Post on 21-Jun-2022
Les nouveaux habits de l’évolutiondes carrièresLes prérequis pour faire progresser sa carrière en entreprise ont changé à mesure que les missions de
la fonction juridique, toujours plus orientée business, ont évolué. Désormais, l’expertise et l’expé-
rience ne suffisent plus pour gravir les échelons. Mobilité géographique et sectorielle, curiosité et
créativité sont quelques-uns des atouts que les juristes d’aujourd’hui doivent faire valoir pour évoluer.
«
Il n’y a qu’une tête en haut de la pyramide, et le manage-
ment d’une direction juridique doit travailler avec cette
réalité ». Directeur juridique de CGI France, Jean-
Charles Henry concentre dans cette formule la principale dif-
ficulté rencontrée par les juristes d’entreprise qui entendent un
jour accéder à des fonctions de direction : peu de places à
prendre, et donc peu d’élus. Une difficulté qui se répercute, en
miroir, sur les managers, confrontés à une possible démotiva-
tion de leurs équipes face à ce manque de perspectives d’évolu-
tion de carrière. « C’est un marché compliqué, exigeant et assez
fermé, observe Catherine Bunod, consultante chez Arthur
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LJA MAGAZINE - JUILLET / AOÛT 2015
À LA LOUPE
Par Bruno Walter
Juristes d’entreprise
Hunt. Depuis treize ans que je recrute des juristes, j’ai le senti-
ment de rencontrer un certain nombre de gens pas totalement
satisfaits dans leur vie professionnelle. Ils ont l’impression
d’avoir fait le tour de l’entreprise et se sentent bloqués en termes
d’évolution de carrière. »
À NOUVELLES ATTENTES, NOUVEAUX TALENTS
Mais la structure en pyramide, voire en râteau quand il n’y a
pas de postes intermédiaires, n’explique pas tout. Le métier ne
se pratique plus aujourd’hui comme hier et certains se voient
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À LA LOUPE
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« IL FAUT ACCEPTER QUE VOS COLLABORATEURS VOUS QUITTENT AU BOUT D’UN MOMENT. C’EST FRUSTRANT, MAIS D’UN AUTRE CÔTÉ, ÇA ÉTOFFE VOTRE RÉSEAU.
ET PUIS NOUS AUSSI, NOUS ALLONS DÉBAUCHER DES TALENTS AILLEURS… »
Alain Curtet, Directeur juridique Groupe MMA
aujourd’hui empêchés dans leur progression faute de pos-
séder les talents désormais exigés pour grimper les éche-
lons. « Le métier a changé, et ceux qui ne changent pas
resteront sur le bord du chemin ! poursuit le directeur juri-
dique de CGI France. Le juriste qui disait non à tout et
freinait le business, le “mister no” de l’entreprise,
c’est fini, même si c’est encore l’image que l’on en a
parfois. » « Avant, on allait à la direction juridique
comme chez le dentiste : à reculons, et souvent trop
tard, témoigne Alain Curtet, directeur juridique
adjoint chez MMA/Covea. Aujourd’hui, notre
métier consiste à accompagner le business, en éclai-
rant les dirigeants et les opérationnels sur les risques
réels et prévisibles. Il faut être à la fois très bon tech-
niquement et très pédagogue, en intégrant toute une
dimension de communication. » Experts dans leur
domaine, orientés business, bons communicants…
mais aussi créatifs : « Je recherche avant tout des
talents, explique Béatrice Bihr, directrice juridique
exécutif de Teva Pharmaceutical France. Avant
même l’expertise, qui s’acquiert, je cherche des gens
créatifs, imaginatifs, capables de s’interroger et de
trouver des solutions, de s’adapter et de sortir de leur
zone de confort, car lorsque l’on fait les choses par
habitude, on finit par faire prendre des risques à l’en-
treprise. »
L’EXPÉRIENCE EN CABINET,
UN POINT FORT
Du côté des juniors, « il y a sur le marché de nom-
breux profils qui correspondent parfaitement à ces
attentes, nous avons une véritable élite de juniors »,
estime la consultante Catherine Bunod. Selon
Marc Bartel, managing partner du cabinet de
recrutement Heidrick & Struggles, « le chemin
royal, c’est quelqu’un qui a débuté dans un beau
cabinet d’avocats, avec une expérience de quelques
années à l’étranger. » Le passage en cabinet « ouvre
des portes, reprend Catherine Bunod, les directeurs
juridiques y sont sensibles car le cabinet est réputé
apporter une structuration, une formation. » Ils y
sont d’autant plus sensibles qu’une bonne partie
d’entre eux sont d’anciens avocats. Avant de rejoin-
dre l’entreprise, Jean-Charles a ainsi exercé dans
des cabinets anglo-saxons ; après ses études universitaires,
Alain Curtet a débuté au sein d’un cabinet lyonnais où il a
passé une dizaine d’années ; elle aussi ancienne avocate,
Béatrice Bihr reconnaît que recruter un ex-avocat « est
plus facile, car c’est une culture dans laquelle je me retrouve ».
