Post on 28-Dec-2015
Éléments de pragma-sémantique
du groupe nominal.
L’anaphore et la cataphore en français et en
roumain
Simona-Aida Manolache
3
0. INTRODUCTION
0.1. Pourquoi une étude comparative de l’anaphore/cataphore?
En tant que phénomènes linguistiques, l’anaphore1 et la cataphore
2 sont définies
généralement comme les deux manifestations possibles du même type de relation de
dépendance orientée, établie entre deux segments (termes, expressions, propositions) de la
chaîne énonciative, relation qui met en jeu un mécanisme référentiel particulier, de sorte que
l’interprétation de l’un des segments – l’anaphorique/le cataphorique – est conditionnée
par la présence de l’autre – l’antécédent/le subséquent – dans le cotexte (le texte qui
précède et qui suit l’occurrence d’une unité linguistique). Lorsque l’antécédent précède
l’anaphorique, on emploie le terme d’anaphore (1); au cas où le segment dépendant du point
de vue référentiel, le cataphorique, précède le segment dont il a besoin pour l’interprétation,
le subséquent, on parle de cataphore (2).
(1) “Zoéi reconnut Hortyj. Ellei sei leva, sei serra contre luij. Ellei lâcha sesi couteaux,
de peur de lej blesser.”3 (FCT:26)
“Zoéi îl recunoscu pe Hortyj. Eai sei ridică, sei strânse la pieptul luij. Dădu drumul
cuţitului de frică să nu-lj lovească.” (FCT:20)
(2) “Ili court, un jeune veau en travers des épaules. Avant de sei lancer, ili a lui-mêmei
entravé les pattes de l’animal avec les cordes de chanvre. […]
Hortyi sent contre sa nuque la chaleur brûlante du corps de l’animal.”
(FCT:11, premières lignes du roman)
1 Anaphore (1557 ; gr. ana – « en arrière, en remontant » gr. pherein – « porter ») est un terme
métalinguistique polysémique:
1) Dans la rhétorique, il signifie la répétition d’un mot en tête de plusieurs membres de phrase
pour obtenir un effet de renforcement ou de symétrie.
2) Julia Kristeva (1969:81) définit l’anaphore comme la mécanisme de renvoi à l’intertexte.
Dans notre thèse nous ne prêtons pas attention de façon particulière à ces deux acceptions du terme
«anaphore». 2 Cataphore (gr. kata – « en dessous, en bas, en descendant »): ce terme est utilisé pour la première fois
par K. Bühler (apud M. Kesik, 1989:17). 3 Nous soulignons les antécédents ou les subséquents seulement lorsqu’il nous semble que cette mise en
évidence facilite la lecture de notre thèse. Pour indiquer la coréférence – qu’elle implique ou pas une
relation d’anaphore – nous utilisons les indices référentiels.
4
“[Ø]i Aleargă cu un viţel de-a latul spatelui. Înainte de a-şii lua avântul, a prins el
însuşii picioarele animalului în frânghii de cânepă. […]
Hortyi simte în ceafă căldura arzătoare a corpului animalului. ” (FCT:7)
(Nous allons noter de cette façon – [Ø] – un anaphorique ou un cataphorique vide.)
Cette distinction terminologique suggère les différences de fonctionnement dans les deux
rapports référentiels : il y a des termes dans la langue française qui entrent presque toujours
dans une relation anaphorique (les pronoms réfléchis); d’autres ne sont que des
cataphoriques (certains groupes nominaux comprenant l’adjectif suivant et la plupart des
interrogatifs, si l’on considère la relation entre les interrogatifs et la réponse comme une
relation de cataphore, en passant sous silence la distinction entre le point de vue de
l’encodeur et celui du récepteur). Diverses contraintes d’ordre syntaxique et sémantique
imposent l’emploi et l’interprétation du même terme tantôt comme anaphorique, tantôt
comme cataphorique. Pour ne donner qu’un exemple, dans la phrase Devant lui, Matthieu
vit un saurien., lui et Matthieu peuvent renvoyer au même référent, c’est-à-dire à la même
personne de la réalité extra-linguistique (et alors lui est cataphorique), ou à des référents
différents. Au cas où le pronom est utilisé après le nom propre dans la chaîne énonciative –
Devant Matthieu, il vit un saurien. – , la disjonction référentielle est obligatoire, le pronom
il ne pouvant pas être pris pour un anaphorique qui ait le même référent que le nom
Matthieu.
Les traductions des extraits de textes qui nous ont servi à exemplifier l’anaphore et la
cataphore mettent clairement en évidence l’absence d’une équivalence absolue entre le
français et le roumain en ce qui concerne les moyens par lesquels se réalisent les relations
anaphoriques et cataphoriques.
Il faut préciser dès le début que les termes anaphore/anaphorique s’emploient
beaucoup plus fréquemment dans le langage scientifique que les termes
cataphore/cataphorique, vu que les premiers ont souvent un sens générique, en impliquant
les relations exprimées par les derniers.
M. Maillard (1974:56) schématise les deux relations que nous venons de mentionner
de la manière suivante :
5
Une analyse attentive de ces mécanismes référentiels, apparemment si faciles à définir,
dévoile leur grande complexité: ce n’est d’ailleurs pas par hasard que des centaines
d’articles et de livres leur ont été consacrés ces dernières années. Le sujet est d’autant plus
passionnant qu’il permet aux chercheurs de l’aborder de plusieurs points de vue:
linguistique (syntaxique, sémantique), psycholinguistique, informatique. Les recherches dans
le domaine de l’Intelligence Artificielle ont lancé un vrai défi aux sciences du langage, à
cause de l’impossibilité d’“apprivoiser” les expressions anaphoriques et cataphoriques et de
les renfermer dans un programme automatique de traduction d’une langue à l’autre, ou tout
simplement dans un programme qui devrait résoudre de façon automatique la référence dans
le dialogue homme-machine 4.
En ce qui nous concerne, notre intérêt pour l’étude de l’anaphore et de la cataphore a
été suscité à la suite de constats très banals, liés à des situations auxquelles nous nous
confrontons tous les jours.
Comme enseignante de langue française, nous avons remarqué le fait qu’une grande
partie des fautes faites par nos étudiants dans les épreuves écrites ou les exposés ne relèvent
pas de la morpho-syntaxe, mais tiennent plutôt à la méconnaissance des aspects spécifiques
4 Par exemple, A. Reboul et J. Moeschler (1998:132-133) citent le projet CERVICAL, ayant pour but la
construction d’un outil informatique qui permette à la machine de trouver le bon référent d’une expression
référentielle.
ANAPHORE
« lien référentiel »
A B
« référé » « référant »
« chaîne énonciative »
CATAPHORE
« lien référentiel »
B A
« référant » « référé »
« chaîne énonciative »
6
à la “mise en texte” et à des interférences entre le système des expressions référentielles du
roumain et celui du français. D’ailleurs, quel enseignant roumain de français peut se vanter
de n’avoir jamais trouvé dans les épreuves de ses élèves une chaîne anaphorique du type
“Carteai … . Eai ….” traduite par “Le livrei … . Ellei …. ”? L’une des solutions possibles
pour éviter ces fautes est de trouver et d’offrir aux étudiants des explications théoriques
pertinentes et efficaces qui leur facilitent la compréhension des nombreux problèmes posés
par le passage de la phrase au texte, y compris du maniement des anaphores lexicales ou
pronominales transphrastiques.
En tant que lectrice, nous avons été dérangée parfois par la présence dans les
traductions roumaines de certains marqueurs référentiels qui nous ont semblé superflus,
voire incompréhensibles. Les romans policiers et les divers autres livres qu’on trouve
d’habitude dans les kiosques à journaux, et dont les traducteurs ne sont visiblement pas des
meilleurs, sont bourrés de pronoms inutiles:
“Alcoolul îi făcu bine lui Malko. Practic el dormea în picioare. Boeingul companiei Air
India care-l adusesese de la New York nu avusese decât nouă ore întârziere, dar el nu
avusese altă alegere la dispoziţie. Kuweit Airways nu ajungea pînă la New York. Ea (?)
avea petrol, avea avioane, dar nu avea atâţia piloţi.”
“Poarta se deschise în faţa lui Lo-Shing. Cu nasul turtit şi cu urechile în formă de
conopidă, el părea scăpat dintr-o confruntare cu o betonieră. Născut în sudul Chinei, el
avea statura masivă a ţăranilor din Yunan, cu un bust gros şi membre scurte. În
ansamblu era un om abominabil, dar era omul cel mai bogat din Ventiane. El locuia
într-o casă enormă verde.”5
Même dans le cas des traducteurs dont on ne saurait pas mettre en doute la
compétence il y a des différences6 quant aux expressions référentielles (moins évidentes
dans une lecture non-comparative) entre les variantes de traduction proposées :
“Aussi quand cette année-là, la demi-mondaine raconta à M. Verdurin qu’elle avait fait
la connaissance d’un homme charmant, M. Swann, et insinua qu’il serait très heureux
d’être reçu chez eux, M. Verdurin transmit-il séance tenante la requête à sa femme. (Il
5 Ce sont des textes extraits de deux romans de Gerard de Villiers (Omorâţi-l pe Henry Kissinger et Mafia
drogurilor, Editura Tinerama, traduits par Vasile Murgu), dont nous n’avons pas cru nécessaire de chercher
les originaux. Si nous n’avions pas choisi de nous limiter aux traductions publiées, nous aurions pu utiliser,
dans le même but argumentatif, certaines traductions fournies par nos étudiants. 6 Nous admettons théoriquement la possibilité que les différences entre les diverses variantes de traduction
soient générées par des différences qui existent déjà entre les variantes originales utilisées comme textes de
départ pour les traductions.
7
n’avait jamais d’avis qu’après sa femme, dont son rôle particulier était de mettre à
exécution les désirs, ainsi que les désirs des fidèles, avec de grandes ressources
d’ingéniosité.)” (RTP, 1994:14)
(1) “De aceea, când demi-mondena povesti anul acesta domnului Verdurin că făcuse
cunoştinţa unui bărbat fermecător, domnul Swann, şi dădu să înţeleagă că acesta ar fi
fericit să fie primit la ei, domnul Verdurin transmise pe loc cererea soţiei sale. (N-avea
niciodată vreo părere, decât ce spunea soţia lui, al cărei rol deosebit era de a executa,
cu mari mijloace de ingeniozitate, dorinţele lui şi acelea ale credincioşilor).”
(RTP I, trad. R. Cioculescu, 1968:10)
(2) “Iată de ce când, în acel an demimondena îi povesti domnului Verdurin că tocmai
cunoscuse un bărbat încântător, pe domnul Swann, insinuând că acesta va fi foarte
fericit să fie primit în vizită, domnul Verdurin transmise pe loc această cerere nevestei
sale. (Căci nu avea niciodată vreo părere înaintea ei, iar rolul lui special era de a-i
aduce la îndeplinire dorinţele, precum şi pe cele ale «credincioşilor» casei,
desfăşurându-se în chipul cel mai ingenios).” (RTP II, trad. I. Mavrodin, 1987:192)
Les traductions ou l’enseignement d’une langue étrangère ne sont pas les seules
activités grâce auxquelles on constate la difficulté de former des chaînes référentielles
correctes ou d’interpréter des chaînes ambiguës. Qu’on se résume à l’analyse d’une seule
langue et on réussit à trouver, sans trop chercher7, des exemples d’énoncés mal construits à
cet égard. Et le premier exemple qui nous vient à l’esprit est extrait d’une chanson très
populaire au début de l’an 2003:
Fata mea este model / Se ia lumea după el!
Pourquoi ce petit texte nous fait-il sourire et comment expliquer l’impression
d’inacceptabilité? Afin que la réponse à cette question ne reste pas en suspens, nous
devrions déjà signaler que les linguistes font la distinction entre les expressions référentielles
– qui, manifestement, identifient un référent – et les expressions attributives – qui, elles,
servent à construire une prédication. Si une expression référentielle peut en principe être
remplacée par toute autre expression qui renvoie au même référent – et, par conséquent,
peut entrer dans une relation d’anaphore –, une expression attributive ne se laisse remplacer
7 Voici un fragment d’un article de presse, lu par hasard, qui sanctionne les chaînes référentielles mal
construites dans les discours oraux des participants à une émission télévisée: “În altă ordine de idei,
montajul emisiunii e în aşa fel ticluit, încât ambiguităţile se înşiră ca nişte mărgele.«Am fost crescut de
bunica» «Şi când aţi văzut-o ultima oară?» (se înţelegea că pe bunica) «Acum zece ani». Vorbea de mamă
de fapt. Apoi, în alt caz, se spune că «Tatăl lui adoptiv l-a bătut, iar mama lui l-a părăsit.» Pe cine l-a
părăsit? Pe tatăl lui adoptiv sau pe copil? Care mamă? Mama copilului sau mama tatălui? Poţi înţelege
orice. Sau, mai corect exprimat, nu poţi înţelege nimic.” (Naţional, 4 décembre 2002)
8
– sauf quelques exceptions prévues par les règles de la syntaxe – que par une autre
expression avec le même sens. En anticipant les observations que nous exprimerons par la
suite, nous signalons le fait que la transgression de cette règle d’emploi des anaphoriques
permet au “locuteur” de la chanson d’exposer ses opinions, son point de vue, par la
recatégorisation du référent: il croit que les gens n’apprécient pas sa fille pour ce qu’elle est
en réalité, avec ses qualités et ses défauts, mais pour la perfection de l’image qu’on lui a
construite.
0.2. L’embarras du choix
Le grand nombre de travaux ayant comme thème l’anaphore et la cataphore constitue
une aide et un piège à la fois pour quiconque s’adonne à l’étude de ces mécanismes
référentiels. Même les linguistes reconnus comme des spécialistes dans le domaine
formulent parfois des déclarations étonnamment modestes, voire légèrement défaitistes, telle
celle que nous avons mise en exergue ou, encore, celle de G. Kleiber : “Personne ne peut se
vanter actuellement de posséder la clef-sésame des pontages anaphoriques” (1994:10).
Dès le départ, le chercheur prêt à s’appliquer à une analyse approfondie de la
référence anaphorique ou cataphorique doit se poser plusieurs questions:
Comment définir l’anaphore et la cataphore ou quelle définition choisir de toutes celles
qui ont déjà été formulées?
Aborder les faits de manière descriptive ou explicative, diachronique ou synchronique?
Pour quelle approche opter: mémorielle, pragmatique ou pragma-sémantique?
Examiner le processus référentiel du point de vue de l’encodeur ou de celui du
récepteur?
Analyser les traits définitoires de l’anaphore et de la cataphore en général ou de façon
particulière pour chaque expression référentielle?
Se limiter aux expressions d’une seule langue ou essayer de trouver leurs traits
universels par une analyse comparative?
D’où prendre les exemples d’énoncés qui engendreront et/ou soutiendront les
affirmations théoriques?
9
0.2.1. De la méthode
Le système des expressions référentielles est bien évidemment différent d’une langue à
l’autre. Toutefois, les expressions référentielles roumaines et les expressions référentielles
françaises sont comparables et assez semblables pour qu’on puisse profiter dans l’analyse du
roumain des acquis de la linguistique française et inversement. Nous croyons qu’une
comparaison des pronoms, en tant qu’expressions référentielles, à travers la traduction
serait utile si elle atteignait au moins deux buts : fournir de nouveaux renseignements
concernant le mode de donation du référent et les rôles discursifs spécifiques au pronom
roumain et étayer ou contredire certaines affirmations sur l’anaphore promues par les
théories sémantiques et pragmatiques françaises.
Nous partons de l’idée que, à la fin du processus de traduction d’un anaphorique, il
faut préserver, d’une part, le rapport entre l’anaphorique et le référent auquel il renvoie et,
d’autre part, les rôles de l’anaphorique dans la dynamique du discours. En d’autres mots,
même dans le cas d’une traduction indirecte (l’expression anaphorique française n’est pas
traduite par son équivalent de dictionnaire en roumain), le texte d’arrivée doit référer aux
mêmes référents et de la même manière, avec les mêmes effets sur le récepteur que le texte
source. Par conséquent, l’appréhension des traits des expressions référentielles maintenus à
travers les traductions attestées permet la compréhension et l’explication de ce qui est
fondamental pour chaque marqueur référentiel des deux langues prises en considération.
Notre démarche se situe dans le cadre de la pragmatique sémantique. Afin de rendre
clairs le sens de ce syntagme et les motifs de notre choix, nous consacrerons le premier
chapitre de notre cours à la présentation sommaire des principaux types d’approches de
l’anaphore pronominale dans la linguistique française et dans la linguistique roumaine. À
notre avis, il y a un certain décalage (nous pensons à la quantité d’études consacrées au
sujet, et non à leur qualité) entre la mise en théorie des observations sur
l’anaphore/cataphore faites pour le roumain par rapport au français, aussi avons-nous
décidé de mentionner dans des sous-chapitres bien distincts les contributions apportées pour
chacune des deux langues à l’étude du sujet.
La description des diverses perspectives théoriques sera continuée et complétée par la
description du comportement des anaphoriques et des cataphoriques dans les textes. Après
la classification des anaphores et des cataphores – l’un des rares apects qui jouissent d’un
certain consensus métalinguistique de la part des linguistes – nous systématiserons les
10
fonctions remplies par ces mécanismes aux niveaux référentiel, textuel et discursif. Quoique
la présentation des fonctions générales des anaphores et des cataphores soit conçue pour
servir d’appui en fin de compte à l’analyse de quelques pronoms, cette partie de notre
travail accordera beaucoup de place aux autres types d’anaphores, et spécialement à
l’anaphore nominale. Plusieurs raisons justifient l’attention particulière que nous prêtons à
celle-ci. En premier lieu, la description des fonctions de l’anaphore nominale facilite la
compréhension des fonctions de l’anaphore pronominale. Ensuite, cette description permet
l’identification des cas où l’on peut ou pas traduire les pronoms anaphoriques par des
groupes nominaux et inversement. En dernier lieu, présenter les fonctions de
l’anaphore/cataphore en général s’avère une démarche utile pour la linguistique roumaine,
qui ne dispose pas d’analyses de ces mécanismes référentiels aussi nombreuses et détaillées
que le français.
Si la perspective didactique nous a particulièrement incitée à faire des recherches sur
le thème de l’anaphore et de la cataphore, notre cours ne la prendra pas en considération
pour autant, dans ce sens qu’il ne s’intéressera pas aux raisons qui poussent les
élèves/étudiants à construire des textes déviants en ce qui concerne la réalisation de la
référence, ni n’offrira de solutions (explications et applications) qui aient pour but explicite
de contribuer à l’amélioration de la compétence de communication des apprenants.
À ce point de l’introduction, nous succombons à la tentation de citer P.E. Jones: “Je
me permets donc dès l’abord de rassurer le lecteur: je n’ai pas une nouvelle théorie sur
l’anaphore à exposer” (1995:9). En fait, ce que nous nous proposons est de profiter des
données fournies par les nombreuses recherches dans le domaine de l’anaphore et de la
cataphore dans le but d’exposer notre point de vue sur le fonctionnement de certains
marqueurs référentiels pronominaux. L’image qui illustrerait le mieux notre travail serait
celle d’un boomerang: nous choisirons de la linguistique française les théories qui nous
semblent les plus plausibles, nous les appliquerons, par un coup de force, à la langue
roumaine et nous verrons si les résultats les confirmeront ou non.
0.2.2. Des termes
Le premier obstacle à franchir dans une telle entreprise est la profusion des termes
métalinguistiques utilisés. Dans leurs efforts d’approfondir l’analyse des mécanismes
référentiels, les chercheurs proposent, pour les mêmes réalités de langue, des notions et des
11
définitions des plus diverses.
0.2.2.1. Anaphore/cataphore : dénominations
Après la parution des ouvrages de Benveniste (1966, 1974), qui ont mis les bases de
la linguistique de l’énonciation, l’anaphore, en tant que référence impliquant le cotexte, est
abordée surtout pour être opposée à la deixis, qui désigne la référence à la situation de
communication (dont les paramètres fondamentaux sont le locuteur, l’interlocuteur, le lieu
et le temps de l’énonciation). Le plus souvent, on se désintéresse de la cataphore, en la
signalant seulement comme un aspect particulier ou symétrique de l’anaphore.
T. Todorov (1970:10, 1972:406) intègre dans la deixis même les cas de référence
cotextuelle et fait la différence entre la deixis indicielle (situationnelle) et la deixis
anaphorique8.
Afin de souligner par le lexique employé la communauté de nature qui existe entre les
deux types de relations référentielles mentionnées, M.A.K. Halliday et R. Hassan (1976)
proposent une dichotomie transparente : endophore/exophore. L’endophore (en d’autres
termes l’anaphore et la cataphore) désigne les renvois internes au discours, et l’exophore
(c’est-à-dire la deixis) les renvois externes.
Quant à M. Maillard (1974:56), dont nous avons déjà présenté le schéma décrivant
l’anaphore et la cataphore, il s’arrête au mot diaphore pour dénommer d’une façon unitaire
ces deux processus référentiels. Les anaphoriques et les cataphoriques sont opposés aux
aphoriques, ces derniers étant caractérisés comme des fragments énonciatifs parfaitement
clos sur eux-mêmes, qui n’ont pas besoin du texte pour leur interprétation référentielle.
En définissant la référence comme un ensemble de mécanismes qui font correspondre
à certaines unités linguistiques certains éléments de la réalité extra-linguistique, C. Kerbrat-
Orecchioni (1980:34-35) postule que tout sujet utilise, à l’encodage ou au décodage, trois
types de mécanismes référentiels, qu’elle désigne par des syntagmes tout à fait explicites: la
référence absolue (les noms propres, des expressions du type le 22 mars 2003), la
référence relative au cotexte (représentants et termes relationnels) et la référence relative
à la situation de communication (les déictiques).
Toute sélection des termes suppose sans doute une option méthodologique. De ce
point de vue, les termes que nous avons choisis indiquent le fait que l’anaphore et la
8 Nous avons retrouvé cette acception des termes dans des travaux récents de R. Nagy (2002:129) et A.
Hobjilă (2003). Pour désigner les cas d’anaphore, S. Stati (1990:160) emploie le syntagme «deixis
coréférente».
12
cataphore nous semblent des mécanismes référentiels suffisamment différents de la deixis
pour qu’on ne les considère pas comme des manifestations particulières de celle-ci, mais
suffisamment proches l’un de l’autre du point de vue des principes qui sous-tendent leur
fonctionnement pour qu’on puisse les analyser ensemble.
0.2.2.2. Antécédent – anaphorique / subséquent – cataphorique : dénominations
Au début du XX-ème siècle, F. Brunot (1922,1965:173) introduit dans la linguistique
la notion de représentants (qu’il met en relation avec la notion de représentés) pour éviter
des mots “barbares ou équivoques” comme pronoms, proadjectifs, proverbes ou
prophrases. Cette notion est adoptée par de nombreux linguistes (parmi lesquels M.
Grevisse et A. Goosse, 1989) pour désigner des “termes ou expressions qui reçoivent leur
signification d’autres termes, expressions ou propositions contenus dans le même texte et
qu’ils représentent “ (C. Haroche; M. Pêcheux, 1972:17). Les pronoms peuvent représenter
des termes ou des expressions qui se mettent après eux dans la chaîne parlée et alors,
naturellement, ils jouent le rôle d’anticipants (cf. J. Dubois; R. Lagane, 1973:79).
H. Frei (1929,1971:111) trouve inadéquat, ou plutôt incomplet le terme
représentant, car, d’après lui, la représentation peut mettre en jeu deux sortes de rapports
fort différents, quoique parallèles : la représentation mémorielle (le signe représenté se
trouve logé dans la mémoire) et la représentation discursive (le signe représenté se trouve
logé dans la chaîne parlée même). H. Frei observe que la représentation telle qu’elle est
présentée par F. Brunot ne vise que la représentation discursive: les anaphoriques (annonces
et reprises) sont donc définis comme des représentants discursifs.
Pour ce qui est de l’antécédent, celui-ci est appelé tantôt anaphorisé, tantôt source
sémantique ou même interprétant. L. Tesnière (1988:86) préfère source sémantique
parce que le terme «antécédent» ne désigne pas le mot en question d’après sa nature, qu’on
ne recherche même pas, mais d’après sa position dans la chaîne parlée, qui est extrêmement
variable.
Le couple anaphorisé/anaphorisant proposé par J.C. Milner (1982:82) restreint
l’aire de la référence cotextuelle à l’anaphore, en négligeant la cataphore.
La dichotomie de M. Maillard – référé/référant – est difficile à utiliser à cause de la
confusion qu’on peut faire entre le référant (segment linguistique) et le référent (“ce à quoi
renvoie un signe linguistique dans la réalité extra-linguistique, telle qu’elle est découpée
par l’expérience d’un groupe humain “ [J. Dubois et alii, 1973:415]).
Dans le but de rendre évident le fait que l’expression anaphorique renvoie à un
13
référent et non pas à un segment linguistique antérieur, D. Apothéloz (1995:164) utilise le
syntagme précédente désignation pour dénommer l’expression linguistique qui introduit
explicitement le référent de l’anaphorique dans le discours. Chez F. Cornish (1995), la
notion d’antécédent acquiert une signification différente: ce n’est plus un segment de texte,
mais une sorte d’adresse linguistique d’une entité discursive, formulée de façon synthétique
grâce aux déclencheurs d’antécédents (= les précedentes désignations de D. Apothéloz),
mais aussi grâce aux noyaux prédicatifs des énoncés où apparaissent les déclencheurs
d’antécédents et grâce aux multiples inférences qui font intervenir les connaissances du
monde.
Face à ce foisonnement d’appellations, nous nous arrêtons dans notre cours aux
couples antécédent/anaphorique et subséquent/cataphorique, en assumant le risque
d’employer ces termes de façon moins scientifique (vu le manque de rigueur dû à leurs
définitions trop nombreuses et trop variées), mais plus efficace (vu la grande fréquence de
ces termes dans les ouvrages de spécialité). Par antécédent/subséquent nous désignons
donc les segments du cotexte qui contribuent de la façon la plus probable et dans la plus
grande proportion à la saisie du référent d’un anaphorique/cataphorique. L’anaphorique et
le cataphorique sont des éléments linguistiques qui ne peuvent pas être interprétés
référentiellement de façon non-ambiguë sans l’aide du cotexte.
0.2.2.3. Anaphore/cataphore: définitions
Nous avons déjà donné une définition préliminaire de l’anaphore et la cataphore. La
perspective de description à laquelle on adhère pour aborder ces phénomènes linguistiques
influence certainement les définitions qu’on en donne. Si l’on met l’accent sur les aspects
syntaxiques, la définition de l’anaphore (au sens large) peut se réduire à “l’ensemble des
relations de reprise, de quelque type qu’elles soient “ (D. Maingueneau, 1994:137) et les
anaphoriques peuvent se trouver réunis dans le chapitre consacré aux “constituants de
substitution de la phrase simple” (O. Soutet, 1989:68). La classe de ces constituants est
composée de “morphèmes qui ne sont pleinement interprétables que par référence à un
autre morphème ou à un autre syntagme de la même phrase ou d’une autre phrase, voire à
une autre phrase” (ibidem).
Si l’on privilégie l’analyse du texte dans son ensemble, l’anaphore et la cataphore se
voient décrites plutôt comme des instruments de la connexion, les anaphoriques et les
cataphoriques étant des “facteurs déterminants de la cohésion interne du discours” (J.M.
Adam, 1976:198).
14
En étudiant les éléments linguistiques du point de vue de leurs fonctions au niveau
de la langue, H. Frei avance l’idée qu’on doit l’existence de l’anaphore au besoin de
brièveté, et met en évidence que “par la représentation discursive, un signe plus court ou
plus maniable reprend ou anticipe un autre signe qui figure dans la chaîne du discours”
(1929,1971:111).
0.2.2.4. Anaphoriques/cataphoriques : extension
Évidemment, les différences entre les définitions de la référence cotextuelle entraînent
des différences dans la constitution de la classe des anaphoriques.
L. Tesnière (1988:90) inclut dans cette classe, à côté d’autres éléments, les groupes
nominaux à déterminants démonstratifs et exclut les groupes nominaux contenant des
articles définis9, tandis que J.C. Milner (1982:25) y inclut les groupes nominaux définis,
mais en exclut les groupes nominaux démonstratifs.
Il y a des linguistes (M. Charolles; I. Choï-Jonin, 1995) qui affirment que même les
syntagmes nominaux construits avec l’article indéfini peuvent, dans certaines conditions,
établir des relations anaphoriques associatives.
Pour notre part, nous nous inscrivons dans la lignée de G. Kleiber (1994:23), qui
accepte parmi les anaphoriques des pronoms, des groupes nominaux à déterminants définis,
démonstratifs ou possessifs, des adverbes et même des temps verbaux. G. Kleiber précise
cependant qu’il n’y a pas d’expression qui soit spécialisée pour la référence anaphorique,
excepté les expressions du domaine temporel telles que la veille, le lendemain, ou, peut-
être, un pronom comme lui-même.
Étant donné que la cataphore est plus difficile à construire, en exigeant du locuteur
une parfaite maîtrise de la langue et de la mise en texte, elle est moins fréquente que
l’anaphore. Les éléments linguistiques qui peuvent s’employer comme cataphoriques sont
moins nombreux que dans le cas des anaphoriques. Tandis que les groupes nominaux
démonstratifs acceptent assez facilement d’entrer dans des relations de cataphore, les
groupes nominaux définis n’y apparaissent que s’ils contiennent l’adjectif suivant. Les
cataphoriques le plus souvent rencontrés sont le pronom démonstratif et le pronom
personnel.
9 Pour donner de la fluidité à notre texte, nous abrégeons «groupe (ou syntagme) nominal à déterminant
démonstratif » par «groupe (ou syntagme) nominal démonstratif» et «groupe (ou syntagme) nominal
construit avec l’article défini» par «groupe (ou syntagme) nominal défini».
15
0.2.3. Du corpus
Puisque nous envisageons l’anaphore et la cataphore au niveau du texte et du
discours, c’est-à-dire dans leurs relations avec le locuteur, l’interlocuteur et la situation de
communication en général, les phrases construites par nous-même ne sauraient pas servir
d’exemples aux affirmations théoriques que nous faisons. En outre, notre langue maternelle
n’étant pas le français, comment pourrions-nous fournir des textes acceptables quand les
savants français eux-mêmes ne se mettent pas toujours d’accord sur les énoncés à analyser?
F. Corblin (1995:77), par exemple, considère comme inadéquate une interprétation
proposée par G. Kleiber :
“«J’ai vu un camion et une voiture. Ce camion et cette voiture roulaient vite.
J’ai vu un camion et une voiture. Le camion et la voiture roulaient vite.»
G. Kleiber dit que l’un est meilleur que l’autre. Très franchement, je ne vois pas lequel
serait meilleur et je laisse le lecteur juger.”
Aussi avons-nous choisi des textes littéraires publiés ou, parfois, des énoncés
longuement analysés par les spécialistes de l’endophore.
L’emploi des anaphoriques et des cataphoriques dépend du genre de texte10
. Par
conséquent, une étude détaillée de ces marqueurs référentiels devrait théoriquement
proposer des descripteurs différents pour chaque genre. Afin d’éviter l’hétérogénéité créée
par un trop grand nombre de concepts et de stratégies, nous allons construire notre
démarche à partir de textes extraits seulement de romans, français ou roumains (du
vingtième siècle, parce que l’exploitation des informations obtenues à la suite d’éventuelles
études diachroniques n’entre pas dans nos intentions). Les types de focalisation, la
fréquence de certains pronoms, les traductions que nous avons pu trouver et, bien sûr, nos
préférences ont dicté le choix des textes mis sous la loupe. Si au début de notre analyse ces
préférences visaient les écrivains ou les textes, à la fin nous avons dû reconnaître que c’était
tel traducteur plutôt qu’un autre qui nous avait plu. Nous avons particulièrement apprécié la
façon dont M. Gramatopol a transposé en roumain Les Mémoires d’Hadrien, en dépit du
fait qu’il a souvent pris des risques, en respectant moins que d’autres traducteurs la
structure des syntagmes endophoriques du français: la traduction fréquente des syntagmes
nominaux démonstratifs par des syntagmes nominaux définis n’a pas nui au sens global du
10 C’est une affirmation que nous allons développer dans le troisième chapitre de cette thèse.
16
texte, au contraire, cela a contribué à la préservation de la noble élégance de l’original.
En ce qui concerne Un amour de Swann, l’examen attentif des deux variantes
roumaines nous a convaincue d’accepter, d’une part, que les syntagmes nominaux et les
pronoms, malgré leurs modes de donation du référent différents, sont souvent équivalents
au niveau des rôles qu’ils jouent dans les textes, et, d’autre part, que c’est à ce niveau qu’il
faut comparer le français et le roumain, en décelant les traits des endophores communs aux
deux langues. La saisie des points identiques et des points divergents dans les traductions de
I. Mavrodin et de R. Cioculescu nous a permis donc de mieux comprendre quelles sont les
fonctions référentielles, textuelles et discursives fondamentales de l’anaphore et de la
cataphore.
Les textes que nous avons observés ne seront pas utilisés dans la même mesure pour
illustrer nos affirmations théoriques: certains textes seront cités de façon tout à fait
accidentelle (les textes extraits de l’oeuvre de C. Bille), d’autres constitueront le point de
départ pour une ébauche d’analyse de l’écriture des écrivains (Zodia Cancerului). Ce sont
les textes mêmes qui nous ont imposé une certaine manière de les regarder: si Moderato
Cantabile abonde en pronoms anaphoriques, les types d’endophores qui apparaissent dans
La Peste ou dans La Femme de chambre du Titanic sont très variés.
Notre désir de surprendre les caractéristiques les plus générales des relations
endophoriques nous a déterminée à prendre en considération tant de textes. Pourtant, il faut
reconnaître qu’une étude méticuleuse de ces relations exige qu’on restreigne soit les
dimensions du corpus, soit le nombre de marqueurs référentiels analysés.
0.3. Pour faire le point
L’anaphore et la cataphore sont des mécanismes référentiels pour l’examen desquels il
faut tenir compte de données extrêmement variées, fournies par des recherches se rattachant
à différentes sciences du langage (morpho-syntaxe, sémantique, pragmatique ou
psycholinguistique), ce qui pose déjà beaucoup de problèmes aux chercheurs. Aborder ce
sujet du point de vue comparatif et de manière si générale, en essayant de surprendre les
traits de l’anaphore et de la cataphore communs au roumain et au français, cela frôle
l’inconscience. Mais, nous en sommes consciente! Raison pour laquelle nous ne nous
proposons pas de traiter ce thème exhaustivement, en décrivant et expliquant en détail le
17
fonctionnement de toutes les petites roues qui font mettre en marche les mécanismes
endophoriques. Notre objectif est de créer, en deux étapes, un cadre général qui permette
la saisie des éléments fondamentaux pour l’étude comparative de ce thème. Dans la
première étape (correspondant en grandes lignes au premier chapitre) nous mettons en
parallèle les théories françaises et les théories roumaines sur l’endophore pronominale, en
considérant que ce type d’endophore est révélateur. Après avoir extrait de ces théories les
termes et les concepts indispensables, nous les utilisons pour comparer, dans la deuxième
étape, plus ou moins explicitement, différents types d’anaphores/cataphores, et pour
examiner quelques anaphoriques pronominaux, sur lesquels notre point de vue diffère
légèrement des autres points de vue que nous avons rencontrés dans les ouvrages théoriques
indiqués dans notre bibliographie.
Il est bien clair qu’un cours conçu de cette manière est condamné à un certain degré
de généralité. Mais pas nécessairement de superficialité!
19
I.1. Approches de l’anaphore et de la cataphore pronominales
Chaque type d’approche de l’anaphore/de la cataphore a apporté quelque chose de
nouveau : de nouvelles données à acquérir et de nouvelles énigmes à résoudre. Les
approches de l’endophore pronominale que nous présentons ci-dessous représentent des pas
importants dans la description, l’explication et l’interprétation des mécanismes référentiels.
Deux sont les buts que nous nous proposons d’atteindre par la synthèse qui suit : exposer la
problématique de l’anaphore/de la cataphore telle qu’elle se laisse dévoiler grâce aux
nombreuses recherches déjà effectuées et décanter les concepts indispensables à toute
analyse de ce sujet.
I.1.1. L’approche substitutionaliste
L’explication étymologique du mot pronom11
- «mot utilisé à la place d’un nom» - ne
peut pas se constituer en définition convaincante pour un terme métalinguistique qui
s’applique à des éléments aussi variés que les personnels, les démonstratifs, les relatifs, les
interrogatifs et les indéfinis. Des arguments contre la définition étymologique qui se répètent
fréquemment dans les travaux de grammaire, le premier qu’il faut rappeler est fourni par les
situations où, si l’on essaie de mettre à la place du pronom le nom que le pronom est censé
remplacer, on obtient des énoncés qui ne sont pas équivalents du point de vue sémantique
avec les énoncés où est employé le pronom:
Un hommei a vu le voleur et ili a appelé la police.
Un hommei a vu le voleur et un hommej a appelé la police.
Un autre argument contre la définition évoquée est que pour certains mots inclus par
la grammaire traditionnelle dans la classe des pronoms, on ne voit pas quels seraient les
éléments qui se laisseraient remplacer:
11 Dans cette thèse nous utilisons le mot «pronoms» pour les éléments linguistiques nommés ainsi par la
grammaire traditionnelle. Nous considérons que l’emploi de nouveaux termes qui rendent mieux la
spécificité de chaque marqueur référentiel serait encombrant.
20
Je ne connais personne.
Le dernier argument fréquent est que les unités appelées traditionnellement
“pronoms” peuvent apparaître “à la place” d’autres segments du discours que le nom, par
exemple “à la place” des groupes nominaux, des adjectifs, des verbes, des propositions (et
même des paragraphes):
La petite robe blanche ne me plaît pas, elle est vraiment trop courte.
Fier, il l’était.
Moi, je veux réussir. Toi, tu le veux?
Tout ce que tu m’as dit, je le savais.
Les linguistes se sont évertués à trouver de nouveaux noms et de nouvelles définitions
qui puissent expliquer de manière unitaire le comportement des éléments si hétérogènes
inclus habituellement dans la classe des pronoms.
Dès le début du siècle dernier, en remarquant les problèmes posés par la définition de
cette classe, F. Brunot a introduit le terme représentation pour nommer la relation entre les
pronoms et les segments de texte auxquels les pronoms renvoient: “Au lieu de répéter les
noms des êtres et des objets, on les représente” (1922,1965:171). Les représentants
s’opposent aux nominaux. Je et tu appartiennent à la classe des nominaux parce qu’ils se
comportent comme des noms propres, ils ne représentent pas quoi que ce soit. F. Brunot
décrit le fonctionnement des représentants au niveau syntaxique et au niveau sémantique: ils
n’acceptent pas l’adjectif qualificatif et ils sont “vides d’impressions, ils sont abstraits”
(1965:173). En analysant les rapports entre les représentants et les représentés, F. Brunot
observe que ces rapports sont marqués par l’accord, quand il est possible, et que “l’accord
se fait quelquefois avec la pensée” (1965:196). Afin de justifier son affirmation, F. Brunot
donne un exemple fort intéressant, extrait de V. Hugo:
“Ajoutons que Coppenole était du peuple et que ce public qui l’entourait était du peuple:
aussi la communication entre eux et lui avait été prompte.”
Il n’est pas difficile à remarquer que cet emploi de eux s’accommode mal de la
définition de la représentation proposée par Brunot. Eux ne nous fait pas penser au nom
public, mais aux gens qui composent la réalité extra-linguistique denommée public. C’est
l’un des types d’exemples qui rendent évidente l’impossibilité d’expliquer le comportement
des pronoms en se limitant à une analyse morpho-syntaxique stricte, sans faire appel aux
informations que les approches pragmatiques pourraient fournir.
De même que F. Brunot, B. Pottier (1962), J. Dubois (1965) et d’autres grammairiens
21
proposent une approche substitutionaliste des pronoms. En considérant toujours la relation
entre les pronoms et leurs antécédents comme une relation étroite entre deux segments
linguistiques, ces grammairiens constatent qu’il y a d’autres éléments que les pronoms qui
ont besoin, pour se laisser interpréter, de se rapporter au texte:
La fillette entra dans la chambre. Là, il y avait sept chaises.
Le 17 septembre, Paul a découvert la vérité. Le lendemain, il était mort.
Par conséquent, ces éléments et les pronoms sont rangés ensemble dans la classe des
substituts. “Les substituts se réfèrent à des segments qui les précèdent ou anticipent sur
des segments qui vont les suivre” (J. Dubois, 1965:96). Selon J. Dubois, la substitution par
les pronoms est un facteur d’économie, dont l’existence est justifiée par la nécessité de
réduire les messages. Toutefois, on constate aisément que dans certains cas (surtout quand
le groupe nominal auquel le pronom est censé se substituer est formé d’un nom propre
court) le principe de l’économie ne peut pas s’appliquer. Pour continuer la phrase:
Paul a pris le bus.
il est plus économique d’employer le nom Paul, que d’interpréter le pronom il.
Paul est arrivé à temps.
Il est arrivé à temps.
Ces dernières phrases font ressortir un autre aspect lié au comportement des
pronoms : dans de nombreux textes, il y a plusieurs noms (groupes nominaux) qui se
présentent comme de bons candidats pour servir d’antécédent au pronom. Dans nos
exemples, Paul et le bus peuvent tous les deux arriver à temps. Si l’on essaie de réduire
l’examen de la façon dont le pronom sélectionne son antécédent à l’énumération des
éléments qui influencent ce processus – comme la proximité par rapport à l’antécédent, la
fonction syntaxique et/ou le rôle actanciel du pronom et/ou de l’antécédent –, on ne réussit
pas à expliquer les nombreux cas d’ambiguïté référentielle, illustrés par les phrases
suivantes:
“Le Président de la Cour d’Assisesi disparaît sous le plancherj : ili/j ? était pourri.”
“Mme R., 37 ans, demeurant dans une caravane avec M.G.i, 40 ans, était occupée à
vider un pouletj lorsque ce dernier i/j ? , pris de boisson, chercha querelle à sa concubine
et lui donna un coup de poing au visage.”12
Vu que la théorie substitutionaliste, conformément à laquelle les pronoms sont des
segments de texte qui remplacent ou représentent d’autres segments de texte, s’est avérée
12 Exemples empruntés à M.J. Reichler-Béguelin (1988:31).
22
inefficace, les chercheurs ont été obligés de tenir compte dans leurs analyses du mécanisme
de la référence.
I.1.2. L’approche textuelle
E. Benveniste (1965,2000/I:243) caractérise les pronoms comme des substituts
abréviatifs dépourvus d’autonomie référentielle et exprime clairement l’opinion que les
pronoms ne sont que des formes vides qui, en dehors du discours, ne peuvent être attachées
ni à un concept, ni à un objet (1974,2000/II:58). En d’autres mots, les pronoms désignent
un élément de la réalité extra-linguistique seulement au moment où ils sont actualisés.
J.C. Milner (1982), lui aussi, considère que, par opposition aux noms, les pronoms se
caractérisent par la non-autonomie référentielle. Ce linguiste fait la distinction entre la
référence virtuelle d’une unité lexicale (ensemble des conditions que doit satisfaire un
segment de réalité pour pouvoir être la référence d’une séquence où interviendrait
crucialement l’unité lexicale en cause) et la référence actuelle (le segment de réalité associé
à une séquence). Les notions de référence virtuelle et actuelle engendrent deux autres
notions fondamentales pour l’étude de la cataphore et de l’anaphore : la coréférence
virtuelle et la coréférence actuelle. J.C. Milner part de la définition de la coréférence : “Il
y a relation de coréférence entre deux unités référentielles A et B quand elles se trouvent
avoir la même référence – ce qui peut arriver sans que l’interprétation de l’une soit
affectée par l’interprétation de l’autre” (1982:32). Par conséquent, la coréférence actuelle
est une relation symétrique établie entre deux unités lexicales qui apparaissent dans le même
texte, de sorte que les segments de réalité désignés par les deux unités sont identiques,
chose qui n’exige pas nécessairement l’identité des unités lexicales employées. Quant à la
coréférence virtuelle, elle impliquerait que deux unités lexicales différentes aient en tout
point les mêmes propriétés lexicales, ce qui mène en fin de compte à la synonymie lexicale
absolue.
Les pronoms n’ont pas de référence virtuelle, ils empruntent leur référence aux
antécédents, dans le cadre de la relation d’anaphore ; “il y a relation d’anaphore entre deux
unités A et B quand l’interprétation de B dépend crucialement de l’existence de A, au point
qu’on peut dire que l’unité B n’est interprétable que dans la mesure où elle reprend
entièrement ou partiellement A” (J.C. Milner, 1982:18). Donc la coréférence virtuelle est
possible dans la langue quand l’un des termes de la relation n’a pas de référence virtuelle
23
propre, c’est-à-dire quand ce terme est un pronom.
En d’autres mots, l’anaphore pronominale combine une relation symétrique de
coréférence et une relation asymétrique, de reprise, entre deux termes hétérogènes, l’un
autonome, l’autre non-autonome. Pour Milner, de même que pour Benveniste, la référence
est donc une propriété grammaticale intrinsèque de certaines unités linguistiques. A. Reboul
(1990b:279) résume la théorie de Milner de la façon suivante :
“1. Il y a deux sortes de morphèmes :
a) ceux qui ont une autonomie référentielle (et un contenu sémantique), comme
les noms ;
b) ceux qui n’ont pas d’autonomie référentielle (et pas de contenu
sémantique), comme les pronoms ;
2. les seconds tirent leur référence de la relation de coréférence qu’ils entretiennent
avec les premiers ;
3. cette relation de coréférence est purement linguistique et ne saurait dépendre d’un
quelconque élément extra-linguistique.”
Les affirmations de Benveniste et de Milner sont contredites par plusieurs
observations. C. Kerbrat Orecchioni (1980:37) attire l’attention sur le fait qu’il ne faut pas
confondre sens et référent, et affirme que l’idée des pronoms personnels asémiques se
révèle inacceptable: le premier argument qui saute aux yeux est que les pronoms sont
traduits dans les dictionnaires bilingues, ce qui signifie qu’ils sont sémantisés avant toute
actualisation discursive.
À l’avis de P.E. Jones (1995), même l’autonomie référentielle des noms doit être mise
en discussion. Il y a beaucoup de situations où cette autonomie est autorisée par des
conventions qui tiennent au genre et au style du texte. Un prénom peut passer comme
autonome au début d’un texte de fiction, mais peut devenir totalement inapproprié au début
d’un texte juridique. Par contre, le pronom peut référer sans avoir besoin d’un antécédent
au début des romans policiers ou dans la prose poétique (quelques exemples seront
présentés dans III.2.3.3.).
Un cas minutieusement analysé ces derniers temps est celui du pronom ils, dit
collectif, qui n’a pas d’antécédent.
Ils ont encore augmenté les impôts.
La conclusion est que “l’autonomie référentielle vue comme une propriété
intrinsèque des catégories syntaxiques est illusoire, mythique. Il n’existe pas de propriétés
24
référentielles qui soient indépendantes des conventions génériques, stylistiques,
communicatives des actes concrets de référence” (P.E. Jones, 1995:17).
On reproche aussi à l’approche textuelle son inaptitude à expliquer quelle est la
différence entre l’emploi des pronoms et l’emploi des autres expressions coréférentielles. En
plus, ce type d’approche laisse croire qu’il faut d’abord aller chercher dans le texte quel est
l’antécédent et ensuite interpréter le pronom.
D’autres situations qui n’acceptent pas les explications proposées par la théorie de
Milner sont celles où l’antécédent du pronom est un autre pronom :
Personne ne peut entrer dans la salle à moins qu’il ne soit membre du club.
Si quelqu’un connaît la vérité, qu’il la dise.
La question qui se pose ici est comment résoudre le problème de la référence des
indéfinis.
Une autre faiblesse de l’approche textuelle est qu’elle ne peut pas rendre compte des
cas où l’antécédent et le pronom ne sont pas vraiment coréférentiels. L’existence des
référents qui changent d’état au fur et à mesure que le texte avance, appelés d’habitude des
référents évolutifs, donne le coup de grâce à l’approche textuelle. Les recettes de cuisine et
les récits des métamorphoses représentent des exemples prototypiques pour cette situation :
Tuez un poulet bien vif et bien gras. Préparez-le pour le four, coupez-le en quatre et
rôtissez-le pendant une heure.13
Aussitôt l’Ogre se changea en une souris… Le Chat ne l’eût pas plus tôt aperçu qu’il se
jeta dessus et le mangea.14
Bien que l’approche textuelle ne réussisse pas à élucider toutes les énigmes du
fonctionnement des pronoms, elle représente un pas important dans la recherche parce
qu’elle met en évidence la liaison étroite entre trois concepts: pronom, référence et
anaphore.
En plus, l’approche textuelle propose des classifications des pronoms qui tiennent
compte de leur qualité d’anaphoriques. Les tentatives répétées de discipliner les pronoms en
les renfermant dans des classes ont contribué à la meilleure compréhension de leur
mécanisme référentiel.
Nous avons déjà mentionné la distinction entre les représentants et les nominaux faite
par F. Brunot. Celui-ci classe les divers modes de représentation en représentation simple
13 Exemple célèbre dans le monde de l’anaphore pronominale, employé pour la première fois par G. Brown
et G. Yule (apud G. Kleiber, 1994:55).
25
(il), représentation conjonctive (qui, que), représentation possessive (le sien),
représentation démonstrative (celui-ci), représentation déterminative ou qualificative (celui
qui a été blessé à Verdun) et représentation numérale et distributive (les deux autres, tous,
chacun). Cette classification n’est pas très loin de la tradition grammaticale qui isole six
espèces de pronoms : personnels, possessifs, démonstratifs, relatifs, interrogatifs et indéfinis.
M. Wilmet (1997) observe que ce genre de classification combine des critères morpho-
syntaxiques, sémantiques, fonctionnels, mélodiques, ou (dans le cas des indéfinis) ne
propose aucun critère.
L’un des premiers linguistes qui introduit des critères référentiels explicites dans la
classification des pronoms est M. Maillard, dont l’article de 1974 – “Essai de typologie des
substituts diaphoriques” – représente sans doute un document historique pour l’étude des
pronoms et, en général, de l’anaphore. Un premier critère proposé par Maillard partage les
expressions anaphoriques en expressions segmentales (qui réfèrent à un simple segment) et
expressions résomptives (par exemple les adverbes anaphoriques qui renvoient à un
énoncé plus ou moins long). M. Maillard fait aussi la distinction entre les anaphoriques à
valeur constante (qui conservent l’information) et les anaphoriques à valeur
additionnelle (qui non seulement réactualisent un référent, mais encore apportent de
nouvelles informations sur celui-ci). L’article de M. Maillard met en évidence la relation
entre les marques morphologiques des expressions référentielles et les catégories générales
du langage, telles que la Personne, le Genre, le Nombre, l’Animation. Cette relation est
différente d’une langue à l’autre : par exemple la catégorie du Genre est binaire en français
(masculin/féminin), mais ternaire en roumain (masculin/féminin/neutre). M. Maillard
affirme : “L’essentiel paraît être que les substantifs soient classés d’une manière ou d’une
autre pour qu’on puisse y référer à l’aide de particules distinctes. Faute d’un tel
classement, on ne voit pas comment la fonction anaphorique pourrait s’exercer. Ce serait
la nuit du langage” (1974:60). Vu que la saisie des catégories est indispensable à la
classification des anaphores, M. Maillard cherche les catégories pertinentes pour le français.
La première catégorie est celle de la Locution, qui oppose je et tu (co-locuteurs) à il (non-
locuteur). Maillard observe que la plupart des linguistes opposent l’animé à l’inanimé pour
justifier l’emploi contrastif de certains morphèmes : qui voyez-vous ? / que voyez-vous ? ou
je lui cède / j’y cède. Mais cette opposition, de même que l’opposition humain/non-humain,
14 Exemple analysé dans M.E. Conte (1990) et G. Achard-Bayle (1998). Voir aussi III.2.3.1.
26
reste insatisfaisante quand l’on veut expliquer l’emploi de y dans : Il n’avait pas revu sa
famille mais il y pensait souvent. Aussi Maillard introduit-il la catégorie de la Loquence
dans l’analyse des anaphoriques : “De même que la langue oppose, au niveau du message
réel, les locuteurs (je/tu) et les non-locuteurs (ils/elles), nous avons quelque raison de
penser qu’elle oppose également, sur le plan des messages virtuels, les référés loquents (ou
doués de parole : lui/elle) et non loquents (en/y). La langue distingue ceux qui parlent et
ceux qui ne parlent pas, ces derniers étant à leur tour divisés en deux groupes : ceux qui
peuvent parler et ceux qui ne le peuvent pas” (1974:63). En d’autres mots, la catégorie de
la Locution concerne la parole en acte et celle de la Loquence la parole en puissance.
La troisième catégorie introduite par Maillard est celle de la Nomination, qui oppose
les non-loquents nommés aux non-loquents non-nommés. Cette division permet de légitimer
l’existence des démonstratifs celui, celle à côté de ceci, cela, ça. La conclusion est que les
pronoms personnels et les démonstratifs sont spécialisés dans des tâches référentielles
différentes dans la langue. Les personnels représentent des noms ou des éléments
nommables, alors que les démonstratifs renvoient surtout (et Maillard apporte des
arguments statistiques) à l’inommé.
Les trois catégories présentées mènent à une répartition des anaphoriques en deux
classes, en fonction de la façon dont ils impliquent l’énonciateur : les énonciatifs (les
personnels, les démonstratifs), variables selon les oppositions locuteur/non-locuteur,
proximité/éloignement du locuteur, et les non-énonciatifs (les interrogatifs, les relatifs),
totalement indifférents à qui parle ou écrit. La plupart des relatifs ne varient ni en genre, ni
en nombre, ni en loquence par rapport à leur antécédent. La proximité syntactique résout
presque automatiquement l’interprétation du relatif, raison pour laquelle ce pronom est
souvent exclu des analyses des anaphoriques.
À notre avis, l’article de M. Maillard comprend à l’état latent les données
pragmatiques et sémantiques essentielles pour l’étude de l’anaphore pronominale. On voit
déjà que les pronoms sont très différents l’un de l’autre en ce qui concerne leur
interprétation référentielle et que plusieurs facteurs contribuent à cette interprétation. La
classification proposée par Maillard témoigne de la nécessité d’analyser chaque pronom
séparément du point de vue du mode de donation du référent. Ce qui nous semble encore
plus remarquable – et c’est d’ailleurs la raison qui nous a poussée à insister sur la
classification de M. Maillard –, c’est que le rapport entre les pronoms et la capacité
réflexive de la langue (son aptitude à enregistrer de façon nuancée et à fixer de façon
27
durable les relations entre elle-même et ses locuteurs) est nettement mis en relief.
I.1.3. L’approche générative-transformationnelle
Aucune présentation honnête des acquis et des problèmes qui restent à être résolus
dans le domaine de l’anaphore ne pourrait passer sous silence la contribution essentielle de
la grammaire générative. La différence principale entre l’approche textuelle de l’anaphore et
l’approche générative-transformationnelle ne réside pas dans la manière d’envisager la
relation entre l’anaphorique et l’antécédent (celle-ci est toujours interprétée comme une
relation référentielle entre deux segments linguistiques), mais dans les moyens extrêmement
formalisés utilisés par cette dernière pour expliquer (et pas seulement pour décrire) la
diversité des rapports anaphoriques.
Afin de justifier le fonctionnement de ces éléments asémiques “à vocation
anaphorique”15
que sont les pronoms au niveau de la phrase – puisque, selon les
générativistes, le niveau du discours n’est pas concerné par la théorie grammaticale –
Chomsky16
et ses disciples proposent plusieurs hypothèses et théories, susceptibles de
convenir à n’importe quelle langue. On arrive à définir les concepts fondamentaux de la
perspective générativiste sur l’anaphore, c’est-à-dire la c-commande et le liage, à partir de
l’idée que chaque phrase constitue une structure hiérarchisée, qui peut être représentée sous
la forme d’un arbre à plusieurs noeuds:
S
/ \
A B
/ \
C D
La définition de la c-commande17
peut être formulée de la façon suivante:
Un noeud A est dit c-commander un noeud B si:
a) A ne domine pas B et inversement ;
b) SOIT (i): le premier noeud à ramifications qui domine A domine B;
15 A. Zribi-Hertz (1996:24). 16
N. Chomsky modifie et complète ses théories au fur et à mesure de ses recherches. Les définitions des
concepts qu’il propose sont différentes selon qu’il s’agit de sa théorie standard (1965: Aspects of the theory
of syntax), de la théorie standard étendue (1968, trad.1970: Le langage et la pensée), de la théorie du
gouvernement et du liage (1981: Lectures on government and binding) ou du programme minimaliste
(1995: The minimalist program) (apud A. Zribi-Hertz, 1996). 17 La définition de la c-commande donnée par Tanya Reinhart est reprise par A. Zribi-Hertz (1996:59).
28
SOIT (ii): le premier noeud à ramifications qui domine A est lui-même
immédiatement dominé par un noeud A’, de même type catégoriel que A et qui
domine B.
Deux noeuds sont de même type catégoriel s’ils représentent deux niveaux d’un
même constituant.
La contrainte de c-commande, qui stipule qu’un anaphorique ne peut pas c-
commander son antécédent, réussit à justifier les différences d’acceptabilité qu’on
remarque dans les phrases suivantes:
Je comprends que Mariei a annoncé qu’ellei publierait son premier roman.
*Je comprends qu’ellei a annoncé que Mariei publierait son premier roman.
Le pas qui suit après la saisie du rapport entre l’anaphorique et la c-commande est
l’observation de la différence entre l’anaphore libre et l’anaphore liée. Dans le cas de
l’anaphore libre, l’antécédent n’est pas supposé c-commander l’anaphorique. L’anaphore
liée, par contre, requiert que l’antécédent c-commande l’anaphorique. L’anaphore liée est
illustrée par la relation entre le pronom réfléchi et son antécédent ou par la relation entre un
anaphorique et un antécédent quantifié:
Chloéi sei mariera demain.
*La copine de Chloéi sei mariera demain. (le réfléchi doit nécessairement être c-
commandé par son antécédent)
Chacuni croit qu’ili est indispensable.
*Chacuni est indispensable. Je crois aussi qu’ili est génial.18
(l’antécédent quantifié doit
nécessairement c-commander son anaphorique)
Depuis Chomsky, on parle de liage en général si deux expressions, α et β sont
coïndicées et que α c-commande β, cas où l’on dit que α lie β. Dans le but de rendre compte
du fait que les diverses expressions sont différentes du point de vue de leur participation
éventuelle au liage, Chomsky formule trois principes19
:
Principe A: Une expression A20
est liée dans son domaine local.
Principe B: Une expression P21
est libre dans son domaine local.
Principe C: Une expression R22
est libre.
18 Exemple donné par A. Zribi-Hertz (1996:62). 19 Dans A. Zribi-Hertz (1996:115). 20 De “anaphorique”. 21 De “pronominale” 22 De “ référentielle”.
29
Le domaine local est défini de façon simplifiée comme le plus petit syntagme incluant
à la fois l’anaphorique β, le gouverneur23
de β et un sujet accessible à β.
Le pronom la, étant une expression P, doit être libre dans son domaine local ou, en
d’autres mots, il ne peut pas être coïndiciel avec une expression qui le c-commande:
* Chloéi lai mariera demain.
Le principe B indique que la peut être lié à l’extérieur de son domaine local (a) ou
libre (b):
a) Chloéi croit que le prêtre lai mariera demain.
b) Chloéi arrive ce soir à Bucarest. Le prêtre lai mariera demain.
Les principes de N. Chomsky et la contrainte de c-commande qui pèse sur les
anaphoriques ne peuvent pas toujours expliquer la possibilité ou l’impossibilité de construire
certaines paires d’éléments coïndiciels au niveau de la phrase. Des phrases comme celles qui
suivent ont mis en difficulté les chercheurs:
Les invités de Chloéi lai cherchent.
? Le mariage de Chloéi lai préoccupe.
