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Agustín Colombo
Foucault et le christianisme. À propos de la réception de Foucault
en Amérique Latine
Compterendu de Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo,
Autêntica Editora, Belo Horizonte 2012 (160 p.)
Sous le même titre que l’excellent travail pionnier de Philippe Chevalier[1], mais en
langue portugaise, ce livre publié au Brésil dans le cadre de la collection « Estudos
Foucaultianos » [« Études foucaldiennes »] est issu du I Fórum Internacional de
Estudos Foucaultianos : O cristianismo em Michel Foucault [Ier Forum international
d’études foucaldiennes : le christianisme chez Michel Foucault], qui a eu lieu à
l’Université Fédérale de Santa Catarina (UFSC) les 25 et 26 novembre 2010. Dans
son introduction[2], Pedro de Souza – qui est avec Cesar Candiotto l’un des deux
éditeursde ce volume – explique que le but de ce Ier Forum était de croiser les
perspectives autour des recherches sur les différentes manières dont Foucault
problématise la question du christianisme dans ses travaux. De surcroît, ce livre
visait à rassembler certains des travaux présentés à l’occasion de ce forum avec les
contributions de Michel Senellart et de José Luís Câmara Leme. Le résultat est un
ouvrage à la fois très hétérogène et très riche qui se compose de dix chapitres
portant sur le traitement du christianisme dans les travaux de Foucault ainsi que sur
la possibilité d’utiliser les concepts et les analyses foucaldiennes pour situer le
christianisme dans un cadre théorique et historique plus large que celui des
recherches de Foucault luimême.
Dans le premier chapitre intitulé As religiões e o cristianismo na investigação de
Foucault : elementos de contexto [Les religions et le christianisme dans la recherche de
Foucault : éléments de contexte], Cesar Candiotto souligne l’intérêt que, durant la
décennie 19701980, Foucault a significativement porté aux religions, et plus
particulièrement à l’importance des pratiques religieuses orientales et occidentales.
Évoquant la préface de la première édition d’Histoire de la folie à l’âge classique[3],
Candiotto remarque que les pratiques orientales considérées par Foucault
pourraient mieux être interprétées à travers sa fascination pour l’Orient, qui se
serait par ailleurs accentuée suite à ses voyages et ses expériences personnelles.
L’Orient, comme objet de fascination, serait alors un Autre situé à la limite de la
culture et de la rationalité occidentale et qui en permettrait la critique. Quoi qu’il en
soit, ce qui est au cœur de le contribution de Candiotto est davantage le rapport
plus général de Foucault à la religion, ou comme il l’affirme :
le principal foyer de ses intérêts est les processus d’individualisation, de
subjectivation et de désubjectivation. C’est à partir de ce foyer que le
christianisme peut être compris de façon adéquate dans le cadre de ses
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recherches en tant que pratique de soi et comme dispositif de savoirpouvoir
[4].
Ainsi, même si Foucault n’a jamais publié de livre dédié exclusivement au
christianisme, ce sont les pratiques religieuses chrétiennes occidentales qui
constituent le foyer principal des intérêts qui sont au cœur des recherches
généalogiques foucaldiennes. Sous cet angle, c’est dès Surveiller et punir que les
pratiques chrétiennes de normalisation et de « docilisation » se révèlent imbriquées
aux pratiques institutionnelles séculaires, composant ainsi « le cadre historique
moderne de la société disciplinaire »[5], ce qui amène Candiotto à conclure que
Foucault n’a jamais opéré une rupture totale entre religion et culture moderne, entre
christianisme et sécularisation. Enfin, cette contribution se focalise sur la réception
critique du christianisme chez Foucault par le biais des études développées en
France par Michel Senellart et Philippe Chevalier et dans le monde anglophone par
James Bernauer et Jeremy Carrette. Face à ces recherches, Candiotto ne manque pas
de signaler une « lacune » au sujet de la question des rapports entre Foucault et le
christianisme qui, dans le contexte brésilien, n’a jusqu’à présent presque jamais été
explorée, d’où l’importance qu’il assigne à cette entreprise éditoriale en langue
portugaise autour de ces questions.
