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TOME 1 – 30 numéros
Sommaire
MADE IN AILLEURS 00
1ER CHAPITRE : CHETTINAD
L’ARCHITECTURE CHETTIAR À KOTHAMANGALAM 00
LA COMMUNAUTÉ CHETTIAR DE NACHANDUPATTI 00
LES CHEVAUX DE TERRE D’ARANTHANGI 00
FÊTES DIVINES À KARIAPATTI 00
UN HOMME QUI EST DIEU, DANS LES BOIS SACRÉS 00
CE QUI SE FUME À TRICHY 00
2ÈME CHAPITRE : KERALA
VIVRE DANS LA FORÊT DE PERIYAR 00
LES PLANTATIONS DE THÉ DE VANDIPERIYAR 00
LES FORGERONS DE MANNAR 00
LES ÉLÉPHANTS SACRÉS DE GURUVAYOOR 00
UN PLANTEUR JAÏN À KALPETTA 00
UNE ÉCOLE POUR LES TRIBUS DU WAYANAD 00
LES VIGNOBLES DE DODDABALLAPUR 00
3ÈME CHAPITRE : GOA
LES MARCHÉS AUX RÉMINISCENCES PORTUGAISES DE MARGAO 00
LES TRIBUS DES FORÊTS DE NETORLIM 00
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4ÈME CHAPITRE : KUTCH
LES BRODEUSES DE DHANETI 00
UN MAÎTRE EN IMPRESSION À AJRAKPHUR 00
LA VIE DANS LE DÉSERT À LUDIYA 00
LES CHARPENTIÈRES DE PARESHWAR MANKUA VALI 00
LES SONNAILLES DE ZURA 00
5ÈME CHAPITRE : îLE MAURICE
LES GARDIENS DE L’ÎLE RONDE 00
LE FERBLANTIER DE LA RUE EMMANUEL ANQUETIL 00
LES APPRENTIS ARTISTES DE MOKA 00
6ÈME CHAPITRE : INDE RÉUNION
À LA RECHERCHE DU TEMPS OUBLIÉ, À PARIS CORNER 00
7èME CHAPITRE : ZANZIBAR
LES CAFÉS DE MALINDI 00
LES PORTES DE ZANZIBAR À HURUMZI 00
LA DIVA DE RAHALEO 00
LES FEMMES D’EAU DE MBUPURINI 00
L’ÎLOT ÉCOLO DE CHUMBE 00
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« T’étais où ? »C’est généralement la question posée par qui me croise.
Suivie immanquablement d’un « C’est où ça ? », suite à ma réponse obscure aux étranges accents. Oui, je pars. Dans des endroits assez reculés et pas du tout couverts
par l’actualité. Je pars souvent. Mais pas tant. Je pars pour voir. Et pour écouter. Pour les « Instantanés du
monde », pour la radio, je pars en reportage, toute seule avec mon micro. La recette est simple : partir longtemps,
s’immerger, rentrer avec une belle moisson, trier, se plonger encore dans les sons, les notes, les souvenirs, les
impressions. Passer des jours, des heures, ici, sous mon
casque, à éplucher, sourire aux mots, au ton de voix, à l’onomatopée. Rêver aux grillons ou aux oiseaux de nuit. Grincer des dents au travail des artisans, le fer, la râpe, les crépitements de flammes et d’escarbille. Rire aux trompettes de mouchoirs dans les interviews, aux raclements de gorges, aux aboiements du chien dans les conversations, à tous les bruits parasites naturels oublieux du micro. M’émouvoir du sens que prend
une phrase, avec un peu de recul, un peu plus de contexte, beaucoup de connaissances accumulées le long des routes. C’est ça les « Instantanés », des impressions du monde rencontré, des personnes
croisées dans des lieux improbables, ou des personnes cocasses sur des chemins mille fois battus.
Ça. La rencontre. Ce que l’on montre, ce que l’on raconte, à l’étranger.
« T’étais où ? » Aujourd’hui, la ballade commence en Inde du Sud. Un coin perdu de poussière rouge qui
laisse découvrir en s’essoufflant des palais ou des chevaux de terre. Ça ressemble à un mirage et ce
n’en n’est pas un. Ensuite, passez les montagnes, et immergez-vous dans les forêts des Ghats occidentaux.