On a émis l’opinion que le rôle thématique aurait une certaine influence dans ces cas et on a
formulé de nouvelles hypothèses:
“a) Contrainte de Prééminence sur la relation anaphorique:
L’antécédent d’un anaphorique ne peut pas se trouver dans le domaine – structural
ou thématique – de celui-ci.
b) Domaine: Définition
X est dans le domaine structural de Y si Y c-commande X.
X est dans le domaine thématique de Y si Y est thématiquement prééminent par
rapport à X.
c) Hiérarchie thématique (partielle):
Agent > Patient24
> Thème25
.” (A. Zribi-Hertz, 1996:194)
J. Guéron (1979) considère que la distinction entre deux niveaux de représentation –
celui de la structure-s (la structure en constituants) et celui de la Forme Logique (le
niveau de l’interprétation) – permettrait de fournir une explication de la différence entre les
23 Le gouvernement ou la rection est la relation syntaxique responsable de l’assignation du Cas. 24 “Le Patient est le siège, involontaire mais nécessairement humain, d’une émotion, d’un sentiment, d’une
pensée” (A. Zribi-Hertz, 1996:193).
30
phrases ci-dessous:
* Sur cette photo de Mariei, ellei a fait une tache.
Sur cette photo de Mariei, ellei monte à cheval.
Dans la première phrase, le circonstant frontal est focal (en Forme Logique il serait transcrit
comme “L’endroit x où elle a fait une tache c’est cette photo de Marie”), tandis que dans
la deuxième phrase, le circonstant focal est topical (en Forme Logique la phrase aurait la
même forme que dans la structure-s). Or, l’hypothèse de J. Guéron est qu’un anaphorique
ne peut jamais précéder son antécédent en Forme Logique.
Tout en réalisant une excellente synthèse des contributions de la grammaire générative
à l’étude de l’anaphore et des pronoms, A. Zribi-Hertz (1996) nous oblige à admettre que
les différentes hypothèses et théories des générativistes, spécialement celles qui concernent
la c-commande et le liage, dépendent en grande mesure de la façon dont est construit le
modèle d’analyse en constituants. Une autre observation importante est que les principes de
liage ne peuvent pas prédire le comportement référentiel de tous les pronoms. L’emploi de
certains pronoms échappe à la syntaxe, en étant déterminé par des contraintes
essentiellement discursives. Cette idée a été clairement exprimée par N. Chomsky26
lui-
même, qui a affirmé que les lois qui régissent, par exemple, l’attribution d’un référent au
pronom sujet il ne sont pas des lois grammaticales et que les règles de référence pourraient
être formulées seulement dans le cadre d’une théorie très riche, qui prenne en considération
d’autres systèmes cognitifs, en sus de la grammaire. Le fait que Chomsky introduit le
concept de coréférence27
dans l’une de ses dernières définitions de la théorie du liage
indique que la syntaxe générative, malgré les efforts qu’elle a faits afin d’expliquer de façon
systématique et de formaliser toutes les relations anaphoriques, ne fournit pas de recettes
exhaustives, de modes d’emploi valables pour tout pronom dans toute langue. Et pourtant,
les théories générativistes prouvent nettement la possibilité de décrire, d’expliquer et de
prévoir le foctionnement de certains pronoms (ceux qui entrent dans des anaphores liées)
par des règles syntaxiques bien précises. Cela mène à une meilleure délimitation du champ
de la pragma-sémantique.
En général, les pragmaticiens excluent l’anaphore liée – circonscrite à l’intérieur de la
25 Le rôle-thêta Thème “dénote la cible inerte, non-intentionnelle, d’un processus (fatigue, adoration) ou
d’une relation (ex. assortiment de couleurs) constaté et décrit objectivement par le locuteur” (A. Zribi-
Hertz, 1996:193). 26 Voir N. Chomsky (1977:152). 27 Apud A. Zribi-Hertz (1996:239).
31
phrase par des lois d’ordre syntaxique évidentes, mais pas toujours faciles à justifier – de
leurs préoccupations. D. Apothéloz (1995) apporte même deux arguments pour exclure
complètement les pronoms syntaxiquement liés à leur antécédent (ou subséquent) de la
classe des expressions référentielles: le premier argument serait que lorsqu’un pronom est
syntaxiquement lié, il peut avoir comme antécédent une expression non-référentielle (par
exemple les pronoms indéfinis personne, chacun: Chacun espère que quelqu’un l’aime). Le
second argument serait que la substitution d’un pronom syntaxiquement lié par une
expression référentiellement synonyme détruit la relation d’anaphore. Or, d’après D.
Apothéloz, “une expression référentielle peut toujours être remplacée par une autre
expression, pour autant que cette dernière soit à même, dans le contexte, d’identifier le
même référent” (1995:19-20). M.J. Reichler-Béguelin (1988), à partir d’une description
mémorielle (voir le sous-chapitre suivant) de la référence anaphorique et de la référence
déictique, fait la distinction entre le mécanisme qui sous-tend l’anaphore libre et celui qui
sous-tend l’anaphore liée. La deixis, de même que l’anaphore et la cataphore, signifie le
rappel d’informations contenues dans le stock de connaissances officiellement partagées,
dans les représentations mentales communes aux partenaires de l’interlocution. La
différence entre la deixis et l’anaphore réside dans le mode de validation de ces
informations: l’anaphore rend les informations valides parce que celles-ci sont objet de
discours ailleurs dans le texte, tandis que, dans la deixis, les informations sont validées parce
qu’elles font l’objet d’une perception concomitante à l’énonciation. Dans la deixis et dans
l’anaphore, les informations sont extraites de la même façon de la mémoire discursive, mais
cette mémoire est alimentée par des voies différentes dans les deux cas. Par contre, dans
l’anaphore et la cataphore liées la mise en mémoire n’est même pas nécessaire, parce que
l’interprétation du pronom lié se fait “en une fois, au sein de la micro-structure syntaxique
appréhendée globalement” (1988:37).
En ce qui nous concerne, nous envisageons les occurrences des expressions
anaphoriques ou cataphoriques comme le résultat d’un choix, déterminé par les relations
entre les participants à la communication (les connaissances que l’émetteur suppose
partagées par le récepteur), par le type de texte, par le point de vue qu’on veut exprimer. En
considérant l’expression endophorique comme le lieu d’un choix dans le discours, nous
excluons d’emblée de notre présentation l’anaphore (ou cataphore) liée.
32
I.1.4. L’approche mémorielle
Les adeptes de l’approche mémorielle (ou cognitive) rejettent le traitement
strictement linguistique de l’anaphore pronominale après avoir constaté que, pour
comprendre quel est le référent d’un pronom, il n’est pas besoin de revenir en arrière dans le
texte et de chercher l’endroit où est localisé l’antécédent. L’anaphore pronominale est un
processus qui indique une référence à une entité déjà connue par l’interlocuteur ou, en
d’autres mots, une entité présente dans la mémoire discursive28
. Comme nous l’avons déjà
mentionné dans l’introduction, F. Cornish (1990, 1995) donne un nouveau sens à la notion
d’antécédent, qui repose sur une distinction très claire entre le texte et le discours29
: la
notion d’antécédent se justifie au niveau du discours, où elle sert à définir l’« adresse »
d’une entité discursive à l’intérieur du modèle en question. Les déclencheurs d’antécédents
– qui sont, eux, des segments textuels – contribuent à formuler l’antécédent véritable, mais
ne sont pas suffisants à cet égard. Les déclencheurs d’antécédents avec leurs cotextes
prédicatifs ont le rôle d’évoquer des cadres de référence au sein desquels les anaphoriques
construisent leurs propres référents. Pour bien saisir l’antécédent véritable, il faut tenir
compte des cotextes des anaphoriques, mais aussi des informations résultant de la
connaissance du monde et de la perception de la situation dans laquelle la communication se
déroule.
L’apparition d’un pronom anaphorique dans un texte est conditionnée par l’existence
d’un référent discursif saillant, c’est-à-dire connu. L’approche mémorielle établit donc un
lien inversement proportionnel entre le caractère connu du référent et le contenu lexical de
l’expression référentielle utilisée: si un référent est facilement accessible, saillant, on choisit
une expression référentielle qui apporte peu d’informations sur lui. M. Ariel30
dresse une
classification des expressions référentielles en fonction du degré d’accessibilité du référent
qu’elles exigent, ce degré étant établi statistiquement, selon la distance entre l’expression
référentielle et son antécédent31
(dans la même phrase, dans le même paragraphe, dans le
même texte) :
28 La mémoire discursive est définie comme “le savoir partagé des interlocuteurs” (A. Berrendonner; M.J.
Reichler-Béguelin, 1995:30). F. Cornish (1990) utilise le terme de modèle du discours, W. De Mulder
(1990) le modèle contextuel, etc. 29 Nous reviendrons à cette distinction dans le troisième chapitre. 30 La classification de M.Ariel est présentée par L. Tasmowski (1994:462) et A. Reboul; J. Moeschler
(1998:129). 31 Nous ne retenons pas l’acception donnée au terme «antécédent» par F. Cornish et nous continuons à
utiliser ce terme tel que nous l’avons défini dans 0.2.2.2.
33
Nom complet avec modifieur < nom complet < description définie longue <
description définie brève < nom de famille < prénom < démonstratif d’éloignement avec
modifieur < démonstratif de proximité avec modifieur < démonstratif d’éloignement (N)<
démonstratif de proximité (N) < pronom tonique avec geste < pronom tonique < pronom
atone < pronom clitique < réfléchis, accord, trous, pro, PRO, traces32
de QU -
Cette liste, qui n’a pas été élaborée spécialement pour le français, met en lumière le
fait que les divers pronoms, dans n’importe quelle langue, ne sont pas équivalents entre eux
du point de vue de leur mécanisme référentiel. On offre ainsi une justification pour le choix
de telle expression référentielle plutôt que de telle autre à un certain point d’un texte.
En stipulant l’existence des référents discursifs (qui ne sont pas à confondre avec les
référents du monde réel), c’est-à-dire des entités réelles ou hypothétiques qu’un texte prend
comme objets de discours, l’approche mémorielle est à même de donner une explication
plausible pour les cas où le pronom a comme antécédent un pronom indéfini. Le pronom
indéfini introduit dans le discours un référent hypothétique, auquel d’autres pronoms
peuvent référer.
L’approche mémorielle éclaircit le mécanisme de la référence dans le cas des référents
évolutifs. Le référent discursif se modifie selon les renseignements donnés sur ce référent
par le discours, de façon qu’au moment de l’apparition du pronom l’image du référent n’est
pas identique à celle qui a été fournie par l’expression référentielle antécédente (dans le cas
de la recette culinaire proposée pour préparer “un poulet bien vif et bien gras”, le renvoie à
une entité qui a subi toutes les transformations indiquées par les phrases qui précèdent
l’occurrence de le).
En plus, ce type d’approche apporte une solution au conflit terminologique entre la
deixis et l’anaphore. Le pronom il, par exemple, peut être utilisé accompagné par un geste,
sans antécédent textuel, lorsque le locuteur et l’interlocuteur voient passer devant eux une
connaissance commune :
32 Nous rappelons que dans la grammaire générative, pro et PRO sont des catégories vides, donc sans
réalisation phonétique, qui désignent des sujets non-lexicalisés et que tout élément X, déplacé par une règle,
laisse une trace, la trace et l’élément déplacé étant coïndiciels.
- Accessibilité + Accessibilité
34
Ah, il est rentré.
L’approche textuelle mènerait à la conclusion que le pronom est ici un déictique parce
qu’il n’a pas d’antécédent textuel et peut être interprété seulement grâce à la situation de
communication. Les tenants de l’approche mémorielle constatent la complémentarité de la
deixis et de l’anaphore dans la dynamique du discours et affirment que les deux mécanismes
référentiels – anaphorique et déictique – ont comme rôle de focaliser l’attention des
participants à la communication sur les mêmes référents discursifs. Mais, tandis que les
expressions déictiques servent à réorienter l’attention des interlocuteurs vers un référent
dont il n’a pas encore été question jusqu’au moment de leurs occurrences, les expressions
anaphoriques maintiennent l’attention déjà centrée sur tel ou tel référent du discours. Pour
ce qui est de l’exemple ci-dessus, l’approche mémorielle, en faisant la distinction
donné/nouveau, garde donc une conception unitaire du pronom : il est toujours anaphorique
parce qu’il renvoie à un référent discursif déjà existant dans le focus (c’est vrai que, dans
notre exemple, grâce à la situation de communication). L. Tasmowski-De Ryck (1994)
soutient que même dans ce cas il est besoin d’un nom qui justifie le genre du pronom. Si un
homme regarde comment un autre essaie vainement d’attacher une table sur le toit de la
voiture, il dira :
Vous n’arriverez jamais à la faire tenir.
Selon L. Tasmowski-De Ryck, le nom du référent discursif contrôle linguistiquement
le pronom: la compréhension du pronom la passe par le nom table.
Elle observe que si l’on a affaire à un référent pour lequel il n’existe pas de nom ou
que l’on cache le nom du référent (dans les devinettes), on n’emploie plus le personnel, mais
le démonstratif :
C’est petit, c’est rond, c’est vert et ça monte et ça descend. Qu’est-ce que c’est ?33
(L. Tasmowski-De Ryck, 1994:464)
I.1.5. L’approche pragmatique
Malgré tous les avantages de l’approche mémorielle, les pronoms s’entêtent à rester
énigmatiques. L’emploi cataphorique des pronoms n’accepte pas l’idée de la référence à un
référent saillant. En outre, l’approche mémorielle, de même que l’approche textuelle, ne
résout pas le mystère du choix du référent : dans la mémoire discursive il y a d’habitude
35
plusieurs entités discursives auxquelles le pronom peut référer, alors les critères qui
déterminent la bonne interprétation du pronom restent à être précisés. A. Reboul et J.
Moeschler (1998:130) reprochent à la théorie de M. Ariel le mélange de notions
linguistiques («antécédent») et de notions purement cognitives («mémoire»), ensuite la
définition de l’interprétation d’une expression référentielle comme identification de son
antécédent.
Parfois, le référent n’est pas donné directement par les expressions référentielles, il
s’obtient par un calcul inférentiel :
Paul a acheté une Toyota, parce qu’elles sont économiques. (les voitures Toyota en
général)
J’ai cherché Pierre, mais ils n’habitent plus à Nantes. (les membres de la famille de
Pierre)
A. Reboul (1990a) constate que toute information inférable à partir du texte peut
contribuer à l’attribution du référent au pronom. Quand plusieurs référents (directs ou
inférentiels) sont disponibles, l’élu sera celui qui n’entrera pas en contradiction avec la
condition de la pertinence optimale. D’après D. Wilson34
, un énoncé répond à la condition
de la pertinence optimale si :
a) il apporte suffisamment d’effets cognitifs ;
b) il ne nécessite pas d’efforts démesurés pour les calculer.
La théorie de la pertinence est le point de départ pour une théorie originale sur la
référence : la théorie des représentations mentales. A. Reboul et J. Moeschler (1998)
considèrent que les expressions référentielles servent justement à référer, donc à désigner
des objets dans le monde, raison pour laquelle leur fonctionnement ne saurait pas être
expliqué au seul niveau linguistique. Une explication adéquate serait fournie grâce à une
stratégie scientifique ouverte, qui interprète les énoncés à partir de diverses données tirées
de sources hétérogènes : linguistiques, perceptuelles, encyclopédiques. La notion de
représentation mentale est conçue comme “une charnière cognitive entre la réalité à
laquelle appartiennent les référents et le langage d’où ressortissent les expressions
référentielles” (1998:134). La représentation mentale rassemble toutes les informations
qui permettent d’identifier l’objet désigné :
a) des informations linguistiques, c’est-à-dire le nom de la représentation mentale
33 Sans aucun doute, la réponse correcte est “des petits pois dans l’ascenseur”. 34 Apud A. Reboul (1990 b:280-281) et G. Kleiber (1994:62-63).
36
qui lui est spécifique (l’étiquette) mais aussi les autres expressions par lesquelles le
même objet a été ou pourrait être désigné;
b) des informations encyclopédiques:
– catégorielles: concernant la catégorie à laquelle appartient l’objet et distinguant les
objets qui appartiennent à cette catégorie des autres qui ne lui appartiennent pas;
– de notation: contribuant à distinguer l’objet désigné des autres objets de la même
catégorie; les informations données par les diverses prédications sont censées préciser
les traits spécifiques qui différencient un objet d’un autre;
c) des informations logiques, qui indiquent les relations entre l’objet désigné et
d’autres objets (par exemple les relations parties – tout);
d) des informations visuelles, qui permettent la reconnaissance de l’objet d’après ses
apparences actuelles où d’après les descriptions des caractéristiques visuelles passées;
e) des informations spatiales, qui portent sur la situation spatiale de l’objet par
rapport à d’autres objets ou à un cadre quelconque.
La représentation mentale telle qu’elle est définie par A. Reboul et J. Moeschler n’est
pas un objet linguistique, mais cognitif. La représentation mentale n’implique pas
nécessairement l’existence d’un objet dans le monde réel, mais au cas où cet objet existe, la
représentation mentale permet de l’identifier.
Étant envisagées comme des représentations structurées, les représentations mentales
sont présumées subir diverses opérations. Autrement dit, les représentations mentales
peuvent être modifiées, groupées, elles peuvent fusionner. Il est possible aussi d’extraire
d’une représentation mentale correspondant à un objet ou à un groupe d’objets
indifférenciés une ou plusieurs nouvelle(s) autre(s) représentation(s) mentale(s)
correspondant à des parties de cet objet ou à des membres de ce groupe. Grâce à toutes
sortes d’informations (catégorielles, visuelles, etc.) de nouvelles représentations peuvent
être créées. A notre avis, les opérations35
spécifiées par A. Reboul et J. Moeschler
(1998:136-137) offrent une solution au problème des «antécédents dispersés et des
référents conjoints»36
:
Il y a vingt-cinq ans, Hélènei a aimé Matthieuj. Ilsi+j ont vécu une folle histoire d’amour.
Puisque chaque expression référentielle correspond à une représentation mentale, le pronom
ils renvoie ici à une représentation obtenue par le groupement de deux représentations
35 Ces opérations seront exposées de manière plus détaillée dans le sous-chapitre I.3. 36 Cette dénomination et l’exemple qui suit sont empruntés à C. Schnedecker; M. Bianco (1995:80).
37
mentales de son domaine de référence.
D’ailleurs, selon A. Reboul et J. Moeschler, “la particularité des pronoms c’est que,
lorsqu’ils sont utilisés de façon grammaticale, ils puisent leur référent directement parmi
les représentations mentales qui forment le domaine de référence construit pour
l’interprétation de l’expression référentielle immédiatement précédente (qui n’est pas
nécessairement son antécédent)” (1998:175). La notion de domaine de référence est une
notion dynamique, c’est une sorte de liste de représentations mentales construite pour
chaque expression référentielle dont l’interprétation est en cours. Le domaine de référence
comprend sept représentations mentales au maximum. Les domaines de référence successifs
sont ceux qui déterminent la présence ou l’absence de la continuité thématique, en fonction
de leurs éléments communs. Vu la façon dont les pronoms contruisent leur domaine de
référence, il est évident qu’ils sont des indicateurs de continuité thématique. La continuité
thématique n’implique pas nécessairement la cohérence. Celle-ci est liée à la possibilité de
déceler une intention informative globale pour le discours respectif.
Il faut dire que A. Reboul et J. Moeschler définissent le discours37
comme une suite
non-arbitraire d’énoncés. Pour expliquer cette non-arbitrarité, ils introduisent, à l’intérieur
de la théorie de la pertinence, une distinction entre l’intention informative38
locale,
relative aux énoncés, et l’intention informative globale, relative au discours, l’un et l’autre
s’accompagnant d’une intention communicative39
. Chaque intention informative locale,
correspondant à un seul énoncé du discours, dépend de l’intention informative globale,
correspondant à l’ensemble du discours. Lorsque l’on choisit les expressions référentielles
qui entrent dans un énoncé, on tient compte des représentations mentales dont dispose
l’interlocuteur et du domaine de référence en cours avant la nouvelle expression
référentielle. D’après A. Reboul et J. Moeschler, cela suppose que l’on soit capable
d’évaluer les représentations mentales disponibles et le domaine de référence courant et que
l’on puisse les attribuer à l’interlocuteur. En d’autres mots, choisir correctement une
expression référentielle implique d’avoir une théorie de l’esprit (avoir la capacité de
construire et d’attribuer à autrui des états mentaux) et d’appliquer la stratégie de
37 A. Reboul et J. Moeschler nient l’existence du discours en tant qu’unité linguistique au même titre que le
phonème ou le morphème, donc en tant qu’unité scientifiquement pertinente. D’après eux, le discours est
réductible aux éléments qui le composent, c’est-à-dire aux énoncés, définis comme phrases en usage. 38 L’intention informative est l’intention du locuteur de rendre manifeste à son interlocuteur un ensemble
d’assomptions. 39 L’intention communicative est l’intention du locuteur de rendre manifeste le fait qu’il a une intention
informative.
38
l’interprète (construire une intention informative globale, intention que l’interlocuteur
attribue au locuteur). En fait, la stratégie de l’interprète joue aussi bien dans le cas de la
production des énoncés qu’au cas de l’interprétation des énoncés. Le succès de la
communication dépend de la capacité de l’interlocuteur à récupérer l’intention informative
globale du locuteur. L’interprétation d’un énoncé inclut la formation d’une hypothèse sur
l’intention informative globale du discours, ce qui permet la création d’hypothèses
anticipatoires concernant la suite du discours. Cet aspect de la théorie de A. Reboul et J.
Moeschler permet l’explication des mécanismes cataphoriques.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler ici la théorie de A. Reboul (1990b), qui met en
évidence la relation entre les expressions référentielles et la manifestation de la subjectivité.
En rejetant la théorie substitutionaliste proposée par J.C. Milner (1982), elle soutient que
“l’attribution de référents aux pronoms anaphoriques est faite par un processus inférentiel
qui agit à partir des informations contenues dans le contexte et des facteurs
sémantiques/pragmatiques liés au pronom particulier qui est en cause” (1990b:281). Ces
facteurs sémantiques/pragmatiques ne constituent pas ce qui s’appelle en général un contenu
sémantique, mais plutôt des instructions qui portent sur la façon dont doit être constitué le
contexte40
. A. Reboul fait la distinction entre l’interprétation référentielle du pronom
anaphorique et le rôle que peut jouer ce morphème dans l’interprétation de l’ensemble de
l’énoncé. A partir de la perspective du discours direct et celle de l’empathie proposées par
S. Kuno, elle constate que “les différents points de vue depuis lesquels on parle sont
indiqués, entre autres, par le type de morphèmes référentiels que l’on utilise” (A. Reboul,
1990b:296). La violation des règles syntaxiques de la pronominalisation peut être un signe
du changement de point de vue et peut produire certains effets rhétoriques.
I.1.6. L’approche pragma-sémantique
G. Kleiber (1994) trouve que les affirmations sur lesquelles est fondée l’approche
pragmatique sont trop puissantes, parce qu’elles prédisent l’existence d’enchaînements mal
formés. Si la condition de la pertinence optimale était suffisante, les énoncés suivants
devraient être corrects :
40 «Contexte» signifie ici “ensemble de propositions que l’interlocuteur croit vraies et qui servent à
l’interprétation de l’énoncé. Le contexte n’est pas donné une fois pour toutes, mais construit énoncé après
39
Si une bombe incendiaire tombe près de vous, ne perdez pas la tête. Mettez-la dans un
seau et couvrez-la de sable.41
Il neige et elle tient.42
Néanmoins, le premier texte provoque le rire et le deuxième est perçu comme
agrammatical (bien que l’on comprenne facilement, grâce au mécanisme inférentiel, que le
pronom elle réfère à la neige). G. Kleiber croit qu’il ne faut pas analyser les expressions
référentielles en faisant complètement abstraction des contraintes linguistiques qui tiennent à
la spécialisation de chaque expression et affirme qu’une approche insuffisamment
sémantique n’est pas capable d’expliquer, par exemple, pourquoi l’emploi inférentiel de ils
est accepté dans:
J’ai été au concert hier. Ils jouaient la neuvième symphonie.
mais pas dans:
*Paul est orphelin. Ils lui manquent beaucoup.
G. Kleiber affine les théories pragmatiques et opte manifestement pour une approche
pragma-sémantique de l’anaphore pronominale, sans hésiter à remettre en cause les
acceptions des concepts fondamentaux de la sémantique et de la pragmatique, c’est-à-dire
du sens et de la référence. D’après lui, il y a assez d’arguments qui exigent qu’on adhère à
un objectivisme modéré, qu’on accepte donc que les référents existent vraiment en dehors
du langage, que ce sont des entités du monde réel et pas seulement des objets construits par
le discours. Même les entités fictives (la licorne, Pégase, etc.) sont créées avec des
morceaux réels. C’est vrai que chaque homme conceptualise le monde en fonction de ses
perceptions et de ses expériences socio-culturelles (y compris historiques) : cela n’empêche
pas qu’il y ait une certaine identité d’une conceptualisation à l’autre, une “modélisation
intersubjective stable à apparence d’objectivité qui caractérise notre appréhension du
monde” (G. Kleiber, 1997:17). Les expressions référentielles servent justement à désigner
des objets extra-linguistiques. Cependant il faut faire une distinction nette entre sens et
référence : l’existence des synonymes renvoyant au même référent le prouve facilement. Il
est nécessaire donc de comprendre comment le sens prépare la sortie sur le réel. En
valorisant les nombreuses recherches antérieures, G. Kleiber (1997) conclut que le sens doit
être envisagé comme un concept hétérogène, qui englobe un sens descriptif (ou
énoncé” [cf. D. Sperber; D. Wilson, apud A. Reboul (1990b:297)]. Le domaine de référence n’est pas
équivalent au contexte. 41 Exemple emprunté par G. Kleiber (1994:36) à P. Pause. 42 Exemple employé la première fois par M.J. Reichler-Béguelin (1988:21).
40
référentiel) et un sens instructionnel (ou procédural). Le sens descriptif d’une expression
est constitué par les traits auxquels doit satisfaire une entité pour qu’elle puisse être
désignée par cette expression. Le sens instructionnel est donné par les procédures à suivre
pour qu’une expression trouve son référent. Par exemple, le pronom je a pour sens
instructionnel de prendre en considération celui qui a prononcé l’occurrence de je. Le sens
instructionnel de je ne se confond pas avec la paraphrase utilisée pour l’expliciter
(«l’individu qui prononce je »), ni avec le produit de l’instruction véhiculée (la personne
même qui prononce je). Le sens hétérogène peut varier, selon G. Kleiber, en fonction du
type d’expression. Dans le cas du pronom, en général, c’est le sens instructionnel qui
prévaut. Une analyse détaillée des pronoms doit se fonder sur la conception d’un sens
branché sur la référence. G. Kleiber explicite le concept de sens de la façon suivante :
a) “Tout sens n’est pas construit ; il y a une partie du sens qui est donnée ou
préconstruite, c’est-à-dire conventionnelle ;
b) ce sens conventionnel ne peut être uniquement différentiel ou négatif ;
c) ce sens conventionnel n’est pas homogène, mais se présente comme descriptif
(référence virtuelle ou approche prototypique) ou instructionnel – une même
expression linguistique pouvant relever de ces deux modèles de sens ;
d) pour toute une série d’expressions, ce sens est référentiel, c’est-à-dire conçu
comme un ensemble de conditions d’applicabilité référentielles ;
e) les traits qui composent ce sens sont objectifs en ce qu’ils sont
intersubjectivement stables ;
f) la sortie sur le réel se trouve préparée aussi bien par le sens référentiel que par
le sens procédural ; dans les deux cas, on peut parler de mode de donation et de
mode de présentation du référent, la différence entre les deux étant que l’un donne le
référent par description, alors que l’autre le donne en indiquant la ou les procédures
à suivre pour le trouver” (1997:34).
Cette conception du sens conduit à l’idée que chaque marqueur référentiel a des
caractéristiques propres et représente un mode de donation du référent irréductible à la
façon d’identifier des autres marqueurs. En conclusion, les pronoms ne sont pas des
expressions secondaires par rapport aux groupes nominaux. Il est facile à remarquer que la
théorie de G. Kleiber rejette la thèse du pronom asémique. Le sens d’un pronom est formé
de propriétés descriptives inhérentes et d’indications référentielles sur la façon de retrouver
le référent. Vu que le sens descriptif est ténu dans le cas du pronom, la compréhension de
41
son sens suppose le plus souvent l’identification des indications référentielles qui lui sont
spécifiques. Quoique les pronoms je et il soient introduits dans la même classe par la
grammaire traditionnelle, leurs sens instructionnels sont assez différents.
Une idée manifeste dans les ouvrages de pragma-sémantique, de même que dans la
plupart des ouvrages s’inscrivant dans l’approche mémorielle, est qu’on ne peut pas
admettre la possibilité d’une hiérarchisation quelconque qui prenne comme critère
l’importance référentielle des antécédents/subséquents et des expressions
anaphoriques/cataphoriques.
I.1.7. L’approche verbale
Nous sommes partie de l’approche substitutionaliste, fondée sur l’idée que le pronom
ne représente qu’une expression linguistique secondaire, un simple remplaçant du nom, pour
arriver en fin de compte à une théorie tout à fait contraire qui, à partir des données offertes
par la syntaxe et la lexicologie, et des observations sur la réalisation de la référence, place le
pronom avant le nom. G. Moignet affirmait qu’“il serait plus conforme à la réalité
linguistique de dire que les substantifs sont des substituts des pronoms, plutôt que de
définir les pronoms comme des suppléants des substantifs” (1981:165). Mais la meilleure
synthèse de l’approche verbale est la citation de W.V.O. Quine, faite par C. Blanche-
Benveniste: “Être, c’est être dans le domaine de référence d’un pronom. Les pronoms sont
les instruments de base de la référence ; les noms auraient pu être appelés plutôt
propronoms” (C. Blanche-Benveniste, 1997:113).
Parmi les prédecesseurs de cette approche, C. Blanche-Benveniste (1997) et J.E.
Tyvaert (1997) nomment J.C. Scaliger (1540), celui qui a affirmé que le pronom peut être
conçu comme antérieur au nom, l’un des arguments évidents étant l’emploi du démonstratif
pour les choses qui n’ont pas de nom.
L’idée centrale de l’approche verbale est que le verbe contribue de manière
fondamentale à l’accomplissement de la référence de la phrase – parce que c’est au niveau
de la phrase qu’on peut parler de référence et non pas au niveau des syntagmes. Le premier
volet de l’interprétation référentielle suppose qu’on établisse la matrice posée pour le verbe
et ses actants exprimés par des marques pronominales. En d’autres mots, les possibilités des
pronoms de se combiner avec les verbes révèlent les possibilités syntaxiques de ces verbes,
ces dernières contribuant à leur tour à la réalisation de la référence (cf. E. Castagne,
42
1997:166). L’analyse des référents évolutifs et des pronoms sans antécédents mène à la
conclusion que ce n’est que le deuxième volet de l’interprétation référentielle qui permet
d’exploiter les éventuelles informations lexicales liées aux mentions des noms (cf. J.E.
Tyvaert, 1997:160). Un autre argument qui plaide en faveur de l’approche verbale est
l’existence des verbes à biais, c’est-à-dire des verbes qui favorisent un certain type de
coréférence, par exemple la coréférence entre les référents désignés par le sujet de la
proposition principale et le sujet de la subordonnée (Pauli dégoûte Pierre parce qu’ili
fume.) ou entre les référents désignés par le complément d’objet de la principale et le sujet
de la subordonnée (Paul désapprouve Pierrej parce qu’ilj a cassé le vase). Il convient
d’ajouter encore une remarque : dans des énoncés pris isolément qui contiennent des
anaphoriques (dont on ne donne pas les antécédents), le verbe, ou plutôt le contexte
prédicatif, permet de déterminer de façon assez précise si le référent de l’anaphorique est
une entité du premier, du deuxième ou du troisième ordre43
et quel est le statut argumental
de l’anaphorique :
Il faut le devenir. (le – non-argument)
Tu l’attendais ? (l’ – entité du premier ordre)
Tu t’y attendais ? (y – entité du troisième ordre)
I.2. Pronoms et anaphores/cataphores dans la linguistique roumaine
En présentant les concepts de pronom, d’anaphore et de cataphore dans la linguistique
roumaine nous prenons en considération les ouvrages des linguistes roumains concernant le
roumain, les ouvrages des linguistes roumains concernant le français et les ouvrages des
linguistes étrangers concernant le roumain.
Il faut préciser dès le début que les termes pronom, anaphore, cataphore, deixis
n’ont pas joui de la même fortune dans le métalangage roumain. Si le pronom s’y trouve
depuis toujours (au moins a-t-on l’impression), le terme embrayeur (ou déictique) a été
employé avec une fréquence plus grande à partir des années ’70, tandis que l’anaphore est
utilisée de façon systématique (pour définir un mécanisme référentiel, pas une figure de
43 Pour J. Lyons (1980), les entités du premier ordre se trouvent à tout moment dans un espace à trois
dimensions et sont observables par tous, les entités du deuxième ordre sont des événements, processus,
états de choses localisés dans le temps et dans l’espace, et les entités du troisième ordre sont représentées
par les propositions, plutôt vraies que réelles, en dehors du temps et de l’espace. Dans la linguistique
actuelle, on parle même des entités du quatrième ordre, qui concernent les actes de langage.
43
rhétorique) depuis peu de temps et seulement dans les travaux de certains linguistes. La
présence du terme cataphore est plutôt accidentelle.
Dans la plupart des grammaires44
roumaines, la définition45
du pronom respecte la
tradition étymologique, substitutionaliste: le pronom est “partea de vorbire care ţine locul
unui substantiv”46
(I. Coteanu, 1982:122) “sau altor cuvinte cu valoare substantivală
având categoriile gramaticale de gen, număr, caz şi persoană”47
(C. Popescu, 1997:84).
En fait la définition traditionnelle standard est formulée par Gramatica Academiei48
:
“Pronumele este partea de vorbire care se declină şi care ţine locul unui substantiv”49
(1966,I:135)50
. I. Coteanu (1982:122) ajoute quand même que les pronoms ne se limitent
pas à remplacer les noms, ils apportent des informations supplémentaires par rapport à
ceux-ci.
Vu que le pronom se caractérise du point de vue sémantique par son contenu très
abstrait et que la définition sémantique du pronom ne permet pas une délimitation claire de
cette partie du discours (cf. I. Iordan et alii, 1967:118), les linguistes définissent souvent le
pronom par l’énumération de ses particularités morphologiques et syntaxiques: “Clasa
pronumelui este o categorie lexico-gramaticală de cuvinte în general autonome care, în
cele mai multe situaţii (şi numai anumite forme) îndeplinesc aceleaşi funcţii sintactice ca
şi substantivul, adică pot fi nuclee ale sintagmelor nominale”51
(I. Iordan; V. Robu,
1978:409) ou “Spre deosebire de flexiunea nominală şi de cea verbală, care permit
gruparea substantivelor şi verbelor în clase, de obicei destul de numeroase, caracterizate
prin prezenţa unor particularităţi flexionare (omonimii, afixe specifice), flexiunea
pronominală este reprezentată, de cele mai multe ori, prin paradigme individuale,
specifice unui singur element lexical, unui singur pronume. […] Sintactic, pronumele se
44 Évidemment, la définition du pronom dépend du type de grammaire, du public auquel s’adresse la
grammaire respective. Il faut tenir compte du fait que la plupart des ouvrages mentionnés dans ce sous-
chapitre portent sur la morpho-syntaxe du roumain: c’est dans ces travaux que le pronom est décrit de façon
minutieuse (dans les travaux de sémantique ou de pragmatique il n’est analysé qu’occasionnellement). 45 G. Trandafir (1982:27-42), C. Dimitriu (1994:244) passent en revue les diverses définitions du pronom. 46 Le pronom est “la partie du discours qui se substitue à un nom”. (Toutes les traductions des citations
extraites des ouvrages théoriques roumains appartiennent à l’auteur de cette thèse). 47 “ou à d’autres mots à valeur substantivale ayant les catégories grammaticales de genre, nombre, cas et
personne”. 48 A. Graur; M. Avram; L. Vasiliu (1966). 49
“Le pronom est la partie du discours qui se décline et qui se met à la place d’un nom”. 50 Voir aussi I. Iordan et alii (1967:119), T. Hristea (1984:227), M. Avram (1986:118), Gh. Bulgăr
(1995:57). 51 “La classe des pronoms est une classe lexico-grammaticale de mots généralement autonomes qui, dans la
plupart des situations (et seulement certaines formes), remplissent les mêmes fonctions syntaxiques que le
nom, c’est-à-dire qu’ils peuvent être des noyaux des syntagmes nominaux.”
44
caracterizează prin posibilitatea de a apărea în aceleaşi contexte cu substantivul, de a
«substitui» substantivul în anumite condiţii. Substituindu-se unui substantiv, pronumele
«preia» genul şi numărul substantivului («se acordă» cu substantivul, ca şi adjectivul, dar
spre deosebire de adjectiv, ocurenţa pronumelui nu cere coocurenţa unui substantiv)”52
(I. Coteanu et alii, 1974:254).
La permanente mise en rapport du pronom avec le nom le fait placer, par la plupart
des grammaires, dans la classe plus générale des substituts53
. Présent déjà dans la
grammaire de la langue roumaine de Al. Rosetti (1943), le terme de substitut a atteint son
apogée grâce à l’analyse distributionnelle de Maria Manoliu Manea, faite dans Sistematica
substitutelor din româna contemporană standard (1968). L’étude de M. Manoliu Manea
constitue sans doute l’un des ouvrages de référence dans la linguistique du pronom
roumain. A notre avis, les idées formulées dans cet ouvrage situe la linguiste parmi les
précurseurs de la pragmatique sémantique. Quelques-unes de ces idées doivent absolument
être mentionnées:
1. Les pronoms sont envisagés comme appartenant à la classe plus grande des substituts,
classe définie comme le sous-ensemble des éléments itératifs qui mènent à la connexion des
informations. Il nous semble important que M. Manoliu Manea insiste sur le rôle de
connecteur et d’élément itératif du pronom. Elle fait la distinction entre les prépositions et
les conjonctions, les pronoms, les morphèmes grammaticaux et les synonymes, tous ces
éléments contribuant à l’unité textuelle. Les prépositions et les conjonctions réalisent la
connexion des informations, mais elles ne les répètent pas (cf. M. Manoliu Manea,
1968:32). En ce qui concerne la différence entre les morphèmes grammaticaux et les
substituts, elle réside dans la non-identité/l’identité entre les termes répétés et les termes
connectés. Dans le cas des morphèmes grammaticaux (de genre, de nombre) les termes
connectés sont différents de ceux qui servent à leur connexion. Le substitut répète une
information et constitue en même temps l’un des termes connectés. Quant à la répétition par
synonymes, elle crée une identification syntagmatique totale malgré la non-identité
52 “À la différence de la flexion nominale et de la flexion verbale, qui permettent la répartition des noms et
des verbes en classes, assez nombreuses d’habitude, caractérisées par la présence de certaines
particularités flexionnelles (homonymies, affixes spécifiques), la flexion pronominale est représentée, le
plus souvent, par des paradigmes individuels, spécifiques pour un seul élément lexical, un seul pronom.[…]
Syntaxiquement, le pronom se caractérise par la possibilité d’apparaître dans les mêmes contextes que le
nom, de «se substituer» au nom dans certaines conditions. En se substituant à un nom, le pronom en
«prend» le genre et le nombre (il «s’accorde» avec le nom, de même que l’adjectif, mais, à l’encontre de
l’adjectif, l’occurrence du pronom n’exige pas la cooccurrence d’un nom).” 53 I. Iordan; V. Robu (1978:409), C. Dimitriu (1994:11-12), C. Popescu (1997:84).
45
paradigmatique, tandis que la répétition par substituts n’entraîne souvent qu’une
identification partielle. M. Manoliu Manea considère que le substitut comporte toujours,
parmi les sèmes différant de ceux du substitué (= antécédent), un sème qui indique
l’existence d’une relation entre le substitut et le substitué.
2. Dans le premier chapitre54
de son ouvrage, M. Manoliu Manea propose une analyse des
rapports hétéroplanes, qui mettent en relation la langue avec le monde des objets désignés55
.
Deux aspects nous semblent essentiels dans cette analyse:
a) L’étude des relations entre les objets désignés telles qu’elles se reflètent dans le
rapport substitut –antécédent:
À partir de la théorie des ensembles, M. Manoliu Manea décrit trois types de relations
entre les objets désignés par les substituts et les objets désignés par les antécédents:
d’inclusion réciproque (biunivoque), d’inclusion simple et d’exclusion56
. Les pronoms sont
donc décrits selon la relation dominante qu’ils expriment:
Les démonstratifs sont compatibles avec tous les types de relations:
– D’inclusion réciproque:
În frazele în care două predicate au acelaşi subiect, acesta nu este exprimat decât
o dată.57
/ Dans les phrases où deux prédicats ont le même sujet, celui-ci n’est
exprimé qu’une fois.
– D’inclusion simple:
Dintre creioanele pe care mi le-ai adus, acelea roşii sunt de o calitate
excepţională. / *Des crayons que tu m’as apportés, ceux rouges sont
exceptionnels.
– D’exclusion:
Rochia albastră mi-a plăcut mai mult decât aceea verde. / *La robe bleue m’a plu
plus que celle verte.
Le pronom personnel exprime toujours un rapport d’identité entre l’objet qu’il
désigne et l’objet désigné par l’antécédent. Ce rapport est conservé même quand il y
a une évolution (exprimé par un adjectif qualificatif par exemple) dans l’état de
54
“Pronume – Substitute – Economizatori” (1968:36-46). 55 M. Manoliu Manea n’emploie pas le terme «referent». 56 Quand nous parlerons des fonctions référentielles des pronoms, nous ne serons pas très loin de cette
présentation proposée par M. Manoliu Manea, que nous mettons évidemment en relation avec l’hypothèse
des opérations appliquées aux représentations mentales formulée par A. Reboul et J. Moeschler. 57 Exemples donnés par M. Manoliu Manea (1968:38-39).
46
l’objet en question58
. M. Manoliu Manea (1968:39) déduit que le pronom personnel
de la III-ème personne, expression de la non-identité par rapport aux deux pôles de la
communication, devient l’indice de l’identité dans le processus de référence au
message et que c’est l’une des raisons pour lesquelles ce pronom est inclus dans le
paradigme du pronom personnel.
Pour les indéfinis de la totalité la relation dominante est d’inclusion réciproque.
Les pronoms indéfinis partitifs expriment plutôt la relation d’inclusion simple.
Dans le cas des pronoms semi-indépendants59
, il s’agit d’une relation d’exclusion.
Selon M. Manoliu Manea, la plupart des pronoms peuvent se comporter comme des
embrayeurs, donc référer directement aux objets, sans l’intermédiaire d’un antécédent. Soit
qu’ils renvoient au message, soit qu’ils renvoient aux conditions de réalisation du message,
les pronoms ont une signification constante, une invariante sémantique qui précise leur
domaine d’application. Si l’on se situe du côté de l’émetteur, ce trait rapproche les pronoms
des noms communs.
b) La prise en considération aussi bien de l’émetteur que du récepteur dans la
description du rapport séquence linguistique (P) – objet désigné (O):
En fonction de la variation de ce rapport d’un émetteur à l’autre ou de l’émetteur au
récepteur, M. Manoliu Manea envisage un système des constituants du code linguistique à
trois classes:
La classe des éléments pour lesquels le rapport P<–>O varie d’un émetteur à l’autre
et de l’émetteur au récepteur du même message. Cette classe est formée de noms
communs, verbes, adjectifs, adverbes.
La classe des éléments pour lesquels le rapport P<–>O est invariable, quels que
soient les émetteurs ou les récepteurs. Cette classe comprend des noms propres.
La classe des éléments qui font varier le rapport P<–>O d’un émetteur à l’autre,
mais qui le maintiennent constant de l’émetteur au récepteur du même message. C’est
la classe des économiseurs. Dans cette classe la linguiste inclut, outre les pronoms
traditionnels, des adverbes de lieu, de temps, de manière, des articles, des morphèmes
58 Nous soulignons cette affirmation pour mieux mettre en évidence la relation entre les recherches de M.
Manoliu-Manea et les autres recherches (pour la plupart ultérieures) sur les référents évolutifs. 59 Les pronoms semi-indépendants mentionnés par M. Manoliu Manea sont le français le (dans le rouge, le
tien) et les roumains cel, al (1968:91).
47
temporels60
.
3. À la suite d’une analyse détaillée de la distribution des substituts, M. Manoliu Manea
conclut que ceux-ci apparaissent comme une totalité de classes, sans nul trait commun qui
les différencie des noms. Bien que l’analyse distributionnelle ne mène pas à la découverte
d’un cotexte qui permette le ralliement à une même classe des termes si divers appelés
substituts, elle dévoile (ou confirme tout simplement) certains traits sémantiques et
référentiels des pronoms. Par exemple les indéfinis sont minutieusement examinés comme
expressions différentes du rapport entre le tout et les parties.
Le travail de M. Manoliu Manea a bien mis en évidence l’impossibilité de faire
abstraction, dans l’analyse des pronoms, de leurs propriétés référentielles et sémantiques.
D’ailleurs même dans les travaux roumains plus anciens, où le problème de la
référence n’est pas posé de manière explicite, le rapport entre le pronom et le mode de
donation du référent est esquissé par les linguistes. Il est intéressant de comparer, du point
de vue du métalangage, les explications de I. Iordan de 1954 et celles de 1978:
“Când înlocuieşte un substantiv, pronumele nu numeşte obiectul după conţinutul
acestuia, ci după un raport bine determinat al vorbirii: Astfel «tu» arată că obiectul
în discuţie se găseşte faţă de vorbitor în raportul de persoana a II-a, fără să ne
spună ceva despre natura obiectului; «acela» arată că avem înainte un obiect care
se află la oarecare depărtare de vorbitor, etc. Aşa se face că acelaşi pronume poate
sta în locul oricărui substantiv, că, adică, putem numi cu ajutorul lui orice obiect, de
orice fel, cu singura condiţie ca acesta să se găsească faţă de subiectul vorbitor sau
faţă de alt obiect în raportul cerut de pronumele respectiv.” 61
(I. Iordan, 1954:382)
par rapport à:
“Pronumele face parte dintr-o categorie mai largă de cuvinte care sunt substitute,
având capacitatea de a se referi prin substituire la un alt termen folosit deja în
60 La classe des substituts comporte les éléments suivants: eu, tu, el, noi, voi, ei, se, atunci, acolo, acum,
aici, câte doi, amândoi, oricine, orice, oricare, fiecare, toţi, o doime, cât, doi, al doilea, cine, ce, care,
cineva, altcineva, ceva, altceva, unii, câţiva, puţini, mulţi, unul, vreunul, acelaşi, celălalt, altul, acela,
acesta. La classe des économiseurs comprend en plus: oricând, totdeauna, oriunde, pretutindeni, când,
cândva, altădată, unde, undeva, altundeva, le futur, le plus-que-parfait, le passé, le présent. 61 “Quand le pronom remplace un nom, il ne nomme pas l’objet d’après son contenu, mais d’après un
rapport bien déterminé avec la parole. Par exemple «tu» montre que l’objet en discussion se trouve face au
locuteur, dans un rapport de IIème personne, sans rien dire sur la nature de l’objet; «celui-là» [acela]
montre qu’il s’agit d’un objet qui se trouve à une certaine distance par rapport au locuteur, etc. Par
conséquent, le même pronom peut se mettre à la place de n’importe quel nom, c’est-à-dire qu’il peut
désigner n’importe quel objet, de n’importe quelle nature, à la seule condition que celui-ci se trouve face
au locuteur ou face à un autre objet dans le rapport exigé par le pronom respectif.”
48
context; păstrându-şi constanta semantică prin care precizează domeniul de
aplicaţie, pronumele îşi poate schimba semnificaţia, în sensul că trimite direct la
mesaj, poate denota de fiecare dată alt referent, după raportul acestuia faţă de actul
vorbirii, adică se încadrează în grupa ambreiorilor, în sensul pe care-l dă acestui
termen R. Jakobson. Aşa, de exemplu, cel care vorbeşte se numeşte totdeauna «eu»,
cel interpelat se numeşte «tu», fără opoziţie de gen; prin «acela» poate fi numit
orice obiect (al cărui nume este de genul masculin sau neutru) care se află ori este
considerat peste limitele corelatelor situaţionale «aici» şi «acum».”62
(I. Iordan; V.
Robu, 1978:409)
Il faut remarquer que l’évolution constante des points de vue sur les pronoms est
facilement observable aussi dans les travaux de M. Manoliu Manea. En dépit de ses
éléments de pragmatique et de sémantique, Sistematica substitutelor din româna
contemporană standard reste une approche textuelle des pronoms, qui ne dépasse pas le
cadre de la phrase. Quelques années après la parution de cet ouvrage fondamental, à la fin
d’un article ayant comme sujet la réduction de la redondance et la pronominalisation, M.
Manoliu Manea affirme que la substitution n’est qu’un phénomène de surface, qui cache un
complexe de mécanismes hétérogènes (syntaxiques, sémantiques et discursifs) et que le
pronom “n’est pas le substitut du nom, mais une différence, ce qui reste du syntagme
nominal après qu’on a supprimé l’item lexical du Nom” (1974:443). L’article de 1992
consacré au pronom sujet dans les textes de Caragiale met l’accent sur les fonctions du
pronom personnel au niveau du discours.
Grâce à l’avènement de la pragmatique, les termes «référent», «anaphorique»,
«embrayeur» (ou «déictique») pénètrent donc dans les explications du comportement des
pronoms63
. C. Dimitriu (1994:250) affirme même que le nombre de référents désignés
simultanément représente une particularité dont il faut tenir compte pour établir les types de
62 “Le pronom appartient à une classe plus large de mots qui sont des substituts, ayant la capacité de
référer, par la substitution à un autre terme employé déjà dans le contexte; tout en gardant l’invariante
sémantique grâce à laquelle il précise son domaine d’application, le pronom peut changer de signification,
dans le sens qu’il renvoie directement au message, il peut désigner chaque fois un autre référent, d’après
le rapport de celui-ci avec l’acte de parole, c’est-à-dire qu’il s’intègre dans le groupe des embrayeurs, tels
qu’ils sont définis par R. Jakobson. Ainsi, par exemple, celui qui parle s’appelle toujours «je», celui qui est
interpellé s’appelle «tu», sans opposition de genre; par «celui-là» [acela] on peut désigner n’importe quel
objet (dont le nom est masculin ou neutre) qui se trouve ou qui est considéré se trouver au-delà des limites
des corrélations situationnelles «ici» et «maintenant».” 63 Il convient de préciser que les ouvrages se rattachant à la grammaire générative ont eu un rôle
considérable dans le développement de l’analyse des pronoms et dans la diffusion du terme «anaphore»,
49
pronoms. Nous rappelons que C. Dimitriu (1994:10-12; 1999:10-12) classifie les mots selon
des critères morphologiques, syntaxiques64
et sémantiques. L’application de ces derniers
critères mène à l’établissement de trois classes: des mots notionnels, des mots anotionnels65
et des mots substituts. Les substituts sont définis comme des éléments lexicaux qui – soit
qu’ils offrent des informations sémantiques, grammaticales ou stylistiques supplémentaires,
soit qu’ils ne le fassent pas – peuvent se mettre à la place des mots notionnels isolés ou des
phrases, ce qui signifie qu’ils renvoient à l’information sémantique de façon indirecte, par
l’intermédiaire des éléments substitués. Les substituts sont rangés à leur tour en sept classes
(les onomatopées trouvent leur place dans l’une de ces classes). Ce qui nous semble
important à remarquer, c’est que ces classes sont clairement circonscrites en fonction de
deux critères: la nature des éléments substitués, donc des antécédents, et les informations
nouvelles apportées par le substitut en rapport avec le substitué.
Les pronoms sont définis eux aussi d’après des critères morphologiques, syntaxiques
et sémantiques. C. Dimitriu (1994:235) affirme que le sens du pronom ne se trouve pas dans
le pronom même, mais dans un nom exprimé d’habitude antérieurement: le sens se transmet
au pronom par la voie du contexte. Par conséquent, le même pronom peut avoir autant de
sens que les noms qu’il remplace, donc une infinité de sens.
Afin de présenter les pronoms eu [je] et tu [tu], C. Dimitriu fait appel à la notion
d’embrayeur. Il propose cependant des noms différents – dialogant 1 et dialogant 2 – pour
ces mots qui, d’après lui, ne peuvent être intégrés dans la classe des pronoms que grâce à la
tradition.
En ce qui concerne la notion d’anaphore, elle n’apparaît dans l’ouvrage de C. Dimitriu
qu’au moment où l’auteur cite la définition formulée par G. Trandafir: “Pronumele este o
clasă lexico-gramaticală în general declinabilă ai cărei membri substituie un termen
(substantiv, pronume, adjectiv, numeral, propoziţie) a) exprimat anterior în context
pris, c’est vrai, dans le sens des théories chomskyennes. Voir par exemple E. Vasiliu (1970), A. Niculescu
(1978), A. Cornilescu; D. Urdea (1987), C. Dobrovie-Sorin (2000). 64 Il faudrait peut-être mentionner que C. Dimitriu fait la distinction entre les fonctions syntaxiques, les
fonctions de marques et les fonctions expressives (qui ont une motivation subjective). Dans la langue
roumaine il y a des mots qui remplissent une fonction exclusivement expressive (par exemple mi dans la
phrase: Eu mi-s moldovean.). Parmi ces mots à fonction expressive, C. Dimitriu (1994:44) inclut les mots
“modaux ou d’attitude” du type şi, chiar, tocmai, etc. dans des contextes comme: «Acum iată că din codru
şi Călin mirele iese/ Care ţine-n a lui mână mâna gingaşei mirese»”. Ces mots modaux sont en fait ce
qu’on appelle actuellement des focalisateurs. Ils ont un rôle à jouer dans l’expression du pronom personnel
sujet. 65 Les déterminants du nom (l’article, le déterminant démonstratif, le déterminant possessif) appartiennent à
cette classe.
50
(anaforic) sau posterior (anticipant), b) cu sens nedefinit (pronume absolut cu
antecedentul implicit) sau c) care indică un participant la procesul enunţării ori o
persoană sau un obiect prezente la efectuarea acestuia (deictic sau ambreior).
Semnificaţia lui în enunţ constă din semnificaţia lui specifică (constantă) cumulată cu cea
proprie fiecărui referent (variabilă)”66
(G. Trandafir, 1982:32, dans C. Dimitriu,
1994:244).
Il sied de souligner que G. Trandafir (1982), quant à lui, pose clairement le problème
des particularités référentielles des pronoms. Le linguiste précise tout d’abord le sens des
termes qu’il emploie:
– le terme exprimé dans l’énoncé et repris par le substitut s’appelle
antécédent;
– le substitut par rapport à son antécédent s’appelle anaphorique;
– le terme substitué n’est pas nécessairement identique à l’antécédent et il
n’apparaît pas dans le cotexte (par exemple, dans la phrase Dintre rochiile cumpărate, cea
albă îmi place cu deosebire., cea est le substitut anaphorique, rochiile est l’antécédent et
rochia est le substitué).
D’après G. Trandafir, le pronom n’a pas de valeur référentielle propre: c’est le
substitué qui la lui prête ou l’un des éléments présents dans le processus d’énonciation (dans
le cas des déictiques/embrayeurs). Le chercheur observe que certains pronoms fonctionnent
aussi bien en tant qu’anaphoriques qu’en tant que déictiques (et même simultanément67
).
L’accord du pronom avec son antécédent est une coïncidence et marque, selon G.
Trandafir, la coréférence des deux termes, et non pas une relation de subordination: il ne
faut pas confondre les relations syntaxiques et les relations anaphoriques.
Peu à peu, les analyses référentielles du pronom et le concept d’anaphore se glissent
dans les travaux traitant de la morpho-syntaxe du roumain. En considérant que les classes
lexico-grammaticales peuvent être délimitées selon des critères sémantiques,
morphologiques, syntaxiques et déictiques – ces derniers spécifiant aussi bien la position des
unités linguistiques dans le système grammatical que l’inscription du texte structuré par les
66
“Le pronom est une classe lexico-grammaticale, déclinable en général, dont les membres se substituent à
un terme (nom, pronom, adjectif, numéral, phrase) a) exprimé dans le contexte antérieur (anaphorique) ou
postérieur (anticipant), b) ayant un sens indéfini (pronom absolu à antécédent implicite) ou c) qui indique
un participant à l’énonciation ou une personne ou un objet présents à sa réalisation (déictique ou
embrayeur). La signification du pronom dans l’énoncé est faite de sa signification spécifique (invariante) et
de la signification propre à chaque référent (variable).”
51
unités linguistiques dans l’acte linguistique concret – D. Irimia (1997:95) définit le pronom
comme une classe lexico-grammaticale principalement déictique, de nature discursive.
C’est une classe fermée, comprenant des termes qui varient du point de vue morphologique
et qui atteignent un haut degré d’abstraction grâce au fait que “Sensul «lexical» concret
variază în funcţie de cadrul deictic concret, în timp ce sensul gramatical rămâne
invariabil”68
(ibidem). A l’avis de D. Irimia, le pronom se met à la place du nom quand la
réalité extra-linguistique peut être dénommée (au niveau de l’acte linguistique concret et au
niveau de la langue) et il se met pour le nom quand l’interprétation linguistique de la réalité
extra-linguistique ne peut pas se réaliser par l’intermédiaire du nom. La nature de
représentant du pronom, comme expression linguistique unique d’une réalité extra-
linguistique ou comme substitut, reste essentielle. D. Irimia ajoute que les pronoms qui se
mettent à la place du nom ont souvent un emploi anaphorique et qu’ils peuvent remplacer
(ou représenter) des syntagmes, des propositions, des phrases. Les pronoms personnel,
possessif, relatif, démonstratif, ordinal sont cités parmi les pronoms qui s’utilisent souvent
de manière anaphorique. Par contre, l’emploi anaphorique n’est pas un trait caractéristique
des pronoms indéfinis. Dans la grammaire de D. Irimia, les adverbes pronominaux sont
décrits eux aussi comme ayant parfois un emploi anaphorique. Nous avons retenu cet
ouvrage parce que, même si la perspective reste textuelle, même si la relation d’anaphore y
est envisagée tantôt au niveau sémantique, tantôt au niveau syntaxique, cette relation est
constamment prise en considération par l’auteur dans l’analyse des pronoms.
Deux livres à caractère de synthèse confirment l’entrée du terme «anaforă» (anaphore)
dans le métalangage roumain: Dicţionarul General de Ştiinţe ale Limbii69
et Enciclopedia
Limbii Române70
.
Dicţionarul General de Ştiinţe ale Limbii définit l’anaphore comme un “fenomen
sintactico-semantic constând în reluarea printr-un substitut (sau anaforic) a unui termen
plin referenţial, exprimat anterior, numit antecedent. Relaţia antecedent-substitut, numită
«relaţie anaforică» sau «interpretativă», procură referinţa substitutului, component care
67
Par exemple dans la phrase: Dintre cărţile de aici, aceasta mă interesează cel mai mult. [Des livres
qu’on voit ici, celui-ci m’intéresse le plus.] (G.Trandafir, 1982:29). 68 “Le sens «lexical» concret varie en fonction du cadre déictique concret, tandis que le sens grammatical
reste invariable.” 69 A. Bidu Vrănceanu et alii (1997). 70 M. Sala et alii (2001).
52
în afara contextului, este lipsit de referinţă proprie”71
(1997:43). (Le terme «cataforă» ne
jouit pas d’une définition à lui dans ce dictionnaire, mais l’emploi cataphorique est
mentionné, page 151.) Le dictionnaire résume aussi la conception de l’anaphore dans la
théorie du gouvernement et du liage.
