équipe de trois à cinq
personnes. La caractéristique de
ces habitations, résistant aux
incendies, aux tremblements de
terre et ne coûtant presque rien,
repose sur le fait que les
matériaux qui ont servi à les
élaborer viennent des terres
environnantes. La terre ou le
sable – matériaux présent dans
toutes les régions du monde - est
46
Nader Khalili, Eco-Dôme, 1971Sacs plastique, sable, fils barbelés
Baninajar, Iran
ensuite rassemblé dans des sacs fermés puis empilés et fixés avec des fils barbelés,
matériel de guerre présent sur tous les terrains de conflits. Les petits dômes comme les
grandes maisons sont construite en arrondi : tout repose sur l'arc. Une fois montée, la
maison est brûlée de l'intérieur et une coquille de terre cuite vient sceller l'édifice. Elle fût
baptisée ensuite "super adobe", allusion aux premières maisons en terre crue (adobe)
construites pas les colons espagnols en Californie. Elle est en outre alimentée en énergie
propre et bénéficie d'une climatisation naturelle, grâce à des ouvertures judicieusement
placées.
Dans une perspective peut être un peu plus utopiste, l'artiste polonais Krzysztof Wodiczko
a élaboré un projet de véhicules pour sans abris (Critical vehicles). On retrouve parmi ceux-
ci les Homeless vehicles créés en 1988. Après avoir consulté de nombreux sans-abri de New
York, il crée un véhicule multifonctionnel leur permettant de transporter leurs biens, de se
laver et de dormir à l’abri. L'artiste pose des questions à caractère on ne peut plus
prosaïque : position et taille des roues pour la stabilité et la maniabilité du véhicule
notamment dans les passages entre rue et trottoir, disposition d'éléments de rangement
pour les effets personnels et l'argent, dispositifs d'arrimage et de verrouillage pour
garantir un minimum de sécurité au dormeur vis-à-vis de ses nombreux agresseurs
potentiels, etc. Cependant les véhicules introduits dans la ville ont été confisqués par les
autorités car ils mettaient en évidence le problème des sans-abri. Son travail qualifié de
design utilitaire et compassionnel met en oeuvre une méthode partant de l'individu et non
de la masse, de la norme.
Krzysztof Wodiczko, Projet de véhicule pour sans abris, 1988Courtesy Galerie Gabrielle Maubrie, Paris
Je ne peux parler d'habitat d'urgence sans parler des différentes formes de constructions
qui sont liées plus ou moins à cette notion. On l'a vu l'habitat d'urgence du XXIe siècle
provoque un discours portant sur la qualification d'une architecture dite nomade. La
cabane en est sans doute celle qui y fait le plus référence, on peut la définir comme une
demeure précaire, éphémère, de petites dimensions, réalisée à partir d‘une variété infinie
de matériaux de toute sorte et inscrite dans une relation étroite avec la nature. Il semble
qu‘elle exprime un goût pour la vie simple, une forme de relâchement des codes sociaux
et une forte sociabilité, une rupture du temps et de l'espace, une coupure avec le quotidien
et les contraintes domestiques, un désir d‘évasion et enfin un rapport privilégié avec la
nature. Son statut juridique et son existence sociale sont flous, elle déroge souvent aux
catégories et aux normes instituées. Située dans un entre-deux, entre le dedans et le
dehors, elle est un lieu d‘investissement imaginaire et symbolique intense, porteuse de
contestation des conventions établies. En bref, elle apparaît comme un objet indiscipliné.
Les formes architecturales, les représentations, les valeurs, les rapports à la nature, au
temps et à l'espace, les pratiques de sociabilité et les activités qui lui sont associées
s'affirment alors avec un dénominateur commun : la transgression des clivages et des
cloisonnements, l'effacement de certaines démarcations. En cela mon projet joue sur des
valeurs assez antinomiques de celle de la cabane, car certes il y a des similitudes
esthétiques de par sa dimension et du matériau utilisé, mais elle traduit une utopie
totalement différente. En effet j'ambitionne que ma maison traduise un ensemble de
normes présentent dans l'inconscient collectif et qui sont effectives dans la
consommation de masse. Par exemple en concevant les chaises, je me suis appliquée à
me soustraire de tous styles, j'ai créé une assise, un dossier et quatre pieds. Le seul style
qui pourrait ressortir de mes objets serait induit par le dispositif qui m'oblige à les penser
sous la forme dépliée, auquel s'ajoute le système d'encoche.
