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L’emprise : du mouvement normal aux dérives Par Véronique Sichem
Résumé Les situations d’abus, de maltraitance, de manipulation, ... sont des faits de société tellement médiatisés aujourd’hui qu’il devient bien difficile de se rappeler qu’il existe une emprise normale et une autre, pathologique. Bien évidemment, il existe des systèmes pervertis, des liens pervers et au sein de ceux-‐ci, des conduites pathologiques et violentes. Mais approcher la relation d’emprise, sa complexité, ses subtilités et ses dérives dépasse ce champ. L’emprise n’est pas en soi pathologique: comme la possession, l’attachement, l’appartenance, le don, ..., elle fait partie du lien et relève pour chacun de nous aux phénomènes d’influence et de persuasion propres à toute relation ainsi qu’aux rapports de force propres à tout groupe. Ce qui peut, par contre, poser problème, quel que soit le secteur, c’est son utilisation dans un but déterminé et dans un certain contexte.
Introduction « Dans notre domaine, dire de quelqu’un – en particulier d’un collègue -‐ qu’il exerce son emprise n’est jamais un compliment. Les bruits de couloir et les conseils amicaux se multiplient : il faudrait que le supposé tyran fasse une analyse, ou pire, refasse une analyse... »1. L’emprise évoque la domination morale, intellectuelle, affective et physique, la force et la puissance destructrices, la privation de liberté d’expression et de liberté individuelle. Ainsi, « avoir de l’emprise sur quelqu’un » évoque l’influence, l’ascendant, l’empiètement ou la mainmise de quelqu’un sur quelqu’un d’autre. On l’utilise aussi pour nommer la dépendance de l’un à l’autre, ou par extension l’addiction à un phénomène ou à un produit intoxicant : « être sous l’emprise de tel, de l’amour, de la peur, de l’alcool, de la drogue,... ». En droit, l’emprise consiste en une prise de possession, par l’Administration, d’une propriété privée immobilière, et dans le domaine des travaux publics, l’emprise au sol est la surface occupée par une route ou une voie ferrée, et ses dépendances incorporées au domaine de la collectivité publique. C’est donc aussi un terme de construction, traitant de l’action de prendre une portion de terrain pour l’approprier à un objet quelconque. Ainsi, le dictionnaire Littré cite cet extrait du Moniteur Universel : « Aucun projet de vue nécessitant une emprise quelconque sur l'hôtel de l'ambassade russe n'a jamais été adopté par l'administration municipale de Paris ». L’emprise est enfin un ancien terme militaire, issu de l‘entreprise chevaleresque : l'emprise à l'écu pendant, était un exercice de l'ancienne chevalerie, qui gardait des
1 Extrait de l’exposé de Alain Ferrant lors du 6ème colloque “Emprise du groupe, emprise dans le groupe”, organisé à Bruxelles par l’absl “SOS sectes” le samedi 6 février 2010.
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pas ou des passages sur les ponts et grands chemins, là où les chevaliers pendaient leurs écus et se tenaient prêts à jouter contre tous ceux de pareille qualité qui viendraient toucher ces écus du bout de leur lance. Plus tard, on a nommé aussi emprises d’armes, les jeux militaires des chevaliers. Lorsqu’on évoque l’emprise, aujourd’hui, on pense d’emblée aux rescapés des sectes. On se rappelle aussi le film « Tatie Danielle » où une vieille dame respectable est prise pour une victime alors qu’elle transforme, consciemment et délibérément, la vie de ses proches en réel enfer. Mais ce type d’emprise peut potentiellement s’infiltrer à tout type de rapports humains, que ce soit dans les couples, les familles, les institutions, les entreprises, les Etats ... à travers des situations de jeux de pouvoir, d’influence, de harcèlement, de maltraitance, de propagande, de dénigrement, d’inceste, d’abus, ... Bien qu'elle ait existé de tout temps, la relation d’emprise reste souvent niée, cachée ou banalisée. Dans l'entreprise, par exemple, pour celui qui en est victime, il n’est pas si simple de décider d'aller travailler ailleurs dans le contexte socio-‐économique défavorable qui est le nôtre. La personne s'agrippe parfois à son emploi au détriment de sa santé, de sa dignité ou de son intégrité. Il y a quelques années, une émission de télévision française mettait en évidence que même le licenciement dans l'entreprise fait de plus en plus souvent suite à des pressions psychologiques menant le travailleur à l'épuisement ou à l'affrontement. Ceux-‐ci légitimant le préavis dans le meilleur des cas mais pouvant aussi le conduire à la faute grave. Ce type d’emprise est une forme réelle de violence, d'autant plus pernicieuse qu'elle n'est pas directement visible. En effet, elle exclut tout conflit constructeur et ne supporte pas ce qui fait tiers2. Le conflit constructeur est une relation égalitaire où chacun reconnait le désaccord mutuel, l'existence de l'autre comme interlocuteur, la co-‐existence de cadres de références différents, la nécessité de règles de régulation. Le conflit peut être alors source d’échanges, de réflexions, de décisions voire de séparations favorables à un soulagement et une avancée. Ici, ce n’est pas le cas, l’un ou les deux interlocuteurs disent vouloir clore le conflit mais ils le perpétuent et tous les coups sont permis.