Des hommes tentent d’y vivre, là, au milieu des tigres, des éléphants sauvages et des autoroutes en
construction. Faites un stop sur les plages de Goa, où des rêveurs côtoient des rave-party. Montez encore et perdez-vous dans les îles du Kutch, ce continent
accroché par un fil au reste de l’Inde. Et laissez-vous porter, par les eaux de l’Océan Indien. Accostez à
Maurice et à la Réunion, où l’Inde laisse des échos sur les hommes et les sons. Enfin, laissez filer le
temps à Zanzibar, où le passé s’infiltre entre parfums d’épices et psalmodies. Des histoires Vraies.
Des bribes de vie.
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QUE DIABLE SUIS-JE ALLÉE FAIRE…
Franchement, c’est hyper rare,
les galères, dans mon métier.
Face à ceux (souvent celles) qui
me demandent « Mais t’as pas
peur ? », j’écarquille les yeux.
Peur de quoi ? Je ne suis pas un
reporter de guerre. Oui, bon, je fais
ma maligne, il y’a bien quelques
histoires scabreuses… C’était pas
forcément une bonne idée de se
laisser enfermer dans les bains
maures souterrains parce que
le gars qui les surveillait devait
aller faire sa prière, et que moi,
moi, MOI, je n’avais pas terminé
ma prise de son. Alors. Je dois
avouer que deux heures plus tard,
je commençais sérieusement à
me demander s’il ne m’avait pas
oubliée/capturée/prise en otage,
sans même que je m’en rende
compte… Et puis aussi, partir
dans le désert à la recherche
d’improbables Rabaris (qui sont
des nomades, donc n’attendent
pas Anne Bonneau et son micro
sagement assis au bord de la
piste…) avec un chauffeur pré-
pubère, ce n’est pas forcément une
bonne idée. Surtout lorsqu’on est
vraiment perdus, que l’interprète
frôle l’hystérie, et que le GPS
écrit « blank » vu qu’on est pile
sur la frontière Indo-pakistanaise.
Pas une bonne idée. Si, il y a des
moments où j’ai peur. Quand dans
cette ambassade, à Paris, on me
dit « les autorités vous délivreront le
permis de reportage sur place, il faut
voir avec eux », là j’ai peur. D’être
là-bas et de ne pouvoir enregistrer.
Mais comme dit quelqu’un
qui me connaît bien : « Tu t’en
sortirais quand même, coincée dans
ta chambre au bout du monde :
tu es capable de faire parler un
bigorneau… »
SEULE, PAS VRAIMENT
Je pars seule en reportage, c’est
entendu. Sauf que, ne parlant pas
couramment tamoul/kannada/
malayalam/kutchi/swahili, dès
que je suis sur place, ma première
préoccupation est de m’enquérir
de ces passeurs de mots essentiels
que sont les interprètes. Des
filles et des gars vivant sur place,
connaissant la langue et les
usages. Mais ne connaissant pas
forcément la façon de travailler en
radio. Je sais que dans telle culture
on doit opiner de la voix lorsqu’un
interlocuteur vous parle, c’est poli,
mais pour moi, c’est une horreur
d’entendre quelqu’un ânonner
« oui, oui, bien sûr, absolument »
dans la langue originelle et tous
les deux mots. J’explique, je fronce
les yeux, je montre les dents,
je donne des coups de pieds.
Crescendo. Difficile d’ânonner
en silence, je comprends. À part
ça, les interprètes qui travaillent
avec moi, je les adore. Leurs
connaissances, leur patience, leur
compréhension, leur sensibilité,
tout. Même si Johnson râle quand
on ne boit pas de thé en milieu
de matinée ou qu’on reste à faire
des interviews dans les champs
en plein soleil. Même quand Viral
manque de s’évanouir quand il fait
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plus de 30° ou qu’on n’a rien à
manger dans nos dhabbas*. Même
si Natasha s’étouffe parce que je
suis allée voir le musicien hyper
connu qu’elle rêve de voir pour de
vrai (et qui parle français) sans elle.
Même quand un parfait inconnu
bafouillant le français se fait passer
pour Mushin, l’interprète à qui j’ai
parlé au téléphone la veille, et que
j’ai engagé sur sa parfaite maîtrise
de ma langue. Je les adore. Et sans
eux, je ne serais vraiment rien.
PÉRIMÉ
Avant de partir, je rêve. Je sais
où je vais, ce que je veux faire,
qui je veux rencontrer. Même si,
évidemment, je n’ai ni nom ni
adresse, parfois tout juste un vague
village, une profession obscure,
une caste mal orthographiée. Mais
ça marche. À force de saouler
les gens persuasion, je trouve.
Sauf quand il y a des trucs qui
n’existent plus du tout. Mais dont
j’ai entendu parler. J’en suis sûre.
Ou bien j’ai lu. Je ne sais plus où.