Dans A desração, a confissao e a profundidade do homen europeu [La déraison, l’aveu et le
profondeur de l’homme européen], José Luís Câmara Leme part lui aussi de la préface à
la première édition de l’Histoire de la folie à l’âge classique, en remarquant que dans le
programme de travail énoncé par Foucault au tout début de ce livre apparaît
l’hypothèse selon laquelle il faudrait comprendre la déraison comme une expérience
chrétienne[6]. Dans cette perspective, l’histoire du concept de déraison autoriserait
selon Câmara Leme deux versions : une version « triste » et une version
« mystérieuse ». La version triste suggère que, parmi tous les concepts que Foucault
a inventés, celui de « déraison » est celui qui a eu la vie la plus courte, alors que la
version mystérieuse avancer l’idée que, même si la référence explicite à la déraison
disparaît rapidement des travaux de Foucault, sa problématisation continue de
traverser la dernière partie de ses recherches, en en constituant un enjeu capital et
incontournable. En prenant nettement parti pour cette deuxième version,
l’hypothèse de Camara Leme est que « l’expérience de la déraison est une
expérience chrétienne. C’est dans le cadre de la culture chrétienne que la déraison
s’est constituée comme une modalité de l’expérience que l’homme européen a avec
soimême »[7].
Il s’agit d’une hypothèse qui essaie de poser à nouveaux frais l’importance de la
préface originale de l’Histoire de la folie ; suite à la suppression de cette préface, on
n’arrive plus selon Camara Leme à saisir pleinement le moment historique à partir
duquel l’homme européen a pu se constituer à travers la relation avec la déraison –
ce qui pour l’auteur reste un point saillant et de rupture dès lors que ce rapport à la
déraison est absent dans l’Antiquité classique. Cette hypothèse ne peut pas pourtant
ne pas apparaitre risquée, et cela pour deux raisons. D’une part parce que chez
Foucault la « déraison » en tant qu’événement[8] se réfère à un moment historique
précis (ce qui, de fait, est négligé dans l’idée d’un rapport continu et silencieux à la
déraison de l’âge classique à nos jours) ; ce que l’on risque de manquer c’est le fait
que l’émergence du concept de déraison chez Foucault est aussi bien lié à un
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moment historique particulier (l’âge classique[9]) qu’à une phase très déterminée de
l’itinéraire de recherche foucaldien. D’autre part, le deuxième risque de cette
hypothèse est peutêtre de lier trop étroitement le christianisme au phénomène de la
déraison. Dans la tentative de vouloir restituer une cohérence et une continuité au
programme de recherche qui s’annoncerait depuis le premier livre de Foucault,
Camara Leme semble manquer l’importance d’autres questions que Foucault
soulève de manière bien plus explicite par rapport au christianisme.
Quoi qu’il en soit, c’est selon Camare Leme dans les années 1970 que Foucault
s’interroge sur la spécificité du christianisme par rapport à l’homme européen. En
considérant les trois axes du savoir, du pouvoir et de l’êthos ainsi que leur
corrélation, laquelle constituerait pour Foucault l’expérience[10], il serait possible de
parler de la déraison comme d’une expérience spécifiquement liée au christianisme
« dans la mesure où ces trois axes concordent pour qu’un sujet se reconnaisse en
tant que sujet de déraison »[11]. C’est afin de comprendre cette configuration que
les cours de Foucault au Collège de France font l’objet d’une analyse qui met
ensemble le pouvoir pastoral, le savoir en tant qu’exégèse de soi et l’éthique comme
mortification de soi. Cela amène Camara Leme a conclure que la déraison n’était
qu’apparemment absente des analyses développées par Foucault dans les années
1970 et 1980, puisque « la déraison est à la fois une expérience induite par le pouvoir
pastoral, à commencer par la figure du Démon que l’exégèse de soi affronte, et un
effet de la résistance à cette même mécanique du pouvoir »[12]. Ce que nous
retrouvons au cœur de la déraison est donc la voix du Démon et la brebis égarée. À
partir de là, Camara Leme arrive à affirmer que s’il est vrai que la déraison est une
expérience corrélative du christianisme, alors l’homme de la déraison a un autre
maitre, à savoir une voix intérieure qui l’inquiète, un autre êthos, c’estàdire celui de
la désobéissance, et enfin un autre savoir, celui d’être trompé.