2 Le contrat, les règles, l’institution, la loi,... font tiers. Et par exemple, s’il n’y a pas de règles, il n’y a pas d’institution, de collectivité entre nous, il n’y a que l’affrontement possible.
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L’emprise n’est pas pathologique en soi C’est Freud, le premier, qui a traité du concept d’emprise en psychologie, et il a développé quatre points essentiels entre 1905 et 19203 qui peuvent exister isolément ou de manière combinée. Tout d’abord, la place de l’emprise comme fonction, l’ajustement et le cadrage de la satisfaction dans le lien oral. Il y aurait, pour l’auteur, une sorte d’appareil d’emprise situé dans les yeux, la bouche et les mains. Ensuite, la place de l’emprise comme fonction de maîtrise de soi et du monde dans le lien anal. Puis la place de l’emprise pour dompter les excitations débordantes, dans l’expérience traumatique. Enfin, la place de l’emprise dans la pulsion de mort. Après Freud, les développements par d’autres auteurs4 et les divergences d’école au sujet de l’emprise ont généré une littérature riche pour celles et ceux qui ont dans l’exercice de leurs métiers, à accompagner des situations d’abus, des faits de perversion et de harcèlement, des situations de burn-‐out, des phénomènes d’embrigadement dans certains groupes (couple, famille, secte, organisations,...) et des violences intra-‐groupales. Pourtant, il n’est pas inutile de rappeler que l’emprise est avant tout un état naturel, parfaitement normal et sain, d’une part dans la formation, l’ajustement et l’accordage du lien d’attachement (que dans les interactions précoces de l’enfant, dans le lien amoureux, dans le lien à une autorité, dans le lien à un groupe... ) et d’autre part dans les moments groupaux dont l’enjeu est le remaniement des identités (notamment, les rites de passage, ou le passage d’une étape du développement du groupe à une autre). On peut même dire qu’elle est nécessaire au développement de la vie psychique et aussi à l’intervention professionnelle pour le développement des personnes et des groupes. Maes5 rappelle que l’amour nous soumet à l’objet aimé et que cette soumission nous transforme, fait de nous un être différent et peut nous faire faire des choses dont on ne se sentait pas capable, le meilleur ou le pire selon les cas. C’est le mythe de la quête où le héros d’abord, résiste à l’appel de l’inconnu, puis se met en route comme si
3 Freud S. -‐ Trois essais sur la vie sexuelle (1905) -‐ In Oeuvres complètes de Freud -‐ Psychanalyse VI -‐ PUF, Paris 2006 Freud S. -‐ La dynamique du transfert -‐ In la technique psychanalytique -‐ Oeuvres complètes de Freud-‐ Psychanalyse XI – PUF, Paris, 1998 Freud S. -‐ Au-‐delà du principe de plaisir -‐In Oeuvres complètes de Freud-‐ Psychanalyse XV – PUF, Paris 1996 Freud S. -‐ Auto-‐présentation -‐In Oeuvres complètes -‐Psychanalyse XVII – PUF, Paris 1992 4 J Hendrickxs , I Hermann , John Bowlby en 1969 et les cliniciens de l’attachement, Bergeret, R. Eiguer, Maes, ? Kaës, Casalfiore, Neuburger, etc... 5 Maes JP – SOS sectes – Actes des séminaires 2003-‐2004 – Différentes figures de l‘emprise.