Quant aux pronoms, ils sont caractérisés dans le même ouvrage en fonction de critères
morphologiques, syntaxiques, mais également en fonction de critères sémantiques et
pragmatiques (et même sociolinguistiques). Les définitions proposées par ce dictionnaire
s’attachent pourtant à l’approche textuelle: les pronoms forment “(o) clasă închisă de
cuvinte lipsite de referinţă proprie care, aşa cum sugerează şi denumirea lor, «stau pentru
un nume», procurându-şi referinţa fie prin raportare la un substantiv prezent în enunţ sau
în text, fie prin raportare la situaţia de comunicare”72
(1997:389). Plusieurs observations
importantes mentionnées dans l’article consacré aux pronoms valent d’être retenues:
a) Les pronoms (leur présence dans la langue, leur emploi) peuvent constituer un
paramètre de différenciation structurelle des langues. Par exemple, les langues
pro-drop, comme le roumain et l’italien, admettent qu’on n’exprime pas le sujet
pronominal, ce qui n’est pas le cas du français.
b) Les pronoms ne forment pas une classe homogène: il y a des différences d’une
langue à l’autre, d’un type de pronoms à l’autre et d’un emploi à l’autre.
c) La classification des pronoms se fait d’après les fonctions particulières qu’ils
remplissent par rapport aux fonctions définitoires de la classe: “Astfel, tipurile de
pronume care trimit obligatoriu la actul enunţării, definindu-se în raport cu
partipanţii la enunţare (personal, de politeţe, de întărire, posesiv, demonstrativ),
se deosebesc între ele după funcţia specială adăugată de fiecare (de marcare a
politeţii, de întărire a persoanei, de exprimare a relaţiei de posesie, de indicare a
poziţiei în spaţiu şi timp a participanţilor la comunicare în raport cu
vorbitorul”73
(1997:390).
71 “un phénomène syntactico-sémantique qui consiste dans la reprise par un substitut (ou anaphorique)
d’un terme plein du point de vue référentiel, exprimé antérieurement et appelé antécédent. La relation
antécédent – substitut, nommée «relation anaphorique» ou «interprétative» fournit la référence du
substitut, élément qui, en dehors du contexte, est dépourvu de référence propre.” 72
“une classe fermée de mots qui n’ont pas de référence propre et qui, comme leur dénomination le
suggère, «se mettent pour un nom», en acquérant leur référence soit par rapport à un nom présent dans
l’énoncé ou dans le texte, soit par rapport à la situation de communication.” 73 “Ainsi, les types de pronoms qui renvoient obligatoirement à l’acte de l’énonciation, en se définissant
par leur rapport avec les participants à l’énonciation (les pronoms personnels, de politesse, de
renforcement, possessif et démonstratif) se distinguent l’un de l’autre d’après la fonction spécifique ajoutée
53
Dans Enciclopedia Limbii Române74
, la capacité des pronoms d’entrer dans des
relations anaphoriques devient un critère essentiel dans leurs définitions et caractérisations.
Enciclopedia Limbii Române sépare les éléments exclusivement anaphoriques (les pronoms
réfléchis, les pronoms relatifs et les pronoms indéfinis réciproques) des éléments à emploi
anaphorique (les pronoms personnels de la III-ème personne, les possessifs, les pronoms
démonstratifs, certains pronoms indéfinis, certains numéraux, certains adverbes
pronominaux). L’article défini et les adjectifs démonstratifs y sont considérés des indices
anaphoriques de coréférence. Parmi les anaphoriques, on mentionne aussi les pronoms semi-
indépendants cel (parfois déictique) et al (exclusivement anaphorique). La classe des
pronoms contient des anaphoriques stricts, qui reprennent directement la référence de
l’antécédent en s’accordant avec celui-ci en genre et en nombre, et des anaphoriques
indirects, qui supposent une relation de nature partitive avec l’antécédent. Enciclopedia
Limbii Române signale la distinction entre les anaphoriques et les cataphoriques. Dans cet
ouvrage, les anaphoriques sont vus comme instrument principal de la réalisation de la
cohésion textuelle. À l’avis des auteurs, les anaphoriques libres (dont la présence n’est pas
imposée par des contraintes strictement grammaticales) se soumettent à des règles textuelles
et pragmatiques en fonction du style et du type du texte où ils apparaissent. Une
particularité de la langue roumaine notée dans cette encyclopédie (2001:198), c’est l’emploi
de l’ellipse (d’un attribut ou d’un complément le plus souvent) comme moyen anaphorique.
L’ellipse, en tant qu’anaphorique, assure elle aussi la cohésion textuelle
Bref, nous pouvons affirmer que la grande majorité des travaux roumains qui
présentent le pronom roumain de manière détaillée prennent en considération surtout ses
particularités morpho-syntaxiques (flexion, fonctions syntaxiques), telles qu’elles se
manifestent, bien sûr, au niveau de la phrase. Les données sémantiques et pragmatiques ne
sont pas totalement absentes de ces travaux, mais, dans la plupart des cas, elles ne sont pas
valorisées de façon explicite et systématique.
De ce point de vue il y a une différence évidente entre les ouvrages des linguistes
roumains traitant du pronom roumain et les ouvrages des linguistes roumains traitant du
pronom français. Les concepts de référence (référent), anaphore, deixis
(déictiques/embrayeurs) sont au moins mentionnés – s’ils ne constituent pas de concepts
par chacun (marquer la politesse, renforcer la personne, exprimer la relation de possession, indiquer la
position dans le temps et l’espace des participants à la communication par rapport au locuteur).” 74 M. Sala et alii (2001:42).
54
fondamentaux pour les ouvrages respectifs – dans ces derniers (V. Agrigoroaiei, 1994:173-
176; P. Gherasim, 1997:177; V. Dospinescu, 1998:194). En saisissant l’importance des
substituts (y compris des pronoms) au-delà des groupes nominaux, certains chercheurs (T.
Cristea, 1979:454-498; O. Popârda, 1983) proposent de les analyser au niveau
transphrastique.
Le concept d’anaphore apparaît surtout – et c’est bien normal – dans les articles et les
livres75
relevant de l’approche pragmatique des faits de langue: et ici il faut absolument citer
les ouvrages de C. Vlad (1994, 2000), auteur qui présente synthétiquement les problèmes
posés par l’analyse de l’anaphore et de la cataphore au niveau textuel-discursif, mais sans se
proposer de faire du pronom anaphorique un sujet à examiner de façon spéciale.
Au cas où nous serions obligée de nommer un seul ouvrage représentatif pour
l’approche pragmatique du pronom dans la littérature de spécialité roumaine, nous
proposerions Introducere în teoria textului (1990) de E. Vasiliu, malgré le fait que l’analyse
du pronom y occupe peu d’espace. En revanche, la similitude avec la théorie sur l’intention
informative globale de A. Reboul et J. Moeschler et l’originalité de la présentation du
pronom personnel nous semblent des arguments irréfutables en faveur de ce choix. Après
avoir clairement spécifié que la syntaxe étudie les relations entre les signes, la sémantique
les relations entre les signes et les objets du monde dont on parle à l’aide du langage, tandis
que la pragmatique concerne les relations établies entre les locuteurs et le langage, E.
Vasiliu expose les critères selon lesquels on peut apprécier si une suite de phrases forment
ou pas un texte et il constate que le critère définitoire pour la textualité – le critère de la
cohérence – appartient nécessairement au niveau pragmatique. E. Vasiliu propose une
définition formelle pour le concept de cohérence: une succession de phrases est jugée
comme cohérente et, par conséquent, comme constituant un texte si elle est conforme à
l’expectation de l’interlocuteur. Le degré de conformité à l’expectation est défini par
l’intermédiaire d’une K-opération, qui s’applique aux propositions. La suite de propositions
qui forment un texte se construit donc par des pas successifs qui correspondent à
l’application répétée de la K-opération. On associe à chaque K-opération une valeur
numérique qui exprime le degré de conformité à l’expectation. La valeur pour une
conjonction de K-opérations peut être calculée: le degré de cohérence d’une suite de
propositions est égal avec l’addition des valeurs des K-opérations qui mènent à la réalisation
75 Voir, par exemple, S.M. Ardeleanu; I.C. Coroi (2002).
55
de cette suite. La cohérence est envisagée donc comme une propriété graduelle: une
séquence de phrases n’est pas soit cohérente soit incohérente, mais plus ou moins
cohérente en fonction du système de normes de comportement linguistique auquel on
se rapporte76
. Dans le cadre de chaque communauté linguistique, plusieurs systèmes de
normes coexistent. La même suite de phrases peut être qualifiée comme texte par rapport à
l’un de ces systèmes et comme non-texte par rapport à un autre. Ce qui apparaît de façon
évidente, c’est que le texte ne peut être défini qu’au niveau pragmatique et qu’il ne fait pas
partie intégrante de la hiérarchie morphème – mot – syntagme – proposition – phrase,
hiérarchie caractérisée par le fait que les éléments de rang supérieur sont composés
d’éléments de rang immédiatement inférieur. La textualité n’est pas une propriété
immanente d’une configuration de signes, mais une manière de présenter et d’accepter une
telle configuration. Si E. Vasiliu nie la possibilité de définir un texte à un autre niveau que
celui de la pragmatique, il n’exclut pas la possibilité de décrire un texte en termes
grammaticaux et sémantiques et de voir quelles sont les marques explicites de la cohésion.
Parmi les marques le plus souvent citées par les linguistes, les pronoms occupent une place
importante. E. Vasiliu accorde une attention particulière au pronom personnel de la
troisième personne, considéré par les sémantiques très formalisées comme une variable du
langage naturel. La première observation faite par E. Vasiliu est que, théoriquement, on ne
peut pas parler du référent d’une variable comme d’un objet unique, puisque par sa nature
même une variable renvoie à n’importe quel objet de son univers de référence. Si l’on
considère le pronom en tant que variable, alors il ne faut pas parler de la coréférence entre le
pronom et son antécédent, justement parce que le pronom n’a pas de référence. Cependant,
les phrases où apparaissent les pronoms sont comprises presque toujours sans difficulté.
L’explication réside dans le fait que, toutes les fois qu’un locuteur utilise le pronom de la
troisième personne, il attribue à celui-ci une valeur bien déterminée, il identifie donc le
pronom à un certain nom ou à une certaine description d’un objet individuel. Dans la
structure profonde de toute proposition matricielle [= prédicat + variable] il y a, d’après E.
Vasiliu, une formule d’identification de la valeur de la variable, construite comme une
apposition du type “c’est-à-dire A”, où A représente n’importe laquelle/lequel des
descriptions ou des noms propres grâce auxquels on peut identifier un objet du domaine de
référence. Au cas où l’interlocuteur ne découvre pas cette apposition identificatoire, il
76 Pour nous, la connexion entre cette affirmation et le sens des idées exprimées dans les articles de M.J.
Reichler-Béguelin est visible à l’oeil nu.
56
demande des éclaircissements interprétatifs au locuteur.
En ce qui concerne le rôle du pronom de la troisième personne dans la concaténation
sémantique des phrases, donc dans l’accomplissement de la cohésion, ce rôle est illusoire:
cette idée est illustrée par E. Vasiliu par quelques séquences de phrases:
<M-am întâlnit cu Ion.>Si <El1 mergea pe stradă.>Sj.
[< J’ai rencontré Jean.>Si < Il1 marchait dans la rue.>Sj]
< Lui Ion nu-i plac merele.>Si <El2 mănâncă un măr.>Sj
[< Jean n’aime pas les pommes.>Si <Il2 mange une pomme.>Sj]
<Este ora patru.> <Ion doarme.>Si <El3 cântă acum la pian.>Sj
[<Il est quatre heures.> <Jean dort.>Si <Maintenant, il3 joue du piano.>Sj]
Si El1 peut facilement être interprété par l’apposition identificatoire “adică Ion”
(“c’est-à-dire Ion”), El2, El3 seront plutôt identifiés par “adică A2/A3” (“c’est-à-dire
A2/A3”), où A2/A3 ne renvoient pas à Ion.
E. Vasiliu conclut que l’attribution d’une valeur anaphorique à un pronom est réglée
par la manière dont l’anaphore se réalise ou pas conformément aux attentes des locuteurs
concernant l’information sémantique fournie par une proposition Sj formulée après une
proposition Si. Le pronom n’a pas nécessairement le même référent que l’expression
référentielle qui le précède ou qui le suit. En fait, l’interprétation du pronom comme
coréférent ou comme divergent par rapport à cette expression dépend de l’expectation de
l’interlocuteur: parfois la non-identité de référence entre le pronom et l’expression
antérieure donne une impression plus forte de cohérence que l’identité.
La perspective de recherche que nous avons choisie nous impose de rappeler, à la fin
de cette synthèse des travaux roumains sur les pronoms et l’anaphore, l’étude contrastive de
l’anaphore proposée par T. Cristea (1998). À partir de la constatation que les anaphoriques
et les cataphoriques sont les instruments les plus importants de la “cohérence linéaire” du
texte, T. Cristea analyse les diverses façons de les traduire et affirme que “le passage d’une
langue à l’autre est une zone où le jeu anaphorique est très souple, le traducteur disposant
de multiples possibilités de réaliser l’isotopie des deux textes en présence; la seule
contrainte dans ce cas est la reproduction de la relation anaphorique du texte de départ”
(1998:72). Il y a au moins deux facteurs qui influencent la traduction des anaphoriques et
des cataphoriques: les contraintes syntactico-sémantiques agissant à l’intérieur de chacune
des deux langues (par exemple la sous-catégorisation des éléments verbaux en contexte) et
la nécessité de rendre explicite le texte d’arrivée tout en gardant, aussi exactement que
57
possible, les relations entre les phrases qui constituent les séquences textuelles. Traduire les
anaphoriques/les cataphoriques ne se réduit pas à opérer une sélection dans un inventaire
d’équivalences absolues et constantes entre les termes de la langue source et les termes de la
langue cible, cela suppose tout un processus d’interprétation des mécanismes référentiels.
L’analyse de l’anaphore vide et de l’anaphore verbale mène T. Cristea à certaines
conclusions générales sur les deux langues, le français et le roumain:
– le français se caractérise par une syntaxe interphrastique beaucoup plus
cohésive que le roumain; en roumain, les processus inférentiels basés sur les
traits des verbes sont plus fréquents qu’en français;
– le roumain est une langue à dominante déictique, il actualise les événements
en les rapprochant du moment de la parole, ce qui a des conséquences
directes sur la traduction des temps verbaux et des adverbes temporels.
I.3. Pour faire le point
Les recherches dans les sciences du langage faites pendant les dernières décennies ont
démontré de façon incontestable que les pronoms ne se laissent pas définir au seul niveau
morpho-syntaxique comme simples remplaçants d’un nom, d’un groupe nominal ou d’une
phrase. Une description et une explication satisfaisantes des divers emplois des pronoms
exigent la prise en considération de la façon dont ces éléments linguistiques désignent des
entités extra-linguistiques, c’est-à-dire la prise en considération du mode de donation des
référents. Bien que les antécédents des pronoms aient un rôle important à jouer à cet égard,
l’absence d’antécédent dans certains textes ou la présence de plusieurs antécédents
susceptibles de fournir un référent dans d’autres prouvent que l’interprétation référentielle
d’un pronom n’est pas synonyme avec l’identification de l’antécédent. Cependant, les
analyses soutenues et variées des rapports éventuels entre les pronoms et leurs antécédents
(ou leurs subséquents) ont le mérite de faire ressortir la nécessité de comprendre tout
d’abord comment fonctionnent les mécanismes anaphoriques, cataphoriques et déictiques
pour voir ensuite si, ou jusqu’à quel point les traits des pronoms dévoilés par l’étude des
phénomènes discursifs et de leurs relations avec l’extra-linguistique doivent être intégrés
dans la description du système même de la langue.
Des théories avancées jusqu’à présent, la théorie pragma-sémantique fondée sur la
58
conception du sens comme un concept hétérogène, englobant un sens descriptif et un sens
instructionnel, nous semble la plus appropriée à l’éclaircissement du fonctionnement des
pronoms. Le sens descriptif (ou référentiel ou conceptuel) d’une expression linguistique
décrit les traits nécessaires et suffisants qu’un référent doit posséder pour pouvoir être
désigné par l’expression respective. Le sens instructionnel (ou procédural) indique à
l’allocutaire quelle est la procédure qu’il est censé suivre pour trouver la bonne
interprétation de l’expression, pour accéder donc au référent. Si dans le cas des noms c’est
le sens descriptif qui prévaut (mais on ne doit pas oublier que le sens instructionnel des
déterminants a un mot à dire), pour les pronoms le sens procédural est celui qui assure dans
la plus grande mesure la sortie sur le réel. Concevoir le sens de cette manière signifie
admettre que les expressions linguistiques ne renvoient pas à des abstractions construites
seulement par l’intermédiaire du discours, mais à des entités existant en dehors du langage.
Cela signifie aussi accepter que les pronoms sont des éléments référentiels au même titre
que les noms, ayant donc certains traits sémantiques descriptifs intrinsèques. Les différences
de sens entre les noms et les pronoms engendrent des différences au niveau des rôles joués
par ces expressions linguistiques dans le discours. Quant au discours, il ne peut plus être
envisagé comme clos sur lui-même, il est censé refléter le monde extra-linguistique, avec la
complexité de ses référents et de leurs relations. Reste à savoir comment appréhender le
rapport entre ces référents et les expressions linguistiques qui les désignent.
Ne fût-ce que le cas des anaphores inférentielles et la nécessité d’adopter une stratégie
scientifique ouverte, qui permette le maniement de renseignements ayant des sources
hétérogènes, nous semblerait indéniable. En raison des constatations faites à la suite de
l’examen attentif de nombreux textes littéraires et de données diverses fournies par les
ouvrages théoriques, nous embrassons la théorie des représentations mentales proposée par
A. Reboul et J. Moeschler (1998), en rappelant que les représentations mentales, en tant
qu’objets cognitifs, renferment des informations linguistiques, encyclopédiques, logiques,
visuelles et spatiales. Chacune de ces informations peut être un moyen d’accès à une
certaine représentation mentale. Une représentation mentale est associée à un seul
référent et à chaque référent correspond, à un moment précis du traitement du
discours, une seule représentation mentale. Une représentation mentale se différencie de
toutes les autres représentations mentales (d’autres objets) existant au même moment par au
moins un trait spécifique. Il nous semble important de répéter que A. Reboul et J.
Moeschler conçoivent les représentations mentales comme des représentations structurées
59
qui peuvent être soumises à des opérations de modification, de fusion, de groupement,
d’extraction, ces opérations n’étant pas déclenchées seulement par des facteurs
linguistiques, mais aussi par des facteurs perceptuels et/ou encyclopédiques. Les définitions
de ces opérations, qui nous paraissent fondamentales pour l’explication des mécanismes
référentiels anaphoriques/cataphoriques, peuvent être formulées (cf. A. Reboul et J.
Moeschler, 1998:136) comme suit:
1. La création d’une nouvelle représentation mentale est liée à la perception (au sens
large) d’un nouveau référent, que ce référent soit vu, qu’il soit mentionné dans le
discours ou que son existence soit inférée. Divers types d’informations contribuent à
la construction d’une nouvelle représentation mentale:
a) des informations catégorielles, c’est-à-dire qui composent le concept
correspondant à la catégorie d’où ressortit le référent;
b) des informations de notation (les informations concernant le référent
introduites par le discours), visuelles et spatiales (dues à la perception directe
des traits d’un référent et de sa localisation par rapport à divers repères);
c) des informations lexicales, relatives à la façon dont on a désigné le référent
ou dont on pourrait le désigner.
2. La modification d’une représentation mentale est le résultat de l’addition de
nouvelles informations aux informations qui ont déjà créé une certaine représentation
mentale. (La représentation du “poulet bien vif et bien gras” – pauvre victime des
pragmaticiens – se modifie au fur et à mesure que de nouvelles informations sont
données par le texte.)
3. La fusion des représentations mentales concerne au moins deux représentations
mentales du même référent: si l’on s’aperçoit que deux représentations mentales
correspondent au même référent, on en supprime une, en synthétisant dans celle qui
reste tous les éléments contenus par chacune. (Un exemple éloquent est fourni par le
roman La Peste: à la fin du roman, la représentation mentale du narrateur fusionne
avec la représentation mentale du docteur Rieux, toutes les deux étant en fait des
représentations du même référent.)
4. La duplication des représentations mentales est une opération qui s’effectue
quand il s’agit de photocopies, de tirage multiple, etc.
5. Le groupement consiste à construire une nouvelle représentation mentale,
correspondant à un groupe d’objets, à partir d’au moins deux autres représentations
60
mentales. Cette opération peut être déclenchée par des facteurs linguistiques (la
coordination, le parallélisme syntaxique, l’énumération) ou par des facteurs
perceptuels (basés sur la distance relative ou la ressemblance visuelle entre différents
objets ou groupes d’objets).
6. Par l’extraction, on obtient d’une représentation mentale correspondant à un
référent ou un groupe de référents indifférenciés une ou plusieurs nouvelles autre(s)
représentation(s) mentale(s) correspondant à des parties de ce référent ou à des
membres nouvellement différenciés de ce groupe.
Chaque expression référentielle indique une seule représentation mentale. Une
expression référentielle qui apparaît à un certain point du discours peut créer une nouvelle
représentation mentale ou renvoyer à une représentation mentale qui existe déjà dans son
domaine de référence.
Le domaine de référence, construit pour chaque expression référentielle, indique
quelles représentations mentales sont accessibles à un moment donné: il comprend un sous-
ensemble de l’ensemble des représentations mentales existant à ce moment-là. La
construction du domaine de référence dépend décidément du type d’expression référentielle
utilisée, à savoir du modèle de sens auquel se conforme l’expression référentielle en
question. Pour un groupe nominal, la détermination du domaine de référence est influencée
par le sens descriptif du nom-centre (qui indique à quelle catégorie d’objets doivent
correspondre les représentations mentales qui entrent dans le domaine de référence) et par
les instructions référentielles liées au déterminant (démonstratif, possessif, article défini).
Dans le cas des pronoms, le sens procédural est essentiel pour la constitution du domaine de
référence et/ou pour le choix de la représentation mentale à l’intérieur de celui-ci (la
représentation mentale à laquelle le locuteur veut référer ou celle que l’on doit partitionner
pour obtenir la représentation mentale adéquate).
En adoptant la théorie de A. Reboul et J. Moeschler, nous pensons que les
anaphoriques et les cataphoriques peuvent être définis comme des expressions
linguistiques pour lesquelles la constitution du domaine de référence et le choix de la
représentation mentale à l’intérieur de celui-ci ne sont pas simultanés. Un déictique, par
contre, se caractérise par la simultanéité entre la saisie de la représentation mentale qui lui
correspond et la constitution de son domaine de référence. Dans le cas des
anaphoriques/cataphoriques, les informations linguistiques, encyclopédiques et logiques
sont les informations principales qui contribuent à la constitution des représentations
61
mentales qui forment leur domaine de référence, tandis que pour les déictiques ce sont les
informations visuelles et spatiales qui semblent essentielles. Mais il n’y a en fait qu’un
problème de proportion77
, ce qui explique la difficulté d’apprécier parfois si une expression
linguistique est anaphorique ou déictique78
, la seule possibilité de sortir d’embarras étant
alors d’utiliser le terme ana-déictique:
“– On peut regarder les vitrines. Regardez celle-ci!” (EJ:43)
“– Putem să ne uităm la vitrine. Ia uită-te la asta!” (EJ:54)
“– Après un repas comme celui-ci, il n’y a rien de tel qu’une bonne pomme ou une
grappe de raisins.” (ZC:181)
“– După o masă ca aceea la care am stătut, un fruct ori un strugure nu strică.”
(ZC:345)
L’énoncé ci-dessus extrait de Zodia Cancerului atteste le fait que les représentations
mentales du référent peuvent correspondre au même type d’expression linguistique dans les
deux langues, mais cela ne veut pas dire qu’elles sont nécessairement constituées à partir du
même type d’informations. Pour l’«énonciateur français» la représentation mentale liée au
démonstratif est fondée sur des informations spatiales et linguistiques (celui-ci est un ana-
déictique), tandis que pour «l’énonciateur roumain» ce sont les informations de notation qui
comptent (aceea est un ana-cataphorique, dans le sens large du terme).
Nous croyons que les représentations mentales auxquelles renvoient les déictiques
sont plutôt le résultat d’une opération de création, alors que les représentations mentales
correspondant aux anaphoriques sont constituées à la suite d’une modification, d’un
groupement ou d’une extraction. Les cataphoriques désignent des référents dont les
représentations mentales sont créées au moment de l’occurrence des cataphoriques à l’aide
d’informations linguistiques et de notations anticipées par le locuteur et attendues par
l’interlocuteur grâce à l’application de la stratégie de l’interprète.
77 Même pour les déictiques dits primaires – je, tu – les informations de notation peuvent parfois être aussi
importantes que les informations spatiales dans l’interprétation référentielle. Voir les nombreux exemples
du type “Je suis connecté à un nouveau réseau” donnés par R. Pînzaru (2003) et leur analyse. 78 La même idée est exprimée par M. Kesik (1989) de façon différente. M. Kesik définit la cataphore, de
même que L. Tesnière (1965:85) l’anaphore, comme “une connexion sémantique supplémentaire”, une
relation non-structurale (qui n’admet donc pas la dépendance syntaxique directe) entre une expression
indexicale et le cotexte subséquent. Les expressions indexicales, qui marquent par définition la coexistence
d’un sens dénotatif et de la valeur d’indice, peuvent être transparentes ou opaques. Une expression
transparente identifie son référent à l’instant même de son occurrence: par exemple, l’énonciation de je est
simultanée à l’identification de son référent. Une expression opaque a besoin, pour retrouver son référent,
de l’environnement spatio-temporel de son occurrence. M. Kesik conçoit la transparence et l’opacité comme
deux pôles entre lesquels on peut situer des états intermédiaires. Cela lui permet d’expliquer le
fonctionnement des syntagmes nominaux possessifs du type mon chien ou des démonstratifs ceci, cela, ça.
62
À notre avis, il y a une complémentarité entre l’anaphore et la cataphore dans ce sens
qu’elles témoignent des efforts permanents faits par le locuteur de construire son discours
en confirmant certaines données et en anticipant d’autres, en fonction d’une intention
informative globale.
M. Kesik (1989) remarque aussi une certaine complémentarité, qu’il analyse à
plusieurs niveaux. Au niveau ontologique, il saisit le fait que l’anaphore s’oriente surtout
vers les entités du premier ordre, tandis que la cataphore manifeste une préférence évidente
pour les entités du deuxième et du troisième ordre. Du point de vue informationnel, la
cataphore se caractérise par la fréquence particulière dans les énoncés thétiques79
, c’est-à-
dire dans les énoncés qui introduisent de nouveaux référents, tandis que l’anaphore apparaît
plutôt dans les énoncés thématiques, énoncés qui attribuent des propriétés à des référents
déjà introduits, c’est-à-dire connus. Le locuteur ne peut pas employer une expression
cataphorique pour introduire un référent qu’il ne connaît pas et qui doit être explicité par
son interlocuteur. Le cataphorique et son subséquent sont obligatoirement produits par la
même personne: par conséquent, M. Kesik exclut les interrogatifs des relations de cataphore
(excepté le cas où l’interrogation et la réponse sont formulées par le même locuteur). En ce
qui concerne l’aspect formel, la cataphore tend à utiliser les démonstratifs neutres, tandis
que l’anaphore préfère les pronoms personnels de la troisième personne. M. Kesik observe
que les propriétés des prédicats ont une grande importance pour le choix de l’expression
indexicale: si les opérateurs modaux vrai, probable, possible exigent des anaphoriques, “les
verbes de dire au présent-futur, les performatifs et les impersonnels existentiels du type
«arriver» sélectionnent automatiquement la cataphore” (1989:154).
Parmi les idées de M. Kesik que nous venons de résumer, il y en a une qu’il faut
examiner de plus près, parce qu’elle concerne le rapport entre le locuteur, l’interlocuteur et
les possibles interprétations des expressions référentielles comme anaphoriques,
cataphoriques ou déictiques. En d’autres mots, quel est le point de vue qu’on privilégie :
celui de l’émetteur ou celui du récepteur ? Ou une question plus simple : quel est le terme
métalinguistique («anaphorique», «cataphorique» ou «déictique» ?) par lequel il faut
désigner les mots soulignés dans les textes littéraires qui suivent :
(1) “– Et ça? dit Chloé.
Dans la vitrine, c’était un ventre, monté sur des roues caoutchoutées, bien rond et bien
rebondi.” (EJ:43)
63
“– Şi asta? întrebă Chloé.
În vitrină era o burtă, montată pe roţi cauciucate, rotundă şi durdulie bine.” (EJ:55)
(2) “Urcând scările, de Marenne găsi sus binecuvântarea înalt prea sfinţiei sale
părintelui Dosoftei. […]«Iată un lucru la care nu m-aşteptam, cugetă domnul de
Marenne, căci mie îmi plac prelaţii dârzi […]. Într-o ţară străină, mai ales, îl prefer pe
acesta.»” (ZC:335)
“De Marenne monta l’escalier d’honneur, au haut duquel Monseigneur Dosoftei lui
donna la bénédiction […]. «Je me le serais imaginé autrement, se dit Monsieur de
Marenne. Ma préférence va aux prélats résolus […]. En pays étranger, surtout, je
préfère avoir affaire à un homme comme celui-ci.»” (ZC:168)
(3) “Mais Cottard dit, au milieu de ses larmes, qu’il ne recommencerait pas, que c’était
seulement un moment d’affolement et qu’il désirait seulement qu’on lui laissât la paix.
Rieux rédigeait une ordonnance.
– C’est entendu, dit-il. Laissons cela, je reviendrai dans deux ou trois jours.” (P:25)
“Dar Cottard zise, printre lacrimi, că n-o să mai încerce, că a fost vorba numai despre o
clipă de rătăcire, şi că tot ce dorea era să fie lăsat în pace. Rieux scria o reţetă.
– Ne-am înţeles, zise el. Să lăsăm chestia asta, o să revin peste două sau trei zile.”
(P:38)
(4) “Cel mai cu grea avere dintre toţi, Ursachi bătrânul, nu se afla de faţă. «Nu mi-ar
părea rău să fie acela amestecat», gândea Duca-Vodă.” (ZC:293)
“Le plus opulent d’entre tous, Ursachi le vieux, n’était point là. «En voilà un que je ne
regretterais pas de voir mêlé à l’affaire», se dit Duca.” (ZC:116)
Dans le premier texte, ça/asta est déictique pour le personnage, et cataphorique pour le
lecteur. Le pronom celui-ci/acesta du deuxième texte est en même temps anaphorique et
déictique pour le personnage, mais anaphorique pour le lecteur. Dans le troisième texte,
l’existence d’un dialogue antérieur entre plusieurs personnages permet l’emploi d’une
expression référentielle cela/chestia asta qui est anaphorique aussi bien pour les
personnages que pour le lecteur. Le quatrième texte permet une double interprétation : le
monologue intérieur de Duca-Vodă est généré par une discussion sur Ursachi entre ceux qui
participent à la réunion dont il s’agit dans le texte, et alors acela est un anaphorique, ou
bien le monologue de Duca n’a rien à faire avec le sujet de discussion et dans ce cas-ci
acela doit être interprété comme un déictique mémoriel. Si l’on se met à la place du
narrateur ou du lecteur, on dira qu’il s’agit d’une anaphore. Les analyses pragmatiques
79 La distinction entre énoncés thétiques et énoncés thématiques est empruntée à M. Maillard.
64
privilégient généralement le point de vue du décodeur. En ce qui nous concerne, pour
apprécier si une expression référentielle est anaphorique, cataphorique ou déictique, nous
adoptons le point de vue du locuteur, donc de celui qui est déclaré comme le responsable de
l’énonciation. Afin de désigner quand même les situations illustrées par le premier et le
quatrième textes ci-dessus, où une expression référentielle est déictique à l’interieur du
discours du locuteur et anaphorique/cataphorique au niveau du récepteur du texte, nous
proposons les termes anaphore/cataphore différée. En fait, la possibilité de réaliser de
telles endophores est la conséquence du fait que les informations auxquelles un personnage
est présumé avoir accès et grâce auxquelles il construit ses représentations mentales ne sont
pas censées être identiques aux informations du lecteur.
Il est très important de remarquer que les déictiques, par le fait qu’ils instancient
toutes les fois qu’ils apparaissent un nouveau domaine de référence, séparent les divers
plans d’un texte littéraire80
, tandis que les anaphoriques/cataphoriques les unissent [“seule la
référence endophorique, qui lie interprétativement des segments discursifs distincts, est à
strictement parler cohésive” (D. Apothéloz, 1995:106)]. C’est d’ailleurs cette différence
essentielle entre les fonctions de la deixis d’une part et de l’anaphore/la cataphore de l’autre
qui justifie leur analyse en tant que mécanismes distincts.
80 L’article de M. Mancaş (1987) est un argument à l’appui de cette idée.
66
II.1. Types d’anaphores en français et en roumain
Une description comparative des relations anaphoriques exige la réalisation préalable
d’une classification des anaphores, démarche facilitée par le fait que les dénominations des
classes d’anaphores (rencontrées dans maints ouvrages81
) représentent de vraies
“constantes” dans le métalangage si fécond des spécialistes du domaine, bien qu’elles
recouvrent de multiples définitions et extensions de ces classes.
L’analyse des textes sources et des textes obtenus à la suite des traductions met en
évidence une réalité incontestable (et prévisible d’ailleurs): il n’y a pas de correspondance
biunivoque entre les anaphoriques/cataphoriques du français et ceux du roumain. Ce qui se
passe dans le processus de traduction est schématisé par T. Cristea de la façon suivante:
T T’
A R B A’ R B’
T = texte source
T’ = texte cible
R = relation anaphorique
B = anaphorique de A
B’ = anaphorique de A’
“Si B est l’anaphorique de A et B’ l’anaphorique de A’ et si A et A’ sont en rapport
d’équivalence, B et B’ le sont aussi, quelle que soit la forme de leur réalisateur.”
(T. Cristea, 1998:70)
La notion de traduction directe renvoie au cas où l’anaphorique est traduit dans la
langue cible par son équivalent de dictionnaire ou quand il s’agit d’anaphoriques vides dans
les deux langues. On parle d’une traduction indirecte au cas où l’anaphorique et son
correspondant sont de natures différentes du point de vue de la classe morpho-syntaxique à
laquelle ils appartiennent (cela implique les cas où une anaphore dans une langue ne
correspond pas à une anaphore dans l’autre82
) ou lorsque l’un des anaphoriques (dans le
81 Voir les classifications proposées par O. Soutet (1989:68-75), D. Maingueneau (1994:147-155), M.
Riegel et alii (1994:612-616). 82 Nous exemplifions cette situation par le texte suivant:
“[…] il était là pour protégér son maladei. Celui-cii parut se détendre et Rieux fit entrer le commissaire.”
(P:38)
67
texte source ou dans le texte cible) est vide.
Malgré la grande fréquence des traductions indirectes dans les oeuvres littéraires que
nous avons examinées, il est manifestement possible d’extrapoler au roumain les
classifications détaillées réalisées pour le français83
.
Nous allons inventorier les divers types d’anaphores (et de cataphores), en esquissant
d’ores et déjà les ressemblances et les dissemblances les plus visibles entre la langue
française et la langue roumaine. La taxinomie que nous proposons synthétise les taxinomies
réalisées jusqu’à présent et, de même que celles-ci, se veut un instrument de description, et
pas d’explication, de la variété des mécanismes anaphoriques. Il est donc bien naturel que la
constitution des classes d’anaphores se réalise en respectant les différents niveaux de la
description linguistique: morphologique, syntaxique, lexical, pragmatique. L’un des critères
essentiels de classification est la relation entre l’anaphorique et l’antécédent. Par antécédent
nous désignons le segment de texte qui introduit dans le discours le référent dont la
représentation mentale sera reprise84
, modifiée, partitionnée par l’anaphorique ou le segment
de texte qui donnera les informations absolument nécessaires pour que l’anaphorique crée
une représentation mentale d’un nouveau référent. La partition renvoie aux opérations de
groupement et d’extraction qui concernent les parties et le tout.
Bien que notre étude concerne de façon particulière l’anaphore pronominale, les
nombreuses situations où les pronoms anaphoriques sont traduits par des éléments
appartenant à d’autres classes grammaticales nous obligent à nous arrêter – ne serait-ce que
pour les énumérer – aux autres types d’anaphores.
II.1.1. Au niveau syntaxique
L’anaphorique peut se trouver dans la même phrase que son antécédent ou dans une
autre phrase. À partir de cette observation banale, on peut différencier deux types
d’anaphores:
II.1.1.1. L’anaphore intraphrastique circonscrit les cas où l’antécédent et
l’anaphorique appartiennent à la même phrase.
“[…] el era aici ca să-şi apere bolnavuli. Cottardi păru să se destindă şi Rieux îl chemă pe comisar.”
(P:49) 83 Cela ne signifie pas que les textes sources utilisés pour illustrer notre classification seront obligatoirement
des textes français: dans la mesure où les énoncés français et roumains mis face à face sont reconnus comme
équivalents, il nous semble dépourvu d’importance si le texte de départ est français ou roumain. 84 Dans le cas de la cataphore, le cataphorique crée une représentation mentale anticipée d’un référent qui
ne sera pleinement identifié que grâce au subséquent.
68
“Colini choisitk «Chloé»j/k, comme lek luii avait recommandé Nicolas, et lej centra sur le
plateau du pick-up.” (EJ:27)
“Colini alese «Chloé»j, după cum îii recomandase Nicolas, şi-lj aşeză pe discul pick-
upului.” (EJ:40)
L’antécédent et l’anaphorique peuvent apparaître à l’intérieur d’une coordination nominale
(Pierre et sa voisine discutaient âprement.), à l’intérieur de la même proposition (Les
premiers grévistes en attendaient d’autres.) ou dans des propositions différentes (une
principale et une subordonnée, deux principales).
Il convient de rappeler que l’anaphore intraphrastique n’est pas obligatoirement une
anaphore liée. Nous avons déjà précisé que les anaphoriques liés (les pronoms réfléchis, les
pronoms indéfinis du type les uns … les autres), strictement déterminés par la syntaxe (aussi
bien en français qu’en roumain), ne constituent pas un thème à détailler dans notre travail.
Nous ne nous intéressons particulièrement ni aux pronoms relatifs, qui sont toujours des
anaphoriques intraphrastiques. Les relatifs sont caractérisés par Ch. Peirce comme des
indices85
dégénérés, car, bien qu’ils puissent accidentellement et indirectement renvoyer à
des choses existantes, ils renvoient directement et n’ont besoin de renvoyer qu’aux images
que les mots précédents ont créées dans l’esprit (cf. Ch. Peirce, 1990:298). M. Maillard
(1974:68) remarque à son tour que la contiguïté sémantique obligatoire entre l’antécédent
et le pronom relatif rend ce dernier insignifiant du point de vue référentiel et négligeable au
niveau du récit. La relation entre le relatif et son antécédent est donc désignée comme une
anaphore au degré zéro, vu que cette relation n’exige le plus souvent aucune communauté
de marques de genre, nombre ou loquence: c’est la proximité syntaxique qui résout
l’identité référentielle entre l’anaphorique et l’antécédent. Il faut cependant noter que cette
dernière affirmation est contredite par les hésitations qu’on manifeste parfois dans
l’interprétation référentielle du relatif, hésitations rendues visibles grâce aux traductions
d’une langue à l’autre. Si la donation du référent se faisait automatiquement, la traduction
du relatif devrait être la même, quel que soit le traducteur. Or, dans l’introduction de notre
cours86
, nous avons mis en évidence la difficulté d’interpréter le pronom relatif (plus
précisément le pronom dont) en citant deux variantes de traduction pour le même texte de
85 Chez Ch. Peirce (1990:296) un indice est “un signe ou une représentation qui renvoie à son objet non
pas tant parce qu’il y a quelque similarité ou analogie avec lui, ni parce qu’il est associé avec les
caractères généraux que cet objet se trouve posséder, que parce qu’il est en connexion dynamique (y
compris spatiale) et avec l’objet individuel d’une part et avec les sens ou la mémoire de la personne pour
laquelle il sert de signe d’autre part “ [traduction empruntée à R. Eluerd (1985)].
69
M. Proust, différentes du point de vue des référents auxquels renvoie le pronom. En
roumain, surtout dans la langue parlée quotidiennement, on entend souvent des désaccords
entre l’antécédent et le pronom relatif care (au cas génitif), générés tantôt par l’ignorance
des exigences grammaticales, tantôt par l’incapacité du locuteur de maîtriser tout au long de
son discours les liens entre les diverses représentations mentales et leurs expressions
linguistiques87
.
II.1.1.2. L’anaphore transphrastique est fondée sur une relation entre un
antécédent et un anaphorique qui font partie de phrases différentes du même texte :
“Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieuxi sortit de son cabinet et buta sur un ratj
mort, au milieu du palier. Sur le moment, ili écarta la bêtej […].” (P:15)
“În dimineaţa lui 16 aprilie, doctorul Bernard Rieuxi ieşi din cabinetul său şi dădu peste
un şobolanj mort, în mijlocul palierului. Pe moment eli îlj îndepărtă […].” (P:28)
D’habitude, ces types d’anaphores sont préservés à travers la traduction. Il arrive
parfois que le traducteur, afin d’éviter une éventuelle ambiguïté, procède à des changements
syntaxiques qui entraînent une conversion de l’anaphore intraphrastique en anaphore
transphrastique ou vice versa.
“Urcând scările, de Marennei găsi sus binecuvântarea înalt prea sfinţiei sale părintelui
Dosoftei. Ii-o dădu înălţând braţul drept fără mândrie.” (ZC:335)
“De Marennei monta l’escalier d’honneur au haut duquel Monseigneur Dosoftei luii
donna la bénédiction, en levant le bras droit, d’un geste dépourvu d’orgueil.” (ZC:168)
En examinant les désaccords fréquents produits dans le français actuel, A.
Berrendonner et M.J. Reichler-Béguelin (1995) formulent l’hypothèse qu’il y a des
situations où les pronoms peuvent faire le sujet d’une métanalyse, c’est-à-dire de deux
analyses concurrentes: une analyse faite du point de vue des phénomènes d’accord et de
liage au niveau micro-syntaxique et une analyse macro-syntaxique du pronom en tant que
marqueur associatif. Par anaphore associative on comprend ici toute anaphore qui exige un
calcul inférentiel, quel qu’il soit. L’idée défendue est que la frontière entre la micro-syntaxe
et la macro-syntaxe n’est pas identique avec la frontière entre les phrases, mais avec la
frontière entre les clauses, la clause étant “définie de manière externe comme énonciation
minimale, et de manière interne par le fait qu’elle forme un tout micro-syntaxiquement
86 Voir 0.1. 87 A. Merlan (1998:234) souligne le fait que l’état psychique du locuteur (la fatigue, la nervosité) contribue
à l’effacement dans la mémoire de celui-ci de certaines informations données par son propre discours.
70
connexe et indépendant” (A. Berrendonner; M.J. Reichler-Béguelin, 1995:35). Le terme de
clause désigne donc une unité énonciative qui marque l’accomplissement d’un acte de
communication élémentaire, à la suite duquel l’état initial des informations partagées par le
locuteur et l’interlocuteur subit une transformation. Une phrase comme:
(?) Le collègue avec qui j’ai fait le spectacle, ils ont adopté deux petits Coréens.88
peut être interprétée comme renfermant deux clauses, cas auquel le pronom ils s’analyse
soit au niveau de toute la phrase (et le désaccord est évident), soit au niveau de sa clause (et
il est clair que l’encodeur se conforme à un modèle discursif associatif en mettant en relation
le pronom avec une représentation mentale correspondant aux “membres de la famille du
collègue”).
Comme toute traduction implique un processus d’interprétation, le traducteur
privilégie, consciemment ou pas, l’un ou l’autre de ces deux modèles d’analyse. Dans la
première variante de traduction transcrite ci-dessous, la traductrice respecte la norme
grammaticale, en se conformant aux exigences de la micro-syntaxe. La deuxième variante
de traduction propose une recatégorisation du référent, comme si le traducteur avait
considéré que la catégorisation initiale (“câteva persoane”) s’écartait de la catégorisation
courante, typique du référent (“câţiva oameni”, “unii”):
“Il avait bien rencontré dans la semaine quelques persones qui se trouvaient comme lui
à cette soirée et les avait interrogées; mais plusieurs étaient arrivées après la musique
ou parties avant; certaines pourtant étaient là pendant qu’on l’exécutait, et d’autres
restées à écouter n’avaient pas entendu plus que les premières.” (RTP:39)
(1) “Întâlnise în cursul săptămânii câteva persoane ce se aflau, ca şi el, la acea
petrecere şi le întrebase; dar unele sosiseră după ce bucata muzicală fusese cântată, iar
altele plecaseră înainte; totuşi câteva fuseseră de faţă, dar se duseseră într-un alt salon,
spre a lua parte la o conversaţie, în timp ce altele, care rămăseseră să asculte, nu
auziseră mai mult decât celelalte.” (RTPII:210)
(2) “Fireşte că în timpul săptămânii întâlnise câteva persoane care fuseseră ca şi el la
acea serată şi le întrebase: dar unii sosiseră după executarea programului muzical sau
plecaseră înainte, alţii erau totuşi de faţă în timpul execuţiei, dar se duseseră să discute
în alt salon, iar alţii, care o ascultaseră, nu auziseră mai mult decât cei dintâi.”
(RTPI:37)
Les observations faites jusqu’ici mettent en doute la nécessité de faire une distinction
syntaxique entre l’anaphore intraphrastique et l’anaphore transphrastique: il vaudrait peut-
71
être mieux de proposer une dichotomie «anaphore intraclausale/anaphore transclausale».
Mais il est facile à remarquer que les tentatives de segmenter un texte en clauses se heurtent
à beaucoup d’obstacles. La plupart des linguistes qui s’y risquent partent toujours des
délimitations syntaxiques. D. Apothéloz (1995), par exemple, propose de considérer comme
clauses distinctes les propositions indépendantes, les incises, les relatives appositives (mais
pas les relatives déterminatives), les propositions circonstancielles (lorsqu’elles ne sont pas
enchâssées dans une autre circonstancielle ou dans une coordonnée), les propositions
principales (mais pas les complétives, ni les corrélatives), etc. On se rend compte que les
clauses envisagées d’une telle manière sont encore plus fluctuantes à travers la traduction
que les phrases clairement circonscrites par la ponctuation. Toutefois, les clauses doivent
être prises en considération dans l’analyse détaillée de chaque marqueur référentiel. Pour
une présentation générale des problèmes posés par l’analyse comparative de l’anaphore en
français et en roumain, il nous semble efficace qu’on se résume à faire, d’une part, la
distinction entre l’anaphore libre et l’anaphore liée, et de l’autre, la distinction entre
l’anaphore intraphrastique et l’anaphore transphrastique. C’est à cette dernière que nous
accordons une attention particulière, en négligeant l’étude des anaphores intraphrastiques89
.
II.1.2. Au niveau pragmatique
À la fin du premier chapitre nous avons montré le rôle du rapport au locuteur et/ou au
récepteur dans l’interprétation d’une expression référentielle comme anaphorique,
cataphorique ou déictique.
L’identité de référence entre l’anaphorique et l’antécédent, relevant toujours de la
pragmatique, nous permet de rattacher toute anaphore à l’un des trois types suivants:
II.1.2.1. L’anaphore coréférentielle: on parle de ce type d’anaphore lorsque
l’anaphorique et l’antécédent, quelles que soient leurs expressions linguistiques, renvoient
au même référent:
“[…] abatele, trecând iarăşi în locuri singuratice cu tovarăşii săi, văzu o fântână cu
cumpănă. […] Fântâna era veche […].” (ZC:235)
“[…] l’abbé, alors qu’il passait avec ses compagnons par d’autres lieux solitaires,
aperçut un puits à chadouf. […] Le puits était plutôt vieux […].” (ZC:48)
Dans les termes de J.C. Milner, il s’agit dans le texte ci-dessus d’une identité de la référence
88 Phrase empruntée à A. Berrendonner et M. J. Reichler-Béguelin.
72
actuelle et virtuelle de l’antécédent et de l’anaphorique; nous dirons tout simplement qu’il
s’agit de la même représentation mentale du même référent. Il existe également des
situations, illustrées par l’exemple suivant, où le référent de l’antécédent et de l’anaphorique
est le même, mais ses représentations mentales sont différentes (selon J.C. Milner, la
coréférence se réalise au niveau de la référence actuelle, mais pas de la référence virtuelle):
“În revărsarea văpăii, se văzu calul sosind, un cal cuminte şi domol, cu botul plecat
spre pământ.[…] Animalul se ţinea bine şi liniştit şi-şi urma poteca, fără să aibă nevoie
de frâu.” (ZC:242)
“À la clarté des flammes, on vit arriver le cheval, un cheval bien sage et tranquille, les
naseaux à terre. […] La bête allait droit par le sentier, tranquillement, bride ballante.”
(ZC:56)
L’anaphore coréférentielle est celle qui admet le plus souvent des traductions
indirectes. On constate la grande fréquence des situations où l’anaphorique nominal
(syntagme nominal défini ou syntagme nominal démonstratif) qui entre dans une anaphore
coréférentielle est traduit par un anaphorique pronominal et inversement. L’anaphore
nominale coréférentielle qui équivaut à une anaphore pronominale peut être une anaphore
lexicale fidèle90
ou infidèle.
“Ce fut dans les derniers jours d’octobre que le sérum de Castel fut essayé.
Pratiquement, il était le dernier espoir de Rieux.” (P:192)
“În ultimele zile ale lui octombrie fu încercat serul lui Castel. Practic, acest ser era
ultima speranţă a lui Rieux.” (P:190)
“Cette première guerre sarmate fut présentée comme une simple expédition punitive. J’y
fus envoyé avec le titre de gouverneur de Pannonie et les pouvoirs de général en chef.
Elle dura onze mois et fut atroce.” (MA:79)
“Cel dintâi război sarmatic a fost prezentat ca o expediţie de pedepsire. Am fost trimis
pe front cu titlul de guvernator al Pannoniei şi cu puteri de comandant şef. Războiul a
durat unsprezece luni şi a fost crunt.” (MA:51)
Il nous semble intéressant à signaler que ce qui est préservé d’une langue à l’autre, c’est
l’identité du référent et non pas l’identité de la représentation mentale de celui-ci. Dans
l’exemple ci-dessous, le pronom anaphorique du roumain ne renvoie pas à une
représentation mentale strictement identique à la représentation mentale à laquelle renvoie le
89 Nous recourrons à des exemples d’anaphores intraphrastiques seulement si ces anaphores sont des
anaphores libres. 90 Voir II.1.3.1. et II.1.3.2.
73
syntagme nominal du français dont le pronom est l’équivalent:
“Il court, un jeune veau en travers des épaules. […] Horty sent contre sa nuque la
chaleur brûlante du corps de l’animal. L’urine du veau coule dans le dos du docker, se
mêle à sa sueur, inonde sa chemise blanche.” (FCT:11)
“Aleargă cu un viţel de-a latul spatelui. […] Horty simte în ceafă căldura arzătoare a
corpului animalului. Urina acestuia se prelinge pe spatele docherului, se amestecă în
propria-i sudoare şi îi udă cămaşa albă.” (FCT:7)
II.1.2.2. L’anaphore divergente: à ce type appartiennent les anaphores caractérisées
par la non-identité référentielle entre l’antécédent et l’anaphorique. Le cas le plus évident
est celui des anaphores associatives méronymiques91
. En ce qui nous concerne, nous
incluons dans le groupe des anaphores divergentes les relations où l’anaphorique crée une
représentation mentale d’un nouveau référent à partir des informations catégorielles
données par l’antécédent (dans les termes de J. C. Milner, l’antécédent et l’anaphorique ont
la même référence virtuelle, mais ils n’ont pas la même référence actuelle). C’est ce que D.
Apothéloz (1995), à la suite de M.E. Conte, appelle le phénomène de cosignifiance92
:
“Zoé ouvrit les yeux. Sans cesser de danser, elle tendit les mains en avant. Horty y
accrocha les siennes.” (FCT:39)
“Zoe deschise ochii. Fără să se oprească din dansat, întinse mâinile înainte. Horty i le
prinse în ale sale.” (FCT:30)
II.1.2.3. L’anaphore inclusive: nous désignons par cette dénomination toutes les
relations entre un antécédent et un anaphorique qui ne sont ni entièrement coréférentiels, ni
complètement divergents. Assez souvent, il est bien difficile de trancher entre les anaphores
divergentes et les anaphores coréférentielles. Dans les exemples qui suivent, l’antécédent
renvoie à un groupe d’objets de la même espèce93
dont l’anaphorique en extrait un (dans le
premier texte), ou l’antécédent désigne toute la catégorie d’objets de la même espèce94
dont
l’anaphorique en extrait un groupe (dans le deuxième et le troisième textes):
(1) “Griga, oficiind, deşertă urciorul în ulcele. Luă pe-a sa, puse pe-ale cinstiţilor săi
oaspeţi în mâinile lor.” (ZC:273)
91 Voir II.1.3.3. 92 O. Soutet (1989:69) l’appelle anaphore de correspondance, tandis que B. Combettes et R. Tomassone
(1988:45-46) parlent dans ce cas d’une représentation conceptuelle. 93 Dans ce cas, l’extensité (quantité d’objets du monde auxquels le nom ou le groupe nominal est appliqué)
de l’antécédent est réduite par rapport à son extension (ensemble des objets du monde auxquels le nom ou le
groupe nominal est applicable). Pour une définition plus nuancée des concepts d’extensité et d’extension,
voir M. Wilmet (1997:126). 94 L’extensité de l’antécédent coïncide avec son extension.
74
“Avec des gestes d’officiant, Griga déversa le pichet dans les cruchons. Il prend le sien,
mit les autres entre les mains de ses nobles hôtes.” (ZC:92)
(2) “Par contre, et dans la suite, la vie m’a éclairci les livres. Mais ceux-ci mentent, et
même les plus sincères.” (MA:30)
“Dimpotrivă, de atunci înainte, viaţa m-a făcut să înţeleg cărţile. Acestea mint însă,
chiar cele mai sincere.” (MA:18)
(3) “[…] un historien, même s’il est un amateur, a toujours des documents. Le
narrateur de cette histoire a donc les siens.” (P:14)
“[…] un istoric, chiar dacă e un amator, se sprijină totdeauna pe documente.
Povestitorul acestei istorii se sprijină deci şi el pe ale sale.” (P:28)
Il faut reconnaître que cette dernière anaphore peut être interprétée comme inclusive (si l’on
considère que les documents utilisés par le narrateur appartiennent au grand groupe de
documents utilisés en général par les historiens) ou comme divergente (si l’on accorde plus
d’attention au parallélisme syntaxique qu’au sens générique de documents).
La construction inverse, où l’antécédent renvoie à un groupe bien déterminé d’objets
et l’anaphorique a comme référent toute la catégorie d’objets du même type, est aussi
possible:
“Fânaţurile au fost bune pentru vite şi oi; şi fiind fânaţurile bune, au avut strânsură şi
albinele; căci aceste gâze, pe cât spune norodul, merg una cu oile.” (ZC:520)
“Les prés ont donné une belle herbe pour le gros bétail et les moutons; l’herbe ayant été
bonne, les abeilles aussi ont pu butiner d’abondance, car ces bestioles, comme dit le
peuple, vont de pair avec les moutons.” (ZC:382)
Remarquons encore une fois l’importance du temps verbal de la phrase-hôte (l’indicatif
présent par rapport au passé composé utilisé dans les phrases précédentes) pour
l’interprétation de cette anaphore comme anaphore inclusive.
Bien que ces types d’anaphores soient présérvés d’ordinaire dans le processus de
traduction, certaines contraintes syntaxiques peuvent entraîner la disparition de l’anaphore:
“Cottard, s’animant, répondit que non et qu’il désirait seulement qu’on lui laissât la
paix.
– Je vous ferai remarquer, dit le commissaire sur un ton irrité, que, pour le moment,
c’est vous qui troublez celle des autres.” (P:38)
“Cottard, înviorându-se, răspunse că nu şi că dorea numai să fie lăsat în pace.
– Vă atrag atenţia, zise comisarul pe un ton iritat, că, pentru moment, dumneavoastră
tulburaţi pacea (?) altora.” (P:49)
75
II.1.3. Au niveau lexical
Pour J. C. Milner, “le fait que tel nom ait, hors emploi, tel sens, cela ne relève pas de
l’expérience, mais de la compétence linguistique. Que donc tels noms puissent anaphoriser
tels autres, cela ne dépend que de la connaissance de la langue et non pas d’une situation
extra-linguistique” (1982:27). Sans souscrire complètement aux opinions de Milner, nous
croyons que les relations lexicales entre l’antécédent et l’anaphorique ont un rôle
fondamental à jouer dans la réalisation de la relation anaphorique. En prenant comme critère
de classification ces relations, on distingue plusieurs types d’anaphores:
II.1.3.1. L’anaphore lexicale95
fidèle96
suppose que l’anaphorique comprenne le
même lexème que l’antécédent:
“Împungând cu acul în ghergheful întins pe veşca de sită, alegea un trandafir. În gândul
ei mâhnit, acel trandafir era inima sa.” (ZC:442)
“Piquant l’aiguille dans la toile tendue sur le tambour, elle choisissait le dessin d’une
rose. En son esprit attristé, cette rose était son coeur même.” (ZC:293)
II.1.3.2. L’anaphore lexicale infidèle est fondée sur l’une des deux espèces
suivantes de relations sémantiques entre l’antécédent et l’anaphorique:
a) sur une relation de synonymie:
“Drumul cel mare spre scaunul ţării trecea şi într-acea vreme prin valea Bahluieţului şi
a Bahluiului. Nici unui rând de oameni, însă, nu-i trecuse prin minte, în curgerea anilor
mulţi, să facă din această cale veche un drum adevărat.” (ZC:275)
“La grand-route menant à la capitale du pays passait, en ces temps-là aussi, par la
vallée du Bahluieţ et celle du Bahlui. Nul n’avait jamais songé, au fil de tant d’années, à
faire de ce vieux chemin une route véritable.” (ZC:95)
b) sur une relation du genre hyponyme – hyperonyme97
:
95 A. Cornilescu et D. Urdea (1987:109) donnent comme exemples pour l’anaphore lexicale les pronoms
réfléchis et les pronoms indéfinis de la réciprocité. G. Kleiber (1994:28) mentionne qu’il s’agit d’une
anaphore lexicale dans le cas suivant: “Paul a tué trois lions, et moi j’en ai tué cinq”, donc dans l’un des
cas que nous avons préféré définir au niveau pragmatique comme anaphores divergentes (voir la note
précédente). Nous considérons comme anaphores lexicales seulement les situations où les anaphoriques sont
des noms ou des groupes nominaux, ce qui nous permet de parler de relations lexicales a priori entre
l’antécédent et l’anaphorique. Nous n’envisageons pas les pronoms comme des hyperonymes pour toute la
classe des noms. 96 M. Wilmet l’appelle tantôt anaphore duplicative (1986:164), tantôt anaphore répétitive (1997:239). 97 Cette relation est appelée anaphore métonymique par M. Wilmet (1997:239), tandis qu’elle est désignée
par J.C. Milner (1982:26) comme étant une anaphore inclusive et décrite de la manière suivante : “Une
unité nominale est inclusive par rapport à une autre si la référence virtuelle de la première est toujours
76
“Assar, mon guide caucasien, fendait la glace au crépuscule pour abreuver nos chevaux.
