Transcript of Faute de-l armateur
- 1. UNIVERSIT DE DROIT, D'CONOMIE ET DESUNIVERSIT DE DROIT,
D'CONOMIE ET DES SCIENCESSCIENCES PAUL CEZANNE AIX-MARSEILLE
IIIPAUL CEZANNE AIX-MARSEILLE III FACULT DE DROIT ET DE SCIENCES
POLITIQUESFACULT DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES CENTRE DE DROIT
MARITIME ET DES TRANSPORTSCENTRE DE DROIT MARITIME ET DES
TRANSPORTS La faute inexcusable de l'armateur et le principe de
laLa faute inexcusable de l'armateur et le principe de la
limitation de sa responsabilitlimitation de sa responsabilit Mmoire
prsent par STAVRAKIDIS TriantafyllosMmoire prsent par STAVRAKIDIS
Triantafyllos dans le cadre du Master II Droit Maritime et desdans
le cadre du Master II Droit Maritime et des Transports, sous la
direction de Monsieur Christian ScapelTransports, sous la direction
de Monsieur Christian Scapel PROMOTION 2008PROMOTION 2008 1
- 2. La faute inexcusable de l'armateur et le principe de laLa
faute inexcusable de l'armateur et le principe de la limitation de
sa responsabilitlimitation de sa responsabilit Cet ouvrage est
ddiCet ouvrage est ddi ma mre, Stavroulama mre, Stavroula '' Le
plus grand mal,'' Le plus grand mal, part l'injustice, serait que
l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sapart l'injustice,
serait que l'auteur de l'injustice ne paie pas la peine de sa faute
''faute '' Platon , Extrait dPlaton , Extrait dee GorgiasGorgias
2
- 3. 3
- 4. REMERCIEMENTSREMERCIEMENTS Que les professeurs Pierre
Bonassies et Christian Scapel trouvent ici lexpression de ma
profonde reconnaissance ; M. Bonassies pour sa sollicitude lors de
lencadrement de mes travaux de recherches et M. Scapel pour mavoir
reu au sein du CDMT et pour sa confiance. Leurs enseignements m'ont
t prcieux. Je voudrais galement exprimer mes sincres remerciements
tous mes Professeurs pour m'avoir transmis leur passion pour la mer
et leur savoir pour le droit maritime. Je souhaiterais aussi
remercier Martine Cheron pour sa disponibilit ainsi que pour ses
encouragements tout au fil de ces deux annes. Merci aussi tous mes
collgues tant de cette anne (Ayaka, N'gagne, Frank, Vanessa, Anais,
Khoudia, Adleine, Solenne, Julie, Jean-Mathieu, Axelle, Pierre,
Akpne.......) que de l'anne dernire (Oriane, Fred, Christine,
Akila, Mohammed......), de mme qu' Neli, pour leur correction, leur
aide, leur disponibilit et surtout leur patience. Finalement, je
tiendrais remercier profondment mes parents pour leur prsence de
tous les instants. Sans eux, rien naurait t possible. 4
- 5. 5
- 6. SOMMAIRESOMMAIRE INTRODUCTIONINTRODUCTION PREMIERE PARTIE:
LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLEPREMIERE PARTIE: LE REGIME DE LA
FAUTE INEXCUSABLE Chapitre 1 : L'apparition de la faute inexcusable
et sesChapitre 1 : L'apparition de la faute inexcusable et ses
applicationsapplications Section 1 :Section 1 : La naissance de la
faute inexcusable en droit desLa naissance de la faute inexcusable
en droit des accidents de travail (loi du 9 avrilaccidents de
travail (loi du 9 avril 1898)1898) Section 2 :Section 2 : La faute
inexcusable en matire des transportsLa faute inexcusable en matire
des transports condamnation d'un comportement jugcondamnation d'un
comportement jug fautiffautif Chapitre 2 : La faute inexcusable
fondement actuel de laChapitre 2 : La faute inexcusable fondement
actuel de la dchance de la limitation de responsabilit de
l'armateurdchance de la limitation de responsabilit de l'armateur
Section 1 :Section 1 : En droit commun de responsabilit de
l'armateurEn droit commun de responsabilit de l'armateur Section 2
:Section 2 : Dans les rgimes spciaux de responsabilit (Fipol,Dans
les rgimes spciaux de responsabilit (Fipol, HNS, PollutionHNS,
Pollution par les soutes)par les soutes) Section 3 :Section 3 : Le
troisime paquet Erika et la reforme de la fauteLe troisime paquet
Erika et la reforme de la faute inexcusable parinexcusable par la
directive relativela directive relative la responsabilit civile et
la responsabilit civile et aux garanties financires des
propritaires de naviresaux garanties financires des propritaires de
navires 6
- 7. DEUXIEME PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTEDEUXIEME
PARTIE : LA MISE EN PLACE DE LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET
SES CONSEQUENCESINEXCUSABLE DE L'ARMATEUR ET SES CONSEQUENCES
Chapitre 1 : La conception jurisprudentielle de la fauteChapitre 1
: La conception jurisprudentielle de la faute inexcusable de
l'armateur et ses incidences sur l'institution de lainexcusable de
l'armateur et ses incidences sur l'institution de la limitation de
la responsabilitlimitation de la responsabilit SectiSection 1 :on 1
: Les lments de la faute inexcusableLes lments de la faute
inexcusable Section 2 :Section 2 : La limitation de responsabilit :
droit exceptionnel deLa limitation de responsabilit : droit
exceptionnel de l'armateur ?l'armateur ? Chapitre 2 : La faute
inexcusable dans la procdure de limitationChapitre 2 : La faute
inexcusable dans la procdure de limitation Section 1 :Section 1 :
Contestation du droit de l'armateur de limiter saContestation du
droit de l'armateur de limiter sa responsabilitresponsabilit
Section 2 :Section 2 : Les consquences de l'admission de la
fauteLes consquences de l'admission de la faute inexcusable de
l'armateur sur ses droitsinexcusable de l'armateur sur ses droits
CONCLUSIONCONCLUSION BIBLIOGRAPHIEBIBLIOGRAPHIE TABLE DES
MATIERESTABLE DES MATIERES 7
- 8. TABLE DES ABREVIATIONSTABLE DES ABREVIATIONS ET DES
ACRONYMESET DES ACRONYMES ADMOADMO Annuaire du Droit Maritime et
OcaniqueAnnuaire du Droit Maritime et Ocanique Annales IMTMAnnales
IMTM Annales de l'Institut mditerranen des transports
maritimesAnnales de l'Institut mditerranen des transports maritimes
Alin.Alin. AlinaAlina Ass. Pln.Ass. Pln. Cour de cassation,
Assemble PlnireCour de cassation, Assemble Plnire BTLBTL Bulletin
des transports et de la logistiqueBulletin des transports et de la
logistique Bull. Civ.Bull. Civ. Bulletin des arrts de la Cour de
cassation (chambres civiles)Bulletin des arrts de la Cour de
cassation (chambres civiles) BCBC Bunker ConventionBunker
Convention (( International Convention on Civil Liability
forInternational Convention on Civil Liability for Bunker Oil
Pollution Damage)Bunker Oil Pollution Damage) C.AC.A Cour
d'appelCour d'appel Cass.Cass. Cour de cassationCour de cassation
Cass. Civ.Cass. Civ. Cour de cassation, chambre civileCour de
cassation, chambre civile Cass. ComCass. Com Cour de cassation,
chambre commercialeCour de cassation, chambre commerciale Cass.
SocCass. Soc Cour de cassation, chambre socialeCour de cassation,
chambre sociale CJCECJCE Cour de Justice des Communauts
EuropennesCour de Justice des Communauts Europennes CLCCLC Civil
Liability ConventionCivil Liability Convention CMNICMNI
ConventionConvention relative au contrat de transport de
marchandises enrelative au contrat de transport de marchandises en
navigation intrieurenavigation intrieure CMRCMR Convention sur le
contrat de transport international deConvention sur le contrat de
transport international de marchandises par routemarchandises par
route CNUDCICNUDCI Confrence des Nations unies pour le commerce et
le dveloppementConfrence des Nations unies pour le commerce et le
dveloppement (UNCITRAL)(UNCITRAL) Code ISMCode ISM Code
international de gestion et de scuritCode international de gestion
et de scurit Code IMDGCode IMDG Code international des marchandises
dangereuses (Code international des marchandises dangereuses (The
InternationalThe International Maritime Dangerous Goods)Maritime
Dangerous Goods) Comm.Comm. CommentaireCommentaire CSSCSS Code de
la scurit socialeCode de la scurit sociale D.D. Recueil
DallozRecueil Dalloz D. eur. Transp.D. eur. Transp. Droit europen
des transportsDroit europen des transports DTSDTS Droits de Tirage
SpciauxDroits de Tirage Spciaux FIPOLFIPOL Fonds international
d'indemnisation pour les dommages dus a laFonds international
d'indemnisation pour les dommages dus a la pollution par les
hydrocarburespollution par les hydrocarbures FFSAFFSA Fdration
Franaise des Socits d'AssurancesFdration Franaise des Socits
d'Assurances 8
- 9. Gaz. PalGaz. Pal Gazette du PalaisGazette du Palais HNSHNS
Hazardous ans noxious substancesHazardous ans noxious substances
J.C.P EJ.C.P E Semaine Juridique Entreprises et AffairesSemaine
Juridique Entreprises et Affaires J.C.P GJ.C.P G Semaine Juridique
dition GnraleSemaine Juridique dition Gnrale J-ClJ-Cl Jurisclasseur
EncyclopdieJurisclasseur Encyclopdie JDIJDI Journal du Droit
InternationalJournal du Droit International JPAJPA Jurisprudence du
Port d'AnversJurisprudence du Port d'Anvers InfraInfra
Ci-dessousCi-dessous Lloyd's Rep.Lloyd's Rep. Lloyd's
reportsLloyd's reports LMCLQLMCLQ Lloyd's Maritime and Commercial
LawLloyd's Maritime and Commercial Law NCPCNCPC Nouveau Code de
Procdure CivileNouveau Code de Procdure Civile OACIOACI
Organisation de l'aviation civile internationale (ICAO)Organisation
de l'aviation civile internationale (ICAO) OMIOMI Organisation
maritime internationale (IMO)Organisation maritime internationale
(IMO) OPA 1990OPA 1990 Oil Pollution Act ofOil Pollution Act of
19901990 RCARCA Responsabilit Civile et Assurances
(Revue/Lextenso)Responsabilit Civile et Assurances (Revue/Lextenso)
RD transp.RD transp. Revue de droit des transports terrestre,
maritime, arienRevue de droit des transports terrestre, maritime,
arien Rp.civ. DallozRp.civ. Dalloz Rpertoire civil DallozRpertoire
civil Dalloz Rp.Rp.com Dallozcom Dalloz Rpertoire commercial
DallozRpertoire commercial Dalloz Rev. ScapelRev. Scapel Revue de
droit commercial, maritime, arien et des transportsRevue de droit
commercial, maritime, arien et des transports
Rev.cr.dr.int.priv.Rev.cr.dr.int.priv. Revue critique de droit
international privRevue critique de droit international priv
RFDARFDA Revue Franaise de Droit ArienRevue Franaise de Droit Arien
RGDARGDA Revue gnrale du droit des assurancesRevue gnrale du droit
des assurances RJCRJC Revue de jurisprudence commercialeRevue de
jurisprudence commerciale RJDARJDA Revue de jurisprudence du droit
des affairesRevue de jurisprudence du droit des affaires RTD
Civ.RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civilRevue trimestrielle
de droit civil RTD Com.RTD Com. Revue trimestrielle de droit
commercialRevue trimestrielle de droit commercial RU-CIMRU-CIM
Rgles Uniformes concernant le contrat de transport
internationalRgles Uniformes concernant le contrat de transport
international ferroviaire des marchandisesferroviaire des
marchandises SNPDSNPD Convention internationale sur la
responsabilit et l'indemnisationConvention internationale sur la
responsabilit et l'indemnisation pour les dommages lis au transport
par mer des Substances Nocivespour les dommages lis au transport
par mer des Substances Nocives et Potentiellement Dangereuseset
Potentiellement Dangereuses SupraSupra Ci-dessusCi-dessus Obs.Obs.