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quelque chose le manipulait et au bout du chemin, le héros est différent de ce qu’il était au départ. L’Homme n’acquiert l’autonomie que très progressivement grâce à tout ce qui va l’aider dans son évolution psycho-‐motrice et cognitive, et grâce à des figures parentales qui à la fois vont assurer la satisfaction de ses besoins et auront une action frustrante poussant à l’autonomie. Les analystes transactionnels savent bien que ce chemin d’autonomie passe par des phases de dépendance (grandir en s’adaptant aux autres), de contre-‐dépendance (agir contre ses propres tendances à la dépendance et à l’indépendance) et d’indépendance (agir pour soi et contre l’autre) avant l’accession à l’interdépendance. Ils savent aussi que ces états mettent du temps à se construire et se défaire. On peut ajouter que le chemin d’autonomie est soutenu par la pulsion d’emprise qui va s’effacer au fur et à mesure du développement et se sublimera en créativité, en curiosité, en investissement affectif… Le petit enfant regarde sa mère de toutes ses forces, cherchant dans son visage l’apaisement et le revendiquant même. Denis6 décrit les conduites d’emprise primaire chez l’enfant, qui s’attache, s’agrippe, se lie avec les mains, le regard, les cris… et progressivement, développe des procédures de contrôle et de réglage de la distance. Par exemple, il manifeste son angoisse ou sa rage si l’objet de son attachement s’éloigne, il peut « faire payer » à l’objet quand il revient la séparation par un détournement d’intérêt, … Ces conduites ont pour fonction de tenter de garder, même si c’est illusoire, la source de satisfaction à proximité tandis que de son côté, la mère va progressivement imposer à l’enfant une régulation des rythmes (repas, sommeil,…), ce qui conduira au langage. A la fois, la vie de la mère du petit d’Homme a complètement changé depuis son arrivée car d’abord, elle s’est complètement dédiée à ses besoins, son monde à elle de tourne plus de la même façon et pourtant, à la fois, rien n’a changé autour d’elle… Elle va devoir retrouver un équilibre entre les cris du bébé, les colères enfantines, les nuits au sommeil perturbé, … Petit à petit, l’enfant va gagner la capacité de vivre l’alternance séparation/retrouvailles, et satisfaction/frustration et il va découvrir qu’à côté du pouvoir qu’il a sur son environnement, il existe aussi la confiance, la tendresse, les mots,… Pour Ferrant, on trouve dans les entraves précoces du chemin vers l’autonomie (qu’il soit inhibé par un contexte pathogène, que l’enfant soit disqualifié ou que la distinction soi-‐monde ne puisse se faire au bon moment), les sources de
6 Denis P. -‐ Emprise et satisfaction -‐ PUF, Paris 1997
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l’asservissement de l’autre. La psychologie et la psychopathologie ont tendance à considérer l’emprise comme « colportant un parfum de psychopathologie marqué par une pulsionnalité anale serrée, un redoutable fond d’angoisse et des comportements pervers7 ». Les conduites d’emprise sont alors des fragments de passé qui se réactualise, fragments qui sont en quelque sorte des ratés du travail de la pulsion naturelle d’emprise, des échecs des conduites d’emprise primaire. L’emprise devient pathologique dès qu’il y a tentative récurrente par l’un d’exercer une maîtrise d’autrui dans le but de l’utiliser à son avantage. Eiguer8 rappelle que l’autre devient alors un « ustensile », il a fonction d’objet partiel, il est aux yeux de celui qui exerce le contrôle, un moyen, un instrument pour satisfaire un désir, un besoin ou un dessein précis. L’emprise entre alors dans le champ de la violence et simultanément dans le champ de l’usage car elle devient le mode relationnel usuel.
L’emprise abusive, une entreprise mortifère et violente Pour traiter les phénomènes violents et traiter la souffrance qui en découle, il faut commencer par ne pas renier la violence qui les configure. Pour Girard9, au commencement de toute société, il y a la violence, issue du désir mimétique : à la fois, nous ne désirons que ce que l’autre désire et à la fois, nous craignons de nous perdre dans l’autre. Socialement, chacun reconnait que ce serait injuste et risqué de considérer quelqu’un comme bouc émissaire et pourtant, depuis la nuit des temps, ce phénomène existe. L’hypothèse de Girard est que ce phénomène aurait une fonction régulatrice des systèmes : exclure la violence interne à la société vers l’extérieur de cette société. Et pour cela, dit-‐il, il faut que la mise en œuvre du rituel du bouc émissaire reste cachée, que la violence résultante de cet acte n’entraîne pas une escalade de violence, d’où la nécessité d’un « typage » des victimes (elles ne sont pas choisies au hasard mais selon un principe de moindre violence), que les tiers soient persuadés de la culpabilité du bouc émissaire et que les victimes soient persuadées d’être coupables. L’emprise abusive constitue une entreprise violente et mortifère. Dorey10 en précise les 3 actions principales : une action d’appropriation par dépossession de l’autre, une action de domination où l’autre est maintenu dans un état de soumission et de dépendance, une empreinte sur l’autre, qui est marqué physiquement et
7 Ferrant A, psychanalyste et professeur de psychopathologie à l’Université Lumière Lyon 2 -‐ “Pulsion et liens d’emprise”, Dunod 2001 8 Eiguer A. -‐ Le pervers narcissique et son complice -‐ Dunod, Paris 1989 Eiguer A. -‐ Du bon usage du narcissisme-‐ Bayard, Paris 1999 9 Girard R.-‐ La violence et le sacré -‐ Grasset, Paris 1972 Girard, R. -‐ Le bouc émissaire -‐ Grasset, Paris 1982 10 Dorey R. -‐ La relation d’emprise -‐ in Nouvelle revue de psychanalyse -‐1981 Automne – 24, 117 -‐39.
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psychiquement. Hirigoyen11 précise que, même s’il s’agit d’une forme de violence souterraine et occulte, il s’agit bien d’une agression avérée qui s’attaque à l’identité de l’autre de sorte de lui retirer toute individualité. Elle précise que l’emprise débute toujours par un abus de pouvoir et se poursuit par un abus narcissique (c’est à dire que l’autre perd progressivement l’estime de soi). Il arrive que s’ajoute un abus physique, notamment d’ordre sexuel. Leymann12 quant à lui, distingue 5 formes de violence présentes: empêcher la victime de s’exprimer, l’isoler, la déconsidérer, la discréditer et compromettre sa santé physique et/ou mentale.