Ces bêtes étaient d’ailleurs un de nos points de contact les plus utiles avec les barbares
[…].” (MA:58)
“Assar, ghidul meu caucazian, spărgea în amurg gheaţa ca să adape caii. Dealtfel
aceste animale constituiau unul dintre cele mai utile mijloace de contact ale noastre cu
barbarii […].” (MA:37)
Il faut mentionner ici les situations où les anaphoriques sont des noms généraux comme
chose, truc, machin, créature, affaire, etc., qui constituent des classes grammaticales
presque fermées, se situant donc à la limite entre la grammaire et le lexique. À la suite de
Halliday et Hasan, D. Apothéloz (1995:141) constate que les noms généraux, étant pour la
plupart socio-culturellement marqués, peuvent introduire l’attitude du locuteur par rapport
au référent désigné. Dans le texte suivant, le nom général chose utilisé dans un syntagme
anaphorique indique l’insertion du point de vue du personnage, qui ne saurait comment
dénommer autrement le référent:
“Jupâneasa gazdă se strecură grăbită pe uşă aducând veste nouă: plăcintele. Dumnealui
şatrarul puse la loc de cinste alt ulcior. Şi de Marenne făcu altă profesie de credinţă în
ceea ce priveşte nemaipomenita potrivire între acea băutură veche şi acele lucruri
fierbinţi şi picante cu crusta aurie.” (ZC:257)
“La maîtresse de céans se glissa vivement par la porte, apportant d’autres nouvelles:
des galettes feuilletées. Le chatrar déposa sur la table, à la place d’honneur, un autre
pichet. Et de Marenne, faisant une autre profession de foi, de vanter l’accord
extraordinaire entre ce vieux breuvage et ces bonnes choses brûlantes et piquantes, à la
croustille dorée.” (ZC:73)
D’habitude, l’antécédent est l’hyponyme et l’anaphorique est l’hyperonyme. La
situation inverse, assez rare, est conditionnée par l’existence d’un réseau isotopique98
:
“En passant par Dranoutre, où son père possédait une maison des champs, il persuada
l’intendant de lui laisser échanger son cheval, qui boitait déjà, contre la plus belle bête
de l’écurie du banquier. Il la revendit dès Saint-Quentin, un peu parce que cette
magnifique monture faisait croître comme par magie le chiffre des additions sur
l’ardoise des taverniers […].” (OR:561)
M.J. Reichler-Béguelin (1988:40) cite un texte où un hyponyme vient après l’hyperonyme
incluse dans celle de la seconde.” Telle que nous l’envisageons, l’anaphore lexicale infidèle peut être
inclusive ou coréférentielle, dans les sens que nous avons donnés à ces types dans le sous-chapitre précédent
(II.1.2.).
77
qui renvoit au même référent, en justifiant cet emploi par le désir du narrateur de faire
adopter au lecteur la perspective d’un personnage-observateur; celui-ci voit tout d’abord un
oiseau quelconque, qu’il identifie ensuite comme étant un aigle:
“Tout à coup, elle entendit un croassement aigu, suivi d’un cri perçant. Elle vit alors un
énorme oiseau qui tournoyait au-dessus d’elle et qui croassa à nouveau en passant sur
sa tête.
– Pierre, appela-t-elle, regarde l’énorme oiseau de proie!
Pierre se leva et ils suivirent attentivement les évolutions de l’aigle qui finalement
disparut derrière les rochers gris.” (Johanna Spyri, Heidi, Flammarion)
Sur le modèle de l’anaphore lexicale infidèle, on construit des anaphores
métaphoriques, pour lesquelles la synonymie n’existe pas a priori dans le lexique, elle est
plutôt une “synonymie cognitive”, basée sur l’analogie, entre deux représentations mentales
successives du même référent:
“Plotinopolis, Andrinople, Antinoé, Hadrianothères… J’ai multiplié le plus possible ces
ruches de l’abeille humaine.” (MA:143)
“Plotinopolis, Hadrianopolis, Antinoe, Hadrianoterai … Am înmulţit pe cât posibil
aceşti stupi ai albinei umane.” (MA:100)
“[…] abatele privi curios la sarmale. […] urmă pilda boierului ş-a căpitanului Ilie,
aducând cu lingura la buzele-i cărnoase unul din bulzişorii aurii.” (ZC:253)
“[…] l’abbé examina les sarmale d’un regard curieux. […] aussi se mit-il en devoir
d’imiter le boyard et le capitaine Ilie, et de porter à ses lèvres l’une des boulettes
dorées.” (ZC:68)
II.1.3.3. L’anaphore associative met en relation deux référents non-coréférentiels
liés par une relation particulière. Deux thèses opposées ont été formulées sur l’anaphore
associative: la thèse lexico-stéréotypique (G. Kleiber, 1995a,b), fondée sur l’idée que
l’anaphore associative est possible grâce à l’existence de traits sémantiques prototypiques
inscrits dans les unités lexicales mêmes, et la thèse discursivo-cognitive (M. Charolles), qui
prône la prééminence du contexte dans la construction et l’interprétation de l’anaphore
associative. Les recherches en psycholingusitique99
trahissent plutôt la complémentarité de
ces deux thèses. Dans la littérature de spécialité100
on parle de plusieurs types d’anaphores
98 La notion d’isotopie est prise ici dans le sens très général d’itération au long d’un texte des mêmes
classèmes dans des sémèmes différents. 99 Les recherches les plus importantes et leurs conclusions sont présentées dans les articles de M. Bianco;
C. Schnedecker (1995) et D. Dubois; F. Lavigne-Tomps (1995). 100 En guise d’exemple, voir L. Tasmowski-De Ryck (1998:173).
78
associatives:
a) L’anaphore méronymique101
relève du rapport parties–tout; elle implique la
création d’une représentation mentale d’un nouveau référent (la partie) par extraction d’une
représentation mentale préalable d’un autre référent (le tout). La relation entre la partie et le
tout est une relation lexicalisée:
“Colin défit les lacets de ses chaussures et s’aperçut que les semelles étaient parties.”
(EJ:19)
“Colin îşi desfăcu şireturile de la pantofi şi văzu că pingelele se duseseră.” (EJ:32)
“Au restaurant de l’hôtel il y a toute une famille bien intéressante. Le père est un grand
homme maigre, habillé de noir, avec un col dur.” (P:32)
“La restaurantul hotelului vine o întreagă familie, foarte interesantă. Tatăl este un om
înalt şi slab, îmbrăcat în negru, cu guler tare.” (P:44)
M.E. Winston, R. Chaffin et D. Herman102
distinguent plusieurs variétés de relations
parties–tout, parmi lesquelles: pièce/système (roue/bicyclette), élément/collection
(arbre/forêt), matériau/objet (bois/table), lieu/zone (oasis/désert). D’autres chercheurs
classifient les rapports tout–parties d’après leur degré de prédictibilité, les parties étant
associées au tout par nécessité (chaussures/semelles), par probabilité (famille/père) ou par
induction (chambre/lustre, suspension) (cf. M. Bianco; C. Schnedecker, 1995).
b) L’anaphore associative locative porte sur les cas où la partie trouve sa fonction
dans le lieu ouvert par le tout:
Nous arrivâmes dans un village. L’église était située sur une butte.103
c) L’anaphore associative fonctionnelle désigne les situations où la partie est jugée
indispensable au bon fonctionnement du tout:
“[…] de Marenne se opri la porţi. Apoi împreună cu soţiile sale intră în gospodăria
şătrarului într-o larmă întărâtată de câini. […] gospodina îşi aştepta domnul şi oaspeţii
[…].” (ZC:249)
“De Marenne s’arrêta à la porte […]. Puis il entra avec ses compagnons dans la cour
du chatrar où ils furent accueillis par le choeur aboyant des chiens. […] la maîtresse
attendait son époux et ses hôtes […].” (ZC:64)
d) L’anaphore associative actancielle est basée sur une relation entre le noyau
101 L. Tasmowski-De Ryck (1998) distingue l’anaphore méronymique (pour laquelle le savoir conventionnel
associé aux lexèmes impliqués est essentiel) de l’anaphore méronomique (pour laquelle la relation entre la
partie et le tout est de nature conceptuelle). 102 Apud H. Irandoust (1998:71). 103 Exemple classique d’anaphore associative.
79
prédicatif et ses arguments, étant définie comme “la reprise à l’identique d’un argument
ellipsé présent dans la phrase antécédente” (D. Le Pesant, 1998:118):
“Deux heures plus tard, je fus attaqué au gué d’une rivière; nos assaillants blessèrent
mon ordonnance et tuèrent nos chevaux.” (MA:60) (l’argument est l’agent)
“Două ceasuri mai târziu am fost atacat în vadul unui râu; agresorii mi-au omorât
ordonanţa şi ne-au ucis caii.” (MA:38)
“Au deuxième et dernier étage, sur la porte de gauche, Rieux lut, tracé à la craie rouge:
«Entrez, je suis pendu». Ils entrèrent. La corde pendait de la suspension au-dessus d’une
chaise renversée […].” (P:24) (l’argument est l’instrument)
“La al doilea şi ultimul etaj, pe uşa din stânga, Rieux citi, scris cu cretă roşie: «Intraţi,
m-am spânzurat». Intrară. Frânghia spânzura de plafonieră deasupra unui scaun
răsturnat […].” (P:37)
Dans les exemples canoniques qui illustrent l’anaphore associative, l’anaphorique est
toujours un groupe nominal construit avec un article défini. M.J. Reichler-Béguelin (1989)
observe que l’expression de la polyphonie peut avoir une certaine influence sur le type
d’anaphorique utilisé, en rendant parfaitement acceptable un énoncé comprenant un
démonstratif, comme le suivant:
“Sa lampe brûlait mal, ce sacré lampiste n’avait pas dû la nettoyer.”
(E. Zola, Germinal)
L’acte référentiel est clairement mis à la charge du personnage.
C’est toujours M.J. Reichler-Béguelin qui constate que les sujets parlants ont souvent
la tendance à construire des anaphores associatives spontanées avec des groupes nominaux
démonstratifs et même avec des pronoms :
“Il est vrai que lorsque nous lisons, nous ne pensons pas que cette histoire est en train
de vivre, de prendre forme grâce à nous.” (Copie de bac)
“Dans la tête des enfants il se passe beaucoup de choses, par exemple : on leur lit et ils
s’imaginent le voir.”
“Il faut emprisonner plus de gens encore et les y laisser.”
(dans M.J. Reichler-Béguelin, 1989:312,320)
Cette constatation est sans doute l’un des motifs qui conduisent M.J. Reichler-Béguelin et
A. Berrendonner à grouper sous le terme d’«associatives» “toutes les expressions
référentielles dont l’interprétation met en jeu des opérations de raisonnement” (1995 :26),
y compris donc les anaphoriques pronominaux qui imposent un calcul inférentiel, quel qu’il
soit. Les traductions tendent à supprimer les pronoms anaphoriques dont l’interprétation
80
exige trop d’efforts :
“Peut-être aussi, à force de dire qu’elle serait malade, y avait-il des moments où elle ne
se rappelait plus que c’était un mensonge et prenait une âme de malade. Or, ceux-ci […]
aiment se laisser aller à croire qu’ils pourront faire impunément tout ce qui leur plaît
[…].” (RTP:34)
“Poate că tot susţinând că s-ar îmbolnăvi, nu-şi mai aducea aminte în unele momente că
boala ei e o minciună şi lua chiar un suflet de bolnav. Or, bolnavilor […] le place să
creadă că vor face nepedepsiţi orice le place.” (RTPI:32)
Pour traduire le même texte, I. Mavrodin préfère garder le pronom, un tantinet bizarre
dans le contexte respectif (on passe d’un complément du nom qui exprime la qualité et qui
pourrait être paraphrasé par un attribut à un pronom pleinement référentiel). Nous croyons
que la raison de cette option consiste dans la volonté de rendre le mieux possible la
spécificité du style de M. Proust :
“Poate şi că, tot spunând că se va îmbolnăvi, ajunsese uneori să nu-şi mai amintească
de faptul că minte, şi căpăta un suflet de bolnav. Or, aceştia […] preferă nu o dată să
creadă că vor putea face tot ce le place.” (RTPII:206)
II.1.3.4. L’anaphore paraphrastique suppose que l’anaphorique soit une paraphrase
de la phrase (du syntagme) qui contient l’antécédent, la paraphrase étant définie comme “un
acte de traduction intralinguale” (T. Cristea, 2001:227):
“Ceilalţi doi erau oameni năimiţi, nişte străini […] care se nimeriseră să cunoască
puţin limba moldovenilor şi care vorbeau destul de bine tătărăşte şi turceşte. […] De ce
neam erau aceşti cunoscători de limbi barbare nu se putea şti […].” (ZC:215)
“Les deux autres étaient des valets à gages, des étrangers […] lesquels par hasard
savaient un peu la langue des Moldaves et parlaient assez couramment le tartare et le
turc.[…] La nationalité de ces gens versés dans les langues barbares restait encore
obscure […].” (ZC:25)
II.1.3.5. L’anaphore autonymique (ou métalinguistique) : c’est le seul cas où l’on
peut parler d’une certaine coïncidence entre le référent et l’antécédent. Le référent est un
segment linguistique – un mot, une phrase, un paragraphe – pris en tant que tel :
“«Cine ştie !» Aceste două vorbe tresăriră în el cu nădejde şi cu mâhnire.” (ZC:319)
“«Qui sait !» Ces deux mots tressaillirent en lui, suscitant en son âme l’espérance de la
douleur.” (ZC:149)
“– Te-i fi gândind cum de ne-am întâlnit noi dintr-o dată într-un târg aşa de mare ca
Ţarigradul […].
81
– […] nu mi-a venit în minte asemenea întrebare.” (ZC:489)
“– Peut-être [vous pensez] bien au hasard qui nous a fait nous rencontrer tout d’un
coup, dans une ville aussi grande que Constantinople.[…]
– […] mais ce n’est pas cette question qui m’est venue à l’esprit.” (ZC:345)
Les chercheurs ont constaté que les expressions métalinguistiques (grâce auxquelles la
langue se décrit elle-même) peuvent présenter des emplois transitifs (Il emploie des mots
savants que sa mère ne comprend pas.) ou des emplois réflexifs («Mot» a trois lettres.). La
réflexivité se manifeste par la désignation du seul signifiant (comme dans l’exemple
précédent), par la désignation du signifié (Comment dit-on «mot» en roumain ?) ou des
deux («Mot» est un terme métalinguistique français.).
Les anaphoriques et les cataphoriques autonymiques sélectionnent l’emploi réflexif.
M. Maillard104
signale cette différence entre les diverses anaphores et cataphores en
proposant leur classification en :
– cognitives (où l’anaphorique/le cataphorique vise le référent de l’antécédent/du
subséquent);
– sémantiques (où l’anaphorique/le cataphorique vise le signifié de l’antécédent/du
subséquent);
– sémiotiques (où l’anaphorique/le cataphorique vise le signifiant de l’antécédent/du
subséquent) ; parmi les endophores sémiotiques, l’auteur distingue les
métalinguistiques (qui se rapportent à un seul signifiant) et les métadiscursives
(qui se rapportent à des séquences de texte).
Nous ne voyons pas la nécessité d’admettre la distinction faite par M. Maillard entre
les endophores métalinguistiques et les endophores métadiscursives, parce que le
mécanisme référentiel reste le même quelle que soit la longueur du segment linguistique qui
constitue l’antécédent/le subséquent. Par conséquent, nous ne sommes d’accord qu’avec la
répartition des endophores autonymiques en sémiotiques et sémantiques. Cependant, il est
nécessaire de préciser que l’anaphorique/le cataphorique vise le plus souvent le signifié et le
signifiant à la fois, et c’est pour cela que nous employons tout simplement les termes
anaphore/cataphore autonymique (ou métalinguistique). Si nous voulions quand même
utiliser la dénomination d’anaphore métadiscursive, cette dénomination nous semblerait
appropriée plutôt pour les cas où l’anaphorique désigne un acte de langage, en trahissant la
permanente réflexion du locuteur sur la langue :
82
“– Ţin’te vârtos, îi zise pădurarul, în limba lui moldovenească.
Abatele de Marenne înţelese şi acest îndemn, nu crezu însă de cuviinţă să răspundă
franţuzeşte.” (ZC:230)
“– Tiens bon, lui dit le forestier, en son parler moldave.
L’abbé de Marenne comprit également cette invite, mais ne jugea pas nécessaire de
répondre en français.” (ZC:42)
En analysant les cataphores, M. Kesik, quant à lui, propose de distinguer les
endophores métalinguistiques segmentales (Et j’ai su ce que voulait dire ce mot qu’on lit
dans les livres : bonheur.) des endophores métalinguistiques résomptives (Soit la phrase
suivante : Les Alsaciens sont accueillants.). À notre avis, cette distinction est acceptable
dans la mesure où l’on donne au terme « résomptif » un sens très restreint, technique105
. Le
fait que l’anaphorique/le cataphorique métalinguistique sélectionne son
antécédent/subséquent comme un tout construit de façon discrète, unité après unité, exclut
toute idée de résumé. Mais il faut reconnaître que la relation endophorique est parfois
ambiguë, pouvant être interprétée comme endophore autonymique ou comme endophore
cognitive :
“– L’attente, dit Chick, est un prélude sur le mode mineur.
– Qu’est-ce qui te fait dire ça ? dit Colin.” (EJ :40)
“– Aşteptarea, spuse Chick, e un preludiu în modul minor.
– Ce te face să spui asta ? zise Colin.” (EJ :51)
On observe facilement que le prédicat a un rôle important dans l’interprétation de
l’anaphore/la cataphore comme cognitive ou métalinguistique, les verbes de dire participant
plus facilement à la construction de la relation autonymique que d’autres verbes.
Il faut préciser que M. Kesik fait encore une distinction, celle entre la cataphore
métalinguistique et le démonstratif symbolique en considérant, par exemple, que
l’expression “ce texte” est une expression démonstrative symbolique quand elle ne renvoie
pas au texte qui suit, mais au texte même à l’intérieur duquel se trouve l’occurrence de cette
expression. Dans ce cas, on ne peut pas parler d’anaphore ou de cataphore parce qu’il n’y a
aucun décalage entre l’occurrence de l’expression référentielle “ce texte” et l’entité
linguistique-référent. En fait l’entité linguistique-référent englobe l’expression référentielle.
En plus, le locuteur réfère nécessairement à son propre discours actuel, ce qui n’est pas le
cas des cataphoriques/anaphoriques métalinguistiques (cf. M. Kesik, 1989:64). Nous
104 Apud M. Kesik (1989:43).
83
préférons encadrer cette situation dans la deixis textuelle, qui ne suppose aucune idée de
répétition. Parmi les déictiques textuels on peut énumérer des expressions comme plus
haut/mai sus, ci-après/mai jos, ici/aici [Aici par exemple dans le titre d’un chapitre: Ch. III:
Aici se vede că trecerea Siretului se face într-un chip cu totul deosebit […] (ZC:226)]. Les
déictiques textuels – des syntagmes nominaux, des pronoms, des adverbes – renvoient donc
aux lieux du texte où ils sont utilisés:
“Par exemple, il me semble à peine essentiel, au moment où j’écris ceci, d’avoir été
empereur.” (MA:31)
“De pildă, în momentul în care scriu aceste rânduri abia mi se mai pare esenţial că am
fost împărat.” (MA:21)
Il arrive qu’une expression référentielle puisse être interprétée en même temps comme
un anaphorique et comme un déictique textuel, vu que la représentation mentale du référent
auquel elle renvoie est formée aussi bien grâce à l’antécédent que grâce aux informations
liées à la place occupée par l’expression respective dans le texte:
“Je t’offre ici comme correctif un récit dépourvu d’idées préconçues. […] J’ignore à
quelles conclusions ce récit m’entraînera.” (MA:29)
“Drept corectiv îţi ofer aici o relatare lipsită de idei preconcepute. […] Nu ştiu către ce
concluzii mă va duce povestirea.” (MA:17)
M.J. Reichler-Béguelin fournit un exemple intéressant, où le pronom en, anaphorique
par excellence, est employé comme déictique textuel:
“<Liste de 35 adresses> Vous pouvez constater que les adresses comportent des points
d’interrogation: si vous connaissez l’endroit où les personnes indiquées se trouvent, vous
pouvez nous l’indiquer ou leur en faire part directement.” (Circulaire de colloque,
Grenoble, décembre 1987, dans M.J. Reichler-Béguelin, 1989:319)
Afin d’éviter toute confusion, nous rappelons que J. Lyons (1980:290) exemplifie la
deixis textuelle à l’aide des textes ci-dessous:
– Ça, c’est un rhinocéros.
– Un quoi? Tu peux me l’épeler?
– Je ne l’ai jamais vu.
– Ce n’est pas vrai. (C’est toute la proposition qui n’est pas vraie.)
Or, nous considérons que les mots soulignés sont toujours des anaphoriques
autonymiques, vu le décalage entre leurs occurrences et les occurrences de leurs
antécédents. Ce qu’il faut remarquer, c’est que la situation où l’anaphorique et l’antécédent
105 Voir II.1.4.1.
84
sont utilisés par des énonciateurs différents représente la situation la plus fréquente où les
pronoms jouent le rôle d’anaphoriques autonymiques.
Puisque nous venons de faire la distinction entre les anaphoriques métalinguistiques et
les déictiques textuels, c’est le moment de préciser qu’il existe également dans la langue des
mentionnels. Le sens de ce concept est expliqué par F. Corblin (1998:35) de la façon
suivante : “Il est des cas où une expression Ej prend pour référent un objet du monde O,
qu’elle repère uniquement grâce aux propriétés de l’entité discursive Ei qui a mentionné O
dans le discours antérieur. Considérons l’exemple suivant :
Pierre veut lutter avec Jean. Le premier l’emportera nécessairement sur le second.
Que désigne “le premier”? Un individu humain, non une expression linguistique.
Cependant, l’adjectif “premier” renvoie à l’espace des entités discursives du texte, et à
leur ordre relatif. Je propose d’appeler les expressions du même type que “le premier” des
mentionnels”.
À notre avis, les mentionnels sont des anaphoriques qui se caractérisent par la
coréférence à un référent déjà introduit par une mention antérieure et par le fait qu’ils
identifient leur référent grâce à la position que l’antécédent occupe dans l’espace
chronologique de la production textuelle :
“J’ai lu à peu près tout ce que nos historiens, nos poètes et même nos conteurs ont écrit,
bien que ces derniers soient réputés frivoles […].” (MA:30)
“Am citit aproape tot ceea ce au scris istoricii, poeţii şi chiar povestitorii noştri, cu toate
că cei din urmă trec drept superficiali […].” (MA:17)
Les syntagmes qui comprennent les adjectifs ledit, susdit sont toujours des mentionnels:
“Il interpellait la souris grise à moustaches noires qui certainement n’était pas à sa
place dans le verre à dents, même accoudée au bord dudit verre, et prenant un air
détaché.” (EJ: 30)
“Îl interpela pe şoricelul sur cu mustăţile negre care de bună seamă n-avea ce căuta în
paharul de dinţi, nici chiar rezemat, cu un aer nepăsător, de buza amintitului pahar.”
(EJ:42)
La traduction des mentionnels, qui ne pose apparemment pas de problèmes
particuliers, exige toutefois un peu d’attention de la part des traducteurs. Par exemple,
l’emploi de l’adjectif ledit réclame la conservation du lexème par lequel on a introduit le
référent du mentionnel dans le texte, raison qui explique pourquoi une traduction telle celle
qui suit nous semble assez maladroite:
85
“Qui recevait parfois l’ordre de recruter cinq cents hommes pour les grandes
exploitations blanches, ah, les belles randonnées. […] Qui, après qu’il les eût
embarqués dans des wagons à bestiaux, à destination desdites exploitations, souvent à
plus de mille kilomètres de là, rentrait fourbu […].” (MG:42)
“Primea uneori ordinul să recruteze cinci sute de oameni pentru marile ferme albe, ah,
ce hoinăreli! […] Îi îmbarcau în vagoanele de animale cu destinaţia ziselor plantaţii,
aflate la peste o mie de kilometri de acolo; se întorcea frânt […].” (MG:27)
II.1.4. Au niveau morphologique
Plusieurs types d’anaphores se laissent définir si l’on prend en considération la classe
morpho-syntaxique à laquelle appartient l’antécédent ou la classe morpho-syntaxique
à laquelle appartient l’anaphorique:
II.1.4.1. L’anaphore résomptive est le seul type d’anaphore qui retiendra notre
attention du point de vue de la classe grammaticale à laquelle appartient l’antécédent. Selon
ce critère, on pourrait s’attendre à ce que nous fassions la différence entre l’anaphore pro-
nom, l’anaphore pro-adjectif106
, l’anaphore pro-verbe107
et l’anaphore pro-pronom,
suivant que l’antécédent est un nom ou un groupe nominal, un adjectif, un verbe ou un
pronom. Bien que nous ayons soutenu l’importance des relations entre l’antécédent et
l’anaphorique à tous les niveaux, cette classification nous semblerait beaucoup trop
redevable à l’approche substitutionaliste pour l’utiliser de plein gré. Tout en reconnaissant le
fait que la classe morpho-syntaxique de l’antécédent influence parfois le choix de
l’anaphorique, nous considérons qu’il suffit de restreindre la classification morphologique
faite d’après la classe de l’antécédent à l’opposition anaphore résomptive/anaphore
segmentale108
.
Dans le cas de l’anaphore segmentale, l’antécédent est un mot ou un syntagme.
L’anaphore résomptive (ou conceptuelle) suppose la création par l’anaphorique d’une
106 Dans ce cas, l’anaphorique est un adverbe ou un pronom (le neutre ou le pronom relatif):
“Enfilant des rues tortueuses (qui étaient ainsi, sans doute, pour des raisons stratégiques), l’abbé Paul
arriva à bon port chez son hôte.” (ZC:123)
“– Il est devenu poli.
– Ne l’était-il pas auparavant?” (P:55)
“[…] on a beau, religieuse que nous sommes, décréter que la superstition est le viatique des sans-foi sur
une terre privée de Ciel […].” (MM:199) 107 L’anaphorique est le verbe faire, le plus souvent accompagné par le:
“Verdun s’était endormie sur la ronde poitrine de Gervaise comme elle l’avait fait tant de fois contre les
côtes aiguës de Thian.” (MM:199)
86
représentation mentale d’un nouveau référent à partir de plusieurs informations données par
une partie de phrase plus large qu’un syntagme ou par toute une phrase.
“Naturellement, ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le
cinéma et les bains de mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour le
samedi soir et le dimanche […].” (P:12)
“Fireşte, le plac şi bucuriile simple, iubesc femeile, cinematograful şi băile în mare.
Dar, foarte cuminţi, ei îşi rezervă aceste plăceri pentru sâmbăta seară şi duminică
[…].” (P:25)
Les syntagmes nominaux démonstratifs, les pronoms démonstratifs, l’anaphorique tel
et les adverbes anaphoriques s’emploient fréquemment comme anaphoriques résomptifs:
“Une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on
y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre petite ville, est-ce
l’effet du climat, tout cela se fait ensemble […].” (P:11)
“Un fel comod de a face cunoştinţă cu un oraş este să cauţi să afli cum se munceşte în
el, cum se iubeşte şi cum se moare. În orăşelul nostru – să fie un efect al climatului? –
toate acestea se fac laolaltă […].” (P:25)
Par comparaison aux autres résomptifs, la nominalisation accroît la densité d’un texte
et permet d’introduire l’appréciation du locuteur sur les faits qu’il rapporte. Ce type
d’anaphore marque la progression du texte en prenant en compte les apports discursifs.
La construction d’une anaphore résomptive implique tout un processus
d’interprétation. Le fait que nous avons préféré intégrer ce type d’anaphore dans la
classification réalisée au niveau morphologique s’explique par le désir de simplifier les
nombreuses taxinomies proposées sans embrouiller les niveaux de description. En vérité, il
s’avère extrêmement difficile de dessiner une frontière nette entre la morphologie, la syntaxe
et la sémantique.
II.1.4.2. L’anaphore vide (l’anaphore zéro) est le premier type qu’il faut
mentionner du point de vue de la classe morpho-syntaxique à laquelle appartient
l’anaphorique. Plutôt rare en français, cette anaphore est fréquente en roumain. Les
chercheurs parlent d’anaphore vide lorsqu’il n’y a pratiquement pas d’expression
anaphorique, mais une place vide dans la chaîne énonciative, qu’il faut combler grâce aux
informations fournies par le cotexte. La difficulté qui surgit immédiatement est de saisir les
différences entre l’anaphore vide et ce qu’on appelle couramment ellipse. La façon dont
108 Nous avons trouvé cette opposition chez M. Maillard (1974), M. Kesik (1989). Quant à T.Cristea (1998),
87
cette difficulté est résolue partage les linguistes en deux groupes: d’une part ceux qui
pensent que l’ellipse est un aspect particulier de l’anaphore109
et de l’autre part ceux qui
prennent l’anaphore et l’ellipse pour des phénomènes distincts, en considérant que le trait
essentiel de l’ellipse est la non-répétition du matériel redondant110
. En ce qui nous concerne,
nous désignons par anaphore vide au niveau transphrastique les situations où la position
incomplète pourrait être également occupée par une expression anaphorique concrète (qui
n’aurait pas nécessairement la même fonction syntaxique que son antécédent), tandis que
l’ellipse concerne les cas où la position vide ne pourrait pas être remplie par un
anaphorique, mais seulement par un fragment de texte tel qu’il a déjà été formulé ou tel
qu’il pourrait être imaginé. Il est tout à fait possible qu’une anaphore dans une langue soit
rendue par une ellipse dans l’autre:
“[…] Seul dans ma chambre, essayant mes effets devant un miroir, je me sentais
empereur. En vérité, j’apprenais à l’être.” (MA:69) (anaphore)
“[…] singur în cameră, urmărind efectele în faţa oglinzii, mă simţeam împărat. De fapt,
învăţam să fiu.” (MA:45) (învăţam să fiu împărat111
– ellipse de l’attribut)
Nous avons observé que les traducteurs évitent de traduire les anaphoriques par des
ellipses susceptibles de générer des énoncés ambigus, en préférant la répétition des mots :
“Bien entendu, ajoutait Tarrou, il est menacé comme les autres, mais justement, il l’est
avec les autres.” (P:178)
“Bineînţeles, adăuga Tarrou, este ameninţat ca şi ceilalţi, dar tocmai asta e, că e
ameninţat împreună cu ceilalţi.” (P:178)
Les traductions indirectes impliquant un anaphorique vide apparaissent bien des fois
comme conséquence de l’absence de certains pronoms dans l’une des deux langues, par
exemple des pronoms adverbiaux en et y en roumain. Les pronoms adverbiaux, quelles que
soient leurs fonctions syntaxiques, sont souvent traduits par des anaphoriques nuls, dont la
compréhension dépend en grande mesure des traits sémantiques des verbes:
elle oppose l’anaphore segmentale à l’anaphore vide. 109 Selon F. Corblin (1995:430), “on a donc anaphore lorsqu’une structure manifeste in situ une
incomplétude déterminée pour une position: cela ne peut se concevoir naturellement que par comparaison
avec la structure complète, car c’est seulement ainsi qu’on peut spécifier une incomplétude déterminée. Le
moteur de l’anaphore serait la nécessité de se ramener, grâce au contexte, à une structure complète, à
chaque fois que celle-ci ne l’est pas […].” Il est clair que l’ellipse est considérée comme une sorte
d’anaphore. Enciclopedia limbii române (M. Sala et alii, 2001:198) affirme que l’ellipse est utilisée en
roumain, plus que dans les autres langues romanes, comme moyen anaphorique. 110 Parmi ces derniers, il faut rappeler L. Tasmowski-De Ryck (1994:462), G. Kleiber (1994:23) et T.
Cristea (1998:23) qui adhèrent tous aux opinions exprimées par A. Zribi-Hertz. 111 Astfel, aşa ou un pronom anaphorique nous semblent impropres dans ce cotexte.
88
“Il avait appris la nouvelle de son avènement avec une aisance admirable. Il s’y
attendait depuis longtemps; ses projets n’en étaient en rien changés.” (MA:61) (y – objet
indirect; en – circonstanciel de cause)
“Vestea venirii lui la putere a primit-o cu o naturaleţe demnă de admiraţie. Se aştepta
demult [Ø1]; planurile sale nu s-au schimbat cu nimic [Ø2].” (MA:39) (Ø1 = la asta; Ø2
= din cauza asta)
“– Ce sera bon? demanda Colin.
– Monsieur peut en être sûr! affirma Nicolas.” (EJ:11) (en – objet indirect)
“– O să fie bună? întrebă Colin.
– Domnul poate fi sigur [Ø]! întări Nicolas.” (EJ:25) (Ø = de asta)
“Il est malheureusement regrettable que le Cercle soit très fermé. M. Chick n’y pourrait
être admis.” (EJ:29) (y – circonstanciel de lieu)
“Este regretabil, spuse Nicolas, dar, din nefericire, cercul e foarte închis. Domnul Chick
n-ar putea fi admis [Ø].” (EJ:41) (Ø = în el)
“– Je voudrais des masses de fleurs pour Chloé, dit-il.
– Quand doit-on les lui porter? […]
– Portez-les demain matin, et puis portez-en chez moi… Qu’il y en ait plein notre
chambre […].” (EJ:50) (en – objet direct; en – complément de l’adjectif)
“– Vreau braţe întregi de flori pentru Chloé.
– Când să i le trimitem? spuse el. […]
– Duceţi-le mâine dimineaţă şi duceţi [Ø1] şi la mine. [Ø2] Să ne umple camera […].”
(EJ:61) (Ø1 = o parte, câteva; Ø2 = ele)
Le texte suivant met en relief le fait que l’anaphorique nul ne correspond pas
nécessairement à la même position syntaxique que le pronom adverbial dont il est
l’équivalent. Outre les valences verbales, différentes d’une langue à l’autre, la prédilection
du roumain pour les sujets anaphoriques nuls entraîne des changements syntaxiques dans le
processus de traduction:
“Alise ne dépense plus rien pour Partre. Elle ne s’en occupe presque plus depuis qu’elle
vit avec moi.” (EJ:46) (en – objet indirect)
“Alise nu mai cheltuieşte nimic pentru Partre. [Ø] N-o mai interesează aproape deloc de
când e cu mine.” (EJ:58) (Ø = el – sujet)
À ce point, il faut mentionner que l’une des situations les plus fréquentes où un
anaphorique vide en roumain correspond à une expression anaphorique en français est celle
où l’anaphorique remplit la fonction de sujet:
89
“– Je resterai, une fois de plus, dans la tradition de Gouffé en élaborant, cette fois, un
andouillon des îles au porto musqué.
– Et ceci s’exécute? dit Colin.” (EJ:25)
“– Mă voi menţine, o dată mai mult, în tradiţia lui Gouffé, elaborând de data asta, un
caltaboş exotic cu porto tămâios.
– Şi cum se pregăteşte [Ø]? spuse Colin.” (EJ:38) (Ø = asta)
Un anaphorique français qui favorise les traductions indirectes par des anaphoriques
vides est le résomptif le: celui-ci permet la traduction directe, par son équivalent o, mais le
plus souvent il est traduit par un autre pronom ou par un anaphorique nul. Les variantes de
traduction qui suivent soulignent la grande liberté dont les traducteurs disposent de ce point
de vue:
“– C’est un savant qui vit en dehors de l’existence pratique, il ne connaît pas par lui-
même la valeur des choses et il s’en rapporte à ce que nous lui en disons.
– Je n’avais pas osé te le dire, mais je l’avais remarqué, répondit M. Verdurin.”
(RTP:27)
(1) “– E un savant care trăieşte în afară de viaţa practică, nu cunoaşte prin el însuşi
valoarea lucrurilor şi se referă la ceea ce-i spunem noi despre ele.
– Nu îndrăzneam să ţi-o spun, dar am băgat de seamă [Ø], răspunse domnul Verdurin.”
(RTPI:25)
(2) “– Este un savant care trăieşte în afara existenţei practice; necunoscând prin el
însuşi valoarea lucrurilor, el ia drept bune cuvintele noastre.
– N-am îndrăznit să-ţi spun [Ø], dar am observat şi eu asta, îi răspunse domnul
Verdurin.” (RTPII:201)
Il faut préciser que certains traits du texte influencent le choix de l’hétéronyme
roumain du résomptif le. Les textes ci-dessous, extraits du même roman, traduits par le
même traducteur, mettent en évidence deux façons de traduire l’anaphorique le, utilisé après
le même verbe (reconnaître):
(1) “– Dites-moi, docteur, cette sacrée peste, hein! ça commence à devenir sérieux.
Le docteur le reconnut.” (P:79)
“– Spuneţi-mi, domnule doctor, cu ciuma asta a dracului, hm! începe să se îngroaşe
gluma.
Doctorul recunoscu faptul.” (P:86)
(2) “– Sans doute, dit le préfet, mais j’ai besoin que vous reconnaissiez officiellement
qu’il s’agit d’une épidemie de peste.
90
– Si nous ne le reconnaissions pas, dit Rieux, elle risque quand même de tuer la moitié de
la ville.” (P:52)
“– Fără îndoială, zise prefectul, dar am nevoie să recunoaşteţi oficial că este vorba de o
epidemie de ciumă.
– Dacă nu recunoaştem [Ø], zise Rieux, tot riscă să fie omorât jumătate din oraş.”
(P:62)
Dans le deuxième texte, le fait que le verbe reconnaître se répète dans deux phrases
successives encourage la sélection d’un anaphorique nul, beaucoup plus facile à comprendre
qu’il ne l’aurait été dans le premier texte.
Les anaphoriques nuls sont plus fréquents en roumain, mais la situation où l’on a un
anaphorique pronominal en roumain correspondant à un anaphorique nul en français est
aussi possible:
“Même à une ou deux remarques particulières que fit Swann sur sa phrase préférée:
– Tiens, c’est amusant, je n’avais jamais fait attention [Ø] […].” (RTP:41)
“Ba chiar, la unele dintre observaţiile mai speciale pe care le făcu Swann în legătură cu
fraza sa preferată:
– Într-adevăr, e amuzant, nu m-am gândit niciodată la asta […].” (RTPII:211)
II.1.4.3. L’anaphore pronominale suppose que l’anaphorique soit un pronom –
personnel (1), réfléchi (2), démonstratif ou semi-indépendant (3), relatif (4), indéfini (5),
adverbial (6), possessif (7), interrogatif (8):
“Les cyniques et les moralistes s2’accordent pour mettre les voluptés de l’amour parmi
les jouissances dites grossières, entre le plaisir de boire et celui3 de manger, tout en les1
déclarant d’ailleurs, puisqu’ils1 assurent qu’on peut s’en6 passer, moins indispensables
que ceux-là3. Du moraliste, je m’attends à tout, mais je m’étonne que le cynique s2’y6
trompe. Mettons que les uns5 et les autres5 aient peur de leurs démons, soit qu’ils1 leur1
résistent, soit qu’ils1 s2’y6 abandonnent, et s2’efforcent de ravaler leur plaisir pour
essayer de lui1 enlever sa puissance presque terrible, sous laquelle4 ils1 succombent, et
son étrange mystère, où4 ils1 se2 sentent perdus. […] Il n’est pas indispensable que le
buveur abdique sa raison, mais l’amant qui4 garde la sienne7 n’obéit pas toujours à son
dieu.” (MA:20)
“Cinicii şi moraliştii sunt de acord în a socoti voluptăţile dragostei printre plăcerile zise
grosolane, între cea3 a băutului şi satisfacţia mâncării, declarându-le1 de altfel, convinşi
că ne putem lipsi de ele1, mai puţin necesare decât ultimele. De la moralist mă aştept la
orice, mă mir însă că cinicul se1 înşală. Să admitem că şi unora5 şi altora5 le1 e frică de
91
demonii acestor voluptăţi, fie pentru că li1 se2 opun, fie pentru că li1 se2 lasă pradă; ei1
se2 străduiesc să-şi1 amputeze plăcerea şi încearcă să-i1 distrugă puterea aproape
teribilă sub imperiul căreia4 se2 prăbuşesc, precum şi strania ei1 taină în care4 se2 simt
pierduţi. Nu e neapărat necesar ca băutorul să se2 abată de la calea raţiunii, cel ce4
iubeşte însă, şi o1 urmează, nu-şi1 ascultă până la capăt zeul.” (MA:10)
II.1.4.4. L’anaphore nominale désigne la situation où l’anaphorique est exprimé par:
a) un nom accompagné par l’article défini:
“En haut de l’escalier, un corbeau à la tête prématurément blanchie par le truchement
d’une eau oxygénée extra-forte, accueillait les visiteurs en leur tendant un rat crevé qu’il
tenait délicatement par la queue. Le rat servait longtemps car les initiés déclinaient
l’offre et les autres ne venaient pas. Lil fit un gracieux sourire au corbeau […].”
(HR : 56)
“Din înaltul scării, un corb cu ţeasta prematur albită cu ajutorul apei oxigenate
ultratari întâmpina vizitatorii întinzându-le un şobolan mort pe care-l ţinea delicat de
codiţă. Şobolanul folosea vreme îndelungată, căci iniţiaţii declinau oferta şi alţii nu mai
veneau. Lil surâse graţios corbului […].” (HR :30)
Il faut remarquer qu’en roumain il y a beaucoup de situations (cela arrive dans le cas
des anaphores lexicales fidèles ou des anaphores associatives) où l’anaphorique est un
groupe nominal construit sans article. C’est parce qu’en roumain la plupart des prépositions
n’acceptent un nom accompagné par l’article défini que si le nom est déterminé (par un
adjectif qualificatif ou une proposition relative, ou un complément du nom).
“[…] (Cişmeaua Păcurarului) era un monument alcătuit dintr-o lespede de piatră
cioplită în patru muchii şi străpunsă de o ţeavă de aramă prin care se arunca, într-un
arc, izvor limpede. […] Oamenii aveau dreptul să se îndestuleze de-a dreptul din ţeavă.”
(ZC:297)
“[…] (La Fontaine du Berger) était un monument composé d’une dalle rectangulaire,
traversée par un tuyau de cuivre par lequel jaillissait, en forme d’arc, une source d’eau.
[…] Les humains, quant à eux, pouvaient boire à même le tuyau.” (ZC:122)
b) un nom accompagné par le déterminant démonstratif:
“Împungând cu acul în ghergheful întins pe veşca de sită, alegea un trandafir. În gândul
ei mâhnit, acel trandafir era inima sa.” (ZC:442)
“Piquant l’aiguille dans la toile tendue sur le tambour, elle choisissait le dessin d’une
rose. En son esprit attristé, cette rose était son coeur même.” (ZC:293)
“Ajuns aici, nu se poate să n-o vadă. Altfel ar suferi. Descoperirea aceasta în el îl făcu
92
să se mire.” (ZC:320)
“Maintenant qu’il était ici, il était impossible qu’il ne la vit pas. Sans quoi, il en
souffrirait. Cette découverte l’étonna.” (ZC:150)
c) un groupe nominal construit avec un possessif:
“Rieux lui serrait déjà la main. Il était pressé de voir le concierge avant d’écrire à sa
femme.” (P:25)
“Rieux îi strângea mâna. Era grăbit să-l vadă pe portar înainte de a-i scrie soţiei sale.”
(P:39)
En roumain, on peut avoir un pronom personnel correspondant au possessif français.
Le fait que le groupe nominal à déterminant possessif n’a pas le même référent que
l’antécédent/ le subséquent dont il a besoin pour l’interprétation détermine M. Kesik
(1989:38) à parler dans ce cas d’une annexion référentielle.
d) un groupe nominal construit avec les variables de caractérisation: ledit, pareil, tel
en français et asemenea, atare, aşa ou astfel de (à valeur adjectivale) en roumain; beaucoup
de chercheurs parlent dans ce cas d’une anaphore adjectivale:
“Prefer să vorbesc acum de anumite experienţe ale somnului pur, ale purei deşteptări,
învecinate cu moartea şi cu reînvierea. Încerc să recaptez senzaţia exactă a unor atare
fulgerătoare somnuri ale adolescenţei […].” (MA:15)
“Je préfère parler de certaines expériences de sommeil pur, de pur réveil, qui confinent
à la mort et à la résurrection. Je tâche de ressaisir la précise sensation de tels sommeils
foudroyants de l’adolescence […].” (MA:25)
“Ils devaient rouvrir et faire saigner toutes les anciennes plaies. Il méritait amplement
pareil châtiment.” (ZC:306)
“Trebuiau să-i rupă şi să-i sângereze toate rănile vechi. I se cuvenea aşa pedeapsă.”
(ZC:454)
J. M. Adam (1976) pense que “la détermination marquée par l’indéfini tel ne fournit
au substantif qu’un simulacre de référent”. Tel est dénommé par M. Riegel (1997) “la
variable de caractérisation”. Comme anaphorique, il a la capacité de recruter ses
antécédents dans des sites de dimensions variables : “Tel anaphorique peut relayer la
matière sémique d’un caractérisant, d’un syntagme substantival à contenu prédicatif ou
non, d’une proposition, d’une phrase, d’un développement discursif pouvant varier à
l’infini, depuis la phrase la plus simple jusqu’à la masse organisée d’un poème, ou même
de tout un volume (narratif surtout) ” (A. Henry, 1991:346).
Il arrive qu’une variable de caractérisation du texte source ne soit pas traduite dans le
93
texte cible ou, inversement, qu’on ait une variable de caractérisation dans le texte cible qui
équivaut à un autre déterminant dans le texte source. Le traducteur de Marguerite
Yourcenar a une préférence nette pour atare, qui s’explique, à notre avis, tantôt par le désir
de respecter le niveau soutenu de langue de l’écrivain, tantôt par le besoin ressenti d’éviter
l’abondance de démonstratifs:
“[…] je décidai de me consacrer surtout à cette dernière tâche, que négligeait tout le
monde. J’y étais poussé par mon goût du dépaysement.” (MA:57)
“[…] m-am hotărât să mă consacru în special acestei din urmă acţiuni căreia nimeni nu
îi acordă nici o atenţie. În atare direcţie mă îmboldea pofta înstrăinării.” (MA:36)
“Il avait dû connaître les systèmes de Philolaos et d’Hipparque, et celui d’Aristarque de
Samos que j’ai préféré plus tard, mais ces spéculations ne l’intéressaient plus.”
(MA:40)
“Va fi cunoscut sistemele lui Filolaos şi Hiparhos precum şi pe acela al lui Aristarh din
Samos pe care mai târziu eu însumi îl adoptasem; atare speculaţii nu-l mai interesau
însă.” (MA:23)
e) un groupe nominal lacunaire ; selon F. Corblin, un groupe nominal lacunaire doit
répondre aux critères suivants : lacune d’une tête nominale; saturation de celle-ci par accord
en genre; dislocation en de N ; la tête nominale doit pouvoir accepter une expansion. Les
structures qui respectent le plus souvent ces critères se construisent d’après le modèle :
déterminant + adjectif (numéral). Parmi les groupes nominaux lacunaires, il y a souvent des
mentionnels:
“Par la suite, Grand devait signaler à Rieux d’autres changements dans le caractère de
Cottard. Ce dernier avait toujours été d’opinions très libérales.” (P:57)
“Mai târziu, Grand avea să-i semnaleze lui Rieux şi alte schimbări în caracterul lui
Cottard. Acesta din urmă avusese întotdeauna păreri foarte liberale.” (P:66)
On voit bien qu’en roumain c’est un pronom anaphorique qui correspond au groupe
lacunaire du français.
II.1.4.5. L’anaphore verbale fait penser à deux acceptions: d’une part aux structures
verbales le faire, en faire autant/a o face, a face asta, dont l’interprétation exacte requiert
la connaissance de leurs cotextes, et d’autre part à l’opposition temps anaphoriques/temps
déictiques, longuement analysée dans maints livres et articles112
. Notre classification prend
en considération seulement la première acception mentionnée :
112 C. Vetters (1998), L. Tasmowski-De Ryck; W. De Mulder (1998), J. Bres (1998), T. Cristea (1998),
V. Dospinescu (2000).
94
“– Pourquoi sont-ils si méprisants? demanda Chloé. Ce n’est pas tellement bien de
travailler.
– On leur a dit que c’était bien, dit Colin. En général on trouve ça bien. En fait,
personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement.
– En tout cas, c’est idiot de faire un travail que des machines pourraient faire.
– Il faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera?” (EJ:69)
“– De ce sunt atât de dispreţuitori? întrebă Chloé. Nu-i chiar aşa de bine să munceşti.
– Li s-a spus că e bine, răspunse Colin. În general, lumea găseşte că e bine. De fapt,
nimeni n-o crede. O fac din obişnuinţă şi anume ca să nu se mai gândească.
– Oricum, e prosteşte să munceşti când ar putea-o face maşinile.
– Maşinile trebuie construite. Cine s-o facă?” (EJ:78)
Il advient que le verbe ne soit pas exprimé en roumain, mais qu’il soit quand même
rendu en français. Apparemment, le faire a comme équivalent un pronom:
“– Pe-acest Voievod de acum Dumnezeu îl va judeca, pentru omeneşti scăderi,
respectabile frate. Eu nu-mi permit asta […].” (ZC:301)
“– Le voïvode d’aujourd’hui sera jugé par le Très-Haut pour ses faiblesses humaines,
mon frère. Quant à moi, je ne me permets pas de le faire […].” (ZC:126)
II.1.4.6. L’anaphore adverbiale porte sur les adverbes de temps, de lieu ou de
manière qui s’interprètent grâce aux informations fournies par le cotexte:
“[…] ava Paul ajunse la gazda lui într-un galop falnic şi într-un mare nimb de pulbere.
Acolo se despărţi de tovarăşi […].” (ZC:298)
“[…] l’abbé Paul arriva à bon port chez son hôte, dans un impétueux galop et un grand
tourbillon de poussière. Arrivé là, il prit congé de son escorte.” (ZC:123)
“[…] au venit aceşti doi oameni la mine spunând că astfel le-a poruncit să facă jupân
Balaban.” (ZC:311)
“[…] il y a là deux hommes qui sont venus me trouver en disant que maître Balaban leur
avait enjoint de procéder ainsi.” (ZC:139)
Il n’est pas inouï qu’un adverbe du texte source soit rendu par un pronom dans le
texte cible et inversement:
“Puis il fit un signe de croix car le patineur venait de s’écraser contre le mur du
restaurant, à l’extrémité opposée de la piste, et restait collé là […].” (EJ:22)
“Apoi îşi făcu cruce, deoarece patinatorul tocmai se zdrobise de zidul restaurantului, la
celălalt capăt al pistei, şi rămăsese lipit de el […].” (EJ:35)
II.1.4.7. L’anaphore numérale concerne, évidemment, les situations où
95
l’anaphorique est un numéral cardinal. Lorsque le numéral n’est pas précédé par un pronom
semi-indépendant, il s’agit toujours d’une anaphore inclusive:
“Slujitorii care-l întovărăşeau pe domnul abate, călări şi ei pe mârţoage slabe, erau în
număr de patru. Doi erau valeţii lui de credinţă şi de casă, care veneau cu el de la
Paris.” (ZC:215)
“Les serviteurs qui l’escortaient, à cheval eux aussi, sur des rosses efflanquées, étaient
au nombre de quatre. Deux d’entre eux étaient des domestiques à lui, des gens de
confiance qu’il avait emmenés de Paris.” (ZC:24)
II.1.5. Anaphore définie versus anaphore démonstrative
Nous insistons sur ces types d’anaphores parce que, de même qu’au cas des pronoms,
l’étude de l’article défini et du démonstratif, en tant que parties constitutives des syntagmes
nominaux endophoriques et exophoriques, a démontré combien il est difficile d’élaborer une
théorie qui soit à même de décrire, d’expliquer et de prévoir de façon exhaustive les
occurrences de ces déterminants. Une telle théorie devrait permettre de justifier pourquoi
certains énoncés113
(ci-dessous à gauche) sont perçus comme corrects, tandis que d’autres
(ci-dessous à droite) semblent inacceptables.
Nous entrâmes dans un village. L’église était
située sur une hauteur.
Nous entrâmes dans un village. *Cette église
était située sur une hauteur.
Pierre vient de publier un roman. J’ai préféré
ce roman à celui de Jean.
Pierre vient de publier un roman. J’ai préféré
*le roman à celui de Jean.
(Au début d’un roman:)
L’inspecteur se leva d’un bond. Encore un
coup d’Arsène Lupin!
*Cet inspecteur se leva d’un bond. Encore un
coup d’Arsène Lupin!
(Pendant un match, un spectateur à un autre
spectateur:)
Fais attention, l’arbitre donne le coup d’envoi!
Cet arbitre est surévalué en France.
Tiens, pourquoi est-ce que l’arbitre a un
brassard rouge?
Tiens, pourquoi est-ce que cet arbitre a un
brassard rouge?
Fais attention, *cet arbitre donne le coup
d’envoi!
*L’arbitre est surévalué en France.
(Sur la table, dans une coupe, un fruit. Un
visiteur entre et constate:)
Cette pomme est magnifique!
Elle est magnifique, la pomme!
*La pomme est magnifique!
Afin d’éviter un éclatement méthodologique, il faut trouver des principes explicatifs
96
qui s’appliquent aussi bien aux syntagmes nominaux ayant des antécédents textuels qu’à
ceux qui n’en bénéficient pas.
Plusieurs hypothèses ont été formulées. Selon G. Kleiber (1990), une description du
type le N a pour effet de donner indirectement un référent comme étant le seul individu de
type N à l’intérieur d’une circonstance d’évaluation (pour un pronom anaphorique, la
circonstance d’évaluation est donnée entre autres par les informations comprises dans la
phrase précédente). La circonstance d’évaluation est le cadre qui justifie l’unicité du N en
question. Les descriptions démonstratives font abstraction de toute circonstance
d’évaluation, en revanche elles mettent en jeu le contexte d’énonciation (le contexte spatio-
temporel de leurs occurrences) en renvoyant directement au référent. L. Tasmowski-De
Ryck (1990:85) complète la théorie de G. Kleiber en soutenant que l’emploi de l’article
défini n’exige pas seulement l’unicité du référent dans les circonstances d’évaluation, mais
aussi la notoriété dans un cadre familier, c’est-à-dire que les circonstances d’évaluation
elles-mêmes doivent comprendre un ensemble de connaissances communes aux
interlocuteurs, leur arrière-plan culturel et historique, dont une partie plus ou moins
éloignée doit être mobilisée114
. En d’autres mots, les circonstances d’évaluation sélectées
pour faire valoir l’unicité du référent auquel renvoie le N sont celles qui sont manifestes
dans la situation de communication. L. Tasmowsky-De Ryck analyse l’anaphore fidèle et
l’anaphore associative et remarque l’importance du prédicat de la phrase contenant le
syntagme nominal défini ou démonstratif: si le prédicat est prévisible dans ce sens qu’il
prolonge les circonstances d’évaluation, c’est l’article défini qui est le plus probable:
Il était une fois un prince très malheureux: le prince aimait une belle princesse qui ne
l’aimait pas.
Par contre, le démonstratif est préféré lorsqu’il y a une solution de continuité entre la
phrase-hôte et la phrase antérieure (ex.1) ou si la phrase-hôte rompt avec le cadre (spatio-
temporel) de la phrase antérieure (ex.2) ou, encore, si le prédicat de la phrase-hôte soutient
la mise en avant thématique du référent (ex. 3):
(1) Un jeune enfant s’amusait avec un ballon (ce ballon était son jouet favori).
(2) Pendant toute la soirée, il s’est entretenu avec un directeur de banque. Ce directeur
de banque lui avait été présenté la semaine précédente et l’avait beaucoup intéressé.
113 Ces énoncés sont extraits des ouvrages de L. Tasmowski-De Ryck (1990), F. Corblin (1995), G. Kleiber
(1990), W. de Mulder (1990). 114 L’observation de L. Tasmowski-De Ryck est acceptée et prise en compte par G. Kleiber dans les articles
ultérieurs.
97
(3) À cet instant, un jeune homme fit irruption dans la pièce. Ce jeune homme ne
ressemblait en rien à un invité: hâve, hagard, il avait une mine à faire peur.115
Le syntagme nominal démonstratif est capable de reclassifier le référent auquel il
renvoie. L’examen de l’anaphore métaphorique, pour laquelle le démonstratif est le plus
approprié, détermine L. Tasmowski-De Ryck à faire l’affirmation suivante: “la fixation du
référent emploie le nom d’une manière fondamentalement sociale avec le N, tandis que ce
N laisse le locuteur choisir le terme qui lui paraît convenir, à cette condition près qu’il
doit pouvoir être ressenti par l’interlocuteur comme adéquat” (1990:88).
Il est facile à remarquer que les chercheurs se voient souvent obligés d’imaginer des
situations de communication dans lesquelles les énoncés examinés soient validés. L’un des
reproches que F. Corblin formule contre la théorie de G. Kleiber est justement que la
plupart des énoncés sur lesquels cette théorie s’appuie sont coupés du/des discours qui
aurait/ent pu les englober. D’ailleurs, les jugements d’acceptabilité pour certains de ces
énoncés varient d’un locuteur (voire d’un chercheur) à l’autre. Pour F. Corblin (1995), les
groupes nominaux définis représentent le contraste externe à la classe de noms, tandis que
les groupes nominaux démonstratifs représentent le contraste interne. En d’autres termes, le
défini identifie un objet comme le représentant d’une classe par rapport à d’autres classes
d’objets. Le démonstratif isole un objet à l’intérieur de la classe des objets du même nom.
Étant donné que chaque occurrence du démonstratif implique une nouvelle saisie de l’objet,
le groupe nominal démonstratif n’est pas typique pour construire une chaîne longue. Par
contre, le défini peut se répéter plusieurs fois dans le même texte, c’est un facteur de
cohésion globale pour un segment discursif. Une observation de F. Corblin qui nous semble
particulièrement importante est qu’il y a, c’est vrai, une répartition typique pour le
démonstratif et le défini dans le discours, qui résulte d’un accord entre le développement du
discours et la valeur de contraste de l’anaphorique, et cependant, “toute «violation» est
admissible, et suppose seulement que le locuteur ne se fonde pas sur les motivations
inférables explicitement du contexte. Le locuteur a totale liberté pour reprendre par le ou
par ce […], en ignorant le contraste promu naturellement par un contexte pour en imposer
un autre. Seule est intangible la valeur de contraste inhérente à chacune des formes”
(1995:68).
En cataloguant la théorie de G. Kleiber comme circulaire (l’un des arguments étant
que l’article défini est supposé établir les circonstances d’évaluation mêmes qui sont censées
115 Exemples donnés par L. Tasmowski-De Ryck (1990:87).
98
justifier son apparition), W. De Mulder (1990) propose une analyse cognitive de l’article
défini et du déterminant démonstratif. Dans sa conception, le sens d’une phrase doit être
compris comme une instruction à changer un contexte, plus précisément à construire un
modèle «cible» à partir d’un modèle «source» avec le minimum d’éfforts. Le locuteur doit
tenir compte des connaissances de son interlocuteur en introduisant dans le modèle
contextuel seulement ce qui est pertinent pour la compréhension. Vu que le locuteur donne
à son interlocuteur les instructions nécessaires pour que celui-ci arrive à saisir le modèle
«cible», il n’est pas nécessaire que les deux participants à la communication aient les mêmes
pensées pour qu’ils réussissent à s’entendre. Dans cette optique, les instructions
correspondant à le N et ce N seraient: “Le N renvoie à un élément en focus dans le
modèle contextuel «source»; ce N renvoie à un élément en focus dans le modèle contextuel
«cible» – mais non dans le modèle «source»” (1990:153). Le problème qui reste à
résoudre est de comprendre comment le locuteur et son interlocuteur déterminent ce qui est
en focus.
Il sied de clore cette synthèse théorique concernant les problèmes posés par l’article
défini et le déterminant démonstratif soulignant l’une des conclusions les plus importantes
de G. Kleiber: il faut faire clairement la distinction entre le sens d’une expression
référentielle et les effets au niveau cognitif qui peuvent être expliqués à partir de ce sens.
Par exemple, le démonstratif peut être défini comme “une expression qui nécessite un
appariement référentiel mettant en jeu le contexte d’énonciation immédiat de son
occurrence. C’est dire que l’interlocuteur est invité à apparier l’expression démonstrative
avec un référent identifié par des éléments spatio-temporellement reliés au token-
démonstratif” (G. Kleiber, 1990:223). Le fait que le démonstratif amène du nouveau n’est
qu’un effet de son mode de donation du référent. “De même qu’un geste pointeur, à moins
d’être inapproprié, a pour but de rendre manifeste un référent supposé ne pas encore
l’être pour l’interlocuteur, de même l’emploi d’un démonstratif, c’est-à-dire d’une
expression qui déclenche une procédure de repérage spatio-temporel, s’accompagne de
l’intention de faire découvrir du nouveau, sinon la procédure employée s’avère inutile”
(ibidem).