ObservationsObservations V.V. VoirVoir 9
- 10. INTRODUCTIONINTRODUCTION Le droit maritime, droit des
contradictions1 , peut tre dfini comme l'ensemble des rgles
juridiques spcifiques directement applicables aux activits que la
mer dtermine2 . Il incarne un systme normatif conu pour rpondre des
questions dont la spcificit provient de lhtrognit du volume sur et
dans lequel il a vocation sappliquer. Cette matire originale et
indpendante est gouverne par un corpus juridique et des
institutions particulires, relevant dun invincible non-conformisme
justifi par les conditions qui prsident sa mise en uvre et tout
particulirement par les risques qui y sont attachs3 . Un
particularisme inluctable4 caractrise donc le droit maritime, un
particularisme qui s'explique incontestablement par la thorie des
risques de la mer5 , quoique que le risque de mer ne simpose plus
aujourdhui avec la mme autorit6 . Certes, ce particularisme ne doit
pas tre pouss l'excs et nous conduire admettre l'autonomie du droit
maritime et le considrer comme un droit auto-institu et qui
sautorgelemente, sautoalimente7 . Au contraire, le droit maritime,
nonobstant l'originalit de ses rgles, reste soumis aux principes
gnraux du droit commun, et en particulier la thorie gnrale des
contrats et des obligations8 . Il doit tre considr comme une
branche de droit simplement spcifique, singulire, qui dpendrait
pour lessentiel dun droit 1 Y. Tassel, Le droit maritime- un
anachronisme ? , ADMO 1997, p. 157 et Y. Tassel, La spcificit du
droit maritime, Neptunus International, vol. 6.2, Nantes 2000,
http://www.droit- univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm, p.1. 2
P. Bonassies et Ch. Scapel, Trait de droit maritime, LGDJ, 2006, p.
1, no 1. V. pour une dfinition identique, Y. Tassel, op. cit., p.
143-144 : il s'agit des rgles relatives notamment aux choses aptes
se trouver en mer, aux activits lies la mer, aux vnements se
produisant en mer, aux hommes qui vont a la mer et enfin aux
espaces marin... Bref, le droit maritime est l'ensemble des rgles
de droit dont l'hypothse contient le mot navire ou le mot mer et
leurs drives . 3 A. Montas, Le rapport du droit maritime au droit
commun, entre simple particularisme et vritable autonomie , DMF
2008, p. 307. 4 M. Rmond Gouilloud, Droit maritime, Pedone, 2me d,
1993, p. 6. 5 Ph. Delebecque, Le droit maritime franais l'aube du
XXIme sicle , in tudes offertes Pierre Catala, Le droit prive
franais la fin du XXme sicle, Litec, 2001, p. 930 : Il est certain
que le particularisme du droit maritime franais, qui fait sa force
et son intrt, ne se justifie plus de nos jours par rfrence lide de
fortune de mer. La raison dtre de son originalit tient dans les
risques de la mer ; A. Montas, op. cit., p. 307-315 : Le droit
maritime est en effet ordonn autour de la notion de risque maritime
. 6 Ph. Delebecque, op. cit., p. 930 : Ce fondement se trouve branl
par les changements rcents qui font que les transports sont plus
surs, que les expertises plus fidles et que les proccupations
premires des chargeurs ne se fixent plus sur les pertes ou les
avaries mais plutt sur les retards ; V. aussi, P. Bonassies et Ch.
Scapel, op. cit., no 7, p. 8. 7 J.-P Chazal, Rflexions
pistmologiques sur le droit commun et les droits spciaux , Liber
amicorum Jean Calais-Auloy - tudes de droit de la consommation,
Dalloz, Paris 2004, p. 289. 8 Ph. Delebecque, Droit maritime et
rgime gnral des obligations , DMF 2005, numro spcial en l'honneur
de Antoine Vialard, no 1 : la dialectique du droit commun- droit
maritime est ternelle et que les apports du droit maritime au droit
prive sont rels et sans cesse renouveles . 10
- 11. commun suprieur, auquel il serait rattach9 , si bien que ce
dernier s'applique subsidiairement, en labsence de disposition
maritimiste drogatoire10 . Spcificit nest donc pas autonomie11 . Il
demeure que certaines institutions du droit maritime (ainsi les
avaries communes, la faute nautique, la rgle no cure no pay, la
canalisation de responsabilit) sont imprgnes d'une originalit en
tant qu'elles ne se retrouvent en principe dans le droit commun,
chose qui constitue la meilleure preuve que le droit maritime ne se
soumet pas au droit civil. De ces institutions particulires au
droit maritime12 , l'exemple le plus considrable, mais parfois
dcri13 , est celui de la limitation de responsabilit dont, de tout
temps, a bnfici et bnficie aujourd'hui encore, l'entrepreneur
maritime, l'armateur. L'institution de la limitation de
responsabilit de l'armateur situe au cur du droit maritime, pice
maitresse du droit maritime, a, tant inconnue au droit romain,
apparu au XIe sicle en Italie dans les tables d' Amalfi. Grce au
contrat de commande chaque participant pouvait limiter sa
responsabilit dans l'expdition maritime l'tendue des fonds qu'il a
engags14 . Inscrit en Espagne dans le Code de Valence et dans le
Consulato del Mare de Barcelone au XIVe sicle, ce principe est
accept du sud au nord de l'Europe15 . Grotius dans son jure belli
ac pacis16 a formul pour la premire fois le principe de la
limitation de responsabilit du propritaire du navire17 . Pilier du
droit de la responsabilit civile de l'armateur, pierre angulaire 18
ou clef de voute 19 du droit maritime, l'institution de la
limitation est l'une des plus fondamentales et de plus originales
du droit maritime. En effet, s'il est un objectif que l'on assigne
tout systme de responsabilit civile quel qu'il soit, c'est celui de
rparation. La fonction de rparation constitue, en 9 P. Bonassies et
Ch. Scapel, op. cit., no 6, p. 8 : Il ne pourrait en tre autrement,
et les rgles du droit commun tre alors cartes, que si ces rgles
heurtaient par trop la logique mme de linstitution maritime en
cause . 10 A. Vialard, Droit maritime, PUF Droit fondamental, 1997,
no 12, p. 24.Y. Tassel, prc., p. 1, http://www.droit-
univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm. 11 Y. Tassel, op.cit., p.
2, http://www.droit-univnantes.fr/labos/cdmo/nept/nep21.htm. 12
R.Rodire et E. Du Pontavice , Droit maritime, Dalloz, 12me d., n0
139, p. 116. 13 En effet, cette institution a fait l'objet d'une
critique fondamentale, dans les annes 1960-1970, critique manant
des pays en voie de dveloppement qui dfendaient les intrts des
chargeurs. Nanmoins, ces mmes pays, aprs s'tre engags dans un
effort considrable de dvelopper leur flotte maritime, se montrent
de non jours moins favorables l'institution de la limitation de
responsabilit. 14 Ce que l'on appelle l'poque associative du droit
maritime situe au Moyen Age, quand plusieurs personnes
participaient l'aventure maritime et en partageaient les risques.
(Massimiliano Rimaboschi, L'unification du droit maritime,
contribution la construction d'un ordre juridique maritime, prf. P.
Bonassies, Thse, Aix en Provence, 2006, p. 163 et s. et p. 267 et
s.). 15 Corbier (I.), La notion juridique darmateur, prc., p. 58.
16 L. Delwaid, Considrations sur le caractre rel de la
responsabilit du propritaire de navire , Liber Amicorum Roger
Roland, p. 157. 17 Grotius tait d'avis que les armateurs, savoir
ceux qui touchent le fret du navire, taient tenus vis--vis des
affrteurs des (quasi-) dlits ou des contrats de prts la grosse ou
d'autres contrats passs dans l'intrt du navire si les
cocontractants avaient agi de bonne foi, mais cela uniquement dans
la mesure de leur apport dans l'armement. Pour ce qui concernait
les actes dlictuels commis par le capitaine en dehors de ses
fonctions les armateurs n'taient pas tenus, sauf s'ils en avaient
bnfici, ou ils avaient donne instruction ou contribu commettre le
(quasi-) dlit. 18 A. Vialard, op. cit., n 148, p. 125. 19 G.
Ripert, Traite de droit maritime, Lib. Rousseau, Paris, 4me d.,
1952, t. II, n0 1228 et s. 11
- 12. effet, l'essence mme de la responsabilit civile20 . En
droit terrestre, tout entrepreneur est responsable, d'une manire
illimite - sauf le cas dun amnagement contractuel de sa
responsabilit - des dommages causs par l'exploitation de son
entreprise, que sa responsabilit soit ne d'un contrat, de sa faute,
de la faute de l'un quelconque de ses prposs, ou de telle ou telle
source extracontractuelle. l'exact oppos, en droit maritime,
l'armateur est, chappant au principe du droit commun de rparation
intgrale des prjudices, autoris de limiter sa responsabilit21 dans
la mesure o certaines conditions sont remplies22 . La limitation,
quoique contraire aux principes gnraux du droit de la
responsabilit, constitue une protection indispensable au maintien
de l'activit des armements23 . Cette limitation s'est d'abord
exprime en droit classique (par l'Ordonnance de la Marine de 186124
et par le Code de commerce25 ) d'une manire brutale, par l'abandon
du navire aux victimes, alors mme que ce navire gisait au fond de
l'ocan. Aujourd'hui, elle subsiste, grce l'volution du droit
anglais qui s'est tourn vers un systme moins lmentaire de
limitation, sous une forme plus nuance, celle de la limitation en
valeur, la quelle se ralise par la constitution d'un fonds
proportionnel au tonnage du navire fonds attribue aux victimes26 .
Ce systme s'est propag du reste l'ensemble des pays maritimes.