La violation du territoire Le territoire est un impératif biologique : comme chez les animaux, la vitalité et la combattivité de l’Homme régressent soit quand il a peu construit son territoire, soit quand il en est dépossédé progressivement. Le territoire est aussi une convention sociale et culturelle : ainsi, par exemple, chez les nomades, le territoire, c’est le désert, sans limites de frontières, alors que chez le citadin, son territoire, c’est son quartier, sa rue, son immeuble, son logement. La caractéristique majeure de la relation d’emprise est l’empiétement répété du territoire d'autrui induisant une forme de désorientation. Quand un terroriste entre dans un lieu pour prendre des otages, il commence par couper les lignes téléphoniques avec l’extérieur pour éviter tout appel au secours. De la même manière, celui qui cherche à intimider utilisera tous les moyens coercitifs permettant d’isoler la personne et pour la faire taire Mon ami, raconte cette femme, n’a jamais levé la main sur moi mais il me choque souvent, me blesse aussi avec des mots, des injures, des interdictions. Au début j’ai cru que c’était de l’amour possessif mais progressivement, cela a empiré. Il a commencé par me dire les vêtements qu’il acceptait que je porte ou non. Il ne supportait pas que je rentre 5 minutes en retard, me téléphonait au travail pour savoir ce que je faisais, limitait mes fréquentations, me rabaissait en me parlant mal, m’interdisait de conduire, lisait mon courrier et mes sms, me surveillait, m’a menacée de m’empêcher de sortir et de me confisquer mon téléphone portable si je ne lui donnais pas mon accès à facebook. Par peur, j’ai cédé... J’ai subi sa domination au quotidien, pendant des mois, je n’avais aucun ressort pour me révolter ou fuir. Je me croyais fragile, j’étais effrayée, je me sentais faible. Et aussi parce qu’il m’aime, je ne voulais pas le blesser. Il y a ingérence dans le territoire d’autrui dès qu’il y a atteinte à la liberté de manoeuvre ou que l’épanouissement est menacé. Cela peut toucher l’espace (changer les repères, jeter les affaires d’autrui, refuser l’accès à certains lieux, s’asseoir sur le 11 Hirigoyen M-‐F. -‐ Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien -‐ Pocket, Paris 1998. 12 H Leymann – La persécution au travail, Seuil 1998
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bureau de la personne, ouvrir son courrier personnel...), le temps (arriver systématiquement en retard, prétexter l’urgence, exiger des réponses immédiates, poursuivre l’échange alors que la personne mentionne que son temps disponible est écoulé, empiéter sur la vie privée,... ), le corps (priver de manger ou de dormir, jeter les vêtements de quelqu’un, couper ses cheveux contre son gré, ouvrir la porte des toilettes ou de la salle de bain quand la personne s’y trouve...) ou les rôles (priver la personne d’informations utiles, priver du matériel, utiliser sa boîte mail...). Hirigoyen13 parle d’une agression unilatérale et subtile où l'agressé est, sans preuve tangible, privé d'éléments pour ajuster adéquatement son attitude. Il oscille entre l’évitement et l’affrontement, sans effet probant.
L’autre n’existe pas Dans le triangle de Girard14, B ne pouvant être A, il pense que ce qui définit l’autre est ce qui justifie la différence entre lui et A. « Fixer son attention admirative sur un modèle, c'est déjà lui reconnaître ou lui accorder un prestige que l'on ne possède pas, ce qui revient à constater sa propre insuffisance d'être » nous dit Girard, « le sujet méconnaîtra toujours cette antériorité du modèle, car ce serait du même coup dévoiler son insuffisance, son infériorité, le fait que son désir est, non pas spontané mais imité. Il aura beau jeu ensuite de dénoncer la présence de l'Autre, médiateur de son désir, comme relevant de la seule envie de ce dernier ». Perrone15 souligne que le profond désarroi psychique dans lequel se trouve chacun des deux protagonistes de la relation d’emprise, qui conduit l’un à l’agression et empêche l’autre de se protéger. Celui qui agresse est pris dans l’impossibilité fondamentale d’accepter l’autre dans sa différence. Dès lors, l’autre est nié en tant que sujet et l’idée même de son désir est intolérable. L’autre est considéré et traité comme objet méprisé et maîtrisable : le droit d’être autre lui est refusé. Ainsi, dans la relation d’emprise, il n’y a jamais de confrontation réelle à l’autre. La rencontre n’a pas lieu parce qu’elle est vécue comme dangereuse et évitée. Et paradoxalement celui qui agresse se vit en victime quand il se sent envahi par celui qu'il envie et dont il ne peut se passer. La défiance le gagne et l'autre est perçu comme malveillant: même la gentillesse, redéfinie en hypocrisie ou provocation, constitue une menace. Il fait alors subir à l'autre ce qu'il cherche à éviter pour lui-‐même : semant flou et incertitude, il annule l'autre en le rendant responsable de tout sans remise en question. 13 Ibidem 14 Ibidem 15 Perrone R et Nannini M. -‐ Violence et abus sexuels dans la famille –E.S.F., Paris 2000.