Plus quand. Ok, il y a vingt ans.
Comment ça, ça n’existe plus ? Ça
m’énerve. J’aurais aimé vivre au
siècle dernier. J’enrage, souvent,
d’arriver trop tard. Être bredouille,
il n’y a pas mieux pour trouver
de nouvelles pistes, de nouvelles
idées, faire naître des rencontres
insoupçonnées.
LÉGENDES
Photo titre : Anne Bonneau aux côtés
de Tanya Mendonsa, écrivain, chez
elle à Moira, 21 juin 2010. Photo
Alex Fernandes.
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Photo 1 : sur le bateau de Paco
Pautehea, Hiva Oa. Photo Paco
Pautehea.
Photo 2 : à Hiva Oa, îles Marquises.
Photo Paco Pautehea.
Photo 3 : dans un village camerounais,
avec Séverin Aléga Mbele. Photo
Valery Dikos Oumarou.
Photo 4 : prise de son d’ambiance.
Photo Séverin Aléga Mbele.
Photo 5 : reçue dans un village
camerounais avec force chansons et
discours. Photo Séverin Aléga Mbele.
Photo 6 : au Cameroun avec Séverin Aléga Mbele. Photo Valery Dikos Oumarou.
Photo 7 : interviews au Cameroun, durant la session de formation de reporters en
herbe « les Baladeurs », organisée par le CIRTEF, en collaboration avec la CRTV. Avec
Léontine Babeni. Photo Valery Dikos Oumarou.
Photo 8 : au musée ethnographique de Goa, avec Victor Hugo Gomes. Photo Alex
Fernandes.
Photo 9 : les carnets. Indispensables avec micros et magnétophones lors des reportages.
Photo 10 : plan de montage des émissions.
Photo 11 : Les notes, prises au quotidien durant les semaines de reportage.
Photo fermeture de section : à Konni, dans le Kerala, dans un sanctuaire d’éléphants.
Comment être assez près du battement de l’oreille de l’éléphant mais pas trop pour qu’il
ne vous assomme pas d’un coup de trompe ? Le cornac veille. Photo Johnson Marigiri.
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C’est un nom que l’on voit
partout.
Pas un restaurant indien qui n’affiche son poulet
Chettinad en étendard. Quant à savoir où Chettinad
se trouve, c’est une autre histoire… Le piment met
sur la piste, et là encore, c’est une fausse piste :
certes, on en brûle pour cette épice dans le sud de
l’Inde – bon indice – mais en vérité en vérité, on en
n’use guère dans la vraie cuisine Chettinadu, une
gastronome du cru me l’a assuré !
Alors, juste pour savoir, où se trouve le Chettinad,
« suffit », d’y aller ! Cap au sud de l’Inde, donc. Au
cœur du Tamil Nadu, bien caché en vérité, entre les
sites majeurs pour pèlerins et touristes – les grands
temples du grand Sud – le Chettinad est une sorte
d’îlot préservé, loin des bonnes routes, autoroutes,
aéroports… Juste de quoi piquer ma curiosité. Qui dit
îlot dit culture à part, qui dit loin du monde, dit une
chance d’authenticité, ou du moins d’esquisse ou
de souvenir d’une culture bien spécifique. Et perdu
pour perdu, loin des Café Coffee Day et des chaînes
d’hôtels de luxe, peut-être encore, un vrai monde
vraiment rural. En partant pour le Chettinad pour la
première fois, voilà ce que j’espérais. Prête à creuser,
à me perdre, à manger des kilomètres de poussière et
boire des litres de thé au bord des routes sans savoir
vraiment ce que j’y trouverais, aujourd’hui. Au bout
du voyage, guère de poulet en sauce brûlante dans
ces contrées en fêtes – plutôt végétariennes – mais
des trésors insoupçonnés nés de la terre rouge de
cette région, de la contrainte du climat aride
et du génie des hommes !
Peut-être même, aussi, de l’aide des dieux…
CHETTINAD
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CRÉPUSCULE DES PRINCES
Ils sont encore là, ces palais dont
j’avais entendu parler il y a plus de
vingt ans et que j’avais toujours
souhaité voir. Mais bon, la route
est longue, le monde est vaste,
le temps est court, et, et, et, et,
et autres mauvaises excuses du
genre… En tout cas, vingt ans
après, ils sont encore là. Pas tous,
bien sûr. Des 80 villages où ils
faisaient resplendir leurs façades
fastueuses il ne reste « plus que
73 », avec des dizaines, voire des
centaines de palais et quelques
ruines entre les beaux reliefs. De
quoi frémir. De quoi rêver. Bernard
Dragon et Michel Adment, eux,
agissent avec leur ONG Arche-S.