L'volution du droit maritime pour ce qui concerne l'institution de
la limitation de responsabilit s'est effectue en deux tapes. La
premire tape s'est concrtise par l'laboration de la Convention de
Bruxelles de 1957 sur la limitation de la responsabilit des
propritaires de navires de mer, signe le 10 octobre 1957 , texte
adoptant le systme britannique de la constitution d'un fonds de
limitation et prenant le relais de la Convention de 1924 qui
laissait le choix de l'armateur entre l'abandon du navire et la
limitation en valeur, consacrant ainsi le systme d'option systme
qui ne pouvait certainement pas aboutir l'harmonisation des droits
nationaux (btard ce 20 K. Le Couviour, La responsabilit civile
l'preuve des pollutions majeures rsultant du transport maritime,
Thse, Aix en Provence, prf. A. Vialard, PUF 2007, n 349, p.149. 21
L'ide de la limitation de rparation, se retrouve dans d'autres
domaines de droit, tel celui du droit des transports. Il reste que
dans cette dernire hypothse la limitation ne concerne que la
responsabilit contractuelle et non pas la responsabilit dlictuelle
l'endroit des tiers trangers aux relations contractuelles. 22 P.
Bonassies, Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilit
de l'armateur. volution ou mutation ? , Annales IMTM, 1985, p. 147
; P. Bonassies, Vingt ans de conventions internationales maritimes
, Annales IMTM, 1996, p. 51 et s. 23 R. Rodire et E. Du Pontavice,
op. cit., n0 140, p. 118 : il reste que la limitation de
responsabilit prsente l'inconvnient que toutes les victimes ne sont
pas des armateurs ou des expditeurs professionnels assurs contre la
perte ; parmi les victimes il peut y avoir des personnes qui ne
sont pas assurs, comme les passagers. 24 Livre II, titre 8, article
2 : les propritaires de navires sont responsables des fais du
maistre, mais ils en demeureront dchargs, en abandonnant leur
btiment et le fret . 25 Article 216 du Code de commerce, modifi en
1841: Tout propritaire de navire est civilement responsable des
faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et
l'expdition. La responsabilit cesse par l'abandon du navire et du
fret . 26 L. Delwaid, op. cit., p. 107 et s. 12
- 13. compromis tait vou l'chec27 ) mais qui a constitu du moins
la premire mise en cause de l'ide de l'abandon en nature. La
deuxime tape a t franchie par le truchement de la mise sur les
rails de la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la
limitation de la responsabilit en matire des crances maritimes
texte adopt sous les auspices de l'OMCI. Ce nouveau texte a amnag
considrablement le rgime de la limitation de responsabilit : il a
augment les plafonds de limitation, il a largi le domaine de la
limitation, celui-ci concernant, comme l'indique l'intitul de la
Convention la responsabilit en matire de crances maritimes et ne
limitant plus au propritaires de navires de mer. En d'autres
termes, la limitation ne s'applique plus l'armateur mais des
crances28 . Cette dernire modification a pour effet que l'on ne
puisse plus rattacher linstitution la thorie du patrimoine de mer,
ou de la fortune de mer29 , thorie qui exprime l'ide que le
propritaire du navire, mettant en jeu le bien qu'il a affect
l'expdition maritime, doit se voir attribuer le bnfice de la
limitation de responsabilit30 . Les fondements de la limitation31
doivent d'ores et dj tre recherchs plutt dans les notions des
risques de la mer32 , du caractre d'intrt gnral des activits
maritimes33 , de l'ide de rciprocit ( savoir la solidarit des gens
de mer)34 , voire dans l'assurabilit des risques (si les plafonds
de limitation s'lvent, les assurances ne pourraient plus les
supporter)35 . 27 M. Rmond Gouilloud, op.cit., n0 308, p. 172. 28
Ce principe de la limitation de responsabilit du propritaire du
navire subsiste avec des amnagements en matire de pollution par les
hydrocarbures dans la mesure ou la prise en charge des dommages non
rpars par le propritaire de navire est le fait d'un fonds
international d'indemnisation aliment par les versements dus par
les importateurs. 29 Caractrise par le professeur Pierre Lureau dj
en 1973 comme un argument faiblard (P. Lureau, Le fondement et
volution historique de la limitation de responsabilit des
propritaires de navires. L'opposition de l'administration , DMF
1973, p. 705). 30 M. Rmond Gouilloud, op. cit., n0 309, p. 172 ; I.
Corbier, La faute inexcusable de larmateur ou du droit de larmateur
limiter sa responsabilit , DMF 2002, p. 403. 31 Y. Tassel,
Responsabilit du propritaire de navire , J-Cl. Transport, Fasc.
1110, 2007, no 3 12. 32 Y. Tassel, Mer, navire, capitaine : une vue
intgre, in tudes offertes Philippe-Jean Hesse, Du droit du travail
aux droits de l'humanit, Presses Universitaires de Rennes, coll.
l'univers des normes , 2003, p. 211 : la mer est par sa nature un
espace dangereux ; elle est absolument contraire la nature physique
de l'tre humain . Il est comprhensible que de nombreuses
institutions juridiques aient pour raison d'tre de prvenir les
dangers de la mer et, si par infortune ils se ralisent, de mitiger
les consquences qui en rsultent . K. Le Couviour, La responsabilit
civile l'preuve des pollutions majeures rsultant du transport
maritime, Thse, Aix en Provence, prf. A. Vialard, PUF, 2007, n 363,
p. 153 : lorsque dans le brouillard le marin risque de se perdre,
le conducteur d'un train n'a qu'a suivre le rail qui le conduira sa
destination ; M. Rmond Gouilloud, op.cit., p. 6. V. aussi, Ph.
Delebecque, op. cit., p. 938 : Mais l'institution de la limitation
doit tre dfendue, car le commerce maritime reste une activit
prilleuse et surtout indispensable l'intrt gnral, ce qui explique
que ceux qui y participent bnficient de compensations ; A. Montas,
op. cit., p. 308. 33 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 5, p.
6. 34 K. Le Couviour, op.cit., n 360, p.152 : la victime d'un
dommage survenu en mer consentirait une rparation ampute avec
l'espoir de bnficier de ce mme privilge . 35 I. Corbier, La notion
juridique darmateur, prc., p. 80 et A. Vialard, op. cit., n 148, p.
126 ; Y. Tassel, Le dommage lment de la faute , DMF 2001, p. 659 :
le texte est issu dune communication faite lors de la 4me confrence
internationale de droit maritime qui, organise par le Barreau du
Pire du 6 au 9 juin 2001, avait pour thme La responsabilit pour
dommage en droit maritime grec et international , p. 355 et s.,
Sakkoulas, 2001 et 13
- 14. Toutefois, la modification la plus importante que
l'application de la Convention de Londres implique est celle de la
substitution de la priphrase de l'article 4 (reprise par l'article
58 de la loi de 1967), en tant que cause de dchance du droit
limitation, la faute simple. Contrairement la Convention de 1957,
la limitation ne sera plus exclue dornavant que lorsqu'il est
dmontr que le candidat la limitation a caus le dommage soit par son
fait ou son omission personnels commis avec l'intention de
provoquer un tel dommage ou commis tmrairement mais avec conscience
qu'un tel dommage en rsulterait probablement . En effet, la facult
de limitation de responsabilit accorde l'armateur n'est pas absolue
et disparat en cas de faute personnelle de celui-ci, la gravit de
la faute occasionnant la dchance du droit limitation ayant varie
avec l'volution des textes. Ainsi dans le droit applicable en
France jusqu'au 30 novembre 1986, l'armateur s'il n'avait pas
commis de faute personnelle pouvait limiter sa responsabilit un
plafond proportionnel au tonnage du navire. Dans le droit
applicable depuis le 1er dcembre 1986 (date d'entre en vigueur de
la Convention de Londres ainsi que de la loi du 21 dcembre 1984
adaptant les dispositions de la loi du 3 janvier 1967 la nouvelle
Convention), l'armateur conserve cette facult mme en cas de faute,
la limitation n'tant exclue qu'en cas de faute trs grave, soit une
faute intentionnelle (bien improbable) soit une faute commise
tmrairement mais avec conscience qu'un tel dommage en rsulterait
probablement, faute que la doctrine unanime et la jurisprudence
traduisent comme faute inexcusable et la situent, ct gravite ,
entre la faute lourde et la faute intentionnelle. Le choix des
rdacteurs ne saurait pas surprendre. La mme formule avait dj t
introduite dans un premier temps dans le Protocole de la Haye du 28
septembre 1955 modifiant la Convention de Varsovie du 12 octobre
1929 pour l'unification de certaines rgles relatives au transport
arien international et dans un deuxime temps dans les textes
rgissant le contrat de transport maritime tant de marchandises
(Protocole du 23 fvrier 1968 modifiant la Convention de Bruxelles
du 25 aout 1924 pour l'unification de certaines rgles en matire de
connaissement, Rgles d'Hambourg de 1978) que de passagers
(Convention d'Athnes). Le concept d'une faute particulirement grave
(correspondant ici la notion franaise de faute inexcusable) en tant
que cause de dchance d'un entrepreneur tait connu mme avant
l'adoption de la Convention de Londres36 . La spcificit du droit
maritime , prc. : lassurance ne peut exister sans limitation de
responsabilit, ne serait- ce que parce que la prime payer par
lassur est dtermine en fonction du risque couru par lassureur ; D.
Christodoulou, L'impact du Code ISM sur le principe de la
limitation de responsabilit et en particulier sur les conditions
pour une indemnisation complte du dommage prouv , Quatrime
confrence du droit maritime, organise par le barreau de Pire, La
responsabilit pour dommage en droit maritime grec et international.
Ce fondement a t quand mme contest par le Professeur Pierre
Bonassies (P. Bonassies Problmes et avenir de la limitation de
responsabilit , DMF 1993, p. 103). 36 En 1985, le concept de la
faute inexcusable a t utilis dans un autre domaine : le lgislateur,
et non plus le lgislateur international a recours cette notion pour
supprimer le droit rparation d'un accident de circulation. 14
- 15. Dans ces conditions, le problme de la mthode dapprciation
de la faute inexcusable devait rapidement se poser. Selon une
premire approche, la faute inexcusable devait tre apprcie
subjectivement, in concreto, en recherchant toujours les donnes
psychologiques concrtes qui animaient le dfendeur particulier. Dans
une seconde conception, elle devait tre apprcie objectivement, in
abstracto, par rfrence aux donnes psychologiques que lon doit
normalement trouver chez un dfendeur quelconque. Pencher pour une
apprciation subjective, ctait admettre une quivalence des notions
de dol et de faute inexcusable et limiter grandement les cas o lon
pourrait considrer que la conduite du dfendeur supprimait
lapplication de la limitation. Accepter une apprciation objective,
ctait rduire lquivalence aux effets de la faute lourde et autoriser
plus largement linapplication de la limitation. Le critre de la
conscience du dommage demeure donc discut et non unifi et rend
difficile tout essai de prvision de la solution du litige. La
formulation prcise des textes internationaux ouvre indubitablement
la porte une interprtation concrte. En effet, les rdacteurs du
texte de 1976, suivis par le lgislateur national, pensaient que,
par la modification de la cause apportant dchance de l'armateur de
la limitation de sa responsabilit, de rende le droit limitation
incontournable (unbreakable, selon l'expression utilise par les
juristes anglais). Leur espoir a t fortement du, en tout cas devant
les juridictions franaises 37 . En effet, aux antipodes de la
volont des rdacteurs de la Convention de Londres on retrouve
linterprtation judiciaire franaise du concept de faute inexcusable
qui constitue un ocan doriginalit dans une jurisprudence
internationale massivement contraire, compte tenu que cette dernire
considre que la phrase tmrairement et avec conscience quun dommage
en rsulterait probablement doit tre envisage comme ayant une
signification subjective38 . La jurisprudence franaise, oprant un
rapprochement avec sa vieille jurisprudence en droit du travail et
refusant de plonger au fond de linconnu pour trouver du nouveau ,
se tourne vers une interprtation large39 de la faute inexcusable,
qui a pour contrecoup que la dchance de la limitation de
responsabilit devienne la rgle et la limitation de responsabilit
devienne l'exception, cartant de ce fait l'adage selon lequel en
droit maritime, le droit commun cest la limitation et non la
responsabilit pleine et entire40 . Cette tendance peut paratre svre
mais elle tait 37 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p.