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Quoi qu’elle fasse, la victime risque de rester pour celui qui agresse, un objet de haine et de mépris. Pour en sortir, la victime doit accepter qu’elle ne peut rien faire pour modifier son image aux yeux de l’autre et accepter cette impuissance. Mais pour cela, il faut qu’elle ait une image suffisamment bonne d’elle-‐même de sorte les agressions répétées ne remettent pas en cause son identité. C’est une étape particulièrement difficile lorsqu’il s’agit d’une relation affective : elle implique pour la victime d’accepter qu’elle aime quelqu’un qui ne peut l’aimer. Primo Levi16 souligne que le sentiment de notre existence dépend pour une bonne part du regard que les autres portent sur nous. Il ajoute qu’on peut qualifier de non humaine (inhumaine ?) l’expérience de qui a vécu des jours où l’homme a été un objet aux yeux de l’Homme.
La dimension psychopathologique Ces dernières années, certains de ces ouvrages, assortis parfois de questionnaires, ont appris au grand public à identifier comme manipulateur une personne en fonction de leurs comportements. D’autres ouvrages ont vulgarisé le profil du pervers narcissique alors que d’autres profils peuvent s’engager également dans des processus d’emprise. Cela donne lieu à un paradoxe : les citoyens sont plus informés mais certains d’entre eux font des raccourcis audacieux et voient des pervers partout… Certes, pour la personnalité à tendance «narcissique », le mouvement majeur est de réduire l’autre à l’identique et pour cela, il pervertit la perversion. Autrement dit, il utilise la relation de telle sorte qu’elle ne soit pas possible17. Il n’y a bien entendu pas lieu de confondre ce processus où il est fait abstraction de la morale et des limites de l’autre, avec le comportement pervers ponctuel que chacun de nous peut avoir. Ici, l’autre est instrumentalisé et vampirisé : les agissements de froide rationalité, avec une grande minutie ont pour seul but de compromettre l’autre en le poussant à bout, en lui faisant perdre son calme, ses repères et son énergie, et de gagner soi-‐même en énergie et en pouvoir. A la différence de la personnalité à tendance « psychopathique », la violence de la personnalité à tendance « pervers narcissique » n’est pas impulsive. Elle n’est pas issue d’une irritabilité et d’une agressivité permanentes. La personne a une très bonne adaptation sociale si bien que sa violence n’éclate ni n’importe où, ni n’importe quand, ni en dépit des lois, ni sans limite. La personnalité à tendance « pervers narcissique » a un très bon contrôle émotionnel. Elle exerce sa violence insidieusement, de manière manipulatrice, de sorte de préserver son image sociale et même d’occuper des postes de pouvoir.
16 Levi P. -‐ Si c’est un homme -‐ Pocket, Paris 1947 17 Philippe Van Meerbeeck – L’infamille – Editions De Boeck
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Mais pour la personnalité à tendance « paranoïaque », le mouvement majeur est projectif : attribuer à l’autre ses propres défaillances que la fixation narcissique l’empêche de voir en lui. Il se place toujours et arbitrairement en position de dominer l’autre. Sa violence s’exerce dans le constant jugement et la stigmatisation d’autrui : l’autre est mis en position inférieure et est accusé de tous les maux. La personnalité à tendance « paranoïaque » prend le pouvoir par la force, là où celle de type « pervers narcissique » utilise la séduction. C’est seulement si la séduction n’agit plus, et que l’autre est vécu comme une menace dont il doit se protéger, qu’il recourra à la violence physique. Ici, son seul but est de maintenir de lui-‐même une image positive et flatteuse. Pour cela, en position OK/non-‐OK18, il considère : « je suis irréprochable, les autres sont mauvais, ils sont seuls responsables de ce qui m’arrive ». Le quérulent processif, une forme particulière de paranoïa, est particulièrement épuisant pour les autres: prétendument lésé, il multiplie les démarches administratives et judiciaires, et entame des procès en permanence afin de faire reconnaître son bon droit supposé et d’obtenir réparation. Même quand les juges ne sont pas dupes, les personnes-‐ cibles des revendications incessantes du quérulent processif n'ont pas beaucoup de solutions car elles doivent se défendre. La situation de ses victimes devient souvent un gouffre financier et psychologique profond, car progressivement, cela leur pourrit la vie, les endette et les use psychologiquement au point que parfois, elles ne peuvent plus supporter de venir aux audiences. Le mouvement qui peut conduire la personnalité « obsessionnelle » à la violence est sa recherche d’un mode lisse et sans faille, plus mort que vivant, et il consiste à soumettre l’autre parce qu’il est différent. La violence s’exerce en une influence constante et insidieuse, un contrôle permanent et des intrusions répétées qui affectent les limites de son espace personnel et violent son intimité. La violence alterne avec des formes actives (despotisme) et des formes plus passives (résistance passive quasi insurmontable). Dans les deux cas, la tendance mortifère l’amène à immobiliser le cours des événements en s’opposant aux projets différents des siens, en commentant et rationalisant à l’infini et en entravant les initiatives d’autrui. Ceci a pour effet de figer et pétrifier le vivant et de favoriser l’inertie. Ce faisant, il ne tient aucun compte de l’autre dont il se plaint mais qu’il engloutit cherchant un monde sans faille. Chez la personnalité à tendance obsessionnelle, comme chez la personnalité à tendance « paranoïaque », c’est le désir qui est annihilé par l’action destructrice.