Dans le chapitre 3 O Cristianismo como confissão em Michel Foucault [Le christianisme
comme aveu chez Michel Foucault], Philippe Chevallier, reprenant un des points les
plus importants de son travail[13], s’interroge sur la manière dont chez Foucault le
christianisme se constitue en tant qu’objet historique de réflexion. Bien qu’avant les
années 1980 Foucault se réfère à maintes reprises au christianisme, Chevallier
observe qu’il ne constitue pas un objet historique comme le système pénal ou la
psychiatrie ; s’inspirant des réflexions de Max Weber sur ce sujet, Chevallier en
arriver à conclure que « le christianisme, comme concept historique, n’existe pas
dans l’œuvre de Michel Foucault avant 1980 »[14]. Ce n’est qu’à partir de son cours
au Collège de France de 1980,Du gouvernement des vivants, puis de celui de 1982
L’herméneutique du sujet, que Foucault pose à nouveaux frais la grande question
inaugurale que l’on trouve dans la préface de Folie et déraison : quelle distance
séparer l’Orient de l’Occident ? N’yatil pas eu un déplacement profond dans
notre histoire à l’époque de l’Antiquité tardive ? Afin de préciser en quoi consiste la
différence chrétienne, Philippe Chevallier considère deux hypothèses. La première
conçoit la rupture produite par le christianisme à partir de l’aveu en tant que
rupture dans la manière de dire la vérité sur soimême : l’aveu aurait ainsi introduit
un changement fondamental dans les relations entre subjectivité et vérité dans
l’Antiquité tardive, changement qui devient clairement perceptible à partir de
l’opposition entre le stoïcisme et le christianisme. La deuxième hypothèse met
l’accent sur le rapport toujours provisoire du sujet avec la vérité. De cette manière,
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la nouveauté chrétienne serait d’avoir introduit dans un monde de l’Antiquité où
l’illumination était atteinte une fois pour toute, une manière nondéfinitive d’avoir
accès à la vérité :
Voilà la coupure chrétienne par rapport à la philosophie antique : la vérité
n’est jamais ce que j’incorpore chaque jour un peu plus par l’usage de ma
raison, toujours plus éclairée et toujours mieux équipée contre l’adversité –
c’était le schéma stoïcien – en revanche, elle est ce que je ne cesse de perdre
en dépit du fait qu’elle m’est donnée à nouveau sans cesse – c’est le schéma
de la pastorale chrétienne[15].
Il s’agit d’un « salut dans l’imperfection » et c’est pour cela que Foucault peut
affirmer que le christianisme a apporté un élément nouveau dans le monde romain
et hellénistique, à savoir la possibilité de la rechute, une idée qui était étrangère à la
culture grecque, hellénistique et romaine ainsi qu’à la religion hébraïque[16].