283. 38 A. Vialard, L'volution de la notion de faute inexcusable et
la limitation , DMF 2002, p. 579. 39 I. Corbier, La notion de faute
inexcusable et le principe de la limitation de responsabilit ,
prc., p. 103 et s. - La faute inexcusable de larmateur ou du droit
de larmateur limiter sa responsabilit , DMF 2002, p. 403 : la faute
inexcusable est devenue une simple varit de faute lourde . 40 G. de
Monteynard, Responsabilit et limitation en droit des transports ,
Rapport, Cour de cassation, Doc.. Franaise, 2002, p. 247. 15
- 16. prvisible. Les tribunaux dans la recherche de la faute
personnelle dans la Convention de 1957 taient aussi rigoureux.
C'est donc autour de cette volution de la notion de faute
inexcusable de larmateur expression qui associe aujourdhui un
concept fondamental du droit maritime et une notion invente par le
lgislateur en matire des accidents du travail pour priver
lemployeur qui a commis une faute dune exceptionnelle gravit de la
possibilit de se prvaloir dattnuations ou dexonrations de
responsabilit41 que notre tude sera axe. Cette jurisprudence
franaise contre-courant international est-elle tenable ? Quels sont
ses retentissements sur l'institution de la limitation, institution
particulire du droit maritime, ainsi que sur le principe de
rparation totale du prjudice subi (restitutio in integrum),
principe cardinal du droit commun42 ? Quelles sont ses incidences
sur les droits des armateurs auteurs de faute inexcusable et en
dfinitive sur les droits des victimes de faute inexcusable ? Est-ce
que cette conception de la faute inexcusable demeurera intangible
ou une nouvelle rorientation dans lapproche du problme amorcera si
bien que la limitation de responsabilit deviendrait vritablement ce
droit incassable, appel de leurs vux par les rdacteurs des
conventions internationales ? L'intrt aussi bien thorique que
pratique de cette problmatique dgage ci-dessus, qui peut se rsumer
dans la phrase suivante la limitation de responsabilit de
l'armateur face la faute inexcusable43 , peut aisment tre confirm,
comme en tmoigne le fait qu'il s'agit d'une question chre certains
des auteurs franais les plus minents. Nous nous bornerons ici citer
le Professeur Pierre Bonassies, le Professeur Antoine Vialard, le
Professeur Philippe Delebecque, le Professeur Yves Tassel ou Mme
Isabelle Corbier qui avec leurs dveloppements ont donn des
claircissements inapprciables sur cette question obscure et
complexe, apportant ainsi leur pierre d'difice l'volution de
l'institution de la limitation de responsabilit armateur dans le
droit maritime aussi bien franais qu'international. La
jurisprudence est par ailleurs particulirement plthorique. Mais ce
qui rend notre sujet captivant est l'histoire mme de l'institution
de la limitation de responsabilit et les rserves qui s'expriment
son endroit, notamment par le biais de l'invocation de la faute
inexcusable. Des voies se sont leves, au sein de la Communaut
Europenne, pour que le dplafonnement de la 41 I. Corbier,
Mtamorphose de la limitation de responsabilit de l'armateur prc. 42
P. Jourdain, Les principes de responsabilit civile, Dalloz, 7me d,
2007, p. 133 : Le principe de la la rparation intgrale se dduit de
l'objet mme de la responsabilit civile qui est de rtablir autant
que possible l'quilibre dtruit par le dommage et de replacer la
victime dans la situation antrieure . 43 Expression dont le pre
spirituel est le Professeur Pierre Bonassies. La premire fois que
cette expression a t utilise, c'tait au fil de la prsentation par
le Professeur minent des exposs ddis au Professeur Antoine Vialard
l'occasion de la journe organise en son honneur (le 8 juin 2005) et
que l'on peut retrouver dans le Droit Maritime Franais 2005, no
663. 16
- 17. limitation de la responsabilit de l'armateur soit envisag
et de ce fait le dbat sur la lgitimit de la limitation a t renforc.
La Commission Europenne en accord avec le Parlement envisagent
d'instaurer au moyen du Troisime paquet de scurit une directive
relative la responsabilit civile et aux garanties financires des
propritaires de navires qui comportera entre autres des
dispositions remarquables en ce qui concerne la notion de la faute
privative de la limitation de la responsabilit . En effet les
institutions europennes prconisent la conception franaise de la
faute inexcusable qui devra, d'aprs elles, s'appliquer uniformment
par les juridictions communautaires. C'est pour a que la Commission
demande en outre un mandat pour lancer un processus de rvision de
cette Convention lOMI, aprs consultations des partenaires concerns
et une analyse conomique du secteur, dans un but de promouvoir les
ides de l'augmentation des plafonds de limitation de la convention
de Londres afin de garantir de meilleures indemnisations et de la
reforme de la notion de l'article 4 de la Convention de Londres.
Paralllement, la mise en uvre du Code ISM dont l'objectif est de
garantir et de promouvoir la scurit en mer est susceptible de
dteindre sur l'institution de la limitation de responsabilit et sur
l'valuation de l'attitude de l'armateur. En effet il concrtise les
obligations dont l'entreprise d'armement est tenu. et il devient la
rfrence et la mesure conforment auxquelles l'attitude de l'armateur
sera apprcie. Et s'il est dmontr que l'armateur a manqu aux
obligations qui dcoulent des dispositions du Code ISM, sa
dfaillance sera dans la plupart des cas qualifie de faute
inexcusable et l'exclusion de la limitation plus frquente. La
preuve du caractre inexcusable de la faute sera facilite.
L'armateur, tant avis de la question scuritaire, aurait d prvoir
lexistence du dommage44 . Les rapports de la limitation de
responsabilit avec la notion de faute privative du bnfice de
limitation et, depuis la mise en uvre de la Convention de Londres,
de la faute inexcusable, se situaient de tout temps au cur du droit
maritime franais. Mais le dbat qui se dveloppe autour de cette
controverse devient de plus en plus intense compte tenu qu'il
manifeste l'antithse entre la ncessit en droit maritime de la
limitation de l'indemnisation et l'hostilit de la jurisprudence
civile l'gard de toute ide portant atteinte au droit rparation
intgrale de la victime45 . Par ailleurs, derrire cette antithse on
retrouve des conflits juridiques traditionnels ; l'interprtation de
la faute inexcusable reflte en effet laffrontement entre deux
conceptions de la rparation. Dun ct le juge civiliste, soucieux
dassurer la victime la rparation intgrale de son prjudice,
quivalent pcuniaire de lidale restitutio in integrum . De lautre ct
les commercialistes, sachant 44 Y. Tassel, La spcificit du droit
maritime , prc. 45 D. Le Prado, quit et effectivit du droit
rparation , intervention la confrence Lquit dans la rparation du
prjudice du 5 dcembre 2006 , publi sur le site de la Cour de
cassation (www.courdecassation.com), colloques passs, 2006, Cycle
Risques, assurances, responsabilits 2006-2007. 17
- 18. quaucun investisseur naccepte de sengager sans limitation
de sa responsabilit, la reconnaissent comme une pice ncessaire de
ce meccano dengagements plafonns que constitue le monde des
affaires. Elle fait galement cho du conflit entre le droit interne
et le droit international46 . Nous allons donc passer au crible ces
antithses qui se relvent chaque fois que le bnfice de la limitation
excip par l'armateur heurte sur l'cueil de la faute inexcusable
invoqu par la victime. cet effet nous allons diviser notre tude en
deux parties : dans la premire partie nous allons scruter le rgime
de la faute inexcusable et nous allons nous pencher sur les
fondements que ce gallicisme juridique47 , bien rpandu dans l'ordre
juridique franais, a connu depuis sa naissance en 1898 propos des
accidents du travail. La deuxime partie de notre tude sera consacre
l'interprtation franco-franaise de la notion de faute inexcusable
par l'intermdiaire de l'examen de ses lments constitutifs. Dans le
cadre de cette deuxime partie nous allons galement nous interroger
sur les incidences de cette interprtation de la faute inexcusable
sur l'institution de la limitation elle-mme, sur ses aspects
procduraux et sur les droits des parties plaidantes. La notion d'
armateur48 Il parat opportun, avant d'aborder la question de la
faute inexcusable face la limitation de responsabilit, question qui
se trouve au cur de notre tude de s'expliquer sur la notion
d'armateur, source des difficults. Aux termes de l'article 1 de la
loi du 3 janvier 1969, l'armateur peut tre dfini comme celui qui
exploite le navire en son nom, qu'il en soit ou non propritaire .
Il rsulte que l'armateur d'un navire n'est ncessairement pas son
propritaire. Mais l'article 2 de la mme loi vient prciser que Le
propritaire ou les copropritaires du navire sont prsums en tre
l'armateur . Cette prsomption tablie par l'article 2 n'est pas
irrfragable et partant les pouvoirs et les responsabilits d'un
armateur peuvent tre transfrs un non propritaire au quel cas c'est
ce dernier qui revtira la qualit de l'armateur du navire. Cette
construction juridique du transfert de la qualit de l'armateur
engendre le schma suivant : armateur non propritaire et propritaire
non 46 A. Vialard, op. cit., n 22, p. 20 : chaque fois que la
notion est d'origine internationale et n'a pas d'quivalent, elle
doit tre considre comme autonome. Il n' y a pas de lecture
franaise, anglaise, japonaise pour une convention internationale
portant loi uniforme, une telle convention devant tre interprte en
elle-mme et par elle-mme . 47 P. Bonassies, La faute inexcusable de
l'armateur en droit franais , Liber Amicorum Roger Roland, Brussel,
2003, p. 75 et s. 48 Fr. Coffano, L'identit de l'armateur, Aix en
Provence, 2003. 18
- 19. armateur d'un navire et peut avoir son origine dans
diverses raisons49 . On en infre que la qualit de l'armateur est au
premier abord confre au propritaire du navire, moins que celui
dcide d'impartir les obligations et les responsabilits que cette
notion implique une autre personne. Dans cette logique, il importe
par la suite de s'interroger s'il n'est pas possible de contempler
qu'une partie seulement des pouvoirs et de responsabilits de
l'armateur soit transfre un non propritaire, situation qui induit
l'clatement de la qualit de l'armateur et qui nous conduit admettre
que deux personnes ont en mme temps la qualit d'armateur. Pareille
question peut surgir d'une part dans le cas d'un contrat
d'affrtement temps (sans transfert de la qualit de l'armateur) et
d'autre part dans l'hypothse o la gestion technique du navire a,
par un contrat, dit contrat de ship managements, t confre une socit
spcialise qui agira pour le compte de l'armateur, en tant que
mandataire et en cas de faute dans l'accomplissement de son mandat,
sa responsabilit sera engage ct de celle de l'armateur du navire.