En ce qui concerne le syntagme nominal démonstratif, le roumain présente deux
particularités importantes par rapport au français: la première est que l’occurrence du
déterminant démonstratif après le nom n’exclut pas l’occurrence de l’article défini, au
99
contraire, la postposition du démonstratif exige la présence de l’article défini enclitique116
; la
deuxième consiste dans l’existence en roumain de deux formes de démonstratif
correspondant au français ce: acest(a) et acel(a) (pour ne pas parler des variantes familières
ăsta, ăla). Par conséquent, un groupe comme ce crayon admet, théoriquement, quatre
traductions: acest creion, creionul acesta, acel creion, creionul acela (pour ne donner que
les formes longues, perçues comme littéraires). Il faut ajouter qu’il n’y a pas de
correspondance biunivoque, comme on pourrait s’y attendre, entre ce crayon-ci et acest
creion ou entre ce crayon-là et acel creion.
L. Tasmowski-De Ryck (1990) étudie les démonstratifs dans deux livres roumains et
un livre de G. Simenon traduit par T. Cristea, prenant comme hypothèse de travail l’idée
que la position occupée par le démonstratif se répercute au niveau discursif: si le
déterminant est antéposé au nom, alors il est thématique au niveau du syntagme nominal; si
le démonstratif est postposé au nom, alors il est rhématique. Les constatations faites par L.
Tasmowski-De Ryck (qui correspondent en grandes lignes aux faits que nous avons
observés nous-même dans les textes de notre corpus) sont extrêmement pertinentes:
La postposition du démonstratif est privilégié lorsque le syntagme nominal est
accompagné par un focalisateur tel numai ou şi. Alors le référent est mis en contraste avec
les autres référents de sa classe, ce qui explique la position rhématique du démonstratif.
Même s’il n’y a pas de focalisateurs devant le syntagme nominal, un contraste fort entre
un référent et les autres référents de sa classe, redevable aux traits extraordinaires de ce
référent, entraîne l’emploi de la structure N + article défini + démonstratif.
La postposition du démonstratif est aussi favorisée par la nécessité d’exprimer l’identité
propre du référent par rapport aux autres référents de sa classe.
Il y a des contraintes grammaticales qui exigent l’antéposition du démonstratif (les
formes de génitif et de datif des syntagmes nominaux à déterminant démonstratif postposé,
surtout au cas où ces syntagmes comprennent d’autres déterminants encore, sont assez
difficiles à manier).
Le démonstratif antéposé convient mieux lorsque le référent est repris tout simplement,
sans aucune réindividualisation, raison pour laquelle il se prête bien aux appositions.
Le fait que le déterminant démonstratif antéposé impose au syntagme nominal un
116 Il y a des chercheurs (voir, par exemple, M. Wilmet, 1986:160-178) qui proposent d’analyser le
déterminant démonstratif français comme le résultat de la combinaison entre un article défini et une
caractérisation.
100
comportement anaphorique similaire au pronom le rend préférable dans les emplois
métalinguistiques.
Étant thématique et connecteur, le démonstratif antéposé apparaît lorsque le syntagme
qui le comprend, comprend aussi d’autres éléments qui confirment le renvoi au contexte
antérieur.
Vu que le nom est rhématique et attributif dans la structure démonstratif + N, alors cette
structure devrait être préférée dans le cas des anaphores métaphoriques.
L’emploi cataphorique est très fréquent avec acel, mais inexistant avec acest. La
conclusion de L. Tasmowski-De Ryck est que acest saisit un référent posé, alors que acel
peut également saisir un référent présupposé.
L’analyse des énoncés comprenant un syntagme nominal à démonstratif antéposé mène à
la conclusion que dans ces cas le démonstratif impose la saisie d’un référent déjà introduit
(posé ou présupposé); ce référent est saisi plutôt en intension qu’en extension.
Il faut que l’affirmation du point précédent soit confirmée par le comportement du
démonstratif en tant que déictique: vu que le syntagme nominal doit introduire dans ce cas
le référent auquel il renvoie, le démonstratif thématique et connecteur, donc le démonstratif
antéposé, devrait être exclu. Le corpus analysé par L. Tasmowski-De Ryck relève le fait
que acel + N est vraiment hors de propos dans la situation immédiate, tandis que acest + N
est plutôt rare (son occurrence est possible, d’après L. Tasmowski-De Ryck, seulement
grâce au geste ostensif qui est censé l’accompagner).
L. Tasmowski-De Ryck (1990:97) fait une comparaison entre le français et le roumain
et affirme que certains syntagmes nominaux démonstratifs français impliquent eux aussi une
saisie directe et une saisie indirecte, bien que de façon moins évidente qu’en roumain. La
comparaison est illustrée par le tableau suivant:
Français le N ce N ce N-là
Roumain N + article défini Démonstratif + N N + article défini + démonstratif
L. Tasmowski-De Ryck conclut que la structure N + article défini + démonstratif
respecte l’ordre naturel, menant des connaissances générales partagées à un objet concret.
La conclusion la plus importante est que la saisie directe (par le démonstratif) et la saisie
indirecte (par l’article défini) sont tout à fait compatibles: en roumain les syntagmes à
déterminant démonstratif postposé impliquent un cumul de ces deux modes de donation du
101
référent. Cela revient à dire que l’emploi de ces syntagmes dépend aussi bien des
informations conceptuelles que des informations perceptuelles qu’on a du référent. Du
moins est-ce ce que nous avons compris de l’article de L. Tasmowski-De Ryck.
Après avoir consciencieusement pris acte des acquis notables dans l’étude des
syntagmes comprenant un déterminant démonstratif ou un article défini, nous avons
examiné de manière particulière les groupes nominaux anaphoriques dans le texte Zodia
Cancerului (Le Signe du Cancer) de M. Sadoveanu, en nous intéressant surtout au jeu des
démonstratifs, tout à fait spectaculaire. M. Sadoveanu insère tant de réflexions sur la langue
dans son oeuvre qu’on n’oserait jamais l’accuser d’innocence linguistique. À notre avis,
l’écrivain utilise délibérément dans le texte mentionné les formes démonstratives acel et
acest dans le but de distinguer trois points de vue: le point de vue de chacun des
personnages sur les événements, le point de vue du narrateur comme être vivant dans le
même espace que celui où se déroulent les événements (mais pas à la même époque) et le
point de vue du narrateur-écrivain qui assume son rôle d’orienter le lecteur dans sa lecture.
Il faut préciser que le narrateur n’est pas présent de façon explicite (par l’intermédiaire de la
première personne) dans le texte. Le fait que c’est le point de vue du personnage (ci-
dessous le point de vue de Teofan) qui est privilégié est suggéré par le démonstratif acel.
Dès que le narrateur choisit de présenter le cadre spatial ou culturel des événements
racontés comme étant aussi le sien, il emploie le démonstratif acest. Il est évident que le
temps du verbe – l’indicatif présent – contribue de manière déterminante à cette
interprétation:
“Venind spre Teofan la sărutarea mâinii, sfinţitul stareţ îl cunoscu şi tresări în scaunul
său; dar îndată înţelese că nu-i bine să-l vădească în acel loc faţă cu toţi; căci toată
înfăţişarea acelui nepot iubit al său i-l arăta pribeag şi poate urmărit, aşa cum e, în
această ţară, soarta domnilor şi a feciorilor de domni, mai nefericită şi mai proastă
soartă decât a oamenilor de rând.” (ZC:257)
“L’étranger s’étant approché pour lui baiser la main, le révérend Téofan le reconnut et
sursauta sur son siège; mais il réalisa sur-le-champ qu’il n’était pas prudent de montrer
qu’il l’avait reconnu en ce lieu et en présence de tous; car toute l’apparence de ce neveu
bien-aimé montrait qu’il était errant et peut-être même pourchassé, comme le veut en ce
pays le sort des princes et des fils de princes, sort plus malheureux et plus ingrat que
celui des gens au commun.” (ZC:310)
Lorsque le démonstratif acest apparaît dans un énoncé dont le verbe prédicatif
102
respecte le temps du récit, il nous semble qu’il faudrait penser à une instruction du type:
«construisez la représentation mentale qui correspond à ce syntagme nominal démonstratif
en vous servant des informations que moi, en tant que narrateur-écrivain responsable, je
viens de vous offrir dans mon texte, spécialement créé pour vous, mes lecteurs»:
“La ţinutul Bacăului, sui din muncel în muncel până la mănăstirea Caşin. Acolo era
stareţ cuviosul Teofan, unchiul său, frate cu maica sa Profira-Doamna, de mult trecută
la odihna celor veşnice. […] În poarta acestei aşezări a Sfântului Munte bătu Alecu
Ruset într-o sară, la începutul lunii martie, şi fratele portar îl primi cu bunăvoie ca pe-
un străin călător.
Acest călător străin dorea să vadă pe cuviosul părinte arhimandrit Teofan.” (ZC:456)
“Dans le district de Bacău, il monta, de colline en colline jusqu’au monastère de Caşin.
Le supérieur en était le révérend père Teofan, un oncle à lui, le frère de sa mère, la
princesse Profira, depuis longtemps disparue de ce monde. […] C’est à la porte de cet
édifice de la Montagne Sacrée qu’Alecu Ruset vint frapper un beau soir, au début de
mars, et le frère portier le reçut avec bienveillance, comme un voyageur étranger. Ce
voyageur étranger désirait voir le révérend archimandrite Téofan.” (ZC:309)
C’est de la même façon qu’il faut comprendre le syntagme această + N ci-dessous, où le
nom exprime une unité de temps:
“Are dreptate, aprobă Ruset, şi începu să explice domnului abate descoperirea
răzăşului. Nu izbuti însă deplin; şi din această clipă, fiind foarte fericiţi amândoi,
zâmbind şi înţelegându-se, părăsiră discursurile ca ceva nefolositor.” (ZC:261)
(«această clipă»/«cette minute» est celle que moi, le narrateur, j’ai fait s’arrêter pour vous,
mes lecteurs)
“Et le prince entreprit d’expliquer à l’abbé la découverte du razech; il n’y réussit pas
pleinement et lors, nageant tous deux dans la béatitude, se souriant et s’entendant à
merveille, ils plantèrent là les vains discours.”(ZC:78)
Les repères temporels des événements auxquels participent les personnages d’un récit
construit au passé sont précisés d’habitude à l’aide des syntagmes comprenant le
démonstratif acel (în ziua aceea, în noaptea aceea, în acel ceas, etc.)117
. On voit bien que
M. Sadoveanu utilise ces syntagmes d’une façon tout à fait personnelle.
L’emploi du démonstratif acel pour exprimer le fait qu’il s’agit du point de vue du
personnage est confirmé par la présence de ce déterminant à l’intérieur du monologue
103
intérieur.
“– (Duca) Însă nu putea să doarmă. Avea acum şi alte griji, de care, în asemenea
timpuri grele, mai bine ar fi să fie scutit. Ce căuta acel popă franţuz, tocmai acum, la
scaunul său […]?” (ZC:238)
“Mais le sommeil s’obstinait à le fuir. D’autres soucis l’assaillaient, dont il se fût bien
passé en ces temps difficiles. Que venait-il faire, ce moine français, juste en ce moment,
ici, en sa capitale […]?” (ZC:160)
Un autre argument est la présence du syntagme démonstratif acel + N dans le cas où
la catégorisation réalisée par le nom (ci-dessous ceva est utilisé comme un nom générique)
ne saurait pas être mis à la charge du narrateur:
“ (Bârlădeanu) Stropindu-şi obrazul aprins, înghiţind cât putea din căuşul palmelor,
iarăşi stropindu-se şi iar înghiţind, se opri în sfârşit, suflând cu zgomot şi privind fioros
în juru-i. Copiii se împrăştiau în fugă, ca să ducă acasă veste despre acel ceva
nemaivăzut care s-a arătat la cişmea.” (ZC:487)
“Aspergeant son visage en feu, avalant tant bien que mal dans le creux de ses mains,
s’aspergeant à nouveau et avalant de nouveau, il s’arrêta enfin, en soufflant bruyamment
et en promenant des regards féroces autour de lui. Les gosses s’égaillèrent en courant,
pour aller bien vite décrire à leurs parents l’incroyable phénomène qui était apparu à la
fontaine.” (ZC:343)
Les quelques observations que nous avons formulées sur l’emploi des syntagmes
nominaux démonstratifs dans le texte de M. Sadoveanu semblent confirmer pleinement les
remarques de M. Florea, faites à la suite de A. Niculescu: “Apropierea şi depărtarea
obiectului în spaţiul referenţial (al realităţii) sau în spaţiul lingvistic (al textului) nu sunt
decât o componentă a unei funcţii majore a demonstrativelor: semnificaţia subiectivă.
Există un [+ Apropiat] subiectiv al vorbitorului, opus unui [– Apropiat] care nu
interesează pe vorbitor. Vorbitorul exprimă, subiectiv, apropierea prin aderenţă sau, prin
indiferenţă faţă de concept, non-apropierea. Altfel spus, demonstrativele relevă atitudinea
vorbitorului faţă de conceptele enunţate. Ele nu spun nimic despre obiecte. Spun, însă,
totul despre vorbitor”118
(1983:118).
117 En lisant la traduction du texte de M. Proust réalisée par R. Cioculescu, nous avons souvent eu
l’impression qu’une réflexion plus sérieuse sur les hétéronymes des syntagmes nominaux démonstratifs
exprimant le temps aurait été nécessaire. 118 “La proximité et l’éloignement de l’objet dans l’espace référentiel (de la réalité) ou dans l’espace
linguistique (du texte) ne constituent qu’une composante d’une fonction majeure des démonstratifs: la
signification subjective. Il y a un [+ proximité] subjectif du locuteur, opposé à un [- proximité] qui
n’intéresse pas le locuteur. Le locuteur exprime, subjectivement, la proximité par adhésion ou la non-
104
II.2. Types de cataphores en français et en roumain
Rappelons tout d’abord que, pour nous, la cataphore est une relation complexe entre
une expression référentielle – le cataphorique – et des éléments de nature linguistique qui la
suivent dans la chaîne énonciative – le subséquent. Le cataphorique est l’indicateur de la
création d’une représentation mentale d’un référent qu’on identifie pleinement (identifier
pleinement signifie surtout connaître l’étiquette sous laquelle le référent est connu en
général) seulement grâce aux informations fournies par le subséquent.
Dans ses grandes lignes, la taxinomie des cataphores comprend les mêmes types que
celle des anaphores. Avant de mentionner et d’exemplifier les principaux types de
cataphores en français et en roumain, il faut noter que le nombre de cataphores dans un
texte est incomparablement plus réduit que le nombre d’anaphores du même texte. Et c’est
tout à fait normal si l’on pense que la cataphore n’est pas une relation symétrique de
l’anaphore, une image au miroir de celle-ci, en d’autres mots on n’obtient pas toujours une
anaphore à partir d’une cataphore en transformant cette dernière par l’inversion des places
du cataphorique et du subséquent. La cataphore exige un certain consensus entre le locuteur
et l’interlocuteur. Plus que dans le cas de l’anaphore, l’interlocuteur qui doit interpréter un
cataphorique est censé connaître ou au moins soupçonner l’intention informative globale du
discours construit par le locuteur. Assez souvent, le genre de texte influence la disposition
de l’interlocuteur à accepter ou à refuser cette espèce de suspension de l’identification
référentielle que toute cataphore implique. Même en présence de l’interlocuteur le plus
indulgent du monde, le locuteur ne peut pas se permettre de laisser une trop grande distance
entre le cataphorique et le subséquent.
II.2.1. Au niveau syntaxique
Le corollaire de ce que nous venons d’affirmer, c’est que les cataphores
intraphrastiques apparaissent beaucoup plus fréquemment dans les textes que les
cataphores transphrastiques. Les cataphores transphrastiques sont le plus souvent des
cataphores résomptives (et parmi celles-ci les cataphores autonymiques occupent la
première place), le cataphorique préféré par les locuteurs étant le pronom le:
proximité par l’indifférence envers les concepts. En d’autres mots, les démonstratifs relèvent l’attitude du
locuteur relativement aux concepts énoncés. Ils ne disent rien sur les objets, mais ils disent tout sur le
locuteur.”
105
“– […] Nicolas …
Colin s’arrêta.
– Nicolas quoi? dit Chick.
– J’hésite à te le dire, ça va peut-être te couper l’appétit.
– Va donc, dit Chick, il ne m’en reste presque plus.
– Nicolas est entré à ce moment-là et lui a sectionné la tête avec une lame de rasoir.”
(EJ:16)
“– […] Nicolas …
Colin se opri.
– Nu-mi vine să-ţi spun [Ø], o să-ţi taie pofta de mâncare.
– Dă-i drumul, spuse Chick, mi s-a şi dus aproape toată.
– Atunci a intrat Nicolas şi i-a retezat capul cu o lamă de ras.” (EJ:30)
Les cataphores transphrastiques segmentales sont construites d’habitude avec le pronom
personnel en français et du cataphorique vide en roumain, et caractérisent plutôt les
romans119
et la prose poétique:
“Un après-midi, ils apparurent. Trois jeunes gens, trois jeunes filles.” (début du texte
Les insectes crépusculaires, de Corinna Bille)
“[Ø] Putea fi văzută în fiecare dimineaţă, pe la şapte, rezemată de vitrina frizeriei,
citind. […] Cu faţa ascunsă între căciulă şi gulerul pufoaicei, la adăpostul groşilor
ochelari cu scipiri derutante, Coca zăbovea pe imaginea unui distins estetician,
îngenunchiat lângă Flendurilă […].” (début du roman Fototeca, de Adriana Bittel)
Dans ce genre de textes, il n’est pas impossible d’avoir des syntagmes nominaux construits
avec des possessifs employés comme cataphoriques:
“Sur sa poitrine, deux seins naissaient, sa petite culotte de soie cachait un ventre qui
criait. Elle avait un vrai collier de perles et de fausses boucles d’oreilles. […]
Il sourit à la vie débutante, à cette journée d’avril, et fit l’amour à la poupée.” (début du
texte L’Adolescent et la poupée de Corinna Bille)
Force est de signaler une différence évidente entre les anaphores et les cataphores du point
de vue de la traduction d’une langue à l’autre: si dans le cas des anaphores les traductions
directes sont plus nombreuses que les traductions indirectes, il s’agit d’un rapport inverse
dans le cas des cataphores. Cette différence est très visible pour les cataphores
intraphrastiques, qu’il s’agisse de cataphores libres ou de cataphores liées, parce qu’il arrive
119 Voir aussi le texte extrait de M. Duras que nous avons cité page 3.
106
souvent que les traducteurs y renoncent complètement, en changeant la structure syntaxique
des phrases. Ainsi, les phrases asyndétiques deviennent des subordonnées:
“Il faut l’avouer, je crois peu aux lois.” (MA:127)
“Trebuie să mărturisesc că nu prea cred în legi.” (MA:87)
ou les subordonnées sont traduites par des épithètes détachées à valeur circonstancielle:
“Si elle s’était prolongée trop longtemps, cette vie à Rome m’eût à coup sûr aigri,
corrompu ou usé.” (MA:55)
“Prelungită prea mult, viaţa dusă la Roma m-ar fi acrit, corupt şi uzat în mod sigur.”
(MA:34)
Parfois, on a une anaphore dans une langue et une cataphore dans l’autre:
“Une autorité si totale comporte, comme tout autre, ses risques d’erreur pour l’homme
qui l’exerce.” (MA:14)
“Pentru cel ce o exercită, astfel de autoritate totală comportă, ca oricare alta, riscul de
a greşi.” (MA:6)
L’ordre habituel des mots dans la phrase, plus souple en roumain qu’en français, et la
manière différente de construire l’emphase dans les deux langues influencent l’expression
des relations de cataphore et d’anaphore, dans le sens que ces deux éléments ont une
importance particulière pour la construction de toute phrase. Cela ne veut pas dire que nous
prenons pour cataphoriques les expressions référentielles qui appartiennent à des structures
emphatiques. De même que M. Kesik (1989), nous ne croyons pas qu’on puisse parler de
cataphore dans le cas des dislocations. Apparemment, dans le texte ci-dessous,
l’interprétation référentielle des pronoms lui et elle est possible grâce aux occurrences des
noms le chauffeur et Jacqueline:
“Même luii, le chauffeuri, n’était pas là. Il n’y avait dans tout Florence que des touristes
et ellej, Jacquelinej.” (MG:41)
“Nici măcar eli, şoferuli, nu era aici. În toată Florenţa nu erau decât turiştii şi eaj,
Jacquelinej.” (MG:27)
Mais si l’on lit toute la page d’où nous avons extrait ce fragment, on se rend compte que
ces pronoms renvoient à des référents qui ont déjà été introduits dans le texte, donc qu’ils
devraient être plutôt considérés comme des anaphoriques. En fait, les groupes nominaux ne
font que certifier l’identité des référents désignés par les pronoms120
. Le pronom et le
120 Bien sûr, ce ne sont pas seulement les pronoms personnels qui anticipent sur un groupe disloqué:
“Même les poissons eni crèvent, lui disais-je, de cette chaleur-lài.” (MG:45)
“Mor şi peştii de atâta căldură, i-am spus.” (MG:29)
107
groupe disloqué appartiennent toujours à la même phrase et renvoient toujours au même
référent. Excepté l’information linguistique (en d’autres termes le fait que le référent est
désigné tantôt par un pronom, tantôt par un groupe nominal ), il n’y a aucune différence
entre les représentations mentales qui correspondent aux deux expressions référentielles. Il
n’existe pas d’opération sur la représentation mentale qui se produise entre l’occurrence du
pronom et l’occurrence du groupe nominal. Du point de vue syntaxique, le pronom et le
groupe nominal disloqué portent toujours les marques de la même fonction syntaxique.
Les mêmes raisons nous empêchent de penser à des cataphores au cas de
l’anticipation du complément direct, du complément indirect et des propositions
complétives par des pronoms clitiques, obligatoire en roumain dans des situations
strictement déterminées par des règles syntaxiques.
Dans l’option qui est ici la nôtre, la cataphore exclut une relation syntaxique directe
(celle qui s’établit entre un centre de groupe et ses déterminations) entre le cataphorique et
son subséquent, ce qui explique pourquoi nous ne prenons pas pour des cataphoriques, dans
le sens strict du terme, les expressions soulignées dans les textes suivants:
“Je découvris donc cela, mais qui cette fois ne concernait que moi – on découvre ce
qu’on peut, à l’âge qu’on peut et à l’occasion qu’on peut – qu’il n’y avait pas de raisons
pour que le monde ignorât plus longtemps encore que j’avais connu cet ange, étant
enfant, en Bretagne, et non plus de raisons pour que je le tus davantage.” (MG:53)
“Descoperii deci, dar de data asta nu mă privea decât pe mine – descoperii ce poţi, când
poţi şi când prinzi ocazia – că nu exista nici un motiv ca lumea să continue să nu ştie că
îl cunoscusem pe înger, copil fiind, în Bretania şi nici unul pentru care ar fi trebuit să
tac.” (MG:35)
“Ma popularité commençante répandit sur mon second séjour à Rome quelque chose de
ce sentiment d’euphorie que je devais retrouver plus trad, à un degré beaucoup plus
fort, durant mes années de bonheur.” (MA:68)
“Popularitatea mea aflată la început a reflectat asupra celei de a doua şederi la Roma
ceva din acel sentiment al euforiei pe care aveam să-l regăsesc mai târziu, într-o
măsură şi mai mare, de-a lungul anilor de fericire.” (MA:44)
Au niveau intraphrastique, nous ne considérons pas, non plus, qu’il s’agisse de cataphores
dans les structures où les pronoms anticipent sur des subordonnées conjonctives ou sur des
infinitifs qui ressemblent beaucoup aux dislocations et qui sont nommés par F. Corblin
(1994:47) des arguments en séquence. Le plus souvent, ces structures disparaissent à la
suite des traductions:
108
“À quoi cela me servait de le regarder encore?[…] À quoi cela m’avait servi de
regarder l’autre, de profil aussi, qui conduisait sa camionnette de cette façon si
buissonnière, tout en me conseillant le bonheur?” (MG:55)
“Atunci ce folos să mă tot uit la el?[…] La ce [Ø] mi-a folosit că l-am privit pe celălalt,
din profil, pe cel care conducea maşina cu aerul lui hoinar, sfătuindu-mă să fiu fericit?”
(MG:36)
Il n’en est pas moins vrai que beaucoup de linguistes incluent ces dernières situations parmi
celles qu’on englobe sous le terme de cataphores121
, en faisant la distinction entre la
cataphore au sens strict, qui suppose une rupture syntaxique (marquée par des signes de
ponctuation spécifiques) entre le cataphorique et le subséquent, et la cataphore au sens
large122
, qui admet une relation de subordination entre le cataphorique et le subséquent.
II.2.2. Au niveau pragmatique
Du point de vue de l’identité de référence entre le cataphorique et le subséquent, on
trouve des cataphores coréférentielles et des cataphores divergentes. Les cataphores
divergentes, extrêmement rares, sont toujours des cataphores intraphrastiques:
“Le président s’inclina. Il prit dans les siennes la petite main de Zoé et, lentement, la
porta à ses lèvres.” (FCT:35)
“Preşedintele se înclină. Luă în mâinile sale mâna mică a lui Zoé şi, încet, o duse la
buze.” (FCT:27) (en roumain la cataphore n’est pas possible dans ce cotexte; le possesif
ne peut être qu’un cataphorique coréférentiel)
M. Kesik (1989:36,38) considère qu’il s’agit d’une relation de cataphore inclusive
lorsque le cataphorique a la structure déterminant + nom + suivant (următor en roumain).
Un tel type de cataphore serait décrit par la formule A est B, où A est le subséquent et B le
cataphorique. Sincèrement, nous ne voyons pas de différence qui justifie la dénomination
d’inclusion entre le référent du cataphorique et le référent du subséquent. En ce qui nous
concerne, nous croyons qu’on est en présence d’un cataphorique mentionnel:
Il arriva alors l’incident suivant: Paul gifla Marie.
Se întâmplă atunci incidentul următor: Paul o pălmui pe Maria.
D’ordinaire, il s’agit de cataphoriques mentionnels autonymiques:
“Inversement, on peut dire que la conclusion E2 est affirmée sur la base de l’argument
E1; d’où les paraphrases suivantes, où cette conclusion apparaît en premier: E2 vu,
121 Voir, par exemple, M. Wilmet (1997:239). 122 Voir, par exemple, M. Kesik (1989).
109
étant donné, puisque, parce que, car, d’ailleurs …E1.”
(C. Plantin, L’argumentation, Seuil, 1996:14)
“Invers, se poate spune că pe baza argumentului E1 este afirmată concluzia E2; de unde
rezultă parafrazele următoare, în care această concluzie apare prima: E2 dat fiind că,
din moment ce, pentru că, deoarece, de altfel …E1.” (notre traduction)
Il est évident que ce type de cataphorique apparaît le plus fréquemment dans les textes
scientifiques/didactiques.
Bref, à notre avis, il n’y a pas de cataphores inclusives.
II.2.3. Au niveau lexical
On ne peut pas parler de relations lexicales a priori entre le cataphorique et le
subséquent. Au niveau lexical, la seule cataphore qui se laisse saisir est la cataphore
autonymique (ou métalinguistique) :
“Dans le calme, qui le suivit immédiatement après, j’entendis, comme tout le monde, ces
mots:
– L’État civil, fini.” (MG:56)
“ În liniştea care-i urmă imediat, auzii, asemenea tuturor celor prezenţi acolo, aceste
cuvinte:
– Cu starea civilă s-a terminat.” (MG:37)
“Je ne pus me dire que ceci: si tu en as aussi envie que ça, eh bien, il faut que tu
pleures.” (MG:56)
“N-am putut decât să-mi spun [Ø]: dacă ai atâta dor să plângi, ei bine, plângi.”
(MG:36)
Des exemples ci-dessus, il ressort que le caractère métalinguistique de la cataphore
résulte des traits sémantiques du nom qui constitue le centre du groupe cataphorique ou des
traits sémantiques du verbe de la phrase qui contient le cataphorique.
M. Kesik (1989:39) mentionne également la possibilité de construire des cataphores
associatives, au niveau intraphrastique, dans le cas des parties du corps, inaliénables:
La tête levée vers le ciel, une jeune fille contemplait le vol des cigognes.
II.2.4. Au niveau morphologique
Nous avons déjà précisé que les cataphores résomptives (lorsque le cataphorique
anticipe au moins un noyau prédicatif ou, en d’autres mots, lorsque le référent est une entité
110
du deuxième ou du troisième ordre) apparaissent beaucoup plus souvent dans les textes que
les cataphores segmentales.
En ce qui concerne la valeur grammaticale du cataphorique, on peut différencier
plusieurs types de cataphores:
a) Les cataphores pronominales gagneraient sans doute la première place dans un
classement de la fréquence. Les pronoms cataphoriques peuvent être des pronoms
personnels:
“Je le sais: je suis comme eux, du moins par moments, ou j’aurais pu l’être.” (MA:51)
“Ştiu [Ø]: şi eu sunt ca ei, cel puţin uneori, sau aş fi putut fi.” (MA:31)
[Une autre traduction possible: “Ştiu asta: şi eu sunt ca ei, cel puţin uneori, sau aş fi
putut fi.”]
des pronoms démonstratifs:
“Je ne pus me dire que ceci: si tu en as aussi envie que ça, eh bien, il faut que tu
pleures.” (MG:56)
“N-am putut decât să-mi spun: dacă ai atâta dor să plângi, ei bine, plângi.” (MG:36)
[Une autre traduction est possible en employant un adverbe: “N-am putut decât să-mi
spun aşa: dacă ai atâta dor să plângi, ei bine, plângi.”]
ou, plus rarement, des pronoms adverbiaux (dans des cataphores au sens large du terme):
“Vous croyez qu’elle en mourrait, votre mère, s’écria Mme Verdurin, si vous ne dîniez
pas avec elle le jour de l’an, comme en province!” (RTP:13)
“Credeţi că mama dumneavoastră ar muri, exclamă cu asprime doamna Verdurin, dacă
n-o să cinaţi cu ea de Anul Nou, ca în provincie?” (RTPI:9)
“Nu cumva crezi c-o să moară, îi strigă aspru doamna Verdurin, dacă nu cinezi cu ea de
Anul Nou, ca în provincie?” (RTPII:192) (on voit bien que c’est par la structure négative
de la phrase principale que I. Mavrodin rend ce qui est en fait, en français, une dislocation)
Il est facile à s’apercevoir que dans toutes ces citations, l’équivalent du pronom
cataphorique français est en roumain un cataphorique vide. L’absence d’études roumaines
consacrées à la cataphore devient alors compréhensible et l’affirmation que le roumain est
une langue plus inférentielle que le français n’étonne personne.
La cataphore pronominale dans une langue peut correspondre à une ana-cataphore
(même vide) dans l’autre:
“On le voit, c’est un procédé avouable, s’il s’en fut.” (EJ:7)
“E, după cum se vede, un procedeu prin excelenţă avuabil.” (EJ:22)
111
b) Les cataphores nominales sont construites avec l’adjectif suivant/următor
(structure que nous avons déjà présentée) ou avec un déterminant démonstratif. Dans ce
dernier cas, il faut distinguer la cataphore métalinguistique (celle-ci a été exemplifiée plus
haut) de la cataphore cognitive:
“Jacques, sans le vouloir, effleura la vérité d’assez près en évoquant ce souvenir: quand
Alphonse, adolescent, avait connu cette crise de croissance qui en faisait, aux yeux de la
famille, presque un géant, son père, en plaisantant, lui avait dit: «Ne fais plus trop de
bêtises! Je ne vais plus pouvoir te gronder qu’assis.»” (MCF:23)
“ Jacques, fără să vrea, se apropie destul de mult de adevăr evocând această amintire:
când Alphonse, adolescent, trecuse prin acea criză a creşterii care făcea din el aproape
un uriaş în ochii familei sale, tatăl său, glumind, îi spusese: Să nu mai faci prea multe
prostii! N-o să te mai pot certa decât dacă vei sta pe scaun!” (notre traduction)
Bien que nous ayons traduit le texte ci-dessus en respectant la structure déterminant
démonstratif + Nom du français, le groupe amintirea următoare nous aurait semblé plus
proche des coutumes langagières roumaines. Sans nier la possibilité d’avoir en roumain des
syntagmes nominaux démonstratifs employés comme cataphoriques cognitifs, nous pensons
que ces syntagmes sont plus appropriés dans les cataphores métalinguistiques.
c) Les cataphores adverbiales impliquent la présence des adverbes de manière.
“Porunca mea este astfel: pe loc, în acest ceas, să plece un om harnic, cu slujitori
destui, aleşi dintre siimeni, să prindă pe Lupu sulgerul […].” (ZC:291)
“Voici quels sont mes ordres: sur l’heure, un homme de confiance se mettra en route,
avec les gens nécessaires, choisis parmi les effectifs de la garde, et ira s’emparer de la
personne de notre fidèle serviteur, le sulger Lupu […].” (ZC:114)
Dans les textes que nous avons examinés, nous avons trouvé plus de cataphores adverbiales
en roumain qu’en français, le français ayant une préférence marquée pour les démonstratifs:
“– Ce este, domnule? […]
– Nu-i decât atât, că la Săbăoani în sat, venind slujitorii domniei pentru strângerea
dărilor, au fost împresuraţi şi loviţi de ostaşii nemţi.” (ZC:220)
“– Qu’y a-t-il donc, Monseigneur? […]
– Rien d’autre que ceci: les collecteurs au service du Prince s’étant rendus dans le
village de Săbăoani pour y recouvrer les impôts ont été bloqués là et assaillis par des
mercenaires allemands.” (ZC:30)
112
II.3. Pour faire le point
En comparant – tantôt explicitement, tantôt implicitement – des textes français et
leurs équivalents roumains, nous avons mis en évidence le fait qu’il n’y a pas de différences
fondamentales entre la taxinomie des endophores qu’on peut envisager pour la langue
française et celle qu’on peut concevoir pour la langue roumaine. Les termes
métalinguistiques français qui désignent les types d’anaphores et de cataphores, utilisés
depuis quelques décennies déjà, se laissent appliquer au roumain, à condition qu’on tombe
d’accord sur la signification de ces termes et sur leur univocité au niveau de la pragma-
sémantique française même.
Une systématisation très rigoureuse et détaillée des équivalences entre les endophores
des deux langues prises en considération, telles que ces équivalences ressortent des
traductions, est difficile à construire, vu le grand nombre d’éléments de nature variée
(phonétique, stylistique, etc.) qui influencent les choix des expressions référentielles faits par
les traducteurs. Parfois, ceux-ci ressentent tout simplement le besoin de rendre plus beau le
texte cible en “corrigeant” les répétitions de l’écrivain :
“Se întâmplă însă ca asemenea cărţi numai să pară adevărate, iar iscăliturile să fie
plăsmuite.[…] Asemenea încurcături pot stârni mânia slăvitului nostru stăpân.”
(ZC:477)
“Mais il arrive parfois que de telles lettres ne soient qu’apparemment authentiques, et
que les signatures en soient contrefaites. […] Pareilles complications peuvent éveiller la
colère de notre auguste maître.” (ZC:322)
D’autres fois, les traducteurs acceptent consciemment des surtraductions pour
s’échapper à des tournures inélégantes. À titre d’exemple, citons une phrase, extraite de La
Peste, où la traduction du pronom personnel sujet dans l’une des propositions complétives –
traduction qui n’est pas exigée par un rôle quelconque que ce pronom jouerait au niveau
discursif – permet d’éviter une cacophonie.
“Rambert dit qu’il avait encore réfléchi, qu’il continuait à croire ce qu’il croyait […].”
(P:190)
“Rambert zise că s-a mai gândit, că el continua să creadă ceea ce credea […].” (P:189)
C’est le spectre de l’ambiguïté (non intentionnelle, bien sûr) qui hante les traducteurs
et qui les détermine souvent à s’écarter de la syntaxe du texte source et des expressions
référentielles employées par celui-ci pour proposer, dans le texte cible, une syntaxe et des
113
expressions considérées comme plus claires:
“Urma să guste din cele de pe masă, ascultând vorbirea însufleţită a bătrânului minori.
Franţuzeasca lui, cu puternic accent toscan, se dovedea fluidă şi bogată.” (ZC:301)
“Il continuait de goûter au repas auquel il avait été convié, tout en écoutant le discours
animé du vieux religieux. Le français au fort accent toscan du pater Guido était riche et
fluide […].”(ZC:127)
Abstraction faite de ces facteurs, trop divers et trop ponctuels pour qu’on puisse les
prendre tous en considération, la similitude entre le système des expressions endophoriques
roumain et le système français se laisse facilement constater.
Il sied de formuler une observation peut-être banale, mais essentielle pour notre
analyse: à la suite d’une traduction interlinguale, le texte d’arrivée traite en grandes lignes
des mêmes référents que le texte de départ, sans pour autant que leurs représentations
mentales dans une langue et dans l’autre soient absolument identiques. Outre les différences
intrinsèques entre ces représentations liées aux informations linguistiques qui se trouvent à
la base de leur construction, il peut y avoir des différences au niveau des informations de
notation ou des informations spatiales. En d’autres mots, un référent, comme nous l’avons
vu123
, peut être désigné par une expression anaphorique dans le texte source, mais par un
cataphorique, ou même un déictique dans le texte cible, à condition que cela ne change pas
le sens général du texte.
Pour que ce sens soit préservé à la fin de la traduction, il n’est pas suffisant que les
expressions endophoriques choisies par les traducteurs remplissent leurs rôles référentiels, il
faut en plus qu’elles assurent dans le texte d’arrivée les mêmes fonctions textuelles et
discursives que leurs équivalents dans le texte de départ.
Autrement dit, la comparaison entre les textes français et les textes roumains met en
évidence le fait que la nécessité de renvoyer à certains référents ne justifie pas tous les choix
opérés par les traducteurs. Il est clair que les expressions anaphoriques et cataphoriques
sont soumises à des exigences qui tiennent à la spécificité du texte et du discours où elles
apparaissent.
Dans le chapitre suivant, nous nous proposons donc de déceler les fonctions
référentielles, textuelles et discursives le plus fréquemment remplies par les endophoriques,
123 Nous pensons au texte de Sadoveanu, déjà cité:
“– După o masă ca aceea la care am stătut, un fruct ori un strugure nu strică.” (ZC:345)
“– Après un repas comme celui-ci, il n’y a rien de tel qu’une bonne pomme ou une grappe de raisins.”
(ZC:181)
114
pris comme éléments d’une relation pragma-sémantique particulière, en insistant sur les
fonctions des pronoms.
116
III.1. Texte, discours et endophores
III.1.1. Sur les rôles des pronoms
On a longtemps considéré que le seul rôle du pronom est d’assurer le coût réduit du
message, d’assouvir l’exigence de suppléance. Nous avons déjà précisé que, dans la
Grammaire des fautes (1929,1971) de H. Frei, les pronoms sont caractérisés comme des
signes plus courts ou plus maniables qui reprennent ou anticipent d’autres signes figurant
dans la chaîne du discours. Le titre du chapitre où se trouve cette caractérisation - Le besoin
de brièveté - nous indique quel est, du point de vue de l’auteur, la raison qui justifie la
présence des pronoms dans la langue. En nommant les éléments il, le, cela des substituts
abréviatifs, E. Benveniste ne s’éloigne pas de la théorie de H. Frei. Quant à J. Dubois
(1965), celui-ci affirme lui aussi que la substitution par les pronoms est un facteur
d’économie. L’idée d’économie est rencontrée également dans l’ouvrage de G. Moignet,
mais à côté d’autres précisions, qui surprennent la spécificité des pronoms par rapport aux
noms: “le pronom tient la place du substantif, soit qu’aucun substantif ne soit apte à
traduire la visée du discours, faute de généralité, soit qu’il soit plus commode, plus
économique de parler des êtres par d’autres références que celles du substantif qui les
désigne. Le pronom résout donc un problème, soit d’incapacité, soit de disconvenance du
substantif” (1981:151).
Les approches mémorielle, pragmatique, pragma-sémantique mettent en évidence que
l’emploi du pronom est plus coûteux d’ordinaire que l’emploi de l’expression référentielle
qu’il est censé remplacer. Par conséquent, il faut croire que d’autres rôles sont assignés aux
pronoms.
En analysant un corpus de textes réalisés par plusieurs sujets à partir d’un même
thème, D. Apothéloz (1995:243) observe que dans la plupart des textes on a opté pour les
pronoms démonstratifs au détriment des groupes nominaux à déterminants démonstratifs. A
l’avis du linguiste, ce choix a plusieurs explications:
le choix d’un pronom évite des nominalisations difficiles à réaliser (parce que le
117
nom dérivé du verbe n’existe pas en français ou parce que la compétence linguistique
des sujets ne leur permet pas de trouver le nom adéquat);
tout acte de dénomination comporte des risques à assumer, étant donné que toute
dénomination implique une catégorisation, l’attribution de certaines qualités à un
objet. D. Apothéloz rappelle la distinction faite par R. Vion (1992) à propos de
l’investissement de la subjectivité dans le discours: le locuteur oscille entre le pôle de
la tension (le cas où l’investissement de la tension atteint une cote élevée) et le pôle de
la modulation (le cas où le locuteur s’investit peu dans son discours). D. Apothéloz
croit que choisir un pronom plutôt qu’un nom signifie opter pour le pôle de la
modulation, c’est-à-dire opter pour une expression moins prononcée de la
subjectivité.
le locuteur préfère parfois passer sous silence l’identité d’un certain objet.
Les remarques de D. Apothéloz paraissent judicieuses. Cependant, il faut observer
que, dans quelques-uns des énoncés de notre corpus, l’occurrence du pronom semble
exprimer mieux la subjectivité que l’occurrence d’un groupe nominal ne l’aurait fait. La
comparaison des textes français (roumains) et de leurs équivalents roumains (français)
montre aussi que les pronoms (y compris les démonstratifs) sont souvent traduits par des
groupes nominaux, et inversement, ce qui mène à l’une des deux explications suivantes: soit
que les traducteurs ne manifestent pas assez de sensibilité par rapport aux différences de
nuances rendues par les deux structures, soit que les pronoms et les syntagmes nominaux
endophoriques, en dépit de leurs modes de donation du référent bien distincts, jouent les
mêmes rôles dans certains points de la chaîne énonciative, pouvant alors être indifféremment
employés:
“La umilita gospodărie a părintelui Guido se opriră, înconjurând butca de mai înainte
adusă, cu patru cai şi cu slujitori robi. Slujitorii [aceştia] purtau straie după moda
ţarigrădeană […].” (ZC:334)
La petite troupe s’arrêta devant l’humble demeure du révérend père Guido, entourant le
carrosse qui déjà avait été amené sur les lieux, attelé de quatre chevaux et nanti d’une
suite de valets serfs. Ceux-ci [les valets/ces valets] étaient habillés à la turque […].
(ZC:166)
Nous croyons que les endophoriques pronominaux ou nominaux sont également
acceptables au même point d’un texte s’ils peuvent remplir, en tant qu’éléments de la
relation d’endophore, les mêmes fonctions aux niveaux référentiel, textuel et discursif. Ces
118
derniers termes méritent un petit commentaire, qui facilitera la présentation des fonctions
des endophores, telles que nous les envisageons.
III.1.2. Texte, discours et référence
De nombreux chercheurs ont saisi l’importance des endophores au-delà de la phrase
et se sont efforcés de construire des modèles théoriques qui permettent tout d’bord la
description, ensuite l’explication minutieuses des diverses relations endophoriques et des
effets créés par leur mise en place. F. Cornish (1990, 1995), l’un de ceux qui synthétisent de
façon intelligente et séduisante les acquis les plus importants des recherches modernes sur le
rôle de l’anaphore, propose qu’on fasse nettement la différence entre le texte et le discours.
Le texte, selon lui et selon nous, est formé du contenu verbal, du contour intonatif, des
signes de ponctuation, des phénomènes typographiques et même des signes
paralinguistiques. Le texte “représente un vivier d’indices qui va permettre à
l’interlocuteur ou au lecteur de reconstruire le discours que le locuteur ou le scripteur,
selon toute probabilité, aura construit” (F. Cornish, 1990:82). Le discours est un ensemble
d’actes énonciatifs hiérarchisés, réalisés au moyen du langage articulé et au moyen des
gestes, des regards ou de tout autre signe paralinguistique. En utilisant le concept de
discours, nous pensons immédiatement à un locuteur et un interlocuteur (ou un scripteur et
un lecteur) et à une situation particulière de communication.
A partir du texte, trace du discours, l’interlocuteur va construire – d’après F. Cornish
– un modèle du discours, c’est-à-dire une représentation conceptuelle de la situation sous-
jacente au discours en question. Pour y parvenir, l’interlocuteur doit mobiliser ses
connaissances du monde (connaissances encyclopédiques, connaissances socio-culturelles)
et du locuteur, de même que sa perception de la situation énonciative. Le modèle du
discours est une entité dynamique, qui se modifie au fur et à mesure que de nouveaux
référents du discours124
y sont introduits. L’anaphore et la deixis sont étroitement liées,
124 Le syntagme «référent du discours» apparaît dans maints ouvrages où, en général, il est défini de la
façon suivante: “A la suite de L. Karttunen, on peut convenir d’utiliser le terme de référent du discours
pour noter les référents mentionnés dans le discours, que les entités en question appartiennent ou non au
monde réel” (F. Corblin, 1995:17). L’utilisation de ce syntagme inscrit F. Cornish parmi les adeptes du
paradigme constructiviste de la référence. Les différences essentielles entre le référent dans l’acception
constructiviste et le référent tel qu’il est conçu par l’objectivisme sont clairement présentées par G. Kleiber
(1997) ou par I. Popescu (1998:101-115). Étant donné que nous avons avoué notre adhésion à l’objectivisme
modéré de G. Kleiber, le terme «référent» nous semble clair et suffisant pour décrire les fonctions des
endophores.
119
ayant comme mission de mettre sur la même longueur d’onde l’attention des participants à
l’acte de communication. Tandis que par l’emploi des déictiques on déplace le centre
d’attention (le focus) existant vers un nouveau référent, par l’emploi des anaphoriques on
maintient le centre d’attention déjà établi. Pour F. Cornish, “les anaphoriques (pronoms de
troisième personne, ellipses, démonstratifs, groupes nominaux définis, etc.) sont des
éléments textuels qui jouent un rôle discursif” (1990:81). F. Cornish pousse très loin sa
théorie, en affirmant même que c’est l’anaphorique qui crée son antécédent, selon la nature
du rapport psycho-social existant entre les interlocuteurs et la nature de la prédication dont
il fait partie intégrante.
En partageant les opinions de F. Cornish, D. Apothéloz (1995) conclut que la
distinction faite entre le discours, comme activité décomposable en une suite d’actes
énonciatifs, et le texte, comme trace laissée par cette activité, conduit à voir dans les
éléments anaphoriques des indices d’opérations discursives. Le destinataire (interlocuteur
ou lecteur), face aux formes textuelles, doit reconstituer le discours qui les a produites.
Pour expliquer le comportement des anaphores, D. Apothéloz, à l’instar de J.B. Grize,
postule l’existence d’une représentation élaborée dans et par le discours. La
représentation est une “sorte de micro-univers représentationnel construit” à la suite de
l’activité langagière (D. Apothéloz, 1995:159). On serait vraiment en difficulté si l’on devait
détailler les dissemblances entre le modèle du discours de F. Cornish et la représentation
de D. Apothéloz125
. Celui-ci emprunte à A. Berrendonner le terme de clause pour désigner
l’unité minimale à fonction communicative qui opère une transformation de la
représentation: évidemment, la configuration initiale de la représentation n’est pas identique
à la configuration finale. Au moment où le locuteur choisit une expression anaphorique, il
doit tenir compte du contexte gauche et du contexte droit de celle-ci. Le contexte n’est
pas une donnée directement observable, il ne faut pas le confondre avec le cotexte. On
définit le contexte gauche comme le résultat de toutes les énonciations qui précèdent
l’expression anaphorique, et le contexte droit comme la configuration obtenue à la suite de
la transformation opérée par la clause où se trouve l’expression considérée. En d’autres
mots, “le choix des expressions anaphoriques est conditionné par un avant et un après, par
le sens tel qu’il va se construire. C’est pourquoi on peut dire que ces expressions sont tout
125 D. Apothéloz, dans une note (1995:159-160), dresse une liste des synonymes du terme représentation:
proposés par d’autres linguistes selon la perspective adoptée: schématisation (J.B. Grize), discourse
120
à la fois des marqueurs et des opérations: des marqueurs en ceci que leur choix est
partiellement déterminé par ce qui les précède; des opérations, parce qu’il est également
motivé par la nouvelle configuration que ces expressions, tout comme la clause dans
laquelle elles figurent, contribuent à mettre en place” (D. Apothéloz, 1995:160).
Pour l’analyse des expressions anaphoriques, D. Apothéloz propose trois types de
descripteurs: descripteurs de l’expression anaphorique, descripteurs du contexte gauche et
descripteurs du contexte droit. Les descripteurs, fondés sur des éléments textuels, donnent
des indices sur le contexte discursif. L’influence du contexte droit (proche ou éloigné) sur le
choix des anaphoriques est due à l’existence dans l’activité d’encodage des mécanismes
d’anticipation. Ces mécanismes sont ceux qui expliquent aussi la possibilité de construction
des cataphores. Parmi les descripteurs de l’expression anaphorique on mentionne: la forme
de l’expression (syntagmes nominaux, pronoms personnels, pronoms démonstratifs, etc.), la
relation avec l’antécédent au cas où celui-ci et l’anaphorique sont de nature lexicale
(rappelons que D. Apothéloz emploie «précédente désignation» pour «antécédent»), la
fonction syntaxique de l’anaphorique. Il y a huit descripteurs proposés pour le contexte
gauche, parmi lesquels: le nombre de référents activés, la concurrence avec un autre
référent, le degré d’éloignement relativement à l’antécédent, le caractère anaphorique de
l’antécédent. Quant au contexte droit, il peut être décrit à l’aide de quatorze descripteurs,
dont l’un est l’identité entre le prédicat de l’anaphorique et le prédicat de l’antécédent. Les
autres descripteurs du contexte droit concernent la présence d’autres expressions
référentielles, endophoriques ou pas, et les traits argumentatifs de la clause qui renferme
l’endophorique (cette clause exprime une réponse, une justification, une conséquence, etc.).
L’énumération des paramètres dont il faut tenir compte pour la description correcte des
endophores souligne la complexité de ce type de relation.
On peut facilement remarquer la convergence des opinions de A. Reboul et de J.
Moeschler, d’une part, et de D. Apothéloz de l’autre. Ce dernier considère le texte comme
la trace linguistique laissée par l’exécution d’un programme d’action. L’action dont il s’agit
est orientée vers un but, est planifiée et engage certains moyens. Elle est organisée de façon
hiérarchique, l’atteinte d’un but exigeant l’atteinte d’un ou de plusieurs buts intermédiaires.
Le sujet agissant (l’encodeur) présente les référents comme donnés ou nouveaux. Encore
plus, ces référents sont eux aussi hiérarchisés dans l’univers de discours qu’ils composent.
registry (J. Hinds), memory store (J.A. Hawkins), context model (P. Bosch), discourse representation
(G. Brown et G. Yule), mémoire discursive (A. Berrendonner et M.J. Reichler-Béguelin).
121
D. Apothéloz justifie le choix des expressions référentielles en invoquant le degré de
saillance du référent et, à la suite de A. Berrendonner, il fait la différence entre la saillance
locale et la saillance cognitive: un objet est saillant localement s’il vient d’être évoqué par
des moyens verbaux ou non-verbaux. Il disparaît du champ de conscience dès que
l’attention se tourne vers un autre objet. La saillance cognitive se réfère à ces objets qui
occupent une place centrale dans la représentation: ils demeurent dans le champ de la
conscience même dans des segments du discours où ils ne sont pas évoqués. D. Apothéloz
introduit la notion d’empan textuel, qui définit le “degré de continuité” de l’objet dans le
texte et observe que “les objets les plus saillants cognitivement sont généralement des
objets à empan textuel large” (1995:303). Ce qui nous semble important, c’est qu’on
reconnaît l’existence d’une certaine hiérarchie des référents à l’intérieur d’un discours, qui
influence l’emploi des expressions endophoriques.
Bien qu’elle accepte la possibilité de faire une distinction théorique entre le texte et le
discours, C. Vlad (2000) préfère le concept de texte-iceberg, qui définit un objet
éminemment verbal, partie d’un processus de communication et de savoir, dans et par lequel
il se développe lui-même en tant que signe et porteur de sens. Le modèle du texte-iceberg
est construit de manière à englober aussi bien les aspects concernant les phénomènes
constitutifs du produit que ceux qui concernent les phénomènes créatifs-perceptifs
spécifiques au processus. La dénomination «texte-iceberg» nous plaît beaucoup parce
qu’elle surprend parfaitement les traits essentiels de toute production discursive.
Pourtant, la distinction théorique entre le discours (envisagé comme activité par
laquelle un certain locuteur produit, à un moment donné, une suite d’énoncés dans le but de
communiquer une quantité d’informations à un certain interlocuteur) et le texte (envisagé
comme trace de cette activité) permet de mieux saisir et, surtout, de mieux décrire les
particularités des relations endophoriques et leurs fonctions.
III.1.3. Genres de textes et types de discours
Puisqu’aucune théorie sur l’anaphore/la cataphore ne peut faire abstraction du
problème de la référence, beaucoup de linguistes se sont appliqués à analyser les expressions
et les mécanismes référentiels, à définir la référence, à établir la relation entre celle-ci et
l’endophore. Comme nous l’avons déjà mentionné, les chercheurs contemporains
reprochent aux approches substitutionalistes de concevoir la référence comme une propriété
122
grammaticale intrinsèque de certaines classes linguistiques (les noms) et refusent d’admettre
la répartition des morphèmes en morphèmes autonomes du point de vue référentiel (les
noms) et morphèmes qui n’ont pas d’autonomie référentielle (les pronoms). Le fait que
même les noms propres sont autonomes du point de vue référentiel seulement grâce à des
conventions stylistiques et génériques (cf. P.E. Jones, 1995) est simple à démontrer: il est
évident que les prénoms seuls sont ambigus dans les textes administratifs ou juridiques, ou
que notre cours deviendrait hilare si nous citions Liliane Tasmowski-De Ryck ou Georges
Kleiber sous la forme: “Liliane a dit ceci” ou “Georges a dit cela”. (Même si notre nom à
nous avait été Noam Chomsky, cet emploi des prénoms aurait été difficilement admis).
Il y a donc des textes où l’occurrence d’un nom met en jeu des facteurs
institutionnels, légaux; dans ces textes, les prénoms isolés non seulement manqueraient
d’autonomie référentielle, mais seraient tout à fait inappropriés au genre. Les genres, selon
la définition de D. Maingueneau, sont “des dispositifs de communication socio-
historiquement définis: le fait-divers, l’éditorial, la consultation médicale, l’interrogatoire
policier, les petites annonces, la conférence universitaire, le rapport de stage, etc.”
(1996:44).
A l’instar de R.H. Robins, P.E. Jones considère que la théorie substitutionaliste a été
favorisée par le fait que la grammaire classique a étudié le comportement des pronoms dans
des textes écrits sélectionnés, relativement homogènes, ce qui a permis la confusion entre
les faits de grammaire et les faits de genre: “ces propriétés référentielles attribuées
indûment aux noms et aux pronoms sont en fait des aspects tout à fait conventionnels et
contingents d’un style de langue écrite, style qui incorpore des stratégies communicatives
spéciales” (P.E. Jones, 1995:14). P.E. Jones conclut que la référence est un fait de
communication, pas de grammaire, qu’elle ne peut pas s’expliquer par des propriétés
intrinsèques des syntagmes nominaux ou des pronoms, sans tenir compte des stratégies
requises par les différents genres et styles. La référence ne peut pas être envisagée au niveau
de la phrase, mais au niveau de l’énoncé.
Les endophoriques, en tant qu’expressions référentielles, sont donc étroitement liés au
genre de texte. Cette liaison est présentée de manière systématique par J.P. Bronckart
(1996), qui fait, à la vérité, une distinction très nette entre les genres de textes et les types
de discours. Une communauté verbale est constituée de multiples formations sociales qui,
en fonction de leurs intérêts, élaborent des modalités particulières de mise en
123
fonctionnement de la langue, dont l’application mène à la création de divers genres de
textes. Les genres de textes (le roman, la nouvelle, l’exposé, l’interview, etc.) ont un
caractère profondément social et historique. Toute nouvelle production langagière des
individus est le résultat des interactions entre les connaissances sur le monde représenté (le
référent), les informations concernant les conditions – sociales, subjectives, spatio-
temporelles – de l’action langagière (le contexte) et le savoir sur les genres de textes en
usage (l’intertexte). Un texte peut toujours être qualifié en précisant le genre auquel il
appartient. J. P. Bronckart affirme que les genres, en nombre infini et variable, ne se laissent
pas complètement définir sur la base de critères linguistiques. Par contre, les types de
discours, en nombre limité – c’est-à-dire les segments argumentatifs, descriptifs, narratifs
qui entrent dans la composition d’un genre – présentent des caractéristiques linguistiques
spécifiques. Les types de discours, comme formes linguistiques attestables dans les textes,
traduisent la création de mondes discursifs spécifiques. Les mondes discursifs sont des
mondes virtuels créés par l’activité langagière, différents du monde ordinaire du sujet
parlant. Les mondes discursifs se construisent au niveau psychologique sur la base de deux
ensembles d’opérations:
1. Des opérations qui mettent en rapport les coordonnées générales organisant le
contenu d’un texte et les coordonnées générales du monde ordinaire dans lequel
se déroule l’action langagière qui produit le texte. Ces deux types de coordonnées
peuvent être disjointes – et alors on se situe dans l’ordre du RACONTER – ou
conjointes – et alors on se situe dans l’ordre de l’EXPOSER.
2. Des opérations qui mettent en rapport l’instance énonciative et son inscription
spatio-temporelle avec les paramètres physiques de l’action langagière en cours. J.
P. Bronckart fait la distinction entre les mondes discursifs qui exhibent un rapport
d’implication (le texte explicite le rapport entre l’instance énonciative et les
conditions physiques de l’énonciation) et ceux qui exhibent un rapport
d’autonomie (le texte est indifférent face au rapport entre l’instance énonciative et
les paramètres de l’énonciation).
À partir de ces opérations, J. P. Bronckart définit quatre mondes discursifs: ces
mondes ne sont évidents que grâce aux formes linguistiques qui composent les types de
discours, par conséquent à chaque monde discursif correspond un type de discours:
a) Monde de l’EXPOSER impliqué: le discours interactif;
b) Monde de l’EXPOSER autonome: le discours théorique;
124
c) Monde du RACONTER impliqué: le récit interactif;
d) Monde du RACONTER autonome: la narration.
Il y a des segments de texte qui témoignent de la fusion des types de discours. Chaque
type connaît des variantes: par exemple on parle de discours interactif primaire quand il
renvoie directement au monde ordinaire des interactants et de discours interactif secondaire
quand le discours apparaît dans le cadre d’une narration.
Notre cours accorde une attention particulière à la théorie de J.P. Bronckart parce
que celle-ci expose de façon méthodique les marques linguistiques qui caractérisent chaque
type de discours. Nous allons retenir seulement les anaphores spécifiques pour chaque type:
a) Pour le discours interactif on ne mentionne aucun type d’anaphore, ce sont plutôt
les déictiques qui y apparaissent.
b) Le discours théorique se remarque par la grande fréquence, à côté des anaphores
pronominales, soit d’anaphores nominales, soit de procédés de référenciation
déictique intra-textuelle.
c) Le récit interactif se caractérise par la présence dominante d’anaphores
pronominales, parfois associées à des anaphores nominales, sous la forme
particulière de répétition fidèle du syntagme antécédent.
d) La narration contient des anaphores pronominales et des anaphores lexicales
infidèles.
A partir des recherches de J. P. Bronckart126
et de ses propres recherches, D.