Dans le chapitre 4 intitulé Técnicas de si e subjectivação no cristianismo primitivo :
umaleitura do curso Do governo dos vivos [Techniques de soi et subjectivation dans le
Christianisme primitif : une lecture du cours Du gouvernement des vivants ], Antony
Manicki se propose d’analyser les opérations intellectuelles qui permettent à
Foucault d’isoler certaines pratiques sociales qui ne le sont pourtant pas dans le
contexte où elles émergent. Afin de remplir cet objectif, Manicki se focalise sur un
axe expressément mis de côté par Foucault dans son analyse du rapport entre le
sujet chrétien et la vérité : l’axe sujet/dogmes[17]. À cet égard, l’auteur vise un
objectif très précis : « envisager les raisons pour lesquelles Foucault a choisi de ne
pas travailler à partir de l’axe qu’il laisse de côté et des présupposés
méthodologiques sousjacents à la méthode généalogique »[18]. Dans un passage
très intéressant qui lui permet de critiquer la compréhension foucaldienne de
l’obéissance chrétienne et de s’adresser par le même geste à l’un des diagnostics
plus importants de la généalogie du christianisme, Manicki soutient que c’est
justement l’axe exclu par Foucault qui constitue l’élément à partir duquel on peut
concevoir un côté positif propre à l’acte chrétien d’obéissance. En s’appuyant sur
certaines sources comme Le Pédagogue de Clément d’Alexandrie, La catéchèse des
débutants d’Augustin et les Conférences de Cassien, Manicki trouve plusieurs
techniques productrices d’effets de subjectivation sur l’axe sujet/dogmes, comme
l’enseignement, la lecture des Écritures et la prière. En reconnaissant les vertus et les
dangers de la méthode foucaldienne qui procède par l’isolement sélectif de certaines
pratiques, Manicki conclut :
Foucault exclut explicitement des pratiques qui étaient historiquement liées
d’une manière essentielle aux pratiques qu’il étudie avec précision dans le
cours. Ainsi, malgré cette exclusion arbitraire, les conclusions proposées par
Foucault sont parfaitement recevables, puisqu’il n’a pas l’objectif de
construire une synthèse exhaustive du christianisme antique, mais des
éléments de généalogie. Les opérations intellectuelles rendent ces
conclusions oscillantes, dans un jeu difficile à jouer, entre réductions
formelles d’un côté et discontinuités qui respectent les singularités
historiques de l’autre[19].
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Ce jeu dont, selon Manicki, Foucault n’explicite jamais les règles, exige beaucoup du
lecteur. C’est pourquoi il faut partir du travail de reconstruction des opérations
intellectuelles de Foucault pour nous mieux placer par rapport à ses réflexions.
Michel Senellart, dans le chapitre 5 Verdade e subjetividade : umaoutra história do
cristianismo? [Vérité et subjectivité : une autre histoire du christianisme ?], insiste sur
l’accent qu’il faudrait mettre sur le christianisme en tant qu’objet particulier des
réflexions de Foucault, même si on devrait considérer l’intérêt de Foucault pour le
christianisme à partir de la perspective du sujet. En faisant écho à un article qu’il a
récemment publié[20], Senellart explique que l’importance du sujet dans le
christianisme comme axe central des travaux de Foucault doit être nuancée, sinon
remise en cause, cela pour deux raisons :
d’une part, parce que Foucault, tout au long de ces années, approfondit sa
recherche selon une stratégie régressive qui le fait remonter par étapes des
XVIeXVIIe siècles (Contreréforme tridentine) aux IVeVIIe siècles
(organisation du pastorat et monachisme) ; puis aux premier et troisième
siècles (pratiques de véridiction) et, dans le dernier cours, au tout début du
Ier siècle (parrêsia) ; d’autre part, parce que ce parcours le conduit à poser
avec insistance la question du « propre du christianisme » par rapport aux
autres formes de civilisation[21].
En se demandant quelle histoire du christianisme résulte des six dernières années
d’enseignement de Foucault, Senellart considère que cette histoire se caractérise par
la mise à l’écart de trois problèmes majeurs de l’historiographie du christianisme,
sur lesquels Senellart se focalise à travers une grande maîtrise de sources diverses.
Ces problèmes sont ceux de la fondation, de l’eschatologie et du rapport entre les
pouvoirs spirituel et temporel[22]. Or, le but de Senellart n’est pas de corriger les
analyses foucaldiennes du christianisme, mais de faire apparaître la tension entre
certaines prémisses des analyses de Foucault et le développement concret de celles
ci, afin de montrer – parmi d’autres lectures possibles – comment on peut explorer
les espaces ouverts par les recherches de Foucault, sans risquer de se trouver piégé,
comme on l’a longtemps été, par les « mots clés » par lesquelles ces recherches sont
normalement résumées.