Selon le chasseur de têtes Marc Bartel (passé par Linklaters
et Lovells), « les entreprises savent la difficulté qu’il y a pour
les jeunes avocats à intégrer ces cabinets, elles connaissent
le volume de travail exigé et apprécient l’expérience de ces
jeunes collaborateurs, qui interviennent très tôt sur
des dossiers pointus ».
EXPÉRIENCES ET CAPACITÉS
PERSONNELLES
Aussi apprécié soit-il, le passage par un cabinet de
renom n’est toutefois pas indispensable. À compé-
tences égales, Jean-Charles Henry, chez CGI, met
ainsi « sur le même niveau » un jeune qui sort d’un
cabinet réputé et dispose d’une double formation
(LL.M, master en commerce) et celui « qui aura
fait un tour du monde à la voile ou marché dix mille
kilomètres à la découverte des aborigènes d’Austra-
lie… » À ses yeux, « l’important est de démontrer
une capacité d’ouverture, une volonté de se confron-
ter à d’autres contextes ». La dimension comporte-
mentale tient en effet une place devenue centrale
dans le recrutement et l’évolution de carrière des
collaborateurs. « Mener les équipes à l’excellence
dans l’expertise, ce n’est pas nouveau, et c’est le plus
simple car les juristes aiment, par nature, se plonger
dans l’expertise, témoigne Alain Curtet, chez
MMA. Il est d’ailleurs très facile pour la direction
juridique de décrocher des budgets pour des forma-
tions techniques, d’autant qu’une bonne partie est
dispensée gratuitement par d’excellents cabinets
d’avocats ! En revanche, il faut convaincre la direc-
tion de l’intérêt de financer des formations compor-
tementales et de communication, alors que c’est de
celles-ci dont on a le plus besoin. » Ainsi, même si
l’aspect technique reste primordial pour les juniors
car les savoirs ne sont que théoriques à la sortie des
études, « après, il faut vite passer à autre chose »,
confirme Béatrice Bihr.
MOBILITÉ : BOUGER
POUR NE PAS STAGNER
Autre chose ? « Soit une spécialisation, soit une
expérience à l’international », conseille la consultante Cathe-
rine Bunod. Et plutôt l’international si l’on vise une carrière
dans une multinationale : « Les marchés se développent à
l’étranger, que ce soit par le développement de l’activité ou
Catherine Bunod
Jean-Charles Henry
Alain Curtet
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LE CHOIX DE L’HYPER-EXPERTISE
Longtemps, les juristes d’entreprise sont “montés” à l’ancien-
neté, « parce qu’ils étaient supposés êtres les plus compétentes
techniquement », et « devenaient managers sans forcément en
avoir la fibre », relève Alain Curtet. Dès lors que l’époque est
révolue, quelle autre perspective proposer aujourd’hui aux
plus confirmés et aux seniors ? La montée en expertise dans
certaines spécialités qui ont le vent en poupe, telles que « le
droit boursier, la compliance, le corporate, le M&A », suggère le
consultant Marc Bartel : « Dans ces secteurs, les entreprises
veulent les meilleurs en interne, pour des raisons de coûts :
autant avoir l’expert sous la main que payer 500
euros l’heure d’avocat. » De super-experts, parfois
débauchés dans les cabinets. Mais attention, « il y a
un risque à s’enfermer dans l’hyper-expertise, pré-
vient Béatrice Bihr. Pour évoluer, il est essentiel de
développer une vision panoramique de l’entreprise. Le
juriste doit toujours élargir son spectre sous peine de
voir ses perspectives d’avenir se réduire. » Reste une
difficulté à gérer pour la direction juridique : faire
accepter à ces collaborateurs pointus et expérimen-
tés le fait de travailler sous l’autorité de personnes
plus jeunes, moins expertes, mais disposant de meil-
leures aptitudes au management.