Apothéloz (1995) compare lui aussi les textes informatifs et les textes argumentatifs en
utilisant comme critère la fréquence des expressions anaphoriques: les textes informatifs
comprennent un nombre assez grand de substitutions lexicales (anaphores infidèles) et de
pronoms relatifs, mais peu de pronoms possessifs de Ière et II-ème personne; les textes
argumentatifs sont riches en anaphores fidèles et en pronoms possessifs de Ière et II-ème
personne, mais pauvres en nominalisations.
En analysant la présence des expressions anaphoriques dans un texte dramatique, N.
Fournier explique les ambiguïtés rencontrées par la nature même de ce genre de texte,
produit par des coénonciateurs “qui ne partagent que partiellement la même mémoire
discursive et qui ont des préoccupations différentes, voire divergentes: en somme, chacun
a en tête un objet de discours qui n’est pas nécessairement le même que celui de son
126 Il s’agit de l’ouvrage de J. P. Bronckart et alii de 1985 (Le fonctionnement du discours. Un modèle
psychologique et une méthode d’analyse), qui contient en gros les mêmes idées que celui de 1996.
125
allocuté” (1998:28).
Dans les travaux roumains, on trouve également des remarques sur l’emploi des
pronoms dans les différents genres de textes. Par exemple, P. Miclău (1981:72) constate
l’emploi fréquent du pronom personnel de la III-ème personne dans les textes scientifiques.
M. Manoliu Manea (1968:110,123) fait elle aussi des observations sur la fréquence des
pronoms en fonction du genre de texte. Les annexes statistiques qu’elle propose reflètent
d’ailleurs les différences d’emploi des pronoms d’un texte à l’autre. Mais, en général, les
valeurs des pronoms au niveau des textes sont analysés surtout dans les ouvrages de
stylistique127
.
Ayant la conviction que l’analyse de la littérature constitue l’une des formes “les plus
mûres”128
de la linguistique, T. Vianu (1956b) énumère les moyens par lesquels les écrivains
réalisent la connexion entre les propositions et entre les phrases à l’intérieur des textes:
l’emploi des connecteurs logiques (conjonctions, locutions conjonctives et adverbiales),
l’anaphore, l’utilisation de certains adverbes temporels et des pronoms, la substitution du
nom par un autre nom, l’enchaînement de plusieurs phrases interrogatives ou exclamatives
construites d’après le même modèle129
. Ce qui nous semble particulièrement important pour
un article écrit en 1956, ce n’est pas l’utilisation du terme «anaphore» – parce que ce terme
y est utilisé avec son sens rhétorique, signifiant donc la répétition du même mot au début de
plusieurs phrases successives – mais l’étude comparative de l’écriture de plusieurs auteurs
roumains du point de vue de la manière dont ils assurent la cohésion dans leurs textes. T.
Vianu observe pertinemment que A. Odobescu construit plutôt des anaphores130
pronominales, tandis que M. Sadoveanu préfère les anaphores lexicales infidèles et E.
Gârleanu les anaphores associatives locatives. Par conséquent, le style de M. Sadoveanu
semble au lecteur moins monotone que le style de A. Odobescu. Quant au style de E.
Gârleanu, il est comparable à l’impressionnisme dans la peinture. Plusieurs remarques de T.
Vianu doivent être retenues:
Les procédés choisis par les écrivains pour former “des contextes liés” dépendent
de leur attitude par rapport à leur écriture et des effets qu’ils veulent produire sur les
127 I. Iordan (1975:112-123); I. Coteanu (1985, II:33-81). Même au niveau de la stylistique, I. Oprea (2000)
constate l’absence d’études systématiques qui mettent en relief la spécificité des styles fonctionnels
roumains et les marques caractéristiques de chaque style (y compris les marques linguistiques). 128 T. Vianu (1956a:26). 129 E. Vasiliu (1990:32) observe que ce dernier procédé est moins utilisé dans la langue courante. 130 Afin de souligner la pérennité des observations, des explications et des interprétations de T. Vianu, nous
nous permettons de présenter son étude en utilisant les dénominations usitées à présent.
126
lecteurs, ou encore de la responsabilité qu’ils ressentent par rapport au lecteur.
Ces procédés varient d’un écrivain à l’autre, mais aussi d’un type de discours à
l’autre (argumentatif, descriptif, narratif): il y a des différences évidentes entre la
poésie et les textes en prose.
Les moyens de réalisation de la cohésion varient aussi d’une époque à l’autre: si les
connexions logiques entre les phrases sont clairement exprimées, par des marques
formelles bien précises, dans les textes de M. Kogălniceanu ou de A. Odobescu, les
textes de G. Topîrceanu mettent souvent en jeu l’inférence.
La reconnaissance par le lecteur de l’intention informative globale du texte suffit
parfois pour rendre claires des relations qui ne sont pas explicitées dans le texte.
Certains linguistes restreignent encore plus le champ de leurs recherches. F. Corblin131
avance l’hypothèse que l’emploi des désignateurs dans les romans constitue l’un des traits
définitoires de l’écriture: ” la désignation, loin d’être un invariant, peut être un des points
sur lesquels deux écritures s’opposent diamétralement, et donc joue un rôle essentiel dans
ce qui est intuitivement perçu comme le «style» d’un écrivain” (1995:209).
Dans certains textes, il arrive qu’un type d’anaphorique (de désignateur) remplisse le
même rôle toutes les fois qu’il est utilisé (cf. D. Apothéloz, 1995:319).
A l’avis de M.J. Reichler-Béguelin et alii (1988), l’utilisation des anaphoriques exige
de l’encodeur une aptitude tantôt à maintenir, dans la mémoire discursive, un thème
privilégié comme contrôleur des anaphores, tantôt à changer de thème, sans négliger les
possibles interférences des divers facteurs sémantiques. En expliquant le fonctionnement des
pronoms en et y, N. Ruwet (1990) se pose même la question de l’influence de la
compétence linguistique de l’encodeur sur le discours132
: il part de l’idée que toute phrase
exprime une pensée qui suppose un sujet de conscience, et celui-ci peut être neutre par
rapport à la distinction entre émetteur et récepteur du message. En fait, c’est l’émetteur qui
131 À la suite de l’analyse de L’Éducation sentimentale et de Thérèse Raquin, F. Corblin affirme que le
premier de ces deux romans est un roman de la désignation rigide, tandis que le deuxième est un roman de
la désignation contingente. Dans le désignateur on voit un terme générique qui couvre l’ensemble formé par
les noms propres, les descriptions définies, les pronoms personnels. F. Corblin définit les désignateurs de la
façon suivante: “Nous appelons quelque chose un désignateur rigide si dans tous les mondes possibles il
désigne le même objet, et un désignateur non-rigide ou accidentel, si ce n’est pas le cas” (1995:198). Dans
la classe des désignateurs rigides sont inclus les noms propres et les pronoms personnels. Les groupes
nominaux définis sont des désignateurs non-rigides: ils peuvent être essentiels – “le chat” –, ou contingents
– “le peintre”. 132 Nous nous sentons obligée de mentionner ici l’article de I. Coteanu (1958) qui analyse le discours
indirect libre dans l’oeuvre de M. Sadoveanu, en faisant clairement, d’après nous, la relation entre la
127
présente une phrase comme appartenir à un certain sujet de conscience: il doit représenter
dans le langage “les multiples formes que prennent, dans la réalité vécue ou pensée, les
relations de soi à soi et de soi à autrui” (1990:72). N. Ruwet ose suggérer que même chez
les grands écrivains on pourrait apercevoir, à la suite d’une étude de corpus suffisamment
vaste, des degrés de compétence linguistique différents. Nous ajoutons que l’emploi des
anaphoriques (comme en et y) est l’un des lieux où cette compétence s’actualise de la
manière la plus évidente. M. J. Reichler-Béguelin (1988:29) observe que les licences
d’écrivains et les fautes d’élèves semblent obéir aux mêmes mécanismes d’encodage et que
le crédit dont bénéficie le scripteur rend certains énoncés plus acceptables que d’autres.
Il est encore plus évident que la compétence linguistique des traducteurs, ou tout
simplement leurs préférences et leurs habitudes langagières ont une influence considérable
sur le transcodage des expressions référentielles en général et des anaphoriques / des
cataphoriques en particulier.
III.1.4. Sur la polyphonie
Les mots de N. Ruwet que nous avons cités ci-dessus nous rappellent qu’il faut
nécessairement aborder un concept que nous considérons particulièrement important pour la
justification de l’emploi de maintes expressions endophoriques dans divers textes. Il s’agit
du concept de polyphonie, qui a été tout d’abord utilisé pour l’interprétation de la
littérature romanesque. G. Genette (1972:252) affirme que l’emploi d’une certaine personne
grammaticale dans un récit est la conséquence mécanique d’un choix entre les différentes
attitudes narratives. Selon que le narrateur utilise ou pas la première personne et, au cas où
il l’utilise, selon qu’il le fait en tant que simple narrateur ou en tant que personnage de
l’histoire, G. Genette fait la distinction entre les récits hétérodiégétique, homodiégétique et
autodiégétique. Le théoricien note que la relation du narrateur à l’histoire est invariable en
principe; en d’autres mots un récit reste hétérodiégétique ou homodiégétique d’un bout à
l’autre. Si le narrateur qui se désigne au début du récit par je passe tout d’un coup à la
troisième personne pour se désigner lui-même, ce passage est perçu comme un écart à la
norme narrative. G. Genette ajoute quand même que “le roman contemporain a franchi
cette limite comme bien d’autres, et n’hésite pas à établir entre narrateur et personnage(s)
compétence linguistique de l’écrivain et le maniement des formes qui témoignent de la présence de
plusieurs voix dans ses textes.
128
une relation variable ou flottante, vertige pronominal accordé à une logique plus libre et
à une idée plus complexe de la «personnalité». Les formes les plus poussées de cette
émancipation ne sont peut-être pas les plus perceptibles, du fait que les attributs
classiques du personnage – nom propre, «caractère physique et moral» – y ont disparu et
avec eux les points de repère de la circulation grammaticale ” (1972:254). G. Genette
insiste qu’on fasse la distinction entre la voix (qui parle?) et le mode ou le point de vue (qui
voit?). Il propose le terme de focalisation pour désigner la perspective narrative, autrement
dit le point de vue dont on présente les événements racontés. Le concept de focalisation
permet l’établissement d’une typologie des récits à trois termes: récits à focalisation zéro
(où le narrateur est omniscient, il sait et dit plus qu’aucun des personnages), récits à
focalisation interne (le narrateur ne dit que ce que sait un certain personnage) et récits à
focalisation externe ou récits objectifs (le narrateur présente seulement ce qu’on pourrait
voir du dehors, il n’entre jamais dans les pensées ou les sentiments des personnages). Les
récits à focalisation interne sont classifiés à leur tour en récits à focalisation interne fixe (on
garde le point de vue du même personnage du début jusqu’à la fin du récit), récits à
focalisation interne variable (on choisit différents points de vue pour les différentes parties
du récit) et récits à focalisation interne multiple (les mêmes événements sont présentés de
plusieurs points de vue). G. Genette constate que la formule de focalisation133
n’est pas
nécessairement la même dans toute une oeuvre littéraire, elle porte plutôt sur un segment
narratif déterminé “qui peut être fort bref” (1972:208). En plus, la distinction entre les
différents points de vue n’est pas toujours très nette. L’emploi des temps verbaux s’avère
essentielle dans les changements de focalisation134
. D’ailleurs, le fonctionnement de certains
temps est expliqué justement par l’intermédiaire de ce concept135
.
O. Ducrot (1984) utilise les acquis de la narratologie, mais renouvelle de manière
fondamentale le concept de polyphonie, en refusant le postulat selon lequel un énoncé isolé
fait forcément entendre une seule voix. Le linguiste avoue attacher son étude à la
pragmatique sémantique (ou linguistique), domaine qu’il définit comme l’ensemble des
recherches qui concernent l’action humaine accomplie au moyen du langage en indiquant
133 G. Genette analyse les changements de focalisation dans À la recherche du temps perdu et affirme que la
pratique narrative de Proust, qui joue sur trois modes de focalisation, comme si l’identité entre un narrateur
omniscient et un narrateur tout simplement autobiographe était permise, ne défie pas seulement les
conditions de l’illusion réaliste: “elle transgresse une «loi de l’esprit» qui veut que l’on ne puisse être à la
fois dedans et dehors.” (1972:223) 134 Voir, par exemple, A. Judge (1998). 135 Voir, par exemple, L. Tasmowski-De Ryck (1998:185).
129
ses conditions et sa portée. La distinction entre la phrase et l’énoncé et celle entre le sens et
la signification constituent la base de la construction théorique du concept de polyphonie.
La phrase est un objet abstrait, construit par le linguiste, qui permet de rendre compte de
l’infinité d’énoncés. O. Ducrot souligne le fait que la différence entre la phrase et l’énoncé
n’est pas une différence empirique, mais une différence de statut méthodologique, qui est
donc relative au point de vue de la recherche. Un énoncé se caractérise par une autonomie
relative, ce qui signifie, de façon paradoxale, qu’il satisfait simultanément à deux conditions:
de cohésion et d’indépendance. D’après Ducrot, “il y a cohésion dans un segment si aucun
de ses constituants n’est choisi pour lui-même, c’est-à-dire si le choix de chaque
constituant est déterminé par le choix de l’ensemble” (1984:175). L’indépendance d’une
unité suppose que son choix ne soit pas commandé par le choix d’un ensemble plus vaste
dont elle fait partie. Selon Ducrot, tout énoncé porte en soi la qualification de son
énonciation, qualification qui constitue le sens de l’énoncé. Le terme d’énonciation est pris
dans l’acception d’événement constitué par l’apparition d’un énoncé. Le sens caractérise
sémantiquement l’énoncé, tandis que la signification appartient à la phrase. O. Ducrot
(1984:181) insiste sur le fait que le sens n’est pas conçu comme l’addition de la signification
et de quelque chose d’autre: la signification est un ensemble d’instructions données aux
personnes qui ont à interpréter les énoncés de la phrase, instructions précisant quelles
manoeuvres accomplir pour associer un sens à ces énoncés. Le sens est envisagé comme
une description de l’énonciation. En d’autres mots, le sujet parlant qualifie l’énonciation par
l’intermédiaire de son énoncé. Le sens comprend donc des indications concernant les
sources de l’énonciation. Admettre une conception polyphonique du sens signifie admettre
l’existence de plusieurs sources de l’énonciation, c’est-à-dire la superposition de plusieurs
voix.
À partir des distinctions phrase / énoncé, sens / signification, Ducrot formule d’autres
distinctions (très utiles pour notre démarche): producteur de l’énoncé / locuteur, locuteur
en tant que tel / locuteur en tant qu’être du monde, locuteur / énonciateur. Le
producteur de l’énoncé est son auteur empirique, le sujet parlant effectif. Il n’entre pas dans
le sens de l’énoncé tel que celui-ci est défini par O. Ducrot, par conséquent on le laisse de
côté. Le locuteur, désigné par je et les autres marques de la première personne, est celui qui
est considéré comme le responsable de l’énoncé, et comme tel, il est inclus dans le sens
même de l’énoncé. Le locuteur est une fiction discursive qui ne coïncide pas nécessairement
avec le producteur empirique de l’énoncé. O. Ducrot signale le fait que certains énoncés
130
(par exemple les énoncés appelés «historiques» par E. Benveniste) n’apparaissent pas
comme le produit d’une subjectivité individuelle. Dans ce cas, on affirme tout simplement
que le sens de l’énoncé ne comprend aucune mention sur la source de l’énonciation.
À l’intérieur même de la notion de locuteur, O. Ducrot distingue le locuteur en tant
que tel [L] du locuteur en tant qu’être du monde [λ]136
. Le seul “trait pertinent” du locuteur
en tant que tel est qu’il assume l’énonciation. Le locuteur en tant qu’être du monde est
envisagé comme une personne complète, ayant parmi d’autres propriétés celle d’être
l’origine de l’énoncé.
O. Ducrot observe qu’il y a beaucoup de situations où les points de vue exprimés dans
le discours ne peuvent pas être imputés au locuteur. Le linguiste introduit le concept
d’énonciateurs pour dénommer “ces êtres qui sont censés s’exprimer à travers
l’énonciation, sans que pour autant on leur attribue des mots précis; s’ils «parlent», c’est
seulement dans ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur
position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles” (1984:204).
O. Ducrot rapproche sa théorie de celle de G. Genette: l’énonciateur de O. Ducrot rappelle
le “centre de perspective” (celui qui voit) de G. Genette.
La thèse de la polyphonie appliquée à l’explication des énoncés à polarité négative et
de l’ironie mène O. Ducrot à quelques conclusions qui nous semblent particulièrement
importantes pour notre étude. Tout d’abord, les expressions de la négation sont interprétées
comme la manifestation d’une tendance assez générale qui donne pour fonction à certaines
expressions de marquer un point de vue dont on signale en même temps que ce n’est pas
celui du locuteur. Nous avons constaté que certains marqueurs référentiels peuvent
également remplir cette fonction que O. Ducrot attribue aux énoncés négatifs.
Afin de surmonter les difficultés liées à l’analyse de l’énoncé négatif ironique, O.
Ducrot construit une hypothèse conformément à laquelle les énonciateurs ne se situent pas
tous au même niveau. Le locuteur fait de son énonciation une sorte de représentation
théâtrale, où la parole est donnée à différents personnages, les énonciateurs, qui peuvent se
subordonner les uns aux autres.137
136 La distinction locuteur en tant que tel / locuteur en tant qu’être du monde permet à O. Ducrot, par
exemple, l’explication de la différence entre l’expression des sentiments par l’emploi d’une interjection
(sentiments attribués dans ce cas au locuteur en tant que tel) ou par l’emploi d’un énoncé déclaratif
(sentiments attribués dans ce cas au locuteur en tant qu’être du monde). 137 Le risque de cette hypothèse, formulée par O. Ducrot, réside dans le fait que l’énonciateur s’approche
dangereusement du locuteur. Son avantage est que tout “contenu” présenté dans un discours pourrait être
considéré comme réfléchissant les points de vue d’énonciateurs de degré inférieur: alors, “les «choses» dont
131
Pour J.P. Bronckart (1996), la polyphonie est essentielle dans la construction d’un
texte. J.P. Bronckart considère que l’organisation du texte se réalise de manière
hiérarchique par la superposition de trois couches: l’infrastructure générale du texte, les
mécanismes de textualisation (de connexion, de cohésion nominale et de cohésion verbale)
et les mécanismes de prise en charge énonciative. Si les mécanismes de textualisation (les
anaphores par exemple) assurent la cohérence thématique du texte, les mécanismes de prise
en charge énonciative participent à la réalisation de la cohérence pragmatique. D’après J. P.
Bronckart (2001:131,325), les instances responsables de ce qui est dit dans le texte, ou les
voix, peuvent être regroupées en trois sous-ensembles: la voix de l’auteur empirique, les
voix sociales (c’est-à-dire les voix des institutions ou des hommes extérieurs au contenu du
texte) et les voix des personnages. Ces voix peuvent être implicites, inférées donc de la
lecture du texte, ou explicites, donc facilement repérables au moyen de certaines formes
pronominales ou de syntagmes nominaux ou, encore, au moyen d’autres segments
linguistiques.
Le point de vue est défini par A. Reboul et J. Moeschler (1998) comme “la différence
entre les informations accessibles à un moment donné à un individu A et les informations
accessibles au même moment à un autre individu B sur un même objet (1998:199)”. La
possibilité qu’a un locuteur de présenter les points de vue des divers énonciateurs est
expliquée par A. Reboul et J. Moeschler par la stratégie de l’interprète, qui signifie la
possibilité d’attribuer des croyances à autrui. Le choix d’une expression référentielle pour
un objet dépend des informations que le locuteur (et pourquoi pas l’énonciateur) est
supposé avoir sur l’objet respectif. En considérant que le domaine de référence inclut les
représentations mentales accessibles à un moment donné, mais aussi les informations par
lesquelles on a accès à ces représentations mentales, A. Reboul et J. Moeschler (1998:200)
lancent l’idée “plus sophistiquée” de plusieurs domaines de référence pour la même
expression référentielle dont l’activation dépend de l’individu qui parle.
D’après C. Vlad (1994, 2000), l’un des traits fondamentaux de n’importe quel texte
est le caractère réticulaire, à savoir la matérialisation simultanée de divers réseaux138
ayant
semble parler le discours sont elles-mêmes la cristallisation d’un discours sur d’autres choses, résolubles à
leur tour en d’autres discours” (O. Ducrot, 1984:224). 138 Les réseaux pris en considération sont: le réseau grammatical (la configuration syntactico-logique du
texte), le réseau actantiel (la configuration sémantactique), le réseau référentiel (la configuration
représentationnelle), le réseau thématique (la configuration informationnelle), le réseau illocutoire (la
configuration actionnelle), le réseau argumentatif (la configuration dialectique), le réseau spatio-temporel
(la configuration chronotopique du texte), le réseau événementiel (la configuration narrative), le réseau
132
des fonctions différentes, réseaux parmi lesquels est inclus le réseau communicatif qui
signifie la configuration vocalique polyphonique du texte et sans lequel on ne peut pas
concevoir l’articulation du sens textuel. La concrétisation la plus visible de ce réseau se
réalise par les formes de la première et de la deuxième personne. Mais l’expression de
plusieurs voix dans un texte est aussi le résultat de l’emploi d’autres expressions et
constructions dont la perception et la compréhension requièrent de l’interlocuteur (le
lecteur) et de l’analyste une compétence herméneutique particulière. L’absence fréquente de
marques formelles explicites de la polyphonie oblige le destinataire à faire des efforts
d’interprétation qui lui permettent d’identifier les énonciateurs potentiels cachés dans le
texte. Du point de vue des stratégies utilisées par le locuteur pour préciser ou suggérer qui
assume l’instance énonciative, C. Vlad distingue trois moyens d’élaboration de la
polyphonie textuelle-discursive: la multiplication des instances énonciatives, le
dédoublement de l’instance énonciative et la dissimulation de l’instance énonciative.
La multiplication des instances énonciatives ou des locuteurs textuels se fait toutes les
fois qu’une forme de la première personne est utilisée pour renvoyer à un nouveau référent
et le discours direct constitue le témoignage incontestable de la possibilité d’introduire dans
un texte autant de voix qu’on désire.
Le dédoublement de l’instance énonciative concerne la situation où le locuteur textuel
joue deux rôles narratifs distincts, dans deux événements décalés dans le temps. C. Vlad
donne comme exemple la première phrase de Hanu Ancuţei: “Într-o toamnă aurie am auzit
multe poveşti la Hanu Ancuţei”, où la première personne renvoie en même temps au
narrateur absolu qui assume le récit dans son entier et à un énonciateur-témoin qui a
participé au même degré que les autres témoins à l’événement communicatif qui a généré les
neuf histoires qui composent le livre.
Le discours ironique met en évidence un aspect particulier de la stratégie de
dédoublement: la possibilité du locuteur de présenter son énonciation comme expression du
point de vue d’un énonciateur E par rapport auquel il prend ses distances.
La stratégie de la dissimulation est définie par C. Vlad comme la mise à distance d’un
énonciateur E par le locuteur L, locuteur “care îşi ascunde faţă de interlocutorul (textual)
identitatea culturală, sub masca unui model discursiv narativ sau dialogic, acceptat la un
sémique (la configuration isotopique), le réseau des figures (la configuration tropique), le réseau modal (la
configuration attitudinale), le réseau intonatif-mélodique, le réseau phonémique-graphémique, le réseau
intersystémique du sens (les relations entre les divers systèmes de signes).
133
moment dat în cadrul unei anumite episteme”139
(2000:102).
Vu que les moyens d’expression de la polyphonie sont très nombreux, il n’est pas
étonnant de trouver des explications de ce terme dans des ouvrages des plus divers, se
rattachant à des thèmes et des domaines des plus variés. Ces moyens d’expression sont aussi
assez subtils, difficilement repérables, requérant de la part de l’interlocuteur une certaine
expérience de la lecture ou, au moins, de l’intuition linguistique. Malgré le flou qui entoure
encore le concept de polyphonie, nous osons affirmer que les endophoriques contribuent
parfois à l’expression de plusieurs voix, même à l’intérieur du même énoncé.
III.2. Fonctions textuelles, référentielles et discursives
L’anaphore et la cataphore ont un rôle à jouer autant au niveau du texte qu’au niveau
du discours. Pour souligner la place importante que les expressions anaphoriques et
cataphoriques se voient assigner dans la dynamique textuelle et discursive, on utilise le
terme d’opérateur et on postule que tout endophorique est simultanément un opérateur
textuel, un opérateur référentiel et un opérateur discursif. Ce sont les trois fonctions
générales, pour la définition desquelles on ne tient pas compte du type d’expression
(syntagme nominal à déterminant défini, syntagme nominal à déterminant démonstratif,
pronom, adverbe) ou du type de discours (argumentatif, descriptif, narratif, etc).
Dire qu’une expression endophorique est un opérateur textuel signifie qu’elle assure
la cohésion du texte et qu’elle participe à l’organisation de celui-ci.
On fait une distinction méthodologique entre la fonction d’opérateur référentiel et la
fonction d’opérateur discursif, bien que les deux soient remplies dans le discours.
L’opérateur référentiel aide à la construction de l’univers du discours, par l’identification, la
caractérisation, la reclassification des référents. En utilisant le syntagme «opérateur
discursif», nous voulons mettre en évidence la capacité des expressions endophoriques de
signaler un point de vue, d’exprimer la subjectivité de l’émetteur, de produire certains effets
sur le récepteur.
Notre démarche présente le risque de surcharger d’attributions les anaphores et les
cataphores, vu qu’il est compliqué de délimiter clairement le rôle des endophoriques du rôle
139 “qui cache à son interlocuteur textuel son identité culturellle sous le masque d’un modèle discursif
narratif ou dialogique accepté à un moment donné dans le cadre d’une épistémè”.
134
de la phrase-hôte ou, en général, du cotexte.
Chaque fonction générale se manifeste par des fonctions spécifiques. Qu’une
expression anaphorique marque la continuité dans un texte ou qu’elle rompe cette
continuité, dans les deux cas cela veut dire qu’elle remplit sa fonction textuelle. Les
différences entre l’anaphore et la cataphore se situent d’ailleurs au niveau des fonctions
spécifiques. Dans certains emplois des expressions endophoriques, il arrive qu’une fonction
générale prévale sur les deux autres.
Pour illustrer les quelques observations qu’on a faites jusqu’ici, essayons d’expliciter
les fonctions du syntagme nominal démonstratif souligné dans le texte suivant:
“Il suit la file derrière les autres, il pénètre dans la baraque, plus grande que l’on ne
croirait. C’est une pièce peinte en blanc, avec sur trois côtés des gravures scientifiques,
joliment encadrées de bois sombre, qui représentent des baleines, des phoques, des
narvals munis de leur corne légendaire (qui donna naissance à la légende de la licorne)
et toutes sortes de représentations, proues de bateau, gravures anciennes, photographies
d’oeuvres d’art, de la sirène, monstre ambigu, perfide séductrice d’Ulysse, douce victime
d’Andersen.
Il est évident que par ce petit musée récapitulatif, on a essayé de donner de la dignité à
ce pauvre spectacle” (COA:15).
Du point de vue textuel, non seulement le syntagme “ce petit musée récapitulatif”
contribue à assurer la continuité, en liant la phrase qui le comprend à la phrase précédente,
mais il marque aussi la fin de la description. Du point de vue référentiel, l’expression
anaphorique “ce petit musée récapitulatif” définit un nouveau référent, en réalisant le
passage parties-tout. Quant au rôle discursif du syntagme souligné, on apprécie qu’il s’agit
dans ce cas de la mise en évidence de l’expression du point de vue du personnage,
impression renforcée par la présence d’un autre anaphorique axiologique: “ce pauvre
spectacle”.
III.2.1. Fonctions textuelles
Tout texte est une suite de séquences hiérarchisées du même type ou, le plus souvent,
de type différent: certains textes sont constitués de plusieurs descriptions successives; dans
d’autres, les narrations, les descriptions, les argumentations sont savamment imbriquées.
Chaque séquence continue la séquence précédente: il doit y avoir de l’équilibre entre les
135
informations qui se répètent d’une séquence à l’autre et qui, par leur répétition, assurent la
continuité du texte et les nouvelles informations, celles qui permettent au texte d’avancer.
Selon la répartition des nouvelles informations par rapport à celles récurrentes, on est
autorisé à parler de schéma à thème linéaire (chaque information nouvelle dans une phrase
devient récurrente dans la phrase suivante), schéma à thème constant (à partir de la même
information, stable dans plusieurs phrases successives, on donne de nouvelles informations,
différentes d’une phrase à l’autre), ou schéma à thème éclaté (toutes les informations sont
nouvelles, mais s’attachent au même domaine).
Il y a donc au moins deux coordonnées qui déterminent l’organisation du texte:
l’agencement des types de discours (narratifs, descriptifs, etc.) et la distribution de
l’information.
On considère que les expressions endophoriques ont un rôle à jouer autant dans
l’articulation des séquences de type différent - et on parle dans ce cas de fonctions de
balisage (ou de démarcation) - que dans la structuration de l’information - et on groupe
sous le nom de fonctions de connexion la fonction d’assurer la continuité et la fonction
d’assurer la progression d’un texte.
III.2.1.1. Les fonctions démarcatives ou de balisage sont remplies surtout par les
syntagmes nominaux à déterminants démonstratifs. Ce sont en effet les expressions qui
marquent le plus souvent la frontière initiale ou terminale de séquences de texte présentant
une certaine homogénéité sémantique ou pragmatique. On remarque qu’il s’agit
d’anaphores (plus rarement cataphores) résomptives, et, à notre avis, c’est grâce à leur
capacité de résumer que les syntagmes démonstratifs sont employés pour clore une
séquence et passer à une autre. Les expressions soulignées dans le texte suivant mettent en
relief les idées principales, en guidant le lecteur dans ses efforts d’interprétation: une
certaine façon d’agir fait naître un reproche qui provoque une explication:
“Préface
Beaucoup de personnes, lesquelles feraient d’ailleurs mieux de se mêler de leurs propres
affaires, m’ont souvent objecté:
– Monsieur, vous donnez à vos ouvrages des titres qui n’ont aucun rapport avec la
matière qui constitue ce livre, comme par exemple On n’est pas des boeufs, Le Parapluie
de l’Escouade ou Amours, délices et orgues. Cette façon d’agir n’est point l’indice d’une
mentalité sérieuse.
A la longue, ce reproche me piquait au vif et bientôt je m’efforçais à ne plus l’encourir.
136
Je n’y suis qu’à mi parvenu; pourtant il y a du progrès, jugez plutôt.
J’ai intitulé ce livre Pour cause de fin de bail, non pas qu’il soit question de rien qui
effleure ce sujet, mais simplement parce que je vais déménager au terme d’avril
prochain.
Je devais cette explication au lecteur, je la lui ai donnée.
Nous sommes quittes.
L’Auteur “ (AA:49)
Évidemment, la charge lexicale des noms contenus dans les expressions anaphoriques
soulignées ci-dessus contribuent à leur interprétation. Le syntagme cette façon d’agir
résume et clôt un fragment narratif, qu’on attribue à un personnage. Le même fragment est
ensuite désigné par le narrateur au niveau métadiscursif, comme un acte de langage – ce
reproche – qui provoque une réaction prompte de sa part, c’est-à-dire des commentaires et
des actions accomplies. Le dernier anaphorique – cette explication – met le point final à la
lettre, en la définissant et en précisant à la fois son but argumentatif.
Les endophoriques métalinguistiques remplissent souvent une fonction de balisage,
aussi bien en français qu’en roumain:
“À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture
française de la côte algérienne. […] La cité elle-même, on doit l’avouer, est laide. […]
Ce qui est plus original dans notre ville est la difficulté qu’on peut y trouver à mourir
[…]. (cinq paragraphes)
Ces quelques indications donnent peut-être une idée suffisante de notre cité.”(P:11-13)
“La prima vedere, Oranul este, într-adevăr, un oraş obişnuit şi nimic mai mult decât o
prefectură franceză de pe coasta algeriană. […] Oraşul ca atare, trebuie mărturisit, este
urât. […] Ceea ce e mai deosebit în oraşul nostru este dificultatea pe care o poţi
întâmpina aci când e să mori. […]
Aceste câteva indicaţii dau poate o idee suficientă despre oraşul nostru.”(P:25-27)
Les démonstratifs ne sont pas les seuls qui aient cette capacité. Les groupes nominaux
construits avec des variables de caractérisation peuvent très bien contribuer à l’organisation
textuelle:
“J’ai rêvé parfois d’élaborer un système de connaissance humaine basé sur l’érotique,
une théorie du contact, où le mystère et la dignité d’autrui consisteraient précisément à
offrir au Moi ce point d’appui d’un autre monde. La volupté serait, dans cette
philosophie, une forme plus complète, mais aussi plus spécialisée, de cette approche de
l’autre, une technique de plus mise au service de la connaissance de ce qui n’est pas
137
nous. […]
De telles vues sur l’amour pourraient mener à une carrière de séducteur.” (MA:23)
“Pe vremuri visam să întocmesc un sistem al cunoaşterii omului întemeiat pe erotică, o
teorie a contactului în care misterul şi demnitatea celuilalt ar constitui pentru eul meu
tocmai punctul de sprijin al unei alte lumi. In cadrul acestei filosofii, voluptatea ar fi o
formă mai completă dar şi mai specializată în ceea ce priveşte apropierea de Altul, încă
o tehnică pusă în slujba cunoaşterii a ceea ce nu suntem noi, cei pururi zăvorâţi în sine.
[…]
Atare păreri despre dragoste m-ar fi putut duce către o carieră de seducător.” (MA:12)
Dans le texte suivant, où un cataphorique commence le récit du personnage et un
anaphorique lui met fin, la fonction démarcative des expressions endophoriques est encore
plus évidente que dans les citations précédentes:
“– Ce este, domnule? […]
– Nu-i decât atât, că la Săbăoani în sat, venind slujitorii Domniei pentru strângerea
dărilor, au fost împresuraţi şi loviţi de ostaşi nemţi. Cei care au scăpat au strigat ş-au
chemat de la ţinutul Cârligăturii şi de la scaunul Domniei ajutor. Venind steagul de
răzeşi, care e de rând la slujba domnească, a pus stăpânire pe sat. Dar şi nemţilor le-a
căzut ajutor de la margine; ş-a fost acolo învăluire şi bătaie. Aşa că ungurii din sat au
pus mâna pe ce-au avut şi unii stau să-şi apere ce-i al lor, iar alţii, lepădând tot, vor să
fugă ca să-şi scape vieţile… Asta-i.
– Cum? Au pătruns nemţii până la Săbăoani?” (ZC:220)
“– Qu’y a-t-il donc, Monseigneur? […]
– Rien d’autre que ceci: les collecteurs au service du Prince s’étant rendus dans le
village de Săbăoani pour y recouvrer les impôts ont été bloqués là et assaillis par des
mercenaires allemands. Ceux qui en ont réchappé ont sollicité secours au district de
Cârligătura et jusqu’au palais. L’escadron de razechi de service à la cour a accouru et
s’est emparé du village. Mais les Allemands eux aussi ont reçu des renforts, venus des
confins. De sorte qu’il a fallu en découdre et le sang a coulé. Ceci étant, les Hongrois du
village ont empoigné ce qui leur est tombé sous la main et certains sont décidés à
défendre chèrement leur bien, cependant que d’autres préfèrent laisser tout à l’abandon
et s’enfuir dans l’espoir d’en réchapper… Voilà ce qui en est.
– Qu’est-ce à dire? Les Allemands ont pénétré jusqu’à Săbăoani?” (ZC:31)
Les différences entre le comportement de tel et celui des démonstratifs se situent, à
l’avis de M. Van Peteghem, au niveau de la distribution de l’information: “Dans tous les
cas, tel renvoie à un passage qui a été focalisé dans le contexte précédent, mais qui n’est
138
pas encore thématisé et qui continue à être focalisé dans la copulative. Il nous semble que
c’est ainsi que tel s’oppose à ce, qui, lui, ne peut s’utiliser que lorsque l’antécédent est
clairement thématisé et que le prédicat apporte une information véritablement nouvelle.
Tel, tout en étant un anaphorique, semble donc en quelque sorte renverser la structure
informative de la copulative: malgré sa position initiale, il focalise l’information déjà
donnée, non encore thématisée, pour lui appliquer un prédicat donné, qui constitue plutôt
un résumé, ce qu’il fait qu’il s’utilise le plus souvent pour boucler une description ou un
développement annoncé” (1995:75).
III.2.1.2. Les fonctions de connexion reflètent la relation évidente entre le type de
schéma qui constitue la colonne vertébrale du texte et le type d’expressions endophoriques.
Pour construire des schémas à thème constant, on utilise fréquemment les pronoms
personnels. Les syntagmes définis et les syntagmes démonstratifs servent les schémas à
thème linéaire. Quant aux schémas à thème éclaté, c’est l’anaphore associative qui y
apparaît le plus souvent. En fait, c’est la distribution des expressions endophoriques dans le
texte qui décide de la structure informative de celui-ci.
Sans doute, l’accord en genre et en nombre entre les expressions endophoriques et
l’antécédent ou le subséquent et les relations lexicales entre ces éléments, facilitent la
réalisation de la continuité et de la progression.
III.2.2. Fonctions référentielles
Les expressions endophoriques sont des éléments de base pour l’architecture de
l’univers référentiel. M. Maillard (1974) fait la différence entre les anaphoriques à valeur
constante (ceux qui n’apportent aucune nouvelle information sur un référent déjà introduit
dans le discours) et les anaphoriques à valeur variable (ou additionnelle) qui non seulement
réactualisent un référent, mais disent quelque chose de nouveau de ce référent. Cette
distinction de M. Maillard anticipe l’observation la plus importante qu’il faut faire: c’est que
les endophoriques sont le plus souvent les indicateurs des opérations subies par les
représentations mentales des référents au fur et à mesure de l’avancement du discours. En
fait, les anaphoriques sont en même temps des opérateurs qui contribuent, à côté des autres
éléments du cotexte, à la modification, le groupement et l’extraction des représentations
mentales. Les cataphoriques, eux, créent une représentation mentale d’un référent qui ne
sera pleinement identifié qu’au moment de l’occurrence du subséquent. Nous pensons que
même les pronoms personnels qui n’apportent pas d’information supplémentaire sur la
139
nature du référent peuvent être considérés comme des opérateurs référentiels parce que leur
acharnement à (ou lassitude de) repérer le même référent est un indice de la saillance
cognitive de celui-ci, en d’autres mots de son importance dans la hiérarchie intrinsèque de
tout univers référentiel.
III.2.2.1. La fonction d’identification est remplie par les expressions endophoriques
à la suite d’“une sorte de coup de force présuppositionnelle” (M.J. Reichler-Béguelin,
1988:26). Dans la phrase suivante, le syntagme nominal défini “ce temple” identifie le
référent introduit dans le discours par le nom propre “Olympéion”:
“La première de ces assemblées coïncida avec l’ouverture de l’Olympéion au culte
public; ce temple devenait plus que jamais le symbole d’une Grèce rénovée.” (MA:243)
“Prima din aceste adunări a coincis cu deschiderea Olimpeionului cultului public;
templul devenea mai mult decât oricând simbolul unei Grecii reînnoite.” (MA:172)
On voit que le cotexte a un rôle essentiel dans le rapprochement des deux syntagmes
soulignés.
III.2.2.2. La fonction de reclassification met en évidence la capacité des expressions
endophoriques d’apporter des précisions en ce qui concerne la classe ou la catégorie des
référents. Nous avons déjà présenté la théorie conformément à laquelle les syntagmes
nominaux à déterminant défini opèrent par contraste sur un ensemble de domaines lexicaux
et, par conséquent, ils fonctionnent comme identifieurs, tandis que les syntagmes nominaux
à démonstratifs opèrent par contraste à l’intérieur d’un même domaine et aussi peuvent-ils
fonctionner comme reclassifieurs. La différence apparaît clairement dans le texte suivant:
“Décor d’un couple; Ludo a fait, du reste, son autoportrait avec sa femme. La toile orne
la salle à manger, servant discrètement d’enseigne. Elle proclame à la fois le bonheur
domestique du peintre et sa capacité à en restituer l’image, voire à la créer.[...] Décrire
ce tableau équivaudrait à décrire une toile du XIXe avec un peu moins d’attendrissement
niais, une toile du XVIIIe, avec un peu plus de précision dans le trait.” (COA:18)
III.2.2.3. La fonction de définition des expressions anaphoriques et cataphoriques
peut être illustrée par plusieurs situations:
a) Le référent qui doit être défini est constitué de plusieurs éléments introduits dans
le discours par des syntagmes nominaux: par l’expression endophorique on fait la transition
parties-tout:
“C’est une débauche de meubles français, sauvagement rassemblés comme par les
hasards d’un pillage. Il y a un buffet en chêne tout neuf, une commode en noyer, une
140
armoire à glace, un piano droit. Il y a aussi un lit – et quel! –, un lit de cuivre pour trois
personnes au moins, solide, élastique, cossu et renflé sous un édredon américain en satin
rose. Par la porte entrouverte, dans la pièce voisine, j’aperçois un autre lit, non moins
vaste, non moins douillet, flanqué d’un troisième lit pareil aux deux premiers.
J’inventorie, découragée, cet intérieur «tunisien»”. (CMM:119)
“E o revărsare de mobile franţuzeşti, adunate într-o sălbatică dezordine, ca de pe urma
unui jaf. Un bufet de stejar nou-nouţ, o comodă din lemn de nuc, o vitrină, o pianină.
Mai e şi un pat – dar ce pat! – un pat din bronz pentru cel puţin trei persoane, solid,
elastic, înalt şi umflat sub o plapumă americană din satin roz. Prin crăpătura uşii,
zăresc în camera vecină un alt pat, nu mai puţin întins, nu mai puţin molcuţ, lângă care
un altul, asemănător primelor două. Inventariez, descurajată, acest interior
«tunisian».” (notre traduction)
b) L’expression endophorique est en fait une nominalisation: la définition du référent
est possible grâce à une ou à plusieurs prédications antérieures:
“Nous connaissons encore assez mal la configuration de la terre. À cette ignorance, je
ne comprends pas qu’on se résigne.” (MA:59)
“Nu cunoaştem încă destul de bine configuraţia pământului. În faţa acestei ignoranţe,
resemnarea îmi pare de neînţeles.” (MA:37)
“Nadine et Stépha ont subi le supplice des bigoudis en caoutchouc fixés bien près de la
tête, imprégnés de bière et défaits au dernier moment, juste avant qu’on n’engonce leurs
corps de petites filles dans l’organdi traditionnel. Ces préliminaires annoncent
évidemment qu’on ne s’amusera pas.” (TCV:119)
“Nadine şi Stépha au suportat supliciul bigudiurilor de cauciuc strâns lipite de cap,
înmuiate în bere şi desfăcute în ultimul moment, chiar înainte de a li se încorseta
trupurile de fetiţe în organdiul tradiţional. Aceste preliminarii sunt un semn evident că
nu va fi nimic amuzant.” (notre traduction)
On remarque aisément que, tout en délimitant un nouveau référent, les syntagmes
soulignés remplissent leurs fonctions textuelles, en résumant les séquences antérieures, en
apportant de nouvelles informations. Il n’est pas étonnant que S. Stati (1990:158) désigne
ce genre de syntagmes nominaux par le terme «thématiseurs», en faisant la différence entre
les thématiseurs redondants (qui ne constituent qu’un pivot syntaxique) et les thématiseurs
informatifs (qui introduisent de nouvelles informations).
Les expressions cataphoriques peuvent elles aussi définir des référents, mais en ce cas
la dénomination précède l’explication, comme dans l’exemple suivant:
141
“Jacques, sans le vouloir, effleura la vérité d’assez près en évoquant ce souvenir: quand
Alphonse, adolescent, avait connu cette crise de croissance qui en faisait, aux yeux de la
famille, presque un géant, son père, en plaisantant, lui avait dit: «Ne fais plus trop de
bêtises! Je ne vais plus pouvoir te gronder qu’assis.»” (MCF:230)
c) On signale comme une situation particulière le cas où les référents concernent le
métalangage (les anaphores et cataphores autonymiques):
“Elle eut ces mots malheureux, qui au milieu de sa souffrance marquèrent Marianne
comme un feu rouge:
– On dirait qu’il ne veut pas naître!” (TCV:117)
“– Ca s’appellerait:«L’Année des merveilles». Ce serait...
– Je déteste ce titre.” (TCV:268)
“C’est-à-dire que lorsqu’il a bu, il répète toujours cette phrase, en apparence innocente:
– Ce qu’il me faudrait, c’est vingt mille francs. Pour aller dans le Midi, prendre le soleil
et peut-être, qui sait? changer de métier ...” (JEA:155)
Cette procédure de transformer en référent un fragment du texte contribue au
renforcement de la cohésion textuelle, et permet au lecteur (auditeur) de s’orienter mieux
dans l’espace du texte. On inclut ici ce que D. Apothéloz appelle “la référence à la valeur
illocutoire d’une énonciation antérieure” (1995:289), ou, en d’autres termes, le cas où l’on
définit une entité du quatrième ordre:
“– Ce qu’il me faudrait, c’est vingt mille francs pour aller au soleil me reposer en
attendant de trouver un autre travail.
– Et croyez-vous, lui répond Mme Dodin, croyez-vous que ça vous donnerait l’air
aimable? Je savais pas que vous, vous pouviez vous tromper comme ça.
– Je ne suis pas de cet avis, dit Gaston.” (JEA:167)
“«En allez-vous de là, bon Dieu! Ils viennent, ils viennent!» [...] Une heure d’attente
nous a édifiés sur la valeur de cet avertissement, jeté en passant par des bicyclistes.”
(CMM:141)
III.2.2.4. Par la fonction de généralisation nous comprenons la capacité d’une
expression endophorique de référer à un objet générique ou à une classe générique à partir
d’un objet singulier. D. Apothéloz voit dans les tours comme ce genre de..., ce type de...,
cette sorte de... des opérateurs qui permettent de construire des objets génériques à partir
d’une référence spécifique, en problématisant en même temps la catégorisation lexicale de
l’objet140
:
140 Nous croyons que l’anaphore construite avec “acest gen de” est toujours inclusive en roumain, raison
142
Cet homme pourtant si fin m’a débité de vagues formules de réconfort, trop banales pour
tromper personne; il sait combien je hais ce genre d’imposture […].” (MA:12)
“Deşi foarte inteligent, omul acesta mi-a debitat vagi formule menite să mă mângâie,
prea banale însă pentru a mai amăgi pe cineva; ştie cât urăsc acest gen de impostură
[…]” (MA:3)
Tel est particulièrement apte à remplir cette fonction (cf. M. Van Peteghem,1995),
raison pour laquelle on le rencontre souvent dans les textes scientifiques, là où l’on doit
généraliser à partir des cas concrets, mais aussi dans les textes littéraires:
“Il se pencha encore un peu plus vers elle.
– Je ne veux pas travailler.
Devant de tels aveux, la maternité la troublait encore aussi fort que dans les premiers
temps de sa vie.” (JEA:61)
D’autres expressions endophoriques peuvent remplir la même fonction, par exemple
les syntagmes nominaux démonstratifs:
“Laure était devenue sombre, le dernier invité parti. Il fallait s’habituer à ces brusques
changements d’humeur, sans transition qui les justifiât.” (MCF:87)
Même les pronoms participent parfois à la généralisation:
“Peut-être aussi, à force de dire qu’elle serait malade, y avait-il des moments où elle ne
se rappelait plus que c’était un mensonge et prenait une âme de malade. Or ceux-ci […]
aiment se laisser aller à croire qu’ils pourraient faire impunément tout ce qui leur plaît
[…].” (RTP:34)
“Poate şi că, tot spunând că se va îmbolnăvi, ajunsese uneori să nu-şi mai amintească
de faptul că minte, şi căpătă un suflu de bolnav. Or, aceştia […] preferă nu o dată să
creadă că vor putea face tot ce le place […]. (RTPII:206)
III.2.2.5. La fonction d’expression de l’évolution concerne les cas où le rôle des
endophoriques est de préserver l’identité d’un référent en dépit de toutes les modifications,
majeures parfois, opérées sur ses représentations mentales. L’importance de cette fonction
se révèle dans le cas des référents évolutifs. Nous citons de nouveau l’exemple devenu
pour laquelle la traduction qui suit nous semble maladroite:
“Je dus faire à pied une douzaine de milles avant de rencontrer un paysan qui me vendit son cheval.
J’arrivai le soir même à Cologne, battant de quelques longueurs le courrier de mon beau-frère. Cette
espèce d’aventure eut du succès. J’en fus d’autant mieux reçu par l’armée.” (MA:61)
“A trebuit să fac pe jos douăsprezece mile înainte de a întâlni un ţăran care mi-a vândut un cal. În aceeaşi
seară ajung la Colonia cu puţin mai devreme decât curierul cumnatului meu. Acest gen de aventură a fost
încununată de succes. Am fost cu atât mai bine primit de armată.” (MA:38)
Nous nous trompons peut-être, mais la traduction par “acest soi de aventură ” nous aurait paru plus acceptable.
143
célèbre:
“Tuez un poulet bien vif et bien gras, préparez-le pour le four, coupez-le en quatre et
rôtissez-le pendant une heure”.
III.2.2.6. Tout paradoxal que cela peut paraître, les expressions endophoriques
peuvent référer à des référents indéfinissables, c’est-à-dire à des référents qui ne peuvent
être délimités et décrits que dans et par un certain contexte discursif: on parle dans ce cas de
fonction de nomination. Dans le texte suivant, ils désigne sans doute des gens, mais une
catégorie de gens qui peut être définie seulement par les prédications qui suivent le pronom.
“Georges s’en allait, redressant sa courte taille, peiné sans doute mais nullement
convaincu. Ils tenaient son frère. Ils, c’étaient ceux qui avaient emprisonné pour délit
d’opinion le père et le grand-père. Ceux qui, tout bien-pensants qu’ils étaient, avaient
blasphémé et hurlé à l’enterrement de Zoé, qui avaient refusé au père les places et les
honneurs mérités. Et, avec eux, Alphonse s’était allié. Non, pas vendu, jamais, mais
allié. Avec ceux-là qui aimaient le pouvoir pour lui-même, sans but et sans idéal, ceux-
là qui méprisent les patientes expériences des savants avant de les exploiter, enfin, les
autres, les ennemis des Nains Merveilleux, qui n’inventent rien, ne s’étonnent de rien, et
se décernent la Légion d’honneur les uns aux autres pour cela.” (MCF:230)
“George mergea, îndreptându-şi statura scundă, fără îndoială îngrijorat, dar deloc
convins. Îi ţineau fratele. Ei, cei care-i închiseseră tatăl şi bunicul pentru delict de
opinie. Ei, cei care, binevoitori cum păreau, proferaseră injurii şi urlaseră la
înmormântarea lui Zoe, ei care-i refuzaseră tatălui locurile şi onorurile meritate. Şi cu ei
se aliase Alphonse. Fără să se fi vândut, asta nu, dar aliat. Cu ăştia, care iubeau, de
fapt, puterea în sine, fără scop şi fără ideal, ăştia care dispreţuiau experienţele
îndelungate ale savanţilor înainte de a le pune în practică, în fine, ceilalţi, duşmanii
Piticilor Fantastici, care, fără a inventa vreodată ceva, fără a se mira nicicând de ceva,
îşi conferă, pentru toate acestea, unii altora, Legiunea de Onoare.” (traduction faite par
S. M. Ardeleanu)
Il est évident que le roumain préfère dans cette situation le démonstratif et l’endophorique
vide, par rapport au français, qui utilise le pronom personnel:
“– Ecoute, Jules. Les chances ne sont pas égales. Use pas ta salive car tout cela me
donne mal au ventre. Tu es un bon type. Peut-être qu’un jour on se retournera tous les
deux et qu’on videra un pot ensemble. Mais, ici, on n’est pas à égalité. Tu es un enfant
de choeur. Ils te rouleront comme ils voudront.
– Qui?
144
– Peu importe.” (G. Simenon, La première enquête de Maigret)
“– Uite ce-i, Jules. Şansele nu sunt egale. Nu-ţi mai bate gura degeaba, că mi se
întoarce stomacul pe dos. Eşti băiat de treabă. Poate c-o să ne întoarcem într-o zi
amândoi şi-o să stăm la un pahar. Însă aici nu suntem egali. Eşti doar un ţânc cu caş
la gură. Ăştia or să te ducă de nas cum or să vrea.
– Cine?
– Nu contează.” (traduction faite par C. Iftimia)
Il arrive souvent qu’on introduise un groupe nominal pour traduire les pronoms qui
remplissent la fonction de nomination:
“Rien que les petites frises des bordures, tenez là, la petite vigne sur le fond rouge de
l’Ours et les raisins. Est-ce dessiné? Qu’est-ce que vous dites, je crois qu’ils le
savaient plutôt dessiner?” (RTP:35)
(1) “Dacă n-ar fi decât micile frize de pe margini, iată acolo viţa aceea pe fondul roşu
al ursului şi al strugurilor. Ce desen! Ce spuneţi, cred că [Ø] ştiau să deseneze!”
(RTPI:33)
(2) “E destul să te uiţi la decoraţia de pe margini, uite, de pildă, viţa de vie pe fond
roşu din Ursul şi Strugurii. Ce zici de asemenea desen? Oamenii ăştia ştiau să
deseneze, nu glumă, nu ţi se pare?” (RTPII:207)
III.2.2.7. On doit également mentionner la fonction de pivot pour la référence. M.
Conte (1990:217) parle dans ce cas d’une anaphore avec changement de supposition.
La capacité des endophoriques141
de jouer avec la référence est mise en valeur surtout
dans la publicité:
(Affiche dans une rue, Aix-en-Provence)
“Si vous aimez MacIntosh, c’est le moment de l’écrire!”
(Grande image d’un chéquier ouvert, prêt à être rempli)
(dans F. Cornish, 1995:46)
On peut considérer que l’anaphore “sur syllepse” - “où un segment est anaphorisé
avec un autre nombre, un autre genre ou dans une autre signification que celle qu’il avait
eu en première apparition” (M.J. Reichler-Béguelin, 1988b:29) – est l’une des stuations où
les expressions anaphoriques remplissent la fonction de pivot pour la référence:
“Le ministre de l’Education Nationale est en vacances. Elle séjournera au bord de la
mer.”
141 Les autres pronoms personnels peuvent aussi remplir ce rôle: il suffit de penser à la publicité pour
Dialog-Orange: Spală-mă! Pentru un mesaj scris fără riscuri., où le pronom renvoie en même temps à
l’enfant qui a écrit le texte et à la voiture pleine de poussière qui est devenue le support du message.
145
Dans cet exemple, en désignant le même référent, on passe d’une caractéristique
externe à une caractéristique interne.
Le plus souvent on passe du particulier au général:
“Il était petit, avec de hauts talons, une tête de Corse (ils ressemblent toujours un peu à
Napoléon) et il portait un énorme diamant jaune au doigt.“ (TS:563)
“On entre dans un bar comme celui-ci, peu importe lequel, car ils sont tous identiques.”
(TS:869)
Rarement, on rencontre des cas où l’on peut référer à des entités du deuxième
ordre à partir des entités du troisième ordre:
“Autrefois, par économie, les murs étaient tapissés de vieux journaux dont les titres
voltigeaient autour de lui comme des oiseaux au langage exotique. Les chéquards de
Panama démasqués, Ouverture du Salon d’automne, Mme Landowska se produit à la
Société musicale, Un berger des Landes égorge sa famille. Il rêvait, enchanté par ces
mystères, sans chercher à les élucider [...]” (TCV:35)
Un cas particulier est signalé par E. Vasiliu, qui construit une phrase où l’expression
anaphorique pronominale renvoie simultanément à deux référents:
Dă-mi te rog creionul, fiindcă acesta nu e un creion, ci un pantof. (E. Vasiliu, 1990:34)
Les traducteurs doivent faire attention aux anaphores qui constituent des pivots pour
la référence, basées sur l’inférence, qui ne sont pas acceptées dans n’importe quelles
situations. Dans le texte ci-dessous, extrait des Mémoires d’Hadrien, le passage du singulier
de l’antécédent au pluriel de l’anaphorique en roumain est accepté à la rigueur parce que le
syntagme “condiţia femeii” est le syntagme utilisé d’ordinaire et parce que les deux
expressions référentielles ont un caractère général (leur extension coïncide avec leur
extensité):
“La condition des femmes est déterminée par d’étranges coutumes: elles sont à la fois
assujetties et protégées, faibles et puissantes, trop méprisées et trop respectées.”
(MA:130)
“Condiţia femeii e determinată de obiceiuri stranii: ele sunt deopotrivă subordonate şi
protejate, slabe şi puternice, prea dispreţuite şi prea respectate.” (MA:89)
Par contre, les traductions suivantes sont perçues comme incorrectes. Si, pour le
premier texte, on peut penser à une faute de frappe, ce n’est plus le cas pour le deuxième,
où l’emploi du pluriel inférentiel nous semble forcé, surtout après la répétition de
l’antécédent “poporul”:
146
“Elle y renonça et acheta des gelati. Nous les mangeâmes vite, ils fondaient dans nos
doigts, ils étaient trop sucrés et ils augmentèrent notre soif.” (MG:12)
*“Se răzgândi şi cumpără îngheţată. Le mâncarăm repede şi [Ø] se topeau între degete
şi, prea dulci fiind, [Ø] ne sporiră setea.” (MG:8)
“Et Rocca, c’était un bon endroit pour voir vivre le petit peuple italien. Il avait tant
souffert, ce peuple-là, il travaillait comme aucun autre, et vous verrez sa gentillesse. Il le
connaissait bien – ses parents étaient paysans –, mais, s’il ne partageait plus son
aveuglement, il l’aimait d’autant plus. D’en être sorti le faisait un peu se l’approprier.”
(MG:19)
“Şi Rocca era un loc potrivit unde se poate vedea cum trăieşte poporul italian. Atâta mai
suferise poporul ăsta care munceşte mai mult decât oricare altă naţie şi care ai să vezi
cât e de primitor. El îi ştia bine – părinţii lui fuseseră ţărani – şi, chiar dacă nu era de
acord cu mărginirea lor, îi iubea cu atât mai mult. Pentru că ieşise dintre ei, îi simţea
foarte aproape.” (MG:12)
III.2.3. Fonctions discursives
Toute communication suppose l’existence d’un émetteur (ou encodeur) et d’un
récepteur (ou décodeur). La linguistique moderne a admis que l’émetteur ne se présente pas
nécessairement comme source de ce qu’il dit, il peut stratifier ses énoncés pour exprimer
des points de vue dont les sources se veulent différentes142
.Quand on fait le choix des
expressions endophoriques, on doit penser que celles-ci sont à même d’indiquer
“implicitement comment une personne, dont il est question dans le texte et donc distincte
de l’énonciateur, désigne un référent donné, éventuellement quelle attitude elle a vis-à-vis
de ce référent” (D. Apothéloz, 1995:72). Notre démarche se propose de souligner trois
fonctions essentielles des expressions endophoriques: elles contribuent à l’introduction dans
le discours d’un nouveau point de vue sur les faits présentés, elles facilitent l’expression de
la subjectivité et elles permettent la manipulation du récépteur par les effets produits sur
celui-ci.
III.2.3.1. F. Corblin affirme que par l’emploi des syntagmes nominaux démonstratifs
on peut exprimer un nouveau point de vue sur un référent connu. Il s’agit du point de vue
142 O. Ducrot et J.M. Schaeffer (1995:455) mentionnent les métaphores proposées pour dénommer la
“cohabitation” de plusieurs points de vue dans le même discours: J.C. Anscombre parle d’espaces
discursifs, O. Ducrot de polyphonie, G.Fauconnier choisit le syntagme espaces mentaux et R. Martin
emploie l’expression univers de croyance.