À cet égard, Senellart considère qu’il faudrait mettre entre parenthèses la question
du rapport entre les pouvoirs spirituel et temporel en raison d’une option
méthodologique. Pour Foucault celleci excède les bornes de son analyse, même si à
partir d’elle on pourrait développer une archéologie de l’idée même de théologie
politique plutôt qu’une généalogie de la gouvernementalité moderne. L’auteur de
l’article s’arrête ainsi sur l’analyse de l’eschatologie et sur la question de la
fondation en tant qu’origine qui, d’après Senellart, devient une question de apousia
Christou, d’absence du Christ. Par ce biais, on arrive aux deux raisons qui expliquent
pourquoi, dans les recherches de Foucault, l’importance du sujet dans le
christianisme devrait être nuancée. Premièrement, c’est à partir de certains éléments
que Foucault tire de Nietzsche que nous devrions chercher le « propre du
christianisme », en essayant de le comprendre en tant qu’événement– ce qui nous
permettra enfin d’envisager à la fois sa particularité par rapport aux autres cultures,
ainsi que les ruptures que le christianisme a produit par rapport à la civilisation
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grécoromaine. Deuxièmement, audelà des limites des analyses foucaldiennes
soulignées par Senellart qui résulte du fait d’avoir négligé de développer le thème
de l’eschatologie ou la question de la figure scripturaire de Jésus, on peut également
chercher à suivre Foucault d’un point de vue critique dans son étude de l’histoire
du christianisme à partir de l’interrogation sur la formation du sujet occidental, ce
qui ouvre à son tour une nouvelle perspective sur les techniques de gouvernement
des hommes. Mais là aussi il faudrait encore poser la question « christique » en
confrontant la généalogie foucaldienne du sujet moderne à une ligne
historiographique traversée par la question eschatologique, qui va de Nietzsche
jusqu’à William Werde et au courant historicocritique qui est postérieur à ce
dernier. Cette perspective, d’après Senellart pourrait contribuer de manière
novatrice à une autre histoire du christianisme.
Dans A prática da direção de consciência em Foucault : da vida filosófica à vida monástica
cristã [La pratique de la direction de conscience chez Foucault : de la vie philosophique à la
vie monastique chrétienne ], le chapitre 6 du livre, Cesar Candiotto se focalise sur une
comparaison entre la direction de conscience dans le stoïcisme et la direction de
conscience chrétienne. Comme il le dit au tout début de son article[23], il s’agit de
montrer comment Foucault situe au IVe siècle la direction de conscience chrétienne
en soulignant des discontinuités par rapport au stoïcisme impérial des premiers
siècles de notre ère. Par ce biais, il s’arrête sur les traits principaux de la direction de
conscience stoïcienne, comme la finalité d’obéissance (l’obéissance comme une étape
toujours nécessaire mais jamais définitive), l’examen de conscience (dont l’objet sont
les actes et la finalité envisagée par celui qui réalise l’examen) et la vérité sur soi
même (le dirigé doit être lié aux discours qui opèrent comme armure pour la vie :
paraskeué). En revanche, dans la direction de conscience chrétienne, il est question
d’une obéissance intégrale ; d’une verbalisation de soimême et d’un examen de
conscience ;mais à la différence de l’examen de conscience stoïcien, dans le
christianisme, l’objet de l’examen est la pensée. Comme le remarque Foucault en
citant Cassien : nullas cogitationes celare[24] non analysée. Ceci amène l’auteur à
conclure qu’ « on est devant deux dispositifs différents lorsqu’on analyse la
problématique de l’assimilation des techniques fondamentales de la vie
philosophique dans le cadre des institutions monastiques »[25]. Enfin, Candiotto
met en relief comment de là découlent trois discontinuités par rapport à l’analyse de
ces deux formes de direction : maitrise de soiobéissance, verbalisationsilence,
examen accusatifexamen administratif.