48
ECO-HABITAT ET ÉCO-DESIGN
Aujourd'hui les questions d'écologie, d'environnement sont plus que jamais
d'actualité, et les secteurs de l'architecture et de l'urbanisme sont évidement parmi les
plus à même de trouver des solutions probantes à ces problèmes.
Ces solutions ne concernent pas uniquement les éléments de structurels de la maison,
car celle ci est une entité active, consommatrice d'énergie, de ce fait elles concernent
également les systèmes d'alimentation de la maison, tels que le système d'eau et de
chauffage.
La notion d'éco-construction est apparue à la fin des années 1960. Elle consiste à créer,
restaurer, rénover ou réhabiliter un habitat en lui permettant de respecter au mieux
l'écologie (dans toutes ses composantes) à chaque étape de la construction, en cherchant
à s'intégrer le plus respectueusement possible dans un milieu en utilisant au mieux des
ressources peu transformées, locales et en favorisant les liens sociaux. Parallèlement
dans le monde du design l'heure est au retour aux formes épurées et aux matériaux
alternatifs. Léger à transporter et solide à l'usage, le carton répond totalement à ses
nouveaux enjeux. Nombreux sont les meubles souvent à monter soi-même qui utilisent
cette matière. Les designers ne se lasse pas de jouer avec ce matériau économiquement
avantageux.
A Amsterdam, fief de nombre de créations centrées sur le « slow design », l'agence de
publicité Nothing28 a aménagé ses locaux entièrement en carton. Les designers Alrik
Koudenburg et Joost van Bleiswijk ont réalisé ce projet d'envergure éthique où les murs,
les poutres, l'escalier, les tables, chaises et étagères ont été confectionnées en carton. En
outre le carton est vierge de toute décoration, la surface neutre laisse donc la liberté à
chaque partenaire et client de l'agence de laisser une marque de passage.
L'autoconstruction est aujourd'hui un acte d'indépendance et ne répond plus foncièrement
à une nécessité. Un acte d'indépendance vis-à-vis du « produit » maison créé par
l'architecte pour répondre aux besoins de l'habitant. Cet habitant, même si il est le
49
28 http://www.nothingamsterdam.com/ (rubrique « the nothing office »)
propriétaire de sa maison vit dans la maison de l'architecte qui l'a conçue pour lui. Et dans
le cas de la maison individuelle, celle qu'il a conçue pour lui et pour quelques milliers
d'autres, ce qui induit un changement dans la relation entre l'architecte et l'habitant qui
aboutit à une quasi impossibilité de la communication. L'autoconstruction permet par
conséquent de s'émanciper de ces règles et d'acquérir une certaine liberté de choix. Elle
permet de se libérer de l'expert et jusqu'à un certain point de la technique. Elle autorise
l'accès à une autonomie par rapport à un système de consommation du logement mais
également à une autonomie sur le plan économique et sociétal. En outre
l'autoconstruction s'accompagne d'un processus d'autoplanification. Cette
autoplanification est fondée sur la connaissance et l'appropriation d'un langage qui
conduit à la réalisation d'un plan, celui-ci étant la notation d'une réalité projetée, une
carte aisément réalisable. L'habitant prend alors ses décisions lui-même après avoir
appris ce langage et l'architecte n'est plus finalement le maître créateur d'autrefois mais
il devient l'interprète d'une grammaire de l'habitat. Aussi l'entreprise d'autoconstruction
s'accompagne de plus en plus souvent de la mise en place de systèmes énergétiques
autonomes dans la perspective de construire ce que l'on appelle une « maison passive 29»,
c'est-à-dire peu consommatrice d'énergies et par conséquent ayant un impact moindre
sur l'environnement. Cependant, il est difficile d'évaluer à quel point peut-on réellement
s'extraire de ces normes. Ici le temps de la construction est tout aussi important que
l'achèvement en lui-même.
La maison symbole de stabilité, de solidité et d'immuabilité et il s'avère que le matériau
de ma maison, le carton, fait que cette forme devient instable, temporaire, précaire. De
même qu'à l'heure actuelle les matériaux lourds et onéreux sont remplacés par d'autres,
plus faciles à manipuler, les cartons ayant un but commercial antérieur celui de stocker et
véhiculer des marchandises. L'habitat sédentaire a ici une durée de vie limitée, ce qui
engage à une réflexion critique par rapport aux produits proposés aujourd'hui dans le
commerce, entre autres, maisons, mobiliers, électroménager qui sont conçus de moins en
moins pour durer. En utilisant la forme d'une maison témoin qui est un modèle
reproductible en série, j'isole celle-ci des autres par le simple fait quelle est inutilisable.