Or, cette socit ne peut nullement tre qualifie d'armateur. la
rigueur, lorsque elle assume non seulement la gestion technique
d'un navire mais galement sa gestion commerciale ( savoir la
conclusion des contrats -transport, affrtement du voyage-
d'utilisation du navire), sa responsabilit peut tre assimile celle
d'un armateur, sans nanmoins faire disparatre la responsabilit de
ce dernier. En revanche, la situation est plus complique dans le
cas d'un contrat d'affrtement temps o le frteur conserve la gestion
nautique du navire tandis que l'affrteur en exerce la gestion
commerciale. Mme I. Corbier est arrive la conclusion que larmateur
tant celui qui exploite le navire en son nom, quil en soit
propritaire ou non, il ne serait pas incongru d'accepter l'ide
d'une dualit d'armateurs pour considrer que le frteur temps est
l'armateur nautique et l'affrteur temps l'armateur commercial du
navire50 . lappui de cette thse, un arrt de la Chambre commerciale
de la Cour de cassation du 26 octobre 1999, ''navire Fatima51 '' o
a t jug que dans laffrtement temps, la qualit darmateur, qui
appartient celui qui exploite le navire en son nom, quil en soit
propritaire ou non, se trouve partage entre le frteur, qui conserve
la gestion nautique de son navire, et laffrteur, qui en a la
gestion commerciale. Nanmoins cette dcision demeure conteste par la
doctrine. Le Professeur Philippe 49 Contrat de grance, contrat de
location-crdit bail, contrat d'affrtement coque nue, voire contrat
d'affrtement temps avec transfert de la qualit d'armateur
affrtement avec dmise, time charter with demise, affrtement avec
dvolution. 50 I. Corbier, L'evolution de la notion d'armateur ,
prc., et La notion juridique darmateur, prc., p. 105. V. aussi en
mme sens M. Rmond Gouilloud, op. cit., no 231 : Souvent mme le
navire est exploit par deux armateurs dont laction se superpose :
ainsi en cas daffrtement temps, le propritaire du navire, qui tire
profit de son navire en le frtant, en est bien larmateur ; et
laffrteur temps, qui, son tour, exploite le navire en concluant
contrats de transport et affrtements au voyage, lest galement. Pour
dissiper la confusion, ce dernier est souvent, en pratique, qualifi
darmateur-affrteur par opposition larmateur-propritaire . 51 Cass.
Com., 26 oct. 1999 : Juris-Data n 1999-003672 ; DMF 2000, p. 106,
rapp. J.-P. Rmery, obs. I. Corbier ; DMF HS n 5, mai 2001, n 23,
obs. P. Bonassies ; V. dans le mme sens CA Aix-en-Provence, 25 fvr.
1979, ''navire Ann Bewa'' , DMF 1980, p. 181. 19
- 20. Delebecque sest oppos qualifier cette dcision darrt de
principe52 , se prononant pour une dfinition unitaire de la qualit
darmateur. Reconnaissant la qualit darmateur dans laffrtement temps
au seul frteur, le Professeur Philippe Delebecque a prcis que le
terme armateur ntait pas un terme gnrique. Paralllement, le
Professeur Pierre Bonassies critiquant la solution retenue par la
Cour suprme, met en vidence que cet arrt confond le rgime
contractuel et rgime lgal. La notion darmateur, avec toutes les
consquences de droit qui lui sont attaches, notamment aujourdhui en
matire de scurit de la navigation, est une notion lgale pendant que
la notion daffrtement temps est une notion contractuelle, notion
dont ce sont d'abord les dispositions du contrat daffrtement qui
dfinissent le contenu. Et le professeur minent ajoute que lanalyse
de la Cour de cassation est sans doute contraire aux intentions du
lgislateur. Car on peut penser que le Doyen Rodire, sil avait voulu
que la distinction entre gestion nautique et gestion commerciale
informt la notion darmateur, naurait pas manqu de le dire dans la
loi du 3 janvier 1969, ou dans le dcret du 19 juin 1969 53 . En fin
cette conception clate de l'armateur est critiquable pour une
raison primordiale : elle se concilie difficilement avec l'objectif
majeur du droit maritime contemporain qui est la scurit maritime.
Les exigences de la scurit de la navigation maritime dictent que,
l'instar du capitaine qui demeure toujours responsable de la scurit
du navire, la concentration des responsabilits doit pareillement
exister quant l'entreprise responsable l'gard des tiers des faits
du capitaine en tant que capitaine54 . Par ailleurs, le Code ISM
dfinissant la compagnie, savoir l'armateur, comme le propritaire,
ou autre personne ou organisme auquel le propritaire a confi la
responsabilit de l'exploitation du navire parat bien exclure la
possibilits qu'un navire ait plusieurs armateurs. Ce dernier
argument apportant la pleine conviction, le terme armateur chaque
fois qu'il est employ tout au fil de cette tude, il renvoie la
personne qui dtient la gestion nautique du navire, la gestion
commerciale ne jouant aucun rle dcisif l'attribution de la qualit
de l'armateur55 . 52 Cet arrt se portait sur le problme de savoir
ce qu'il fallait entendre par le terme anglais owner . 53 V. Hors
srie, Le droit maritime franais en l'an 2000, n 23, obs. P.
Bonassies. 54 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., no 429, p. 185.
55 Cette distinction n'a tout de mme d'intrt pratique pour ce qui
du bnfice de la limitation de responsabilit entendu qu'il est confr
tant au frteur temps qu' laffrteur temps, ce dernier ne pouvant
nanmoins l'invoquer l'gard du frteur temps pour des dommages causs
au navire, le bnfice tant reconnu seulement pour les dommages
survenus bord du navire ou en relation directe avec l'exploitation
de celui-ci et non pas pour les dommages provoqus au navire.
20
- 21. 21
- 22. PREMIERE PARTIE : LEPREMIERE PARTIE : LE REGIME DE LA
FAUTEREGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLEINEXCUSABLE La faute inexcusable
a pntr dans le rgime de responsabilit civile de l'armateur dans les
annes 70 et depuis lors est devenue le point de rfrence de
l'institution de la limitation de responsabilit des acteurs
maritimes. Cependant, quand la faute inexcusable a t adopte par les
conventions internationales rgissant la responsabilit civile du
propritaire de navire, elle n'tait pas une notion inconnue dans
l'ordre juridique et dans la jurisprudence franais. Tout au
contraire, la faute inexcusable avait dj marqu par ses applications
et ses interprtations nombreuses, bien que divergentes, diffrents
domaines du droit. D'ailleurs l'ide d'une faute exceptionnellement
grave, privative pour son auteur, de la possibilit de se prvaloir
des attnuations ou exonrations de responsabilit n'tait pas
nouvelle. Aussi avant de nous attacher au rle et aux fondements de
la faute inexcusable au sujet de la limitation de responsabilit de
l'armateur (Chapitre 2), il convient de s'interroger sur ses
applications, sa place et en dfinitive sur sa valeur normative en
droit franais (Chapitre 1)1 . 1 I. Corbier, Mtamorphose de la
limitation de responsabilit de l'armateur , prc., p. 52-69. 22
- 23. CHAPITRE 1 : L'APPARITION DE LA FAUTE INEXCUSABLE ET SES
APLLICATIONS2 La qualification de faute inexcusable n'a pas d'intrt
particulier en droit commun o les situations qu'elle peut recouvrir
relvent de la notion de faute lourde. C'est une qualification
propre certains rgimes spciaux de responsabilit. La faute
inexcusable est donc prise en considration par le droit franais
dans trois domaines : dans les accidents du travail, dans les
accidents de la circulation automobile et dans le droit de
transports3 (et par extension dans le rgime de responsabilit civile
de l'armateur). Ce premier chapitre de notre tude fera ds lors
l'objet d'un examen des applications de la faute inexcusable en
droit franais. Aussi, allons-nous dans un premier temps examiner
comment la faute inexcusable a pntr dans l'ordre juridique franais
par l'entremise du droit des accidents du travail ainsi que sa
nouvelle application en matire d'accidents de la circulation
(Section 1). Ensuite, nous allons scruter la question de
l'introduction de celle-ci dans le droit de transports, en tant que
cause de dchance du transporteur de son droit de limiter sa
responsabilit, qui s'est concrtise par son tablissement dans les
textes internationaux et nationaux rgissant le contrat de transport
(Section 2). 2 J. Gestin et Y-M. Serinet Erreur , Rep. civ. Dalloz,
2006, n0 292 et s. ; Ph. Conte, Responsabilit civile, Responsabilit
du fait personnel , Rep. civ. Dalloz, 2000. 3 C. Larroumet, Les
Obligations : Le Contrat, conomica, 6e d, 2006, p. 675, no 624 ; G.
Viney et P.Jourdain, Trait de droit civil. Les conditions de
responsabilit : LGDJ, 3e d., 2006, p. 644, no 613 ; Ph. Malaurie,
L. Ayns, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Dfrenois, 3e d., 2003,
no 58, p. 35. 23
- 24. Section 1 : La naissance de la faute inexcusable en droit
des accidents du travail (loi du 9 avril 1898) et son application
aux accidents de circulation (loi du 5 juillet 1985) La notion de
faute inexcusable n'est donc pas nouvelle en droit franais. Elle
apparat en effet pour la premire fois en droit franais avec la loi
de 1898 sur la rparation des accidents du travail ( 1). Par
ailleurs, le droit des transports ne revendique pas l'exclusivit de
l'application de la notion de faute inexcusable. En sus du domaine
des transports, la faute inexcusable a empreint non seulement le
droit des accidents du travail mais galement le droit des accidents
de circulation par l'intermdiaire de la loi du 5 juillet 1985 ( 2).
On notera donc que le champ d'application de la notion de faute
inexcusable s'amplifie progressivement ; elle est de nos jours une
notion profondment inscrite dans l'ordre juridique franais. 1)
Faute inexcusable et droit des accidents du travail La premire
application de la notion de faute inexcusable a concern le droit
des accidents du travail o la loi du 8 avril 1898 (dont les
dispositions ont t insres dans le Code de Scurit Sociale - art. L.