Maintenant. Pas dans vingt ans.
SEPT ANS D’ADMIRATION
Cela fait sept moussons que
Michel et Bernard se sont installés
dans le Chettinad. Parcourant
les villages, s’émerveillant et
s’émerveillant encore devant cette
architecture palatiale incongrue.
Ne cessant de s’émerveiller.
Il faut voir leurs yeux briller
quand ils entrent chez Selvam,
découvrant les peintures murales
d’une beauté préservée. Ça fait
long sept moussons. Ça fait
beaucoup d’humidité, de degrés
centigrades, de trucs qui coincent,
d’administration, d’énergie à
déployer pour mener à bien
leur mission de sauvegarde du
patrimoine. Et pourtant, perdez-les
dans un village qu’ils n’ont pas
encore exploré, et ils s’émerveillent
toujours comme des enfants.
TROIS JEUNES GENS DANS LES CHAMPS
Qu’est ce qui attire les jeunes
gens au fin fond de l’Inde à
l’aube du XXIème siècle ? Ni la route,
ni la liberté, ni les expériences
voluptueuses de tous crins. Mais
ça. Ces palais de campagne. Ils
sont jeunes. Ils sont architectes
– ou aspirent à le devenir – et se
sont catapultés loin des villes qui
les nourrissent habituellement
pour se tordre le cou devant des
façades monumentales. Pour
s’emmêler les cheveux dans
les toiles d’araignée habillant
les corridors. Pour prendre des
photos de colonnes, de pilastres,
de balustrades, de corniches et de
plein d’autres choses dont on ne
sait même pas ce que leur nom
désignent. Silvia et son sérieux.
Sivang et sa nonchalance. Vijay et
sa gravité. Tous vous parlent de
ces palais avec tant de chaleur et
de fraîcheur. Mordus. Absorbés.
Marqués, à vie.
GRAND MÉNAGE VESPÉRAL
Il était cinq heures, l’après-midi.
La journée avait débuté douze
heures auparavant dans les chants
des oiseaux et crescendo, quelques
entretiens, la découverte d’un
village, d’une maison. Et encore,
des entretiens en rafales, une fête
L�ARCHITECTURE CHETTIAR DE KOTHAMANGALAM
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aux milliers d’invités, les 40°C de
l’été du Tamil Nadu, des prises de
sons, des entretiens en cascade
et au retour, des traductions qui
n’en finissent plus. Et puis soudain,
tout craque. L’orage. La pluie a
duré longtemps. Fort. Plus moyen
de parler, de s’entendre. Il fallait
juste, alors, la regarder tomber.
Voir s’emplir les vases qui la
recueillent. S’étonner de les voir
ruisseler, déborder, si vite, dans
la cour intérieure. Faisant taire
les oiseaux de Kothamangalam.
L’apaisement.
UN CHŒUR, DES CŒURS
Johnson, mon interprète, est une
sorte de magicien. Il est parvenu,
en quelques jours, à monter une
chorale, dans ce petit village du
Tamil Nadu. Si si. Il en est le chef
de chœur officiel, tout sourire. Il
fallait l’entendre lancer : « One two
three ». Et tous, de reprendre : « Vel
vel vel vel vel Mourouga vel ».
Un titre de Susheela Raman que
Johnson aime bien et qu’il nous
a tous fait aimer à la Sarathavilas.
Il est comme ça Johnson, son
enthousiasme déborde autant
que son sourire. À écouter,
dans « Instantanés du monde à
Kothamangalam »
LÉGENDES
Photo de titre : Fin de journée,
à Kanadukathan, 10 mai 2012
L’ARCHITECTURE DE KOTHAMANGALAM
Photo 1 : rue du village de
Kanadukathan, les demeures
palatiales en enfi lades sont typiques
de l’urbanisme de ces villages du
Chettinad.
Photo 2 : cour intérieure de la
Sarathavilas lors de l’orage vespéral
Photo 3 : Pots destinés à recueillir les
eaux de pluies
Photo 4 : entrée de service d’une
demeure
Photo 5 : l’équipe de la Sarathavilas,
avec, en premier plan, Johnson
Marigiri, interprète, Michel Adment
et Bernard Dragon, gérants des
lieux, et Raja, notre chauffeur.
Photo 6 : détail de corniches et
pilastres
Photo 7 : entrée d’une demeure à
Kothamangalam
Photo 8 : une rue de Kanadukathan
Photo 9 : Michel Adment et Bernard
Dragon, architectes
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