50
29 La notion de maison passive est initialement issue d'une norme énergétique allemande, le site http://www.passiv.de/ donne une définition chiffrée de cette notion.
HABITAT ET MOBILITÉ
Nous avons quelques fois une vision un peu archaïque du nomade. Le nomadisme est
souvent associé à une organisation sociale de type tribale ou à ce que les anthropologues
appellent « une société segmentaire » c'est-à-dire une société structurée en lignages,
clans, tribus et éventuellement confédérations tribales. En principe, c'est la quête de
nourriture qui motive les déplacements des hommes : une économie de cueillette et de
chasse peut en être à l'origine, mais les plus grandes sociétés nomades pratiquent
l'élevage pastoral, où la recherche de pâturages et le déplacement des animaux fondent la
mobilité des hommes. Ainsi, le nomade fait souvent partie d'un groupe ou communauté de
personnes dont la vie est complètement organisée autour de l'action de se déplacer.
Leurs constructions sont conçues dans l'optique d'être montées, démontées et
transportées facilement, telles la tente du touareg et la yourte du mongol. Mais ce mode
de vie purement nomade tente peu à peu à disparaître, étant donné que les états que
ceux-ci traversent essaient le plus souvent de les sédentariser. L'apparition d'une
résidence principale peut être le fait d'une sédentarisation forcée, comme ce fut le cas
lors du mouvement de collectivisation des terres dans les républiques ex-soviétiques
d'Asie centrale. Le semi-nomadisme est ainsi le mode de vie de nombreux éleveurs
kazakhs et surtout kirghizes.
Mais nous voyons naître une autre forme de nomadisme, car l'homme moderne n'est plus
celui d'une seule maison, d'un seul foyer. Son espace vital c'est largement élargi depuis le
XIXe siècle, il n'est plus cantonné à vivre toute sa vie dans un même village, dans sa
première maison. La révolution industrielle a tout d'abord permis l'essor et la
démocratisation des moyens de transports. L'homme peut se déplacer plus facilement,
plus vite, plus loin. Sa vision du monde s'agrandit peu à peu. Comme le souligne Paul
Virilio « la sédentarité a fait l'histoire, au travers de la fin du nomadisme et de la victoire
de la ville sur les tribus nomades. La ville a été le lieu d'inscription de l'histoire et pas
seulement en Occident. Donc l'immobilier, le foncier ont dominé les mouvements des
51
tribus : le droit du sang a été remplacé par le droit du sol. Or ce rapport au sol, qui nous a
constitué, est en crise. »30 On peut mettre en évidence deux principales causes qui, issues
de l'industrie du progrès, remettent en question la notion de sédentarité. Je parle ici de
l'automobile et des télécommunications. Pour commencer, tout ce qui rentre en contact
avec l'automobile s'en trouve renouvelé. Au début du vingtième siècle les deux modèles
antagonistes de sociabilisation de l'homme que sont l'automobile et l'habitat vont se
rencontrer. Ses deux modèles sont les facteurs d'un homme nouveau. Alors que
l'automobile n'est encore qu'un objet de distinction, les manufactures de Ford la
transforme en objet en série. Dès la première guerre mondiale, les constructeurs,
informés des méthodes tayloristes adoptées dans les usines automobiles américaines,
proposent l'alternative d'une production de maisons en série à la portée de tous les
budgets. La maison portative sera la maison de l'adaptation, un outil du nomadisme post-
urbain et de ses nouvelles urgences sociales. Selon Le Corbusier « la maison ne sera plus
cette chose épaisse qui prétend défier les siècles et qui est l'objet opulent par quoi ce
manifeste la richesse ; elle sera un outil comme l'auto est devenue un outil. La maison ne
sera plus une entité archaïque, lourdement enracinée dans le sol par de profondes
fondations, bâtie de dur et à la dévotion de laquelle s'est instauré depuis si longtemps le
culte de la famille, de la race, etc. Si l'on arrache du coeur et de l'esprit les concepts
immobiles de la maison et qu'on envisage la question d'un point de vue critique et objectif,
on arrivera à la maison-outil, maison en série accessible à tous. »31
Ensuite, on peut constater les effets des nouvelles technologies de communication sur la
manière dont l'homme du XXIe siècle envisage l'espace qui est le sien. Aujourd'hui et
grâce à ces prouesses techniques nous sommes en train d'aller « au-delà » de la
sédentarité, car le sédentaire a les moyens, par le biais du téléphone portable, de
l'internet, d'être partout chez lui et cela où qu'il soit car « le temps réel de sa présence est
plus important que l'espace réel de sa demeure »32
Nos nouvelles sociétés cessent donc d'être des sociétés du stationnement durable pour se
52
30 Interview de Paul Virilio au sujet de l'exposition Terre Natale, Fondation Cartier, Paris, 2010, conçue avec Raymond Depardon. consultable sur http://www.culturemobile.net/marche/visions-d-experts/terre-natale-virilio-01.html
31 Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Crès, 192332 Ibid, n° 12
convertir en sociétés de la circulation habitable. Nous convergeons de plus en plus vers
les lieux dits de transit, tels que la gare, le port, l'aéroport, ces plateformes deviennent les
véritables jalons de nos périples circulatoires. La ville autrefois lieu d'accumulation et de
concentration laisse place des carrefours de la distribution, du dispatching.