18 Concept de l’analyse transactionnelle, la position de vie est la perception subjective par laquelle quelqu’un se vit et se perçoit dans le rapport avec autrui. Position d’auto-‐dévalorisation : non-‐OK/OK. Position de supériorité : OK/non-‐OK – Position de désespoir et d’impasse : non-‐OK/non-‐OK. Position de parité et de coopération possible : OK/OK. Acquise dans la petite enfance et confirmée par certaines expériences de vie, la position de vie impacte les positionnements relationnels.
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Il existe un point commun entre ces différentes tendances même si les motifs en sont fondamentalement différents : la personne n’a, dans les faits, aucune empathie pour l’autre. Il ne s'agit pas de détruire l'autre mais de le soumettre peu à peu, en le dévalorisant et en le tenant à distance tout en le gardant à sa disposition. Il y a là un double mouvement qui enferme progressivement l’autre dans une bulle qui parait sans échappatoire, de prédation (l’autre est utilisé) et de dépréciation (l’autre est empêché de se défendre). C’est le mythe du vampire. S’il ne se nourrit pas des affects de l’autre (il boit son sang), il se vide de son élan (il meurt). Autrement dit, il met en place une emprise d'autant plus forte qu'il lutte lui-‐même contre la peur de perdre l’autre autant que de se perdre dans l’autre.
Une trop grande obéissance librement consentie Toutes personnalités confondues, les réactions des victimes de l'emprise pathologique sont les mêmes. Les troubles résultant de l'emprise sont d’ailleurs identiques à ceux des victimes de catastrophe naturelle ou des personnes qui ont vu leur vie mise en péril par un événement. Rappelons avec Doyen deux types de traumatismes : le « shock trauma », lié à un choc puissant et imprévu et le « strain trauma », né de l’accumulation de tensions éprouvantes dans lequel la personne finit par douter de ses capacités à penser et à agir adéquatement. Le stress post-‐traumatique dont souffrent les victimes d’emprise relève du strain trauma. Il se manifeste tout d'abord, par une sensation d'effondrement psychologique pendant quelques jours, suivie d'angoisse, d'apathie, de tristesse profonde, d'un état dépressif. Elles ont tendance à rechercher une possibilité de distance pour cicatriser leurs plaies physiques ou psychiques. S'y associent ensuite des sentiments parasites et des pensées parasitaires négatives récurrentes. L'inertie et la peur devant les situations nouvelles alternent avec des accès de colère, séquelle des périodes où la personne s'est trouvée sans défense. Des troubles de la concentration, la mémoire et du sommeil émergent très vite, et à plus long terme, des affections psychosomatiques apparaissent. Enfin, le sentiment de honte peut impacter la personne, en raison de la difficulté qu’elle a à sortir seule de la situation. Steiner19 a montré que le jeu de pouvoir n’est possible que grâce à la trop grande indulgence du partenaire. Et plus largement, la psychologie nous a appris à interpréter celle-‐ci de manière réductrice comme étant motivée par des bénéfices inconscients, essentiellement masochistes, que la victime pourrait tirer de tels liens. Certaines pathologies peuvent bien entendu intervenir, mais ce que l’on sait moins, c’est que la
19 Steiner C. -‐ L’autre face du pouvoir -‐ DDB, Paris 1995
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plupart du temps, les personnes victimes de relations d’emprise sont des individus « normaux » pleinement responsables de leurs actes. Contrairement à une idée répandue, les victimes de secte ou de harcèlement ne se trouvent pas en majorité être des individus à la personnalité fragile, sujette à la dépendance. Et les personnalités qui s’en prennent à l’autre, s'intéressent le plus souvent à des personnes vivantes, intelligentes, impliquées, ... C’est même souvent quelqu’un d’envié : d’apparence solide, plutôt perfectionniste, s’investissant beaucoup dans son travail, capable de grande loyauté dans les relations, capable de remettre l’autorité en cause sans dommage et attentif aux besoins des autres,... Et si on se sert d'elles, ce n'est pas pour cela que ces personnes présentent une faille particulière de la personnalité qui les amène à être maltraitées et à s'enfermer dans une relation violente. Hirigoyen a montré que la configuration même de la relation suffit à expliquer le piège. L'un envahi par la peur simultané d'être abandonné ou englouti, met en place un système d'emprise et l’autre, par sa transparence donne trop à voir, suscite l'envie et offre les clés pour les agissements à ses dépens. A la différence des personnes limitées par les inhibitions de leur scénario individuel, les personnes investies dans un mécanisme d'emprise trouvent généralement un levier de changement dans la présence inopinée de témoins assistant à une scène. Bien souvent, le simple fait de leur demander de réaliser une ligne du temps et d’y