452-1 et s.-) nonait que la faute inexcusable de l'employeur ou de
ceux qu'ils se sont substitus ce dernier dans la direction de
l'entreprise, donne la victime de l'accident du travail ou d'une
maladie professionnelle le droit de recevoir des prestations plus
leves que celles auxquelles peuvent prtendre ordinairement les
assurs sociaux4 . Paralllement la faute inexcusable de la victime
peut, selon l'article L. 453-1, alin. 2 du CSS, motiver une
rduction de la rente d'accident du travail. Au demeurant, dans le
domaine des accidents de travail et des maladies professionnelles
ni 4 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 634, no 608-1 ; P.
Bonassies et Ch. Scapel, Trait de droit maritime : LGDJ, 2006, p.
430, no 430 : Les avantages sont de deux ordres : d' abord, elle
reoit une rente majore qui est paye la caisse, laquelle rcupre le
montant de la majoration par l'imposition d'une cotisation
supplmentaire l'employeur. Ensuite, la victime peut obtenir, en
agissant devant la juridiction de la Scurit sociale, la rparation
intgrale des dommages subis du fait de l'accident ainsi que la
perte des possibilits de promotion professionnelle et en cas
d'incapacit permanente de 100 %, de la perte de gains dans la
limite du salaire minimum lgal au jour de la consolidation ; par
ailleurs, en cas de mort de la victime ses proches peuvent obtenir
rparation de leur prjudice d'affection, et c'est ici encore, la
caisse qui verse l'indemnisation et en rcupr le montant sur
l'employeur . 24
- 25. la loi du 9 avril 1898, ni les textes postrieurs n'ont pris
soin de dfinir les lments et le critre de la faute inexcusable. Il
est donc revenu aux tribunaux de dfinir cette nouvelle notion. Deux
orientations taient ds le dbut concevables : soit la dfinir, en
mettant l'accent sur l'aspect subjectif et partant la rapprochant
de la faute intentionnelle, soit mettre l'accent sur l'lment de
gravit objective, ce qui devait conduire mordre davantage sur le
domaine de la faute lourde. Entre ces deux tendances, les tribunaux
ont tent de trouver une solution modre. C'est ainsi que les
chambres runies de la Cour de cassation se sont amenes se prononcer
le 15 juillet 19415 en adoptant une dfinition la fois complexe et
nuance6 . La dfinition compose de cinq lments rend compte de
lquilibre trouv par les magistrats de la Cour suprme entre les
composantes objectives et subjectives de lanalyse : le caractre
volontaire de lacte ou de lomission dommageable, la conscience du
danger que devait en avoir son auteur illustrent les lments
subjectifs ; laspect objectif rsulte de lexigence de la gravit
exceptionnelle ainsi que de labsence de causes justificatives 7 .
Et cette formule a remport un succs remarquable puisqu'elle a t
ensuite rpte dans d'innombrables arrts et que, quarante ans plus
tard, en 19808 , l'Assemble plnire l'a reprise presque
intgralement. Cette longvit est videment le fruit du soin avec
lequel les magistrats de la Cour de cassation ont essay d'quilibrer
les lments subjectifs ( caractre volontaire de l'acte ou de
l'omission , la conscience du danger que devait en avoir le son
auteur et objectifs ( gravite exceptionnelle et absence de causes
justificatives ) afin de situer la faute inexcusable entre la faute
intentionnelle et la faute lourde9 . Cette dfinition sappliquait
indiffremment la faute inexcusable de lemployeur ou celle du
salari10 . Nanmoins, la Chambre sociale de la Cour de cassation a
progressivement mais constamment attnu l'aspect subjectif de la
faute inexcusable, qu'elle a, de fait, sensiblement rapproch de la
faute lourde. La faute inexcusable est devenue dans le domaine des
accidents du travail et des maladies professionnelles une simple
variante de la faute lourde. Et cette tendance de la Cour de
cassation a t raffirme par sa jurisprudence contemporaine dans
l'affaire de l'amiante11 . 5 Ch. Runies, 15 juillet 1941, D. 1941,
p. 117 ; Gaz. Pal., 1941, p. 254. 6 La faute inexcusable sentend de
la faute dune gravit exceptionnelle drivant dun acte ou dune
omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir
son auteur, de labsence de toute cause justificatrice et se
distinguant par le dfaut dun lment intentionnel de la faute vise au
paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 . 7 I. Corbier, Mtamorphose
de la limitation de responsabilit de l'armateur prc. ; J-M
Hostache, La faute inexcusable, Aix en Provence, 2001. 8 Ass. Pln.,
18 juillet 1980, Bull. Pln., n5 : la faute inexcusable prvue par
larticle L 468 du Code de la scurit sociale est une faute dune
exceptionnelle gravit, drivant dun acte ou dune omission
volontaire, de la conscience que devait avoir son auteur du danger
qui pouvait en rsulter et de labsence de toute cause
justificatrice. 9 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 645, no
615. 10 I. Corbier , La notion de faute inexcusable et le principe
de la limitation de responsabilit, prc., p. 103 et s. 11 Arrts
rendus dans des affaires relatives des demandes dindemnisation
conscutives des maladies 25
- 26. Dsormais, lemployeur commet une faute inexcusable en cas de
manquement son obligation de scurit de rsultat12 lgard du salari
lorsque lemployeur avait ou aurait d avoir conscience du danger
auquel tait expos le salari et quil na pas pris les mesures
ncessaires pour len prserver. Dsormais, toute violation consciente
par lemployeur de lobligation de scurit de rsultat pesant sur lui,
en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies
professionnelles, constitue une faute inexcusable13 . La Cour de
cassation a donc considrablement attnu ses exigences par rapport la
dmonstration de la faute inexcusable de l'employeur, en vue de
favoriser la rparation intgrale des dommages subis par les
victimes. Il suffit dornavant que la faute de l'employeur ait t une
cause ncessaire de l'accident. Il en rsulte que la Cour de
cassation instaure une sorte de prsomption de faute inexcusable en
cas d'accident de travail ou de maladie professionnelle qui dbouche
sur une rparation qui se rapproche en pratique d'une rparation de
droit commun14 . On en infre l'absence de la condition de gravit
exceptionnelle de la faute de mme que l'apprciation in abstracto
seulement de l'lment de la conscience du danger. Par voie de
consquence, la Chambre sociale de la Cour de cassation exprime sa
volont pour un largissement sensible de la notion de faute
inexcusable en matire d' accidents du travail15 . La nouvelle
dfinition de la faute inexcusable de lemployeur ne peut pas tre
transpose la faute inexcusable du salari puisquelle tendrait priver
dindemnisation tout salari victime dun accident du travail ou dune
maladie professionnelle16 . Aussi la Cour de cassation s'est
attache restreindre les possibilits de rduction ou d'exclusion de
l'indemnisation complmentaire du salari victime d'une faute
inexcusable de l'employeur. D'aprs cette jurisprudence seule la la
faute volontaire du salari, dune exceptionnelle gravit, exposant
sans raison valable son auteur un danger dont il aurait d avoir
conscience 17 peut revtir le caractre de la faut inexcusable18 .
professionnelles dues la contamination de salaris par lamiante :
Cass. Soc. 28 fv. 2002, Bull. V, n 81 (7 arrts). 12 C'est nous qui
soulignons. 13 En vertu du contrat de travail le liant son salari,
l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de scurit
rsultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles
contractes par ce salari du fait des produits fabriqus ou utiliss
par l'entreprise ; que le manquement cette obligation a le caractre
d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du CSS,
lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger
auquel tait expos le salari, et qu'il n'a pas pris les mesures
ncessaires pour l'en prserver . I. Corbier, Mtamorphose de la
limitation de responsabilit de l'armateur prc. ; P. Jourdain, RTD
Civ. 2004, p. 297. 14 D. Le Prado, quit et effectivit du droit
rparation , intervention la confrence Lquit dans la rparation du
prjudice du 5 dcembre 2006 , publi sur le site de la Cour de
cassation (www.courdecassation.com), colloques passs, 2006, Cycle
Risques, assurances, responsabilits 2006-2007. 15 G. Viney et P.
Jourdain, op. cit., p. 648, no 616-1. 16 C. Larroumet, op. cit., p.
675, no 624. 17 Cass. Civ. 2e, 27 janvier 2004, Bull. II, n25. 18
G. Viney et P. Jourdain estiment quand mme illogique l'attitude de
la Cour de cassation qui donne une faute identiquement qualifie par
les textes un contenu si diffrent selon qu'elle se rapporte au
comportement de la victime ou de l'auteur de dommage et ils
proposent que le lgislateur arrte de persister recourir un mme
26
- 27. Ainsi s'agissant de la faute du salari, la Cour de
cassation ne se rfre plus au manquement une obligation de scurit,
obligation qui importe pourtant au salari. Elle rintroduit
lexigence dune faute dune exceptionnelle gravit et reprend la
rfrence au caractre volontaire de la faute. Cette dfinition troite
donne une autre place la faute inexcusable du salari dans la
hirarchie des fautes : au dessous de la faute intentionnelle, mais
au dessus de la faute lourde, de gravit infrieure19 et elle a pour
effet que la jurisprudence la retienne exceptionnellement20 . Elle
reprend en effet lidentique la dfinition de la faute inexcusable
dune autre victime, la victime non conductrice dun accident de la
circulation21 . 2) Faute inexcusable et accidents de circulation22
En cette matire, la loi n 85-677 du 5 juillet 1985 ne donne pas non
plus de dfinition de la faute inexcusable de la victime vise
l'article 3 alin.1er et dont l'effet consiste dans la suppression
du droit de rparation de la victime pour vu que la faute
inexcusable de celle-ci soit la cause exclusive de l'accident23 .
De mme qu'en matire des accidents du travail, sur le plan des
accidents de circulation, c'est la Cour de cassation qui est
intervenue afin de combler cette lacune lgislative. Aussi, la
Deuxime chambre civile, par une srie de onze arrts du 20 juillet
198724 , a dfini la faute inexcusable comme la faute volontaire
d'une exceptionnelle gravit exposant sans raison valable son auteur
un danger dont il aurait d avoir conscience25 . Cette dernire
expression dmontre que la Cour suprme s'attache une apprciation in
abstracto de la conscience du danger d'o la qualification objective
de la faute inexcusable en droit des accidents de circulation,
analogue de celle qui a t adopte en droit des accidents de travail
pour ce qui concerne la faute de concept quand les exigences de
gravite sont pour le moins diffrente et de se contenter d'une faute
lourde (ou simple) de l'employeur quand il s'agit de faire bnficier
la victime d'un complment d'indemnisation, tout en maintenant la
notion de faute inexcusable quant la pnalisation de la victime (G.
Viney et P.Jourdain, op. cit., p. 652, no 616-2). 19 I. Corbier,
Mtamorphose de la limitation de responsabilit de l'armateur prc. ;
P. Jourdain, RTD Civ. 2004, p. 297. 20 G. Viney et P. Jourdain, op.
cit., p. 650, no 616-2. 21 G. Viney et P. Jourdain, ibid. 22 S.