A contrario, le nomade qui auparavant était partout chez lui est maintenant nulle part chez
lui. Celui-ci s'appropriait tous les territoires qu'il traversait alors qu'à présent c'est
l'inverse, il est dans une fuite permanente, ce qui était hier un choix c'est transformé
aujourd'hui en contrainte. A noter que, paradoxalement, ces exclus le sont aussi du monde
numérique. Paul Virilio emploi le néologisme trajectivité qui selon lui remet en cause la
notion de trajet. La tracabilité prendrait le pas sur l'identité locale, nationale, contrôler le
trajet d'un individu l'emporte sur son lieux de naissance, sa terre natale. La télé et la radio
ont permis d'avoir la ville chez soi, à demeure. Avec la révolution des transmissions, le
portable, l'ordinateur et les réseaux qui nous permettent d'être connecté en permanence,
on a la ville sur soi. Il va plus loin en affirmant qu'avec les transplantations, c'est-à-dire la
possibilité d'implantées des puces à radiofréquence non seulement sur les objets mais
dans le corps des sujets, demain, on aura la ville en soi...
Pour en revenir aux formes d'habitations liées au nomadisme, l'une des constructions les
plus élémentaires construite par l'homme est très certainement la tente. Le plus
fantastique dans cette construction réside dans la survivance, et même la reconversion,
de ce mode d'habitation de nos jours, grâce au développement d'une société de loisirs et
sous couvert bien sûr de quelques améliorations techniques et formelles. La maison c'est
le lieu de la propriété, elle est propriété et cette propriété est délimitée par des murs. La
tente on y rentre, on y accumule de l'expérience, et cette expérience se ramifie et se
disperse à travers la paroi de toile. Comme l'indique le mot lui même (latin tela, du verbe
texere, tisser), la toile est un réseau, et sur ce réseau sont traitées des expériences; c'est
un textile ouvert à toutes les expériences (ouvert au vent, à l'esprit) et qui les stocke.
Mais concrètement, les possibilités sont grandes : tente, yourte, roulotte, igloo, case,
grotte, mobil home, camping-car et même sac de couchage, carton. L'utilisation du carton
53
dans mon projet est, je crois, ce qu'il y a de plus déterminant. Le carton souligne l'aspect
précaire de ma maison, sa fragilité, mais à la fois le caractère uniforme de cette matière
peut traduire le côté sériel, standardisé de mon travail. Il donne également au dessin
technique une certaine sensibilité. Sans oublier qu'un simple carton peut être assimilé à
un habitat, un abri, je pense à celui des SDF qui s'en servent comme barrière contre le
froid et le regard des passants. Ce peut être aussi le matériaux de la cabane, l'on trouve
même maintenant dans le commerce des modèles que l'on doit uniquement déplier pour
les utiliser. D'autre part le carton que je vais utiliser sera recyclé (dans le sens de ré-
employé), l'utilisation de colle ou d'autres éléments pour assembler les différentes
pièces de la maison ne sera pas nécessaire, on peut donc voir ici quelques vertus
écologiques et économiques à ce projet. D'ailleurs on peut remarquer la grande tendance
actuelle de l'habitat écologique qui existe en fait depuis plusieurs dizaines d'années, mais
qui jouit d'un regain d'intérêt.