noter tout ce qu’elles ont vécu leur permet de se rendre compte que leur dépendance actuelle n’est pas un état mais un processus. J'ai observé qu'elles sortent de la passivité dès qu'un tiers ou une lecture leur indique les processus dont elles sont victimes, comme si cet apport extérieur vient rompre la confusion née de l'emprise. Et à chaque pas que font ces personnes pour sortir de l'emprise, c’est un réel soulagement pour elles de retrouver leur énergie. Elles sont prêtes alors à regarder en face ce qu’elles ont méconnu qui les a maintenues dans l'emprise, et leur prise de conscience progressive réactive leurs propres capacités à prendre du recul, leurs ressources personnelles à créer des options efficaces et l’aptitude à se protéger utilement. L’obéissance rappelle Steiner20 est un élément très valorisé dans l’éducation des enfants. De plus, dans la vie, nous travaillons dans des lieux que nous n’avons pas toujours choisis et avec des personnes que nous n’avons pas non plus vraiment (ou pas du tout) cooptées. Nous avons un degré de soumission permanent à tenir, à contenir et à travailler tout au long de notre vie, dans nos relations, dans la famille, à l’école et dans le travail professionnel par la suite. Se soumettre est une réaction ordinaire et elle est encouragée par les signes de récompense et de punition. Se soumettre apporte 20 Ibidem
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du prestige, de la popularité, de l’intégration, du confort, de l’appartenance. En se combinant à des valeurs d’altruisme et d’équité, à un désir d’harmonie et à de bonnes capacités de négociation, l’obéissance et ses habitudes de soumission peuvent devenir un élément actif dans la suradaptation de la victime à l’agresseur. Au lieu d’identifier l’abus et d’y mettre fin, la personne « obéissante » tente de comprendre l’autre et pour cela, cherche à visiter le coeur de l’ennemi, et se monte gentille et transparente pour ménager le partenaire. Ce qui équivaut bien plus à se livrer à l’agresseur qu’à débloquer la situation. En effet, la victime nourrit souvent l'espoir erroné que la gentillesse, la transparence, la tolérance finiront par trouver écho et adouciront l'agresseur. Or, c'est l'inverse qui se produit : la victime se voit dévalorisée par l’agresseur et par un artifice de la pensée, si celle-‐ci a moins de valeur aux yeux de l’agresseur, alors ses actes sont moins dommageables". A cet égard, on se rappellera la Fable de Jean de La Fontaine21, « Les animaux malades de la peste » lorsque l’âne reconnait avoir brouté l’herbe d’un champ ne lui appartenant pas : « un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue, qu'il fallait dévouer ce maudit animal, ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable » et c’est la mise à mort qui est requise. L’obéissance est souvent prise à tort, nous dit Steiner, pour de la coopération, et aussi pour de l’empathie ou pour l’exercice de la position OK/OK. La non obéissance n’est pas à prendre pour une attitude subversive : elle relève de la dimension conflictuelle contrôlée. Steiner parle de « désobéissance non violente », c’est à dire de l’exercice critique envers soi et envers autrui. La permission de ne pas obéir, quitte à faire et dire les choses qui contrarient constitue souvent un pas important pour aider les personnes à refuser de se laisser dominer et bousculer par les autres. Tout ce qui habituellement22 est fort utile pour négocier un contrat, faciliter la communication par l’empathie pour ne pas froisser, et maintenir le lien, ne sert ici qu’à perpétuer la relation d’emprise. Nous avons appris une attitude de réceptivité bienveillante, mais ici, il va s’agir pour la personne prendre des initiatives qui mettent l’autre dans l’obligation de répondre aux questions et de réagir, conduire les débats, poser les questions nécessaires,… Nous avons appris à nous centrer sur le vécu du sujet, mais celui-‐ci va devoir se centrer sur les faits et ne s’intéresser qu’à eux et dès qu’un discours –fleuve de celui qui agresse se met en route, qu’il veut raconter sa vie ou revenir sur le passé, la personne devra l’interrompre et revenir à la situation et si ce n’est pas possible, il s’agira de mettre fin à la communication. Nous avons appris à nous intéresser à la personne, mais là, il faudra s’intéresser exclusivement aux
21 J de La Fontaine – Fables – Editions de poche, 2003 22 SIRIC (collectif d’auteurs) – Communication ou manipulation – Editions Empirika,1983
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problèmes qu’elle pose. Nous avons appris à montrer au sujet que l’on respecte sa manière de voir, de penser, de faire mais ici, c’est se positionner sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas qui est à faire,…