147
de l’un des personnages ou du point de vue de l’auteur-analyste. Dans le fragment suivant,
le point de vue exprimé est celui de la société dans laquelle vivent les personnages:
“Elle n’achète à Paris que ses chapeaux: elle en porte. Ça lui va bien: une jolie laide
comme on dit. Quand on parle d’eux, les lieux communs viennent aux lèvres, tout
naturellement. Peut-être que c’est ça qu’on aime en eux, le contraste physique de ce bon
géant placide et de cette petite femme vive, qui le «mène par le bout du nez», qui
correspond à un schéma traditionnel et piquant cependant.” (COA:30)
Un excellent témoignage du rôle des anaphoriques dans l’expression du point de vue
nous est fourni par l’analyse de la métamorphose dans l’article de G. Achard-Bayle (1998).
Les textes utilisés comme supports sont tirés du Chat botté et de La Métamorphose143
de
Kafka. On part de l’idée que les expressions référentielles qui désignent les référents
reflètent le degré de connaissance que l’instance observatrice a de ces référents. De même
que C. Schnedecker et M. Charolles (1993), G. Achard-Bayle propose plusieurs variantes
du texte pris du Chat botté:
a) “Aussitôt l’Ogre se changea en une sourisi... Le Chat ne li’eût pas plus tôt aperçue
qu’il se jeta dessus et lai mangea.”
b) ”Aussitôt l’Ogrej se changea en une souris... Le Chat ne lj’eût pas plus tôt aperçu
qu’il se jeta dessus et lej mangea.”
c) “Aussitôt l’Ogre se changea en une sourisi... Un Chat entra alors dans la pièce. Ce
Chat ne li’eut pas plus tôt aperçue, qu’il se jeta dessus et lai mangea.”
*d) “Aussitôt l’Ogrej se changea en une souris... Un Chat entra alors dans la pièce. Ce
Chat ne lj’eût pas plus tôt aperçu qu’il se jeta dessus et lej mangea.”
Les deux premières variantes sont toutes les deux possibles, vu que le Chat a assisté à
la métamorphose de l’Ogre (dans le deuxième exemple, le référent n’évolue pas, il préserve
son identité initiale). Dans la variante c), on a affaire à un chat au savoir borné: c’est le point
de vue du chat qui prévaut et on est obligé d’utiliser le féminin.
Dans le texte de Kafka, il s’agit d’un père et d’une soeur qui ont la même perception
de la métamorphose de Gregor, mais le père y croit, tandis que la soeur essaie de le
convaincre du contraire:
“Père! Il faut que tu essaies de te débarrasser de l’idée que c’est Gregor. Nous avons
cru cela trop longtemps, voilà la cause de notre malheur! Mais comment cela peut-il être
Gregor? Si c’était Gregor, il se serait vite rendu compte qu’une cohabitation entre des
143 L’expression du point de vue est analysé dans le même texte par M.E. Conte (1990:222).
148
êtres humains et un tel animal n’est pas possible, et il serait parti de lui même. Nous
n’aurions plus de frère, mais nous pourrions continuer à vivre et à honorer son souvenir.
Tandis que maintenant, cet animal nous persécute.” (dans G. Achard-Bayle, 1998:52)
En opposant son point de vue à celui de son frère, la soeur de Gregor choisit des
chaînes anaphoriques différentes: “il” quand on admet qu’il s’agit de Gregor, “cela” et
“cet animal” lorsqu’on n’accepte pas l’hypothèse de la métamorphose. La conclusion de G.
Achard-Bayle, concernant la référence, vaut d’être retenue: “La cooccurrence de référents
concurrents est une aberration logique, certes, mais la fiction permet précisément de
dépasser, dans le texte, et singulièrement par les désignations, les contraintes
(onto)logiques selon lesquelles un individu ne peut être deux entités, ou encore le même et
l’autre, à la fois” (1998:53).
On a insisté sur les exemples donnés par G. Achard-Bayle pour deux raisons: tout
d’abord, ils mettent en évidence les fonctions discursive et référentielle des endophoriques;
ensuite, ils démontrent que les syntagmes nominaux démonstratifs ne sont pas les seuls qui
aient un rôle à jouer dans l’expression du point de vue. Le texte suivant144
fait ressortir
l’importance des pronoms personnels dans ce jeu des perspectives:
“L’indépendance universitaire est, elle aussi, diminuée. Le ministre [à l’époque, Mme
Alice Saunier-Seïté] s’octroie le droit de nommer le tiers des membres du conseil
supérieur. [...] Sauf si le ministre est infiniment sage.[...] Pour que le verrouillage soit
parfait, le ministre des universités s’octroie également le pouvoir de recruter lui-même
qui bon lui semble sur les postes de professeurs nouvellement créés. Le ministre des
universités avait annoncé une nuit du 4 août pour les universités. Elle connaît
décidément fort mal son histoire, car elle apporte tout le contraire: le renforcement des
privilèges des notables.” (J. Gattegno: Le Monde, 22.8.1979)
L’irruption du pronom féminin dans le texte marque le passage d’un point de vue
général, sur les attributions d’un ministre en général, à un point de vue particulier sur un
ministre particulier. (On pourrait même concevoir ce pronom comme l’expression du
mysoginisme du journaliste.)
III.2.3.2. Les syntagmes nominaux sont sans doute les endophoriques les plus
appropriés à exprimer la subjectivité, vu leur charge lexicale:
“La synagogue de Jérusalem me délégua son membre le plus vénéré: Akiba, vieillard
presque nonagénaire, et qui ne savait pas le grec […]. Ce fanatique ne se doutait même
144 Exemple emprunté à F. Cornish.
149
pas qu’on pût raisonner sur d’autres prémisses que les siennes […]. Au bout de huit
jours, ce négociateur si buté s’aperçut pourtant qu’il avait fait fausse route.” (MA:209)
“Sinagoga din Ierusalim mi l-a trimis pe membrul ei cel mai venerat: Akiba, bătrân
aproape nonagenar şi care nu ştia greceşte […]. Acest fanatic nici măcar nu bănuia că
se poate raţiona plecând de la alte premize decât ale sale […]. La sfârşitul celor opt
zile, negociatorul atât de îndârjit şi-a dat totuşi seama că mersese pe un drum greşit.”
(MA:148)
Les anaphores conceptuelles (les nominalisations) expriment souvent les sentiments,
les attitudes axiologiques d’un personnage ou de l’auteur sur les référents. M.J. Reichler-
Béguelin (1988:28) analyse un texte où ils générique, sans ancrage textuel, est utilisé
stratégiquement pour désigner les réfugiés politiques dans un discours xénophobe. Dans le
texte suivant, on emploie un nom propre dans une expression anaphorique qui constitue un
pivot pour la référence (cette expression renvoie en même temps à la femme telle qu’elle
était perçue par son mari, ensuite telle qu’elle était perçue par le narrateur, et au poème qui
porte le même nom) afin de souligner l’admiration du narrateur:
“Il avait passionément pleuré sa femme Lydé; il avait donné le nom de cette morte à un
long poème où trouvaient place toutes les légendes de douleur et de deuil. Cette Lydé,
que je n’aurais peut-être pas remarquée vivante, devenait pour moi une figure familière
[…].” (MA:236)
“A plâns cu profundă sinceritate moartea soţiei sale Lydé, dând numele dispărutei unui
lung poem în care-şi aflau locul toate legendele legate de durerea pierderii şi de doliu.
Această Lydé pe care poate că n-aş fi remarcat-o dacă ar fi trăit, devenise o figură
familiară mie […].” (MA:166)
III.2.3.3. L’encodeur, en développant son discours, opère certains choix, par lesquels
il peut manipuler le récepteur. En insistant par exemple sur un aspect secondaire, un
écrivain peut piloter l’attention du lecteur, de façon que celui-ci oublie le point de départ de
l’histoire qu’il est en train de lire. D. Apothéloz affirme que l’attention est le corrélat
psychologique de la saillance et qu’on peut la définir comme “une configuration de la
représentation discursive dans laquelle la saillance des informations n’est pas distribuée
de façon homogène” (1995:295). Pour construire des référents et pour les maintenir dans le
discours, l’encodeur est censé posséder une certaine compétence linguistique. Grâce à une
très bonne compétence linguistique, il réussit parfois à jouer avec les règles qui gouvernent
l’interprétation des anaphores et des cataphores et à les utiliser pour susciter l’intérêt du
150
décodeur. On se réfère surtout au cas où l’ambiguïté145
référentielle est utilisée dans la
publicité ou comme source d’humour. L’ambiguïté référentielle intervient quand le même
anaphorique peut renvoyer à deux référents, comme dans l’exemple suivant:
“Le poste est hors d’usage. Albert est mort et je ne peux plus le réparer.”
Ces exemples sont produits involontairement, mais transgresser les règles de
construction des anaphores permet de créer des textes qui provoquent le rire ou qui sont,
tout simplement, plus expressifs. Voici comment l’ambiguïté est mise en valeur dans un
texte littéraire, pour souligner une fois de plus l’indifférence des parents par rapport à leur
enfant:
“– Klaus est d’une inconscience, il me laisse le petit, il me charge de vendre
l’appartement, de toute façon il nous revenait beaucoup trop cher...
– Le petit ou l’appartement?
– Papa!” (COA:197)
Ou encore, pour suggérer l’attitude d’un certain personnage par rapport à la divinité:
“Devant Colin, accroché à la paroi, on voyait Jésus sur une grande croix noire. Il
paraissait heureux d’avoir été invité et regardait tout cela avec intérêt. Colini tenait la
main de Chloé et souriait vaguement à Jésusj. Ili/j? était un peu fatigué. La cérémonie lui
revenait très cher, cinq mille doublezons et il était content qu’elle fût réussie.” (EJ:62)
Parfois, le narrateur fait semblant de manifester un certain souci à l’égard du lecteur:
“Louis-Adolphe, à Sainte-Pélagie, découvre l’Émile de Rousseau et le Suisse Jacotot,
pédagogue du même tonneau. […] Et, comme un client lui pose une question toute
simple sur le danger des champignons, il s’aperçoit que, parmi toutes les connaissances
qu’il possède, lui manque la mycologie! Il s’informe, s’instruit, fait la connaissance d’un
vieil ermite, le docteur Léveillé, un puits de connaissances mycologiques (qu’il se refuse
à léguer aux humains, «trop bêtes»), et découvre – je parle de Louis-Adolphe –
plusieurs nouvelles espèces.” (MCV:137)
Dans le roman de M. Sadoveanu, Le Signe du Cancer, il y a un dialogue entre deux
personnages qui se haïssent énormément, Alecu Ruset et le voïvode Duca. La ruse de Ruset
et la suspicion de Duca sont suggérées grâce à l’emploi d’un pronom démonstratif (dans le
discours insidieux de Ruset) et à son interprétation (dans la réplique de Duca):
“– Măria-ta, nebuniile mele au contenit de când Dumnezeu a apăsat asupra noastră
145 M.L. Bardèche (1999:89-95) analyse l’emploi des pronoms dans certains textes de M. Duras et affirme
que l’écrivain use fréquemment de reprises anaphoriques ambigües afin de générer la confusion,
d’augmenter l’opacité du texte, ce qui mène à une représentation particulière de l’être dans ses écrits.
151
mâna sa. Pentru ceea ce am săvârşit când eram buiac şi fără grijă, m-a judecat la
Stanbul vizirul şi n-a socotit că trebuie să-mi ieie capul. Omeneşti greşale au fost,
măria-ta. Dumnezeu le iartă. E adevărat că oamenii cei proşti nu sunt atât de iertători,
dar măria-ta vei lua pildă de la acel care stă asupra noastră, a tuturora.
– Să iau pildă de la necredincios, beizade?
– De la Dumnezeu, măria-ta.” (ZC:304)
“– Altesse, mes coups de tête ont cessé depuis l’heure où Dieu a levé le bras contre nous.
Pour ce qui est de mes écarts de jeunesse du temps où j’étais insouciant et sans cervelle,
j’ai été jugé à Stambul par le vizir, qui n’a pas cru devoir me trancher la tête pour cela.
Tout homme, Altesse, est sujet aux erreurs. Dieu les lui pardonne. Les esprits obtus, il
est vrai, sont moins indulgents; mais votre Altesse prendra exemple sur celui qui est
notre maître à tous.
– Tu voudrais, prince, que je prenne exemple sur l’impie?
– Sur Dieu, Altesse.” (ZC:130)
Quand on parle de la fonction de manipuler le récepteur, on pense aussi aux
cataphores herméneutiques qui créent le suspense (surtout dans les romans policiers). Au
début du roman Maigret et l’affaire Nahour, G. Simenon joue avec les expresssions
référentielles pour présenter aux lecteurs le commissaire bien connu. À notre avis, le titre du
roman ne peut pas constituer l’antécédent du pronom il (il y a beaucoup d’œuvres littéraires
qui comprennent dans le titre le nom d’un certain personnage et qui commence quand même
par l’introduction d’un autre personnage). L’identité de Maigret est dévoilée
progressivement grâce à la succession des expressions référentielles : il, Jules, sa femme,
Mme Maigret, Maigret, le commissaire. On a l’impression que Maigret se réveille
complètement et se rappelle qui il est à l’instant où l’auteur emploie les deux derniers
groupes nominaux soulignés:
“Il se débattait, acculé à se défendre puisqu’on l’empoignait traîtreusement par
l’épaule. Il tenta même de frapper du poing avec l’humiliante sensation que son bras ne
lui obéissait pas et restait mou, comme ankylosé.
– Qui est-ce ? cria-t-il en se rendant vaguement compte que cette question n’était pas
tout à fait adéquate.
Émit-il réellement un son ?
– Jules !…Le téléphone…
Il avait bien entendu un bruit qui, dans son sommeil, paraissait menaçant, mais il
n’avait pas pensé un instant que c’était la sonnerie du téléphone, qu’il se trouvait dans
152
son lit, qu’il faisait un rêve désagréable dont il ne se souvenait déjà plus et que sa
femme le secouait.
Il tendit machinalement la main pour saisir le combiné, tout en ouvrant les yeux et en se
mettant sur son séant. Mme Maigret, elle aussi était assise dans le lit chaud, et la lampe
de chevet, de son côté, répandait une lumière douce et intime.
– Allô !
Il faillit, comme dans son rêve, répéter : « Qui est-ce ?»
– Maigret ? … Ici Pardon …
Le commissaire parvenait à voir l’heure du réveille-matin sur la table de nuit de sa
femme.” (TS:317)
En roumain, les pronoms personnels du français seraient sans doute rendus par des
cataphoriques/anaphoriques vides.
Toute la nouvelle Dans la foule, de Colette, est construite grâce à l’emploi équivoque
du pronom ils, dont on attend le subséquent jusqu’à la fin de l’histoire:
“– Qu’est-ce qu’il y a? Qu’est-ce qu’on a déjà fait? Où sont-ils?
– Dites, Madame, ils sont là-bas?[...]
Ils sont là-bas. On va les dinamiter.[...]
C’est là qu’ils gîtaient...
Grain de foule opprimé et aveugle tout à l’heure, je redeviens lucide. Je m’en vais à mon
tour vers Paris, pour y savoir à quel drame je viens d’assister.” (CMM:35-41)
Aucun texte n’est lu indépendamment de l’expérience que le lecteur a accumulée par
la lecture d’autres textes. Le lecteur est doué d’une compétence intertextuelle qui lui permet
d’identifier pendant la lecture un certain scénario (ou un frame146
, ou un script). Les
scénarios sont définis au niveau cognitif comme “des schémas qui représentent les
connaissances associées à des situations sociales stéréotypées et partagées par les
individus d’une culture donnée” (M. Bianco; C. Schnedecker, 1995:114). Un scénario est
toujours un texte virtuel ou une histoire condensée147
. Parmi les indices qui conduisent à la
sélection des scénarios adéquats pour la lecture d’un texte, les psycholinguistes signalent les
titres, les verbes d’action suffisamment stéréotypés, les syntagmes nominaux qui indiquent
les référents centraux pour une situation donnée. Le très beau début de la nouvelle Des
journées entières dans les arbres de M. Duras mise sur le jeu des cataphoriques afin de
créer l’impression d’un certain scénario, court-circuité par la suite, au moment de
146 La définition du “frame” formulée par Marvin M. Minsky est reprise par U. Eco (1991:116). 147 U. Eco (1991:117).
153
l’introduction des groupes nominaux: grâce aux pronoms il et elle, le lecteur s’attend à une
histoire d’amour, vu que ce stéréotype existe dans notre société148
et qu’il est reflété
d’habitude dans la langue149
par l’emploi des pronoms personnels mentionnés, et c’est
justement une histoire d’amour qui suit, mais un amour sublime, entre une femme et un
homme qui sont mère et fils:
“Il regardait ailleurs pour ne pas rencontrer son regard maigri, décoloré. Dès qu’elle
était descendue de l’avion, à l’infinie prudence qu’elle avait mise à franchir la
passerelle, il avait compris. Ca y était, c’en était fait vraiment: une vieille femme était
assise à côté de lui. Et la mère le vit parce qu’il y avait des larmes dans les yeux de son
fils.” (JEA:11)
Nous ne pouvons pas nous abstenir de donner également l’exemple du cataphorique
qui exprime la peur, l’horreur des personnages du roman La Peste devant le fléau inévitable:
“– Naturellement, lui dit-il, vous savez ce que c’est, Rieux?
– J’attends les résultats des analyses.
– Moi, je le sais. Et je n’ai pas besoin d’analyses. J’ai fait une partie de ma carrière en
Chine, et j’ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d’années. Seulement, on n’a
pas osé leur donner un nom, sur le moment. L’opinion publique, c’est sacré: pas
d’affolement, surtout pas d’affolement. Et puis, comme disait un confrère: «C’est
impossible, tout le monde sait qu’elle a disparu de l’Occident.»[…]
– Oui, Castel, dit-il, c’est à peine croyable. Mais il semble bien que ce soit la peste.”
(P:40) (discussion entre Castel et Rieux,
quand il faut reconnaître l’existence de la maladie)
“– Bineînţeles, îi zise el, dumneata ştii ce este, Rieux?
– Aştept rezultatele analizelor.
– Eu ştiu. Şi n-am nevoie de analize. O parte din cariere mea am lucrat în China şi am
văzut câteva cazuri şi la Paris, acum vreo douăzeci de ani. Numai că nimeni n-a
îndrăznit să le dea pe loc un nume acestor cazuri. Opinia publică, asta e sfânt: fără
panică, mai ales fără panică. Şi apoi, cum zicea un confrate: «Este cu neputinţă, toată
lume ştie că “ea” a dispărut din Occident.» […]
– Da, Castel, spuse el, e greu de crezut. Dar se pare totuşi că ar fi ciuma.” (P:51)
148
Un autre exemple basé sur le stéréotype de l’amour:
“Le crâne-noisette
Elle en est à son second mari. Mais elle apprend que le divorce d’avec le premier n’est pas
valable et qu’il faut tout recommencer. Alors ses doigts devinrent de longues griffes qui se
refermèrent sur le crâne de son mari et le firent craquer.”(C. Bille: Cent petites histoires
cruelles. Trente-six petites histoires curieuses, Castella)
154
III.3. Pour faire le point
À partir des constatations faites par les chercheurs sur le rôles des pronoms, sur la
raison de leur existence dans la langue, nous avons essayé de montrer quelles sont, d’après
nous, les principales fonctions des anaphoriques et des cataphoriques au niveau référentiel,
textuel et discursif.
Les endophoriques sont, avant tout, des expressions référentielles. Les recherches des
dernières décennies ont démontré qu’il existe une relation étroite entre l’expression de la
référence d’une part et les genres de textes et les types de discours de l’autre. En plus, la
compétence linguistique des locuteurs influence énormément l’emploi des expressions
référentielles et, surtout, le maniement des expressions endophoriques, qui suppose une
réflexion plus attentive sur leur cotexte, sur l’intention informative globale du discours, sur
l’expectation de l’interlocuteur, etc. Par conséquent, une analyse scrupuleuse et correcte
des fonctions référentielles des anaphoriques et des cataphoriques devrait, idéalement,
commencer par la mise en place d’un système de paramètres adapté non à un genre de
textes, mais à un seul texte (notamment si l’on envisage une analyse comparative d’un texte
source et d’un texte cible), ou à plusieurs textes appartenant au même genre et traitant du
même thème, ou, encore, à plusieurs textes du même genre et du même auteur. Il est
évident que notre désir a été de saisir les fonctions référentielles les plus générales des
endophores, les plus fréquentes, qui sont remplies aussi bien en roumain qu’en français.
Nous avons constaté que, dans les deux langues, les anaphoriques et les cataphoriques sont
en même temps des opérateurs, qui agissent sur les représentations mentales des référents
(en les modifiant, en les groupant, etc.), et des indicateurs des opérations effectuées.
La façon dont on choisit les endophores détermine le développement du discours et la
réalisation du texte. Cette affirmation peut sembler circulaire, mais elle ne fait que souligner
l’interdépendance entre la construction de la référence d’une part et la construction du texte
de l’autre. Nous n’avons pas formulé de définitions originales des deux concepts – texte et
discours – parce qu’il y en a déjà trop dans la littérature de spécialité. En revanche, nous
avons mis en lumière la nécessité de distinguer, du point de vue théorique, le texte du
discours, afin de mieux circonscrire la spécificité des rôles joués par les anaphores et les
149 Il y a d’autres exemples dans les ouvrages de D. Maingueneau (2000:176) et de E. Castagne (1997:176).
155
cataphores. Les expressions endophoriques contribuent à la démarcation et à l’organisation
des séquences textuelles, en donnant en même temps des informations sur l’attitude du
locuteur par rapport aux divers référents, à son propre discours ou à l’interlocuteur.
Quant aux pronoms, pour comprendre quels sont les traits de sens qui leur
permettent de remplir certaines de ces fonctions, il faut analyser chacun séparément. Dans le
chapitre qui suit, nous nous arrêtons sur le pronom personnel de la troisième personne et sur
les pronoms semi-indépendants roumains.
157
IV.1. Le pronom anaphorique il / el
Avant de commencer l’examen du pronom personnel de la troisième personne et des
pronoms semi-indépendants roumains, nous nous sentons obligée de motiver notre choix.
Jusqu’à ce point de notre cours, nos efforts ont été dirigés vers la mise en évidence des
traits les plus généraux de l’anaphore et de la cataphore en français et en roumain. La
comparaison entre les diverses théories linguistiques sur le thème de l’endophore
pronominale, la réalisation d’une taxinomie qui souligne les ressemblances et les différences
entre les types d’anaphores et de cataphores dans les deux langues, ensuite l’énumération
des principales fonctions remplies par ces relations au niveau référentiel, textuel et discursif,
nous ont semblé des étapes obligatoires pour la mise en place d’un cadre qui permette
l’analyse en détail de tout marqueur référentiel endophorique. Nous croyons avoir démontré
au moins que les facteurs dont il faut tenir compte pour aboutir à une perspective correcte
et complète sur les pronoms endophoriques sont très nombreux et de nature très variée. Par
conséquent, une présentation exhaustive de tous les pronoms du point de vue de leurs
modes de donation du référent, de leurs fonctions à tous les niveaux et de la façon dont
chacun est utilisé dans un texte quelconque ou dans un genre de textes, cela nous paraît une
entreprise utopique.
C’est pour cette raison que nous avons décidé de proposer quelques analyses
ponctuelles : la première a comme sujet le pronom personnel de la troisième personne, un
pronom auquel la linguistique française a accordé beaucoup d’attention ces dernières
années. Les différences évidentes de structure entre le français et le roumain peuvent faire
ressortir quelques particularités du comportement de ce pronom et peuvent appuyer
certaines des affirmations faites par les chercheurs français.
Nous abordons ensuite les mots al et cel du roumain afin de montrer que les acquis de
la pragma-sémantique sont à même de changer les opinions sur les valeurs de ces mots.
158
IV.1.1. Il – expression référentielle problématique
Tantôt personne d’univers (G. Moignet, 1981:93), tantôt non-personne (E.
Benveniste)150
, tantôt hyperonyme de toute la classe des noms masculins singuliers (M.J.
Reichler-Béguelin, 1989:306), le pronom il a reçu de nombreuses définitions et
interprétations. L’intérêt des linguistes pour l’étude de ce pronom continue à être stimulé
par la difficulté de fournir une description de son mécanisme référentiel qui argumente la
possibilité de l’employer dans des cas aussi variés que les suivants151
:
Il a un antécédent du même genre et du même nombre que lui. Il et son antécédent
sont coréférentiels :
(1) Un hommei entra. Ili portait un chapeau.
Il a comme antécédent un autre pronom :
(2) Si quelqu’uni connaît la vérité, qu’ili la dise.
Il a un antécédent coréférentiel, du même nombre, mais pas du même genre :
(3a) Le ministrei part en vacances, ellei est fatiguée.
(3b) La sentinellei a dit qu’ili a vu rôder quelqu’un autour du camp.
Il n’a pas le même nombre que son antécédent, ni le même référent (il générique) :
(4) Paul a acheté une Toyotai parce qu’ellesj sont économiques. (i с j)
Il a le même nombre et le même genre que son antécédent, mais pas le même
référent :
(5) L’homme qui a donné son salairei à son épouse a été plus sage que l’homme qui lj’a
donné à sa maîtresse.
Il n’a pas d’antécédent :
(6a) À Boston, ils roulent comme des fous. (ils collectif152
, toujours au pluriel, renvoyant à
un groupe de personnes indéterminées)
(6b) “Cette femme vive et malicieuse mais froide pensait droit et mal parce que son mari
pensait bien et de travers ; parce qu’il était menteur et crédule, elle doutait de tout : «Ils
prétendent que la terre tourne ; qu’est-ce qu’ils en savent ?»”. (J.P. Sartre, Les Mots,
Gallimard, 1964:13)
150 Le terme de «non-personne» est rencontré également chez I. Iordan, V. Guţu-Romalo et A. Niculescu
(1967:60). 151 La plupart des phrases qui illustrent ces cas sont analysées dans de nombreux ouvrages et articles sur
l’anaphore (L. Tasmowski-De Ryck, 1994; G. Kleiber, 1994; D. Apothéloz, 1995; F. Corblin, 1995, etc.).
159
(6c) Ah, il est rentré. (il « déictique », utilisé quand le référent de il est présent dans la
situation de communication)
Il renvoie à un référent évolutif (qui change d’état ontologique au fur et à mesure
que le texte se déroule) :
(7) Tuez un pouleti bien vif et bien gras. Préparez-lei pour le four, coupez-lei en quatre et
rôtissez-lei pendant une heure.
Il a deux (ou plusieurs) antécédents disponibles, du même nombre et du même
genre que lui:
(8a) Le Présidenti de la Cour d’Assises disparaît sous le plancherj : ili/j? était pourri.153
(8b) Après avoir considéré son dossier, le directeuri limogea l’ouvrierj parce qu’ili/j?
était un communiste convaincu.
Il est utilisé dans un point du discours où les occurrences d’autres expressions
référentielles sont également possibles :
(9) Un avioni s’est écrasé hier à New York. Ili était plein.
L’avioni était plein.
Cet avioni était plein.
Les linguistes ont dû accepter que la plupart des théories avancées n’ont réussi à
expliquer que partiellement les emplois de il que nous venons d’énumérer. Certains des
exemples ci-dessus ont déjà été utilisés comme arguments dans notre cours pendant la
présentation des différents types d’approche linguistique des pronoms. Nous avons signalé
dans le premier chapitre que l’approche substitutionaliste (F. Brunot, 1922 ; B. Pottier,
1962 ; J. Dubois, 1965), qui fait abstraction de la référence et qui envisage la relation entre
les pronoms et leurs antécédents comme une relation stricte entre deux segments
linguistiques, n’arrive pas à justifier la possibilité d’employer le pronom il dans des phrases
telles que 3, 4, 5, 6. L’approche textuelle (E. Benveniste, 1966; J. C. Milner, 1982),
considérant les pronoms comme des substituts abréviatifs qui renvoient en général aux
mêmes référents que leurs antécédents mais qui sont, eux, dépourvus d’autonomie
référentielle, nous laisse croire qu’il faut d’abord aller chercher l’antécédent dans le texte et
ensuite interpréter le pronom. Ce type d’approche ne peut pas rendre compte des cas où
152 G. Guillaume parlait dans ce cas d’une «personne grégaire» (apud G. Moignet, 1981:162). 153 Exemple donné par M. J. Reichler-Béguelin (1988:79).
160
l’antécédent du pronom est un autre pronom (exemple 2) ou des cas de référents évolutifs
(exemple 7).
L’approche mémorielle (F. Cornish, 1990) refuse le traitement de l’anaphore
pronominale à un niveau strictement linguistique et imagine celle-ci comme un processus
qui indique une référence à des référents discursifs : aussi est-elle à même de fournir une
explication acceptable pour les cas où le pronom a comme antécédent un pronom indéfini et
pour les référents évolutifs.
En plus, ce type d’approche apporte une solution au conflit terminologique entre la
deixis et l’anaphore (exemple 6c). Le pronom il peut être utilisé accompagné par un geste,
sans antécédent textuel, lorsque le locuteur et l’interlocuteur voient passer devant eux une
connaissance commune. L. Tasmowski-De Ryck affirme que, même dans cette situation,
l’emploi de il est contrôlé linguistiquement par un nom qui impose son genre au pronom.
Cependant, le ils collectif (exemples 6a, b) se soustrait à cette règle, parce qu’on ne saurait
pas préciser le nom qui pourrait le contrôler. L. Tasmowski-De Ryck présente cet emploi de
la manière suivante :“Il s’agit d’un ils exclusivement clitique, masculin pluriel, à référent
humain, dont la sémantique, à l’encontre de celle de on, exclut le locuteur et
l’interlocuteur. Ils fait référence à une collectivité restreinte et identifiée, en ce sens
qu’elle est inférée d’éléments contextuels, mais absolument indifférente à la détermination
de ses membres” (1994:446). La conclusion de L. Tasmowski-De Ryck est qu’on se trouve
probablement “devant un nouveau type de pronom indéfini, un pendant personnel,
référentiel du il impersonnel, non référentiel, qu’on trouve entre autres dans les énoncés
météorologiques” (ibidem).
G. Kleiber (1994, 1997) met en valeur les données offertes par les recherches
antérieures et provoque une vraie révolution en proposant une conception hétérogène du
sens, une conception pragma-sémantique qui serait à même d’expliquer de façon
cohérente, unitaire, tous les emplois de il. À son avis, le pronom il n’est pas asémique: son
sens est formé par des propriétés descriptives intrinsèques et par des indications
référentielles qui conduisent au référent. Vu qu’il a un sens à lui, il peut déterminer a priori
son extension, c’est-à-dire les référents auxquels il peut s’appliquer. Le seul problème pour
le linguiste reste la découverte des indications référentielles selon lesquelles il sélectionne
ses référents.
En rejetant résolument la théorie du contrôle linguistique du pronom par un nom, G.
Kleiber observe que la distinction grammaticale singulier-pluriel reflète la distinction
161
conceptuelle entre singularité référentielle et pluralité référentielle. L’opinion de Kleiber est
que l’antécédent et le pronom ont d’habitude le même nombre parce que le référent de
l’antécédent représente la seule entité disponible qui satisfait à la condition quantitative
exigée par le pronom. Autrement dit, de tous les référents rendus manifestes par les
informations du texte (antécédent et subséquent), il choisit celui qui répond à son exigence
quantitative.
G. Kleiber reste ferme dans son refus d’admettre le contrôle linguistique du nom
même quand il analyse le genre du pronom. Le ils collectif (pour lequel on ne saurait
trouver aucun nom qui impose son genre au pronom) le conduit aux conclusions suivantes:
“les données relatives au genre du pronom dépendent d’une distinction référentielle liée,
non pas directement au genre du nom dénotant le référent, ce qui oblige, comme nous
l’avons vu, à récupérer à chaque fois un N particulier, mais à l’opposition sémantique
entités classifiées / entités non-classifiées. Le trait sémantique que nous postulerons pour
il à ce niveau est celui d’une référence à des entités classifiées, nommées, c’est-à-dire déjà
rangées dans une catégorie de choses” (G. Kleiber, 1994:74). Les référents du monde sont
classifiés en humains et non-humains; quand le référent de il est humain, il est déjà considéré
comme classifié, donc la nécessité de récupérer un N qui atteste son appartenance à une
classe n’est pas si stricte.
La conséquence de la théorie pragma-sémantique de G. Kleiber est que la distinction
entre les pronoms il et ce/ça ne reflète pas l’opposition cognitive humain/non-humain, mais
l’opposition entités classifiées/entités non-classifiées.
F. Lebas (1997) récuse la notion de “classifié” proposée par G. Kleiber, en
considérant que le pronom il exploite plutôt une structure cognitive représentant la notion
abstraite d’individuation. L’individuation est une capacité cognitive à part entière,
indépendante de la classification : “je ferai l’hypothèse que la base conceptuelle du pronom
il est constituée de très peu de termes, formant en l’occurrence la notion
d’«individuation»: quelles que soient les caractéristiques objectives d’une entité, nous
décidons couramment que telle occurrence est un «individu», c’est-à-dire qu’elle est
distinguable d’autres occurrences, mais surtout qu’elle est davantage que la somme de ses
parties, du fait notamment de sa relation avec des entités elles-mêmes individuées, à
commencer par nous-mêmes. Cette notion subjective d’individuation est de nature
contrastive, puisqu’elle invoque la distinction d’une entité parmi toutes les entités
potentielles qui lui sont comparables. L’individuation fait donc intervenir un premier
162
terme, la «figure», et un ensemble d’entités constituant le «fond». Je supposerai que le
pronom il exploite essentiellement une structure cognitive représentant cette notion
abstraite d’individuation” (F. Lebas, 1999:41).
On trouve la même idée d’individuation chez C. Blanche-Benveniste qui, à la suite
d’une comparaison entre les verbes qui acceptent la construction avec le pronom y et les
verbes qui acceptent le pronom lui, conclut: “avec lui l’individualité est plus affirmée
qu’avec y” (1997:105). C’est pour cela qu’on peut dire:
Il faudrait lui ajouter un balcon, à cette fenêtre.
Mais:
Quand on fait de la pâte il faut penser à y ajouter de la levure.
IV.1.2. Le pronom il / el sujet en français et en roumain
Dans l’introduction à notre cours, nous avons donné quelques exemples d’énoncés
dont la traduction en roumain a produit des chaînes référentielles mal formées ou ambiguës.
Le plus souvent, ces différences résultent du choix, tout à fait possible en roumain du point
de vue syntaxique, entre un pronom personnel et un anaphorique vide :
“En dehors de la jeune femme du docteur, ils1 étaient réduits presque uniquement cette
année-là (bien que Mme Verdurin fût-elle même vertueuse et d’une respectable famille
bourgeoise excessivement riche et entièrement obscure avec laquelle elle2 avait peu à peu
cessé toute relation) à une personne presque du demi-monde, Mme de Crécy, que Mme
Verdurin appelait par son petit nom, Odette, et [Ø]3 déclarait être un «amour» […].”
(RTP:11-12)
(1) “În afară de tânăra nevastă a doctorului, [Ø]1 nu mai primeau aproape în acel an
(deşi doamna Verdurin era virtuoasă şi dintr-o respectabilă familie burgheză, nespus de
bogată şi întru totul obscură, cu care ea2 încetase treptat, şi în mod voit, orice relaţie)
decât pe o demimondenă, sau aproape, pe doamna de Crécy, căreia doamna Verdurin i
se adresa pe numele mic, spunându-i Odette, şi despre care ea3 declara că e un «amor de
femeie» […].” (RTP II:190)
(2) “Cu excepţia tinerei soţii a doctorului, aproape că [Ø]1 se mărginiseră anul acesta
(deşi doamna Verdurin era virtuoasă şi dintr-o respectabilă familie burgheză, foarte
bogată şi cu totul necunoscută cu care, puţin câte puţin, [Ø]2 încetase dinadins orice
163
legături), la doamna de Crecy, o demimondenă, căreia doamna Verdurin i se adresa pe
numele ei de botez, Odette, [Ø]3 spunând că este un îngeraş […].” (RTP I:7-8)
Rarement, ces différences reflètent une contradiction entre les interprétations
référentielles faites par les traducteurs 154
:
“[…] il fallait adhérer tacitement à un Credo dont un des articles était que le jeune
pianiste, protégé par Mme Verdurini cette année-là et dont ellei disait: «Ça ne devrait
pas être permis de savoir jouer Wagner comme ça!» “enfonçait” à la fois Planté et
Rubinstein […].” (RTP:11)
(1) “[…] să aderi tacit la un Crez printre ale cărui articole unul afirma că tânărul
pianist, protejat de doamna Verdurini în acel an şi despre care eai spunea: «Nimănui nu
ar trebui să i se îngăduie să ştie să-l interpreteze atât de minunat pe Wagner! » îi
înfunda atât pe Planté cât şi pe Rubinstein […].” (RTP II:190)
(2) “[…] trebuia să aderi tacit la un crez care cuprindea un articol, potrivit căruia
tânărul pianist, protejat anul acesta de doamna Verdurini şi despre care ([Ø]j) se
spunea: «N-ar trebui îngăduit să-l cânţi atât de bine pe Wagner!» “înfunda” în acelaşi
timp pe Planté şi Rubinstein […].” (RTP I:7)
Nous avons constaté que les anomalies, ou tout simplement les désaccords entre les
diverses variantes de traductions, apparaissent surtout lorsque le pronom remplit la fonction
de sujet, donc justement dans le point où se manifestent de la façon la plus évidente les
différences de structure entre le français et le roumain.
Le roumain est l’une des langues nommées par Chomsky des langues à sujets nuls ou
langues pro-drop, c’est-à-dire des langues qui permettent l’occurrence de sujets nuls dans
des propositions indépendantes. En roumain la désinence verbale indique la personne, ce
qui rend inutile la présence d’un pronom personnel nominatif comme indice de la personne.
Les grammaires roumaines traditionnelles parlent d’un sujet inclus (pour la I-ère et la II-ème
personne) et d’un sujet sous-entendu (pour la III-ème personne). Par exemple, Gramatica
Academiei (1966) décrit les situations suivantes :
a. Le sujet est inclus quand il devrait être un pronom personnel de la I-ère ou de la
II-ème personne ; dans la plupart des cas, il n’est pas exprimé, vu qu’il est inclus dans la
désinence verbale155
.
154 Nous nous demandons cependant si, dans une phrase comme celle que nous avons donnée pour exemple
(la deuxième variante en roumain), il ne peut pas s’agir tout simplement d’une faute de frappe. 155 C. Popescu (1997:30) n’admet pas l’appellation «sujet inclus», en considérant, à juste titre, que la
désinence verbale indique des catégories morphologiques, elle n’est pas un moyen d’identification des
fonctions syntaxiques. C. Popescu préfère nommer les sujets non-exprimés des verbes à la I-ère ou à la II-
164
b. Le sujet est sous-entendu : “Într-un context în care subiectul e cunoscut întrucât
a fost deja exprimat în aceeaşi frază sau într-o frază anterioară, menţionarea lui nu mai e
necesară”156
(1966:93). Gramatica Academiei ajoute : “Tot subînţeles e şi subiectul care,
fără a fi fost exprimat înainte, poate fi dedus dintr-o întreagă situaţie expusă în fraza sau
în frazele anterioare”157
(1966:93). Il faut préciser que dans cette dernière situation, le sujet
par lequel on pourrait combler la place vide serait plutôt un pronom démonstratif ou un
syntagme nominal du type cette situation, cette chose qu’un pronom personnel.
c. Le sujet est indéterminé. M. Avram (1997:328) fait la distinction entre le sujet
indéterminé à valeur générale (Ai carte, ai parte.) et le sujet indéterminé qui ne peut pas
être identifié (Sună la uşă. On sonne à la porte.). A. Zribi-Hertz (1996:230) parle dans ce
dernier cas d’un sujet proarbitraire.
d. Le sujet est absent158
dans les phrases qui expriment les phénomènes
météorologiques.
Par contre, un sujet déjà exprimé est repris, surtout dans la langue familière et
populaire, pour être mis en relief ou pour exprimer des nuances affectives.
Gramatica Academiei stipule également les cas où il faut nécessairement utiliser le
pronom personnel :
– si le sujet n’a pas été exprimé antérieurement par un substantif, il faut le préciser par
un pronom personnel de la III-ème personne159
:
“Parc-ascult şi parc-aştept
Ea din trestii să răsară
Şi să-mi cadă lin pe piept.”160
(M. Eminescu)
– si l’on veut insister sur la personne, bien qu’elle soit connue ; la participation du
pronom-sujet à l’expression de l’emphase est mentionnée dans la plupart des
ème personne des sujets déductibles, vu qu’ils sont désambiguïsés gràce à la désinence verbale, mais aussi
grâce au contexte. 156 “Dans un contexte où le sujet est connu parce qu’il a déjà été exprimé dans la même phrase ou dans une
phrase antérieure, sa mention n’est plus nécessaire.” 157 “On considère toujours comme sous-entendu le sujet qui, sans avoir été exprimé précédemment, peut
être déduit de toute une situation exposée dans la phrase ou les phrases antérieure(s).” 158 Dans C. Popescu (1997:30), ce sujet est appelé «elliptique». 159
Il arrive pourtant que le pronom-sujet soit vide, bien que son référent n’ait pas été introduit
précédemment par l’intermédiaire d’une expression nominale. Le premier exemple qui nous vient à l’esprit
est le tout début du livre Fototeca, d’Adriana Bittel (Cartea Românească, 1989): “Putea fi văzută în fiecare
dimineaţă…etc.” Le premier pronom personnel sujet n’apparaît que dans le deuxième paragraphe. Un autre
exemple possible est le tout début du roman La femme de chambre de Titanic que nous avons cité à la
première page du sous-chapitre 0.1.
165
grammaires roumaines161
.
– si l’on veut exprimer l’opposition entre une personne et l’autre.
Il faut souligner que la postposition162
du sujet exprimé par un pronom personnel,
hors le cas du discours direct, exprime, selon la même grammaire, une valeur affective.
I. Iordan et alii (1967:237) et M. Avram (1997:327) précisent que l’expression du
sujet pronominal en dehors des situations où il doit être mis en relief est redondante et
artificielle et que, dans les traductions, il faut absolument tenir compte de cette particularité
de la langue roumaine afin d’éviter la construction de phrases artificielles, voire incorrectes.
Nous concluons que les travaux roumains (à de rares exceptions) mentionnent en
général deux situations où les pronoms personnels sujets sont utilisés : lorsqu’ils expriment
l’emphase et lorsqu’ils expriment l’opposition. Et ce sont justement les situations qui
exigent le plus souvent la traduction directe, c’est-à-dire que le pronom personnel français
– indice obligatoire de la personne – est traduit par un pronom personnel roumain.
IV.1.2.1. Nous avons trouvé de nombreux exemples où la présence du pronom el en
roumain traduit les structures emphatiques du français. Là, quelques précisions
s’imposent. En français, il sujet est un pronom clitique, obligatoire toutes les fois où il n’y a
pas d’autre sujet exprimé. Sa présence est exigée par le syncrétisme flexionnel du verbe. Il
correspond donc plutôt à la terminaison du verbe en roumain. Par contre, le pronom el en
roumain est un pronom fort, qui est syntaxiquement facultatif, et correspond du point de
vue morpho-syntaxique à lui tonique du français. Quelle que soit la direction de la
traduction, il n’est pas étonnant que le pronom tonique français, seul ou dans des structures
emphatiques élargies (avec des présentatifs ou avec les isolants emphatiques quant à, pour
ce qui est de, ou tout simplement avec les morphèmes de renforcement – lui-même, à lui
seul) corresponde dans la plupart des traductions au pronom el/ea, accompagné par les
structures emphatiques spécifiques au roumain :
“Bathilde s’agenouilla. […] C’était elle qui chatouillait, et c’était elle qui riait.”
(FCT:27)
“Bathilde îngenunche. […] Ea îl gâdila şi tot ea râdea.” (FCT:21)
160 En donnant le même exemple, P. Diaconescu (1987:98) affirme que dans le langage poétique, les
constructions pronominales sans antécédent sont utilisées pour rendre volontairement ambigus les énoncés. 161 Voir I. Iordan, V. Guţu-Romalo, A. Niculescu (1967:237), E. Vasiliu, S. Golopenţia-Eretescu (1969:85),
I. Coteanu et alii (1974:205, 256) ou A. Merlan (1998:106). 162 Voir aussi I. Coteanu (1982:128).
166
(le roumain met l’accent de la phrase sur le pronom)
“Slujbaşul domnesc intră pe uşa rămasă deschisă. Se întoarse şi-o închise el singur cu
grijă.” (ZC:377)
“L’envoyé du voïvode passa le seuil de la porte restée ouverte. Puis, se retournant, il la
referma lui-même avec précaution.” (ZC:217)
“O clipă (hatmanul) se opri în foişor, amintindu-şi că mai are o datorie. Cu râsul pierit,
coborî el însuşi la slujitorii care ţineau porţile.” (ZC:340)
“(Le hetman) Il s’arrêta un instant dans la tourelle, en se souvenant qu’il lui restait un
devoir à remplir. Son sourire disparut et il descendit lui-même jusqu’aux soldats
préposés à la garde des portes.” (ZC:175)
“Abăza se retrase peste puţină vreme, iar Alecu Ruset rămase singur, cugetând că totuşi
gazda sa a rămas la îndoială. El însuşi fiind, însă, fără nici o grijă şi cu sufletul întărit,
se desfăcu de contăş şi de arme.” (ZC:319)
“Abăza se retira peu après, et Alecu Ruset demeura seul, en se disant que son hôte était
encore méfiant. Mais comme il n’avait, quant à lui, aucune crainte, et qu’il se sentait
raffermi par son triomphe, il se débarrassa de son manteau et de ses armes.” (ZC:148)
Cependant, il y a assez de situations où l’on a un pronom tonique emphatique dans
une langue équivalant à un anaphorique vide ou à un pronom atone dans l’autre. Le
traducteur choisit parfois de renoncer à l’expression de l’emphase ou, au contraire, il met
l’accent sur un certain référent même si le texte original ne le faisait pas :
“Sur les conseils d’Al Bazeiges, Zoé avait alerté le président Siméon qui, lui, régnait sur
tout le peuple des quais, sans distinction.” (FCT:173)
“La sfaturile lui Al Bazeiges, Zoe îl puse în gardă pe preşedintele Simeon care domnea
peste întreaga lume a cheiurilor, fără nici o deosebire.” (FCT:129)
“Seules les femmes et leurs enfants allaient à gravage.” (FCT:18)
“Doar ele, femeile şi copiii lor mergeau la acest soi de pescuit.” (FCT:13)
L’influence de l’interprétation faite par le traducteur sur l’expression de l’emphase est
facilement observable si l’on compare plusieurs variantes de traduction :
“Swann crut que le docteur le connaissait sans doute pour s’être trouvé avec lui en
quelque lieu de plaisir, bien que lui-même y allât pourtant fort peu, n’ayant jamais vécu
dans le monde de la noce.” (RTP:29)
(1)“Swann crezu că doctorul îl cunoaşte din vreo casă deocheată, unde se vor fi aflat
împreună, deşi el mergea totuşi foarte rar în asemenea locuri, netrăind în lumea
petrecăreţilor.” (RTP II:203)
167
(2) “Swann crezu că doctorul îl cunoaşte fără îndoială şi se întâlnise cu el în vreun local
intim de plăcere, deşi [Ø] frecventa foarte puţin asemenea localuri, căci nu dusese
niciodată o viaţă de chefuri.” (RTP I:26)
Il nous semble important de souligner le fait que le pronom atone il tout seul (sans
aucun pronom tonique) est traduit par el chaque fois que les traducteurs considèrent
nécessaire de mettre en relief un certain référent. Parfois, ce référent peut être présenté de
manière emphatique dans les phrases antérieures à celle qui comprend le pronom:
“Quant aux exercices de rhétorique où nous étions successivement Xerxès et
Thémistocle, Octave et Marc-Antoine, ils m’enivrèrent; je me sentis Protée. Ils
m’apprirent à entrer tour à tour dans la pensée de chaque homme, à comprendre que
chacun se décide, vit et meurt selon ses propres lois.” (MA:44)
“Cât priveşte exerciţiile de retorică în care eram succesiv Xerxes şi Temistocle, Octavian
şi Marc Antoniu, ele mă exaltau; mă simţeam Proteu. Ele m-au învăţat să pătrund rând
pe rând în cugetul fiecărui om, să înţeleg că fiecare decide, trăieşte şi moare după
propriile sale legi.” (MA:26)
Mais le plus souvent, il n’y a que le sens du texte qui justifie la mise en
correspondance du il avec le el emphatique. Par exemple, dans le texte ci-dessous, le
premier elle est traduit par un anaphorique vide, tandis que le deuxième elle équivaut à un
ea que nous lirions de façon accentuée163
:
“Et c’est alors que m’apparut le plus sage de mes bons génies: Plotine. […] En vérité,
nous étions complices, mais l’oreille la plus exercée eût à peine pu reconnaître entre
nous les signes d’un secret accord. Elle1 ne commit jamais devant moi l’erreur grossière
de se plaindre de l’empereur […]. Attianus, qui venait d’arriver de Rome, se joignait à
ces entrevues qui duraient parfois toute la nuit, mais rien ne semblait lasser cette femme
imperturbable et fragile. Elle2 avait réussi à faire nommer mon ancien tuteur en qualité
de conseiller privé […].” (MA:96)
“Şi atunci apăru cel mai înţelept dintre geniile mele bune : Plotina. […] În fapt eram
complici, urechea cea mai fină n-ar fi putut depista între noi semnele unui acord secret.
[Ø]1 N-a comis niciodată în faţa mea eroarea grosolană de a se plânge de împărat. […]
Attianus, care tocmai sosise de la Roma, s-a alăturat întrevederilor noastre ce durau
uneori întreaga noapte ; nimic însă nu părea să obosească pe această femeie
163 L’accent fort sur le pronom caractérise également l’exemple antérieur, extrait de l’oeuvre de M.
Yourcenar.
168
imperturbabilă şi fragilă. Ea2 reuşise să facă să fie numit fostul meu tutore în calitatea
de consilier privat […].” (MA:64)
Ni le type d’expression par lequel le référent du pronom a été désigné dans les énoncés
immédiatement précédents, ni le caractère thématique ou rhématique de cette expression
n’imposent, dans ce cas, la traduction ou la non-traduction du pronom elle par le pronom
ea. Ce qui conduit à la différence entre la traduction de elle1 et celle de elle2, ce n’est que le
désir du traducteur de rendre clair le fait que c’est Plotine, et pas quelqu’un d’autre de
l’espèce humaine, qui a réussi à accomplir l’action présentée dans le texte.
IV.1.2.2. Excepté l’emphase, le pronom il est traduit en roumain par el lorsqu’il
participe (à côté des connecteurs et du sémantisme verbal) à l’expression d’une relation
d’opposition entre deux référents ou entre deux situations (présentées comme réelles ou
hypothétiques):
“Les armateurs restaient groupés près de la longue table recouverte d’une nappe
blanche où étaient disposées les moques de vin. Ils ne dansaient pas.” (tandis que les
dockers dansaient) (FCT:33)
“Armatorii stăteau grupaţi lângă masa cea lungă acoperită cu o pânză albă pe care
erau înşirate căni de pământ umplute cu vin. Ei nu dansau.” (FCT:25)
“Quand je visitais les villes antiques, saintes, mais révolues, sans valeur présente pour
la race humaine, je me promettais d’éviter à ma Rome ce destin pétrifié d’une Thèbes,
d’une Babylone ou d’une Tyr. Elle échapperait à son corps de pierre; elle se
composerait du mot d’état, du mot de citoyenneté, du mot de république, une plus sûre
immortalité.” (MA:125)
“Când vizitam oraşele străvechi, sacre, care-şi trăiseră însă traiul, fără nici o valoare
prezentă pentru neamul omenesc, îmi juram să evit pentru Roma mea destinul pietrificat
al unei Tebe, al unui Babilon, al unui Tir. Ea va ieşi din trupul ei de piatră şi îşi va făuri
din cuvântul stat, din cuvântul cetăţenie, din cuvântul republică o nemurire mult mai
temeinică.” (MA:85)
“(Horty) Il avait pensé que Marie, le prenant pour l’employé chargé d’entretenir les
chaudières de l’hôtel, se détournerait de lui. Mais elle avait au contraire levé son regard
si clair, lui avait souri en lui tendant sa main.” (FCT:179)
“(Horty) Se gândise că Marie, luându-l drept un om de serviciu însărcinat cu îtreţinerea
cazanelor din hotel, îi va întoarce spatele. Dar ea, dimpotrivă, îşi ridicase privirea care
era atât de limpede, îi surâsese întinzându-i mâna.” (FCT:179)
169
La comparaison entre les différentes variantes de traduction atteste la régularité évidente de
l’équivalence il – el dans les cas d’opposition:
“En disant aux Verdurin que Swann était très «smart», Odette leur avait fait craindre un
«ennuyeux». Il leur fit au contraire une excellente impression […].” (RTP:28)
(1) “Spunând soţilor Verdurin ca Swann era foarte «smart», Odette îi făcuse să se teamă
că le va aduce pe cap un individ plicticos. Dimpotrivă, el le făcu o impresie excelentă
[…].” (RTP II:202)
(2) “Spunând Verdurinilor că Swann era foarte «smart», Odette îi făcuse să se teamă ca
nu cumva să fie vreun «plicticos». Dimpotrivă, el le făcu o impresie excelentă […].”
(RTP I:26)
Il y a des cas où le traducteur pourrait suggérer l’opposition par le choix fait dans la
traduction des pronoms. On a au moins trois possibilités de traduire le texte suivant:
“Il (Joseph) replongeait suivi par les enfants. Suzanne ne nageait pas aussi bien que
lui.(…) Toutes les dix minutes à peu près, la mère levait la tête au-dessus des cannas,
gesticulait dans leur direction et criait. Tant qu’ils1 étaient ensemble, elle2 ne
s’approchait pas. Elle3 se contentait de gueuler.” (BP)
(1) “Plonjă din nou, urmat de copii. Suzana nu înota tot aşa de bine ca el.(…)
Aproape la fiecare zece minute, mama înălţa capul deasupra trestiei de zahăr, gesticula
în direcţia lor şi striga. Cât timp [Ø]1 erau împreună, [Ø]2 nu se apropia de ei. [Ø]3 Se
mulţumea doar să ţipe.” (BP)
(2) “[…] Cât timp ei1 erau împreună, ea2 nu se apropia de ei. [Ø]3 Se mulţumea doar să
ţipe.”
(3) “[…] Cât timp ei1 erau împreună, ea2 nu se apropia de ei. Ea3 se mulţumea doar să
ţipe.”
Une traduction des pronoms (2, 3), tout à fait possible du point de vue de la
grammaire roumaine, suggérerait une opposition entre la mère et ses enfants qui
contreviendrait au sens général du texte. Cette opposition serait mise en évidence de la
manière la plus forte par la troisième variante, parce que l’expression du pronom dans la
dernière phrase créerait l’impression que la mère reconnaît et assume elle-même cette
opposition. Or, si l’on lit tout le texte, on se rend compte que la mère et ses enfants se
remarquent justement par leur solidarité. L’absence des pronoms dans la première variante
roumaine indique tout simplement, à côté de tant que, le fait qu’il s’agit d’actions
simultanées réalisées par les enfants et par la mère.
170
Il sied de rappeler que l’opposition peut très bien être exprimée en français à l’aide
d’un pronom tonique:
“– Să ştii tu că mie, când mă îmbăt, îmi vin felurite gânduri care mă bucură, căci ele164
mă deosebesc de ceilalţi oameni. Ei umblă pe spatele calului; eu vreau să umblu cu calul
în spate. Ei umblă pe-o cărare; eu vreau să umblu pe două.” (ZC:261)
“– Sache, lui disait-il, que moi, quand je suis pris de boisson, il me passe par la tête une
foule d’idées dont je me réjouis, car elles me distinguent des autres hommes. Eux vont à
dos de cheval; moi je veux aller avec le cheval sur mon dos. Eux battent le pavé, moi je
veux battre les murailles.” (ZC:78)
IV.1.2.3. Le pronom il (elle) est traduit aussi par el (ea) dans les structures
comparatives, explicites ou implicites:
“La plupart de nos lois pénales n’atteignent, heureusement peut-être, qu’une petite
partie des coupables […]. Elles changent moins vite que les moeurs.” (MA:127)
“Majoritatea legilor noastre penale nu lovesc, poate din fericire, decât o mică parte a
vinovaţilor […]. Ele se modifică mai încet decât obiceiurile.” (MA:87)
La comparaison implicite est réalisée grâce aux adverbes ou à d’autres structures
comparatives (aussi, également, à son tour, ni, non plus en français et şi, nici, de
asemenea, etc. en roumain):
“Dans la salle de bains Alise aidait Isis à se coiffer. Elles portaient déjà aussi leurs
chaussures et leurs bas.” (EJ:55)
“În baie Alise o ajuta pe Isis să se coafeze. Şi ele-şi puseseră ciorapii şi pantofii.”
(EJ:65)
Il faut reconnaître que la relation d’opposition implique une comparaison initiale, la
distinction entre ces deux types de mise en rapport n’étant souvent qu’un problème de
degré165
. Il n’est pas étonnant qu’un rapport qui semble plutôt comparatif en français soit
rendu par une opposition en roumain:
“– Elle a un grand air de famille avec vous, dit Chick. Quoique, du côté du buste, il y
ait quelques différences.
– Je suis assez large, dit Nicolas, et elle est plus développée dans le sens perpendiculaire
(…).”(EJ:14)
164 Ici, l’emploi du pronom est exigé par le besoin de désambiguïsation, vu que le verbe roumain a deosebi a
la même forme pour la première personne du singulier et pour la troisième personne du pluriel.
171
“– Grozav seamănă cu dumneata, spuse Chick. Deşi, în ce priveşte bustul, sunt unele
deosebiri.
– Eu sunt destul de lat în umeri, spuse Nicolas, ea, în schimb, e mai dezvoltată pe
perpendiculară (…).” (EJ:27)
Il arrive parfois que la comparaison implicite disparaisse complètement pendant le processus
de traduction, même si l’on a en français un pronom tonique:
“Horty entendit les joueurs de cartes soulever leur fenêtre. Le nez en l’air, eux aussi
regardaient Marie et se demandaient ce qu’elle faisait là, attachée, toute seule.”
(FCT:97)
“Horty îi auzi pe jucătorii de cărţi ridicând fereastra. [Ø] Se uitau în sus la Marie şi se
întrebau ce face ea singură, legată acolo de parapet.” (FCT:72)
IV.1.2.4. Les traductions indirectes du pronom il sujet en roumain sont sans doute
les plus fréquentes. En d’autres mots, dans les variantes roumaines des textes français
l’équivalent du pronom il est le plus souvent une place vide. C’est la désinence du verbe
fléchi qui exprime la troisième personne et qui, en plus, joue le rôle d’indicateur de la
continuité thématique. Même au cas où plusieurs référents sont disponibles, nous nous
rendons facilement compte du thème du nouvel énoncé sans l’aide de quelque expression
référentielle sujet.166
D’ailleurs, il faut préciser que même en français la présence du pronom il en tête de
phrase ne signifie pas nécessairement que l’énoncé qui contient le pronom a le même thème
que l’énoncé antérieur. Les linguistes ont observé, par exemple, que la même personne est
reprise en position thématique dans deux propositions successives si l’ordre temporel est
respecté, alors que le thème change (progression non-linéaire) si l’ordre temporel est
inversé167
.
165 L’emphase pourrait être envisagée comme l’expression la plus forte de l’opposition: un référent est
analysé en rapport avec tous les autres référents imaginables qui appartiennent à la même classe ou qui
pourraient se trouver dans la même situation. 166 “S-a aflat de la cuvioşii monahi că acel fecioraşi are numele Ionuţ, dar e mai cunoscut după poreclă.
Comisuluij celui bătrân Manole Păr-Negru îi zice lumea şi Jder. Deci băiatului îi spune Jder cel mititel.
Muierile au băgat îndată de samă că-i stângaci, şi au scos din asta semne şi vestiri pentru treburile lui de
dragoste. Il arată şi chipul să fie un pui vrednic de părintele său, care l-a făcut aşa de târziu. [Ø]j L-a făcut
nu se ştie când şi cum, nu în casa lui ci, după feleşagul cucului, în cuib străin. După ce [Ø]i s-a ridicat la
vârsta asta, [Ø]j l-a adus între ceilalţi feciori ai lui legiuiţi.” (M. Sadoveanu, Fraţii Jderi, Cartea
Românească, 1978:9) 167 Voir J.-M. Luscher (1998:126).