54
BIBLIOGRAPHIE
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AUGE MARC, Non-lieux - introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, Paris, 1992
Sites WEB
www.archilab.org
http://www.recetasurbanas.net/
http://www.urbantactics.org/
http://www.calearth.org/
http://www.arcenreve.com/ 55
QUELQUES EXPOSITIONS CLÉS
> Habitat précaire, habitat transitoire Carroi des arts – Montlouis-sur-Loire Du 5 Février 2007 au 24 Février 2007
Cette exposition présente une partie de la riche collection du Fonds régional d’art contemporain de la région Centre (FRAC Centre), spécialisée en architecture expérimentale contemporaine. La thématique choisie, « habitat précaire, habitat transitoire », est souvent associée à des éléments vécus négativement, comme la précarité des habitants, ou la visée à court terme des bâtisseurs. Ici, elle met en lumière la conception d’architectures mobiles, créées pour s’installer sur des sites rêvés sans nuire à l’environnement, ou utilisant des matériaux a priori précaires ou fragiles (comme le carton, le container ou la tôle) pour construire des architectures durables.
> Mobilité et architecture Fonds Régional d’Art contemporain du Centre - Orléans Du 25 mai au 15 juillet 2007
Le projet Mobilité et architecture avec une vingtaine d’enseignants et leurs élèves, de la maternelle au supérieur. De l’habitat itinérant aux réseaux d’informations en passant par les flux migratoires, la notion de « mobilité » a aujourd’hui envahi notre monde. Elle peut concerner la mobilité du corps dans l’architecture et l’espace urbain mais aussi celle de l’architecture même (habitats nomades, temporaires ou évolutifs) ou bien encore la mobilité urbaine (rythmes, trafics, flux…). Riche de projets d’architectes explorant cette notion, la collection du FRAC Centre a nourri les démarches pédagogiques des enseignants et l’imaginaire des élèves.
> La Villa de Mademoiselle B . Cité de l'architecture et du patrimoine - Paris Du 11 Octobre 2007 au 27 Janvier 2008
Sous prétexte de réaliser une villa pour une Mademoiselle B. qui n'est autre que la poupée Barbie, l'exposition propose une réflexion sur les tendances de la maison idéale en réponse à l'évolution de nos modes de vie. La Cité de l'architecture et du patrimoine a demandé à neuf femmes architectes françaises (Sophie Delhay, Dominique Jakob, Anne-Françoise Jumeau, Isabel Hérault, Karin Herman, Raphaëlle Hondelatte, Gaëlle Hamonic, Florence Lipsky, Fiona Meadows et Emmanuelle Marin-Trottin) de créer collectivement la maquette au 1/6e d'une maison contemporaine, à partir des fragments imaginés par chacune d'entre elles.
> Archilab - Collection FRAC Centre Musée d’art contemporain, Taipei - Taiwan Du 15 juin au 17 août 2008
Cette exposition réunit quelque 250 dessins et maquettes parmi les projets les plus emblématiques de la collection du FRAC Centre, propose une traversée des expérimentations architecturales et urbaines, des années 1950 jusqu’à la période la plus récente. Cette exposition révélera les approches radicales et visionnaires qui ont bouleversé l’architecture et l’urbanisme de ces dernières décennies.
> Fait Maison Le Bon Accueil - Rennes Du 17 janvier au 22 février 2009
Les travaux rassemblés dans cette exposition collective révèlent l’emprise expansive de nos cadres bâtis et l’affrontement métaphorique qui se joue entre l’homme et son milieu. Grands ensembles, maisons secondaires, chantier de construction ou simples pavillons accèdent au statut de figures qui finissent paradoxalement par nous habiter, opérant une colonisation de nos imaginaires. Autant de figures en partage que le public rennais, dans une agglomération en chantier permanent sur ses limites, peut s’approprier aisément.
56
(ANNEXES)
> EL piso, (Barcelone, 2010)
> La maison en kit - Le plan- Les croquis- La maquette- Réalisation d'une planche : la gazinière- La notice de montage- Vue d'ensemble des plans vectoriels
Présentation d'un projet annexe : El piso* (*L'appartement) Erasmus Barcelone, 2010
J'ai profité de mon séjour cette année aux Beaux Arts de Barcelone pour poursuivre
en parallèle mon travail sur l'habitat. J'ai développé au sein d'un atelier de sculpture un
projet issu de mes recherches initiales. J'ai utilisé les plans de la maison pour faire naître
un projet complémentaire au premier. Ce travail étant en quelque sorte une prolongation
de la Maison en kit, il m'a paru important de vous le présenter.