Dans A política das identidades como pastorado contemporâneo [La politique des identités
comme pastorat contemporain], Kleber Prado Filho se concentre moins sur l’axe
subjectivité/vérité que sur la question du pouvoir pastoral, en analysant sous cette
perspective certaines pratiques contemporaines de gouvernement. Il aborde ainsi
l’étude des relations de pouvoir à partir d’une dimension moléculaire ou micro
politique – qu’il met en relation avec le pouvoir pastoral – d’où il devient possible
d’examiner la critique ainsi que l’instrumentalisation des pratiques de résistance par
rapport aux pouvoirs quotidiens. Il s’agit alors de considérer les aspects centraux du
pastorat à la lumière d’autres concepts foucaldiens comme ceux de discipline et de
biopolitique afin de comprendre ce qu’il appelle « la politique des identités »
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Le chapitre 8 Parresia, prática de si e moral de código : mais umelo do problema do sentido
histórico em Foucault [Parrêsia, pratique de soi et morale de code : un autre chainon du
problème du sens historique chez Foucault], signé Hélio Rebello Cardoso Jr. et Alfredo
dos Santos Oliva, porte sur la multiplicité du « sens historique » à partir de quelques
considérations sur la parrêsia dans le christianisme primitif. En circonscrivant leur
analyse aux Actes des apôtres, les auteurs remarquent que, bien que chez Foucault le
diagnostic de l’axe éthique vise à considérer le christianisme en termes généraux,
c’estàdire à partir d’une morale du code, on peut pourtant trouver dans le
christianisme primitif un autre type de rapport à soimême :
S’il est vrai, d’une part, que le christianisme est déterminé par une morale
prescriptive du code qui ne laisse pas beaucoup de place à l’élaboration d’un
autogouvernement, il est vrai aussi, d’autre part, que les pratiques
chrétiennes, normalement relatives au christianisme primitif ou aux sectes
minoritaires, suivent une morale d’expérimentation appuyée sur
l’autogouvernement[26].
Durval Muniz de Albuerque Júnior, dans le chapitre 9 intitulé A pastoral do silêncio :
Michel Foucault e a dialética entre revelar et silenciar no discurso cristão [La pastorale du
silence : Michel Foucault et la dialectique entre révéler et taire dans le discours chrétien],
considère l’actualité du pastorat dans l’Église à partir d’un commentaire de la Lettre
aux évêques de l’Église catholique sur le traitement pastoral des personnes homosexuelles. À
partir de là, il examine la distinction, opérée par l’Église catholique ellemême, entre
la condition d’homosexuel et les pratiques homosexuelles. À travers cette analyse, il
parvient à montrer de quelle manière l’Église catholique refuse d’admettre que les
homosexuels puissent être conçus en tant que sujets de droits, comme de vrais
sujets publics et politiques[27].
Dans le dernier chapitre, Entre o assujeitamento e a constitução de si : pastoral cristã à luz
de Michel Foucault [Entre l’assujettissement et la construction de soi : la pastorale
chrétienne à la lumière de Michel Foucault], Edelcio Ottaviani, André Luiz Fabra et
Jerry Adriano Chacon s’arrêtent sur quelques traits des travaux de Foucault sur le
pouvoir pastoral en essayant de les mettre en rapport avec la Théologie de la
libération. Il s’agit de prendre Foucault au sérieux comme un critique rigoureux de la
pratique pastorale en tant qu’incitation à l’action qui résiste aux pratiques de
domination, en considérant la responsabilité de soi comme un gouvernement de soi
même au sein des institutions qui visent le gouvernement des autres[28]. À cet
égard, les auteurs observent que lire Foucault à la lumière de la pratique de la
Théologie de la libération implique une manière de concevoir la pastorale qui est
opposée à la façon dont elle est conçue par l’Opus Dei. Sous une perspective
foucaldienne, cette considération est développée à travers l’analyse des pratiques de
direction de conscience opérées par l’Opus Dei ainsi que des pratiques de
constitution de soi auprès des Communautés ecclésiastiques de bases (CEBs) au
Brésil dans les années 1970 et 1980. Par ce biais, les auteurs en viennent à affirmer
que « l’exercice négatif de la pratique pastorale, ne contribue pas à la constitution
du sujet libre et du règne de Dieu, dont déjà la tradition prophétique montrait
l’absence de domination »[29]. Cette conclusion montre comment, du côté de l’Opus
Dei, la perspective de Foucault serait, davantage qu’un défi, quelque chose à
combattre.