172
Puisque le rôle d’indicateur de la continuité thématique revient en roumain surtout
aux désinences verbales, nous nous demandons quel est le rôle de l’occurrence du pronom
de la troisième personne, hormis l’expression du contraste et de l’emphase. Nous avons
constaté que le pronom sujet il a souvent pour correspondant le pronom el au cas où il faut
marquer un changement de thème local: c’est-à-dire que le référent est assez saillant
cognitivement pour permettre l’utilisation de il, mais il ne constituait pas le thème de
l’énoncé précédent:
“Ceux-ci (ces projets) consistaient à demander aux paysans qui vivaient misérablement
sur les terres limitrophes de la concession de construire, en commun avec elle, des
barrages contre la mer. Ils seraient profitables à tous. Ils longeraient le Pacifique […].”
(BP:40)
“Voia să ceară ţăranilor care trăiau în mizerie pe terenurile ce mărgineau concesiunea
să construiască împreună cu ea stăvilare împotriva mării. Ele ar fi folosit tuturor.
Urmau să fie amplasate de-a lungul Pacificului.” (BP:26)
Nous avons observé cependant que, même si le thème reste le même dans deux énoncés
successifs, on préfère utiliser le pronom el à la place de l’anaphorique vide dans le deuxième
énoncé si le thème porte sur un référent ayant le trait non-humain:
“L’existence des héros, celle qu’on nous raconte, est simple; elle va droit au but comme
une flèche.” (MA:32)
“Existenţa eroilor, cea povestită, e simplă; ea merge direct la ţintă ca o săgeată.”
(MA:19)
“La fiction a du bon: elle prouve que les décisions de l’esprit et de la volonté priment les
circonstances.” (MA:43)
“Ficţiunea are şi partea ei bună: ea dovedeşte că hotărârile luate de spirit şi voinţă sunt
mai importante decât împrejurările.” (MA:25)
“Quelques comédons saillaient aux alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans
le miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau et, satisfait, Colin éteignit la
lampe.” (EJ:9)
“Câteva comedoane îi ieşeau în relief în jurul nărilor. Văzându-se aşa de urâte, ele se
retraseră iute în piele şi, mulţumit, Colin stinse lumina.” (EJ:23)
Dans l’article “Pronom, dynamisme communicatif et discours. La fonction discursive
des sujets dans la prose de I. L. Caragiale” (1992), l’un des rares articles qui traite du
pronom personnel sujet en roumain d’une autre perspective que celle de la morpho-syntaxe,
M. Manoliu-Manea analyse l’emploi des pronoms sujets dans les textes de I. L. Caragiale,
173
mettant en évidence l’influence des paramètres discursifs dans le choix entre le nom, le
pronom personnel et le pronom-zéro pour l’expression du sujet. À partir de l’observation
que l’étude à un seul niveau (syntaxique ou pragmatique) n’est pas à même d’expliquer le
choix en question, M. Manoliu Manea propose d’introduire dans l’analyse des paramètres
appartenant aux niveaux discursifs suivants :
“a) le rôle des personnages dans la narration (ou dans le dialogue), tels que:
initiateur de l’activité, personnage central ou marginal, le participant le plus actif versus
le participant le moins actif, etc.168
b) la distribution des fonctions des unités discursives, telles que : (I) activité de
premier plan vs. (II) cadre, activité incidente ou de l’arrière-plan, (III) unité de passage
entre deux événements de premier plan, (IV) unité introductive vs. (V) unité de clôture /
conclusion, (VI) prise de position vs. (VII) argumentation, (VIII) cause vs. (IX) effet etc. ”
(1992:284).
M. Manoliu Manea part de l’hypothèse (qui correspond parfaitement à notre
perspective) selon laquelle “l’anaphore n’a pas seulement le rôle de contribuer à
l’économie linguistique afin de contribuer à la cohérence textuelle, mais sert également de
démarcateur de certaines fonctions discursives” (1992:284)169
.
Puisque le modèle pragmatique reposant sur le dynamisme communicatif170
ne peut
donc pas justifier et/ou prédire le choix d’un substitut nominal plein au lieu d’un substitut-
zéro, ni le cas où le sujet pronominal apparaît en position post-verbale, l’article de M.
Manoliu Manea propose un modèle discursif plurifonctionnel qui tient compte des stratégies
rhétoriques et des conditions syntaxiques et pragmatiques qui régissent le choix du nom, du
pronom ou du pronom-zéro dans la position de sujet.
Après l’examen des textes de Caragiale, M. Manoliu Manea formule ce qui, d’après
nous, constitue la différence essentielle entre le français et le roumain du point de vue de
168 Dans le texte suivant, le rôle de personnage central de Chloé (c’est la jeune mariée) rend facile
l’interprétation référentielle du pronom il en français et de l’anaphorique zéro en roumain. Si les deux
énoncés étaient détachés du cotexte, sans aucune explication, le deuxième deviendrait ambigu:
“Alisei portait une orchidée mauve dans les cheveux, Isisj une rose écarlate et Chloék un gros camélia
blanc. Ellek tenait une gerbe de lys […].” (EJ:59)
“În păr Alise avea o orhidee mov, Isis un trandafir stacojiu şi Chloé o camelie albă, mare. [Ø]k Ţinea în
braţe un snop de crini […].” (EJ:68) 169 Une autre observation faite par M. Manoliu Manea qu’il faudrait retenir est que le choix des expressions
référentielles sujets est l’un des lieux où se manifeste l’art, le talent de I. L. Caragiale. 170 “Ce dynamisme communicatif se définit par le degré dans lequel un constituant participe au
développement de la communication, par la mesure dans laquelle il fait avancer la communication” (M.
Manoliu Manea, 1992:285).
174
l’emploi des pronoms-sujets : en roumain “le pronom-zéro sert à réaliser une cohérence
textuelle qui va de pair avec la continuité référentielle et thématique : il est signe de
continuité et d’intégration, tandis que le pronom personnel est marque de coupure, de
changement, de désintégration textuelle, même en dépit de la continuité référentielle”
(1992:303).
Les constatations faites dans l’article de M. Manoliu Manea, qui coïncident en grande
partie avec les nôtres, permettent de systématiser les situations d’emploi 1) du pronom-
zéro ; 2) du pronom personnel de la troisième personne.
1) La présence -“absence” du pronom-zéro est conditionnée par la permanence du
rôle d’initiateur du référent et par la permanence de la fonction de l’unité de discours, même
au-delà des limites d’un paragraphe. La fonction principale du pronom-zéro est de
démarcateur de cohésion. Il signale aussi l’intégration de l’unité où il apparaît dans une
unité discursive de rang supérieur. En d’autres mots :
a) le pronom-zéro apparaît d’habitude dans des paragraphes dont les énoncés gardent
le même référent des sujets :
“Marullinius, mon grand-père, croyait aux astres. […] Il descendait d’une longue série
d’ancêtres établis en Espagne depuis l’époque des Scipions. Il était de rang sénatorial,
le troisième du nom ; notre famille jusque là avait été d’ordre équestre. Il avait pris une
part, d’ailleurs modeste, aux affaires publiques sous Titus.” (MA:39)
“Bunicul meu Marullinus credea în astre. […] [Ø] Cobora dintr-un şir lung de strămoşi
aşezaţi în Spania încă de pe vremea Scipionilor. [Ø] Era de rang senatorial, al treilea
purtător al acestuia din familia noastră care aparţinuse mai înainte ordinului ecvestru.
[Ø] Luase parte, dealtfel modestă, la treburile publice sub Titus.” (MA:22)
b) le pronom-zéro peut apparaître au début d’un nouveau paragraphe à condition
qu’on maintienne comme topique le même référent des phrases antérieures et que celui-ci
garde son rôle :
“Horty pouvait tout aussi bien emprunter cette rue-ci ou celle-là.
Alors il considéra le front de cette ville étrangère noircie par les fumées des navires
[…]. Il était loin de chez lui.” (FCT:60)
“Horty putea s-o ia la fel de bine pe o stradă sau pe cealaltă.
Atunci [Ø] cercetă cu atenţie faţa acestui oraş străin înnegrit de fumul vapoarelor […].
Era departe de casă.” (FCT:46)
c) parfois, le pronom-zéro apparaît “pour marquer l’intégration de plusieurs unités,
soit a1, a2….an, dans une autre unité, soit (A), qui dépasse les limites d’un paragraphe, si
175
(A) est intersectée par une autre unité, soit (B), à sujet différent. Du point de vue
stylistique, le pronom-zéro sert alors à imprimer un rythme171
rapide au développement du
scénario” (M.Manoliu Manea, 1992:302). Il s’agit donc de deux unités, de deux plans qui
s’entrecoupent : le sujet de la deuxième unité ne coïncide pas avec le sujet de la première
unité. Afin d’assurer la continuité topicale de celui-ci, on peut utiliser un pronom au datif
renvoyant au même référent ou l’on peut employer un verbe nominalisé ayant un sujet sous-
entendu dont le référent est le même que celui topicalisé dans la première unité. Pour rendre
cette idée plus claire, reprenons l’exemple de M. Manoliu Manea :
A’ 1. Cănuţă oftă adânc
Cănuţă soupira profondément
2. ca şi cum ar fi răsuflat întâia dată,
comme s’il eût respiré la première fois,
3. îşi şterse repede ochii,
il se frotta vite les yeux,
4. ca şi cum ar fi văzut întâia dată lumina.
comme s’il eût vu la première fois la lumière.
B. 1. În perete ardea o lămpuşoară afumată.
Au mur brûlait une petite lampe enfumée.
2. Toţi băieţii ceilalţi dormeau adânc.
Tous les garçons les autres dormaient profondément.
A ” 1. Îşi luă într-o basma lucruşoarele lui, mai nimic
Il se prit dans un fichu ses petites choses, presque rien
2. şi ieşi.
et sortit.
[I.L. Caragiale (1966:67) : Nuvele şi povestiri, Bucureşti, Editura Tineretului,
dans M. Manoliu Manea (1992:291)]
A’ 1. Cănuţă poussa un profond soupir
2. comme s’il eût respiré pour la première fois,
3. il se frotta les yeux,
4. comme s’il eût vu la lumière pour la première fois.
171 Mentionnons que même chez les auteurs français on peut avoir un pronom-zéro pour imprimer un
rythme rapide au texte: “«J’ai été comme ça. Je me suis crue comme ça.» Le corps invisible, invulnérable.
Mais les autres y pensaient. Y pensent. Pensent à elle comme à un objet de pitié. Voient à travers les
vêtements, imaginent” (F. Mallet-Joris, Divine, Flammarion, 1991:63).
176
B. 1. Au mur une petite lampe à gaz enfumée jetait une faible lumière.
2. Tous les autres garçons dormaient profondément.
A” 1. Il mit ses affaires, presque rien, dans un fichu
2. et sortit.
2) En ce qui concerne la présence du pronom sujet, elle est signalée par M. Manoliu Manea
dans trois situations :
a) Le pronom apparaît quand le sujet garde son référent dans plusieurs unités, mais son rôle
change (par exemple l’expérimentateur devient instigateur ou vice-versa). Un exemple qui
nous semble convenable pour illustrer cette situation est extrait de La Peste. Afin de
souligner la multitude de points de vue incarnés en Tarrou, Eta et Marin Preda choisissent
d’utiliser le pronom el au début de plusieurs phrases successives :
“C’est encore Tarrou qui donne l’image la plus fidèle de notre vie d’alors. Il suivait,
bien entendu, les progrès de la peste en général […]. Il évoquait aussi les aspects
pathétiques ou spectaculaires de l’épidemie […]. Mais il notait par ailleurs que les
pastilles de menthe avaient disparu des pharmacies […].
Il continuait aussi d’observer ses personnages favoris.” (P:108)
“Tot Tarrou este acela care dă imaginea cea mai fidelă a vieţii noastre de atunci. El
urmărea, bineînţeles, progresele ciumei în general […]. El evoca şi aspectele patetice
sau spectaculoase ale epidemiei […]. Dar el nota pe de altă parte că pastilele de mentă
dispăruseră din farmacii.[…].
El continua de asemenea să-şi observe personajele lui favorite.” (P:112)
b) L’occurrence du pronom marque l’opposition entre le monde des attentes infirmées par
le prédicat du sujet coréférentiel précédent et le monde de la réalité évoquée par le prédicat
du pronom-sujet :
“Des épouses lui prenaient le poignet et hurlaient : «Docteur, donnez-lui la vie !» Mais
il n’était pas là pour donner la vie, il était là pour ordonner l’isolement.” (P:176)
“Unele soţii îl apucau de mână şi urlau : «Domnule doctor, salvaţi-i viaţa !» Dar el nu
venise acolo ca să salveze vieţi, el venise ca să ordone izolarea.” (P:176)
À vrai dire, nous ne voyons pas de différence essentielle entre cette situation et les
oppositions présentées au point IV.1.2.2.
c) Le pronom est également utilisé lorsqu’il s’agit de deux personnages qui contrôlent tour
à tour l’activité, à condition qu’ils soient désignés par des expressions référentielles ayant
des genres différents.
177
“Elle se leva, se leva avec lenteur, fut levée, réajusta une nouvelle fois sa veste. Il ne
l’aida pas. Elle se tint en face de lui encore assis, ne disant rien.” (MC:48)
“Ea se ridică, se ridică încet în picioare, îşi potrivi din nou mantoul. El n-o ajută. Ea
mai rămase în faţa lui, tot stând, nespunând nimic.” (MC:38)
M. Manoliu Manea fait la distinction entre l’emploi du pronom (zéro ou exprimé) et
l’emploi des noms propres : si la fonction du pronom-zéro est de marquer la relation
d’inclusion dans une unité supérieure de discours, la fonction du nom propre est
d’introduire une unité de discours nouvelle qui sert d’introduction ou de clôture à une autre
unité discursive d’ordre supérieur.
IV.1.2.5. À notre avis, il y a encore une situation qu’il faut absolument mentionner:
l’équivalence il – el s’impose lorsqu’il est nécessaire d’exprimer un autre point de vue
que celui du locuteur (ou, en d’autres mots, d’introduire un nouveau sujet de conscience):
Nous avons déjà présenté la conception sur la polyphonie de O. Ducrot, qui, dans son
“Esquisse d’une théorie polyphonique de l’énonciation” (1984:171-233), distingue le
locuteur en tant que tel du locuteur en tant qu’être du monde. Le locuteur en tant que tel est
le responsable de l’énonciation, considéré uniquement en tant qu’il a cette propriété. Le
locuteur en tant qu’être du monde est une personne complète, qui possède, entre autres
propriétés, celle d’être l’origine de l’énoncé. D’après Ducrot, l’énoncé peut faire apparaître
des voix qui ne sont pas celles d’un locuteur, mais celles de divers énonciateurs. Les paroles
des énonciateurs ne sont pas reproduites, cependant on sait que ce sont leurs points de vue
qui sont exprimés. “Le locuteur, responsable de l’énoncé, donne existence, au moyen de
celui-ci, à des énonciateurs dont il organise les points de vue et les attitudes” (O. Ducrot,
1984:204-205).
Nous croyons que la présence des pronoms personnels de la troisième personne dans
les textes roumains peut être un signe de la polyphonie, c’est-à-dire qu’elle peut mettre en
relief l’existence de plusieurs voix, donc exprimer les relations entre les divers énonciateurs,
ou entre le locuteur en tant que tel et le locuteur en tant qu’être du monde. Il faut cependant
reconnaître qu’il est difficile de discerner la contribution du pronom personnel par rapport à
celle du cotexte.
Dans le texte suivant, l’emploi des pronoms personnels en roumain, à côté du
conditionnel présent, renforce l’idée que les petits événements racontés sont imaginés par
l’énonciateur Horty. Si les pronoms personnels sujets manquaient en roumain (l’absence de
178
la plupart de ces pronoms ne rendrait pas le texte absolument incompréhensible), on aurait
l’impression que le point de vue exprimé ne serait plus celui de Horty, mais celui d’un
locuteur omniscient, qui pèserait les conséquences des gestes de Horty:
“Horty devait la retrouver, lui expliquer qu’il avait passé tant de soirées à lui parler
d’amour […].
Il la respirerait, c’est tout. Il fermerait les yeux si elle2 l’exigeait. Cela durerait ce
qu’elle voudrait bien. Il s’écarterait d’elle sitôt qu’elle le demanderait – en fait, elle
n’aurait même pas la peine de le demander, il suffirait d’une simple crispation de sa part
et il s’en irait.
Elle ne devait pas croire que tous les hommes avaient en tête de faire l’amour, quelques-
uns pouvaient se contenter de beaucoup moins […].” (FCT:272)
“Horty trebuia s-o regăsească, să-i explice că petrecuse atâtea seri vorbindu-i despre
dragoste […].
El s-ar mulţumi să-i simtă prezenţa, asta ar fi tot. Ar închide ochii dacă ea2 i-ar cere-o.
Asta ar dura cât ar dori ea. El s-ar îndepărta imediat ce i-ar cere-o – de fapt, nici măcar
n-ar trebui să-şi dea osteneala să i-o ceară, ar fi de-ajuns o singură crispare din partea
ei şi el ar pleca.
Ea nu trebuia să creadă că toţi bărbaţii nu aveau în cap decât să facă dragoste, unii se
puteau mulţumi cu mult mai puţin […].” (FCT:206)
Ce qui nous semble intéressant dans le texte ci-dessus, c’est qu’il reflète la capacité du
pronom personnel roumain de signaler le dédoublement: Horty voit une image de lui-même
projetée dans un monde hypothétique.
Cette idée est confirmée par la façon dont on a traduit les pronoms de La Peste au
moment où ils avaient pour référent le locuteur même. Le locuteur en tant que tel est
toujours désigné par une expression à la première personne (dans La Peste, il est
“dissimulé” le plus souvent dans un nous collectif). Mais le locuteur en tant qu’être du
monde peut être présenté grâce à un pronom de la troisième personne. L’emploi du pronom
personnel el dans la variante roumaine creuse le fossé entre le locuteur en tant que tel et le
locuteur en tant qu’être du monde, en soulignant ainsi l’objectivité vers laquelle tend le
récit:
“Le narrateur de cette histoire a donc les siens: son témoignage d’abord, celui des
autres ensuite, puisque, par son rôle, il fut amené à recueillir les confidences de tous les
personnages de cette chronique et, en dernier lieu, les textes qui finirent par tomber
179
entre ses mains. Il se propose d’y puiser quand il le jugera bon et de les utiliser comme il
lui plaira.” (P:14)
“Povestitorul acestei istorii se sprijină deci şi el pe ale sale [documente]: mărturia sa
mai întâi, aceea a altora apoi, pentru că, prin rolul său el a ajuns să culeagă
destăinuirile tuturor personajelor acestei cronici şi, în ultimul rând, textele care în cele
din urmă îi căzură în mâini. El îşi propune să le consulte când va socoti de cuviinţă şi să
le folosească cum o să-i placă.” (P:28)
En lisant l’oeuvre de L. Rebreanu, nous avons eu l’impression que le jeu des pronoms
personnels sujets permet au locuteur d’exprimer le fait que les divers énonciateurs se
voient/s’analysent eux-mêmes, mais en essayant de se détacher d’eux-mêmes: en fait, ils
s’imaginent être vus/analysés par d’autres énonciateurs, ils se voient des yeux des autres.
Tout en reconnaissant que notre intuition de lectrice joue un (trop?) grand rôle dans ces
dernières affirmations, nous citons ci-dessous quelques petits textes qui nous paraissent
éloquents:
“– Să vă dau, cioroilor, fire-aţi ai naibii? râse George foarte mulţumit că au să vadă
toţi cum cinsteşte el pe ţigani.” (ION:20)
“Fierbea. Se gândea mereu să-şi croiască drum până în grădină, s-o vadă cum şade ochi
în ochi cu Ion. Dar mereu îşi lua seama, zicându-şi că poate mai mult ar strica decât ar
folosi, dacă cumva nu s-ar isca şi o bătaie, căci Ion e arţăgos ca un lup nemâncat. De va
şti fata că el ştie, mai rău se va înrăi. Mai bine să-i lase în pace.” (ION:23)
“Dar îşi zise că fata poate nu ştie ce vitejie a săvârşit dânsul adineaori, iar să-i spună el
nu i se părea potrivit.” (ION:38)
C’est probablement cette capacité du pronom personnel roumain de contribuer à
l’expression de la polyphonie qui le fait apparaître dans les monologues intérieurs, mais
aussi dans les discours directs et les discours indirects libres. Nous avons constaté que le
pronom il est fréquemment traduit par le pronom roumain el dans les phrases incises du
discours direct ou du discours indirect libre:
“Suzanne rit encore et se tourne vers lui. Il baissa les yeux.
– C’est pas vrai, dit-elle.
M. Jo rougit.
– Il n’est pas encore temps d’en parler, reprit-il.” (BP:113)
“Suzana râse din nou şi se întoarse spre el. Domnul Jo plecă ochii.
– Nu-i adevărat, spuse ea.
Domnul Jo roşi.
180
Nu-i încă timpul să vorbim despre asta, ar fi inutil, reluă el.” (BP:90)
“Elle buvait, prétendait-elle, «pour noyer sa honte».”(BP:91)
Bea, pretindea ea, pentru a-şi îneca ruşinea.” (BP:67)
Cependant il y a beaucoup de cas où le pronom n’est pas traduit:
“Ce mariage était nécessaire, disait-elle.” (BP:113)
“Căsătoria este necesară, pretindea.” (BP:90)
Notre hypothèse est que la traduction ou la non-traduction du pronom il par el dans
les incises peut engendrer de petites différences de nuances: si l’on utilise le pronom en
roumain, c’est parce qu’on perçoit le locuteur comme s’il faisait une distinction très nette
entre lui-même et les autres énonciateurs. L’anaphorique vide dans les incises crée plutôt la
sensation d’un consensus entre les opinions du locuteur et celles de l’énonciateur, ou au
moins d’une attitude compréhensive du locuteur par rapport aux divers énonciateurs.
À notre avis, on peut affirmer que, en roumain, le pronom personnel sujet de la
troisième personne peut être interprété logophoriquement dans certains de ses emplois.
“Un pronom logophorique est un pronom dont l’antécédent incarne […] un sujet de
conscience, c’est-à-dire un personnage à travers les yeux duquel l’histoire est racontée,
dont le texte nous invite à épouser le point de vue” (A. Zribi-Hertz, 1996:190).
L’idée n’est pas tout à fait nouvelle. I. Iordan (1954:390) observait déjà que le jeu des
noms et des pronoms peut exprimer le dédoublement. La situation prise en considération
par le linguiste est celle où le locuteur emploie une autre personne – la II-ème personne ou
un nom172
– pour se désigner lui-même. L’origine de cet emploi se trouve probablement
dans l’imitation du langage enfantin par les adultes (I. Iordan, 1975:116) et les raisons de
cet emploi semblent être d’ordre affectif (I. Iordan, 1954:390). Nous avons retenu la
description du processus fournie par I. Iordan: “Obişnuit subiectul vorbitor recurge la
cuvântul cu care i se adresează partenerul însuşi: vrea oarecum să apară în ochii acestuia
aşa cum este văzut de el […]”173
(I. Iordan, 1975:116).
Selon nous, ce n’est pas seulement le cas du locuteur: les énoncés peuvent être
construits de manière à refléter le fait que les différents énonciateurs:
172 Exemples donnés par I. Iordan: Na, Dănilă, îşi zise el în gândul său, aşa c-ai sfeclit-o? (I. Creangă);
Veniţi să vă sărute mama.; Te crede moşul, nepoate! C’est ce que C. Kerbrat-Orecchioni (1980) appelle
«énallage»: la possibilité d’utiliser les déictiques avec une valeur décalée par rapport à leur valeur la plus
usuelle. 173 “D’habitude, le sujet parlant recourt au mot utilisé par l’interlocuteur même pour lui adresser la
parole: il veut d’une certaine manière apparaître aux yeux de son interlocuteur tel qu’il est vu par celui-
ci.”
181
1. se voient tels qu’ils s’imaginent être vus par les autres;
2. ou se voient comme si une instance objective s’était détachée d’eux-mêmes et les
eût regardés de l’extérieur.
IV.1.2.6. Nous avons signalé le fait que la traduction de il par un anaphorique vide
est extrêmement fréquente. Il ne serait peut-être pas dépourvu d’intérêt de préciser que
d’autres traductions indirectes sont possibles. Tout traducteur se charge sans doute d’une
grande responsabilité par rapport au lecteur. Le choix d’une expression référentielle exige
du traducteur un effort d’interprétation du texte source, mais aussi l’effort d’atteindre une
certaine empathie avec le lecteur potentiel du texte cible. Dans les termes d’A. Reboul et de
J. Moeschler, on dirait que le traducteur doit avoir la théorie de l’esprit, qu’il doit tenir
compte de l’intention informative locale et de l’intention informative globale. Le traducteur
est soumis à une double contrainte, vu que ces intentions ne se concrétisent pas de la même
manière dans les deux langues. Par conséquent, toutes les fois qu’il considère qu’une
traduction directe d’un anaphorique mènerait à des inexactitudes, à des ambiguïtés dans le
texte d’arrivée ou qu’elle aurait pour effet la désorientation du lecteur, il prend la liberté
d’introduire d’autres expressions référentielles à la place des équivalents des expressions du
texte de départ:
“Chloé rougit.
– Ce n’est pas pour ça. D’ailleurs, ajouta-t-elle pour se venger, nous ne quitterons pas
les grandes allées, autrement on se mouille les pieds.
Il serra un peu le bras qu’il sentait sous le sien.
– On va prendre le souterrain, dit-il.” (EJ:43)
“Chloé roşi.
– Nu de asta. De altfel, adăugă ea în chip de răzbunare, nu vom părăsi aleile mari,
altminteri ne vom uda la picioare.
Colin strânse puţin braţul pe care-l simţea sub al său.
– Hai prin pasajul subteran, zise Colin.” (EJ:55)
“La plupart du temps, elle se fournissait auprès du marchand d’épaves. Il visitait la
Ville-Basse une fois par mois […].” (FCT:22)
“De cele mai multe ori se aproviziona de la negustorul care vindea lucruri provenite de
la epave. Acesta trecea prin Oraşul-de-Jos o dată pe lună […].” (FCT:17)
Il s’agit toujours de traductions indirectes quand le pronom roumain el traduit
d’autres expressions référentielles que le pronom il:
182
“Nicolas venait d’apparaître au contrôle et Isis sur la piste. Le premier se dirigea vers
les étages supérieurs, la seconde vers Chick, Colin et Alise.” (EJ:21)
“Nicolas îşi făcuse apariţia la intrare, iar Isis pe pistă. El se îndreptă spre etajele de
sus, iar ea spre Chick, Colin şi Alise.” (EJ:35)
“Il y eut du serrage de mains et Chick en profita pour filer avec Alise, laissant Isis au
bras de Colin, lesquels démarrèrent à la suite.” (EJ:21)
“Urmară strângeri de mână şi Chick profită de ele ca s-o şteargă împreună cu Alise,
lăsând-o pe Isis în braţele lui Colin; o luară şi ei îndată din loc.” (EJ:35)
On voit bien que dans les exemples donnés le pronom personnel roumain, bien qu’il
traduise d’autres expressions que son équivalent français, est utilisé pour exprimer
l’opposition et la comparaison.
IV.1.2.7. Ajoutons enfin que la façon dont on traduit le pronom personnel de la
troisième personne d’une langue à l’autre est souvent déterminée par des raisons d’ordre
stylistique et rhétorique, qu’il faut prendre en considération quand on analyse un corpus de
textes. Le désir d’éviter les répétitions fâcheuses ou de garder un certain rythme à la phrase
peut influencer les options des traducteurs. Répétons la phrase extraite de La Peste, où la
traduction du deuxième il par un anaphorique vide rendrait comique la variante roumaine:
“Rambert dit qu’il avait encore réfléchi, qu’il continuait à croire ce qu’il croyait […].”
(P:190)
“Rambert zise că s-a mai gândit, că el continua să creadă ceea ce credea […].” (P:189)
IV.2. Les pronoms semi-indépendants – des pronoms endophoriques
Dans le groupe des endophoriques pronominaux, nous tenons à inclure les pronoms
semi-indépendants174
, c’est-à-dire les pronoms al et cel du roumain. La relation de semi-
indépendance entre deux segments A et B suppose que B puisse apparaître sans A, tandis
que A ne puisse être utilisé que dans la compagnie de B. Cependant, on pourrait avoir un
174 Al, cel en roumain et le (qui réclame soit un adjectif, soit un possessif ) en français sont désignés comme
des pronoms semi-indépendants par M. Manoliu Manea. Nous hésitons à inclure le parmi les pronoms,
mais nous considérons que al et cel peuvent être considérés des pronoms dans toutes les structures
syntaxiques où ils sont intégrés, pas seulement dans les structures décrites par M. Manoliu Manea comme
étant spécifiques pour les occurrences pronominales.
183
autre segment, C, indépendant de B, à la place de A. Dans le cas des pronoms semi-
indépendants, C serait un nom accompagné par un article défini. Du point de vue
syntagmatique, les pronoms semi-indépendants ne peuvent donc pas former seuls un groupe
nominal. Ces pronoms exigent la présence d’autres éléments linguistiques, avec lesquels ils
forment des structures exocentriques d’interdépendance175
. Al se met nécessairement à côté
d’un nom au génitif ou à côté d’un possessif. Cel impose l’emploi avec un groupe
prépositionnel, un adjectif qualificatif, une proposition relative ou un nom précédé par al.
Il sied de rappeler que la valeur grammaticale assignée à al et cel varie d’un chercheur
à l’autre.
IV.2.1. L’anaphorique “fixatif” al
En ce qui concerne al (a, ai, ale), Gramatica Academiei le prend pour un article
possessif (génitival) à chacune de ses occurrences176
, en envisageant quand même la
possibilité de l’interpréter comme pronom (auquel cas il se rapproche de sa valeur originaire
de pronom démonstratif) “atunci când lipseşte substantivul determinat […] ca şi atunci
când intră în componenţa unui pronume posesiv”177
(1966,I:106). Dans d’autres
ouvrages178
, on affirme que le mot al recouvre plusieurs homonymes et qu’il est nécessaire
de distinguer le pronom al de l’article ou le morphème179
al et de l’indice ordinal al.
L’argument principal de cette distinction serait le fait qu’un nom accompagné par l’article
défini se substitue au pronom al, mais ne peut que précéder l’indice ordinal al, obligatoire
devant le numéral ordinal. L’article al peut être remplacé par l’article défini, et pas dans
tous les contextes. Il y a une autre option possible quant au rattachement de al à une
certaine classe grammaticale: on peut considérer qu’il s’agit d’un pronom chaque fois qu’on
utilise ce petit mot. Cette dernière option, qui évite une perspective éclatée sur al, est
préférée par M. Florea (1983) et par nous-même. À notre avis, al implique une
interprétation référentielle et indique une opération sur les représentations mentales dans
175 Par structure exocentrique, on comprend un groupe où au moins un membre du groupe n’a pas la même
distribution que tout le groupe (cf. M. Manoliu Manea, 1968:139, M. Florea, 1983:18, M. Wilmet,
1998:45). L’interdépendance signifie que la distribution du groupe ne coïncide avec la distribution d’aucun
de ses membres. 176
La même opinion est exprimée dans Enciclopedia Limbii Române (M. Sala et alii, 2001:442). 177 “lorsque le nom déterminé est absent […] de même qu’au cas où al entre dans la composition du
pronom possessif”. 178 M. Manoliu Manea (1968), G. Pană Dindelegan (1992), I. Coteanu et alii (1985). 179 I. Coteanu et alii (1985) nient l’existence de l’article comme partie du discours au même titre que le
nom, le verbe, la préposition, etc.
184
tous les contextes où il apparaît. Énumérons ces contextes, en spécifiant en fait les cotextes
possibles de al et en soulignant en même temps ses hétéronymes les plus fréquents en
français:
a) al + Nom au génitif (= Ng) / possessif180
“Domnul îi auzi în odăile de aproape glasuli, amestecat cu alj doamnei.” (ZC:310)
“Le prince entendit, dans la pièce voisine, sa voixi mêlée à cellej de la princesse.”
(ZC:91)
“sclavul meu dispune spre a mă observa de posibilităţii cu totul diferite de alej mele faţă
de el.” (MA:18)
“mon esclave a pour m’observer des facilitési complètement différentes de cellesj que j’ai
pour l’observer lui-même.” (MA:31)
Il est évident que al est ici un pronom endophorique. Pour être pleinement interprété
du point de vue référentiel, il a besoin d’un avant et d’un après. La représentation mentale
correspondant à son antécédent comprend les informations catégorielles grâce auxquelles il
crée la représentation mentale d’un nouveau référent. Par rapport aux autres pronoms, la
particularité de al est qu’il ne réussit pas à créer tout seul cette nouvelle représentation
mentale: celle-ci n’est bien dessinée, complète, qu’après qu’on lui ajoute les informations
fournies par le nom au génitif ou le possessif qui se trouvent juste à côté de al. (Le possessif
ou le nom peuvent eux aussi être des anaphoriques, mais ce n’est pas obligatoire.) En
d’autres mots, la référence s’accomplit seulement à l’instant où l’énonciation de la structure
exocentrique est achevée181
. La semi-indépendance syntagmatique est donc la conséquence
d’une semi-indépendance au niveau pragmatique: le référent de al n’est identifié que grâce à
sa relation avec un autre référent. Al ne se confond pas avec les articles parce que le référent
auquel la structure qu’il exige renvoie ne coïncide jamais avec le référent du nom au génitif
pris seul.
Al apparaît dans des anaphores divergentes (comme dans les exemples ci-dessus) ou
dans des anaphores inclusives (et alors il est l’indice d’une opération d’extraction, par
laquelle on obtient d’une représentation mentale correspondant à un groupe d’objets
indifférenciés une autre représentation mentale, correspondant à un membre de ce groupe,
différencié des autres membres par la propriété exprimée par le possessif ou le nom au
180 Ce cotexte est le seul qui permette l’emploi de la forme alor:
“slăbiciunile lor servesc drept scuze alor mele” (MA:19)
“leurs folies servent d’excuses aux miennes” (MA:31). 181 C’est la raison pour laquelle nous soulignons al avec le possessif ou le nom au génitif qui le suivent.
185
génitif):
“Griga, oficiind, deşertă urciorul în ulcelei. Luă pe-aj sa, puse pe-alek cinstiţilor săi
oaspeţi în mâinile lor […].” (ZC:273)
“Avec des gestes d’officiant, Griga déversa le pichet dans les cruchonsi. Il prit lej sien,
mit lesk autres entre les mains de ses nobles hôtes.” (ZC:92)
La coréférence est possible seulement dans des structures coordonnées (que nous
présentons par la suite) ou, apparemment, avec des verbes copulatifs (ou, encore, dans les
éléments prédicatifs supplémentaires):
“– Cunoşti această iscăliturăi?
– O cetesc, înalt prea sfinte, şi văd că [Ø] este ai lui Dumitraşcu-Vodă.
– Ş-oi cunoşti drept ai lui?” (ZC:363)
“– Reconnaissez-vous cette signaturei?
– Je la lis monseigneur, et je vois que c’est cellei du voïvode Dumitraşcu.
– Vous lai reconnaissez comme étant lai sienne?” (ZC:200)182
(Mais nous rappelons que lorsque al remplit la fonction d’attribut ou d’élément prédicatif
supplémentaire, nous ne le prenons pas pour un anaphorique.)
L’existence de al dans la langue facilite la mobilité des mots à l’intérieur de la phrase
et permet l’expression de l’emphase:
“Sufletuli meu ali meu fiind, nu vreau să-l dau decât celui pe care-l aleg.” (ZC:353)
“Mon coeur n’appartenant qu’à moi, je n’entends le donner qu’à celui que je choisirai.”
(ZC:190)
Il faut observer que les anaphores construites avec al sont le plus souvent des
anaphores intraphrastiques: al ne peut pas se situer à grande distance du mot qui contribue
de façon déterminante à la construction de son domaine de référence.
Les hétéronymes les plus fréquents de al en français sont les pronoms celui et le183
,
donc justement les pronoms qui ne s’emploient jamais sans une détermination. Lorsqu’il
entre dans des anaphores transphrastiques, al est souvent traduit en français par un nom,
surtout lorsque des contraintes syntaxiques empêchent l’emploi du pronom celui (par
182 M. Manoliu-Manea (1968:91) affirme que dans le cas du pronom al (qui apparaît avec le cotexte décrit
par nous au point a) le rapport entre le nom “repris” par al et le pronom al reflète un rapport extra-
linguistique de non-identité, le pronom référant à un autre objet que le nom ou à une partie des objets
désignés par le nom. Nous avouons que nous n’avons pas très bien compris si M. Manoliu-Manea
considérerait que al dans ce texte est un pronom ou un article. 183 Il s’agit de ce le qui apparaît dans la présence d’un possessif ou d’un adjectif et sur la nature duquel nous
hésitons encore à nous prononcer de façon ferme.
186
exemple l’interdiction d’employer ce pronom à côté d’un adjectif):
“Despre treburilei Moldovei, la această masă mică, nu se rostea o vorbă. Despre alej
gospodăriei lor particulare îndrăznea să vorbească Doamna Anastasia […].” (ZC:309)
“Des affairesi du pays on ne soufflait mot à ce repas de famille. Quant aux questionsj
domestiques et privées, elles étaient abordées par la princesse Anastasia […].”
(ZC:138)
Al est également traduit par un nom lorsqu’il n’a pas d’antécédent segmental bien
précis. Dans ce cas, toutes les informations fournies par le cotexte influencent
l’interprétation référentielle du pronom al, interprétation qui se matérialise à la suite de la
traduction:
“Aşa că ungurii din sat au pus mâna pe ce-au avut şi unii stau să-şi apere ce-i al lor
[…].” (ZC:220)
“Ceci étant, les Hongrois du village ont empoigné ce qui leur est tombé sous la main et
certains sont décidés à défendre chèrement leur bien […].” (ZC:31)
“[…] nici într-ale duhului nu stăm mai prejos.” (ZC:316)
“[…] nous sommes également à la hauteur, quant aux choses de l’esprit.” (ZC:145)
b) N (sans article ou avec un indéfini) + al + Ng / possessif
“Aici ai să găseşti pe Zoiţa […]. E-o nepoată, din multele nepoate ale dădacei mele.”
(ZC:353)
“Vous y trouverez Zoiţa […]. C’est une nièce de ma nourrice, l’une de ses nombreuses
nièces.” (ZC:189)
“N-am socotit că trebuie să pribegesc, ca unii duşmani ai măriei tale.” (ZC:303)
(locution pronominale de révérence)
“Je n’ai pas cru devoir prendre le chemin de l’exil, comme certains ennemis de Votre
Altesse.” (ZC:130)
“Aveam o bisericuţă a noastră din vechi clădită.” (ZC:300)
“Nous possédions ici une petite église il y a longtemps.” (ZC:125)
“Pan Vladislav e un bun prieten al meu.” (ZC:222)
“Le Pan Vladislav est un bon ami à moi.” (ZC:32)
Évidemment, dans ces structures al ne peut jamais être un anaphorique
transphrastique. Encore plus, il peut être considéré anaphorique seulement si l’on donne un
sens très large à ce concept, en acceptant que l’anaphorique et l’antécédent peuvent
appartenir au même groupe nominal. Or nous n’acceptons pas cette manière d’envisager
l’anaphore. Al ne correspond pas à un pronom français, mais on ne peut pas admettre qu’il
187
soit l’équivalent de la préposition qui introduit le complément du nom ou d’un quelconque
article. Nous croyons que dans ce cas al est un pronom “fixatif”, qui a le rôle de rassembler
dans une nouvelle représentation mentale du référent introduit par son antécédent les
informations fournies par celui-ci et par tous ses déterminants, pour permettre ensuite d’y
ajouter les informations données par le nom au génitif ou par le possessif. De même que
Valeria Guţu Romalo184
, nous voyons dans ce mot un pronom qui ne peut ni être omis, ni
remplacé par autre chose, et qui ressemble au pronom personnel atone qui anticipe ou
reprend le complément du verbe.
Il nous paraît incontestable que al impose toujours un calcul référentiel, plus ou moins
réflexe en fonction de la distance qui le sépare de son antécédent, ainsi qu’en témoignent les
structures coordonnées des textes suivants:
“Iar dacă veţi binevoi a gusta şi din cofăielele pe care le-au adus stăpâniii acestui sat şi
aii acestor podgorii, venind cu mine şi cu lăutarii, ei foarte mult s-or bucura.” (ZC:272)
“Et si vous voulez bien goûter aussi au vin de ces seilles apportées par les maîtres de ce
village et de ces vignobles, que j’ai amenés avec moi en même temps que les violoneux,
vous leur ferez grand plaisir.” (ZC:91)
“Drumul cel mare spre scaunul ţării trecea şi într-acea vreme prin valeai Bahluieţului şi
aj Bahluiului.” (ZC:275)
“La grand-route menant à la capitale du pays passait, en ces temps-là aussi, par la
valléei du Bahluieţ et cellej du Bahlui.” (ZC:95)
“Ai fi putut să te încredinţezi că trăim, domnule de Marenne, într-un loc unde nasc şi
trec vârtejurilei lui Dumnezeu ş-alej oamenilor.” (ZC:258)
“Vous avez pu vous convaincre par vous-même, Monsieur de Marenne, que nous vivons
en un lieu où naissent et passent les colèresi de Dieu et cellesj des hommes.” (ZC:75)
Si dans le premier texte ai est coréférentiel avec son antécédent, ce n’est pas le cas
pour a ou ale des autres textes185
. La traduction exige l’expression claire des rapports entre
les divers référents impliqués. Quand al entre dans une anaphore divergente, son
hétéronyme le plus fréquent est celui. Une autre possibilité est d’utiliser en français un nom
184 Apud M. Florea (1983:94). 185 Selon nous, le troisième texte permettrait également une autre traduction:
“Vous avez pu vous convaincre par vous-même, Monsieur de Marenne, que nous vivons en un lieu où
naissent et passent les colères de Dieu et des hommes.”
Cette traduction signifierait que le texte original a été interprété avec les indices référentiels suivants:
“Ai fi putut să te încredinţezi că trăim, domnule de Marenne, într-un loc unde nasc şi trec vârtejurilei+j Øi
lui Dumnezeu ş-alej oamenilor.”
188
au pluriel qui crée une représentation mentale par le groupement des deux représentations
mentales (correspondant à l’antécédent de al et à al) du roumain:
“Auzi glasuli lui Vâlcu şi alj surugiului ţigan şi înţelese ce este.” (ZC:395)
“Entendant les voixi+j de Vâlcu et du postillon, il comprit de quoi il retournait.”
(ZC:238)
Ce groupement se réalise aussi bien par l’emploi de ceux ou celles:
“– Jur, măria ta, în faţa icoanei sfântului Nicolai, pe sufletuli meu, ş-alj copiilor, ş-alk
femeii mele şi pe mormântul părinţilor mei.” (ZC:441)
“– Je le jure, Altesse, devant l’icône de saint Nicolas, sur mon âmei, sur cellesj+k de mes
enfants et de ma femme, et sur la tombe de mes parents.” (ZC:292)
c) N + Déterminant (adjectif qualificatif, complément de nom, déterminant
démonstratif postposé) + al + Ng / possesif
“Ruset urmă pe Fliondor până în cămara cea mică de taină a domnului […].” (ZC:302)
“Ruset suivit Fliondor dans le cabinet particulier du prince […].” (ZC:128)
“Locul consacrat popasurilor, vechi şi celebru, cişmeaua aceea a Păcurarului, era un
monument […].” (ZC:297)
“Ce lieu ancien, autant que célèbre, où la tradition voulait que l’on fît halte, la Fontaine
du Berger, était un monument […].” (ZC:122)
Ce cotexte met en évidence plus qu’aucun autre le rôle de al dans la réalisation de la
cohésion textuelle (vue comme progression de l’information): dans ce cotexte, chaque
occurrence de al pointe en fait la modification de la représentation mentale du référent
désigné par l’antécédent:
“Domnul de Marenne se ridică de la locul său şi urmă pe slujitor prin coridorul umbros
al porţii a treia – Saadat – a fericirii.” (ZC:480)
“Monsieur de Marenne se leva et suivit le domestique à travers le couloir plongé dans
l’ombre de la troisième porte – Saadat – du bonheur.” (ZC:335)
L’accord de al en genre et en nombre avec son antécédent permet la désambiguïsation
des chaînes de compléments du nom:
“Même les rapports les plus intellectuels ou les plus neutres ont lieu à travers ce système
de signaux du corps.” (MA:22)
“Chiar relaţiile cele mai intelectuale sau cele mai neutre se stabilesc prin intermediul
acestui sistemi de semnalej ali corpului.” (MA:12)
d) al + Ng (ou possessif ou locution pronominale) + N
“Fiind şi eu al domniei tale, cel mai bun şi care te doreşte mai mult, frate.” (ZC:226)
189
“Moi-même suis, de ton Altesse, le meilleur et le plus aimant des frères.” (ZC:37)
“După ce-l va şti cu plăcere oaspete în al său scaun domnesc, […] îi va da strajă care
să-l întovărăşească până la hotarul Dunării.” (ZC:297)
“Après s’être fait un plaisir de l’accueillir en sa capitale […], le voïvode le ferait
escorter jusqu’à la frontière du Danube.” (ZC:122)
“Toate ale mele prostii şi nebunii s-au risipit ca un fum.” (ZC:352)
“Toutes mes sottises et folies d’antan se sont dissipées comme fumée au vent.” (ZC:188)
“– Iubite al nostru frate, îi zicea bătrânul pater-praefectus […].” (ZC:299)
“– Cher frère Paul, disait le vieux pater-praefectus […].” (ZC:124)
Dans ce cotexte, al entre dans des cataphores intraphrastiques coréférentielles, si l’on
prend le concept de cataphore dans le sens large, en admettant que le cataphorique et le
subséquent peuvent appartenir au même groupe syntagmatique. Al exprime toujours
l’emphase, la mise en relief du référent dont on remet l’identification à plus tard.
e) al + numéral ordinal
“– De-abia te-am văzut şi iarăşi te pierd, oftă el, luându-i o mânăi.
Ea şi-o dădu şi pe-aj doua.” (ZC:352)
“– Je vous ai à peine vue et voilà que je vous perds à nouveau, dit-il en soupirant et en
lui prenant une maini.
Elle lui donna lj’autre aussi.” (ZC:189)
“[…] dacă-i nevoie, stau ş-a doua, ş-a treia zi […].” (ZC:502)
“[…] au besoin, ils resteraient là le deuxième et le troisième jour aussi […].” (ZC:361)
Selon nous, le numéral ordinal indique tout simplement l’ordre (c’est l’information
nécessaire pour accomplir la représentation mentale du référent désigné par al), tandis que
al est l’anaphorique (dans le premier texte) ou le cataphorique (dans le deuxième texte) qui
indique le référent.
f) Pronom + al + Ng (ou possessif ou pronom personnel)
“El se şi apleca să-şi adune toate ale lui […].” (ZC:395)
“Il se penchait déjà pour ramasser ses effets […].” (ZC:238)
“Era desculţ şi aproape gol, însă îşî strângea cu putere la piept şi pe pântece toate ale
sale.” (ZC:395)
“Il était nu-pieds et presque entièrement dévêtu, mais serrait ses effets bien fort contre
sa poitrine et son ventre.” (ZC:238)
g) adjectif d’origine verbale + al + Ng
“Abatele, ca om încercat şi bun cunoscător al sufletului omenesc, înţelese […].”
190
(ZC:227)
“L’abbé, en homme expérimenté et profond connaisseur de l’âme humaine, avait
compris […].” (ZC:38)
Ces deux derniers cotextes ne présentent pas de différences essentielles par rapport
aux autres que nous avons analysés.
IV.2.2. L’anaphorique cel
Si l’identification du référent de al se fait grâce à l’expression des relations que ce
référent établit avec d’autres référents (ceux qui sont désignés par les mots qui
appartiennent à la même structure exocentrique que al), les référents auxquels renvoient cel
sont identifiés plutôt grâce à leurs propriétés. Vu que l’analyse de cel est comparable à celle
de al, nous présentons ci-dessous, de façon schématique, les principaux types
d’endophores186
qui comprennent le pronom semi-indépendant cel :
186 Il faut reconnaître que nous prenons ici l’endophore dans son sens le plus large, afin de ne pas trop
émietter la description de cel.
IV.3. Pour faire le point
L’analyse des pronoms semi-indépendants nous a démontré, si c’était encore le cas,
l’importance de l’analyse pragma-sémantique dans l’évaluation des valeurs des mots dans
n’importe quelle langue.
En ce qui concerne la comparaison des pronoms personnels dans la langue française et
dans la langue roumaine, nous croyons que celle-ci peut faire pencher la balance vers une
théorie plutôt que vers une autre, en contribuant à l’étude du français.
Nous sommes partie de l’idée que le pronom personnel est un marqueur référentiel
original, qui ne peut pas être considéré un simple substitut du nom, et qui remplit des rôles
divers dans la dynamique du discours. Ces rôles s’exercent:
a) au niveau référentiel: le pronom personnel participe à l’expression des relations qui
s’établissent entre les référents et indique la réalisation de diverses opérations sur les
représentations mentales de ces référents. En roumain, ce rôle du pronom personnel est plus
visible qu’en français, grâce à l’alternance pronom personnel/anaphorique vide. Dans les
énoncés ci-dessous, on observe que l’anaphorique vide est utilisé en roumain pour renvoyer
à un référent dont la représentation mentale est formée du groupement de deux
représentations mentales de deux autres référents.
“Ellei se dégagea, saisit Colinj par la main et l’entraîna vers le centre de sudation. Ilsi+j
bousculèrent deux nouveaux arrivants du sexe pointu.” (EJ:34)
“[Ø]i Se desprinse, îl luă pe Colinj de mână şi-l târî spre centrul de sudaţie. [Ø]i+j
Îmbrânciră alţi doi invitaţi de sex ascuţit.” (EJ:46)
“[…] la ressemblance d’Alisei et de Nicolasj ne présentait rien d’extraordinaire,
puisqu’ilsi+j étaient de la même famille.” (EJ:24)
“[…] asemănarea dintre Alisei şi Nicolasj n-are nimic extraordinar, de vreme ce [Ø]i+j
sunt din aceeaşi familie.” (EJ:37)
Comme le choix de toute expression référentielle dépend de la variété des relations entre les
référents qu’il faut exprimer, dès qu’il est nécessaire d’introduire l’idée d’opposition entre
deux référents conjoints et un autre référent, on emploie en roumain le pronom personnel
sujet.
“Colin cherchait des yeux Alisei et Chickj, mais ilsi+j ne paraissaient pas sur la glace.”
(EJ:19)
“Colin îi căuta cu privirea pe Alisei şi pe Chickj, dar eii+j nu apăreau pe gheaţă.”
(EJ:32)
“[…] Colin aperçut Chicki et Alisej qui aboutissaient à la piste de l’autre côté. Il leur fit
un signe qu’ilsi+j ne virent pas.” (EJ:19)
“[…] Colin îi zări pe Chicki şi pe Alisej care intrau pe pistă din partea opusă. Le făcu
un semn pe care eii+j nu-l văzură […].” (EJ:32)
b) au niveau textuel: la distribution des pronoms personnels sujets dans un texte et leurs
rapports avec d’autres expressions référentielles contribuent à l’organisation des
informations fournies par le texte, à leur présentation comme thématiques ou rhématiques.
Si le pronom personnel sujet français indique le plus fréquemment le maintien du même
thème, en roumain l’occurrence de el annonce plutôt le changement de thème local.
c) au niveau discursif: les pronoms personnels sujets se remarquent par leur participation à
l’expression de la polyphonie. Dans certains de ses emplois, le pronom personnel roumain
est un pronom logophorique.
À notre avis, les valeurs fondamentales du pronom personnel sont gardées à travers la
traduction d’une langue à l’autre. Les cas où le pronom sujet français il est nécessairement
traduit par son équivalent roumain el187
– l’expression de l’opposition, de l’emphase, de la
comparaison, des voix – nous poussent à affirmer que le pronom de la troisième personne
crayonne, toutes les fois qu’il est employé, un individu, nettement distinct par rapport aux
autres individus. A la suite de l’analyse comparative du français et du roumain, nous
sommes donc tentée de soutenir l’affirmation de F. Lebas, conformément à laquelle il
exploite essentiellement une structure cognitive représentant la notion abstraite
d’individuation.
187 Il faut admettre que, dans les discours, el est plus souvent l’hétéronyme du pronom atone il que du
pronom tonique lui.
L’anaphore et la cataphore sont, indubitablement, des concepts à la mode. Si les
chercheurs s’y jettent, acharnés, ce n’est pas seulement parce que les ordinateurs attendent,
assoiffés quant à eux, des programmes de traduction. C’est aussi parce que l’étude de ces
concepts représente une vraie provocation : plus on les analyse, plus ils se cachent à
l’intérieur des théories entortillées ou derrière les dénominations absconses.
Curieuse, nous sommes tombée dans ce piège tendu à la frontière entre la
morphologie, la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. Comment s’en sortir? Où
chercher la clé afin de relier des données relevant de domaines si nombreux et si différents?
Quels moyens trouver pour se frayer un chemin parmi les centaines d’articles et de livres
consacrés à l’endophore?
Face à une profusion d’alternatives, nous avons fait notre choix: nous nous sommes
servie du pronom comme d’une sorte de ruban, qui nous a conduite d’un point à l’autre, en
attachant en même temps tous les points.
En fait, nous avons commencé notre cours en présentant les diverses approches du
pronom, chacune avec ses qualités et ses carences:
– l’approche substitutionaliste saisit la relation entre les pronoms et les textes qui les
comprennent, mais n’arrive pas à dépasser le niveau de la phrase ou à proposer une
explication quelconque sur le fonctionnement de cette partie du discours;
– l’approche textuelle introduit le concept de référence dans l’étude du pronom, mais ne
réussit pas à justifier les différences d’emplois entre les pronoms et les autres expressions
référentielles;
– l’approche générative-transformationnelle formule des règles capables de nous faire
comprendre pourquoi on choisit un pronom, pas une autre expression référentielle, dans
un certain point de la phrase, mais elle est impuissante au-delà de la phrase;
– l’approche mémorielle rejette le traitement strictement linguistique des pronoms en
tant qu’anaphoriques et introduit le concept de saillance, cependant elle ne résout pas les
cas d’ambiguïté référentielle;
– l’approche pragmatique explique comment le pronom anaphorique renvoie à un
certain référent lorsque plusieurs sont disponibles: l’élu sera celui qui respecte la
condition de la pertinence optimale ; cette hypothèse intéressante est trop puissante et
n’arrive toujours pas à justifier les cas d’ambiguïté référentielle;
– l’approche pragma-sémantique remet en cause les concepts de sens et référent et
soutient que le pronom est un marqueur original, dont le sens procédural indique avec
précision comment il retrouve son référent; cette approche non plus ne parvient pas à
justifier de manière exhaustive les emplois des pronoms;
– l’approche verbale déplace l’accent de la référence sur le verbe et ses actants.
Ces types d’approches sont pour la plupart décelables dans les ouvrages roumains de
linguistique. Encore plus, certains de ces ouvrages expriment des points de vue originaux et
très intéressants sur les divers aspects du comportement des pronoms, mais qui, à notre
avis, ne sont pas suffisamment valorisés dans les publications actuelles sur la langue
roumaine. Par conséquent, en glissant d’un livre à l’autre, d’un chercheur à l’autre, nous
avons tenu à mettre en lumière les contributions roumaines à l’analyse des pronoms, en
considérant que certains de nos linguistes – M. Manoliu-Manea, E. Vasiliu – sont de vrais
précurseurs de la pragma-sémantique actuelle.
La comparaison que nous avons faite entre le français et le roumain du point de vue
de l’anaphore et de la cataphore a eu donc deux volets: le premier a concerné les théories
formulées sur ces concepts, tandis que le deuxième a visé l’emploi même des expressions
endophoriques dans les textes roumains et les textes français, mis face à face par la
traduction.
En nous affiliant décidément aux théories pragma-sémantiques (particulièrement à la
théorie des représentations mentales formulée par A. Reboul et J. Moeschler et à la théorie
du sens hétérogène proposé par G. Kleiber), nous avons présenté de façon systématique les
types d’anaphores et de cataphores en français et en roumain, tels qu’on peut les envisager
aux niveaux morphologique, syntaxique, lexical et pragmatique. Le but de cette présentation
détaillée n’a pas été seulement d’appliquer à la langue roumaine le métalangage existant,
essentiel pour toute recherche minutieuse portant sur l’expression des relations
endophoriques, mais également de mettre un peu d’ordre dans l’avalanche de termes,
souvent synonymes, qui se sont déversés dans les ouvrages théoriques français. C’est à
cause de cette surabondance que nous avons évité de proposer nous-même de nouvelles
appellations, qui auraient peut-être mieux rendu la diversité des relations anaphoriques et
cataphoriques, mais qui nous aurait éloignée des résultats des recherches antérieures sur ce
thème. Ces recherches, extrêmement nombreuses, nous les avons honnêtement présentées
tout au long de notre cours, ce qui nous a permis de préciser et d’expliquer de façon
nuancée les concepts théoriques indispensables à l’étude de l’endophore et de montrer les
traits caractéristiques essentiels des pronoms.
Aprés la réalisation de la taxinomie des anaphores et des cataphores, nous avons
procédé à la description de leurs fonctions référentielles, textuelles et discursives, basée,
bien sûr, sur la distinction théorique entre le texte et le discours. Il nous a semblé important
de souligner la liaison étroite qui existe entre les occurrences des expressions endophoriques
et les genres de textes et les types de discours, de même que l’influence de la compétence
du locuteur (et il faudrait ajouter de l’écrivain et du traducteur) sur la construction des
endophores. Nous avons postulé que les anaphoriques / les cataphoriques sont en même
temps des opérateurs référentiels, textuels et discursifs, qu’ils ont donc des rôles à jouer à
plusieurs niveaux: ils participent à l’organisation du texte, à l’expression de la subjectivité
du locuteur, ils indiquent les opérations subies par les représentations mentales des
référents. L’énumération des fonctions des endophores a mis en évidence le fait qu’il n’y a
pas de grandes différences entre le français et le roumain de ce point de vue. L’observation
attentive des textes traduits nous a déterminée à énoncer certaines opinions sur la qualité
des traductions.
Un concept que nous avons cru essentiel pour la description des fonctions des
anaphores est la polyphonie. Cette notion nous a menée aussi à l’interprétation du pronom
personnel anaphorique de la troisième personne comme pronom logophorique en roumain,
dans certains cotextes. Nous avons pris en considération seulement le pronom personnel
sujet, en décrivant les situations où le pronom français doit obligatoirement être traduit en
roumain par son équivalent de dictionnaire. Après avoir analysé ces situations, l’affirmation
conformément à laquelle il renvoie, dans tous les cas, à une structure cognitive représentant
l’idée d’individuation nous semble parfaitement acceptable.
L’examen attentif des traits référentiels de al et de cel en roumain nous a convaincue
qu’on peut prendre ces mots pour des pronoms dans tous les énoncés où ils apparaissent.
L’argument principal est qu’ils indiquent toujours des opérations sur les représentations
mentales des référents.
La conclusion la plus importante de notre cours concerne les rapports entre le
locuteur et la langue: en examinant les types d’expressions linguistiques qui entrent dans des
relations d’anaphores et de cataphores, les fonctions remplies par ces relations aux niveaux
référentiel, textuel et discursif, l’influence du genre de texte qu’il faut construire sur le choix
des endophoriques, nous avons constaté que la façon dont le locuteur veut exprimer son
point de vue, ou les points de vue d’autres énociateurs, ou son attitude par rapport à son
propre discours peut le déterminer à transgresser toute règle, à quelque niveau qu’elle soit
formulée. Même si l’on prend en considération des expressions parfois si ténues comme les
endophoriques pronominaux, l’importance de l’expression de la subjectivité est évidente.
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