Ce projet consiste en la conception et la réalisation d'une installation dans un lieu concret,
celui de l'atelier de sculpture. Ce travail devait jouer avec la notion de limites. Cette notion
peut être comprise de différentes manières ; sur un plan formel, matériel et idéel . C'est-
à-dire en tant que réalité concrète et en tant que concept. Et bien évidemment une des
limites principales fût d'imaginer un projet pour un lieu définit sans sortir de celui-ci.
Mon idée consista en la conception d'un lieu clos à l'intérieur d'un autre lieu clos, d'une
construction en abîme. Pour cela j'ai choisi de dessiner directement sur le sol, le plan d'un
appartement pour une personne seule avec le minimum de meubles et de fonctionnalités
pour vivre. Ce plan a été pensé formellement comme un plan d'architecte, en lignes noires
pour représenter les murs, les portes et le mobilier vu du dessus. Il est en définitive d'une
conception assez géométrique et épuré. De cette manière j'ai pu « construire » un
appartement à l'intérieur d'un édifice non prévu à cet effet.
Les limites entre public et privé sont ici ambiguë, les cloisons dessinés par les lignes
noires ne sont infranchissables qu'en « principe » et laisse voir entièrement leurs dedans.
Intérieur et extérieur se retrouvent à un même niveau de lecture.
Initialement une maison en carton, en volume, était prévue comme surgissant à l'intérieur
du plan. Cette idée est apparue comme trop redondante, j'ai alors choisi de conserver
uniquement la forme pyramidale du toit, qui placée dans la pièce principale de
l'appartement apporte dynamisme et rythme à cet ouvrage en deux dimensions.
58
Un côté ludique émane inévitablement de ce projet, la forme du dessin n'est pas sans
rappeler les marelles et autres jeux récréatifs dessinés sur le sol. La simplicité du
dispositif de représentation laisse libre place à l'imagination et à la projection, on peut
facilement mettre en scène mentalement cet espace. Je me suis d'ailleurs souvenue
rétrospectivement du film Dogville de Lars Van Trier qui se déroule dans un décor
minimal et où le quartier est simulé par quelques meubles ainsi que quelques lignes
blanches sur le sol et des légendes.
59
Scène du film Dogville de Lars Van Trier, 2003
Processus de réalisation du projet El piso
60
Chloé Hellec, El piso, 2010Adhésif noir et carton sur sol365 x 365 cmBBAA Barcelona
LA MAISON EN KITAnnexes
Plan
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Plan de la maison vue du dessus 3,95 x 3,22 m, échelle 1/43
Croquis
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La maquette
Maquette de la maison en kit, vue de profil,62 x 50 x 64 cm, peinture et impression sur carton
Vue de face
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Vue de derrière
Vue du dessus, de face
Vue de dos
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Vue du dessus, de profil
Vue du dessus, intérieur
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Vue intérieure, coin cuisine Vue intérieure, salle de bain
Vue intérieure, vue d'ensemble
La notice de montage
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Notice de montage, 12 pages21 x 16,5 cm, n&b à l'italienne
69
Notice de montage, 12 pages21 x 16,5 cm, n&b à l'italienne
Planche peinte sur kraft
Gazinière, Acrylique noir sur papier kraft, 315 x 255 cm
Vue d’ensemble des plans vectoriels
Armoire, tracé véctoriel, 114 x 432 cm
Douche, tracé véctoriel, 206 x 138 cm
Toilettes, tracé véctoriel, 211 x 162 cm
Table de chevet, tracé véctoriel, 170 x 209 cm
Evier, tracé véctoriel, 344 x 243 cm
Réfrigérateur, tracé véctoriel, 242 x 293 cm
Lavabo, tracé véctoriel, 179 x 162 cm
Lit, tracé véctoriel, 282 x 287 cm
Chaise, tracé vectoriel,146 x 215 cm
Gazinière, tracé véctoriel, 315 x 255 cm
Table, tracé véctoriel, 240 x 372 cm
Prise de courant, tracé véctoriel, 17 x 24 cm
Interrupteur, tracé véctoriel, 19 x 23 cm