UNE DEMANDE DE PROFILS HYBRIDES
Autre tendance : l’émergence de profils hybrides, à
forte dimension juridique. Chez MMA, par exem-
ple, Alain Curtet n’hésite pas à confier à des non-
juristes des missions de nature juridique. Il a ainsi
préféré confier le poste de correspondant Informa-
tique et Libertés (CIL) à une collaboratrice en pro-
venance de la direction informatique, parce qu’il est
plus simple de former une informaticienne à cette
loi qu’un juriste à la maîtrise des différents systèmes
d’information. « Pour des raisons de langage, de
reconnaissance mutuelle et de non travestissement de la réalité,
c’est une greffe très pertinente, souligne-t-il. Amener des gens
de culture différente perturbe les juristes mais la différence enri-
chit. Un recrutement éclectique permet de créer de la dyna-
mique. Et la nouvelle génération de directeurs juridiques est
portée à ne pas recruter des gens qui se ressemblent. » Du côté
des cabinets de recrutement, Catherine Bunod observe égale-
ment une nette progression de la demande pour des profils de
contract managers, « avec un profil mixte entre juriste et ingé-
nieur », une fonction prisée dans les entreprises anglo-
saxonnes et qui a désormais le vent en poupe en France. L’an
dernier, Thalès a d’ailleurs créé avec quelques autres multina-
tionales – dont Areva, GdF Suez, Alstom, Atos… – l’Associa-
tion française du contract management. Le développement de
la demande pour ces profils hybrides peut offrir aux juristes de
nouvelles opportunités de développement de carrière. o
par le biais de fusions-acquisitions, le chiffre se fait avec
l’étranger, observe Marc Bartel. Et un juriste aura beaucoup
de mal à décrocher les meilleurs postes s’il n’a qu’une compé-
tence purement domestique. Ce n’est pas un hasard si treize
des directeurs juridiques du CAC 40 sont étrangers. » Et,
selon lui, la seule expérience du droit international ne suffit
pas : pour rester dans la compétition, il faut avoir vécu à
l’étranger, connaître les codes… Cette expérience peut s’ac-
quérir au sein des grands groupes qui offrent à leurs juristes
des opportunités en termes de mobilité internationale. Teva,
par exemple, propose à ses collaborateurs européens un pro-
gramme LIMO – Legal Internal Mobility Opportunity – qui
permet aux juristes qui le souhaitent d’aller, tem-
porairement, travailler dans un autre pays. Chez
France Télécom/Orange, le programme Talent
Sharing permet chaque année à une dizaine de
juristes sélectionnés par l’entreprise de rejoindre,
pendant un temps donné – d’un jour par semaine
à un an – un autre département juridique du
groupe, en France ou dans un autre pays. Mais
peu d’entreprises ont la taille suffisante pour
offrir de telles possibilités en interne.
CHANGER DE SPÉCIALITÉ
OU DE SECTEUR
La mobilité n’est pas qu’un concept géogra-
phique : il peut s’agir de changer d’entreprise
et/ou de secteur. « Si vous ne le faites pas, vous
êtes catalogué, enfermé, prévient Catherine
Bunod. Ceci dit, il est beaucoup plus facile de
changer de domaine juridique que de secteur d’ac-
tivité car on s’adapte plus facilement à un nouveau
pan de droit qu’à une nouvelle culture secto-
rielle. » Son conseil : « Ne pas hésiter à bouger et
éviter de rester plus de six ans sur le même poste
dans la même entreprise. » Un phénomène dont
les directeurs juridiques ont d’ailleurs bien pris
conscience ces dernières années : les équipes stables dans le
temps, c’est fini. « Il faut accepter que vos collaborateurs vous
quittent au bout d’un moment, estime Alain Curtet. C’est
frustrant, mais d’un autre côté, ça étoffe votre réseau. Et puis
nous aussi, nous allons débaucher des talents ailleurs… »
Pour Jean-Charles Henry, les managers doivent toujours
tenir un « langage de vérité », notamment avec les jeunes
issus de la génération Y, « qui n’ont plus aucune naïveté sur le
sujet » : « Moi, j’offre des lignes sur le CV en permettant à
chacun de monter en compétences et en proposant une forma-
tion intellectuelle avec une approche ouverte sur le business,
poursuit-il. De leur côté, ils apportent leur contribution à
l’entreprise pendant quatre ou cinq ans. Les carrières de
trente ans dans un groupe, ça n’existe plus, et rester trop long-
temps au même endroit est suspect, c’est un signe d’inadapta-
tion au marché. Les jeunes le savent parfaitement. »
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Béatrice Bihr
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