Abravanel - Jolly, J-Cl Responsabilit civile et Assurances, RGIMES
DIVERS. - Circulation routire . - Indemnisation, des victimes
d'accidents de la circulation . - Droit indemnisation, Fasc. 280-10
2004, no 69 et s. 23 Cette exception ne concerne pas les victimes
qui ont moins de seize ans et plus de soixante dix ans ou celles
qui sont titulaires, au moment de l'accident, d'un titre leur
reconnaissant un taux d'invalidit au moins gal 80 %. 24 Cass. Civ
2me , 20 juill. 1987, Bull. Civ. II; nos 160 et 161. 25 C'est nous
qui soulignons. 27
- 28. l'employeur26 . Or, la Cour de cassation a montr par les
solution qu'elle a retenues postrieurement l'arrt de 1987 sa
dtermination de s'en tenir une conception plus restrictive de la
notion de faute inexcusable. C'est ainsi que l'Assemble plnire,
lorsqu'elle a t appele s'y prononcer, en raison de la rsistance
oppose cette rigueur par certaines cours d'appel, affirme, dans un
arrt du 10 novembre 199527 , la position de ne pas affaiblir le
caractre de gravit exceptionnelle de la faute inexcusable et de ne
laisser aux juges du fond qu'une marge d'apprciation trs troite. En
conclusion, nonobstant une dfinition trs semblable celle qui a t
adopte en matire d'accidents du travail, c'est plutt une conception
restrictive de la faute inexcusable que la jurisprudence ultrieure
et rcente a retenue dans le domaine des accidents de circulation.
L'analyse de cette jurisprudence pousse admettre que seule une
faute d'une tmrit active et d'une imprudence manifeste et
exceptionnelle peut justifier sa qualification d'inexcusable. Et la
chose s'explique par le fait qu'il s'agit ici de la faute de la
victime et non de la faute de l'auteur. D'ailleurs elle a pour
corollaire non simplement la rduction de l'indemnisation de la
victime mais la suppression totale de son droit rparation,
consquence ostensiblement plus grave que celle du droit des
accidents de travail28 . Une interprtation plus stricte doit ds
lors tre mise en place29 . Une pluralit de conceptions et de
qualifications caractrise la jurisprudence contemporaine franaise.
La notion de faute inexcusable recouvre des actes dont le
comportement dommageable constitue le mobile lorsquelle se rapporte
au comportement de la victime ; elle vise paralllement des actes
dont le dommage nest quune consquence accidentelle lorsquelle se
rapporte au comportement de lauteur du dommage. Nanmoins, le fait
que cette faute, identiquement qualifie, ait un contenu diffrent
selon la personne en cause illustre les difficults auxquelles se
trouve confronte la jurisprudence sociale pour accorder une
meilleure indemnisation du salari30 . La faute inexcusable telle
qu'elle a t prsente jusqu' ce point de notre tude est une notion
nonce par les textes mais sans dfinition par ces derniers. Ce
manque de prcisions sur les lments de la faute inexcusable de la
part du lgislateur est en outre dans l'origine du dfaut d' homognit
qui rgne dans la jurisprudence. Aussi bien, la faute inexcusable du
droit des accidents du travail et de la circulation est-elle une
notion propre au droit franais, inspire par le lgislateur 26 Lamy
Assurances 2008, PARTIE 2 - Assurances de dommages, no 2611, Faute
inexcusable, cause exclusive de l'accident. 27 Ass. Pln., 10 nov.
1995, Bull. Civ., ass. Pln. no 6. 28 I. Corbier, Mtamorphose de la
limitation de responsabilit de l'armateur prc. : la jurisprudence
prserve ainsi lefficacit du systme dindemnisation automatique des
victimes daccidents de la circulation, mis en place par la loi n
85-677 du 5 juillet 1985 tendant lamlioration de la situation des
victimes daccidents de la circulation et lacclration des procdures
dindemnisation en dcourageant les dfendeurs en pratique, les
assureurs de plaider systmatiquement lexistence dune telle faute .
29 G. Viney et P. Jourdain, op. cit., p. 659, no 617. 30 I.
Corbier, ibid. 28
- 29. franais. La faute exclusive du bnfice de limitation que
connaissent le droit arien et le droit maritime, envisage sous
l'angle commercial, et non social, vient d'une autre filire , que
l'on peut appeler la filire internationale, tant donn qu'elle mane
de conventions internationales auxquelles la France a adhr, et qui
ont entran, par contrecoup, une modification du droit interne31 .
La doctrine a propos et elle a adopt le concept de faute
inexcusable pour traduire la priphrase complexe des conventions
internationales et la tentation a t grande de transposer cette
jurisprudence multidcennale du droit social, sans prter grande
attention la formulation prcise des textes internationaux qui
ouvraient indubitablement la porte une interprtation concrte . Il
importe donc d'tudier si cette tentation a t vrifie dans la
pratique. Section 2 : La faute inexcusable en matire des
transports, condamnation d'un comportement jug fautif Le
transporteur, quel que soit le mode de transport, qu'il s'agisse de
transport de marchandises ou de passagers est, en principe, tenu
d'une obligation de rsultat. La loi franaise, comme les conventions
internationales que la France a ratifies, consacrent une
responsabilit "de plein droit", "objective", du transporteur, ce
dernier voyant, ds lors sa responsabilit engage par le simple fait
de la survenance du dommage subi par les voyageurs ou par les
marchandises32 . Dans un souci d'attnuer la rigueur de la
responsabilit du transporteur, le lgislateur a mis en place des
mcanismes sophistiqus de cas excepts, l'exonrant de sa
responsabilit. Il en est de mme de la force majeure, l'instar du
droit commun contractuel mais galement de catgories spcifiques au
droit des transports et particulirement au droit des transports
maritimes33 . Dans la mme logique d'quilibre du compromis ncessaire
entre les intrts du transporteur et ceux de son cocontractant34 les
textes accordent traditionnellement, au transporteur le droit d'une
limitation de responsabilit. La responsabilit du transporteur est
donc une responsabilit plafonne, permettant ce dernier de ne pas
rparer l'intgralit du dommage dont il est reconnu responsable. 31
D. Veaux et P. Veaux-Fournerie , La pntration en droit franais de
la thorie de la faute inexcusable en matire arienne et maritime
sous l'influence des conventions internationales ,
Internationalisation du droit, Mlanges en l'honneur de Yvon
Loussouarn, Dalloz, 1994, p. 394 et s. 32 C. Paulin , Droit des
transports, Litec, 2005, p. 250 no 493 et s. 33 G. de Monteynard,
op. cit., p. 247. 34 P. Bonassies et Ch. Scapel, Trait de droit
maritime, LGDJ, 2006, p. 679, no 1067. 29
- 30. Le droit des transports dans son intgralit est
particulirement empreint des rparations limites35 . Ces limitations
de responsabilit du transporteur sont au centre de nombreuses
affaires relatives au transport terrestre, maritime36 ou arien. Le
dbat est classique. La responsabilit du transporteur est souvent
limite par des dispositions d'origine lgale ou conventionnelle37 .
La victime d'une inexcution de ses obligations par le transporteur
va tenter d'carter ces limitations en recourant, en fonction des
cas, la faute lourde, faute inexcusable, ou au manquement du
transporteur une obligation essentielle38 . Il lui faudra en
pratique apporter une preuve trs difficile. Faisant application des
principes qui gouvernent la responsabilit contractuelle tire des
articles 1147, 1148 et 1150 du Code civil, la jurisprudence a admis
que, ft-ce en prsence de Convention internationale ou de texte
lgislatif, certaines fautes qualifies permettaient la victime
d'chapper la limitation de responsabilit dont bnficie le
transporteur. Elle consacre prcisment l'existence d'une faute
lourde39 en matire de transport routier de marchandises. En
revanche, en 35 Ch. Coutant Lapalus, Le principe de la rparation
intgrale en droit priv, prf. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, p. 256, n0
271. 36 Voir C. Scapel, Le domaine des limitations lgales de
responsabilit dans le transport de marchandises par mer, Thse, Aix
en Provence, 1973. 37 Inscrits dans la loi ou dans un contrat, les
plafonds font chec la rparation intgrale du prjudice. Il en est de
deux sortes : tantt la limitation est attache a un contrat, tantt
elle est prvue globalement, pour un ensemble des dettes. Dans le
premier cas, elle vise rationaliser une dette ; dans le second a
apurer la situation d'un dbiteur (M. Rmond Gouilloud, Le contrat de
transport, Dalloz, 1993, p. 55). 38 Cependant, il va de soi que
cette limitation est exclue si les dommages subis, par le voyageur
ou par la marchandise, proviennent d'une faute intentionnelle du
transporteur. Mais comme la faute intentionnelle est rare et
difficile prouver, les conventions internationales, conclues en la
matire, assimilent certaines fautes non intentionnelles, mais trs
graves, la faute intentionnelle, pour allouer la victime une
rparation intgrale de son prjudice, sans tenir compte des
limitations habituelles de responsabilit. V. A. Sriaux, La faute du
transporteur, prf. P. Bonassies: conomica, 2e d., 1998, n 402, p.