Quand le témoin contribue malgré lui à l’emprise Le témoin peut être un familier, un professionnel (Procureur de l’Etat au Tribunal qui représente les intérêts de la société, thérapeute auquel une personne, un couple ou une famille demande de l’aide, coach ou consultant dans une organisation,...) devant qui la représentation du conflit vient se jouer, et qui doit être attentif à conserver l’indispensable position tierce pour tenter de susciter la résolution du conflit. Il arrive fréquemment qu’être témoin d’une relation d’emprise provoque des sentiments de doute, d’incertitude, de malaise chez les intervenants et chez les familiers, parce quand il y a beaucoup d’émotions et que des thématiques existentielles sont à l’oeuvre, la lucidité peut en souffrir et la bonne distance se perdre. C’est évidemment toute la question du transfert qui est posée. Dans l’emprise, comme le montre Maes, le transfert consiste plus à « retourner » la situation qu’à la déplacer: ce que les protagonistes se sentent impuissants à faire avec leur monde interne et avec ce qui leur arrive, leur incapacité à entrer en contact avec soi et leur incapacité à élaborer leur angoisse froide, ils les transmettent aux témoins et les regardent survivre et se débrouiller avec l’emprise qu’ils vivent. Mais lorsque l’agression se passe devant témoins, il n’est pas rare que ceux-‐ci, sous l’effet de la surprise, restent muets, passifs ou même témoignent d’une sorte de connivence empathique. Cela renforce chez le bouc émissaire la sensation cuisante de doute et de solitude. Regarder sans agir équivaut à accepter une alliance perverse avec celui qui agresse et à le considérer comme la victime : c’est un soutien et un encouragement implicites à poursuivre. Par exemple, un manager peut s’abstenir d’intervenir ou d’arbitrer un conflit parce qu’il espère en tirer un bénéfice pour son entreprise, parce qu’il préfère voir partir un travailleur-‐cible, parce qu’il manque du courage nécessaire à un entretien avec l’instigateur, parce qu’il voit un avantage à ce que la situation mette le feu aux poudres et que la crise institutionnelle génère un changement,… Il arrive aussi que le témoin professionnel perde de vue que celui qui agresse et la personne-‐cible ne se résument pas à leurs comportements visibles. Lorsque cela se produit, le témoin risque bien de diaboliser et stigmatiser les protagonistes. « La psychologie sociale rappelle que lorsque nous sommes amenés à juger le comportement d’un individu, nous avons tendance à commettre une erreur fondamentale. Celle qui renvoie au fait de sur-‐estimer le rôle de la personnalité et de
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sous-‐estimer (ou d’omettre) le rôle des éléments de contexte ou des circonstances dans lesquelles la personne a produit son comportement »23. Cela paralyse chez ceux que l'on prétend aider, l'intelligence autant que l'espoir, nourrit une attitude négative et résignée devant la vie et surtout méconnait que dans tous les cas, la souffrance psychologique de la victime d’emprise tire autant son origine de la situation même d'emprise que du regard social. Ainsi, par exemple, lorsque les pressions subies sont considérées à tort par les témoins comme de simples rapports de domination, que les victimes passent pour des faibles, que l’agresseur soit pris pour la victime ou la victime pour l’agresseur, cela constitue une seconde agression, qui accentue le traumatisme et renforce à la fois le système parasitaire et les mécanismes. Haley, Fournier et Monroy24 nomme « triangle pervers » la configuration par laquelle deux individus qui ne sont pas de même niveau « hiérarchique » (un ouvrier et un chef d’atelier) dans une organisation ou de même génération dans une famille (par exemple, un parent et ses enfants) sont en coalition contre la troisième, et cette coalition est déniée dès que quelqu’un la met au jour.
Conclusion L’article a insisté sur le fait que la relation d’emprise ne se limite pas exclusivement au machiavélisme de l’un, à la manipulation délibérée de l’autre pour maintenir à tout prix un pouvoir ou se débarrasser d'un gêneur. A l’avant-‐plan d’une relation d’emprise, ce qui est visible, ce sont des séquences de jeux psychologiques, mais plus profondément, c’est bien un jeu de pouvoir, souterrain et occulte, qui dénature l’attachement. Si l’intervenant se met à traiter les jeux psychologiques, sans prendre conscience du jeu de pouvoir et sans aider les protagonistes à interrompre celui-‐ci, non seulement les interventions seront sans effet durable pour diminuer la tension mais elles auront pour effet de renforcer la configuration dissymétrique de la relation, encourageant l’un à malmener l’autre. 23 Ingold R, psychiatre et anthropologue à Paris -‐ Emprise et dépendance : plus qu’une comparaison – 23 octobre 2003 – séminaire 24 cités par Maes Maes J.C.-‐ Emprise et manipulation – peut-‐on guérir des sectes ? -‐ De Boeck, Bruxelles 2010 Maes J.C.-‐ Loyauté et emprise -‐ In Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques réseaux n°44, 169-‐190
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