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Ce qu’il faut souligner en termes généraux et en guise de conclusion à propos de cet
ouvrage va assurément audelà de l’intérêt que chaque contribution dont se
compose ce volume peut receler pour les études sur Foucault. Comme le dit
Candiotto luimême, ce livre représente une entreprise remarquable si l’on se
focalise sur l’enjeu fondamental de la réception de Foucault en Amérique Latine et,
par le même geste, permet aux lecteurs latinoaméricains de se familiariser avec le
traitement que Foucault fait du christianisme dans Du gouvernement des vivants bien
avant sa traduction et publication en Amérique Latine. Cette publication ne
manquera du reste de produire d’autres discussions et avancements dans les études
foucaldiennes qui sont d’ailleurs déjà le lieu de nombre de débats en Amérique
Latine, laquelle constitue un véritable laboratoire où Foucault commence à être
utilisé pour interroger notre actualité à partir d’une perspective assez décalée par
rapport à celle de l’Europe et du Nord global[30].
[1] Philippe Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, Lyon, ENS Éditions, 2011.
[2] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo [Foucault et le
christianisme], Belo Horizonte, Autêntica Editora, coll. « Estudos Foucaultianos »,
2012, p. 11 (« Apresentaçao »).
[3] Michel Foucault, Folie et Déraison. Histoire de la folie à l’âge classique. Préface, dans
Dits et écrits, Paris, Gallimard (Quarto), 2001, vol. I, p. 186195.
[4] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 17.
La traduction du portugais au français est la mienne, sauf indication contraire.
[5] Ibid.
[6] Ibid., p. 23.
[7] Ibid., p. 29.
[8] Sur le concept d’événement chez Foucault et en particulier sur son rapport avec
la notion d’émergence voir Nietzsche, la généalogie, l’histoire, dans Dits et écrits, op. cit.,
vol. I, p. 1004.
[9] À cet égard voir par exemple les analyses de Foucault dans le chapitre II de la
Deuxième partie de Histoire de la folie à l’âge classique, « La transcendance du
délire » : Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, coll.
« Tel », [1972] 2012, p. 268318.
[10] Michel Foucault, L’usage des plaisirs. Histoire de la sexualité II, Paris, Gallimard,
1984, p. 10.
[11] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 30.
[12] Ibid., p. 42.
[13] Philippe Chevallier, Michel Foucault et le christianisme, op. cit. Sur la question de
la construction de l’objet historique « christianisme » chez Foucault, voir en
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particulier la première partie de ce travail, « Le christianisme comme objet
historique, une question de méthode », p. 17126.
[14] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 46.
[15] Ibid., p. 53.
[16] Sur la question de la rechute dans le christianisme, voir Michel Foucault, Du
gouvernement des vivants. Cours au Collège de France. 19791980, Paris,
Seuil/Gallimard, coll. « Hautes études », 2012, p. 183.
[17] Sur le « choix méthodologique» de Foucault concernant les actes d’aveu et non
les actes de foi, voir ibid., p. 82 et 91.
[18] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 58.
[19] Ibid., p. 71.
[20] Michel Senellart, « Michel Foucault : une autre histoire du christianisme ? »,
Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, horssérie n° 7, 2013, mis en ligne le 29
mars 2013, consulté le 23 avril 2013 : <http://cem.revues.org/12872>.
[21] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p. 73.
[22] Ibid., p. 74.
[23] Ibid., p. 93.
[24] Michel Foucault, Du gouvernement des vivants, op.cit., p. 292.
[25] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p.
107.
[26] Ibid., p. 126. Il serait intéressant de compléter ces observations à partir des
considérations réalisées par Foucault sur les discontinuités affectant le terme parrêsia
à la fin de sa dernière leçon au Collège de France : Michel Foucault, Le courage de la
vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France. 1984, Paris,
Seuil/Gallimard, coll. « Hautes études », 2009, Leçon du 28 mars.
[27] Cesar Candiotto et Pedro De Souza (dir.), Foucault e o Cristianismo, op. cit., p.
140.
[28] Ibid., p. 147.
[29] Ibid., p. 154.
[30] Je voudrais remercier spécialement Fernando de Almeida qui m’a aidé à
accéder au livre dont fait l’objet cette notice (AC).
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