293 : seule la faute dolosive parce qu'elle chappe toutes les rgles
et, surtout, parce qu'elle manifeste la volont non quivoque,
positive, de sortir du contrat, est susceptible d'carter la
limitation; Ph. Delebecque, Les clauses allgeant les obligations
dans les contrats , LGDJ, 1981. 39 Ch. Coutant Lapalus, Le principe
de la rparation intgrale en droit priv, prf. Pollaud-Dulian, PUAM,
2002, p. 289, n0 333. 30
- 31. droits maritime et arien40 41 , c'est la faute inexcusable
qui devra tre prise en considration42 . Or, les deux concepts ont
la mme fonction : exclure la limitation de responsabilit lorsque le
transporteur n'a pas correctement excut la mission qui lui a t
confie43 . Une des tentatives pour faire sauter le verrou de ces
limitations44 , lorsqu'elles sont prvues par les contrats-types
applicables en droit des transports routiers45 ou par la CMR46 est
la faute lourde du transporteur terrestre dont la dfinition est
aujourd'hui arrte ( l'occasion de l'affaire Chronopost) par la
Chambre mixte de la Cour de cassation: il s'agit d'une faute
caractrise par une ngligence d'une extrme gravit confinant au dol
et dnotant l'inaptitude du dbiteur de l'obligation
l'accomplissement de sa mission contractuelle 47 40 Et depuis peu
ferroviaire : sur le plan international, la Convention relative aux
transports internationaux ferroviaires portant Rgles uniformes
concernant le contrat international ferroviaire des marchandises,
signe Berne le 9 mai 1980 a t modifi par le Protocole de 1990 entr
en vigueur le 1er novembre 1996. Modernisant certaines dispositions
institutionnelles, ce protocole dit Protocole 1990 a procd,
surtout, l'adaptation du droit international des transports
ferroviaires et ce, en harmonisant certaines dispositions sur la
responsabilit civile des RU-CIM avec d'autres Conventions
internationales: il abandonne ds lors les notions de dol et de
faute lourde au profit de celle de faute inexcusable. Ainsi,
l'article 44 des RU-CIM 1980 dispose, en effet, que les limitations
d'indemnit ne s'appliquent pas s'il est prouv que le dommage rsulte
d'un acte ou d'une omission que le chemin de fer a commis soit avec
l'intention de provoquer un tel dommage, soit tmrairement et avec
conscience qu'un tel dommage en rsulterait .Les Rgles uniformes
version 1999, portant modification de la Convention relative aux
transports ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980, adoptes Vilnius le 3
juin 1999, se prsentant sous la forme d'un Protocole et dsormais
applicables, comportent une disposition semblable (RU-CIM 1999,
art.36). 41 Plus rcemment, le 3octobre 2000 a t adopte Budapest,
puis signe dans cette mme capitale le 22 juin 2001, par onze tats
europens, la Convention relative au contrat de transport de
marchandises en navigation intrieure (CMNI) La CMNI s'applique
depuis le 1eravril 2005 aprs avoir obtenu cinq ratifications
(celles de la Hongrie, du Luxembourg, de la Roumanie, de la Suisse
et de la Croatie) ncessaires son entre en vigueur Une faute
inexcusable ou dolosive commise par le transporteur ou le
transporteur substitu, voire par leurs prposs et mandataires,
entrane la perte des limitations d'indemnit (CMNI, art.21.1). Lors
du congrs de l'IVR (Registre fluvial rhnan), les 12 et 13 mai 2005,
le secrtaire d'tat aux Transports et la Mer a annonc la volont du
gouvernement franais de ratifier la Convention de Budapest. Un
projet de loi autorisant la ratification de la Convention de
Budapest a t dpos au Snat le 5 juillet 2006. Et un dcret no
2008-192 portant publication de la CMNI a t publi le 29 fvrier 2008
et prcise que ce texte est entr en vigueur pour France le 1er
septembre 2007. 42 G. de Monteynard, op. cit., p. 247. 43 I.
Corbier, La notion de faute inexcusable et le principe de la
limitation de responsabilit , prc., p. 103 et s. 44 H. Kenfack,
Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 , D. 2007, p. 111.
45 De mme qu'en matire de transport interne, ferroviaire ou
fluvial, de marchandises. C'est dire les transports rglements par
les articles 94 102 du Code de commerce ancien, devenus L. 132-3 L.
132-9, l'article L 133-1 du Code de commerce n'interdisant pas les
clauses ayant seulement pour objet de limiter le montant de
l'indemnit, qui demeurent valables la double condition d'avoir t
connues et acceptes par l'expditeur lors de la conclusion du
contrat de transport et de ne pas aboutir une indemnit drisoire par
rapport au montant du dommage. ds lors, est licite la clause par
laquelle un transporteur cantonne sa responsabilit la rparation du
seul dommage matriel justifi . Il s'agit, en effet, d'une clause
limitative de l'indemnit, et non d'une clause exonration de
garantie Au demeurant, le droit de transport routier des
marchandises prsente la particularit des contrats types,
applicables de plein droit, lorsque les parties n'ont pas pris la
peine de dfinir leurs rapports dans une convention crite (article 8
II de la loi n 82-1153 du 30 dcembre 1982 d'orientation des
transports intrieurs). Ces textes, consacrs par dcrets, ne
constituant pas des rglements, mais des textes de droit priv,
prvoient des clauses de limitation de responsabilit applicable
automatiquement, dans la mesure o les parties n'ont rien prvu. 46
Convention relative au contrat de transport international de
marchandises par routes (en abrg : CMR), signe le 19 mai 1956 Genve
et entre en vigueur le 2 juillet 1961. L'article 29 de la CMR
prvoit que le transporteur ne peut se prvaloir des dispositions de
la CMR qui excluent ou limitent sa responsabilit lorsque le dommage
est imputable son dol ou une faute qui, d'aprs la loi de la
juridiction saisie, est considre comme quivalant au dol. Tel est le
cas, en France, de la faute lourde, traditionnellement assimile au
dol quant ses effets. 47 Cass. ch. mixte, 22 avr. 2005, n 02-18.326
et 03-14.112, JCP G 2005, II, 10066, obs. G. Loiseau ; RDC 2005, p.
681, obs. D. Mazeaud et p. 753, obs. P. Delebecque ; Dr. &
patr. 2005, no 141, p. 36, obs. G. Viney ; JCP E 2005, no 31
- 32. Longtemps, deux manires de caractriser la faute lourde ont
en effet coexist. La premire, objective, la dduisait du caractre
essentiel de lobligation inexcute ou de lampleur du dommage ; la
seconde, subjective, la dduisait dun jugement de valeur sur la
qualit du comportement du dbiteur. Lenjeu tait le mme : carter les
limitations de responsabilit rsultant de la convention des parties
ou de la loi. La Chambre mixte en 2005, en dcidant que la faute
lourde de nature mettre en chec la limitation d'indemnisation prvue
par le contrat-type ne saurait rsulter du seul manquement une
obligation contractuelle, ft-elle essentielle, mais doit se dduire
de la gravit du comportement du dbiteur , adopte une conception
subjective de la faute lourde48 , et elle vient inflchir sa
jurisprudence relative en renonant toute rfrence au caractre
fondamental de l'obligation transgresse et en recentrant la notion
autour de ses critres subjectifs : gravit du comportement,
conscience des risques49 . La faute lourde fait, quand mme, encore
l'objet de deux arrts du 13 juin 200650 et du 21 fvrier 200651 .Ces
deux arrts, portant toujours sur l'affaire Chronopost, compltent et
apportent des prcisions ceux de la Chambre mixte du 22 avril 2005
et tous les deux confirment, sans ambigut, le ralliement de la
Chambre commerciale la conception subjective de la faute lourde.
Par consquent, il rsulte des arrts prsents, comme dj de ceux de la
Chambre mixte du 22 avril 2005, que la faute lourde du transporteur
ne peut pas s'apprcier objectivement en fonction de l'importance de
l'obligation non remplie, mais plutt subjectivement en fonction des
circonstances spcifiques chaque espce, dont la preuve incombe la
victime du dommage52 . Et la jurisprudence des Chambres de la Cour
de cassation semble sur ce point unifie53 . La solution est-elle de
porte gnrale ou concerne-t-elle seulement lhypothse du contrat type
de messagerie? Peut-tre averti de cette interrogation, larrt du 13
juin 2006 prend soin de ne pas seulement fonder sa solution sur les
textes propres la messagerie mais dy ajouter le visa de larticle
1150 du Code civil, ce que le prcdent de fvrier de la mme anne
navait pas fait54 . La 40, p. 1446, obs. Paulin Ch.; H. Kenfack,
Droit des transports, juillet 2005 - juin 2006 , D. 2007, p. 111.
48 P. Stoffel-Munck, Novembre 2005 juin 2006 : la jurisprudence au
service dune dfense raisonne des prvisions des partie Droit &
Patrimoine 2006, p. 99 et s. 49 C. Legros, Transports rapides :
Cour de cassation et Conseil dEtat se liguent pour assurer le
sauvetage des plafonds rglementaires de rparation , tude publie sur
le site de l'Institut International Des Transports,
www.idit.asso.fr. 50 Cass. com., 13 juin 2006, n 05-12.619, Bull.
civ. IV, n 43 ; JCP G 2006, II, n 10123, obs. G. Loiseau. 51 Cass.
com., 21 fvr. 2006, n 04-20.139, Bull. civ. IV., n 48 ; RTD civ.
2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC 2006, p. 694, obs. D. Mazeaud.
52 H. Kenfack, op. cit., p. 111 et s. 53 V. cependant Cass. 1re
civ., 4 avr. 2006, n 04-11.848, indit, et non destin la
publication, qui adopte une caractrisation objective (en jugeant
quelle peut tre dduite du simple constat de linexcution dune
obligation essentielle) mais qui ne concerne pas le droit du
transport. Divergence qui, comme P. Stoffel-Munck l'observe, serait
regrettable car la position de la chambre commerciale parat logique
et raisonnable (P. Stoffel-Munck, op. cit., p. 99 et s.). Quoi
qu'il en soit cet arrt en opposition avec la jurisprudence la
chambre mixte et de la chambre commerciale de la Cour de cassation,
semble indiquer que la solution est effectivement limite au contrat
de transport. 54 V. RTD civ. 2006, p. 322, obs. P. Jourdain ; RDC
2006, p. 694, obs. D. Mazeau. 32
- 33. solution semble donc gnrale du point de vue de la Chambre
commerciale55 , et valoir aussi bien pour les limitations
conventionnelles que lgales de responsabilit56 . On peut dautant
mieux le penser que cette chambre semble bien poursuivre en cette
matire, une vritable politique en faveur d'une application moins
svre de l'attitude tu transporteur57 . Une deuxime tentative pour
faire crever les plafonds de responsabilit et d'obtenir une
rparation intgrale est, ainsi qu'il a t dj not, l'application de la
faute inexcusable, a priori au moins un degr de gravit au dessus de
la faute lourde mais qui est en principe apprcie objectivement58 .
Nous allons donc examiner l'instauration de cette notion en droit
des transports ainsi que son interprtation par la jurisprudence.
Nous allons ds lors s'interroger si la solution d'une interprtation
subjective de la faute faisant chec la limitation de responsabilit
du transporteur routier est transposable en droit des transports
ariens59 ( 1) et ensuite en droit des transports maritimes 60 ( 2)
et si elle est susceptible d' attnuer la rigueur dont la
jurisprudence de la Cour de cassation fait preuve l'encontre du
transporteur en ce qui concerne l'interprtation de la faute
inexcusable. 55 Par ailleurs, la chambre commerciale de la Cour de
cassation retient, par un arrt du 27 fv. 2007, rendu,cette fois-ci,
dans un cas d'application de l'article 29 de la Convention de Genve
du 19 mai 1956 relative au contrat international de marchandises
par route (CMR), la mme approche subjective de la faute qu'en droit
interne, fonde sur une analyse concrte du comportement du
transporteur (Cass. Com. 27 fvr. 2007, n 05-17.265 ; RTD com. 2007,
p. 592, obs. B. Bouloc ; JCP E 2007, p. 1705, obs. A. Cathiard ;
BTL 2007, p. 183 ; H Kenfack, Droit des transports, juillet 2006 -
juin 2007 , D. 2008, p. 1240). Cette uniformit de la dfinition de
la faute lourde en transport interne et international a t
favorablement salue par la totalit de la doctrine. 56 Cette
affirmation d'une conception subjective de la faute lourde ne doit
pas conduire penser que le recours la notion d'obligation
essentielle est devenu sans intrt. Ces deux concepts ont des
domaines d'application distincts. En effet, lorsqu'elle est de
nature contractuelle, la clause limitant la rparation est rpute non
crite si elle contredit la porte de l'engagement et porte ainsi
atteinte l'essence du contrat, ce qui n'exclu